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2395. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MADAME TASTU (Poésies nouvelles.) » pp. 158-176

La première de ces pièces, le Réséda, fut présentée à l’impératrice Joséphine en 1809, et valut à la muse précoce de vifs éloges, que sa modestie sut dès lors réduire. […] Entre tant de poëmes de circonstance, où le faste des mots et des ornements cachait mal la disette de l’inspiration, les Oiseaux du Sacre se distinguaient par leur originalité naïve, touchante, convenable à une délicatesse de femme, d’une femme qui savait aussi faire entendre des accents de liberté. […] du divin volume Où tes doux chants m’étaient ouverts, Je ne sais quel flot d’amertume Coulait en moi dans chaque vers. […] Voici donc cette réponse : Non, tous n’ont pas changé, tous n’ont pas, dans leur route, Vu fuir ton frais buisson au nid mélodieux ; Tous ne sont pas si loin ; j’en sais un qui t’écoute Et qui te suit des yeux. […] La précision même des détails nuit peut-être à une plus libre intelligence ; l’auteur suit trop pas à pas son chemin ; on s’aperçoit bien qu’on n’a point avec lui affaire à une pure fantaisie, mais on ne sait trop où il en veut venir.

2396. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

Ce qu’on sait mieux, c’est qu’à partir de cette rédaction sous Pisistrate, de nombreux travaux sont venus ordonner de plus en plus, resserrer, éclaircir et aussi polir dans le détail l’œuvre du poëte, en simplifier peut-être les contours, en faire mieux saillir le dessin, en rendre surtout plus nettes les épreuves et le texte même, jusqu’à ce qu’enfin l’œuvre soit sortie telle que nous la possédons, aussi parfaite et divine qu’on la pouvait désirer, des mains du plus grand des critiques, de celui dont le nom est devenu comme celui d’Homère un immortel symbole de perfection et de louange, — des mains d’Aristarque. […] On sait qu’Aristarque a quelquefois changé, qu’il a sans doute plutôt adouci ; qu’en cet endroit, par exemple, où Phœnix s’adressant à Achille dans l’espoir de le fléchir se reporte vers sa propre jeunesse et raconte comment lui-même il a failli un jour devenir parricide, le critique avait cru devoir retrancher cette parole terrible, pour ne pas faire tache à ce caractère vénérable qu’il craignait de voir profaner. […] Plutarque indique des précautions minutieuses pour faire lire les poëtes aux jeunes gens, et l’on sait les réserves de Platon. […] Aussi, en les abordant, en écoutant cette grande voix du passé par la bouche du chantre que la Muse s’est choisi, on n’a à gagner en toute sécurité qu’un je ne sais quoi de grandeur morale, une impulsion élevée de sentiments et de langage, un accès de retour vers le culte de ces pensées trop désertées qui restaurent et honorent l’humaine nature : c’est là, après tout, et la part faite aux circonstances éphémères, ce qu’il convient d’extraire des œuvres durables, et l’âme vivante qu’il y faut respirer. […] On sait quelle forte éducation première reçurent de tout temps les hommes d’État de la Grande-Bretagne dans leurs colléges de Cambridge, d’Oxford ou d’Eton.

2397. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

Dans les situations communes de la vie, on se fait illusion sur son propre mérite ; mais un sentiment actif fait découvrir à l’ambitieux la mesure de ses moyens, et sa passion l’éclaire sur lui-même, non comme la raison qui détache, mais comme le désir qui s’inquiète ; alors, il n’est plus occupé qu’à tromper les autres, et pour y parvenir, il ne se perd pas de vue ; l’oubli d’un instant lui serait fatal, il faut qu’il arrange avec art ce qu’il sait, et ce qu’il pense, que tout ce qu’il dit ne soit destiné qu’à indiquer ce qu’il est censé cacher : il faut qu’il cherche des instruments habiles, qui le secondent, sans trahir ce qui lui manque, et des supérieurs pleins d’ignorance et de vanité, qu’on puisse détourner du jugement par la louange ; il doit faire illusion à ceux qui dépendent de lui par de la réserve, et tromper ceux dont il espère par de l’exagération. Enfin, il faut qu’il évite sans cesse tous les genres de démonstration du vrai ; mais aussi agité qu’un coupable qui craint la révélation de son secret, il sait qu’un homme d’un esprit fin peut découvrir dans le silence de la gravité, l’ignorance qui se compose, et dans l’enthousiasme de la flatterie, la froideur qui s’exalte. […] On sait que son espoir était de s’immortaliser par des services publics, que les couronnes de la renommée furent le seul prix dont il poursuivit l’honneur ; il semble que les hommes en l’abandonnant courent des risques personnels. […] Dans ces temps, pour dominer à un certain degré les autres hommes, il faut qu’ils n’aient pas de données sûres pour calculer à l’avance votre conduite, dès qu’ils vous savent inviolablement attachés à tels principes de moralité, ils se postent en attaque sur la route que vous devez suivre. […] Il ne partage point les terreurs que l’ignorance fait éprouver, mais il faut qu’il accomplisse les affreux sacrifices qu’elle demande ; il faut qu’il immole des victimes qu’aucun intérêt ne lui fait craindre, que son caractère souvent lui inspirait le désir de sauver ; il faut qu’il commette des crimes sans égarement, sans fureur, sans atrocité même, à l’ordre d’un souverain dont il ne peut prévoir les commandements, et dont son âme éclairée ne saurait adopter aucune des passions.

2398. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre II. Diderot »

En littérature, il a la plus vaste lecture, il regarde l’étranger, et il sait le xviie  siècle. Il sait aussi beaucoup sur l’antiquité, et ce ne sont pas de vagues impressions d’une lecture rapide ; il voit le détail, il cherche l’exactitude ; s’il lit llorace, il le lit en philologue, en poète, en historien ; s’il lit Pline, il le lit toujours en philologue, mais en peintre, en archéologue, en chimiste ; il prend chaque ouvrage du côté dont un homme de métier le prendrait, avant d’y appuyer ses rêveries personnelles. […] Je ne sais s’il a jamais rien fait qui ne soit à l’occasion de quelque chose, et comme une immense réaction de son être contre une impression extérieure. […] Il ne saurait y être, et on n’y a que faire de lui. […] Le scrupule, la délicatesse sur les moyens sont des grimaces absurdes, quand on est assuré de son intention, et qu’on la sait bonne : voyez le curieux dialogue, Est-il bon ?

2399. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode. » pp. 317-337

Au moins on sait à quoi l’on a affaire. […] Le médecin Alexandre doit conduire à cette même assemblée Attale et Æmilia, qui sont curieux de savoir ce que c’est que ces chrétiens. […] Oui, je sais que la vieille humanité est abominable et que, dans le fond, elle aime le sang et la souffrance d’autrui. […] Elle aurait des mots simples et profonds, que je ne me charge point de trouver, des mots qui ressembleraient à quelques-uns de ceux que Tolstoï a su prêter au vieil Akim ou à Platon Karatief. […] Éphraïm et La Rode ne s’entendent pas plus mal que d’autres à « mouvoir les masses. » Si la pièce était représentée (et je ne vois pas pourquoi l’Odéon n’en tenterait pas l’épreuve), peut-être paraîtrait-elle au public intéressante, colorée, violemment dramatique, qui sait ?

2400. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verlaine, Paul (1844-1896) »

Charles Maurras Verlaine laisse un grand nom ; mais je ne sais s’il laisse une œuvre. […] Je ne saurais le préférer ici ou là. […] Charles Van Lerberghe La meilleurs partie de l’œuvre de Verlaine me paraît être celle oh il fut dans toute la candeur de son âme, dans toute sa simple grâce charmante, cette sorte de Villon ingénu et repentant qu’il sut être jusque dans la vie. […] Maurice Beaubourg Je ne saurais absolument vous dire quelles sont les meilleures parties de l’œuvre de Paul Verlaine. […] Je sais maintenant que Paul Verlaine avait tenu la plus grande et la plus juste place dans l’admiration et la sympathie des écrivains nouveaux.

2401. (1890) L’avenir de la science « XXI »

je ne sais quelle timidité s’est emparée chez nous des esprits. […] Les monstres ne sauraient naître sous le paisible régime d’équilibre qui a succédé aux tempêtes des premiers âges. […] Sans l’idée du progrès, on ne saurait rien comprendre aux mouvements de l’humanité. […] Ce sont des gens qui ont la bêtise d’être heureux. » Cela n’est pas bien exact : être heureux n’est pas chose vulgaire ; il n’y a que les belles âmes qui sachent l’être. […] Chacun a éprouvé l’effet humiliant et désagréable que produit toute consigne prohibitive, lors même qu’on la sait générale : c’est une limite.

2402. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVII. Forme définitive des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Plusieurs de ceux qui sont ici présents ne goûteront pas la mort sans avoir vu le Fils de l’homme venir dans sa royauté 797. » Il reproche à ceux qui ne croient pas en lui de ne pas savoir lire les pronostics du règne futur. « Quand vous voyez le rouge du soir, disait-il, vous prévoyez qu’il fera beau ; quand vous voyez le rouge du matin, vous annoncez la tempête. Comment, vous qui jugez la face du ciel, ne savez-vous pas reconnaître les signes du temps 798 ?  […] En acceptant les utopies de son temps et de sa race, Jésus sut ainsi en faire de hautes vérités, grâce à de féconds malentendus. […] Qui sait si le dernier terme du progrès, dans des millions de siècles, n’amènera pas la conscience absolue de l’univers, et dans cette conscience le réveil de tout ce qui a vécu ? […] Il est sûr que l’humanité morale et vertueuse aura sa revanche, qu’un jour le sentiment de l’honnête pauvre homme jugera le monde, et que ce jour-là la figure idéale de Jésus sera la confusion de l’homme frivole qui n’a pas cru à la vertu, de l’homme égoïste qui n’a pas su y atteindre.

2403. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre IV : La Volonté »

On n’arrive à flairer un objet que quand on sait fermer la bouche et aspirer. […] La question de la liberté de choix consiste donc à savoir si l’action est mienne ou si une autre personne s’est servie de moi comme instrument, et l’on ne saurait trop déplorer que la psychologie se soit arrêtée si longtemps sur une difficulté toute gratuite. […] La plupart des gens savent qu’ils pensent et sentent, sans connaître avec exactitude les lois de la pensée, les coexistences et séquences mentales, tout comme les sens leur révèlent les étoiles, rivières, montagnes, villes, etc., mais sans leur donner une connaissance précise et exacte. […] Si nous voulons sortir de ce court moment, il faut avoir recours à la mémoire, et nous savons qu’elle est faillible.

