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1321. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

  Je tiens surtout à diviser les jeunes qui parlent tant et dont on parle trop en deux classes : les vrais et les faux. […] Elle roule des yeux de chatte craintive ; puis apprivoisée tout de suite, vient s’appuyer contre moi avec une câlinerie de bébé qui sonne admirablement faux. […] Un faux dégel s’était produit dans la semaine, puis le froid avait recommencé, si rude, que la neige des sculptures, à demi fondue, venait de se figer en une floraison de grappes et d’aiguilles. […] Toute la réputation du littérateur, du savant, va sombrer devant les faux que la pauvre dupe a produits à l’Académie comme de précieux autographes. […] Sûr qu’elle conspire pour les ducs d’Orléans, ou qu’elle fait des billets de banque en fausse monnaie !

1322. (1930) Le roman français pp. 1-197

J’ai peine à condamner tout à fait sans appel, le roman mondain, pieux — d’une fausse piété parfois, mais pas toujours : ceux de M.  […] » — « Eh bien, je dois être dans le faux !  […] Littérairement on peut ne pas se soucier de savoir si elle est fausse ou vraie. […] On lui en a trop appris à l’école, et il a trop retenu : témoins les faux rabelaisismes de son Colas Breugnon. […] Il tente de s’en échapper par À Rebours, tentative puérile, mais significative, pour fuir les platitudes du réel et du quotidien, par l’artificiel, la non-vérité, l’impossible… Pensez à un enfant qui dirait que les vaches de sa boîte à jouets sont les vraies vaches, et que les vraies vaches qui paissent dans le pré sont fausses.

1323. (1923) Critique et conférences (Œuvres posthumes II)

Comme on va voir, celui-ci se compose de courtes pièces, prose exquise ou vers délicieusement faux exprès. […] Rimbaud attendit patiemment à la porte et Carjat reçut à la sortie un « bon » (je retiens « bon ») coup de canne à épée dans le ventre. » Je n’ai pas à invoquer le témoignage de d’Hervilly qui est un cher poète et un cher ami, parce qu’il n’a jamais été plus l’auteur d’une intervention absurdement inutile que l’objet d’une insulte ignoble publiée sans la plus simple pudeur, non plus que sans la moindre conscience du faux ou du vrai, dans la préface de l’édition Genonceaux, ni celui de M.  […] Il se trouve donc que quelques mois après mon article sur le bohème Murger, j’élucubre ici un article sur je ne dirai pas le bohême Rimbaud, le mot serait faux et il vaut même mieux, mieux même, lui laisser toute son « horreur » en supprimant l’épithète Rimbaud ! […] Barbey d’Aurevilly ne trouve dans tout cela que fatras, ennui, fausse érudition et manque d’âme. […] De sots, autant que de faux admirateurs, jaloux de leur ridicule prestige en allé, n’osèrent-ils pas, dis-je, se réclamer, vers cet an de bataille 1830, d’elle et de lui ?

1324. (1864) Cours familier de littérature. XVII « Ce entretien. Benvenuto Cellini (2e partie) » pp. 233-311

Un procès scandaleux qu’on lui intenta par vengeance, sous prétexte des infâmes amours dont on l’avait accusé en Italie, souleva tellement sa colère, que, l’ayant gagné, il se vengea à coups de dague de ses accusateurs, et les fit repentir cruellement de leur accusation vraie ou fausse. […] Altoviti m’a fait voir son portrait en bronze, et m’a dit qu’il était de vous : il m’a fait le plus grand plaisir ; mais il l’a placé dans un faux jour, ce qui l’empêche de produire le merveilleux effet dont il est susceptible.” […] La fausse modestie n’existait pas.

1325. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

« Mais son cœur lui échappe et s’attache à une fausse image de l’amour. […] X Et ceux-ci, qui n’ont que le tort de m’être adressés, et de me proclamer homme grand et heureux, tandis que le sort me préparait un double démenti et un faux présage ! […] Mais en y songeant mieux, revoyant sans fumée, D’une vue au matin plus fraîche et ranimée, Ce tableau d’un poète harmonieux, assis Au sommet de ses ans, sous des cieux éclaircis, Calme, abondant toujours, le cœur plein, sans orage, Chantant Dieu, l’univers, les tristesses du sage, L’humanité lancée aux océans nouveaux… — Alors je me suis dit : Non, ton oracle est faux, Non, tu n’as rien perdu ; non, jamais la louange, Un grand nom, — l’avenir qui s’entr’ouvre et se range, Les générations qui murmurent : C’est lui !

