En art comme en philosophie, en littérature comme en morale, c’est le contrepied de Corneille et de Racine, de Pascal et de Bossuet, de La Bruyère et de Boileau qu’ils ont pris. […] Mais si c’est ainsi que l’art, bien loin d’aider en vous la nature, l’y a d’abord comprimée, puis asservie, et finalement pervertie, quel est le remède à ce mal, et quel enseignement votre exemple nous donne-t-il ? […] Qu’est-ce à dire, sinon qu’autant qu’à l’art en particulier « la nature » s’oppose à la civilisation en général ? […] Rien d’humain n’est éternel, et quelque effort qu’il fasse pour fixer son objet sous l’aspect de l’éternité, tout idéal d’art participe de la caducité de l’espèce. […] C’est à peu près ainsi que le génie des grands maîtres de la peinture italienne n’avait pu préserver leur art d’aboutir à la rhétorique des Carrache, et, dans un monde tout nouveau, le naturalisme hollandais de succéder à leur humanisme.
De la taille des plus hauts entre les écrivains de premier ordre, il a parfois sur eux ce quasi avantage et cette presque infériorité de se voir compris, mal, à la vérité, dans la plupart des cas, et c’est heureux et honorable, par des lecteurs d’ordinaire rebelles à telles œuvres de valeur exceptionnelle en art et en philosophie. Et pourtant amère et profonde, ce qui est souvent, mais ici bien particulièrement synonyme, se manifeste en tout lieu la philosophie de Charles Cros, desservie par un art plutôt sévère sous son charme incontestable, mais d’autant plus pénétrant.
Il a écrit là un des meilleurs livres d’art que cette génération ait donnés. […] Soyez sûrs que les cendres de Gautier ont frémi de joie, à l’apparition de ce livre, et que, dans le paradis des lettrés, l’ombre de Flaubert hurle, à l’heure qu’il est, des phrases de Pierre Louÿs, les soumet à l’infaillible épreuve de son gueuloir, et qu’elles la subissent victorieusement… Enfin voilà donc un jeune, un vrai jeune — Pierre Louÿs n’a pas vingt-six ans — qui nous donne un beau livre ; un livre écrit dans une langue impeccable, avec les formules classiques et les mots de tout le monde, mais rénovés et rajeunis à force de goût et d’art ; un livre très savant et où se révèle, à chaque page, une connaissance approfondie de l’antiquité et de la littérature grecque, mais sans pédantisme aucun et ne sentant jamais l’huile et l’effort ; un livre dont la table contient sans doute un symbole ingénieux et poétique, mais un symbole parfaitement clair ; un livre, enfin, qui est vraiment issu de notre tradition et animé de notre génie et dans lequel la beauté, la force et la grâce se montrent toujours en plein soleil, et inondées d’éclatante lumière !
Pergolèze a déployé dans le Stabat Mater la richesse de son art ; mais a-t-il surpassé le simple chant de l’Église ? […] Au reste, en ne parlant que des chants grecs de l’Église, on sent que nous n’employons pas tous nos moyens, puisque nous pourrions montrer les Ambroise, les Damase, les Léon, les Grégoire, travaillant eux-mêmes au rétablissement de l’art musical ; nous pourrions citer ces chefs-d’œuvre de la musique moderne, composés pour les fêtes chrétiennes, et tous ces grands maîtres enfin, les Vinci, les Leo, les Hasse, les Galuppi, les Durante, élevés, formés, ou protégés dans les oratoires de Venise, de Naples, de Rome, et à la cour des souverains pontifes.
Rome et Athènes, parties de l’état de nature pour arriver au dernier degré de civilisation, parcourent l’échelle entière des vertus et des vices, de l’ignorance et des arts. […] En même temps les arts et les sciences se développent, mais tranquillement, mais dans les ombres.
., et cette classification, presque dramatique, donne beaucoup d’intérêt, de vie et de clarté à un livre qu’on lirait encore avec la passion que les récits qu’il contient inspirent, fussent-ils empilés, sans art, comme des matériaux dans un chantier. […] On dirait des sceptiques de ce temps aux mœurs douces, qui ont l’horreur du sang et le dégoût de la fange, comme il sied à des naturels honnêtes et à des esprits cultivés, mais qui, ce sang montré dans sa vermeille couleur et cette fange dans son infamie, ont tout dit, à l’honneur de l’art et du style, et ne savent pas tirer de cette effroyable peinture, faite avec de véritables pourlècheries de pinceau, un enseignement ou une conclusion.