2404. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre II. Le cerveau chez les animaux »

Chapitre II Le cerveau chez les animaux Ou sait l’admiration qu’inspirait à Voltaire le troisième chant du poème de Lucrèce. […] Que l’on enlève à un animal, une poule ou un pigeon par exemple, les deux hémisphères cérébraux, l’animal ne meurt pas pour cela : toutes les fonctions de la vie organique continuent à s’exercer ; mais il perd tous ses sens et tous ses instincts, il ne voit plus, il n’entend plus ; il ne sait plus ni se défendre, ni s’abriter, ni fuir, ni manger, et s’il continue de vivre, c’est à la condition que l’on introduise mécaniquement de la nourriture dans son bec. […] En effet, tout ce que nous savons des mœurs, des habitudes, des instincts propres aux poissons, nous oblige à regarder ces animaux comme généralement inférieurs aux insectes, et à les placer fort au-dessous des fourmis et des abeilles, tandis que leur système nerveux, comme celui de tous les vertébrés, offre de nombreux caractères qui le rapprochent du système nerveux de l’homme. » De cette considération, Leuret conclut, à l’inverse de Gratiolet, « qu’il ne faut pas attribuer à la forme de la substance encéphalique une très grande importance11. » Sans sortir de l’ordre des mammifères, il est très difficile d’attribuer une valeur absolue à la forme cérébrale, car s’il est vrai que le singe a un type de cerveau tout à fait semblable à celui de l’homme, en revanche, nous dit Lyell, « l’intelligence extraordinaire du chien et de l’éléphant, quoique le type de leur cerveau s’éloigne tant de celui de l’homme, cette intelligence est là pour nous convaincre que nous sommes bien loin de comprendre la nature réelle des relations qui existent entre l’intelligence et la structure du cerveau » 12. […] Or nous savons par Frédéric Cuvier que l’ordre d’intelligence chez les mammifères est précisément celui que nous venons d’indiquer : à savoir les rongeurs, les ruminants, les pachydermes, les carnassiers, les singes et l’homme.

2405. (1854) Préface à Antoine Furetière, Le Roman bourgeois pp. 5-22

Cet auteur, d’une incontestable originalité, d’un immense savoir et d’une rare intelligence au travail, peut passer pour exemple de ce qu’une seule mauvaise qualité peut faire perdre à une réunion de facultés éminentes. […] Que sait-on de la vie de Juvénal, si ce n’est qu’il vécut pauvre et paya de dix ans d’exil le mépris qu’il exprima pour les débordements honteux de Domitien ? […] L’Académie n’a jamais pardonné à Furetière d’avoir prouvé que, pour exécuter un monument de critique et de vaste érudition, un seul cerveau bien organisé valait mieux qu’une réunion d’esprits inégaux de savoir et d’aptitude. […] On sait quelle indignation éprouvant Saint-Simon à voir tomber aux mains des Pontchartrain, des Le Tellier, des La Vrillière, les ministères et les charges d’état, jusque là dévolus aux ducs. […] À l’égard de Dieu, il vous saura sans doute très bon gré de lui sacrifier votre ressentiment et de lui offrir des prières pour un mort qui en auroit besoin plus qu’un autre, quand il ne seroit coupable que de l’animosité qu’il a montrée contre vous.

2406. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Nièces de Mazarin » pp. 137-156

De l’aventurier : — on ne sait d’où il était sorti. […] Attiré, mais non enivré, esprit trop solide pour ne pas savoir résister à l’ivresse, Amédée Renée a la légèreté et l’aplomb qu’il faut pour badiner agréablement avec ces dentelles et passer outre, et, comme les femmes qu’il nous raconte touchaient à tout dans le monde de leur temps, il se rencontre qu’en ayant l’air de ne s’occuper que de cette heptarchie de nièces, il nous raconte le temps lui-même, et nous le montre par des côtés moins solennels et moins pompeux que ceux-là sous lesquels nous sommes habitués à le regarder. […] Plus on sait l’histoire, mieux on doit l’avouer : les fortes mœurs françaises finissent avec le Moyen Âge. […] L’ancien intendant, qui savait par livres et deniers ce qu’avaient coûté tous ces chefs-d’œuvre, fit ce qu’il put pour sauver le reste ; mais le roi, habitué à l’affection et aux égards pour le grand-maître (il était grand-maître de l’artillerie, ce destructeur), se contenta de déplorer ses aberrations. […] Mais son influence fut salutaire ; et sait-on bien tout ce qu’on lui doit ?

2407. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Eugène Fromentin ; Maxime du Camp »

Quand on veut faire de la littérature de voyages, savez-vous comment on s’y prend ? […] Même pour ceux qui inclinent avec le plus de curiosité vers ces lectures, toujours un peu badaudes, même pour ceux qui n’ont pas le mépris littéraire qui convient pour des livres écrits en courant et comme sous la dictée des choses matérielles, le voyage, en soi, est si peu de chose, qu’il ne vaut guères que par le voyageur qui le raconte et qui sait y imprimer cette personnalité que rien ne remplace lorsque l’auteur ne l’y met pas. […] En effet, c’est d’un séjour d’un an qu’il est question en cet écrit, et d’un séjour recommencé, ce qui donne à l’ouvrage un charme de passé que ne connaissent pas d’ordinaire les livres de voyage, qui poussent droit devant eux la tête en avant, et ne savent pas la retourner en arrière avec cette mélancolie qui convient si bien aux livres des hommes ! […] Or, savez-vous ce qui en repose ? […] Et surtout quand on est soi-même un autre immortel qu’un immortel d’Académie, un autre homme que ceux-là qui le sont pour rire ou pour faire rire, et dont on est obligé d’écrire les noms sur le dos de leur fauteuil pour qu’on sache un jour qui s’est assis là !

2408. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » p. 139

Si elle eût su se borner à son vrai genre, elle jouiroit, sans aucun reproche, d’une place distinguée parmi les femmes qui font le plus d’honneur au Parnasse François. […] Elle a su y réunir le naturel de Théocrite, les graces & l’élégance de Virgile, à la délicatesse de Moschus & à la finesse de Bion.

2409. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 218-219

Trop de prolixité, peu de connoissance du monde, défaut assez ordinaire, & même louable, à certains égards, dans un homme de son état, affoiblissent une partie de l’intérêt qu’il a su y répandre. Mais nous avons tant de Romans corrupteurs, plus mal écrits encore, qu’on ne sauroit trop applaudir cet estimable Religieux d’avoir consacré sa plume à des sujets qui ne peuvent qu’édifier le plus grand nombre des Lecteurs.

2410. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

Il sait la fin de la vie, il en sait la divine origine !  […] Ses favoris furent, on le sait, son barbier et son coupe-tête. […] Sa mère l’avait fait tout florentin, avec je ne sais quoi d’asiatique. […] On comptait ses paroles, parce qu’on savait qu’elles seraient pesées. […] Qui sait ?

2411. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » p. 78

Après avoir débuté, dans la carriere des Lettres, par des Journaux & d’autres Ouvrages de critique, où il a su généralement observer les regles du goût & celles de l’honnêteté ; il a renoncé au dangereux office de Journaliste & de Critique, dans la crainte d’être forcé de louer des Ouvrages foibles, ou de s’attirer des ennemis, en les appréciant à leur juste valeur. […] M. l’Abbé de Laporte a compilé, il est vrai ; mais il a su revêtir de son style, toujours facile & souvent agréable, la plupart des Ouvrages dont il a donné des Abrégés.

2412. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » p. 220

L’Histoire de Saladin mériteroit l’estime des Savans, quand elle ne feroit recommandable que par les recherches qu’elle suppose, & la clarté avec laquelle l’Auteur a su débrouiller les fastes obscurs de la Chronologie arabesque ; mais une qualité plus estimable, c’est l’adresse avec laquelle il a su dire la vérité, sans insulter aux préjugés du Public.

2413. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — O. — article » p. 429

Quiconque lira avec réflexion ses Mémoires historiques & critiques, sur les objets les plus importans du grand Empire des Egyptiens, sera forcé de convenir qu’il a su allier au mérite du savoir, celui d’un style simple, concis, énergique, qualités qui lui donnent un nouveau prix.

2414. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Il y a plaisir en tout temps à ces sortes d’études secrètes, et il y aura toujours place pour les productions qu’un sentiment vif et pur en saura tirer. […] Diderot savait mieux que personne les défauts de son œuvre ; il se les exagérait même, eut égard au temps, et se croyant né pour les arts, pour la géométrie, pour le théâtre, il déplorait mainte fois sa vie engagée et perdue dans une affaire d’un profit si mince et d’une gloire si mêlée. […] Je sais d’ailleurs quels reproches sévères et réversibles sur tout le siècle doivent tempérer ces éloges, et j’y souscris entièrement ; mais l’esprit antireligieux qui présida à l’Encyclopédie et à toute la philosophie d’alors ne saurait être exclusivement jugé de notre point de vue d’aujourd’hui, sans presque autant d’injustice qu’on a droit de lui en reprocher. […] Diderot dit que c’était une des plus puissantes affections de l’homme : « Un cœur paternel, repris-je ; non, il n’y a que ceux qui ont été pères qui sachent ce que c’est ; c’est un secret heureusement ignoré, même des enfants. » Puis continuant, j’ajoutai : « Les premières années que je passai à Paris avaient été fort peu réglées ; ma conduite suffisait de reste pour irriter mon père, sans qu’il fût besoin de la lui exagérer. […] Je pensai juste. » Là, je m’arrêtai et je demandai à mon religieux s’il savait combien il y avait d’ici chez moi : « Soixante lieues, mon père ; et s’il y en avait cent, croyez-vous que j’aurais trouvé mon père moins indulgent et moins tendre ? 

2415. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

Il n’avait pas l’étoffe d’un ambitieux : il ne savait pas mettre l’orgueil bas. […] Je ne sais si Chateaubriand a choisi librement ses moyens. […] Le sublime de la forêt américaine, la grâce nette des montagnes grecques, la grandeur du cirque romain, le tohu-bohu bariolé du campement oriental, les ciels bas et brumeux de la Germanie et les riants soleils d’Italie, les architectures exquises et les vierges solitudes, toutes les formes que la nature et l’homme ont offertes à ses yeux, il a tout su voir et tout su rendre. […] Sans Chateaubriand, qui sait si l’on eût eu Michelet ? […] Je ne sais si la lecture des Mémoires d’outre-tombe (la partie postérieure à 1815), n’a pas été pour quelque chose dans la conception historico-sociale des Misérables.

2416. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

Wagner, quand il voulait, savait pourtant composer musicalement ces effets descriptifs ! […] Mais Wagner y tenait furieusement ; et l’on sait qu’il se fâcha avec le baron de Hülsen, qui, un jour qu’il était venu exprès à Wahnfried lui proposer de représenter le Ring, lui demandait la suppression du « bétail ». […] Les lecteurs de la Revue savent, à n’en pas douter, que mon directeur et moi professons des opinions agréablement différentes sur un grand nombre de points. […] Car vous le savez, il y en eut un ! […] Or, il faut savoir ce qu’on entend généralement par un « artiste » : c’est un être créé uniquement pour produire et non pour penser ; quand il a le malheur de réfléchir avant d’agir, il lui arrive ce qui est arrivé, d’après M. 