1326. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

Cependant je ne veux pas dire de mal de ces commencements ; j’étais encore dans l’obscurité, et je marchais en avant sans trop savoir où j’allais, mais cependant j’avais déjà le sens du vrai, une baguette divinatoire qui m’enseignait où était l’or. » J’observai qu’il en était ainsi pour tous les grands talents, car autrement, lorsqu’ils s’éveillent dans ce monde si mélangé, ils ne sauraient pas saisir le vrai et éviter le faux. […] « Zelter est un bon et digne homme, dit-il, mais il lui arrive parfois de ne pas me comprendre et de donner à mes paroles une fausse interprétation. […] Oui, c’est vrai, je ne suis pas un ami de la plèbe révolutionnaire, qui cherche le pillage, le meurtre et l’incendie ; qui, sous la fausse enseigne du bien public, n’a vraiment devant les yeux que les buts les plus égoïstes et les plus vils.

1327. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

Napoléon voulait la même couleur, mais dans l’île ne se trouvait pas de pièce de ce drap ; on trouva bien un drap vert, mais d’une couleur fausse et tirant sur le jaune. […] » Quant à moi, qui n’aime ni le faux, ni l’excès, ni certains drames de Victor Hugo, j’avoue que j’ai lu avec attendrissement et intérêt le roman bizarre, mais neuf, de Notre-Dame de Paris. […] Et qu’est-ce qui est faux, sinon l’absurde, le creux, le niais, ce qui ne donne aucun fruit, du moins aucun bon fruit ?

1328. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

La combinaison détestable de ce faux style (victorieusement et définitivement promu au titre de terme universel de comparaison) et de l’esprit critique, pourtant, qui ne perd rien de ses prétentions, a engendré la funeste habitude de ne jamais entrer dans une œuvre d’art avec le soin de dépouiller tout souvenir afin de rester dans la justice. […] Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme, Et les voici vibrer aux cuivres du couchant. […] Mais je sais qu’ici, dans cette ville où la liberté est de tradition immémoriale, je puis librement parler… La vraie comme la fausse science, Auguste Comte ou Herbert Spencer comme tous les louis figuiers de la création, ont propagé le scepticisme pratique dont est saturée l’atmosphère actuelle.

1329. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

Enfin, parmi ses pensées sur la religion23 et sur l’église, nous trouvons ces passages : « Attaquer les opinions fondamentales d’une religion vraie ou fausse est un acte criminel, à moins que votre dessein avoué ne soit d’abolir entièrement cette religion. […] Il affirme encore que Wood dépassera l’émission fixée par sa patente, qu’il remplacera tout l’or et tout l’argent de l’Irlande par sa fausse monnaie. Mais Wood est appuyé par les Anglais, il veut imposer cette monnaie ; il la fera donner en solde à l’armée et alors il croira son affaire faite « et ce sera pour vous, dit Swift, une grande difficulté, car le soldat ira offrir cette monnaie au marché et au cabaret, et si on la refuse, il menacera de tout ravager, de battre le boucher et la cabaretière, et prendra les marchandises en vous jetant la pièce fausse.

1330. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Tout le monde croit les fausses interprétations par lesquelles des journalistes de mauvaise foi trompent l’opinion publique ; très peu de gens vont à la source pour rectifier leurs jugements. […] En second lieu, rien n’est plus faux que de prétendre, — comme le fait la note annonçant la nouvelle en question, — que les ouvrages de Dumas s’adaptent, mieux que tous les autres, au cadre de l’Opéra, sont, plus que d’autres, propres à fournir des livrets, à être mis en musique. […] Et Wagner nous montre la folie de toute résistance : agir au dehors, c’est affirmer la volonté personnelle, fausse et meurtrière.

