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540. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Jean-Jacques Ampère »

On ne saurait, en effet, ranger sous ce nom les modes successives et les invasions de littératures étrangères, italienne ou espagnole, qui signalèrent la seconde moitié du xvie  siècle et la première du xviie . […] Je vois maintenant ces pièces d’un tout autre œil qu’au temps où je les ai écrites, et il est pour moi bien intéressant de constater l’effet qu’elles produisent sur une nation étrangère et dans une époque dont les idées sont tout autres. […] Les profils qu’il donne des hommes distingués du Nord, des poètes et littérateurs de talent, les font aussitôt comprendre par les côtés principaux qui nous intéressent : Atterbom, Œlenschlæger, Tégner, désignés par lui en quelques mots, cessent de nous être étrangers. […] Ces divers cours, dont on a les leçons d’ouverture et quelques fragments, offraient de l’intérêt et donnaient aux jeunes esprits qui y assistaient une teinture de ces sujets étrangers et jusqu’alors tout à fait ignorés chez nous : c’était une première couche excellente ; mais si j’interroge les hommes savants et spéciaux qui, depuis 1838, ont poussé plus loin chez nous cette branche d’étude, ce qu’enseignait Ampère n’était en effet qu’une première couche et assez superficielle. […] Il était bien alors dans le plein de sa vocation en nous informant sans cesse, et l’un des premiers, de quantité de choses étrangères, dont il nous donnait l’avant-goût et le stimulant ; mais il eût été bon cependant que dans les années suivantes, un jour ou l’autre, il mît un terme à ses doctes curiosités, devenues des inconstances, et qu’il séjournât quelque part à demeure.

541. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

La Fayette s’en impatiente et lui écrit tout naturellement : « Je vous l’avouerai en confidence, au milieu d’un pays étranger, mon amour-propre souffre de voir les Français bloqués à Rhode-Island, et le dépit que j’en ressens me porte à désirer qu’on opère. » Il y avait mêlé quelque première vivacité envers M. de Rochambeau, qu’il rétracte. […] Dans sa longue et ferme attente, tout ce qui pouvait être étranger au triomphe du drapeau, et en amoindrir ou en retarder l’inauguration, La Fayette ne le voyait pas, et peut-être il ne le désirait pas voir. […] Je doute peu qu’elle ne parvienne à se délivrer du joug étranger ; mais le résultat de mes observations ne m’autorise pas à espérer que ces provinces soient capables d’établir et de conserver un gouvernement libre… » Et il continue l’exposé vrai du tableau. […] Mais les exposer seulement au grand air d’aujourd’hui, c’est presque les flétrir, ces souvenirs, tant le mouvement général est loin, tant les générations survenantes y deviennent de plus en plus étrangères par l’esprit, tant l’ironie des choses a été complète ! […] Sieyès avait divisé sa vie politique depuis 89 en trois époques. « Durant toute la tenue de l’Assemblée législative jusqu’à l’ouverture de la Convention, il est resté complètement étranger à toute action politique.

542. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Sans parler des littératures anciennes et étrangères qui sont devenues moins absurdes à leurs yeux, ils ont fait des progrès dans l’intelligence de Igor propre littérature. […] Dans une pièce de Caldéron385, le héros, don Gutierre, tue sa noble femme, par un motif qui ne paraîtra pas beaucoup meilleur aux étrangers que celui du héros d’Alarcos. […] Il est permis au public d’un théâtre de s’abstenir, lorsque l’affiche annonce pour le soir la représentation d’une pièce totalement étrangère à ses mœurs, à ses sentiments, à ses idées, bien qu’il ne lui fût pas permis de siffler cette pièce, si elle était signée d’un nom illustre, et s’appelait Guillaume Tell, Hamlet, Faust, Iphigénie en Aulide ou Le Misanthrope. Mais on peut, on doit exiger du critique qu’il soit moins ignorant que des collégiens, moins passionné que des femmes, moins indifférent ou moins hostile aux productions de l’art étranger que le public routinier d’un théâtre, plus intelligent même, plus impartial et plus cosmopolite que les grands poètes nationaux qui charment ce petit public. […] Quelque humaines que soient ses comédies, elles sont françaises, et les étrangers ne les comprendront pas comme il faut, s’ils n’entrent pas bien dans l’intelligence de l’esprit français.