2417. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

Nous savons donc, sans nulle erreur possible, d’où procède le naturalisme et nous pourrons, cette base une fois reconnue, en découvrir tout-à-l’heure la pensée profonde. […] Nous le savons ou le pressentons. […] Je trouve nos démocraties d’un intérêt poignant, travaillées par le terrible problème de la loi du travail, si débordantes de souffrance et de courage, de pitié et de charité humaines, qu’un grand artiste ne saurait à les peindre, épuiser son cerveau ni son cœur. […] Je ne sais pourquoi quelques-uns de ses personnages et de ses tableaux m’apparaissent comme un artifice de réalité, et me semblent créés par la volonté violente d’un esprit tout plein d’une formule, au lieu de jaillir naturellement du contact de la nature, du pur et simple sentiment de vie dans l’être du romancier. […] La question est alors de savoir si la soif de vie inassouvie peut valoir en fécondité réelle pour l’artiste, cette même soif assouvie, et si l’esprit qui regarde de l’extérieur vibrer la matière vaut l’être qui la sent intérieurement vibrer en lui-même.

2418. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 365-366

Ces sortes de questions, nous le remarquerons ici, ne sauroient être agitées qu’avec de grands inconvéniens. […] A cela près, l’Auteur a su en rendre la lecture intéressante ; ce qui n’est pas un petit mérite dans un Ouvrage de pure Métaphysique.

2419. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » p. 68

Victor, devenue, comme on sait, une des Bibliotheques publiques. […] Par-là il s’est assuré des droits sur la reconnoissance des Littérateurs, auxquels il a su se rendre utile, même après sa mort.

2420. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVIII. Gentils conteurs » pp. 218-231

Pierre Veber a su nous donner presque un frisson en imaginant un dialogue de critiques surpris par l’arrêt de l’éclairage électrique en un couloir de théâtre. […] Nous ne savons rien, nous comparons. […] On ne verra pas ici d’ironie, on sait que les Mains et la Gardienne sont d’un des rares bons poètes d’une génération qui en compte peu. […] Et peut-être trop de fois lûmes-nous des contes commençant par ces mots : « Chacun avait raconté sa première aventure d’amour… Moi, commença Jacques Vergnieux, etc. » et finissant par : « Jacques s’était tu, Cernesse ne songeait point à railler, et personne n’osait parler le premier dans le silence. » Il faut savoir gré pourtant à M. 

2421. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre III. Éducation de Jésus. »

Il apprit à lire et à écrire 121, sans doute selon la méthode de l’Orient, consistant à mettre entre les mains de l’enfant un livre qu’il répète en cadence avec ses petits camarades, jusqu’à ce qu’il le sache par cœur 122. […] Jésus fréquenta peu les écoles plus relevées des scribes ou soferim (Nazareth n’en avait peut-être pas), et il n’eut aucun de ces titres qui donnent aux yeux du vulgaire les droits du savoir 126. […] Il n’est pas probable qu’il ait su le grec. […] Jésus ne sut rien de ce progrès.

2422. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXIII » pp. 237-250

Si on trouvait leurs lettres, on en tirerait de grands avantages… On apprendrait toute la politesse du style et la plus délicate manière de parler sur toute chose Elles ont su les affaires de tous les états du monde, toutes les intrigues des particuliers, soit de galanterie ou d’autres choses où leurs avis ont été nécessaires… C’étaient des personnes par les mains desquelles le secret de tout le monde avait à passer. […] Madame de La Sablière regarda d’abord cette distraction, cette désertion ; elle examina les mauvaises excuses, les raisons peu sincères, les prétextes, les justifications embarrassées, les conversations peu naturelles, les impatiences de sortir de chez elle, les voyages à Saint-Germain où il jouait, les ennuis, les ne savoir plus que dire ; enfin, quand elle eut bien observé cette éclipse qui se faisait, et le corps étranger qui cachait peu à peu tout cet amour si brillant, elle prit sa résolution, le ne sais ce qu’elle lui a coûté. […] Voilà la route que Dieu avait marquée à cette jolie femme… » Madame de Sévigné ne savait pas tout.

2423. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre neuvième. »

Lamotte, qui a fait un examen détaillé de cette fable, dit qu’on ne sait quelle est l’idée qui domine dans cet Apologue, ou des dangers du voyage, ou de l’inquiétude de l’amitié, ou du plaisir du retour après l’absence. […] Cette critique de Lamotte n’est peut-être pas sans fondement ; mais que dire contre un poète qui, par le charme de sa sensibilité, touche, pénètre, attendrit votre cœur, au point de vous faire illusion sur ses fautes, et qui sait plaire même par elles ? […] Je ne sais pourquoi La Fontaine fait souvent le mot poète de deux (trois ?) […] Je ne sais comment La Fontaine a pu faire une aussi mauvaise petite pièce sur un sujet de morale si heureux : tout y porte à faux.

2424. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Prévost-Paradol » pp. 155-167

Propre à tout, d’une facilité de rédaction qui ressemble à du mécanisme, il parla de l’Antiquité, ce sujet universitaire, ce pensum affreux qu’il faut faire aux Débats pour démontrer que l’Université en sait aussi long que les Jésuites en fait de grec et de latin. […] Or, savez-vous quel était ce regret qui rongeait Paradol, cet heureux littéraire, et pourriez-vous jamais vous en douter ? […] Jamais la rhétorique, dont le défaut, comme on sait, n’est pas la hardiesse, n’est allée plus loin sous une plume d’École normale qu’elle ne va, en ces deux volumes, sous la plume de Prévost-Paradol. […] Nous qui savons comment se brassent les renommées, nous pensons que Prévost-Paradol avait tout ce qu’il faut — ou tout ce qu’il ne faut pas — pour étendre de plus en plus la sienne.

2425. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jules Girard » pp. 327-340

Dès les premiers mots de son introduction, nous savons parfaitement ce que c’est que M.  […] Il l’adore tant, que ces mots de sévère et de sévérité reviennent je ne sais combien de fois à toute page de son livre et que jusqu’à l’œil, l’œil physique, en est importuné. […] Il est de la Grèce harangueuse, disputeuse et civilisée, qui doutait au lieu d’affirmer, tandis qu’Hérodote, par exemple, le religieux et majestueux Hérodote, étant d’un temps et d’une race qui savaient affirmer, est par cela seul plus grand que lui ! […] Nous savons ce que c’est… dans notre pays !

2426. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Maintenon » pp. 27-40

Assurément, aux yeux de qui sait discerner et sait conclure, l’histoire de la maison de Saint-Cyr, du temps de Louis XIV et de madame de Maintenon, telle que Lavallée nous la raconte, est une vue, prise par un côté nouveau, sur l’esprit et les mœurs du grand siècle, saisis, comme au plus frais et au plus pur de leur source, dans l’âme des jeunes filles qui y étaient élevées et dans l’éducation qu’on leur donnait. […] Madame de Maintenon n’est ni une maîtresse ni une favorite ; mais pour cela elle n’est pas moins femme, et c’est ce qu’on ne saurait trop admirer. […] Le calme et la solidité qui nous donnent l’idée des choses éternelles, et qui faisaient comme la substance de l’esprit de madame de Maintenon, n’attirent guères que les esprits qui savent ce que valent, et quelquefois ce que coûtent, de telles qualités.

2427. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXII. L’Internelle Consolacion »

On sait s’ils s’entendent en précaution, messieurs les philosophes. […] L’imitation n’est point et ne saurait être le premier des livres humains, car il n’est pas humain de confondre la cité domestique et la cité monastique, comme le faisait le vieux Tyrcis, qui ne comprenait pas plus l’une que l’autre, et comme le feraient tous ceux, qui ne verraient pas que l’Imitation est une œuvre exclusivement monacale. […] Et voilà pourquoi surtout le monde s’est précipité, sans l’atteindre, vers cette ombre vague de moine blanc, masqué jusqu’aux yeux de son capuchon, et qui fuit tout là-bas, dans les entrecolonnements d’on ne sait plus quel monastère ! […] Pourvu que nous ne tombions pas dans le système rasé de bien près par les éditeurs, à la page 14 de leur Introduction, dans cette immense bourde allemande qui a décapité Homère et qui répugne à la constitution même de l’esprit humain, que nous importe de savoir si l’Imitation s’appelait A Kempis ou de toute autre réunion de syllabes.

2428. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Georges Caumont. Jugements d’un mourant sur la vie » pp. 417-429

I Voici plusieurs années que cette chose, qui n’est pas un livre, existe à la vitrine d’une librairie, et je ne sais pas encore qui en a parlé, ou même si on en a parlé, parmi les tripoteurs de bruit qui battent et font mousser, dans les journaux, les petites omelettes soufflées des réputations. […] Nous qui croyons à l’âme, nous lui savons gré de son âme ! […] — dit-il quelque part, bondissant sous elle, — l’écrasante et affolante pensée d’un Dieu tout-puissant, qui, non content de tyranniser nos corps, tyrannise nos cœurs, en nous ôtant la force même de nous plaindre, parce que nous savons que l’iniquité même sera juste si le caprice de celui qui peut tout l’a décidé ainsi… » Voilà Job et le poitrinaire qui meurent à Madère, — et c’est lui, Georges Caumont, fou des terreurs de Dieu, et qui, de la religion qu’il réprouve, n’a gardé que la croyance à l’enfer… « Non ! […] … Son éditeur (un ami au doigt sur sa bouche) ne le dit pas, et j’aurais pourtant bien voulu savoir le dernier mot de cette rugissante agonie, qu’il nous décrit, à mesure qu’elle vient, avec une rage plus forte que la vie.

2429. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Lamartine »

Virgile, à qui il est fatal de le comparer, était, malgré le peu qu’on en sait, un poète littéraire. […] » et qui l’avait fui, comme l’hirondelle, car à peu près personne ne savait que cette romance fût de Lamartine, il n’y a rien dans ces Mémoires inédits qui accuse la prétention, l’ambition, l’orgueil et même l’amour de la littérature. […] C’était l’arbre qui laisse tomber ses fruits et qui ne sait pas que les fruits qui roulent à ses pieds sont tombés de sa tête. […] Encore une fois, qui sait ?

2430. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Ferdinand Fabre »

Comme Godwin, ce fort romancier anglais qui le premier eut l’audace de faire un livre où l’intérêt n’est plus l’amour, Ferdinand Fabre s’est adressé à d’autres passions que celle de la femme, et il a prouvé que, démêlées par une griffe de moraliste qui sait les carder, elles sont d’un intérêt, pour qui les comprend, tout aussi intense que la banale passion de la femme, qui est au niveau de toutes les âmes, même les plus basses… C’est l’ambition aussi — comme l’auteur du Caleb William — que Fabre a mise en scène dans son nouveau roman ; mais c’est l’ambition spécialisée dans un prêtre, c’est-à-dire la plus profonde, la plus terrible et la plus grandiose des ambitions ! […] … Si Fabre n’avait pas eu celles que je lui reproche, Dieu sait ce que son livre que j’aime, et que je voudrais un chef-d’œuvre, y aurait gagné ! […] Ses colères de porcher, s’il en eut, lui, il les boucla et les ardillonna sous son froc de capucin, et il sut jouer cette comédie de la vieillesse, que Capdepont n’aurait pas jouée, qui faisait dire au cardinal San Severino, plus jeune que lui de quelques années, car il ne faut que quelques années de moins sur la tête pour qu’un sot se fasse méprisant : « Ne nous opposons pas à ce pauvre vieux, parce que nous serons les maîtres ! » Or, on sait comme il fut vieux et comme ils furent les maîtres !