1331. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

Qu’est devenue la fausse dévote, qui veut tromper Dieu et qui se trompe elle-même ? […] Je ne crois pas, en effet, que même une femme du plus grand monde, et même parmi les femmes du monde qui aient eu le plus d’esprit, il y en ait une seule qui pour les grâces, les élégances et l’art intime du beau dire, ait pu lutter avec l’auteur de Marianne et des Fausses Confidences. […] Elle l’a redemandée, non pas de cette voix banale et prévue à l’avance qui s’élève dans la salle, en même temps que tombe le lustre, comme si le lustre voulait jeter sa lumière blafarde sur ces faux enthousiastes, mais elle a été redemandée nettement, d’une voix unanime, comme jamais je n’ai entendu redemander personne.

1332. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Il en était de même aussi pour les moissons et pour les foins ; chacun avait sa fonction proportionnée à son sexe, à sa force, à son aptitude, à ses années : les uns maniaient la faux à l’heure de la rosée ; les autres, la faucille à l’heure où la paille sèche brûle la plante des pieds ; ceux-ci nouaient la gerbe, ceux-là la chargeaient sur les chariots ; les jeunes filles éparpillaient sur la pelouse tondue le sainfoin coupé et suspendu aux dents de bois de leur râteau ; les enfants, les glaneuses cueillaient çà et là les épis et les herbes oubliés, pour en rapporter de maigres fascines sous leurs bras ; d’autres se suspendaient à droite et à gauche aux ridelles du char pour le tenir en équilibre dans le chemin raboteux et pour empêcher le monceau d’épis de crouler en route avant d’arriver aux granges. […] Maintenant la vérité et l’émotion vont redoubler dans la rencontre de ce faux mendiant et de ce gardeur de pourceaux. […] L’attention centupla quand le faux mendiant extermine les usurpateurs de son palais, les oppresseurs de sa femme et de son fils.

1333. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 13, qu’il est probable que les causes physiques ont aussi leur part aux progrès surprenans des arts et des lettres » pp. 145-236

Cette opinion, pour être communément reçûë, n’en est pas moins fausse. Les opinions fausses en histoires, s’établissent aussi facilement que les opinions fausses en philosophie.

1334. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Mais on s’accoutume un peu trop à la regarder comme une loterie toute pure, où l’on croit faire fortune en fabriquant de faux billets. […] La renommée, espèce de spectre composé de bouches et d’oreilles sans yeux, une fausse balance dans une main, et une trompette discordante dans l’autre, fait entrer pêle-mêle dans le temple une partie des voyageurs ; là tous les états sont confondus, tandis que le reste des aspirants, empressé d’entrer et repoussé par la justice ou par la fortune, fait retentir les environs du temple de satires contre ceux qui y sont renfermés. […] Je sais que les faux intérêts des hommes s’opposeront toujours à leur intérêt véritable ; en ce cas je ne serai pas le premier missionnaire qui avec des talents médiocres, de très bonnes intentions, des raisons encore meilleures et une conduite conforme à sa doctrine, aura eu le malheur de ne convertir personne.

1335. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre IV. De la pluralité des temps »

Il parlera donc de « réalité » et d’« apparence », de « mesures vraies » et de « mesures fausses ». […] Mon critique trouvera mes conclusions justes, quoique, de son point de vue qui est maintenant seul légitime, mes prémisses soient devenues fausses. […] Il dirait que, mobile ou immobile, avec des mesures vraies ou fausses, il obtient la même physique que moi et aboutit à des lois universelles. » En d’autres termes encore : étant donné une expérience telle que celle de Michelson et Morley, les choses se passent comme si le théoricien de la Relativité pressait sur l’un des deux globes oculaires de l’expérimentateur et provoquait ainsi une diplopie d’un genre particulier : l’image d’abord aperçue, l’expérience d’abord instituée, se double d’une image fantasmatique où la durée se ralentit, où la simultanéité s’incurve en succession, et où, par là même, les longueurs se modifient.

