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695. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Voix intérieures » (1837) »

L’auteur a toujours pensé que la mission du poète était de fondre dans un même groupe de chants cette triple parole qui renferme un triple enseignement, car la première s’adresse plus particulièrement au cœur, la seconde à l’âme, la troisième à l’esprit. […] Le foyer, qui est notre cœur même ; le champ, où la nature nous parle ; la rue, ou tempête, à travers les coups de fouet des partis, cet embarras de charrettes qu’on appelle les événements politiques. […] Il faut qu’il sache se maintenir, au-dessus du tumulte, inébranlable, austère et bienveillant ; indulgent quelquefois, chose difficile, impartial toujours, chose plus difficile encore ; qu’il ait dans le cœur cette sympathique intelligence des révolutions qui implique le dédain de l’émeute, ce grave respect du peuple qui s’allie au mépris de la foule ; que son esprit ne concède rien aux petites colères ni petites vanités ; que son éloge comme son blâme prenne souvent à rebours, tantôt l’esprit de cour, tantôt l’esprit de faction.

696. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VI. La Mère. — Andromaque. »

Une religion qui a consacré un pareil mot connaît bien le cœur maternel. […] Pour démontrer l’influence d’une institution morale ou religieuse sur le cœur de l’homme, il n’est pas nécessaire que l’exemple rapporté soit pris à la racine même de cette institution ; il suffit qu’il en décèle le génie : c’est ainsi que l’Élysée, dans le Télémaque, est visiblement un paradis chrétien. […] L’antiquité ne parle pas de la sorte, car elle n’imite que les sentiments naturels : or, les sentiments exprimés dans ces vers de Racine ne sont point purement dans la nature ; ils contredisent au contraire la voix du cœur.

697. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre VI. Observations philologiques, qui serviront à la découverte de véritable Homère » pp. 274-277

Ces chanteurs n’étaient sans doute autres que les rapsodes, ces hommes du peuple qui savaient chacun par cœur quelque morceau d’Homère, et conservaient ainsi dans leur mémoire ses poèmes, qui n’étaient point encore écrits. […] Rien n’indique qu’Hésiode qui laissa ses ouvrages écrits ait été appris par cœur, comme Homère, par les rapsodes. […] Il laissa des ouvrages considérables écrits, non en vers, mais en prose, et par conséquent incapables d’être retenus par cœur ; nous le placerons au temps d’Hérodote.

698. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Une femme, gémissent-elles, lui a gâté le cœur ! […] Le cœur est resté chrétien pendant que la raison cessait de l’être. […] Elles ne s’accordent guère avec le désir d’apostolat qui est au cœur de plusieurs. […] Voir Crime d’amour, Mensonges, un Cœur de femme. […] Notre Cœur, p. 18.

699. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXXXIXe entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

Console le cœur de celui que tu verras pleurer. […] Leur cœur leur prédisait d’affreux malheurs. […] Le héros des Burgondes leur portait à tous un cœur dévoué. […] Oui, cela me paraît sage, car, si je ne m’abuse, ils ont le cœur irrité. […] Tu as consolé mon cœur et raffermi mon courage.

700. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

même le fameux chapitre des passions du cœur, il n’a pas moins changé que le chapitre de La femme savante. […] Que si le chapitre du cœur humain est à ce point soumis au changement, à l’aventure, que dirons-nous de cet autre chapitre : La Mode ? […] elle voulait que l’on eût foi, en sa beauté, non moins qu’en sa parole, en revanche, elle avait le courage de ces hommes généreux qui s’arracheraient le cœur, plutôt que de s’avouer vaincus, en public. […] Elle a salué toute cette foule enthousiaste avec une dignité bien sentie ; ses adieux ont été simples, touchants, sérieux ; elle tenait son cœur à deux mains, et elle aussi elle aurait pu dire comme cette héroïne de Corneille : — Tout beau, mon cœur ! […] Elle vivait par le théâtre et pour le théâtre, et elle ne pouvait pas se consoler de n’être plus la fête de l’esprit, la fête des yeux et du cœur.

701. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Une de mes mains se trouvait appuyée sur son cœur, qui touchait à ses légers ossements, il palpitait avec rapidité comme une montre qui dévide sa chaîne brisée. […] Cette affectation se retrouve jusque dans la langue, qui est vieille et étudiée jusqu’à la contorsion, au lieu d’être abandonnée et confiante comme la langue qu’on se parle à soi-même dans ces notes du cœur ou dans ces confidences secrètes à Dieu ou aux hommes. […] Cela était d’autant plus nécessaire, que des affaires d’argent perdu dans des affaires de bourses étrangères avaient, disait-on, compliqué et aggravé des affaires de cœur entre M. de Chateaubriand et une des personnes, objet de ses nombreux attachements. […] Tout se ressoude dans la vieillesse, excepté les cœurs brisés par les déchirements de l’affection. […] Quelques esprits secs, jaloux, et chicaneurs avec leurs propres sensations, essayèrent de rire et de nier ; mais les larmes prévalurent, et elles écrivirent le nom de Chateaubriand en traits de splendeur et de feu dans tous les cœurs jeunes.

702. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vii »

Né à Versailles, il s’était choisi, retrouvé une petite patrie et avait donné son cœur à la Vendée d’où venaient ses grands-parents. […] On trouva sur son cœur son memento : « Seigneur, mon Dieu, dès maintenant, quel qu’en soit le genre et selon qu’il vous plaira, d’un cœur tranquille et soumis, j’accepte de votre main la mort avec ses angoisses, ses peines et ses douleurs ». […] Mais aujourd’hui, laissons-les en bloc, pour qu’ils tombent avec tout leur poids sur nos cœurs.‌ […] Le 1er août 1914, Jacques de Laumont écrit à sa mère : « Je me battrai de tout cœur pour la France et pour vous. […] Je vous embrasse tous, vous qui avez été si bons pour moi, et que j’aime du plus profond de mon cœur.

703. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — I » pp. 219-230

Suivent quatre lettres (que l’on connaissait déjà) sur la vertu et le bonheur adressées par Jean-Jacques à Sophie, c’est-à-dire à Mme d’Houdetot ; il fait de la philosophie avec celle qu’il aime, et dont la vertu, dit-il, l’a ramené à la raison ; il s’en console et même il s’en félicite avec elle : « Si nous avions été, moi plus aimable ou vous plus faible, le souvenir de nos plaisirs ne pourrait jamais être, ainsi que celui de votre innocence, si doux à mon cœur… Non, Sophie, il n’y a pas un de mes jours où vos discours ne viennent encore émouvoir mon cœur et m’arracher des larmes délicieuses. […] Dans la seconde lettre, Rousseau se plaît à étaler nos incertitudes et nos faiblesses, même au cœur de la civilisation la plus avancée. […] Si la raison l’écrase et l’avilit, le sentiment intérieur le relève et l’honore… Quoiqu’il en soit, nous sentons au moins en nous-même une voix qui nous défend de nous mépriser ; la raison rampe, mais l’âme est élevée. » Sans discuter ici cette distinction si absolue entre la raison et l’âme, distinction qu’il ne maintiendra pas toujours à ce degré, il est clair que Rousseau, au lendemain de ses peines et de ses sacrifices dans la tendre passion qu’il ressentait, ne veut chercher de bonheur ou de consolation que dans la paix du cœur et dans la voix de sa conscience. […] Je ne serre pas de trop près, je ne veux pas démêler ce qu’il peut y avoir de vague et d’indécis sous ces phrases si nettes et si fermes de ton ; j’applique à Rousseau le précepte qu’il nous a donné pour le bien lire : « Mes écrits ne peuvent plaire qu’à ceux qui les lisent avec le même cœur qui les a dictés » ; et je dis que Rousseau, dans ces pages où il invoque si vivement le sentiment moral tel que tout honnête homme le trouve en lui-même dans une société civilisée, est moral lui-même et religieux.

704. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

Il est des entraînements dévoués, des témérités oublieuses d’elles-mêmes, qui enlèvent les cœurs. […] est-ce qu’il y a un cœur qui ne batte pas ? […] « Et la mort étendra sa main de squelette comme pour les bénir, et cette bénédiction descendra sur leur cœur, et il cessera de battre.  […] « Mais si l’on a commis contre vous quelque injustice, commencez par bannir tout sentiment de haine de votre cœur, et puis, levant les mains et les yeux en haut, dites à votre Père qui est dans les cieux : « Ô Père ! […] tous les vrais cœurs de poëtes, tous les esprits rapides et de haut vol, de quelque côté de l’horizon qu’ils arrivent, se rencontrent dans une prophétique pensée, et signalent aux yeux l’approche inévitable des rivages.

705. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Des soirées littéraires ou les poètes entre eux »