Le grand art demande autre chose que l’imprévu : « L’art ne veut donner ses peines qu’à une matière qui les vaille. […] En son art, le poète des Méditations n’est pas sans lacunes. […] Maron avait fait aussi à Ulysse d’autres présents magnifiques : sept talents d’or travaillé avec art, et un cratère tout d’argent. […] Pouvillon signale sa sensibilité profonde, sa belle envolée lyrique, sa matière d’art très riche et très pure. […] L’art chrétien semble avoir fait également usage de la statuaire à ressorts.
Les sciences et les arts ne sont que des observations sur la pratique : l’usage et la pratique ont précédé toutes les sciences et tous les arts ; mais les sciences et les arts ont ensuite perfectioné la pratique. Si Moliére n’avoit pas étudié lui-même les observations détaillées de l’art de parler et d’écrire, ses pièces n’auroient été que des pièces informes, où le génie, à la vérité, auroit paru quelquefois : mais qu’on auroit renvoyées à l’enfance de la comédie : ses talens ont été perfectionés par les observations, et c’est l’art même qui lui a apris à saisir le ridicule d’un art déplacé. […] Les maitres de l’art restraignent la métonymie aux usages suivans. […] En éfet, la nature n’a qu’une voie dans ses opérations ; voie unique que l’art peut contrefaire, à la vérité, mais qu’il ne peut jamais imiter parfaitement. […] Nous avons aussi des paraphrases de l’art poètique d’Horace, etc.
Dans un siècle qui est avant tout le siècle de l’histoire, où les littératures, les arts, les philosophies, les religions nous intéressent surtout comme les manifestations successives de l’évolution humaine, Ernest Renan a eu au plus haut degré les dons et l’art de l’historien. […] Il mettait au premier rang l’art du romancier. […] À peine installé dans sa chaire, il publiait coup sur coup la Philosophie de l’art (1865), la Philosophie de l’art en Italie (1866), l’Idéal dans l’art (1867), la Philosophie de l’art dans les Pays-Bas (1868), et la Philosophie de l’art en Grèce (1869), petits écrits qui devaient être réunis plus tard (1880), en deux volumes, sous le titre de : Philosophie de l’art. […] Elle s’était trompée en prenant pour un principe de l’art la liberté, qui n’en est qu’une condition. […] Berger, qui fit un cours sur l’art français.
Art Roë. […] Racheté est pour nous un des meilleurs romans d’Art Roë. […] Ce sont là des œuvres de maître, de belles leçons d’art données avec autant de savoir que de tact et d’impartialité. […] Dans les arts, il ne faut pas se chercher au dehors, mais se garder la fidélité. […] En réponse à ceux qui affirment qu’en art militaire la science tient lieu de tout, M.
En ce qui concerne la question d’art, ces livres n’avaient peut-être pas non plus atteint la simplicité absolue. […] On s’écrie que, pour un homme de cette trempe, l’art est tout, l’art pur, l’art pour l’art ; qu’une activité intellectuelle qui se porte à la fois sur tant d’objets différents est factice ; qu’un poète d’humeur aussi mobile ne s’embarrasse pas plus de croyances que d’émotions ; que son esprit est vide comme son cœur est froid. […] Il fulmine contre les poètes qu’il n’a point lus et contre l’art qu’il est incapable de sentir. […] Aimer l’art en toute liberté et en toute sécurité de conscience ! […] Et que Sabine lui paraît fade avec ses langueurs et son art de conserver les nappes !
Et l’on est quitte, pour un an, avec les arts du dessin. […] L’art de pérorer devant un tableau est leur plaisir et leur triomphe. […] Nous voudrions substituer à l’art qui constate l’art qui transforme… Ils étaient raisonnables. […] Nous avons l’art que nous méritons. […] L’art pour l’art, c’est entendu !
Doré d’avoir consacré à cette tâche toutes les ressources de l’art moderne. […] Art. 2 de la loi du 27 février 1858, dite de sûreté générale. […] Où voit-on pourtant dans l’histoire que le progrès de l’art ait amené à sa suite la liberté ? […] Éloquence publique, art de la parole. […] Éloquence et art d’écrire.