1336. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite et fin.) »

Mignet prenait garde de peur que le prince ne fît un faux pas. […] Non, ce n’était pas du Voltaire, parce que Voltaire était sincère, passionné, possédé jusqu’à son dernier soupir du désir de changer, d’améliorer, de perfectionner les choses autour de lui ; parce qu’il avait le prosélytisme du bon sens ; parce que, jusqu’à sa dernière heure, et tant que son intelligence fut présente, il repoussait avec horreur ce qui lui semblait faux et mensonger ; parce que, dans sa noble fièvre perpétuelle, il était de ceux qui ont droit de dire d’eux-mêmes : Est deus in nobis  ; parce que, tant qu’un souffle de vie l’anima, il eut en lui ce que j’appelle le bon démon, l’indignation et l’ardeur.

1337. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIIe entretien » pp. 223-287

Mais, en ce qui me concerne moi-même (je le dis sans fausse modestie), on n’aura rien qu’un homme incomplet, un poète tel quel, un citoyen honnête, trompé dans son ambition désintéressée pour son pays, une fortune en ruines, une vieillesse onéreuse, une âme sans regrets mais sans illusion pour sa patrie. […] Il me semble encore entendre sa voix de poitrine, résonnante comme une vague d’Ionie dans un creux de rocher des Phocéens, la première fois qu’il adressa, comme un vrai Horace à un faux Virgile, les adieux du poète sédentaire au poète errant !

1338. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

Fauvel ramassait ses pierres à Athènes, il me parlait souvent d’eux ; mais il levait les épaules au nom de M. de Chateaubriand visitant le Parthénon avec un chaudronnier de Smyrne qui lui servait de guide à quinze sous par jour. « Ne m’en parlez pas, me disait-il, celui-là n’est qu’un faux prêtre de notre culte pour le marbre ; il fouille du bout de sa canne à pomme d’or, qu’il appelle son bâton blanc, les cendres du foyer des terres dans l’Acropole ; mais il n’y cherche que des mots, des images, de la gloire, et non des collections sacrées comme ces vestiges. […] est-ce faux ?

1339. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

Mes pieds même ne se font pas à ces marches neuves, ils vont suivant leur coutume et font des faux pas où ils n’ont pas passé tout petits. […] On épargnerait bien des larmes qui coulent pour de fausses leçons.

1340. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

On la lui laissa, et il n’en fit usage que pour flatter les républicains par ses injures à Louis-Philippe et par ses caresses officielles à la monarchie exilée : sans dignité dans son style, sans sincérité dans ses démonstrations ; ami de Carrel et de Béranger en France, et ami des Bourbons exilés en Allemagne, flairant la popularité sur les débris du trône légitime et sur les pressentiments de la démocratie prochaine, faux des deux côtés. […] C’est être ridicule ou fanfaron ; son génie l’empêchait d’être ridicule, il ne lui restait que de vaines fanfaronnades royalistes ; ou bien de s’allier avec les républicains alors impuissants et d’emprunter quelque fausse popularité à ses ennemis naturels.

1341. (1892) Boileau « Chapitre I. L’homme » pp. 5-43

Par malheur, la conversation vint à tomber sur la comédie, et le faux bailli s’échauffa sur l’éloge de Molière : il allait se trahir, si Racine ne l’eût emmené, juste à point pour n’être pas reconnu par Cotin, qu’ils rencontrèrent sur l’escalier. […] Despréaux, avec une adresse perfide, se fait prier et supplier par un Père Jésuite de lui nommer l’unique moderne qui surpasse à son gré les anciens ; à ce nom de Pascal, si malignement retenu et brusquement lâché, stupeur du bon Père, qui gratifie d’une épithète injurieuse l’auteur des Provinciales ; là-dessus, voilà notre poète hors de lui, qui oublie son artificieuse ironie, et s’emballe à fond, criant, trépignant, et courant d’un bout de la chambre à l’autre, sans plus vouloir approcher d’un homme capable de trouver Pascal faux : cette merveilleuse page, dont je ne puis reproduire la couleur et la vie, donne la sensation de l’homme même : c’est bien lui, avec sa malice railleuse et sa sincérité passionnée, et toujours prenant trop au sérieux les idées pour s’en jouer avec la grâce indifférente de l’homme du monde, qui sacrifie sans hésiter n’importe quelle opinion à la moindre des bienséances.