Remarquons toutefois qu’au xive  siècle, du temps de Pétrarque et de Boccace, à cette époque de grande et sérieuse renaissance, lorsqu’il s’agissait tout ensemble de retrouver l’antiquité et de fonder le moderne avenir littéraire, le but des rapprochements était haut, varié, le moyen indispensable, et le résultat heureux, tandis qu’au xvie  siècle il n’était plus question que d’une flatteuse récréation du cœur et de l’esprit, propice sans doute encore au développement de certaines imaginations tendres et malades, comme celle du Tasse, mais touchant déjà de bien près aux abus des académies pédantes, à la corruption des Guarini et des Marini. […] Le jour où un sentiment profond et passionné le prend au cœur, où une douleur sublime l’aiguillonne, il se défait aisément de ces coquetteries frivoles, et brise, en se relevant, tous les fils de soie dans lesquels jouaient ses doigts nerveux. […] Qu’on ne s’y trompe pas : les douleurs célébrées avec harmonie sont déjà des blessures à peu près cicatrisées, et la part de l’art s’étend bien avant jusque dans les plus réelles effusions d’un cœur qui chante. […] Un autre vœu moins chimérique, un désir moins vaste et bien légitime que forme l’âme en s’ouvrant à la poésie, c’est d’obtenir accès jusqu’à l’illustre poëte contemporain qu’elle préfère, dont les rayons l’ont d’abord touchée, et de gagner une secrète place dans son cœur. […] Là il rencontre, comme Dante au vestibule de son Enfer, les cinq ou six poëtes souverains dont il est épris ; il les interroge, il les entend ; il convoque leur noble et incorruptible école (la bella scuola), dont toutes les réponses le raffermissent contre les disputes ambiguës des écoles éphémères ; il éclaircit, à leur flamme céleste, son observation des hommes et des choses ; il y épure la réalité sentie dans laquelle il puise, la séparant avec soin de sa portion pesante, inégale et grossière ; et, à force de s’envelopper de leurs saintes reliques, suivant l’expression de Chénier, à force d’être attentif et fidèle à la propre voix de son cœur, il arrive à créer comme eux selon sa mesure, et à mériter peut-être que d’autres conversent avec lui un jour.

706. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Être homme aujourd’hui, l’être d’intelligence et de cœur, c’est faire de même qu’alors, c’est cheminer avec tous dans une route laborieuse et confuse, mais dont le terme, à coup sûr, est sacré ! […] La discorde est ainsi au cœur du gouvernement despotique et du gouvernement libre par excellence. […] Qu’on se représente l’étonnement, les larmes, les gonflements de cœur de ces pauvres et simples gens, en trouvant pour la première fois une expression à leurs peines, à leurs vœux, et l’attitude fière et enflammée des plus jeunes ! […] Un homme de cœur et de savoir, informé d’une supercherie infâme, qu’un Corps savant couronne par la main d’un prétendu géographe, se récrie dans une indignation généreuse ; mû d’un sentiment désintéressé, patriotique, il ose dire ce qu’il a vu, ce qu’il a connu ; il compromet son repos, il s’expose à un assassinat, et par là-dessus il encourt le blâme de ces honnêtes compilateurs, copistes sans critique et sans coup-d’œil, qui jugent avant tout qu’il a été un peu loin. […] Maurize, et nous reconnaîtrons de grand cœur que la doctrine qu’il professe si ardemment, recèle un contingent de vérités dont c’est un devoir d’essayer le triage.

707. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Ernest Renan, le Prêtre de Némi. »

L’œuvre est d’une beauté moins perverse (je parle ici comme un cœur simple). […] Mais Carmenta surgissant frappe Casca d’un coup de poignard au cœur. […] Les larmes, voilà le sacrifice éternel, la libation sainte, l’eau du cœur. […] Et, en effet, cette foi est la plus fixe et la plus solide, étant délimitée par des dogmes ; et elle prend, ou peut s’en faut, chez les fidèles, tous les caractères de la certitude, étant enfoncée dans leur cœur par l’éducation et y étant maintenue par la terreur. A côté de celle-là la foi volontaire et acquise, mouvement du cœur qui désire que ce que la raison conçoit comme le bien soit aussi le vrai, n’a plus l’air d’être la foi.

708. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IX. Les disciples de Jésus. »

On nomme aussi parmi les disciples Thomas, ou Didyme 434, qui douta quelquefois, mais qui paraît avoir été un homme de cœur et de généreux entraînements 435 ; un Lebbée ou Taddée ; un Simon le Zélote 436, peut-être disciple de Juda le Gaulonite, appartenant à ce parti des Kenaïm, dès lors existant, et qui devait bientôt jouer un si grand rôle dans les mouvements du peuple juif ; enfin Judas fils de Simon, de la ville de Kerioth, qui fit exception dans l’essaim fidèle et s’attira un si épouvantable renom. […] Peut-être ce disciple, qui devait plus tard écrire ses souvenirs d’une façon où l’intérêt personnel ne se dissimule pas assez, a-t-il exagéré l’affection de cœur que son maître lui aurait portée 445. […] Quant à Jean, sa jeunesse 449, son exquise tendresse de cœur 450 et son imagination vive 451 devaient avoir beaucoup de charme. […] Il affectait de savoir sur celui qu’il voulait gagner quelque chose d’intime, ou bien il lui rappelait une circonstance chère à son cœur. […] Dissimulant la vraie cause de sa force, je veux dire sa supériorité sur ce qui l’entourait, il laissait croire, pour satisfaire les idées du temps, idées qui d’ailleurs étaient pleinement les siennes, qu’une révélation d’en haut lui découvrait les secrets et lui ouvrait les cœurs.

709. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XI. Le royaume de Dieu conçu comme l’événement des pauvres. »

Laissant là tout ce monde au cœur sec et aux étroits préjugés, il se tourna vers les simples. […] Peut-être Jésus trouvait-il dans cette société en dehors des règles communes plus de distinction et de cœur que dans une bourgeoisie pédante, formaliste, orgueilleuse de son apparente moralité. […] Des femmes, le cœur plein de larmes et disposées par leurs fautes aux sentiments d’humilité, étaient plus près de son royaume que les natures médiocres, lesquelles ont souvent peu de mérite à n’avoir point failli. […] Ses disciples les repoussaient parfois comme importunes ; mais Jésus, qui aimait les usages antiques et tout ce qui indique la simplicité du cœur, réparait le mal fait par ses amis trop zélés. […] Mais plus heureux encore, nous dirait Jésus, celui qui, dégagé de toute illusion, reproduirait en lui-même l’apparition céleste, et, sans rêve millénaire, sans paradis chimérique, sans signes dans le ciel, par la droiture de sa volonté et la poésie de son âme, saurait de nouveau créer en son cœur le vrai royaume de Dieu !

710. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

Sans vouloir discuter cette esthétique très-répandue, je me contente de faire observer que même admit-on le principe que je viens de dire, à savoir le principe du plaisir, encore faudrait-il distinguer entre les différents genres de plaisir que les écrits peuvent nous procurer : par exemple, entre le plaisir des sens et le plaisir de l’esprit, le plaisir de l’imagination et le plaisir du cœur, le plaisir de quelques-uns et le plaisir de tous, le plaisir des ignorants et des grossiers et le plaisir des esprits éclairés, enfin entre le plaisir d’un jour et le plaisir de plusieurs siècles. Or, pour peu que l’on fasse ce partage entre les plaisirs, on s’aperçoit que, parmi les œuvres de l’esprit, il en est précisément qui plaisent toujours, qui plaisent à tous, ou au moins aux esprits éclairés, capables de les comprendre, qui plaisent à l’esprit et au cœur, et non aux sens : ce sont ces œuvres que l’on nomme belles, et elles le sont plus ou moins, suivant qu’elles se rapprochent plus ou moins du modèle que je viens de tracer. […] Il ne faut point oublier que la littérature est un art, que ce qui distingue l’art de la science, ce n’est pas seulement la nature des vérités qu’il exprime, c’est encore la manière dont il les exprime, que son principal objet est de rendre le vrai ou l’intelligible par des formes sensibles, en un mot de parler au cœur, aux sens, à l’imagination en même temps qu’à l’esprit. […] C’est cette partie universelle et profonde que l’on peut saisir et comprendre dans tous les pays, quoique exprimée sous une forme particulière et par cela même plus vivante ; c’est la peinture des lassitudes de la science et des ardeurs du désir chez l’homme rassasié de doute, c’est Faust ; c’est la peinture de la tentation ironique et de l’égoïsme infernal du cœur humain, c’est Méphistophélès ; c’est enfin la peinture de l’innocence sacrifiée et vaincue, et de la douleur sans bornes d’un cœur trompé, c’est Marguerite.

711. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VI. Du trouble des esprits au sujet du sentiment religieux » pp. 143-159

L’infini est toujours au fond de son cœur : sitôt qu’une idée a pris, pour ainsi dire, un corps ; sitôt qu’elle est devenue sensible par une transformation matérielle, cette idée a épuisé son énergie. […] Cette peinture, je puis l’avouer, sera toute d’imagination ; car c’est un ordre de phénomènes peu appréciables à la vue de l’esprit, et qui se passent au fond des cœurs. […] Ainsi leur grande erreur a été de se croire appelés, connue les philosophes anciens, à renverser des superstitions ; ils n’ont pas fait attention à cette différence énorme d’une religion dont les préceptes enveloppent, pour ainsi dire, l’homme de tous les côtés, à des religions qui ne s’adressaient qu’à une partie de l’homme, qui flattaient son imagination, sans rien dire à son cœur. […] Rien n’est venu remplacer dans leur cœur ce qui leur avait été ravi ; et la vérité, qui les environnait de toutes parts, n’a pu trouver le chemin de leur oreille assourdie : ils ont été chassés de l’héritage de leurs pères, et, dépouillés de toutes leurs espérances, ils ont fini par vouer l’avenir au néant. […] Dans tous les temps, sans doute, l’homme a enfanté des pensées vaines et gratuitement angoisseuses ; mais elles mouraient dans l’imagination qui les avait conçues, dans le cœur qui les avait nourries.

712. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Sahara algérien et le Grand Désert »

Il est vrai que le sujet, unique et varié, de ces diverses œuvres, était la question d’histoire contemporaine qui nous passait le plus près du cœur, puisque c’était l’histoire de la France en Afrique et la destinée de sa conquête ; mais, il faut être juste, ce n’est pas le prodigieux intérêt d’un pareil sujet qui fut exclusivement la cause du succès du général Daumas. […] Madame de Staël ne disait-elle pas un jour, avec cette ineffable impertinence de l’esprit qui tachait la bonté de son cœur, que, « hors les batailles, lord Wellington n’avait pas une idée » ? […] Cette veine ouverte d’un peuple vaincu, par laquelle s’écoulait un sang si vermeil encore de jeunesse, ces mœurs patriarcales et hospitalières, cette fierté grandiose qui fait dire perpétuellement à l’Arabe : « Élargis ton âme », précisément le contraire du mot chinois et civilisé : « Rapetisse ton cœur », que l’abbé Huc nous apprend, les dernières tentes, qui vont se lever et se ployer au soleil couchant de la poésie devant la civilisation, cette mer de pierres qui s’avance, tout ce vaste ensemble nous frappa de deux sensations et d’une double mélancolie, — la sensation de ce qui est éternellement beau, et de ce qui va s’évanouir. […] Tout ce qui l’exalte, tout ce qui la raconte, tout ce qui nous apprend à l’aimer, tout ce qui nous fera mettre notre main dans sa main, notre cœur sur son cœur, est, littérature à part, digne d’applaudissement, d’encouragement, de popularité.

713. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Guizot » pp. 201-215

Nous n’avons pas ce fond d’entrailles, cette substance du cœur qui est la meilleure part du génie ; car le génie, c’est l’opposé de cette affreuse petite bourgeoise du xviiie  siècle, cette Geoffrin qui montrait son cœur et qui disait : « il n’y a là que de la cervelle ». Le Génie, lui, dit au contraire en montrant sa tête : « Ce que j’ai là-haut, c’est encore du cœur ! » Le cœur de Shakespeare, son caractère, ses actes, les milieux qui ont joué sur sa pensée ou qui l’ont pénétrée, enfin tout ce qui est le secret même de son génie en en faisant l’originalité, tout cela a manqué jusqu’ici, et tellement même qu’on a fini par dire, — dogmatiquement et comme si c’était la dispense de toute découverte : « Shakespeare est le seul biographe de Shakespeare !  […] Nous l’avons dit déjà, il y a une partie du secret du génie engagée dans les questions de la conscience et du cœur.

714. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

Pour des créatures de passage comme nous, qui ne seront peut-être plus demain, l’accent désespéré ou résigné — au fond, si on veut bien y penser, la même chose, — est l’accent qui doit remuer le plus les cœurs ! […] C’est l’accent du cœur qui le met à part des poètes d’un temps où l’âme se retire de toutes choses devant la sensation et la matière envahissantes… Naturellement, un pareil poète doit être plus ou moins méconnu à une époque vide et pédante où lord Byron lui-même paraît affecté, Lamartine vague, et Alfred de Musset négligé ; car c’est là l’opinion qui commence à courir parmi ceux qui se croient les forts de la littérature actuelle, parmi les poètes matérialistes et réalistes de notre décadence littéraire. […] Du Clésieux, dans son poème, est resté jusqu’à la dernière page et jusqu’à son dernier vers dans la beauté du sentiment chrétien le plus pur, et cette beauté s’ajoute à celle de l’émotion humaine qui fait palpiter tout son poème, comme un cœur vivant… IV Rien de plus simple que ce roman en vers qui pourrait bien être une histoire, et cette simplicité est si grande que la donnée du poème peut se raconter en deux mots… Le héros du livre, qui n’est pas nommé dans le poème, l’amant d’Armelle, est un Childe Harold de ce temps où toute âme un peu haute est plus ou moins Childe Harold, et n’a pas besoin d’aller au fond de toutes les coupes que nous tend le monde pour s’en détourner et revenir à la solitude, — et pour s’essuyer, comme un enfant à la robe de sa mère, de ses souillures et de ses dégoûts, à la Nature. […] selon ce critique, qui est chrétien pourtant et d’une noble race, fidèle aux anciennes traditions et aux anciennes mœurs, il fallait que l’amour d’Armelle mis dans la balance avec le serment fait à la mère l’emportât dans le cœur du fils, sous peine de disproportion entre le motif du sacrifice et son objet ; et, le pourra-t-on croire ? […] Ce n’est plus la musique, l’intangible et divine musique de la poésie lamartinienne, qui nous fondait si délicieusement le cœur dans la rêverie et semblait vaporiser eu nous la réalité des douleurs, l’épaisseur noire des mélancolies… L’auteur d’Armelle a ce don mélodieux du chant auquel on préfère une poésie plus physique, et qui, pour arriver à l’âme, passe par un autre organe que l’oreille.

715. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Madame Ackermann »

Elles sont impies, athées, — résolument athées, — navrantes, navrées et superbes, et c’est une femme, une faible femme, qui a eu le triste cœur d’écrire, avec une préméditation inouïe et l’intensité d’une rage froide, ces magnifiques blasphèmes contre la Vérité et contre Dieu ! […] Au moins, dans tous les autres poètes qui chantent les angoisses familières aux âmes passionnées, ou même dans Baudelaire, le Vampire, ce pourlécheur des pourritures devant lesquelles, vivantes, le malheureux se prosternait, il y a, au milieu des ruines et des désolations de la créature qui se sent mourir et qui croit que tout va finir avec elle, des pages éclairées, des tableaux qui passent accentués plus ou moins de fraîcheur et de mélancolie, des souvenirs qui attirent et retiennent comme des yeux fascinateurs rouverts, des caresses qui se reprennent aux beaux cadavres pressés autrefois sur le cœur. […] C’est bien là l’expression poétique de ce matérialisme qui fait mal au cœur et qui résume la pensée philosophique de cette fin du xixe  siècle. […] La Sapho sans Phaon qui est ici n’y tombe point, mais elle y entre lentement, toujours désespérée, comme une athée vaincue mais soulagée par le cri qu’elle a amassé dans son cœur et qu’elle pousse. […] Afin qu’elle éclatât d’un jet plus énergique, J’ai, dans ma résistance à Tassant des îlots noirs De tous les cœurs en moi, comme en un centre unique,            Rassemblé tous les désespoirs.

716. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Edmond About » pp. 91-105

encore une fois, en raison de ce bruit, il est curieux de voir ce que sont les livres d’un homme qui, par ses livres et en trois temps, arrive dans un siècle sans cœur, indifférent aux courageux qui luttent, à cette petite importance-là ! […] About, qui fait le joli cœur tout en nous racontant les abominations de sa Chermidy, ne sait pas ! […] About, qui conçoit ses chevaliers avec une tache au milieu du cœur, nous donne pour un Cid de noblesse, Germaine n’a pas trois mois à vivre. […] Alors l’idée d’égorger cette femme, qui lui prend tout, la remord au cœur avec plus de rage que jamais. […] Avec deux ou trois conseils, il tiendrait son genre, — l’annonce illustrée, — et la Critique, en les lui donnant, devrait surtout l’empocher de retourner à cette vieille littérature qui a la bonté de s’occuper, en retardataire, des développements et des problèmes du cœur humain.

717. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules De La Madenène » pp. 173-187

Doué de facultés très-dramatiques, sachant s’effacer, cette chose difficile, car l’esprit est égoïste comme le cœur, et ne procédant nullement à la manière des romanciers contemporains, qui entassent les descriptions, les paysages et les portraits, dans une ivresse de plastique qui est une maladie littéraire du temps, M. de La Madelène ne fait guères de portraits qu’en quelques traits, quand il en fait, et chez lui, c’est l’action et le dialogue qui peignent le personnage, le dialogue surtout, que M. de La Madelène a élevé à un rare degré de perfection. […] » et qui n’ait pas sur le cœur un vautour comme Prométhée, mais une colombe ; après avoir donné une si magistrale saillie à ce Marius Tirard, le maire de Lamanoc, une tête qu’aurait admirée Walter Scott ; après nous avoir épinglé cette vieille Mlle Blandine, travaillée comme les dentelles rousses de son corsage, Mlle Blandine, un type de vieille fille nouveau, quand ils sont tous usés, les types de vieilles filles ! […] L’émeute qui ouvre le fier roman de La Prison d’Edimbourg, ce chef-d’œuvre, est moins saisissante et moins terrible ; et ce n’est pas la seule attestation que l’auteur du Marquis des Saffras nous donne de sa haute aptitude à pétrir les cœurs populaires et à traduire avec une énergie digne d’elles les fortes passions qu’ils contiennent. Dans ce roman, — qu’on pourrait appeler une immense tragi-comédie à tiroirs, et à tiroirs pleins de choses, — il y a un amour jeté là, en passant, cet amour exigé dans toutes les pièces françaises par l’imagination du public, mais cet amour n’est qu’une visée secondaire dans la préoccupation de l’auteur, sous la main duquel le vaste cœur compliqué des foules palpite mieux que les cœurs grêles de moineau de ses amoureux !

718. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

Y en a-t-il un qui ait pensé avec angoisse et larmes au jugement de Dieu, qui ait excédé et dompté sa chair, qui se soit rempli le cœur des tristesses et des douceurs évangéliques ? […] Tout est pris ici, le cœur et les sens. […] Il est le premier mouvement du cœur et la première parole de la nature. […] Il habite de cœur dans la poétique et vaporeuse contrée dont chaque jour les hommes s’éloignent davantage. […] Plus d’élans du cœur ; ils tournent des phrases éloquentes pour être applaudis et des exagérations flatteuses pour plaire.

719. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

Déjà vendu à Shakspeare, il épousait dans son cœur ces idées littéraires nouvelles qui commençaient à poindre ; au Louvre, il se rangeait secrètement pour la Méduse de Géricault contre le Pygmalion de Girodet. […] « Franklin parle quelque part de cette affection d’habitude que l’on porte aux objets inanimés, affection qui n’est ni l’amitié ni l’amour, mais dont le siége est pourtant aussi dans le cœur. […] Une certaine lenteur de ton qui se confond ici dans la grâce décente, l’honnêteté du cœur intacte avec la malice enjouée de l’esprit, la nature prise à point, respirent dans ces pages aimables : le sens moral qui en ressort tendrait à tuer surtout le grand ennemi en nous, c’est-à-dire la vanité. […] Le cœur de M. […] Ce sauvage Cyclope dont parle Jean-Paul, et qui habite toujours au fond du cœur de l’homme, est sorti brusquement de son antre, et il a tout ravagé… fontibus aprum.

720. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

La surprise des sens a tout l’air d’y devancer celle du cœur. […] j’ai trop aimé ; dans mon cœur épuisé, Le sentiment ne peut renaître. […] Tu souris trop peu à nos amours que tant d’obstacles jaloux traversèrent ; tu y souris pourtant assez, ô Plaisir, pour que l’image en reste, au fond de mon cœur, pleinement couronnée. […] Dans les détresses du cœur, dans mes fuites désespérées, combien de fois tout d’un coup, comme une Déesse au tournant d’un bocage, tu m’es apparu ! […] La mort habite dans mon cœur, mon deuil de toi est immense : deuil sacré !

721. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Il n’estimait que l’effusion du cœur qui va au cœur. Il parlait lui-même avec son cœur, sans étude, sans apprêt, familièrement, efficacement : son idéal est l’homélie simple et touchante des premiers temps de l’Église. […] Jamais il n’apprit par cœur ses sermons. […] Par là, plus largement encore que dans les Sermons, se répand la poésie, poésie de la nature ou poésie du coeur, tableaux pittoresques, ou émotions exaltées. […] Cependant la prédication ne l’occupa point seule : il confessa, il dirigea ; et c’est là qu’il acquit et nourrit cette science du cœur si merveilleuse chez un homme dont nulle passion n’a troublé la vie.

722. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

On dit de même, et avec raison, que le cœur et les poumons se dilatent, que leur jeu est rendu plus facile ; les fonctions cérébrales s’accomplissent avec plus de rapidité et d’aisance : l’intelligence est plus animée, la sensibilité plus expansive, la volonté plus bienveillante. […] La peau d’où le sang se retire devient pale, froide, puis humide de sueur ; le cœur, après avoir palpité fortement et irrégulièrement, se ralentit, la respiration est pénible et la poitrine est serrée. […] C’est pour cela que tous les organes, cœur, artères, nerfs et muscles, sympathisent avec le cerveau et racontent, chacun dans sa langue propre, la souffrance ou la jouissance qu’ils partagent. […] Ceux qui vivent de la même vie, ceux dont les cœurs ont toujours battu du même battement, finissent souvent par acquérir un type commun de physionomie. […] La science ne saisit que les rapports extérieurs et mécaniques qui relient les êtres ; l’art va au cœur des choses et, par l’expression sympathique, il nous met en communication avec ce qu’il y a de nous-mêmes dans les divers êtres de la nature, — de nous-mêmes, et aussi de tous les autres.

723. (1888) Impressions de théâtre. Première série

Et quelle dureté de cœur, quelle inhumanité chez ce saint ! […] Il lui prête leur dureté de cœur et leur cynisme… « Hé ! […] quel tas de cœurs généreux ! […] Nous nous occupons, nous, de la loi et des droits du cœur. […] Ils ont tous deux au cœur d’amers et salissants souvenirs ?

724. (1893) Impressions de théâtre. Septième série

C’est qu’elle a aimé autrefois, et qu’elle a donné son cœur. […] Quand il frictionne la jambe de Ledoux, il y met vraiment tout son cœur. […] Nous connaissons notre Théâtre-Libre, nous le savons par cœur. […] Je vous pardonne de tout mon cœur. […] Il partage entre sa maîtresse et sa femme son cœur, son temps et ses revenus.

725. (1920) Action, n° 2, mars 1920

Les cœurs ne se plaisent pas tous dans les mêmes jardins ni dans les mêmes solitudes. […] Il leur faut une connaissance sensible du cœur. […] Ils jouent avec les armes à feu ; mais ils ont sur le cœur la cuirasse du portefeuille. […] La musique est une mathématique qui chante, qui aime et qui ouvre les cœurs. […] Delteil a le cœur grec.

726. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — I — Vauvenargues et Fauris de Saint-Vincens » pp. 1-16