2431. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Catulle Mendès »

La vie, si on la connaissait, de ce prodigieux acrobate, qui a su se faire de sa mutilation une grâce de plus, et dont l’énergique volonté a remplacé, par un art inouï, le membre le plus nécessaire ù son art, doit être bien autrement attachante que l’histoire de la jambe cassée et pleurée du clown de M. de Goncourt ! […] Mendès, et quand il les lut, il dut se tâter comme Sosie pour savoir si réellement elles n’étaient pas de lui, et s’il ne les avait pas composées dans quelque somnambulisme intellectuel ? […] Il serait curieux de savoir quelles furent les sensations de Victor Hugo quand il lut, pour la première fois, ces Contes épiques, que La Légende des siècles avait inspirés. […] Mais qui eût pu savoir cela que lui ?

2432. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Edgar Poe » pp. 339-351

Quoique marié (son biographe ne nous dit pas à quel autel) quoique marié à une femme qu’il aima, prétend-on, — mais nous savons trop comment aiment les poëtes, — la famille ne créa point autour de lui d’atmosphère préservatrice. […] — La curiosité de l’incertain qui veut savoir et qui rôde toujours sur la limite de deux mondes, le naturel et le surnaturel, s’éloignant de l’un pour frapper incessamment à la porte de l’autre, qu’elle n’ouvrira jamais, car elle n’en a pas la clef ; et la peur, terreur blême de ce surnaturel qui attire, et qui effraye autant qu’il attire ; car, depuis Pascal peut-être, il n’y eut jamais de génie plus épouvanté, plus livré aux affres de l’effroi et à ses mortelles agonies, que le génie panique d’Edgar Poe ! […] Mais pour le faire, ce drame, pour grossir cet atome en le décomposant, il se sert d’une analyse inouïe et qu’il pousse à la fatigue suprême, à l’aide d’on ne sait quel prodigieux microscope, sur la pulpe même du cerveau. […] Ce spleenétique colossal, en comparaison de qui lord Byron, ce beau lymphatique, ne nous apparaît plus que comme une vaporeuse petite maîtresse ; ce spleenétique colossal, malgré l’infiltration morbide de son regard d’aliéné, a les lucidités flegmatiques et transperçantes du condamné qui se sait sur son échafaud.

2433. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVII. Des panégyriques ou éloges adressés à Louis XIII, au cardinal de Richelieu, et au cardinal Mazarin. »

Ils l’ont peint comme un esprit souple et puissant, qui, malgré les ennemis et les rivaux, parvint aux premières places, et s’y soutint malgré les factions ; qui opposait sans cesse le génie à la haine, et l’activité aux complots ; qui, environné de ses ennemis, qu’il fallait combattre, avait en même temps les yeux ouverts sur tous les peuples ; qui saisissait d’un coup d’œil la marche des États, les intérêts des rois, les intérêts cachés des ministres, les jalousies sourdes ; qui dirigeait tous les événements par les passions ; qui, par des voies différentes, marchant toujours au même but, distribuait à son gré le mouvez ment ou le repos, calmait la France et bouleversait l’Europe ; qui, dans son grand projet de combattre l’Autriche, sut opposer la Hollande à l’Espagne, la Suède à l’Empire, l’Allemagne à l’Allemagne, et l’Italie à l’Italie ; qui, enfin, achetait partout des alliés, des généraux et des armées, et soudoyait, d’un bout de l’Europe à l’autre, la haine et l’intérêt.  […] On sait qu’en général Mazarin était timide et faible ; il caressait les ennemis dont Richelieu eût abattu les têtes. […] Il n’eut ni dans les factions la fierté brillante et l’esprit romanesque et imposant du cardinal de Retz, ni dans les affaires l’activité et le coup d’œil d’aigle de Richelieu, ni dans les vues économiques les principes de Sully, ni dans l’administration intérieure les détails de Colbert, ni dans les desseins politiques l’audace, et je ne sais quelle profondeur vaste du cardinal Alberoni. […] Quillet (c’est le nom du poète), ennemi du cardinal, on ne sait pourquoi, dans la première édition de son ouvrage avait inséré plusieurs morceaux contre lui.

2434. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 168-169

L’un est un Roman intitulé, la petite Poste dévalisée, ancien cadre heureusement imaginé avant lui, & dont il n’a su tirer aucun parti. […] Cet Auteur est aujourd’hui chargé de la rédaction du Courrier d’Avignon, qui, comme on sait, n’offre que des nouvelles surannées, écrites d’un style qui n’est pas capable de dédommager du défaut de nouveauté.

2435. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Hallé » p. 199

Monsieur Hallé, où est ce beau caractère céleste que Raphaël et Le Sueur ont su donner à leurs anges ? […] Personne ne sait ce que c’est que votre Vierge avec son enfant, vos deux petites Pastorales, votre Abondance répandue sur les arts, ni votre Combat d’Hercule, et d’Achéloüs.

2436. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Monnet » p. 281

On ne sait ce que c’est que cela, c’est une image de papier blanc, une découpure de Huber, mais mauvaise sans la précision des contours, seulement aussi mince, aussi plate et très-insipide, quoique nue. […] Je ne sais ce que c’est que l’ hermite lisant, on dit qu’il n’est pas sans mérite.

2437. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre II. De la sensibilité considérée comme source du développement littéraire »

Pour décrire son mal, il faut être un peu médecin : le vulgaire sent qu’il souffre ; où, de quoi, il ne le dit que confusément ; il ne sait que crier. […] Hurler et se rouler ne prouve pas qu’on souffre plus qu’un autre, mais qu’on sait moins souffrir. […] On ne saurait donc trop se défaire de ce préjugé si commun, que l’esprit qu’on a nuit aux effusions du cœur, qu’il faut pour ainsi dire en faire abstraction et s’en détacher pour laisser le cœur tout seul parler son pur et naturel langage.

2438. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IX. Précision, brièveté, netteté »

Il n’y a que les écrivains supérieurs qui sachent être brefs, sans être secs, et faire tenir un sens infini dans une étroite formule. […] « Il y a dans la langue française, dit très bien Joubert, de petits mots dont presque personne ne sait rien faire. » C’est tantôt une conjonction, tantôt un pronom démonstratif, tantôt un adverbe, tantôt une locution composée, une courte proposition. […] Ils ont le style très décidé, bien que toujours diffus ; ils ont l’expression sèche, absolue, carrée, parce qu’ils disent tout ce qu’ils savent, sont détachés de ce qu’ils disent, et ne soupçonnent pas ce qu’ils ignorent.

2439. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Jean Lahor (Henri Cazalis). »

Tout cela, je ne sais comment. […] Il sait aussi que l’amour est inséparable de la mort, parce que la mort est inséparable de la vie… Et maintenant lisez les Chants de l’Amour et de la Mort : Je voudrais te parer de fleurs rares, de fleurs Souffrantes, qui mourraient pâles sur ton corps pâle. […] Et toute la dernière pièce, Vers dorés : Sois pur, le reste est vain, et la beauté suprême, Tu le sais maintenant, n’est pas celle des corps : La statue idéale, elle dort en toi-même ; L’œuvre d’art la plus haute est la vertu des forts.

2440. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Solidarité »

Corréard vous signalait la majestueuse et fatale lenteur, ont abouti, chez nous, vous le savez, à l’émancipation de l’individu. […] de première classe), vous aurez maintes occasions d’être secourables aux pauvres gens, de faire payer pour eux les riches, de réparer ainsi, dans une petite mesure, l’inégalité des conditions et d’appliquer pour votre compte l’impôt progressif sur le revenu  Notaires (car il y en a ici qui seront notaires), vous pourrez être, un peu, les directeurs de conscience de vos clients et insinuer quelque souci du juste dans les contrats dont vous aurez le dépôt  Avocats ou avoués, vous pourrez souvent par des interprétations d’une généreuse habileté, substituer les commandements de l’équité naturelle, ou même de la pitié, aux prescriptions littérales de la loi, qui est impersonnelle, et qui ne prévoit pas les exceptions  Professeurs, vous formerez les cœurs autant que les esprits ; vous… enfin vous ferez comme vous avez vu faire dans cette maison  Artistes ou écrivains, vous vous rappellerez le mot de La Bruyère, que « l’homme de lettres est trivial (vous savez dans quel sens il l’entend) comme la borne au coin des places » ; vous ne fermerez pas sur vous la porte de votre « tour d’ivoire », et vous songerez aussi que tout ce que vous exprimez, soit par des moyens plastiques, soit par le discours, a son retentissement, bon ou mauvais, chez d’autres hommes et que vous en êtes responsables  Hommes de négoce ou de finance, vous serez exactement probes ; vous ne penserez pas qu’il y ait deux morales, ni qu’il vous soit permis de subordonner votre probité à des hasards, de jouer avec ce que vous n’avez pas, d’être honnête à pile ou face  Industriels, vous pardonnerez beaucoup à l’aveuglement, aux illusions brutales des souffrants ; vous ne fuirez pas leur contact, vous les contraindrez de croire à votre bonne volonté, tant vos actes la feront éclater à leurs yeux ; vous vous résignerez à mettre trente ou quarante ans à faire fortune et à ne pas la faire si grosse : car c’est là qu’il en faudra venir  Hommes politiques, j’allais dire que vous ferez à peu près le contraire de presque tous vos prédécesseurs, mais ce serait une épigramme trop aisée. […] Toutes les époques sont des époques de transition, je le sais ; d’autre part, M. 

2441. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Delavigne, Casimir (1793-1843) »

Alfred Nettement Casimir Delavigne a su rarement se dégager de cet esprit voltairien ou philosophique qui est devenu le moule de son esprit, et ce moule étroit a étouffé en lui l’inspiration poétique dont il avait reçu le germe. […] Pourquoi ne pas tout dire, ne pas rappeler ce que chacun sait ? […] Édouard Fournier Tandis qu’il multipliait au grand jour, en s’en faisant gloire, les éditions de ses Messéniennes, si peu lisibles aujourd’hui, avec leur versification de l’Empire, où la phraséologie du rhéteur parle plus haut que le cœur du patriote, il cachait obscurément dans un recueil son admirable ballade l’Âme du Purgatoire ; dans le coin d’une note, sa romance de la Brigantine où Mme Pauline Duchambge la découvrit pour la mettre en musique ; et je ne sais où, son adorable pièce de Néra, que Scudo ramassait de même pour y appliquer une de ses plus pures mélodies.