1342. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

On l’oppose ordinairement à Balzac, comme l’idéalisme au réalisme ; mais cette antithèse, ainsi que beaucoup d’autres du même genre, est fausse dans ses deux termes. […] Il arrive aussi que ses héros, ses personnages de premier plan sont plus vaporeux, plus insubstantiels — plus faux, pour parler brutalement — que les comparses et caractères accessoires : c’est qu’elle embellit, et déforme les types réels, selon l’intérêt, la sympathie qu’ils lui inspirent.

1343. (1902) Le culte des idoles pp. 9-94

Tout l’Ancien régime est construit sur une idée fausse exprimée par un mot ridicule, l’esprit classique, mot qui désigne la culture, la pensée et l’art si variés de deux siècles ! […] Par foule je n’entends pas l’ouvrier, le manœuvre qui certainement ne lisent pas son œuvre, bien que certaines pages puissent leur être utiles, mais cette foule de faux hommes de lettres, de professeurs de hasard et de parvenus niais qui ne font point partie de cette classe d’honnêtes gens auxquels s’adressent de tels livres.

1344. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Là mourut le pauvre Pierre Renan, ton oncle, qui mena toujours une vie de vagabond et passait ses journées dans les cabarets à lire aux buveurs les livres qu’il prenait chez nous, et le bonhomme Système, que les prêtres n’aimaient pas, quoique ce fût un homme de bien, et Gode, la vieille sorcière, qui, le lendemain de ta naissance, alla consulter pour toi l’étang du Minihi, et Marguerite Calvez, qui fit un faux serinent et fut frappée d’une maladie de consomption le jour où elle sut que l’on avait adjuré saint Yves de la Vérité de la faire mourir dans l’année 4. […] jetée dans le faux, elle était condamnée à y périr.

1345. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

Je crains que ces ouvrages, où le vrai et le faux, le réel et le chimérique s’enchevêtrent d’une façon inextricable, ne satisfassent guère, passé un certain âge, ni la raison ni l’imagination. […] Il met en doute l’existence du monde extérieur, et il ne peut la démontrer (circuit étrange) que par l’existence de l’âme qui perçoit le monde et par l’existence de Dieu qui, étant parfait, ne peut avoir voulu tromper l’homme en lui donnant de fausses perceptions.

1346. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

Aujourd’hui, nous avons ce choix : — ou bien un théâtre, des décors, des acteurs : des demi trompe-l’œil, l’apparence d’une forêt et les planches, ni convention pure, ni représentation artistique complète de la nature ; et les acteurs, des hommes nécessairement difformes, incapables de faire admettre qu’ils sont les dieux qu’ils singent, et ne nous laissant plus qu’ils sont simplement des porte-parole ; avec les décors de notre Opéra et les acteurs de Meiningen, un compromis entre une convention et une réalité, le faux par définition ; — ou bien le concert, c’est-à-dire nulle prétention de représentation, mais le champ libre à la conception, l’espace grand ouvert à la réalité supérieure des forêts et des hôtes divins qu’en nous suscitera l’imagination : car cette musique c’est un décor, la nuit est dans la musique où Siegmund solitaire contemple le foyer éteint, et cette musique c’est encore les personnages, je vois (et combien plus beau que M.  […] Or, dans le cœur est enfermé le salutaire sang Aryen, comme dans le sanctuaire du Gral ; tandis que la tête peut concevoir tous les mélanges faux et bizarres, et s’en glorifie même, nommant cela un accroissement de la science.

1347. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Le public aime les romans faux : ce roman est un roman vrai. […] que de prédispositions et de motifs et de raisons, elle trouvait en elle pour se dévorer et saigner en dedans : d’abord le repoussement par moments d’idées religieuses avec les terreurs d’un enfer de feu et de soufre ; puis la jalousie, cette jalousie toute particulière qui, à propos de tout et de tous, empoisonnait sa vie ; puis, puis… puis le dégoût que les hommes, au bout de quelque temps, lui témoignaient brutalement pour sa laideur, et qui la poussait de plus en plus à la boisson, l’amenait un jour à faire une fausse couche, en tombant ivre-morte sur le parquet.