En art tout est faux qui n’est pas beau. […] L’art, c’est encore l’amour. […] Dans ceux-ci on admire un art incomparable. […] Je l’entends encore parler de l’art grec et de l’art florentin comme le plus candide amant de leur beauté. […] Thiers avait des théories sur l’art d’écrire.
Est-il pour cela partisan du grand art ? […] Le but de l’art est le plaisir, le but de l’art est de divertir, l’art est un divertissement ; ils ne sortent pas de là. […] Rappelez-vous qu’il cherche toujours le but moral de l’art, et que, pour lui, l’art est une leçon. […] Car Voltaire mettait très haut l’art du comédien. […] Elle est un effort vers le grand art qui aboutit plus qu’à moitié.
Il ne commandera pas non plus au respect, parce qu’il ne sut pas — ou ne voulut pas — donner à son art la forme impeccable devant laquelle s’agenouillent si dévotement les jeunes, qui sont de si charmants et de si vains poètes. […] L’Art va se traîner, image fidèle de notre décadente époque, jusqu’au réveil.
Par cet art admirable, personne n’a mieux possédé, que l’Evêque de Clermont, le talent de se rendre sensible & intéressant pour tout le monde. Son petit Carême passe pour être son chef-d’œuvre, & celui de l’Art Oratoire.
De son atelier du boulevard de Vaugirard, Rodin nous mène à son atelier près de l’École-Militaire, voir sa fameuse porte, destinée au palais futur des Arts décoratifs. […] Il y a vraiment chez Porel, une ambition d’art bien méritoire, quand on le compare aux purs hommes d’affaires du théâtre. […] Or un auteur qui a un idéal d’art élevé, qui s’efforce d’écrire, et de créer des types nouveaux, quand même il ne réussirait pas… c’est une raison pour tuer son œuvre. […] Il n’aime plus autant le joli, le fini des objets japonais, il est séduit par la barbarie de quelques-uns de ses produits d’art industriel, notamment par le fruste, la brutalité, la coloration crûment puissante. […] Tous les chefs-d’œuvre anciens, où les critiques voient du soleil, de la chair illuminée de lumière, m’ont paru bien tristes, bien blafards, bien noirs, et d’un artifice d’art bien surfait.
La seule récompense d’un effort — l’art et la poésie y fussent-ils intéressés — est dans cette effort même. […] Je regrette le passé effervescent où la jeunesse effervescente se ruait à l’assaut des hiérarchies et de l’art en place. […] Soyons savetier, allumeur de réverbères, ou même rond-de-cuir, suivant nos dispositions ou l’occasion, et travaillons dans les intervalles de notre besogne ; mais ne demandons pas à l’art littéraire de nous nourrir. […] Voilà mon sentiment sincère, et — je crois bien — celui de tous ceux qui voient dans l’Art autre chose qu’un outil d’arrivisme. […] … Mais cela m’amuse de penser que tous ces poètes, poétards et poétaillons, ces prosateurs d’art, ces nobles écrivains, ces esprits libérés, etc., nous méprisent, nous autres, les journalistes !
C’était l’effet de la tyrannie de la mode, qui, en asservissant la poésie d’abord à l’imitation italienne, puis à la superstition des formes de la poésie antique, en avait fait un art de caprice, livré à ce qu’il y a de plus éphémère et de plus variable, les idées particulières. […] C’est par cette rareté des idées générales que s’expliquent et la stérilité de la poésie au xvie siècle, et l’imperfection de l’art d’écrire en vers. […] A la fin de ce siècle, l’art d’écrire en prose n’avait plus guère à acquérir quant à la matière ; et quant à la langue elle-même, elle ne demandait plus que des perfectionnements de détail, et une certaine discipline dont nous nous occuperons en son lieu. […] La Fantaisie, beau mot grec francisé par l’école de Ronsard, caractérise le tour d’esprit imité des Grecs ; Montaigne et l’école qui s’inspire du tour d’esprit latin le remplacent par la Raison, la sagesse, le sapere d’Horace140, l’unique secret de l’art d’écrire, lequel ne fait qu’un avec l’art de conduire sa vie. […] Montaigne y vit tout ce qui est de l’homme guerres, paix, dissensions civiles et religieuses, assemblées, croyances, renaissance des lettres et des arts, toutes les passions toutes les exagérations, toutes les vertus, l’héroïsme des armes et de la science ; toutes les calamités, la famine, la peste, le pillage, et ce qu’il appelle la ruine publique.