2442. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre IV. Bossuet orateur. »

On sait avec quel génie, dans l’oraison funèbre de la princesse Palatine, il est descendu, sans blesser la majesté de l’art oratoire, jusqu’à l’interprétation d’un songe, en même temps qu’il a déployé, dans ce discours, sa haute capacité pour les abstractions philosophiques. […] » Viennent des réflexions sur l’illusion des amitiés de la terre, qui « s’en vont avec les années et les intérêts », et sur l’obscurité du cœur de l’homme, « qui ne sait jamais ce qu’il voudra, qui souvent ne sait pas bien ce qu’il veut, et qui n’est pas moins caché ni moins trompeur à lui-même qu’aux autres197. » Mais la trompette sonne, et Gustave paraît : « Il paraît à la Pologne surprise et trahie, comme un lion qui tient sa proie dans ses ongles, tout prêt à la mettre en pièces. […] » Le poète (on nous pardonnera de donner à Bossuet un titre qui fait la gloire de David), le poète continue de se faire entendre ; il ne touche plus la corde inspirée ; mais, baissant sa lyre d’un ton jusqu’à ce mode dont Salomon se servit pour chanter les troupeaux du mont Galaad, il soupire ces paroles paisibles : « Dans la solitude de Sainte-Fare, autant éloignée des voies du siècle, que sa bienheureuse situation la sépare de tout commerce du monde ; dans cette sainte montagne que Dieu avait choisie depuis mille ans ; où les épouses de Jésus-Christ faisaient revivre la beauté des anciens jours ; où les joies de la terre étaient inconnues ; où les vestiges des hommes du monde, des curieux et des vagabonds ne paraissaient pas ; sous la conduite de la sainte Abbesse, qui savait donner le lait aux enfants aussi bien que le pain aux forts, les commencements de la princesse Anne étaient heureux200. » Cette page, qu’on dirait extraite du livre de Ruth, n’a point épuisé le pinceau de Bossuet ; il lui reste encore assez de cette antique et douce couleur pour peindre une mort heureuse.

2443. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « V »

D’abord savez-vous bien toujours vous-même ce que vous voulez dire ? Vous croyez le savoir, et c’est souvent en travaillant que vous commencez à l’apprendre. […] Qu’en savez-vous ?

2444. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIII. Des panégyriques en vers, composés par Claudien et par Sidoine Apollinaire. Panégyrique de Théodoric, roi des Goths. »

On conçoit comment il put louer Stilicon, qui n’était pas à la vérité un citoyen, mais qui était à la fois et un ministre et un général ; mais Honorius, qui toute sa vie fut, comme son frère, un enfant sur le trône ; qui, mené par les événements, n’en dirigea jamais aucun ; qui ne sut ni ordonner, ni prévoir, ni exécuter, ni comprendre ; empereur qui n’avait pas même assez d’esprit pour être un bon esclave ; qui, ayant le besoin d’obéir, n’eut pas même le mérite de choisir ses maîtres ; à qui on donnait un favori, à qui on l’ôtait, à qui on le rendait ; incapable d’avoir une fois du courage, même par orgueil ; qui, dans la guerre et au milieu des périls, ne savait que s’agiter, prêter l’oreille, fuir, revenir pour fuir encore, négocier de loin sa honte avec ses ennemis, et leur donner de l’argent ou des dignités au lieu de combattre ; Honorius, qui, vingt-huit ans sur le trône, fut pendant vingt-huit ans près d’en tomber ; qui eut de son vivant six successeurs, et ne fut jamais sauvé que par le hasard, ou la pitié, ou le mépris ; il est assez difficile de concevoir comment un homme qui a du génie, peut se donner la peine de faire deux mille vers en l’honneur d’un pareil prince. […] On ne sait dans quelle langue il est écrit.

2445. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

Il vagabonde au hasard ; il bat la campagne de Genève et de Savoie sans savoir ce qu’il cherche et sans autre direction que le hasard. […] Rousseau la décrit comme le génie de la jeunesse sait seul décrire un pressentiment de l’amour dans un paysage de la moderne Arcadie. […] On sait que, par une férocité d’égoïsme au-dessous de l’instinct des brutes pour leurs petits, J. […] Non, on sait que les soupçons de conspiration universelle contre nous sont une des formes du délire. […] Qui sait ce que sont devenus ces fils de Thérèse jetés aux gémonies tout vivants par la barbarie d’un père insensé ?

2446. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CIXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (1re partie) » pp. 5-79

Je prie ceux qui par hasard parcourront ces lignes de regarder ce que je dis à ce sujet comme un effet de ma reconnaissance pour le maître auquel je rapporte le peu que je sais, et non comme une louange de ma propre personne. […] Or jamais il ne demanda rien, et, chose rare et même unique, il fut constamment estimé et aimé par trois papes successifs, Clément XIII, Clément XIV et Pie VI, qui tous, comme on sait, différaient d’habitudes et de caractère. […] Ce genre de mort et la perte de cet excellent jeune homme, qui m’était très attaché, me furent plus pénibles qu’on ne saurait se l’imaginer. […] Or chacun sait que ces derniers empêchements sont insurmontables, ce qui n’existe pas pour les autres ; et il n’était pas seul à porter un semblable jugement sur le cardinal en question. […] Mais j’ai su de sa bouche même, après son élévation au pontificat, qu’il n’en était rien.

2447. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre deuxième. L’idée de l’espace. Son origine et son action »

Vous ne savez pas encore ce que c’est que partout, direction, position, parties, etc. ; mais il y a déjà dans votre cœnesthésie un changement sensible répondant au caractère massif et à la grandeur des impressions. […] Vous êtes touché de partout ici, et vous réagissez dans tous les sens, avant même de savoir ce que c’est qu’une direction et un sens de mouvement. […] En réalisant nous-mêmes ces relations par des mouvements d’abord aveugles et involontaires, puis conscients et voulus, nous apprenons à connaître par l’action : savoir, encore une fois, c’est faire. […] Pour placer un livre sur un rayon, il faut avoir le livre et savoir où est le rayon, qui est distinct et séparé du livre même ; mais ne croyons pas que, primitivement, la localisation ou situation des impressions ait été analogue. […] L’attente est le désir de percevoir, de connaître ce qui va venir, et ce désir a pour objet primitif de savoir si ce qui va venir sera utile ou nuisible.

2448. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

Par ces dernières œuvres, Flaubert restera l’artiste, de ces temps qui sut assembler les mille éléments épars de beauté matérielle et sensible, en de plus ravissants ensembles. Le mystère, le symbolisme : Cet artiste explicite et précis qui excelle à montrer la beauté sans voile par des phrases qui l’expriment toute, sait aussi, dans des occasions plus rares mais marquantes, susciter la délicieuse émotion qui résulte de la réticence, de la prétérition du mystère suggéré, sait avec un art profond et charmant s’arrêter au bord des images et des pensées auxquelles la parole est trop pesante. […] Et voici qui met sur la voie de la cause de cette opposition : « Je ne sais plus comment il faut s’y prendre pour écrire, et j’arrive à exprimer ’la centième partie de mes idées après des tâtonnements infinis. » (76, p. 17.) […] Enfin, les rares passages de passion et de poésie pure qui éclatent çà et là dans son œuvre et que la forme statique ne saurait expliquer, procèdent de son autre type de phrase, le périodique, que nous avons vu alterner avec son style habituel. […] On sait qu’entre lettrés ces termes ne sont appliqués qu’à des prosateurs et des poètes postérieurs au romantisme, et à aucun des étrangers.

2449. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — J — Jaubert, Ernest (1856-1942) »

Quelques-uns le nient, beaucoup l’ignorent ou ne s’en soucient, mais certains le savent. Or, Jaubert est de ceux qui savent ces choses ; et c’est cela la Couleur des heures.

2450. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 439-440

Tout ce qu’il a écrit néanmoins, quand il a su se borner à la Morale sans toucher aux Dogmes, marque un Auteur judicieux, plein de sentimens, d’honneur & de religion ; un Littérateur instruit, qui ne se sert de ses connoissances que pour orner la vertu & en inspirer l’amour ; un Ecrivain estimable, qui, sans avoir un style élégant, correct ni précis, a dans sa maniere de s’exprimer un ton de chaleur & d’intérêt, qui fait goûter ses Ouvrages. […] On sait que M. de Caraccioli a publié sous le nom du Pape Clément XIV, trois volumes de Lettres familieres ; mais les doutes sur l’authenticité de ces Lettres ne sont pas dissipés.

2451. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Des livres classiques. » p. 533

Les livres classiques sont presque tous à faire ; faute de ce secours, partout on étudie beaucoup et avec peine, l’on sait peu et l’on sait mal.

2452. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

Il ne sait pas se tenir en place, n’occuper à la fois qu’une province littéraire. […] Il fait allusion à un mot de Gœthe, de Shakspeare, à une anecdote qui en ce moment le frappe ; tant pis pour nous si nous ne le savons pas. […] Il y devine je ne sais quoi d’auguste et de terrible. […] Nous savons que nous sommes à peu près au milieu de l’un des courants partiels qui le composent. […] Gœthe, le maître de tous les esprits modernes, a bien su goûter tous les deux1451.

2453. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Sur cette matière s’exerce essentiellement l’action humaine, et l’action, comme nous le disions plus haut, ne saurait se mouvoir dans l’irréel. […] Ainsi naîtrait le problème de savoir comment l’ordre s’impose au désordre, la forme à la matière. […] Quant à l’ordre du premier genre, il oseille sans doute autour de la finalité : on ne saurait cependant le définir par elle, car tantôt il est au-dessus, tantôt au-dessous. […] Et je sais qu’ils ne se sont pas tous constitués en même temps, puisque l’observation me montre, aujourd’hui même, des nébuleuses en voie de concentration. […] Mais ce qui est de nature psychologique ne saurait s’appliquer exactement sur l’espace, ni entrer tout à fait dans les cadres de l’entendement.

2454. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

Nous ne savons pas, dira-t-on, ce que faisoient ces pantomimes : cela peut être ; mais nous savons ce qu’ils ne faisoient pas. […] Reste à savoir dans quelles sources le comédien doit la puiser. […] On ne sait que trop combien l’ambition des beaux vers a nui à la vérité du dialogue. […] Le poëte ne doit jamais présenter des situations que l’acteur ne sauroit rendre : telle est celle d’un héros mouillé. […] Nous savons que ces excuses ne sont que trop bien fondées : nous savons de plus que nos réflexions ne produiront aucun fruit.

2455. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 282-283

On verra toujours avec plaisir dans le Poëme des quatre parties du Jour, quatre Tableaux des plus agréables, où le Peintre a su réunir sans effort tout ce qui peut plaire aux Connoisseurs. […] Mais quand on saura que les talens agréables n’ont été, dans cet illustre Auteur, que le germe & le prélude des plus hautes qualités ; quand les siecles futurs seront dans le cas d’admirer, comme notre siecle, un génie formé pour les plus grandes affaires, une ame nourrie des plus beaux sentimens, un cœur, le siége des plus rares vertus ; quand la postérité de toute l’Europe enfin reconnoîtra dans lui le vrai grand homme consacré par le suffrage de toutes les Nations ; alors les couronnes dues à ses talens littéraires ne seront que de foibles guirlandes de fleurs que les Muses auront déposées aux pieds de sa Statue ; & celles qui sont dues à ses succès dans les négociations les plus importantes, à l’administration la plus éclairée & la plus sage dans les fonctions de l’Episcopat, aux monumens multipliés de son zele & de sa générosité, iront d’elles-mêmes se reposer sur sa tête.

2456. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » p. 91

Sa Traduction d’Horace n’est guere estimable que par les Remarques qui l’accompagnent ; parmi un grand nombre de curieuses & d’instructives, on en trouve plusieurs d’inutiles & de diffuses, fruit ordinaire d’un savoir qui ne cherche qu’à s’étaler. On sait qu’il a aussi traduit Théocrite, quelques Pieces de Sophocle, plusieurs Dialogues de Platon, Hippocrate, Plutarque, Marc-Antonin ; Ouvrages dont la plupart ne sont recherchés que pour les Commentaires, quoique l’élocution en soit simple & communément exacte.