1348. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1883 » pp. 236-282

J’obtiens de faire remplacer : « Remettez le cadavre », lorsque la reine parle de la couronne aux faux diamants, par cette phrase : « Remettez ça, là. » Ce « cadavre » doit paraître du sublime à quelques-uns, qui ne se doutent pas, que dans les situations dramatiques, il faut que toujours l’expression soit simple, qui ne savent pas que la passion emploie toujours l’expression commune, et au grand jamais, l’image. […] Après quoi, comme il y a là un musicien, le musicien Pugno, il fait, sur un piano faux, du bruit prétendu illyrien dans nos pensées, demandant la paix et le recueillement.

1349. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

… Son art est faux et singulièrement raccourci. […] C’est un homme du xixe  siècle, — qui fait de la littérature comme en fait et en veut le xixe  siècle, où la littérature porte la peine des idées fausses et des vices du temps.

1350. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

Cette méthode les a menés à des conclusions curieuses, en partie vraies, en partie fausses et contradictoires au propre témoignage de la conscience. […] Malgré tous les efforts de la logique, cette notion réelle de cause ne saurait jamais se confondre avec aucune idée de succession expérimentale ou de liaison quelconque des phénomènes. » Voilà pourquoi Maine de Biran répétait si souvent et avec tant d’énergie que la méthode de Bacon égare et fausse la véritable science de l’homme22.

1351. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

Le grand Gœthe, le maître de la critique, a établi ce principe souverain qu’il faut surtout s’attacher à l’exécution dans les œuvres de l’artiste, et voir s’il a fait, et comment il a fait, ce qu’il a voulu : « Il en est beaucoup, disait-il, qui se méprennent, en ce qu’ils rapportent la notion du beau à la conception, beaucoup plus qu’à l’exécution des œuvres d’art ; ils doivent ainsi, sans nul doute, se trouver embarrassés quand l’Apollon du Vatican et d’autres figures semblables, déjà belles par elles-mêmes, sont placés sous une même catégorie de beauté avec le Laocoon, avec un faune ou d’autres représentations douloureuses ou ignobles. » Il y a donc, selon lui, une part essentielle de vérité, qui entrait dans les ouvrages des anciens, dans ceux qu’on admire et qu’on invoque le plus, et c’est cette part de vérité, cette nature souvent crue, hideuse ou basse, moins négligée des anciens eux-mêmes qu’on ne l’a dit, qu’il ne faut point interdire aux modernes d’étudier et de reproduire : « Puisse, s’écriait Gœthe, puisse quelqu’un avoir enfin le courage de retirer de la circulation l’idée et même le mot de beauté (il entend la beauté abstraite, une pure idole), auquel, une fois adopté, se rattachent indissolublement toutes ces fausses conceptions, et mettre à sa place, comme c’est justice, la vérité dans son sens général ! 

1352. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803 » pp. 2-15

Un homme de cet acabit, en effet, un égoïste à la fois si oublieux, a gardé jusque dans son calcul des portions de naïveté, d’inadvertance, d’ignorance de soi, de confiance et de persuasion en sa faveur, qui le garantissent de toute action noire, basse ou fausse : il y a donc lieu, malgré tout, à l’indulgence.

1353. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers »

Au reste, il ne s’agit pas de charger en rien Ney, le brave des braves, mais d’expliquer la suite des faux pas, des malentendus dont un ou deux, ou trois encore, eussent été réparables, mais qui, en s’ajoutant tous, en s’accumulant opiniâtrement et sans relâche jusqu’à la fin, comblèrent la mesure et firent mentir dans ses calculs les plus profonds et les plus justes le génie moderne des combats.

1354. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

En sa spirituelle préface, le chansonnier semble regretter qu’aucun de nos jeunes talents ne se soit essayé dans une voie qu’il croit fertile encore ; ce conseil et ce regret, j’ose le dire, tombent à faux.

1355. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

Et, d’autre part, comme ces admirateurs plus tardifs, honteux tout bas de s’être fait tant prier, et n’en voulant pas convenir, acceptent le grand écrivain dans ses dernières œuvres au détriment des premières qu’ils ont peu lues et mal jugées, comme ils sont fort empressés de le féliciter d’avoir fait un pas vers eux, public, tandis que c’est le public qui, sans y songer, a fait deux ou trois grands pas vers lui, il est du ressort d’une critique équitable de contredire ces points de vue inconsidérés et de ne pas laisser s’accréditer de faux jugements.

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