Oui, ce rustre, ce pataud, était, en son métier d’art, distingué, élégant, coquet. […] La figure de cire pourra devenir, dans les républiques futures, le grand art populaire. […] Et à Bougival, comme partout ailleurs, le commerce humilie l’art et là littérature, et Staub, du haut de la Jonchère, située comme un château de Lucienne, regarde de bien haut les modestes toits de l’artiste. […] » Il reconnaît et avoue tristement la dépendance dans laquelle l’art est placé auprès du gouvernement : « Il faut vivre, dit-il, les convictions courbent la tête pour manger…. […] Ne reconnaissant, n’appréciant que l’utile, contempteur de l’art et de ce qui l’accompagne, et ne voulant voir dans les expositions de l’industrie que les eustaches à cinq sous.
L’union de l’art antique et de la raison moderne dans les hautes intelligences littéraires a produit ce merveilleux épanouissement. […] Ensuite nous regarderons, dans Boileau, les grandes théories d’art qui nous expliquent les créations de l’éloquence et de la poésie classiques, dans ce qu’elles ont de propre à l’égard de l’œuvre des autres siècles, et dans ce qu’elles ont entre elles de commun. […] N’ayant pas, au reste, la vanité professionnelle de l’écrivain, il n’en a pas les scrupules d’art, et il copie indifféremment les documents qu’il a sous les yeux, journaux ou pamphlets, autant que cela sert à son dessein. […] Entre les Correspondances du xviie siècle, deux surtout ont une valeur absolue qui les range au nombre des chefs-d’œuvre de l’art classique, quoiqu’il faille se garder d’y voir des œuvres d’art. […] Mme de Maintenon fut une éducatrice merveilleuse, d’un sens droit et ferme, d’une finesse singulière, d’un tact exquis, d’un art infini pour manier et façonner les âmes.
La question serait résolue, si nous ne rencontrions ici en faveur de la thèse de Bonald une opinion assez répandue chez les théoriciens de l’art littéraire ; elle mérite de nous arrêter, car elle constitue une objection sérieuse à la théorie que nous venons d’exposer. […] Art poétique, chant I.) […] Dans les vers d’Horace (Art poétique, v. 38 sqq.) : Sumite materiam vestris, qui scribitis, æquam Viribus, et versate diu quid ferre recusent, Quid valeant humeri ; cui lecta potenter erit res, Nec facundia deseret hunc, nec lucidus ordo ; [Horace, Art poétique, v. 38-41 (dans l’édition des Epîtres, Paris, Les Belles Lettres, 1995, p. 204) : « Prenez, vous qui écrivez, un sujet égal à vos forces et pesez longuement ce que vos épaules refusent, ce qu’elles acceptent de porter. […] Scherer), en expliquant pour la première fois dans le langage de tous, plié avec un art admirable à des idées pour lesquelles il n’était pas fait, les parties les plus intimes de l’art de la peinture, jusqu’alors restées cachées à ceux qui n’entendent pas le jargon spécial des ateliers.
Bien avant que cette transmission devînt une arme dogmatique pour le Christianisme, elle avait été la prétention des Juifs visités par la conquête et les arts de la Grèce. […] Peut-on l’affirmer absolument, lorsqu’à l’origine et dans les premiers souvenirs des cités grecques on rencontre le nom des Phéniciens et l’influence présumée de leurs arts ? […] Dépouillé du spectacle dont il s’entourait alors, arrivé jusqu’à nous sous les couleurs affaiblies de versions successives, on y sent encore ce feu d’enthousiasme que l’art ne saurait feindre et qui atteste la grandeur du péril et de la délivrance. […] Sous David et après lui, ces deux arts florissaient en Judée avec une magnificence qui peut étonner. […] Pindare nous avertit de ces différences ; et parfois, selon le génie de cette Grèce où tout ce qui servait aux arts était noble, où le comédien et le joueur de flûte n’étaient exclus d’aucune dignité, il se montre lui-même disposant le concert et ordonnant le chœur, dont les lyres et les voix vont soulever dans les airs le vol de sa strophe nouvelle.