Il avait mis d’ailleurs dans tout son jour et en pleine lumière le côté tendre, affectueux, de Vauvenargues, ce côté le plus connu, la beauté de sa nature morale, et avait parfaitement marqué le trait dominant de son caractère, la sérénité dans la douleur ; et il concluait en disant que l’espèce de gloire réservée à Vauvenargues était celle qui peut sembler le plus désirable aux natures d’élite, l’amitié des bons esprits et des bons cœurs. […] La vie ne paraît qu’un instant auprès de l’éternité, et la félicité humaine, un songe ; et, s’il faut parler franchement, ce n’est pas seulement contre la mort qu’on peut tirer des forces de la foi ; elle nous est d’un grand secours dans toutes les misères humaines ; il n’y a point de disgrâces qu’elle n’adoucisse, point de larmes qu’elle n’essuie, point de pertes qu’elle ne répare ; elle console du mépris, de la pauvreté, de l’infortune, du défaut de santé, qui est la plus rude affliction que puissent éprouver les hommes, et il n’en est aucun de si humilié, de si abandonné, qui, dans son désespoir et son abattement, ne trouve en elle de l’appui, des espérances, du courage : mais cette même foi, qui est la consolation de misérables, est le supplice des heureux ; c’est elle qui empoisonne leurs plaisirs, qui trouble leur félicité présente, qui leur donne des regrets sur le passé, et des craintes sur l’avenir ; c’est elle, enfin, qui tyrannise leurs passions, et qui veut leur interdire les deux sources d’où la nature fait couler nos biens et nos maux, l’amour-propre et la volupté, c’est-à-dire tous les plaisirs des sens, et toutes les joies du cœur… Vauvenargues avait vingt-quatre ans quand il écrivait ces lignes. […] Comme c’est le cœur qui doute dans la plupart des gens du monde, quand le cœur est converti, tout est fait ; il les entraîne ; l’esprit suit les mouvements, par coutume et par raison. […] Il cherche vos besoins au fond de votre cœur :     Il vous épargne la pudeur     De les lui découvrir vous-même. […] Je te jure, mon cher Saint-Vincens, que je dis vrai ; ne me fais point l’injustice de douter de ce sentiment ; ce serait trop me punir, et tu dois tout oublier ; je te le demande à genoux, et t’embrasse de tout mon cœur.

727. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite et fin.) »

Elle dit, à sa façon, comme son frère Lazare : « Il n’est plaisir que de jeunesse » ; et ses suivantes, la première et la seconde demoiselle, lui font écho et lui répètent à l’envi ; « Cœur ne vaut rien, s’il n’est joyeux. » Tout cela se dit en ballades assez agréables et en chansonnettes qui devaient courir ensuite et se répéter. […] Une dernière lutte s’élève dans le cœur de la Vierge entre la femme née d’Ève, faible par conséquent, et la mère de Dieu. […] Les questions, les répliques s’entre-croisent ; c’est un vrai dialogue et sur le sujet le plus sensible, le plus émouvant, le plus tendre au cœur des chrétiens. Jésus ne craint pas d’enfoncer coup sur coup, de retourner le glaive dans le cœur de sa mère : les agonies ont commencé. […] Quelques vers touchants des Messéniennes, qu’on a sus par cœur, une statue gracieuse due à un noble, et royal ciseau de jeune fille, sont une bien petite satisfaction après tant d’outrages.

728. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

Tout érudit a nécessairement au fond du cœur, qu’il le sache ou non, la profession de foi de Sully-Prudhomme : La Nature nous dit : Je suis la Raison même, Et je ferme l’oreille aux souhaits insensés60, etc. […] Je ne puis me tenir de détacher de la conclusion ces lignes où l’émotion de l’érudit, tout en se contenant, teint son style d’une couleur charmante : … Certes nous avons eu, depuis la Renaissance, une littérature plus belle, plus variée, plus riche pour le cœur et pour l’esprit que la poésie rude et simple de Roland ; et, quand nous revenons écouter ce langage naïf en sortant des harmonies savantes de nos grandes œuvres littéraires, il nous semble entendre le bégayement de l’enfance. […] Elle aura plus tard des accents plus souples, plus nuancés, plus délicats ; elle n’en aura jamais de plus pleins et de plus justes, ni qui se fassent entendre de plus loin… Ainsi ce prêtre austère de l’érudition a le cœur le plus sensible du monde. […] Paris insiste sur ce point, qu’en dépit de la violente rupture de la Renaissance avec nos traditions, le moyen âge, c’est bien nous-mêmes, que c’est bien notre esprit et notre cœur que nous y retrouvons, que les hommes de ces temps anciens sont bien réellement nos pères. […] Nous sommes plus proches, par le cœur et l’esprit, de Villon, de Joinville, de Villehardouin, de Téroulde, que ne l’ont été, du premier jusqu’au dernier, nos écrivains classiques, et nous renouons par-dessus leur tête la tradition nationale.

729. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

D’où vient cet appétit de merveilleux, ce fétichisme indéracinable des cœurs ? […] Voilà de quoi remuer les cœurs et bouleverser les âmes. […] D’ailleurs son cœur aide son esprit. […] Il écrit : « Pourquoi les merveilleuses basiliques du moyen âge sont-elles déshonorées par ces Sacrés Cœurs dignes de figurer aux enseignes des marchands de chair crue et par ces Madones qui font concurrence aux dames en cire des coiffeurs ?  […] C’était le coup d’archet des tziganes, un flot de parfums qui nous bouleversait le cœur et qui nous atteignait au point névralgique de l’âme. » En même temps que Baudelaire, les deux amis « découvraient le tabac, le café et tout ce qui convient à la jeunesse21 ».

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