543. (1894) Critique de combat

Elle est devenue, pour l’étranger comme pour tous les lettrés du pays, le bureau de renseignements où l’on est obligé de s’adresser, quand on veut suivre l’évolution littéraire de la France. […] Il est reconnu à l’étranger pour un des penseurs les plus originaux du temps. […] On aura si bien fouillé la Russie, la Norvège, la Suède, la Hollande, l’Allemagne, que nos directeurs de théâtre ne sauront plus où trouver des pièces étrangères à monter. […] La pauvre France émasculée, appauvrie de ce qu’elle avait de plus énergique par la guerre étrangère et la guerre civile, a été en proie aux prêcheurs de découragement, aux artistes en déliquescence. […] Notre orthographe est illogique, semée de pièges, dure à apprendre pour les étrangers et les enfants du peuple.

544. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre II. La Nationalisation de la Littérature (1610-1722) » pp. 107-277

C’est comme s’il disait que le fond n’est rien, dans l’œuvre d’art, c’est la forme qui est tout ; et, tout le monde admettant d’ailleurs que les Grecs et surtout les Latins sont à peine des étrangers pour nous, mais plutôt des ancêtres, c’est d’abord en se libérant, par l’originalité de la forme, de toute influence étrangère, que la littérature devient véritablement nationale. […] Galamment et tout doucement, ils font entrer pour la première fois dans la littérature tout un ordre d’idées ou de faits qui jusqu’alors y étaient demeurés étrangers. […] III ; Moncourt, De la méthode grammaticale de Vaugelas, Paris, 1851 ; — Sayous, Littérature française à l’étranger, Paris et Genève, 1853, t.  […] Sayous, La Littérature française à l’étranger, Paris et Genève, t.  […] Sayous, Littérature française à l’étranger] ?

545. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Note. »

Pouvoir royal neutre, idée féconde tout à fait étrangère alors en France. — Jeu.

546. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 jusqu’à nos jours — II »

« Enfin, nous avoue-t-elle ingénument, je n’ai été étrangère à rien, j’ai pu parler passablement de tout ; mais je n’ai su parfaitement que ce qui se rapporte aux beaux-arts, à la littérature et à l’étude du cœur humain. » Je ne m’arrête pas à des anecdotes bien longues dont madame de Genlis nourrit habilement son récit : comment dans ses retraites au couvent elle barbouillait la nuit les vieilles religieuses, comment elle mystifiait le chevalier Tirtame, ou frappait aux vitres des paysans du village.

547. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — N — Nerval, Gérard de (1808-1855) »

Il s’inquiétait beaucoup de la prosodie des peuples étrangers, de ceux surtout qui ont une langue accentuée, notée, comme les Allemands, les Arabes, etc.

548. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pottecher, Maurice (1867-1960) »

On y apprend à la fois la nouvelle des grands événements qui agitent Paris, et celle de l’invasion étrangère.

549. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 223-229

Ces Articles prouvent combien cet Ecrivain est capable de joindre le mérite de penser avec justesse, à celui de s’exprimer avec grace, quand il ne cherche pas à sortir de lui-même, & à appliquer ses talens à des sujets qui leur sont étrangers.

550. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 532-537

Cette heureuse clarté, son plus solide appui, Et que l’Etranger même admiroit malgré lui ; Cet ordre lumineux, le nombre, & la cadence, Semblent abandonner nos Vers, notre Eloquence.

551. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Chœur. » pp. 21-24

En effet, ou le chœur parlait dans les entr’actes de ce qui s’était passé dans les actes précédents, et c’était une répétition fatigante ; ou il prévoyait ce qui devait arriver dans les actes suivants, et c’était une annonce qui pouvait dérober le plaisir de la surprise ; ou enfin il était étranger au sujet, et par conséquent il devait ennuyer.

552. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre II. Vue générale des Poèmes où le merveilleux du Christianisme remplace la Mythologie. L’Enfer du Dante, la Jérusalem délivrée. »

Toutefois ce sujet a, pour un Français, le défaut d’être étranger.

553. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

L’imitation des mœurs étrangères, cette tyrannie secrète qui s’insinue dans une nation sous la forme d’une mode, y avait altéré insensiblement les caractères et les esprits. […] Enfin, sous le règne d’un prince dont le premier acte politique avait été de faire reconnaître par l’Espagne la préséance de l’ambassadeur français sur l’ambassadeur espagnol à Rome, l’imitation, étrangère disparut. […] On n’y voyait plus rien de forcé ni d’étranger. […] Cet excès même de grandeur qui y pousse toute vertu à l’héroïsme, tout vice au crime, ne vient que d’une ressemblance trop fidèle avec un temps où l’imitation étrangère avait donné un air de mode même à la vertu. […] C’était un des fruits de cette intervention étrangère, que je charge de tous nos défauts d’alors, et qui ajoutait à la dépendance politique la servitude littéraire.

554. (1888) Portraits de maîtres

Par contre le même Chateaubriand apporta ou garda bien des préjugés dans l’examen des littératures étrangères ; en cette partie de son œuvre il laissa l’avantage à Mme de Staël. […] Ainsi les poètes étrangers, au moins italiens et anglais, furent lus et relus dans ses veilles studieuses. […] Ces deux publications ne prolongèrent aucun retentissement dans le public ; leur succès devait être déterminé par des causes étrangères à leur spéciale beauté. […] Il en résulte quelque confusion et je ne sais quoi d’étranger à la vraie notion d’une œuvre d’art. […] Il entra dans la vie d’étudiant avec la ferveur patriotique, l’illusion napoléonienne, la haine de l’ancien régime, l’horreur de l’étranger.

555. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Il ne reste sur la scène que les étrangers norvégiens, qui y paraissent pour la première fois et qui n’ont pris aucune part à l’action. […] Les sentiments qui appartiennent à son sexe ne lui sont point étrangers : elle aime son mari, connaît les joies d’une mère, et n’a pu tuer elle-même Duncan, parce qu’il ressemblait à son père endormi ; mais elle veut être reine. […] Elle aime don Félix et se hâte de lui en faire l’aveu ; mais le père du jeune homme s’oppose à leur mariage et envoie son fils dans une cour étrangère, pour lui faire oublier l’engagement qu’il n’approuve pas. […] Il est étonnant que Shakspeare soit considéré non seulement par les étrangers, mais par plusieurs des critiques de sa nation, comme un écrivain sombre et terrible qui ne peignit que des gorgones, des hydres et d’effrayantes chimères. […] La seule idée de ce genre qu’on puisse apercevoir dans le Roi Jean, c’est la haine de la domination étrangère l’emportant sur la haine d’une usurpation tyrannique.

556. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Il reconnut le Tasse, qu’il avait vu et cultivé à Ferrare, dans l’étranger agenouillé au pied d’une colonne. […] Toutefois ce sujet a, pour un Français, le défaut d’être étranger. […] « Peut-être le ciel propice veille sur l’humble innocence et la protége ; peut-être que, semblable à la foudre qui épargne les vallons et ne frappe que la cime des montagnes, la fureur de ces étrangers n’écrase que la tête altière des rois. […] Enfin on les dépose l’un et l’autre dans une tente séparée. » De telles citations suffisent pour donner à ceux à qui la langue du Tasse est étrangère de quoi pressentir le génie de son poème. […] Déjà une exception semblable avait été faite par les brigands de l’Apennin, entre Bologne et Florence, en faveur de l’Arioste ; peuple étrange, où les brigands mêmes ne sont pas étrangers au prestige des lettres, et où le crime lui-même se désarme devant les élus de la gloire comme devant les élus de Dieu.

557. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

La description wagnérienne est aussi un moyen à d’autres objets ; le Maître a vu que l’émotion n’était jamais en nous homogène, ni constante ; sans cesse, en nos douleurs les plus vives, des idées surviennent, tel souci étranger ; et, par des thèmes presque matériels, descriptifs, Wagner a coupé la musique lyrique, pour faire comprendre que l’idée reparaît, coupe l’émotion. […] Le mérite de l’auteur n’est pas moindre dans la suite, au long de l’œuvre, et sa version française, d’une précision si animée et d’une si exacte élégance, devrait servir de modèle à tous ceux qui entreprennent de traduire les ouvrages des écrivains étrangers. […] C’est en vain que la guerre de Trente-Ans accomplira son œuvre de destruction, détruisant la nation elle-même ; c’est en vain que l’élément étranger le plus frivole, s’insinuera dans les cours des princes, allant jusqu’à trouver des complices dans de nobles et vastes génies comme Haydn et Mozart : l’esprit national subsistera ; il fera surgir l’immortel Beethoven, le pauvre et grand solitaire, le légitime et glorieux héritier de Sébastien Bach ! […] Dans la presse étrangère, notons le « Musical Courrier » de New-York, qui publie, actuellement, une grande étude sur Richard Wagner, par M.  […] Pour André Cœuroy (Wagner et l’esprit romantique, Paris : Gallimard, 1965, p. 254) qui cite Dujardin, il ne fit que se contenter « de développer dans le style qui lui était propre l’analyse de l’Ouverture de Tannhäuser insérée dans le programme que l’ouvreuse lui avait remis » et rien n’est plus étranger à la pensée de Wagner que ce texte qu’il qualifie d’une « des excroissances les plus curieuses de la littérature wagnérienne ».

558. (1891) Esquisses contemporaines

Or la vérité n’est pas toute d’origine latine ; elle peut vivre ailleurs que sur notre sol, et la France, quoi qu’on en dise, offre une hospitalité plus large aux personnes qu’aux idées étrangères. […] Amiel n’y fut point étranger, et l’habitude de l’analyse intime, soutenue par les résultats des sciences anthropologiques modernes, ne fit qu’en accroître l’intensité. […] Au tarissement des intuitions créatrices, à l’incertitude de l’idéal à poursuivre, s’ajoute l’influence grandissante des littératures étrangères. […] Nous avions préparé le réveil des littératures nationales étrangères, et voici qu’elles pénètrent maintenant dans la nôtre pour y exercer une action morbide et dissolvante. […] Pour écrire, il passe volontiers le détroit et semble se trouver à l’étranger mieux à l’aise qu’en France.

559. (1929) Critique et conférences (Œuvres posthumes III)

Ce ne fut que plus tard et trop tard pour le moment qu’il sut que la malle était recélée chez les Z d’affreux étrangers. […] des étrangers ! […] Des voyages, de longs séjours à l’étranger, la maladie m’empêchèrent bien contre mon gré de revoir Charles Cros autant que j’aurais voulu. […] La congrégation était composée d’Irlandais, d’étrangers, et de deux ou trois vieilles familles anglaises. […] S’il se peut que la voix d’un humble étranger soit entendue dans ce très raisonnable concert, voilà la mienne, énergiquement.

560. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

En même temps, la littérature normande s’est desséchée ; séparée de la tige, et sur un sol étranger, elle a langui dans les imitations ; un seul grand poëte, presque Français d’esprit, tout Français de style, a paru, et après lui comme avant lui s’étale le radotage irrémédiable. […] L’Italien, le plus richement doué et le plus précoce de tous, mais de tous le plus incapable de discipline volontaire et d’austérité morale, se tourne du côté des beaux-arts et de la volupté, déchoit, se gâte sous la domination étrangère, se laisse vivre, oubliant de penser et content de jouir. […] Encore un regard ; car au-dessus de toutes ces figures un type surnage, le plus véritablement anglais, le plus saillant pour un étranger. […] Nul spectacle plus frappant pour un étranger que le dimanche à Londres.

561. (1860) Cours familier de littérature. IX « Le entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier (2e partie) » pp. 81-159