Il a eu l’art de rejoindre solidement tous ces morceaux de textes originaux, sans lesquels il ne met pas un pied en avant. […] Admirablement bien élevé par un père d’apparence modeste, et qui, dans sa longue patience, recelait toutes les ambitions, dussent-elles n’éclater au complet et ne s’épanouir que dans la personne de ses enfants, Louvois, secrétaire d’État en survivance dès l’âge de quinze ans, nourri au sein des affaires, eut l’art, auprès de Louis XIV son aîné de bien peu, de se donner comme l’élève le plus disposé à profiter des leçons du maître, et qui n’aspirait qu’à le bien servir. […] quelle prud’homie morale, jointe à une habileté sans pareille dans son art ! […] Ce n’est pas à réussir sur l’heure et pour un jour qu’il vise, comme cela suffit aux charlatans, c’est à s’acquérir l’estime des connaisseurs et de ceux qui en jugeront plus tard à l’usage : « Ce n’est pas ici un jeu d’enfants, écrivait-il à propos de ce même Dunkerque, et j’aimerais mieux perdre la vie que d’entendre dire un jour de moi ce que j’entends des gens qui m’ont devancé. » Plein de bonnes raisons, et de celles qu’il donne, et de celles qu’il garde par devers lui dans un art qui a ses secrets, il s’impatiente et s’irrite même des chicanes et des objections qu’on élève quand il a le dos tourné ; il s’en plaint au ministre et d’un ton parfois un peu brusque. […] Vauban écrit pour lui, et à sa demande, un Mémoire pour servir d’instruction sur la conduite des sièges : « un livre, disait-il en hochant la tête, rempli de la plus fine marchandise qui soit dans ma boutique, et telle qu’il n’y a assurément que vous dans le royaume qui en puisse tirer de moi de semblable. » Il fait de Louvois son élève et son confident dans l’art des sièges.
D’Alembert, dans l’article qu’il lui a consacré comme à un membre de l’Académie (article qu’il s’est bien gardé d’intituler Eloge), a raconté une singulière idée que le prince mita exécution quand il eut vingt ans : « Il avait formé une Société littéraire, aux assemblées de laquelle il assistait quelquefois, et qui avait pris le titre de Société des Arts. Cette espèce d’académie devait réunir à la fois les sciences, les lettres et les arts mécaniques… Cinq ou six académies seraient à peine suffisantes pour remplir l’objet que celle Société prétendait embrasser toute seule. D’ailleurs les rédacteurs de ses statuts avaient conçu à ce sujet, pour ne rien dire de plus, une étrange idée : non seulement ils voulaient (ce qui était raisonnable) marier, pour ainsi dire, chaque art mécanique à la science dont cet art peut tirer des lumières, comme l’horlogerie à l’astronomie, la fabrique des lunettes à l’optique ; mais ils prétendaient encore, qu’on nous passe cette expression, accoler chacun de ces arts à la partie des belles-lettres qu’ils s’imaginaient y avoir plus de rapport : par exemple, disaient-ils, le brodeur à l’historien, le teinturier au poëte, et ainsi des autres.
Ce fut surtout en matière d’art et de littérature qu’il lui dut l’éveil et l’initiation. Mais, en tombant dans une âme si délicate et si légère, ces idées de réforme littéraire et de régénération de l’art qui, chez Diderot, avaient conservé je ne sais quoi de bourgeois et de prosaïque, de fumeux et de déclamatoire, s’éclaircirent et s’épurèrent, revêtirent un caractère d’idéal qui les rapprocha insensiblement de la beauté grecque ; car c’était un Grec que M. […] C’est quand il revient à parler des mœurs et des arts, de l’Antiquité et du siècle, de la poésie et de la critique, du style et du goût, c’est sur tous ces sujets qu’il nous plaît et nous charme, qu’il nous paraît avoir ajouté une part notable et neuve au trésor de ses devanciers les plus excellents. […] Il a l’art de rafraîchir les préceptes usés, de les renouveler à l’usage d’une époque qui ne tient plus à la tradition qu’à demi. […] J’ai commencé tout simplement par Pascal, par les Pensées de littérature dans lesquelles le grand écrivain a consigné quelques-unes des observations qu’il avait faites sur son art ; je les lisais à haute voix en les commentant.