2457. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

On ne sait pas assez combien meurt vite une civilisation littéraire sous la hache d’une assemblée ou sous la faux d’un Attila. […] On en chauffe les bains d’Alexandrie, et au bout de deux générations on ne sait plus les lire. […] Qui sait quelle métamorphose n’attend pas encore cet écrivain que les années transfigurent au lieu de le pétrifier ? […] Balzac était un sublime miroir, qui retrace tout, mais qui ne sait pas ce qu’il retrace. […] … Elle ne sait rien faire !

2458. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VI : Difficultés de la théorie »

Mais je n’en saurais trouver un seul exemple. […] En général, nous ne savons rien des causes qui peuvent produire ces variations légères et de peu d’importance qui se présentent fréquemment chez les diverses formes de l’organisation. […] Mais le peu que nous savons ne peut nous permettre de spéculer sur l’importance relative des diverses lois de variation connues ou inconnues. […] La sélection naturelle ne saurait produire la perfection absolue ; et, autant que j’en puis juger, je ne crois pas non plus qu’on puisse la rencontrer dans la nature. […] Mais la sélection naturelle ne saurait nécessairement produire la perfection absolue ; et, autant que nous en pouvons juger avec nos facultés bornées, cette perfection absolue ne se trouve en effet nulle part.

2459. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

« Au compte des indigènes, c’est toujours le curupira, l’homme sauvage, l’esprit de la forêt, qui produit tous les bruits qu’ils ne savent pas s’expliquer. Dans l’enfance de la science, l’humanité n’a jamais su inventer que des mythes et de grossières théories pour expliquer les phénomènes de la nature. […] Savez-vous seulement ce que c’est que son unité ou sa dualité ? […] Celui qui le prononce sait tout ! […] Il n’a pas besoin d’en savoir davantage ; son âme est satisfaite, son esprit est en repos.

2460. (1772) Éloge de Racine pp. -

Peu content de ce qu’il avait produit jusqu’alors (car le talent sait juger ce qu’il a fait, parce qu’il sent ce qu’il peut faire), ne trouvant pas dans ses premiers ouvrages l’aliment que cherchait son ame, Racine s’interrogea dans le silence de la réflexion. […] Je sais qu’on dira que l’éloge de Racine ne devait point être la satire de Corneille. […] Voyez Monime : combien elle garde de mesure avec Mithridate, lors même qu’elle refuse absolument de s’unir à lui, et qu’elle s’expose à la vengeance d’un homme qui n’a jamais su pardonner ! […] Les ennemis de Racine, pour se consoler du succès d’ Andromaque , avaient dit que l’auteur savait en effet traiter l’amour, mais que c’était là tout son talent ; que d’ailleurs il ne saurait jamais dessiner des caractères fiers et vigoureux, tels que ceux de Corneille, ni traiter comme lui la politique des cours. […] Ne les croyez pas ceux qui veulent être poëtes sans faire de vers, et grands hommes sans savoir écrire : ne voyez-vous pas que leur esprit n’est qu’impuissance, et qu’ils voudraient mettre les systèmes à la place des talens ?

2461. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Charles-Quint après son abdication, au monastère de Saint-Just »

il viendra, quelques années après, un sage appelé Montaigne qui remettra tout à sa place et à son rang dans l’estime, et qui ayant à développer cette idée, qu’un père sur l’âge, « atterré d’années et de maux, privé par sa faiblesse et faute de santé de la commune société des hommes, se fait tort et aux siens de couver inutilement un grand tas de richesses, et que c’est raison qu’il leur en laisse l’usage puisque la nature l’en prive », ajoutera pour illustrer sa pensée : « La plus belle des actions de l’empereur Charles cinquième fut celle-là, à l’imitation d’aucuns Anciens de son calibre, d’avoir su reconnoître que la raison nous commande assez de nous dépouiller, quand nos robes nous chargent et empêchent, et de nous coucher quand les jambes nous faillent : il résigna ses moyens, grandeur et puissance à son fils, lorsqu’il sentit défaillir en soi la fermeté et la force pour conduire les affaires avec la gloire qu’il y avoit acquise : Solve senescentem… » Mais entrons un peu plus avant dans les raisons qui persuadèrent à une de ces âmes d’ambitieux, si aisément immodérées, d’en agir si sensément et prudemment. […] Il n’était pas des plus retenus sur l’article des femmes ; ce libertin de Brantôme, qui prétend savoir ces sortes de choses sur le bout du doigt et par le menu, nous en a touché un mot ; mais c’est de trop de manger surtout qui lui était nuisible33, Charles-Quint était d’une voracité vraiment extraordinaire et phénoménale ; et comme l’a spirituellement remarqué M. Mignet, « ce grand homme, qui savait commander à ses passions, ne savait pas contenir ses appétits ; il était maître de son âme dans les diverses extrémités de la fortune, il ne l’était pas de son estomac à table ». […] S’il fait de temps en temps et par exception acte de maître, il sait pourtant trop bien au fond qu’il ne l’est plus : aussi se montre-t-il des plus sensibles à la déférence qu’on a à l’étranger pour ses désirs ; et le roi de Portugal ayant paru céder, dans une négociation de famille où il s’était montré jusqu’alors inébranlable, aux instances particulières de Charles-Quint, celui-ci en éprouva une joie telle qu’il n’en avait pas eu une semblable au temps de sa puissance pour ses succès les plus éclatants. […] On ne le savait pas généralement du temps de Brantôme : celui-ci dit de Charles-Quint qu’il était plus sobre que chaste ; Bayle le répète d’après lui.

2462. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

Cela est et sera vrai en Angleterre depuis Robin Hood jusqu’à lord Chatham, jusqu’à Junius, et même lorsqu’il y aura élégance et belles manières de salon au xviiie  siècle, quand il y aura assaut, de nous à eux, de conversations et de mots piquants, nos beaux esprits en renom, nos Nivernais, nos Boufflers leur paraîtront bien minces, bien émoussés, éreintés et fades, auprès de leurs joyeux vivants à saillies éclatantes et à haute verve (high spirits) : demandez plutôt à ce juge équitable et qui savait si bien les deux sociétés, à Horace Walpole. […] Je le sais, la doctrine du trop, de l’exagération dite légitime, de la monstruosité même, prise pour marque du génie, est à l’ordre du jour : je demande à n’en être que sous toute réserve ; j’habite volontiers en deçà, et j’ai gardé de mes vieilles habitudes littéraires le besoin de ne pas me fatiguer et même le désir de me plaire à ce que j’admire. […] Que de lacunes, en effet, hors de toute proportion avec ce qu’on sait et ce qu’on saura jamais ! […] Jamais le feu de l’enthousiasme pour la chose publique, jamais la grandeur et la terreur qu’inspirent ces grands sauveurs révolutionnaires, hommes de glaive et d’épée, ne trouvèrent de plus vibrants et de plus vrais accents s’échappant à flots pressés d’une poitrine sincère : « C’est folie, s’écrie le poète, de braver ou d’accuser l’éclair et la foudre du Ciel irrité : et, à parler franc, beaucoup est dû à cet homme qui, de l’enclos de ses vergers domestiques, où il vivait retiré et austère comme si son plus profond dessein eût été de planter ses poiriers et de greffer sa bergamote, a su par son industrieuse valeur gravir et s’élever jusqu’à ruiner l’œuvre antique des temps et à jeter ces vieux royaumes dans un nouveau moule. » On sent ici comme la réalité anglaise et la franchise du ton se contiennent mal sous l’imitation classique, comme elles percent et crèvent en quelque sorte l’enveloppe d’Horace. […] soyez ce poète-là. » Pope suivit le conseil, et toute sa vie, qui dura cinquante-six ans, fut consacrée à cette étude et à ce noble but qu’il sut atteindre et remplir.

2463. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Exploration du Sahara. Les Touareg du Nord, par M. Henri Duveyrier. »

Ceux qui ont vécu dans les montagnes, au voisinage des glaciers, savent que chaque chose a son nom ; les habitants du pays ou, à leur défaut, les savants, ont tout observé, tout nommé. […] Presque toutes les femmes savent lire et écrire, dans une proportion plus grande que les hommes ; les jeunes filles reçoivent de l’éducation ; elles disposent de leur main, sauf des cas rares ; dans la communauté, les femmes gèrent leur fortune personnelle et ne contribuent aux dépenses qu’autant qu’elles le veulent. […] On prendra idée de ce pays de famine lorsqu’on saura qu’ils ont trouvé moyen de faire un aliment de la graine de coloquinte. […] — Ces hommes, les Touareg, tu les prends pour des lâches ; — cependant ils savent voyager et même guerroyer ; — ils savent partir de bon matin et marcher le soir ; — ils savent surprendre dans son lit tel homme couché ; — surtout le riche qui dort au milieu de ses troupeaux agenouillés ; — celui qui a orgueilleusement étendu sa large tente ; — celui qui a déployé en leur entier et ses tapis et ses doux lainages ; — celui dont le ventre est plein de blé cuit avec de la viande, — et arrosé de beurre fondu et de lait chaud sortant du pis des chamelles ; — ils le clouent de leur lance, pointue comme une épine, — et lui se met à crier, jusqu’à ce que son âme s’envole

2464. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

Adèle de Sénange se passa ainsi d’auditeurs ; on sait que Paul et Virginie avait eu grand’peine à en trouver. […] il a su tirer d’un passé récent un type non encore réalisé ou prévu, un type qui en achève et en décore le souvenir. — L’apparition d’Eugène fut saluée d’un quatrain de Mme d’Houdetot. […] Cette première année, vous le savez, mais il l’ignore, son bonheur et sa vie peuvent dépendre de chaque minute, de chaque pas. […] L’auteur de Cinq-Mars a su seul de nos jours concilier (bien qu’imparfaitement encore) la vérité des peintures d’une époque avec l’émotion d’un sentiment romanesque. […] Madame la Duchesse peut boire beaucoup sans perdre la raison : ses filles veulent l’imiter, mais sont bientôt ivres et ne se savent pas gouverner comme leur mère. » Oh !

2465. (1892) Boileau « Chapitre VI. La critique de Boileau (Fin). La querelle des anciens et des modernes » pp. 156-181

Je n’ai qu’à regarder si tout le monde a du plaisir, pour contrôler mon sentiment, et savoir si j’ai bien jugé. […] On sait comment s’ouvrit la querelle des anciens et des modernes, qui se greffa sur les discussions auxquelles donnèrent lieu les épopées chrétiennes, et sur celles aussi qui s’engagèrent à l’occasion de l’inscription d’un arc de triomphe en l’honneur du roi, et firent mettre en parallèle les avantages et la beauté du latin et du français. […] Perrault était l’homme de confiance de Colbert, auprès de qui il avait remplacé Chapelain : esprit ouvert, inventif, un peu trop assuré et présomptueux, comme sont souvent les gens qui se sont formés eux-mêmes, incapable de douter de son savoir, comme de se douter de ses ignorances, ayant plutôt la curiosité d’un amateur et l’intelligence d’un directeur des beaux-arts que les dons d’un écrivain ou d’un critique, faisant une forte cabale avec ses deux frères, le receveur des finances et le médecin, fort appliqués comme lui aux sciences et aux arts, et fort répandus aussi dans le monde. […] Et comme ces régents en robes noires et à bonnets carrés avaient du moins sur lui l’avantage de savoir le grec et le latin, il s’évertuait à démontrer que pour bien juger d’un écrivain, il faut le prendre dans une traduction. […] Il tint à démontrer qu’Homère parlait congrûment de l’anatomie et du battage de l’or, qu’il savait la géographie et la durée ordinaire de la vie des chiens, et qu’il ne faisait pas tenir aux princesses des propos de corps de garde.

