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374. (1896) Les époques du théâtre français (1636-1850) (2e éd.)

Mais il y a pourtant une différence, une différence de fond, une différence de nature ou d’espèce, et non pas seulement de degré. […] Comment, en effet, la science nous apprend-elle qu’une variété se forme et qu’une espèce commence à se métamorphoser ? […] Par exemple, ne peut-on pas dire que la question d’argent est trop grave, d’une nature ou d’une espèce trop particulière, pour être traitée par la comédie ? […] Autre exemple, Messieurs, de l’analogie de l’histoire des genres littéraires avec celle des espèces naturelles. […] Ce serait alors une espèce de philosophie de l’histoire et de la vie !

375. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Poésie — I. Hymnes sacrées par Édouard Turquety. »

Parmi les pièces qu’il traduit et qui sont peut-être trop exclusivement lyriques, je distingue le Novembre de Pouschkine, espèce d’élégie d’intérieur, et le piquant adieu du même à une jeune Kalmouque entrevue au passage, et qu’il est tenté de suivre dans la kibitka, espèce de chariot couvert où elle se rembarque pour le steppe immense.

376. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Grosclaude. »

Elle badine volontiers sur les assassinats, se joue autour de la guillotine ; et les plus effroyables manifestations du mal physique, les pires cruautés de la nature mauvaise, incendie, inondations, tremblements de terre, catastrophes de toute espèce, lui sont matière à calembours et à coq-à-l’âne. […] Ces inventions de fou dialecticien parlant constamment la langue d’un président des quatre classes de l’Institut un jour de gala, cela me fait la même espèce de plaisir que les cabrioles d’un clown à favoris et en habit noir, mais un plaisir dix fois plus intense, d’autant que les choses de l’esprit sont au-dessus de celles de la matière.

377. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XI » pp. 89-99

La dissolution de la société de Rambouillet fut l’époque ou commencèrent des sociétés d’un autre ordre, et où s’introduisit dans la langue un mot nouveau, dont la naissance atteste celle de la chose ou de l’espèce de personnes qu’il désigne, le mot précieuse. […] « L’hôtel de Rambouillet », dit-il dans une note sur Dangeau (10 mai 1690), « était dans Paris une espèce d’académie de beaux esprits, de galanterie (galanterie est là pour élégance), de vertu et de science, car toutes ces choses s’accordaient alors merveilleusement et le rendez-vous de tout ce qui était le plus distingué en condition et en mérite, un tribunal avec qui fallait compter et dont sa décision avait un grand poids dans le monde, sur la conduite et sur la réputation des personnes de la cour et du grand monde, au tant pour le moins que sur les ouvrages qui s’y portaient à l’examen37. » 35.

378. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et l’abbé Desfontaines. » pp. 59-72

Rien n’a plus contribué à lui faire un nom que l’espèce de tribunal qu’il osa s’ériger lui-même pour juger tous les ouvrages nouveaux. […] L’illustre poëte reçut cet abbé comme il a coutume de recevoir tous ceux qui ont une espèce de célébrité.

379. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Seconde faculté d’une Université. Faculté de médecine. » pp. 497-505

A la fin de chaque année, le même professeur donnera un cours de pharmacie, pendant lequel il exécutera ou fera exécuter par un adjudant, toutes les espèces de préparations que les médicaments subissent avant que d’être employés. […] Comme il serait difficile que pendant la durée d’un cours d’une ou de deux années il se présentât à l’art des exemples de maladies de toutes les espèces, indépendamment de ces leçons, chacun des deux professeurs en donnera dans l’école sur toutes celles dont les hommes peuvent être attaqués.

380. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 15, observations concernant la maniere dont les pieces dramatiques étoient représentées sur le théatre des anciens. De la passion que les grecs et les romains avoient pour le théatre, et de l’étude que les acteurs faisoient de leur art et des récompenses qui leur étoient données » pp. 248-264

Les marionnettes où la déclamation est partagée nous amusent, quoique l’action n’y soit executée que par une espece d’automate. […] On ferme les bibliotheques comme on ferme les tombeaux pour toujours, et l’on ne songe qu’à faire faire des hidrauliques, des lyres énormes, des flutes de toute espece et tous les instrumens qui servent à regler les gestes des acteurs. " je dois avertir le lecteur qu’en évaluant la monnoïe romaine par notre monnoïe de compte, je n’ai pas suivi le calcul de Budé, quoique ce calcul fut juste lorsque ce sçavant homme le fit.

381. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVI. Mme de Saman »

Pour avoir des confessions de cette espèce, il fallait Rousseau ; il fallait ce crapuleux superbe que Voltaire, qui n’était pas bégueule, appelait « le laquais de Diogène ». […] Mais elle a beau me parler de l’héroïque sincérité de l’âme ardente et forte dont elle recommande le volume présent au public ; elle a beau m’exalter cette âme indépendante et fidèle, qui n’oublie aucun de ses amours en les variant et qui ne combat rien dans son âme par la très morale raison que le temps qu’on perd à combattre contre soi, on ne fait pas Corinne, si on fait Mme de Staël, je me connais trop en logomachie pour ne pas reconnaître les idées, les façons de dire, les affectations du bas-bleu moderne, cette espèce à part et déjà si commune et pour être infiniment touché du spectacle que me donnent, à la fin de cette préface sur laquelle on a compté, ces deux antiques Mormones du bas-bleuisme contemporain dont l’une couronne l’autre de roses à feuilles de chêne, avec un geste tout à la fois si solennel et si bouffon !

382. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’insurrection normande en 1793 »

Elle instituait des rivalités petites et mesquines contre le fantôme imposant des anciennes provinces et leurs souvenirs, espèces de sentinelles jalouses placées autour d’autant de tombeaux ! […] Il faut ajouter, pour compléter cette liste de vingt-deux, Marchenna, Girey-Dupré et Riouffe, qui n’étaient pas députés, — et Fauchet, l’évèque intrus du Calvados, le seul homme de talent réel, une espèce de Diderot évêque qui aurait eu la foi, et à qui la foi et le sacrement de l’ordre sans doute valurent plus tard le repentir.

383. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Les honnêtes gens du Journal des Débats » pp. 91-101

Le Journal des Débats, qui est un journal grave, un vieux bohème de la grande espèce, plein de jours et de profondeur, a pensé que ses légers confrères de la petite ne mettaient pas assez au jeu contre nous en n’y mettant que la monnaie de singe de leurs grimaces, et lui, qui a des théories à revendre, s’est cavé contre nous d’une théorie. […] On en fait une femme qui sourit et ne rudoie pas, — une femme qui ne rudoie pas ceux qui outragent la vérité sous toutes les espèces : la vérité dans les idées, dans l’art, dans le style !

384. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre II. Des éloges religieux, ou des hymnes. »

Dans ces premiers temps on loua la divinité au lever du soleil ; c’était une espèce de création nouvelle qui rendait l’univers à l’homme. […] Dans nos climats d’occident, et surtout dans une grande partie de notre Europe moderne, nous avons commencé presque tous par être des espèces de sauvages, enfermés dans des forêts et sous un ciel triste ; ensuite nous avons été tout à la fois corrompus et barbares par des circonstances singulières et des mélanges de nations ; enfin, nous avons fini par être corrompus et polis.

385. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

C’est durer dans l’espèce en tout temps, en tout lieu. […] Il ne la trouve ni « entre espèces » ni « dans l’espèce », ni « entre États » ni « dans l’État » (tout n’est au fond que lutte pour la vie et sélection naturelle, transformations de l’égoïsme, instincts revêtus de beaux noms, déguisements spécieux de la force). […] Brunetière a des croyances de cette espèce. […] Cette étude sympathique doit être précédée d’une espèce de déblayement et de triage, qui se fait naturellement. […] Ce jeune homme ne savait même pas qu’il y a plusieurs espèces d’invention.

386. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Le développement de l’espèce humaine dans l’espace et le temps, c’est l’histoire. […] Les lois n’ont pas alors manqué davantage ; elles ont si peu manqué à l’espèce humaine dans l’Orient, que sous leur empire l’espèce humaine a fort peu remué. […] tuez-le ou mettez-le en rapport avec son espèce. […] L’espèce humaine ne se serait donc jamais développée dans toute sa liberté ! […] l’espèce humaine sera stationnaire là où la nature s’agite et l’agite sans cesse !

387. (1897) Aspects pp. -215

Mais malgré tant d’iniquités crues immuables, l’évolution commence qui mènera l’espèce de la sauvagerie à la civilisation. […] Tous deux servent l’espèce ; et ils la servent sans s’en douter, pour se faire plaisir à eux-mêmes. […] À l’antithèse entre le corps et l’âme, il opposa la conception déterministe ; il démontra que notre espèce agit et réagit, lutte et se transforme d’après les mêmes lois qui régissent l’évolution des autres espèces animales. […] L’espèce disparaît et bientôt, lorsque M.  […] Le Blond entend le patriotisme, c’est-à-dire l’amour exclusif et sectaire d’un mode de l’espèce, je m’inscris en faux.

388. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

J’ai des livres de toute espèce : c’est un trésor pour moi ; ils nourrissent mon âme avec une volupté qui n’est jamais suivie de dégoût. […] J’ai de tout en abondance : les paysans m’apportent à l’envi des fruits, des poissons, des canards et toute espèce de gibier. […] Les applaudissements enroués des foulons du carrefour, des cabaretiers, des bouchers et autres gens de cette espèce, dont les louanges font plus de tort que d’honneur ?  […] Après cela il a pris la fuite en me disant adieu, et m’a laissé confus de sa générosité et blâmant cette espèce de violence qu’il me faisait. […] Sa maison, que l’on voit encore, était entourée de vergers, de potagers, de figuiers, de vignes suspendues à des arbres fruitiers de toute espèce.

389. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

La Néva coule à pleins bords au sein d’une cité magnifique ; ses eaux limpides touchent le gazon des îles qu’elle embrasse, et dans toute l’étendue de la ville elle est contenue par deux quais de granit alignés à perte de vue, espèce de magnificence répétée dans les trois grands canaux qui parcourent la capitale, et dont il n’est pas possible de trouver ailleurs le modèle ni l’imitation. […] Mon cabinet de livres ouvre immédiatement sur cette espèce de belvédère, que vous nommerez, si vous voulez, un grand balcon ; c’est là qu’assis dans un fauteuil antique j’attends paisiblement le moment du sommeil. […] « Dans le vaste domaine de la nature vivante il règne une violence manifeste, une espèce de rage prescrite qui arme tous les êtres in mutua funera. […] Dans chaque grande division de l’espèce animale elle a choisi un certain nombre d’animaux qu’elle a chargés de dévorer les autres. […] C’est au milieu de cette solitude et de cette espèce de vide formé autour de lui qu’il vit seul avec sa femelle et ses petits, qui lui font connaître la voix de l’homme ; sans eux il n’en connaîtrait que les gémissements… Un signal lugubre est donné ; un ministre abject de la justice vient frapper à sa porte et l’avertir qu’on a besoin de lui.

390. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

Puis il parle d’un logement glacial, d’une espèce de lanterne qu’il avait, un certain nombre d’années, occupée au septième, et de ses montées sur un rebord de toit au huitième, en compagnie de son ami Pajot. […] Ce soir, il me parlait des intéressantes pages qu’il écrirait, il lui semble, en racontant ses visites à ses vieux parents, quand il va se faire piquer par son beau-père, peignant son état de souffrance abominable dans la rue, puis l’espèce d’apaisement qui se fait chez lui, pareil à ce qui se passe chez le dentiste, quand la vieille bonne lui ouvre, et qu’il entre dans ce calme intérieur, puis l’état vague, hachiché, dans lequel il revient. […] Il me parle aussi de l’espèce de vacillement, que le bromure apporte à sa mémoire, le forçant, dit-il, de se raccrocher à des jambages de souvenirs ; et à ce propos, il émet une observation curieuse, il affirme que la lutte de Flaubert avec les mots, a dû venir de la masse énorme de bromure qu’il avait absorbée. […] On ne veut pas de faiseurs de livres au théâtre, et il y a une espèce de colère froide chez les journalistes, affiliés aux gens de théâtre, de voir des romanciers prendre possession de l’Odéon… Et cette pauvre Renée je la crois décidément assassinée ! […] Et par un nouveau procédé, le traité est aussitôt imprimé sur une espèce de piano, et l’avocat nous verse l’argent, et nous aide très aimablement à passer nos paletots.

391. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine §1. — Acquisition du langage par les enfants I Les observations qui suivent ont été faites au fur et à mesure et rédigées sur place. […] On s’en aperçoit encore à l’espèce et au degré de sa curiosité. […] Elle l’a très vite appliqué et avec très peu, d’aide aux chiens de toute taille et de toute espèce qu’elle a vus dans la rue, puis, chose plus remarquable, aux chiens de faïence bronzée qui sont auprès de l’escalier. […] §2. — Acquisition du langage par l’espèce humaine Une pareille question ne pouvait être traitée avec compétence que par un philologue. […] Tant qu’il n’y eut dans le troupeau que des moutons et des vaches, la combinaison béé-mou-ou suffisait ; mais quand le troupeau renferma des animaux d’une autre espèce, les sons distincts qui les désignaient durent être évités avec un soin particulier, parce qu’ils auraient produit des méprises. — De même encore, il était assez facile d’imiter les cris du coucou et du coq, et les sons coucou, coq pouvaient être employés comme les signes phonétiques de ces deux oiseaux.

392. (1913) La Fontaine « I. sa vie. »

De sorte que l’on a une espèce de passion préconçue pour La Fontaine et qu’on veuille en faire, du moins pendant cette période de sa jeunesse, un homme sans défaut, un homme impeccable, on accuse naturellement MIIe de La Fontaine. […] En tout cas, dans cette espèce de cour que Fouquet tenait à Saint-Mandé, qu’un peu plus tard il tint à Vaux, La Fontaine trouva une société tout à fait faite pour lui, tout à fait de son goût. […] Il paraît n’être resté dans cette espèce d’exil, faux ou vrai, que très peu de temps, environ six mois. […] Or, Chapelain était, à cette époque-là, une espèce de surintendant des lettres, il était tout à fait officiellement à la tête de la République des lettres, il était le chef des grands conseils de la littérature, il était le maître des pensions, etc. […] A la gloire de la littérature, d’abord, et puis de l’espèce humaine en général, il y a de grands hommes de lettres qui résistent à cette dissection, Corneille, par exemple, à très peu près ; Lamartine, presque complètement.

393. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Il écrit à sa mère, à bord du navire, pendant la traversée même (avril-mai 1831) ; il décrit l’intérieur de ce petit monde, un vaisseau en mer, cette arche de Noé qui contient bien des espèces diverses de toute nature et de tout pays. […] De cette espèce de comparaison que je ne fais qu’indiquer en passant, on aurait grand tort de conclure qu’il n’y a pas dans ces lettres de M. de Tocqueville de charmants tableaux. […] Aux États-Unis donc, on regarde l’exécution d’une belle prison comme la pyramide de Chéops, ni plus ni moins, et, par contre-coup, nous qui passons en quelque sorte pour le système pénitentiaire fait homme, quand on nous place à côté de la pyramide, nous sommes des espèces de géants. […] Je sais qu’il y a de vos amis qui craignaient pour vous l’ennui et l’espèce de vide qu’éprouvent ceux qui quittent la vie active : quant à moi, je n’ai jamais conçu ces inquiétudes ; j’ai eu plus de confiance dans la force si entière de votre esprit.

394. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

En 1847, aux approches de la révolution, Tocqueville avait conçu des craintes sérieuses en voyant la hardiesse et l’espèce de concert des différents systèmes socialistes ; nous l’apprenons par un fragment intitulé : De la classe moyenne et du peuple, qui devait servir de manifeste au petit groupe d’opposants dont il était le chef. […] « Quand je songe, écrivait-il à son ancien collègue, aux épreuves qu’une poignée d’aventuriers politiques ont fait subir à ce malheureux pays ; lorsque je pense qu’au sein de cette société riche et industrieuse on est parvenu à mettre, avec quelque apparence de probabilité, en doute l’existence même du droit de propriété ; quand je me rappelle ces choses, et que je me figure, comme cela est la vérité, l’espèce humaine composée en majorité d’âmes faibles, honnêtes et communes, je suis tenté d’excuser cette prodigieuse énervation morale dont nous sommes témoins, et de réserver toute mon irritation et tout mon mépris pour les intrigants et les fous qui ont jeté dans de telles extrémités notre pauvre pays. » C’était peut-être, il est vrai, pour consoler le chef de l’ancienne Opposition de gauche et le promoteur des fameux banquets qu’il écrivait de la sorte : quoi qu’il en soit, le philosophe est ici en défaut, et il paraît trop vite oublier ce qu’il a reconnu ailleurs, que ce ne sont pas les partis extrêmes qui ont renversé Louis-Philippe, mais que c’est la classe moyenne le jour où elle fit cause commune avec eux. […] Ce n’est pas tant encore pour jouir que pour vivre et subsister que s’agite la majorité de l’espèce, et c’est là le problème présent qui, pour être moins noble en apparence et moins digne de figurer sur les bannières, n’en est pas moins capital et sacré. […] Je n’ai pas de traditions, je n’ai pas de parti, je n’ai point de cause, si ce n’est celle de la liberté et de la dignité humaine : de cela, je suis sûr ; et pour un travail de cette sorte, une disposition et un naturel de cette espèce sont aussi utiles qu’ils sont souvent nuisibles quand il s’agit, non plus de parler sur les affaires humaines, mais de s’y mêler. » J’en demande pardon à Tocqueville : au moment où il dit qu’il n’a point de cause, il déclare assez qu’il en a une, et cette cause, telle qu’il vient de la définir, était pour lui une religion.

395. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Du milieu de cette immense langueur, de cette espèce d’atonie à nombreuses nuances, il séparait, en se l’exagérant, la faction philosophique issue du xviiie siècle, la Révolution antagoniste, selon lui, du Christianisme, et endoctrinant contre Dieu le peuple. […] Il n’en fut donc pas le seul, l’essentiel auteur, et on peut expliquer ainsi, s’il en est besoin, l’espèce de contradiction, d’ailleurs fort légère, qu’on s’est plu à faire remarquer entre certaines opinions énoncées par lui dans la suite, et un ou deux passages du discours préliminaire de ce livre. […] Mais l’action lui parut un devoir, il se l’imposa, et il attribue à l’effort violent qu’elle exige de lui l’espèce d’irritation, d’emportement involontaire, qu’on a remarqué en plusieurs endroits de ses ouvrages, et qu’il est le premier à reconnaître avec candeur. […] Nulle ressource, même pour le fort, n’est de trop en de tels moments ; ce qu’il y a de plus haut et ce qu’il y a de plus humble : composer la Théodicée et lire son bréviaire. — M. de La Mennais n’a rien écrit en fait de pure imagination ou de poésie que de petits fragments, des espèces d’Hymnes ou de Proses, qui sommeillent dans ses papiers.

396. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires sur la mort de Louis XV »

Il est de cette lâche espèce d’hommes qui n’ont pas même le courage d’être bas et vils pour leurs intérêts, et dont la platitude est toujours au service de celui qui a l’apparence de la faveur. […] Quand je dis que Mme Dubarry voulait, j’entends que M. d’Aiguillon voulait ; car cette femme, comme les trois quarts de celles de son espèce, n’avait jamais eu de volonté. […] C’est une espèce de fou qui ne manque pas d’esprit, à qui les caresses de Mme Dubarry et la confiance du roi dans cet horrible rapport avaient tourné la tête, qui se croyait un personnage, un homme à crédit, que cette idée disposait à tout faire pour l’avantage de cet indigne fripon, mais qui au moins était capable de mettre plus de force et plus d’intrépidité dans ses infamies ; homme d’ailleurs d’une crapule indécente, d’une déraison choquante et d’une insolence brutale. […] » Il est bon de remarquer, en passant, que ce si bon maître, que ce pauvre M. de Bouillon aimait tant, ne lui parlait jamais, disait toujours que c’était une triste et plate espèce, et lui avait, trois ou quatre ans auparavant, fait défendre, à la réquisition de son père, de paraître à la Cour, après en avoir dit tout le mal que l’on peut dire de quelqu’un.

397. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

Au point de vue de l’espèce, le gouvernement et l’inégalité se comprennent. […] Je dis dans leur mesure ; car l’égalité absolue est aussi impossible dans l’humanité que le serait l’égalité absolue des espèces dans le règne animal. […] La nature nous montre sur une immense échelle le sacrifice de l’espèce inférieure à la réalisation d’un plan supérieur. […] Mais maintenant nous avons la clef de l’énigme, et Dieu est justifié par le plus grand bien de l’espèce. » Pendant que la croyance à l’immortalité aura été nécessaire pour rendre la vie supportable, on y aura cru.

398. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

Si, par exemple, devenu tout-à-coup Philosophe, je m’avisois de dire : La liberté est un présent du Ciel, & chaque individu de la même espece a le droit d’en jouir aussi-tôt qu’il jouit de sa raison Encyclopédie, article Autorité. […] Ce sont des Philosophes qui ont substitué, dans le style, l’emphase au naturel, l’enflure au sentiment, l’entortillage à la clarté, la glace au pathétique [Voyez les articles Diderot, Thomas, &c.], qui ont les premiers introduit, dans les Ouvrages polémiques, les épithetes de Gredin, de Cuistre, de Pédéraste, de Fripon, d’Escroc, &c. qui ont employé contre leurs Adversaires les calomnies, les emprisonnemens, les persécutions de toute espece, &c. […] On n’aura pas de peine à se le persuader, si l’on pense qu’un homme de Lettres n’arrive aux honneurs, aux places, aux récompenses, & même aux bénéfices, que par les Philosophes, & que, se déclarer contre eux, c’est se fermer la porte à toute espece de fortune. […] J’ai donc fait du mal aux hommes, en prenant la défense des principes qui soutiennent la société & assurent la tranquillité des individus ; & les Philosophes leur ont fait beaucoup de bien, en déclamant contre toutes les classes de Citoyens, en prêchant l’indépendance, en s’efforçant de briser tous les liens, en ôtant le frein des passions, en favorisant les crimes secrets, les désordres de toute espece, en arrachant du cœur des vertueux infortunés tout espoir de dédommagement, &c.

399. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Mais l’espèce de réserve que commandait pourtant la piété domestique, a quelquefois resserré M.  […] Au dîner où il la vit d’abord, Mirabeau, déjà tenté, après avoir causé avec Mme de Monnier, la pria de demander au commandant la permission pour lui de venir le lendemain à Pontarlier : « Je n’imaginais pas, écrivait-il plus tard à Sophie elle-même, qu’il fût possible de vous refuser, et je le craignais d’autant moins dans cette occasion que, peu de jours auparavant, Belinde avait obtenu cette grâce légère… M. de Saint-Mauris ne se rendit point aux instances que vous voulûtes bien lui faire, et cette espèce de brusquerie ne vous étonna pas ; pour moi, j’en fus offensé et surpris. » À quelques jours de là, Mirabeau ayant rencontré par hasard Mme de Monnier à la promenade, elle lui demanda s’il n’irait point à un bal, à une fête champêtre qui avait lieu à Montpetot, à une lieue de Pontarlier. […] J’ai sous les yeux une espèce de lettre d’elle à Mirabeau, écrite à ce moment, et de sa meilleure écriture, d’une écriture d’enfant, sans orthographe, mais avec un caractère visible d’ingénuité. […] Mme de Monnier, arrivée à Paris, fut mise dans une espèce de pension rue de Charonne, puis envoyée dans un couvent à Gien.

400. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — I. » pp. 279-295

Mais, à la porte, un sage enchanteur, sous la forme d’un vieillard respectable, l’arrête : c’est Franklin (on mettait alors Franklin à toute espèce d’usage et d’emploi). […] Un des premiers grands éloges qu’il eut à prononcer fut celui de Haller, lu le 20 octobre 1778 ; il y peint assez bien le savant robuste et athlétique ; le Buffon suisse, cette espèce d’Hercule de la science physiologique, opiniâtre, actif, ambitieux, universel. […] Ainsi encore, à propos des expériences de Haller sur l’œuf du poulet, si le physiologiste, étendant ses considérations aux autres animaux, conclut que le fœtus appartient entièrement à la femelle, et qu’elle a, par conséquent, la plus grande part à la reproduction de l’espèce, Vicq d’Azyr, regardant son élégant auditoire, s’empressa d’ajouter : « Ce système plaira sans doute au sexe qui nous prodigue dans l’âge le plus tendre tant de caresses et de soins, et auquel nous devons un juste tribut d’amour et de reconnaissance. » Il se glisse aisément jusque dans les exposés des savants d’alors, dès qu’ils veulent réussir et plaire, des tons et des intentions de Florian et de Legouvé.

401. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

C’est dans la crise d’une révolution qu’on entend répéter sans cesse, que la pitié est un sentiment puérile, qui s’oppose à toute action nécessaire, à l’intérêt général, et qu’il faut la reléguer avec les affections efféminées, indignes des hommes d’état ou des chefs de parti ; c’est au contraire au milieu d’une révolution que la pitié, ce mouvement involontaire dans toute autre circonstance, devrait être une règle de conduite ; tous les liens qui retenaient sont déliés, l’intérêt de parti devient pour tous les hommes le but par excellence : ce but, étant censé renfermer et la véritable vertu et le seul bonheur général, prend momentanément la place de toute autre espèce de loi : hors dans un temps où la passion s’est mise dans le raisonnement, il n’y a qu’une sensation, c’est-à-dire, quelque chose qui est un peu de la nature de la passion même, qu’il soit possible de lui opposer avec succès ; lorsque la justice est reconnue, on peut se passer de pitié ; mais une révolution, quel que soit son but, suspend l’état social, et il faut remonter à la source de toutes les lois, dans un moment où ce qu’on appelle un pouvoir légal, est un nom qui n’a plus de sens. […] Si l’espèce de sentiment national, qui faisait en France un point d’honneur de la générosité, de cette pitié des vainqueurs ; si cette espèce de sentiment ne reprend pas quelque puissance, jamais le gouvernement n’obtiendra un empire constant et volontaire sur une nation qui n’aura pas un instinct moral quelconque, par lequel on puisse l’entraîner et la réunir ; car qu’y a-t-il de plus divisant au monde que le raisonnement ?

402. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les deux Tartuffe. » pp. 338-363

Tartuffe est, d’abord, une espèce d’épais et hideux bedeau. […] Le public sera dépaysé, lui qui ne voit Tartuffe que sous les espèces d’un bedeau gras, rouge et libidineux ; et l’acteur ne fera pas rire, et il devra, j’en ai peur, renoncer à la douceur des applaudissements. […] Voyez aussi comme, au premier acte, il définit, par la bouche de Cléante, l’espèce à laquelle appartient Tartuffe, et ce qu’il dit de ces « francs charlatans » De qui la sacrilège et trompeuse grimace Abuse impunément, et se joue à leur gré De ce qu’ont les mortels de plus saint et sacré…..

403. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « La Religieuse de Toulouse, par M. Jules Janin. (2 vol. in-8º.) » pp. 103-120

La distinction des rangs, et des conditions de naissance selon le siècle, n’était pas supprimée dans cette congrégation d’une nouvelle espèce. […] Sur quoi les railleurs avaient fait des vers satiriques, une espèce de parodie des Commandements de Dieu à l’usage des Filles de l’Enfance : Madame seule adoreras, Et l’Institut parfaitement. […] Ce qui ne faisait pas une moindre différence, et qui ne laisse pas de surprendre au premier coup d’œil, c’est cette espèce de commerce dévot, sans rien de sensuel, on veut le croire, mais trop propre à faire jaser et sourire, entre l’abbé de Ciron, ancien prétendant, et Mme de Mondonville, jeune encore.

404. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

Le poème dramatique, représentation d’actions merveilleuses, héroïques ou bourgeoises, est ainsi nommé du mot grec δραμα (drama), action, représentation, parce que, dans cette espèce de poème, on ne raconte point l’action comme dans l’épopée, mais qu’on la montre elle-même dans les personnages qui la représentent. […] Les deux principales espèces de poèmes dramatiques sont la tragédie et la comédie, ou, comme disaient les anciens, le cothurne et le brodequin. […] Une des meilleures règles pour bien former un plan, c’est de diviser l’action principale en cinq parties bien distinctes, qui fassent autant de tableaux différents qui ne se confondent pas les uns dans les autres, et qui mettent une espèce d’unité dans chaque acte.

405. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

Car je n’accepte pas pour mon compte, et je ne crois pas que les gens de la Libre-Pensée qui ont toujours fait de Mme Sand une espèce d’héroïne intellectuelle, acceptent, pour le leur, ses déclarations du moment… très peu héroïques. […] IV Du reste, il n’y a pas, — je l’ai dit déjà, — qu’une seule espèce de confidence et de révélation dans ces Impressions littéraires. […] V En fait, il n’y a, au moment où j’écris, que deux espèces de prudhommismes.

406. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

Le livre, dans sa destinée matérielle, sembla lui-même atteint de cette espèce de malheur qu’il décrit. […] (Depuis l’espèce de résurrection que nous avons tentée d’Oberman, les admirateurs n’ont pas manqué à ce morne et triste génie ; il faut mettre en tête George Sand, qui a honoré la troisième édition d’une préface.

407. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « EUPHORION ou DE L’INJURE DES TEMPS. » pp. 445-455

Ce Moretum, si l’on s’en souvient, est le nom d’une espèce de sauce ou de brouet à l’ail que faisaient les paysans ; à propos de cette sauce et de sa préparation, la vie pauvre et misérable que menaient les gens de campagne se trouve décrite, dès l’aube du jour, avec un détail et une réalité qui semblerait n’appartenir qu’à la poésie d’aujourd’hui, à celle de Crabbe, par exemple, ou encore à celle de Regnier. […] Moi-même j’éprouvais une espèce de cauchemar comme si j’avais porté sur la poitrine tout ce docte poids, et, n’y tenant plus, je m’écriai dans le délire : « Tout est ruine ; c’est une illusion aux écrivains de croire qu’ils sont à l’abri désormais, et que l’imprimerie les sauve.

408. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. IXe et Xe volumes »

Le plus actif, le plus nécessaire et le plus méritant des cinq membres, vers cette époque du 18 fructidor et durant les vingt mois qui suivirent, celui qui représente du gouvernement directorial toute la partie bonne et honnête, de même que Barras en représente toute la partie cupide et honteuse, est La Révellière, au nom duquel se rattache, comme un ridicule, le souvenir des théophilanthropes, et dont jusqu’ici on s’est plu à nous faire une espèce d’abbé de Saint-Pierre, tour à tour occupé de sa botanique et de ses hymnes à l’Être suprême. […] Mais les débris de l’ancienne faction montagnarde, et les mécontents de toute espèce que suscitait contre lui le nouveau gouvernement formaient une opposition suffisamment redoutable, qui grossissait de jour en jour.

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