En publiant sa pièce, il la fit précéder d’une Lettre à Voltaire, dans laquelle il discourait et discutait même de cet art qui leur était commun, et il le faisait d’un ton de disciple déjà mûr et presque de maître, qui choqua beaucoup dans le temps, mais qui ne fait que nous confirmer les précoces inclinations critiques de La Harpe. […] C’est ce vol précisément et ce coup d’aile qui manquait à La Harpe : Il mène son Pégase « au petit pas », disait Le Brun ; il « rampe avec art dans ses timides vers ». […] Pourtant les esprits éclairés d’alors, Grimm, Diderot, les autres esprits aiguisés par la rivalité et par la pratique de l’art, tels que Le Brun, distinguent très bien ses côtés faibles, communs dans leur fade élégance, et nous dénoncent en détail ses défauts que le temps en marchant a confondus aujourd’hui dans un seul, l’insipidité mortelle et l’ennui. […] Dès ce temps-là, il n’était pas très rare de trouver de libres et hardis causeurs qui, parlant de La Harpe à propos de son Éloge de Racine, disaient : « L’Éloge de M. de La Harpe manque d’idées et de vues… Un coup d’œil neuf et profond porté sur la tragédie et sur l’art dramatique, voilà part où il fallait honorer la cendre du grand Racine14. » De telles vues, de telles questions, qui allaient jusqu’à Sophocle et à Shakespeare, pouvaient être particulières alors à quelques esprits ; elles eussent excédé la portée d’un auditoire à cette date et encore durant les trente ou trente-cinq années suivantes. […] Il remonta, dès le 31 décembre 1794, dans sa chaire du Lycée, y déclarant une guerre courageuse aux tyrans, à peine abattus et encore menaçants, de la raison, de la morale, des lettres et des arts ; il y invectiva la langue révolutionnaire dans un langage qui s’en ressentait quelque peu à son tour.
Il n’a pas eu le courage ou l’art d’abréger. […] Richelieu a sa méthode sur la manière dont un Premier ministre dévoué doit produire et mettre en relief un roi courageux ; il souffre de voir Luynes ne rien entendre à cet art et à cette jalousie d’honneur qu’on doit avoir pour les armes de son maître. […] Mais précisément, c’est que Richelieu n’est rien moins qu’un Robert Walpole : c’est un homme qui croit à Dieu, au caractère des rois, à une certaine grandeur morale dans les choses publiques, à une vertu propre en chaque ordre de l’État, à une rectitude élevée dans le clergé, à la générosité et à la pureté du cœur dans la noblesse, à la probité et à la gravité dans les parlements ; voilà ce qu’il veut à tout prix maintenir ou restaurer, tandis que l’autre ministre n’a que beaucoup d’habileté, un art de manipulation humaine et de corruption consommée, et de la bonne humeur […] Le reste des jeunes gens serait naturellement allé aux arts mécaniques, à l’agriculture, au commerce, à l’armée, tandis qu’en les appliquant tous indifféremment aux études « sans que la portée de leurs esprits soit examinée, presque tous demeurent avec une médiocre teinture des lettres », et remplissent ensuite la France de chicaneurs. […] Il est un de ces architectes qui aiment mieux corriger les défauts d’un ancien bâtiment et le réduire par leur art à quelque symétrie supportable, que de le jeter à bas sous prétexte d’en rebâtir ensuite un autre tout parfait et accompli.
* * * — Dans Gavarni et L’Art du dix-huitième siècle, j’ai écrit l’histoire du grand art que je sentais. Dans La Maison d’un artiste au dix-neuvième siècle, j’écris l’histoire de l’art industriel de l’Occident et de l’Orient, et l’on ne se doute pas, à côté de moi, que je prends la direction d’un des grands mouvements du goût d’aujourd’hui et de demain. […] * * * — Quelqu’un m’entretenait du goût d’art de Richard Wallace, achetant le cor de chasse de Saint-Hubert, non pour l’intérêt de l’objet, mais pour l’histoire qui s’y rapporte, et qu’il pourra raconter au prince de Galles, la première fois qu’il le lui montrera. […] * * * — Les pays de l’Europe, où ne se trouvent pas d’objets d’art français, on y découvre des éventails : — l’éventail des émigrées, cet objet, que dans sa fuite la plus précipitée, la femme française emportait toujours.
