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639. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre IX »

Des mots qu’elle a empruntés à l’anglais, les uns, demeurés à la surface de la langue, ont conservé leur forme étrangère ; les autres, en grand nombre, ont été absorbés, sont devenus réellement français. […] C’est ainsi que township est devenu trompechipe ; Sommerset, Sainte-Morisette ; Standford, Sainte-Folle. […] Grom devint groume, puis groumet nom donné aux garçons marchands de vins.

640. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 4, objection contre la proposition précedente, et réponse à l’objection » pp. 35-43

On me dira en stile poëtique, que ce cocher couvert de haillons en lambeaux, qui gagne pauvrement sa vie, en assommant de coups de fouet deux chevaux étiques, liez à un carosse prêt à s’écrouler, seroit peut être devenu un Raphaël ou bien un Virgile, si né dans une famille honnête, il avoit reçû une éducation proportionnée à ses talens naturels. […] Cette contrainte pénible dès l’enfance, lui devient insupportable à mesure que l’âge lui fait encore mieux sentir, et son talent et sa misere. […] Ces enfans devenus de jeunes gens, ne se tiennent pas toûjours obligez de suivre les vûës pieuses de leurs bienfaicteurs.

641. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Première partie. Les idées anciennes devenues inintelligibles » pp. 106-113

Les idées anciennes devenues inintelligibles Avançons dans la route difficile que nous nous sommes tracée : je l’ai déjà dit, ma fonction est de venir expliquer des ruines. Les idées qui ne peuvent pas devenir populaires sont frappées de mort en naissant, et alors elles ne causent aucun trouble. […] Il est devenu sensible pour tous que les idées anciennes non seulement étaient décréditées, mais encore qu’elles étaient frappées d’une sorte d’obscurité qui les rendait inintelligibles au plus grand nombre ; comme les paroles de cette fille de Priam, qui étaient empreintes du sentiment de l’avenir, mais à qui le don d’imposer la croyance avait été refusé.

642. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Ninon avait été l’amie d’occasion de madame de Maintenon, devenue depuis l’épouse de Louis XIV et l’inspiratrice de Bossuet. […] Voltaire devint éperdument amoureux de l’aînée de mesdemoiselles Dunoyer. […] Cette audace d’esprit fort devint le symbole de l’impiété théologique contre toutes les révélations. […] La liberté absolue devint plus chère au poëte ; il résolut de ne plus la chercher à la cour des rois. […] Ferney devint la petite colonie de la tolérance, de l’agriculture et de l’industrie rurale.

643. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

Mais il est certain que, vers 1640, l’éducation du clergé n’était pas au niveau de l’esprit de règle et de mesure qui devenait de plus en plus la loi du siècle. […] Il est vrai que cela devint assez vite une fiction. […] Depuis le Concordat, l’enseignement du séminaire devint tout intérieur. […] Ces conférences intra muros devinrent ainsi des cours. […] Il devient alors quelque chose de touchant : on se défend de penser, de peur de penser mal.

644. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre premier. Sensation et pensée »

Ne pourrait-on, sous la dualité devenue classique des opérations sensitives et intellectuelles, chercher une unité plus profonde et plus vraie ? […] La première sensation devient ainsi le signe de l’autre, et la classification des objets, où Platon voyait une opération du pur esprit, se fait alors par le fonctionnement automatique des cellules cérébrales, par le jeu de l’habitude et de la sélection mentale. […] Cette impression est facile à reconnaître, quoique impossible à définir, comme toute impression, et elle nous devient d’autant plus familière que notre vie entière est une série de changements ou de transitions plus ou moins brusques provoquant attention et appétition. […] Cet état transitif d’opposition de forces devient un moyen de dissociation et d’association tout ensemble entre les états opposés : il les réunit en les divisant et sert de pont entre les deux. […] Si, de plus, le mot de différence a été lié au sentiment de différence, le jugement devient proposition.

645. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mélanges de critique religieuse, par M. Edmond Scherer » pp. 53-66

Jusque-là la soumission avait suffi ; maintenant l’examen devient un devoir. […] Vous êtes entré dans une voie que vous ne sauriez suivre jusqu’au bout sans mettre en péril une foule d’idées qui vous sont encore chères et sacrées. » Nous sommes avertis, en effet, par l’auteur dans la courte préface qu’il a mise en tête, que ce volume renferme « des manières de dire et de penser qui lui sont devenues à peu près étrangères ». […] Illustre de Maistre, qui vous occupiez de Paris et des Parisiens plus que vous n’en vouliez convenir, vous voilà cependant devenu Français et des nôtres, plus encore que vous n’auriez voulu ! […] On raconte qu’Alfred de Musset, tout enfant, eut un jour de petits souliers rouges fort jolis, qu’on appelle, je crois, des mignons, et pendant qu’on les lui mettait pour aller à la promenade, comme cela tardait un peu, il s’impatientait et disait à sa bonne : « Dépêche-toi, je yeux sortir, mes mignons seront trop vieux. » Lamennais était cet enfant, et comme lui avide, à sa manière, de jouir ; en présence de la vérité qu’il essayait, il était si pressé, si impatient, qu’on aurait dit qu’à tarder d’un seul instant, elle allait devenir trop vieille. […] Il devint sonore et vide, quelquefois même boursouflé et burlesque.

646. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LA REVUE EN 1845. » pp. 257-274

Ce qu’à toute heure du jour un recueil, même purement littéraire, qui veut se maintenir dans de droites lignes, se voit contraint à repousser de pamphlétaires, de libellistes, de condottieri enfin, qui veulent s’imposer, et qui, refusés deux et trois fois, deviennent implacables, ce nombre-là ne saurait s’imaginer. […] Sans entrer dans d’incroyables détails qu’il est mieux d’ensevelir, s’il se peut, comme des infirmités de famille, et en ne touchant qu’à celles que la querelle du moment dénonce, il suffira de faire remarquer que, dans une Revue où le poëte existe, il tend naturellement à dominer, et les conditions au prix desquelles il met sa collaboration ou sa seule présence (qu’il le médite ou non) sont ou deviennent aisément celles d’un dictateur. […] Plus d’un prosateur devient parfois poëte en ce point. […] La Harpe, qui avait grand cœur dans un petit corps, et qui soutenait si rude guerre contre Dorat et les petits poëtes de son temps (cela nous fait maintenant l’effet de l’histoire des pygmées, tant nous sommes devenus des géants), La Harpe, dis-je, n’avait point cette modération de laquelle la vivacité même du critique ne devrait jamais se séparer. […] Un nom qui réveille l’idée de toutes les convenances dans la critique, et qui est devenu presque synonyme de celui d’urbanité, le nom de Fontanes, paraîtra certes un peu loin de ce temps-ci ; nous ne résistons pas à l’ironie de le prononcer.

647. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

Ce qu’on sait mieux, c’est qu’à partir de cette rédaction sous Pisistrate, de nombreux travaux sont venus ordonner de plus en plus, resserrer, éclaircir et aussi polir dans le détail l’œuvre du poëte, en simplifier peut-être les contours, en faire mieux saillir le dessin, en rendre surtout plus nettes les épreuves et le texte même, jusqu’à ce qu’enfin l’œuvre soit sortie telle que nous la possédons, aussi parfaite et divine qu’on la pouvait désirer, des mains du plus grand des critiques, de celui dont le nom est devenu comme celui d’Homère un immortel symbole de perfection et de louange, — des mains d’Aristarque. […] On sait qu’Aristarque a quelquefois changé, qu’il a sans doute plutôt adouci ; qu’en cet endroit, par exemple, où Phœnix s’adressant à Achille dans l’espoir de le fléchir se reporte vers sa propre jeunesse et raconte comment lui-même il a failli un jour devenir parricide, le critique avait cru devoir retrancher cette parole terrible, pour ne pas faire tache à ce caractère vénérable qu’il craignait de voir profaner. […] Les Grecs et les Troyens acharnés qui se disputent la muraille du retranchement, les uns sans réussir à la forcer tout entière, les autres sans pouvoir décidément la ressaisir, ce sont « deux hommes qui disputent entre eux sur les confins d’une pièce de terre, tenant chacun la toise à la main, et ne pouvant, dans un petit espace, tomber d’accord sur l’égale mesure. » Les deux Ajax qui, ramassés l’un contre l’autre, soutiennent tout le poids de la défense, ce sont « deux bœufs noirâtres qui, dans une jachère, tirent d’un courage égal l’épaisse charrue : la sueur à flots leur ruisselle du front à la base des cornes, et le même joug poli les rassemble, creusant à fond et poussant à bout leur sillon. » Ailleurs, à un moment où les Troyens qui fuyaient s’arrêtent, se retournent soudainement à la voix d’Hector, et où les deux armées s’entre-choquent dans la poussière : « Comme quand les vents emportent çà et là les pailles à travers les aires sacrées où vannent les vanneurs, tandis que la blonde Cérès sépare, à leur souffle empressé, le grain d’avec sa dépouille légère, on voit tout alentour les paillers blanchir : de même en ce moment les Grecs deviennent tout blancs de la poussière que soulèvent du sol les pieds des chevaux et qui monte au dôme d’airain du ciel immense. » Voilà bien le contraste plein de fraîcheur au sein de la ressemblance la plus fidèle. […] L’Olympe d’Homère et ses dieux ont pu prêter à la critique des âges devenus moqueurs. […] Pour les Modernes, au reste, la question de théologie homérique devient chose très-secondaire.

648. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Joséphin Soulary »

Car justement ce qui fait qu’une poésie devient populaire, est insérée dans les recueils de morceaux choisis, dans les Abeilles ou les Corbeilles de l’enfance, ce sont bien sans doute des mérites réels, mais c’est aussi une certaine banalité dans le sentiment, la composition ou le style. […] Ce « je ne sais quoi », ne serait-ce pas le goût, la crainte de paraître trop content de son esprit, le discernement rapide du point qu’il ne faut pas dépasser sous peine de devenir affecté et ridicule ? […] Voulez-vous savoir ce que devient, torturé par ce poète de trop d’esprit, une idée toute simple comme celle-ci : « Si j’avais appris à compter quand j’étais enfant, je serais plus riche que je ne suis ?  […] Cathos eût eu plaisir à entendre appeler un grain de poussière : « l’atome ailé qu’aucun pouvoir ne tue. » Elle eût approuvé cette périphrase qui signifie que l’homme, à l’automme, devient sérieux : Comme elle (la terre), son fils l’homme a pris un maintien grave ; De ses jours de folie il fait payer le tort Au devoir qui l’étreint dans son rude ressort ; et, dans la description d’une gypsie : Un amulette où l’art imite Quelque Diane au front cornu, Des deux seins fixant la limite, Veillait aux mystères du nu. […] Voyez ce que devient le large et magnifique printemps de Lucrèce ou de Virgile, le divin embrassement de Jupiter et de Cybèle.

649. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

S’il est coupable, pourquoi donc la gloire demeure-t-elle attachée à ses pas & devient-elle le prix de sa noble audace ? […] Les plaisirs vous invitent, la volupté devient plus séduisante lorsque vous vous refusez à ses attraits, il faut, nouveaux Ulisses fermer l’oreille au chant des trompeuses Sirennes, vous couvrir de votre solitude comme d’un Egide impénétrable, fuir le monde pour lui devenir utile, embrasser la retraite autant par goût que par raison ; c’est là que votre ame ne se renferme pas dans le cercle étroit du présent qui s’échappe, mais s’élance dans ces espaces immenses qui la rapprochent des Ecrivains de tous les tems. […] Vous pleurez en voyant ces mêmes Loix qui sembloient devoir arrêter le cours de tant de maux, devenir terribles & écraser d’un double poids, le foible qu’elles devoient protéger. […] Il ne sent plus que d’une maniere incertaine, & il devient le jouet infortuné du premier caprice qu’il vient de se forger.

650. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVII. Forme définitive des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

On y avait pratiqué à diverses époques le culte du feu, et l’endroit était devenu une sorte de cloaque. […] » devint une sorte de mot de passe que les croyants se disaient entre eux pour se fortifier dans leur foi et leurs espérances. […] Ce vrai royaume de Dieu, ce royaume de l’esprit, qui fait chacun roi et prêtre ; ce royaume qui, comme le grain de sénevé, est devenu un arbre qui ombrage le monde, et sous les rameaux duquel les oiseaux ont leur nid, Jésus l’a compris, l’a voulu, l’a fondé. […] Quelques pauvres attardés qui gardent encore, en pleine époque réfléchie, les espérances des premiers disciples deviennent des hérétiques (Ébionites, Millénaires), perdus dans les bas-fonds du christianisme. […] Le jour de grâce, si longtemps attendu par les âmes pures de Galilée, était devenu pour ces siècles de fer un jour de colère : Dies iræ, dies illa !

651. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Chefs-d’œuvre de la littérature française (Collection Didot). Hamilton. » pp. 92-107

Pourtant ce n’est qu’à partir d’une certaine époque plus également éclairée, que cette netteté devint habituelle et, on peut le dire, universelle chez tous les bons écrivains, et qu’elle a tout à fait passé dans l’usage. […] Ce n’est que vers le milieu de ce siècle seulement que la prose française, qui avait fait sa classe de grammaire avec Vaugelas et sa rhétorique sous Balzac, s’émancipa tout d’un coup et devint la langue du parfait honnête homme avec Pascal. […] « Notre prose, dit Lemontey, s’arrêta au point où, n’étant ni hachée ni périodique, elle devint l’instrument de la pensée le plus souple et le plus élégant. » On peut assurément préférer, comme amateur, d’autres époques de prose à celle-là ; il ne serait pas difficile d’indiquer des moments où cette prose a paru revêtir plus de grandeur ou d’ampleur, et réfléchir plus d’éclat ; mais, pour l’usage habituel et général, je ne sais rien de plus parfait, rien de plus commode ni d’un meilleur commerce que la langue de cette date. […] Les envieux (et Bussy l’était), tout en reconnaissant au comte de Grammont l’esprit galant et délicat, ajoutaient que « ses mines et son accent faisaient bien souvent valoir ce qu’il disait, qui devenait rien dans la bouche d’un autre ». […] À partir de la seconde moitié du xviiie  siècle, le monde, à cet égard, changea ; la déclamation prit le dessus, et un certain faux montant devint nécessaire.

652. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Journal de la campagne de Russie en 1812, par M. de Fezensac, lieutenant général. (1849.) » pp. 260-274

Malgré le zèle des chefs, dans un pays qui prêtait si peu aux ressources, « cette immense administration fut presque inutile dès le commencement de la campagne, et devint nuisible à la fin ». […] « Ils se demandaient non seulement ce que deviendrait cette armée si elle était battue, mais même comment elle supporterait les pertes qu’allaient causer de nouvelles marches et des combats plus sérieux. » Toutefois ces prévisions sombres, qui ont été trop éclairées par l’événement, pouvaient encore alors se perdre et se dissiper dans quelqu’une de ces solutions imprévues et glorieuses dont l’histoire des guerres est remplie. Après la bataille de la Moskova, M. de Fezensac d’aide de camp devint colonel du 4e régiment de ligne. […] Laissons dire le témoin narrateur : Le jour baissait ; le 3e corps marchait en silence ; aucun de nous ne pouvait comprendre ce que nous allions devenir. […] » Et c’est encore une preuve d’énergie que de dire ainsi ; car il est un degré de démoralisation où ce dernier ressort se brise, où l’on ne veut plus même vivre, et où, pour échapper à la douleur et à la fatigue, tout devient indifférent.

653. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bossuet, et Fénélon. » pp. 265-289

Devenue veuve à l’âge de vingt-cinq ans, ayant de la beauté, du bien, une naissance honnête, un esprit fait pour le monde, elle voulut y vivre comme dans un cloître, & s’entêta de ce qu’on appelle spiritualité. […] Cyr, nommée la Maison-Fort, d’une ancienne famille de Berry, parente très-estimable, & devenue la favorite de madame de Maintenon. […] On regardoit Fénélon comme l’apôtre de saint Cyr, de cette maison naissante destinée à devenir l’asyle de la piété, aussi bien qu’une ressource pour la noblesse indigente. […] Bossuet, après s’être longtemps regardé comme le maître & l’ami du second des hommes pour l’éloquence, & du premier pour les qualités du cœur , en étoit devenu le rival. […] On a dit, on a écrit même que Fénélon n’avoit été disgracié que pour s’être opposé à la publication du mariage de madame de Maintenon, qui devint son ennemie & trouva l’occasion de se venger : mais c’est un conte.

654. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre II. La relativité complète »

Seulement ces contractions d’étendue, ces dilatations de Temps, ces ruptures de simultanéité deviendront explicitement réciproques (elles le sont déjà implicitement, d’après la forme même des équations), et l’observateur en S′ répétera de S tout ce que l’observateur en S avait affirmé de S′. […] Même quand on conçoit la relativité dans le second sens, on la voit encore un peu dans le premier ; car on a beau dire que seul existe le mouvement réciproque de S et S′ par rapport l’un à l’autre, on n’étudie pas cette réciprocité sans adopter l’un des deux termes, S ou S′, comme « système de référence » : or, dès qu’un système a été ainsi immobilisé, il devient provisoirement un point de repère absolu, un succédané de l’éther. […] Mais quand le physicien met en mouvement son système de référence, c’est qu’il en choisit provisoirement un autre, lequel devient alors immobile. […] Ainsi le système Terre, quand nous ne tiendrons compte que de son état de repos ou de mouvement par rapport à un autre système, pourra être envisagé par nous comme un simple point matériel : ce point deviendra alors le sommet de notre trièdre. […] Avec les analyses et distinctions que nous venons de faire, avec les considérations que nous allons présenter sur le temps et sa mesure, il deviendra facile d’aborder l’interprétation de la théorie d’Einstein.

655. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VII. Les poëtes. » pp. 172-231

Même à force de prétention il devient maladroit, et se démasque. […] Pope est comme eux ; sa voix détonne et tout d’un coup devient mordante. […] L’ascendant de cette raison oratoire est devenu si grand, qu’il s’est imposé à la poésie elle-même. […] En effet, la poésie devient à ce moment une prose plus étudiée que l’on soumet à la rime. […] Ses préceptes sont devenus proverbes.

656. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Un accès de délire, dont la nature seule était coupable, n’était pas un crime ; Alphonse, en le punissant comme d’un crime, devint plus criminel que sa victime. […] Cette gloire, arrachée par la torture, n’aurait-elle pas été au contraire la flétrissure éternelle d’Alphonse, devenu le bourreau de son poète ? […] Aimée, servie ou négligée par l’infortuné poète dont elle avait protégé les premiers chants, Léonora d’Este mérita du moins de rester, avec Laure et Béatrice, une de ces figures qui deviennent les saintes femmes du ciel ou du Calvaire de la poésie. […] L’enthousiasme pour son nom devint si passionné et si unanime, qu’Alphonse n’osa retenir plus longtemps dans une loge de fou celui que l’Italie et la France proclamaient à l’envi le Virgile de son siècle. […] La ville entière assista à ce triomphe de la poésie devenu ainsi le triomphe de la mort.

657. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 13, qu’il est probable que les causes physiques ont aussi leur part aux progrès surprenans des arts et des lettres » pp. 145-236

C’est ainsi qu’un champ qu’on laisse en friche auprès d’une forêt, se seme de lui-même, et devient bien-tôt un taillis, quand son terroir est propre à porter des arbres. […] Les tresors de l’art devinrent des tresors réels dans le commerce. […] Le souverain qui ne sçauroit trouver une certaine quantité de jeunes gens qui puissent, à l’aide des moïens qu’il leur donne, devenir un jour des Raphaëls et des Carraches, en trouve un grand nombre qui peuvent avec son secours devenir de bons sculpteurs. […] La magnificence d’Auguste encouragea bien les grands poëtes à travailler, mais ils étoient devenus déja de grands hommes avant cet encouragement. […] La licence, loin de finir à Rome avec le gouvernement républiquain, devint un brigandage effrené sous plusieurs empereurs.

658. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Chose modeste, mais hardie pourtant, et qui peut devenir éclatante. […] Comme on ne s’arrête plus, une fois sur la pente, cette idée d’enseigner, en se développant, se modifie et devient bientôt celle de juger, et le professeur Shakespeare devient le juge Shakespeare, sous la plume de François Hugo, une espèce de lord justicier, de haut shérif intellectuel d’Angleterre. […] L’expression anglaise y devient souvent italienne. […] Le prince de Galles et des ribauds est devenu HenriV. […] Seulement la taverne est devenue un camp.

659. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

Par exemple, un obscur désir est devenu peu à peu une passion profonde. […] Ainsi les intensités croissantes du sentiment esthétique se résolvent ici en autant de sentiments divers, dont chacun, annoncé déjà par le précédent, y devient visible et l’éclipse ensuite définitivement. […] A ce moment précis, l’intensité, qui n’était qu’une certaine nuance ou qualité de la sensation, devient une grandeur. […] Quand vous dites qu’une pression exercée sur votre main devient de plus en plus forte, voyez si vous ne vous représentez pas par là que le contact est devenu pression, puis douleur, et que cette douleur elle-même, après avoir passé par plusieurs phases, s’est irradiée dans la région environnante. […] Toute la question est là, car dans le premier cas la sensation serait une quantité, comme sa cause extérieure, et dans le second une qualité, devenue représentative de la grandeur de sa cause.

660. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

Que devient-elle dans l’autre monde ? […] Une idée fixe devient une idée fausse. […] Il n’en devient que plus ardent et va l’atteindre. […] Sa sérénité devient la nôtre. Nous devenons crédules et heureux par contagion et autant que lui.

661. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Mais elle devint sage quand elle fut vieille. […] Avec la réflexion tout devient difficile. […] Il est devenu tout petit avec l’âge. […] Elle devenait sourde. […] Il devint en peu d’années un grand journaliste.

662. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Selon un certain aspect vous pouvez presque devenir absolu vous-même ; selon l’autre aspect vous ne pouvez le devenir aucunement. […] Il deviendra artiste peut-être ; il deviendra philosophe, quand il s’apercevra que le beau le plus beau qui puisse être c’est le beau moral, c’est-à-dire le bien. […] Il ne faut pas détruire le désir ; il faut le rectifier et le diriger vers son but véritable et alors, lui aussi, d’illusion sera devenu vérité et de maladie sera devenu santé de l’âme. […] Il devient ensuite ce qu’il peut dans les imaginations des hommes. […] Pour moi, la force, c’est précisément l’idée de justice assez vive pour devenir la passion de la justice.

663. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

Avec les mœurs du reportage actuel, le théâtre deviendra impossible. […] Il devient injuste. Il devient autoritaire et despotique. […] Il devient un monstre naissant. […] Aux mains de M. de Féraudy il ne pouvait le devenir, même à demi.

664. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Casanove »

Casanove Ah, Monsieur Casanove, qu’est devenu votre talent ? Votre touche n’est plus fière comme elle était ; votre coloris est moins vigoureux ; votre dessin est devenu tout à fait incorrect.

665. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

Notre démocratie tend à devenir yankee. […] L’assassinat est devenu littéraire. […] Elle devint presque folle de voir ce royal amour si vite anéanti. […] A force de se surmener, l’art est devenu monotone. A force de se blaser, le public est devenu exigeant.

666. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Vinet écrit dans son agenda : « Comment une question de conscience individuelle, de foi, pourrait-elle devenir une question de majorité ?  […] N’allez pas conclure pourtant de ces symptômes que nous devenons un peuple tout sérieux. […] L’histoire complète résulterait peut-être de la combinaison de ces histoires particulières où, tour à tour, ce qui était circonférence devient centre, et ce qui était centre devient circonférence. […] Tous ceux que la douce beauté de Rachel attire et entraîne auprès d’elle, deviennent les victimes de Mob. […] Rien n’empêche que, dans une âme poétique, le désespoir ne devienne de la poésie ; mais à moins de se démentir, il ne saurait devenir un frivole badinage ; et quoi de plus frivole, je le demande, que l’idée de faire juger les nations dans le ciel ?

667. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

Plus nous deviendrons sensibles, et moins nous pourrons supporter que les choses soient trop voisines de nous. […] Que deviendrait donc une pareille maison si on oubliait le respect qu’on doit au maître ! […] Et le faune, devenu vieux, mais toujours le même, devint un sage. […] Ils étaient devenus deux, qui vivaient à part, — la société et le faune. […] Habitude qui était devenue une seconde nature, sans être tout à fait naturelle pour cela.

668. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Il me semble que la paix est devenue d’une nécessité indispensable pour nous ; et comme tous les autres moyens de l’obtenir ont été jusqu’ici sans succès, j’ai mieux aimé m’exposer moi-même à quelque danger, que de laisser la ville dans la détresse où elle se trouve : je prétends donc, si vous le permettez, me rendre directement à Naples ; espérant que, puisque c’est contre moi personnellement que sont dirigés les coups de nos ennemis, je pourrai, en me livrant entre leurs mains, rendre la paix à mes concitoyens. […] Mais, à mesure qu’il mûrissait, son génie devenait plus grave. […] Pense à la dignité de ton intelligence, qui ne t’a pas été donnée pour l’employer à la poursuite d’un bien mortel et périssable, mais au moyen de laquelle le ciel même peut devenir l’objet de ton ambition. […] Le plus autorisé des critiques de la langue et de la littérature italiennes, le célèbre Guicciardini en parle en ces termes : « Mais dans cette décadence des lettres, après Dante, Pétrarque, il s’éleva un homme qui les préserva d’une ruine absolue et sembla l’arracher du précipice prêt à l’engloutir : c’était Laurent de Médicis, dans les talents duquel elle trouva l’appui qui lui était devenu si nécessaire. […] Cette faveur, si importante par elle-même, le devient plus encore par les circonstances qui l’ont accompagnée, et particulièrement par la considération de votre jeunesse et de notre situation dans le monde.

669. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

Vous voyez bien cet histrion qui joue la femme, il copie à ravir les passions impudiques, et ce mensonge aussitôt devient un feu terrible dans l’âme de l’auditoire. » Ainsi parlait un païen converti, un avocat de Rome devenu chrétien, Minutius Félix ! […] il me semble que je deviens plus cruel et moins accessible aux bons sentiments de l’humanité12 ?  […] De grands poètes sont venus qui ont corrigé ces excès, je le veux bien, mais ils ont remplacé ces grossièretés, repoussantes à la longue, par un charme irrésistible à ce point que la comédie est devenue une force. […] Vous brisez mon idole, et maintenant que les fragments de sa statue sont épars autour de moi, que voulez-vous que je devienne ? […] Vous lui faites jouer cette niaise comédie dans laquelle toutes choses sont bouleversées, où le valet devient le maître, où le maître devient le valet, pendant que de leur côté Marton et sa maîtresse changent également de robe, d’allure, de langage et d’amours.

670. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Octave Feuillet »

Il a eu, sans attendre, cette grande situation littéraire d’académicien, qui, chaque jour, aux choix qu’on fait, devient plus belle, et pour sa part il l’a embellie dans le sens où elle continue de devenir si charmante. […] Clarisse est devenue un type. […] J’ai vu le moment, dans Monsieur de Camors, si bien commencé, où le livre pouvait devenir un chef-d’œuvre, mais ce moment n’a pas duré. […] Seulement, fidèle à sa manière, qui tient à sa nature, l’auteur a de ces choses inappuyées qui, sous une plume plus vigoureuse que la sienne, et qui, les reprenant en sous-œuvre les foncerait, deviendraient superbes. […] que le roman va sortir de l’amnios qui l’enveloppe et devenir une chose nette et virile… Philippe, jeune noble de province, est un de ces mauvais sujets de notre époque qui ne sortent pas plus de leur amnios d’imbécillité et de mollasserie que, du leur, les romans de Feuillet.

671. (1894) Critique de combat

Il est devenu une manière d’optimiste. […] Toutefois, il ne devient jamais peuple ; il reste bourgeois libéral. […] Or, le mot d’original est devenu une espèce d’injure. […] Ce nihilisme gouvernemental finit par devenir inquiétant. […] Coppée serait devenu anarchiste ?

672. (1887) Études littéraires : dix-neuvième siècle

Il avait mis neuf ans à devenir capitaine. […] Tel un bourgeois un peu mesquin et un peu vain, devenu grand fonctionnaire. […] C’est devenu un tableau, et très vrai et vif de couleur. […] En histoire, en archéologie, il deviendra le philosophe de la couleur locale. […] Ici le procédé devient un peu compliqué, et il fait bien d’avertir.

673. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite et fin.) »

Il n’y avait pour elle, dans la situation, qu’une seule manière de ne pas être opprimée et écrasée ; c’était de devenir maîtresse unique et souveraine. […] L’anecdote secrète devient énorme en s’éloignant, monstrueuse ; et dans un règne glorieux, l’histoire (ô honte !) […] Sa plus grande dissimulation en causant était de ne pas dire tout ce qu’elle pensait et ce qu’elle savait, mais elle ne s’abaissait jamais au mensonge ; elle aimait par goût la vérité, et « à s’approcher d’elle le plus qu’elle pouvait toujours. » Sa littérature nous est connue ; elle nous a dit elle-même ses lectures ; elle était devenue plus difficile avec les années : « Elle aimait (c’est le prince de Ligne qui parle) les romans de Le Sage, Molière et Corneille. — “Racine n’est pas mon homme, disait-elle, excepté dans Mithridate.” […] Nous voilà devenus bien sages !

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