V Les récriminations des émigrés de la première date n’auraient pas laissé à Mathieu de Montmorency une autre hospitalité honorable à trouver alors sur la terre étrangère. […] Il cherchait aventure dans les événements et dans les partis ; véritable condottiere de la parole, conspirant, dit-on, peu d’années auparavant avec le duc de Brunswick contre la révolution française, conspirant maintenant avec quelques femmes la chute de Bonaparte, bientôt après fanatique à froid de la restauration de 1814, puis sonnant le tocsin de la résistance à Napoléon au 20 mars 1815 dans une diatribe de Caton contre César, huit jours après se ralliant sans mémoire et sans respect de lui-même à ce même Napoléon pour une place de conseiller d’État, prompt à une nouvelle défection après Waterloo, intriguant avec les étrangers et les Bourbons vainqueurs pour mériter une amnistie et reconquérir une importance ; échappé du despotisme des Cent-Jours, reprenant avec une triple audace le rôle de publiciste libéral et d’orateur factieux dans la ligue des bonapartistes et des républicains sous la monarchie parlementaire, poussant cette opposition folle jusqu’à la haine des princes légitimes sans cesser de caresser leurs courtisans, tout en fomentant contre eux l’ambition d’une dynastie en réserve, prête à hériter des désastres du trône légitime ; caressant et caressé après les journées de Juillet par le nouveau roi, recevant de lui le subside de ses nécessités et de ses désordres ; puis, honteux de l’avoir reçu, ne pouvant plus concilier sa dépendance du trône avec sa popularité républicaine, réduit ainsi ou à mentir ou à se taire, et mourant enfin d’embarras dans une impasse à la fleur de son talent : tel était cet homme équivoque, nourri dans le sein de quelques femmes politiques du temps. […] Sa raison était aussi légère que son imagination était inflammable ; il conçut pour la belle étrangère une passion qui lui enleva toutes les angoisses de la captivité, tous les souvenirs de sa patrie. […] Lord Wellington fut de ce nombre ; mais, blessée d’un mot de Suétone échappé au vainqueur de Waterloo, elle renonça à le voir, de peur d’avoir à se réjouir, devant un étranger, des désastres de Napoléon, son persécuteur.

562. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

Quelques pièces, comme celle des Contents d’Odet de Turnèbe (1581), valent par la franchise du style, qui dissimule le factice de ces arrangements de sujets étrangers. […] Et n’étant point laites d’après des originaux étrangers, elles indiquaient clairement la vie contemporaine comme le modèle d’après lequel il faut travailler. […] Don Juan, de même ; mais en vertu de son origine, la pièce est construite sur un patron | étranger, elle n’a que l’unité biographique et c’est une chronique découpée en tableaux dramatiques. […] La famille est détruite : ce père, ces enfants sont en face les uns des autres comme des étrangers, des ennemis, et des ennemis qui ne s’estiment pas.

563. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Froissart, au lieu de lettres qui auraient pu tomber en des mains étrangères, y glissait des chansonnettes. […] Après des études hâtées, il visita les pays étrangers, et se fit donner le nom d’Aventureux à cause de son goût pour les voyages. […] Il y a moins de mots étrangers, moins de saxon, moins de vieux gaulois, moins de latinisme dans les mots, sinon dans les tours, et peut-être plus de variété dans la phrase. […] Je trouve, dans un plan d’éducation rédigé par Mélanchthon pour Jean-Frédéric, duc de Stettin et de Poméranie, un passage qui prouve quel cas on faisait à l’étranger des Mémoires de Philippe de Comines.

564. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre troisième. La volonté libre »

Elle est éminemment propre à développer l’instinct de résistance à l’égard de toute force conçue comme étrangère à notre moi. […] Elle nous fournit, dans l’idée même de notre activité personnelle, un point d’appui pour l’action, un motif toujours présent et toujours capable de s’opposer aux sollicitations ou impulsions étrangères. […] On peut se déterminer contre les raisons, mais non pas pour cela sans causes ; seulement les causes peuvent être déraisonnables, ou du moins étrangères à la raison. […] Si ma volition finale est pour moi impénétrable, c’est qu’elle dépend de conditions étrangères à moi, conditions qui, pour leur part, la détermineront sans moi et peut-être contre moi.

565. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Sans parler des récits fabuleux sur les origines de Rome, auxquels il n’a manqué, pour en faire un véritable poëme à la façon de l’Iliade, que le génie, la langue et les chants de la Grèce primitive, il faut voir Tite-Live raconter les guerres de Rome contre les cités latines et les peuples italiens ou étrangers, les luttes entre les classes et les partis sur le forum où au sénat. […] Être aussi personnel dans l’exécution qu’impersonnel dans le but, être aussi sympathique aux idées et aux sentiments d’un peuple qu’étranger ou résistant à ses passions, voilà le véritable héros révolutionnaire, dont aucun d’entre nos plus célèbres personnages ne nous semble offrir le type. […] Le mérite des historiens de notre révolution n’est point d’avoir compris les nécessités politiques ou économiques évidentes qui pèsent sur le développement de ce grand drame, telles que la guerre étrangère, la guerre civile, la disette, la détresse des populations de Paris et des grandes villes ; c’est surtout d’avoir senti l’âme de cette révolution, avec ses passions bonnes et mauvaises, palpiter dans le cœur de tous les hommes qui ont été chargés de la diriger ou de la déchaîner. […] Les étrangers présents à la séance étaient muets d’étonnement ; pour la première fois ils avaient vu la France, toute sa richesse de cœur.

566. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — III. (Fin.) » pp. 246-261

Le degré de considération avec lequel il fut traité à l’étranger lorsqu’il y alla, fait partie de l’honneur des lettres à cette époque. […] À Gênes tout d’abord il rencontre le marquis de Lomellini, qui venait d’être doge : Nous nous revîmes, dit-il, avec cette joie que ressentent deux compatriotes qui se retrouvent en pays étranger : il n’y avait pourtant alors que moi qui le fusse.

567. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — II. (Fin.) » pp. 398-412

Mais j’ai voulu lire l’historien qui nous offre la contrepartie et le véritable complément de Villehardouin, le Byzantin Nicétas, homme de bien et de considération, lequel a raconté dans des pages émues et lamentables, bien que fleuries et académiques (comme nous dirions), le désastre de sa patrie, les brutalités du vainqueur, les spoliations de l’étranger, et les violations de tout genre commises sur cette cité alors unique et incomparable. […] Ils n’estiment rien que la vaillance, dit toujours Nicétas des Français d’alors et de ceux qu’il appelle Barbares, mais c’est la vaillance séparée des autres vertus ; ils la revendiquent pour eux comme infuse par nature et corroborée par un long usage, et ne souffrent qu’aucune autre nation puisse se comparer à eux en ces choses de guerre ; d’ailleurs étrangers aux Muses et n’ayant aucun commerce avec les Grâces, ils sont d’un naturel farouche, et ont la colère plus prompte que la parole.

568. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

À un certain endroit un pont, d’une seule arche se présente, jeté sur le gave, à quatre-vingt-dix pieds environ au-dessus du torrent : « Ce pont lui-même, antique et dégradé, revêtu de lierre qui pend de sa voûte en rustiques festons, a pris en quelque sorte l’uniforme de la nature, et a cessé d’être dans ce sauvage tableau un objet étranger. » L’uniforme de la nature est un de ces traits maniérés ou affectés qui se rencontrent quelquefois chez Ramond, mais qui ne sauraient compromettre le juste effet des ensembles. […] à quels climats est-elle totalement étrangère ?

569. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — III » pp. 90-104

Il l’expliqua un jour très gaiement, et avec beaucoup d’imagination et d’esprit, au roi Henri II, qui, au retour de ce siège, l’accueillit comme il devait et l’entretint longuement durant cinq heures d’horloge, se faisant tout raconter, et ses harangues, et ses ruses, et le détail des souffrances, mais le roi ne pouvait, malgré tout, concevoir encore comment il avait su s’accorder si bien et si longtemps avec une nation étrangère et délicate, surtout en de pareilles détresses. […] Il avait eu de tout temps le premier mouvement terrible, il érigea en système cette terreur : Ce n’est pas comme aux guerres étrangères, remarque-t-il, où on combat comme pour l’amour et l’honneur : mais aux civiles, il faut être ou maître ou valet, vu qu’on demeure sous même toit ; et ainsi il faut venir à la rigueur et à la cruauté : autrement la friandise du gain est telle, qu’on désire plutôt la continuation de la guerre que la fin.

570. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers (tome xviie ) » pp. 338-354

Pour moi, et, je pense, pour la plupart des lecteurs, la campagne de France, si louée, était auparavant, et malgré d’intéressants mais incomplets récits, un merveilleux poème écrit plus ou moins dans une langue étrangère que je ne comprenais qu’en gros, à peu près, que j’admirais un peu sur la foi des gens du métier : M.  […] Tous ceux qui en 1814 étaient à quelque degré pour la paix, pour la reddition et la capitulation, pour qu’on ne luttât point à outrance contre l’étranger, tous ceux-là allaient répétant : « À quoi bon ?

571. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Mémoires du duc de Luynes sur la Cour de Louis XV, publiés par MM. L. Dussieux et E. Soulié. » pp. 369-384

Colbert alla rendre compte au roi de ce qu’il venait de faire, et lui dit que Sa Majesté pouvait déclarer le carrousel, qu’il était même convenable qu’il fût annoncé dans toutes les cours étrangères et indiqué pour dans trois ou quatre mois. Ce conseil fut suivi exactement ; il vint de toutes parts un prodigieux nombre d’étrangers.

572. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

L’entretien s’animant à ce sujet, et continuant de parler de cette sorte de chanson et de son influence électrique sur les nations à certaines heures, Gœthe disait qu’il fallait pour cela qu’une nation n’eût qu’une tête et qu’un cœur et, à un moment donné, qu’une seule voix : « Mais, ajoutait-il, une poésie politique n’est aussi que l’œuvre d’une certaine situation momentanée qui passe et qui ôte à la poésie la valeur même qu’elle lui a donnée. » Il reconnaissait qu’il y avait seize ans, même dans cette Allemagne si divisée, mais unie alors dans un sentiment commun contre l’étranger, un poëte politique aurait pu exercer aussi son influence sur le pays tout entier, et il ajoutait : « Mais ce poëte était inutile : le mal universel et le sentiment général de honte avaient, comme un démon, saisi la nation ; le feu de l’inspiration qui aurait pu enflammer le poëte brûlait déjà partout de lui-même. […] Ces sortes de petits jugements mesquins et faux, glissés au bas d’un texte, font tache dans un livre ; ils font injure au grand esprit qu’on a l’honneur d’introduire à l’étranger.

573. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. (Suite et fin.) »

Il suivit de près son maître et se mit en route pour Dresde le 5 février 1810 : « Il quittait, après un séjour de près de quatre ans, nous dit-il, cette France, pays privilégié du Ciel, à tant de titres, où la civilisation, plus ancienne et plus complète qu’ailleurs, a donné aux lois de l’honneur et de la probité cette fixité d’axiomes qui, sans les faire peut-être observer davantage, ne laisse en problème ni en discussion rien de ce qui appartient aux bases des rapports sociaux et du commerce des hommes entre eux ; pays où le langage a une valeur mieux déterminée, où tous les ressorts de la vie sociale ont un jeu lus aisé, ce qui en fait, non comme ailleurs un combat, mais une source de jouissance. » J’aime de temps en temps ces définitions de la France par un étranger ; elles sont un peu solennelles sans doute et ne sont pas assurément celles que nous trouverions nous-mêmes ; nous vivons trop près de nous et trop avec nous pour nous voir sous cet aspect ; le jugement d’un étranger homme d’esprit, qui prend son point de vue du dehors, nous rafraîchit et nous renouvelle à nos propres yeux : cela nous oblige à rentrer en nous-mêmes et nous fait dire après un instant de réflexion : « Sommes-nous donc ainsi ? 

574. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand »

Envisagé à ce point de vue, l’Essai de sir Henry Bulwer, sans être complet, est tout à fait digne de l’homme d’État distingué qui l’a écrit, et il est piquant, pour nous Français, autant qu’instructif de voir des événements et des hommes avec lesquels nous sommes familiers, jugés dans un esprit élevé et indépendant par un étranger, qui d’ailleurs connaît si bien la France et qui, de tout temps, en a beaucoup aimé le séjour et la société, sinon les gouvernements et la politique. […] J’y existe, comme je l’ai toujours été, étranger à toutes les discussions et à tous les intérêts de parti, et n’ayant pas plus à redouter devant les hommes justes la publicité d’une seule de mes opinions politiques que la connaissance d’une seule de mes actions… » Sa réclamation étant restée vaine, il s’embarqua en ce temps pour les États-Unis.

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