L’art évolue, comme l’âme se modifie, incessamment, comme toutes les apparences, comme tous les phénomènes, et comme sans doute la substance. […] Au cas présent, et pour expliquer combien notre oreille est dissemblable de celle de nos plus proches aînés, notons que la plupart des romantiques et des parnassiens fréquentaient surtout comme art voisin, la peinture ; et la peinture où l’impressionnisme naissait à peine (Turner leur était inconnu) les gardait accoutumés aux contours stricts, et délimités, découpés, presque sculptés. […] Parmi les éléments du vers libre, celui-ci existe, il en contient d’autres, et bien d’autres ambitions, car quel est le novateur qui, tout en sachant ses origines (sans cela il ne serait point conscient), ne rêve une totale reconstruction de tout, d’autant que tout critique sérieux se rend compte qu’en ébranlant un pan de la façade artistique on touche à toute la façade sociale ; c’est ce qui explique que, lorsque les revendications d’art se présentent, elles rencontrent d’aussi agressives résistances. […] Ceci est vrai pour l’évolution de tous les arts en tous les temps. […] Mais j’admettrai plutôt que ces grandes œuvres, loin de se limiter à une technique restreinte, en un but d’unité, chercheront à réunir toutes les ressources les plus variées de l’art poétique.
Je n’ignore pas, sans doute, qu’il y a eu l’art en sus, l’art qui s’est développé dans les derniers temps et qui, plus tard, a fait ces chefs-d’œuvre dont quelques-uns nous ont rendus si fiers. Mais, après tout, l’art de l’homme se mesure à son âme, et cette âme s’agite dans des organes qui sont des bornes et qui l’étreignent comme dans un triangle de fer. […] Seulement, la chèvre et la plupart des hommes tirent sur leur corde, y mettent une ou deux fois leur dent, d’impatience, puis prennent leur parti, broutent et se couchent, tandis que les hommes de génie font des bonds magnifiques dans le rayon de leur corde, comme des lions exaspérés, et voilà l’art ! […] Il a particulièrement son art du groupement et son étreinte de résumé.
Dans ce livre, où tout est en vers, jusqu’à la préface, on trouve une note en prose qui ne peut laisser aucun doute, non seulement sur la manière de procéder de l’auteur des Fleurs du mal, mais encore sur la notion qu’il s’est faite de l’Art et de la Poésie ; car Baudelaire est un artiste de volonté, de réflexion et de combinaison avant tout. « Fidèle — dit-il — à son douloureux programme, l’auteur des Fleurs du mal a dû, en parfait comédien, façonner son esprit à tous les sophismes comme à toutes les corruptions. » Ceci est positif. […] Le Christianisme nous a tellement pénétrés qu’il fausse jusqu’à nos conceptions d’art volontaire dans les esprits les plus énergiques et les plus préoccupés. […] Car, pour Charles Baudelaire, appeler un art sa savante manière d’écrire en vers ne dirait point assez. […] Au point de vue de l’art et de la sensation esthétique, elles perdraient donc beaucoup à n’être pas lues dans l’ordre où le poète, qui sait bien ce qu’il fait, les a rangées. […] Assurément, Baudelaire, qui de nature a un penchant vers l’ironie que sa physionomie devait révéler tout enfant à sa mère, aurait dans son intimité avec Poe appris, quand il n’en eût pas eu le germe en lui, l’art amer et hypocrite de cette mystification implacable que Swift eut un jour, mais que, par l’outrance et l’effet qu’ils veulent produire, Poe et Baudelaire ont, tous les deux, bien dépassé.
Généralement on ne domine les hommes que par la puissance matérielle, par le génie des arts ou des sciences, quelquefois par l’ascendant de la vertu. […] Il réussit à faire croire à la partie oisive et riche de la société que d’innover en fait d’usages mondains, de conventions élégantes, d’habits, de manières et d’amusements, c’est aussi rare, aussi méritoire, aussi digne de considération que d’inventer et de créer en politique, en art, en littérature. […] D’un ensemble de pratiques insignifiantes et inutiles il fait un art qui porte sa marque personnelle, qui plaît et qui séduit à la façon d’un ouvrage de l’esprit. […] Si c’est un masque, quel prodige de l’art !
Les autres arts, je dois m’exciter, me contraindre à l’assiduité pour en être touché vivement. […] J’ai bataillé souvent moi-même sur ce sujet avec un ami chroniqueur d’art : il est circonspect avec son plaisir comme ces enfants peureux de casser leurs joujoux en en cherchant les rouages : mais il suffit de notions de mécanique pour les démonter sans danger. […] Le feuilleton de la Revue d’art dramatique m’avait été confié quelques mois. […] C’est l’éternelle confusion, et le sempiternel bavardage sur l’art et la moralité, que M.