2466. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IV. Des figures : métaphores, métonymies, périphrases »

. : autant de vieilleries, dont on ne saurait trop sévèrement s’interdire l’usage. […] On ne saurait aussi se mettre trop en garde contre les métaphores qui n’ont pour effet que de provoquer le lecteur à la recherche du terme propre qu’elles cachent. […] Vous savez ce qu’on fit du géant historique. […] La périphrase qui n’a d’autre but que d’éviter le mot propre, ou d’amuser à sa recherche la curiosité du lecteur, la périphrase qui n’est qu’un masque ou une charade, ne saurait être trop rigoureusement condamnée. […] Quand Racine fait dire à Joad : Celui qui met un frein à la fureur des flots, Sait aussi des méchants arrêter les complots, la périphrase contient la preuve de l’idée exprimée ensuite.

2467. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. » pp. 432-452

On en avait tant parlé à l’avance, on en avait tellement célébré les parties charmantes, tellement voilé les faiblesses ou les rudesses disgracieuses, que le public savait les unes et n’a été que plus vivement choqué des autres. […] L’inconvénient capital de ces Mémoires est qu’on ne sait pas nettement à qui l’on a affaire en les lisant. […] À travers cette contradiction de mouvements, il se dessine lui-même et se trahit dans sa nature secrète, mais il se fait connaître par le côté où il s’y attendait le moins, et on ne lui en sait pas gré. […] On avait bien essayé, dans le temps, d’y saisir, à défaut d’autre lien, je ne sais quelle unité poétique que nous appelions l’unité d’artiste, et qui embrassait en elle toutes les contradictions, qui les rassemblait comme en un superbe faisceau. […] On ne sait pas s’il a jamais aimé quelque chose ou quelqu’un, tant son âme se fait vide avec affectation !

2468. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Ce qu’était Carrel, tous ceux qui l’ont connu le savent, et il ne leur est pas difficile, par la connaissance qu’ils ont du caractère de l’homme, de s’expliquer les phases différentes de sa destinée. Mais les générations venues depuis sa mort ne savent plus bien ce qu’était ce personnage intrépide et inachevé, si souvent invoqué comme chef dans les luttes politiques, cet écrivain dont il ne reste que peu d’ouvrages et un souvenir si supérieur à ce qu’on lit de lui. […] Armand Carrel, né à Rouen, le 8 mai 1800, d’une famille de marchands, apporta en naissant l’instinct militaire et je ne sais quoi du gentilhomme. […] On ne saurait que la poser, et c’est déjà un honneur pour celui qui la suscite. […] Carrel, au reste, dès que sa passion fut en jeu, sut très bien éclaircir son style et le débarrasser de cette teinte grise qu’il ne revêtait qu’en sommeillant.

2469. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — III. (Suite et fin.) » pp. 242-260

Une existence aussi large, aussi répandue, aussi inventive en bien des sens, et aussi aventurée que celle de Beaumarchais, ne saurait se resserrer en peu de mots. […] La péroraison par laquelle Mirabeau terminait sa brochure est restée célèbre dans le genre de l’invective : Pour vous, monsieur, qui, en calomniant mes intentions et mes motifs, m’avez forcé de vous traiter avec une dureté que la nature n’a mise ni dans mon esprit ni dans mon cœur ; vous, que je ne provoquai jamais, avec qui la guerre ne pouvait être ni utile ni honorable ; … croyez-moi, profitez de l’amère leçon que vous m’avez contraint de vous donner… Retirez vos éloges bien gratuits ; car, sous aucun rapport, je ne saurais vous les rendre ; retirez le pitoyable pardon que vous m’avez demandé ; reprenez jusqu’à l’insolente estime que vous osez me témoigner… Et il finit par ce conseil terrible et le plus incisif, entre hommes avides avant tout de la popularité : « Ne songez désormais qu’à mériter d’être oublié. » Beaumarchais, sous le coup de l’outrage, se tut : il avait rencontré un jouteur encore plus osé que lui, et à plus forte carrure ; il était dépassé et vaincu. […] il est évident qu’il le fut ; il l’est pour les lecteurs aujourd’hui ; il l’était dès lors pour les ministres mêmes qu’il poursuivait de ses sollicitations incessantes et qui ne savaient plus à la fin comment se dérober à ses rendez-vous obstinés. […] Tout homme qui a fait du bruit dans le monde a deux réputations : il faut consulter ceux qui ont vécu avec lui, pour savoir quelle est la bonne et la véritable. […] Le simple coup d’œil qu’il m’a été donné de jeter sur ces papiers me permet de dire que, le jour où le spirituel biographe en aura fait l’usage qu’il est capable d’en faire, bien des doutes seront éclaircis, et que l’on saura dorénavant son Beaumarchais comme on sait maintenant son Rousseau et son Voltaire33.

2470. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — II. (Fin.) » pp. 246-265

Il vivait dans une sorte de solitude, avec ses confidents ; il dormait peu ; et, dans ses nuits sans sommeil, avec cette organisation que nous lui savons, toute desséchée par l’ardeur intérieure et comme amincie par la souffrance, il n’avait pour contentement austère, ainsi qu’il l’a dit quelque part d’une manière sublime, que de voir tant d’honnêtes gens dormir sans crainte à l’ombre de ses veilles. […] La rébellion est manifeste : le roi en personne s’y porte, plein de courage ; mais Luynes sait mal lui préparer le terrain et lui ménager les occasions. […] À la fin de ce portrait de Luynes, l’écrivain a, je ne sais comment, une fraîcheur et une légèreté d’expression qui ne lui est point ordinaire, et qui montre que cette âme n’était point destinée si absolument à la sécheresse et à l’austérité : Sa mort fut heureuse, dit-il, en ce qu’elle le prit au milieu de sa prospérité, contre laquelle se formaient de grands orages qui n’eussent pas été sans péril pour lui à l’avenir ; mais elle lui sembla d’autant plus rude, qu’outre qu’elle est amère, comme dit le Sage, à ceux qui sont dans la bonne fortune, il prenait plaisir à savourer les douceurs de la vie, et jouissait avec volupté de ses contentements. […] Qui sait ce qu’on aurait fait de la politique de Henri s’il ne se fût pas trouvé là un homme capable d’en recueillir et d’en transmettre l’héritage ? qui sait ce qu’auraient pu devenir, perdues dans un misérable règne de trente-trois années, les destinées de la France ?

2471. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre deuxième. La force d’association des idées »

On sait toute l’importance que cette fonction a prise dans l’école anglaise depuis Hobbes, Hume et Hartley jusqu’à Mill, Bain et Spencer. […] On sait que la sélection des idées et leur suggestion a lieu tantôt en vertu de la simple rencontre ou contiguïté des impressions dans le temps, tantôt en vertu de leur ressemblance ou similarité. […] Cette dernière question est la plus fondamentale : il faut savoir par quoi et comment les anneaux de la chaîne ont été d’abord soudés ensemble, pour comprendre dans quel ordre ils se suivent actuellement et sous quelle forme ils reparaissent dans notre conscience à tel moment déterminé. […] Il obéirait, sans le remarquer, au courant qui l’entraîne ; il arriverait à telle conséquence, mais sans savoir pourquoi : il associerait des impressions similaires sans les reconnaître similaires, contiguës sans les reconnaître contiguës. […] On sait que Hamilton comparait ce phénomène à la transmission du mouvement à travers une rangée de billes : la première se meut, les billes intermédiaires n’ont qu’un mouvement intestin, la dernière a un mouvement visible.

2472. (1900) La province dans le roman pp. 113-140

Et vous le savez maintenant. […] On sait d’ailleurs, que M. de Pourceaugnac, la comtesse d’Escarbagnas, native d’Angoulême, George Dandin, signalé comme un « riche paysan, mari d’Angélique », et d’autres personnages de Molière, montrent bien quelle était l’opinion du comédien et mieux encore celle de son temps sur les provinciaux. […] Elle essaye de donner le change, parce qu’elle sait qu’une femme d’esprit qui s’ennuie n’a pas tout à fait assez d’esprit. […] Je récuse Balzac, parce que tout le monde sait qu’il quittait fort peu Paris où le retenaient ses dettes et ses éditeurs, deux sortes de tyrans qui gouvernaient sa vie. […] Mais aujourd’hui, les rares costumes provinciaux qui subsistent en France, personne ne songe plus à les trouver ridicules ; on les aime, on les célèbre, ils font partie de la précieuse « couleur locale », et chacun sait qu’il en reste bien peu, non seulement en France, mais en Europe.

2473. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre III : M. Maine de Biran »

Tenez, débrouillez ce grimoire : « Il y a immédiation entre l’aperception immédiate de la force constitutrice du moi et l’idée de la notion de mon être au titre de force absolue, par la raison que je pense et entends la réalité absolue de mon être, de la même manière que j’aperçois ou sens immédiatement l’existence individuelle et actuelle du moi 16. » Savez-vous ce que c’est que cette philosophie ? […] Substituons des équivalents et traduisons : « Apercevant la volonté, force efficace qui est moi-même, je sais directement et sans raisonnement qu’il existe une force, laquelle est moi. » L’idée ne vaut pas grand’chose, mais elle est intelligible, et M. de Biran s’entendait, puisque nous l’entendons. […] Et cependant, après avoir lu tout le passage, on trouve qu’elle renferme un sens très-simple et très-vrai que voici : « Quand vous avez la colique ou la migraine, vos raisonnements ont moins de clarté, votre attention moins de durée, vos conclusions moins d’assurance que lorsque vous êtes en bonne santé. » M. de Biran parle comme l’étudiant de Rabelais qui « pindarisait en latin » devant Panurge : mais vous savez le latin, même pindarique. […] Nous avons saisi un de ses hôtes, et nous savons comment elle est habitée. En observant notre force, nous savons ce que sont les siennes, et notre première découverte est qu’elles sont spirituelles.

2474. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — E. — article » pp. 252-253

Il a su y réunir aux anciennes Traditions, des détails curieux & utiles qui n’appartiennent qu’à lui seul. […] On sait que son petit Géographe Manuel est entre les mains de tout le monde, qui applaudit à son exactitude & à sa commodité.

2475. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » p. 497

Les Journaux ont rendu le compte le plus flatteur de son petit Poëme de Zélis au bain, dont les tableaux, à trop de mollesse près, ne sauroient être plus agréables, ni le coloris plus brillant. Le plan auroit pu, dit-on, être mieux dessiné, & l’exécution plus soutenue ; ce qu’il y a de certain, c’est que la touche n’en sauroit être plus élégante.

2476. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 511-512

Dans l’Histoire de la Chirurgie, il a su parer des graces de la Littérature, les richesses de l’érudition. […] « Marquer tous les pas de l’Art de guérir, soit qu’ils l’approchent, soit qu’ils l’éloignent de la perfection ; annoncer en quel temps & par qui il fut accéléré ou retardé dans sa marche ; présenter les découvertes vraiment originales, les vûes propres de chaque Inventeur ; disposer les inventions dans l’ordre de leur naissance ; indiquer où elles se trouvent, afin d’épargner au Lecteur qui sait qu’elle existe ; la peine de les chercher, & à celui qui l’ignore, celle de les inventer ; montrer comment une découverte a produit d’autres découvertes ; rapporter les inventions de tout genre à leurs véritables Auteurs ; déterminer le temps, le lieu, & les circonstances qui ont vu naître ces Auteurs, & recueillir les fruits les plus frappans de leur vie ; faire connoître le rang que la Chirurgie a tenu dans tous les temps parmi les autres Arts, le degré d’estime accordé à ceux qui l’ont professée, & le mérite personnel de ses promoteurs » : telle est la tâche étendue & pénible que M.

2477. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 128-129

L'éloquence de ce Prélat a su se plier à tous les genres qu'elle a embrassés, & saisir le vrai caractere de chaque objet. […] Qu'on ajoute à ces différentes especes de mérite, la connoissance de plusieurs Langues vivantes, une application constante à l'étude, & l'on croira sans peine que le titre d'Académicien a été, par rapport à lui, non une vaine décoration accordée au rang & au crédit, mais un hommage rendu au savoir & au mérite.

2478. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 290-291

L'homme de Lettres se fait sentir dans presque tous ses Ouvrages ; qualité rare & propre à venger l'Erudition, du décri où l'ont jetée plusieurs Savans, dont le mérite ne consistoit qu'à savoir, & plusieurs Beaux-Esprits, dont le défaut ordinaire est de savoir trop peu.

2479. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface et note de « Notre-Dame de Paris » (1831-1832) — Préface (1831) »

Ces majuscules grecques, noires de vétusté et assez profondément entaillées dans la pierre, je ne sais quels signes propres à la calligraphie gothique empreints dans leurs formes et dans leurs attitudes, comme pour révéler que c’était une main du moyen-âge qui les avait écrites là, surtout le sens lugubre et fatal qu’elles renferment, frappèrent vivement l’auteur. […] Depuis, on a badigeonné ou gratté (je ne sais plus lequel) le mur, et l’inscription a disparu.

2480. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [M. de Latena, Étude de l’homme.] » pp. 523-526

Du temps de La Rochefoucauld, le goût des maximes était général dans certains salons et menaçait de gagner la province : « Je ne sais si vous avez remarqué, écrivait La Rochefoucauld à Mme de Sablé, que l’envie de faire des sentences se gagne comme le rhume. […] En recueillant ses remarques sur le cœur, sur les femmes, et sur les sujets qui touchent aux passions, il s’est surtout inquiété d’être dans le vrai et de ne point dépasser dans son expression la mesure de ses propres jugements : « Je me suis rarement inquiété, dit-il, de savoir si d’autres m’avaient devancé, ni jusqu’où ils avaient pénétré : ma crainte était plutôt de m’égarer que de montrer comme nouvelle une voie déjà parcourue. […] — Je crois que moyennant deux ou trois corrections que je viens de faire et un ou deux mots où j’ai appuyé, il ne saurait y avoir de doute sur le sens de mon jugement : ce n’est point à titre de nouveau, comme quelques personnes l’ont pensé, que je recommandais ce que j’allais citer, c’est en prenant sur mon goût habituel et non en y cédant que je rendais justice à un moraliste estimableu, sans avoir d’ailleurs le moins du monde l’intention de le rapprocher de M. 

2481. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « SAINTE-BEUVE CHRONIQUEUR » pp. -

A mon retour de la Suisse française où j’avais gardé des amis, vers 1840, je concevais un parfait journal littéraire dont il y aurait eu un rédacteur double, l’un à Paris pour tout savoir, l’autre à Lausanne ou à Neuchâtel pour tout dire, — j’entends tout ce qui se peut dire honnêtement et avec convenance. […] On ne saurait mieux interpréter sa pensée qu’il ne l’a fait lui-même dans ce volume, p. 166 : « Il est, dit-il (décembre 1843), une douzaine d’hommes en France qu’on ne juge plus, mais qu’on loue ou qu’on attaque. […] Je ne sais quel journal traitait dernièrement de crétin (on hésite à le répéter) l’un des maîtres de la critique moderne.

2482. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « I » pp. 1-8

Quant à son avenir et à ses peintures idylliques6 de bonheur champêtre, de pureté virginale, de mariage inviolable (car il soutient le mariage), de propriété partagée à tous et toutefois respectée (car il a l’air de vouloir la propriété contre les phalanstériens, comme il veut la famille), on ne sait à quoi cela aboutirait. […] C'était bien la peine de faire tant de fracas et de prendre les choses par un si grand tour et de tant tonner contre la philosophie éclectique, laquelle, au pis, n’est qu’un déisme et spiritualisme de cette sorte. — Quant au talent lui-même, il y en a certes, mais moins que ne croient les bonnes gens qui ont oublié Raynal, et qui ne savent pas qu’il n’est pas très-difficile avec une certaine énergie de plume de faire de ces peintures qui sont partout, en leur rendant quelque puissance d’ensemble. […] Les Jésuites, il faut le savoir, n’ont jamais quitté Paris.

2483. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mort de sir Walter Scott »

Sans doute cette faculté puissante et féconde, à laquelle nous devons tant de nobles jouissances, tant d’heures d’une émotion pure, tant de créations merveilleuses qui sont devenues une portion de nous-mêmes et de nos souvenirs, sans doute cette belle faculté commençait à faiblir sensiblement ; on n’osait plus en attendre des chefs-d’œuvre comparables aux anciens ; on craignait même de la voir se complaire dans une postérité de plus en plus débile, comme il arrive aux plus grands hommes en déclinant comme le bon Corneille ne sut pas assez l’éviter dans sa vieillesse. […] C’était, dans le roman, un de ces génies qu’on est convenu d’appeler impartiaux et désintéressés, parce qu’ils savent réfléchir la vie comme elle est en elle-même, peindre l’homme de toutes les variétés de la passion ou des circonstances, et qu’ils ne mêlent en apparence à ces peintures et à ces représentations fidèles rien de leur propre impression ni de leur propre personnalité. […] D’un naturel bienveillant, facile, agréablement enjoué ; d’un esprit avide de culture et de connaissances diverses ; s’accommodant aux mœurs dominantes et aux opinions accréditées ; d’une âme assez tempérée, autant qu’il semble ; habituellement heureux et favorisé par les conjonctures, il s’est développé sur une surface brillante et animée, atteignant sans effort à celles de ses créations qui doivent rester les plus immortelles, y assistant pour ainsi dire avec complaisance en même temps qu’elles lui échappaient, et ne gravant nulle part sur aucune d’elles ce je ne sais quoi de trop âcre et de trop intime qui trahit toujours les mystères de l’auteur.

2484. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire et philosophique »

Quelque opinion qu’on garde après la lecture du livre sur la réalité de ces divisions qu’une philosophie plus forte trouverait sans doute moyen de simplifier et de réduire, ce qu’il faut reconnaître, c’est l’agréable et instructif chemin par lequel le philosophe nous a menés ; c’est cette multitude de remarques fines, judicieuses et ingénieuses, tempérées, qu’il a semées sous nos pas ; c’est ce jour si indulgent et si doux qu’il sait jeter sur la nature humaine en y pénétrant ; c’est l’émotion honnête qu’il excite en nous, tout en nous apprenant à décomposer et à observer ; ce sont les heureuses applications morales et pratiques, le choix et l’atticisme des exemples, et les fleurs d’une littérature si délicatement cultivée à travers les recherches de la philosophie. […] Tous les amis de la philosophie et d’une littérature ingénieuse et sérieuse voudront lire ces deux volumes, et sauront gré à M.  […] Leroux et Reynaud savent produire les idées très neuves et dignes du plus sérieux examen, avec lesquelles ils envisagent l’histoire de la philosophie et du christianisme.

2485. (1874) Premiers lundis. Tome II « H. de Balzac. Études de mœurs au xixe  siècle. — La Femme supérieure, La Maison Nucingen, La Torpille. »

Mais à la pauvreté hautaine, étalée et presque cynique de Jean-Jacques, à la délicatesse de haut goût et un peu aristocratique de M. de Custine, à cette longue demande d’indispensables millions et de liste civile littéraire par M. de Balzac, je ne veux opposer, comme vérité, tact et dignité, qu’une page d’un écrivain bien compétent : « En vous rappelant sans cesse, écrit quelque part M. de Sénancour, que les vrais biens sont très supérieurs à tout l’amusement offert par l’opulence même, sachez pourtant compter pour quelque chose cet argent qui tant de fois aussi procure ce que ne peut rejeter un homme sage. […] Or, il n’est pas inutile de savoir même les rêves et les cauchemars d’une époque, comme disait Chapelain (en cela plus spirituel que de droit), de même que les médecins s’inquiètent quelquefois des rêves de leurs malades pour les mieux connaître. […] Je ne sais pourquoi M. de Balzac a gâté le mot charmant qu’il cite de Mme de Maintenon.

2486. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Avertissement »

Au reste, elles n’en ont pas le privilège, et je sais, comme dit La Fontaine, Bon nombre d’hommes qui sont femmes, quand il s’agit d’écrire mal de certaines manières. […] « Elle nous raconta, dit une élève de Saint-Cyr, que, lui ayant dit un jour (au petit duc du Maine, qu’elle élevait) d’écrire au roi, il lui avait répondu, fort embarrassé, qu’il ne savait point faire de lettres. […] Il le saura d’autant mieux, et s’y conformera d’autant plus aisément, que cette connaissance viendra toute de son expérience, et que sa mémoire n’y sera pour rien.

2487. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre III. De la sécheresse des impressions. — Du vague dans les idées et le langage. — Hyperboles et lieux communs. — Diffusion et bavardage »

On a des impressions confuses, qu’on ne sait ni ne peut débrouiller. […] Le M. — Que sais-je, moi ? […] que l’on serait moins méchant si l’on savait user de son esprit !

2488. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Rêveries sur un empereur »

Il est évidemment très nerveux, sensible à l’excès ; il a des impressions rapides et vives, auxquelles il ne sait pas toujours résister. […] Il a congédié le serviteur impérieux, nettement et, sans le vouloir, plaisamment, en l’accablant de respects et d’honneurs… Et comme l’autre n’a pas su cacher son dépit ni son étonnement furibond, nous devons à Guillaume II une des meilleures scènes tragi-comiques de toute l’histoire moderne. […] Et qui sait ?

2489. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dierx, Léon (1838-1912) »

Ses vers, pareils à des diamants pâles, respirent un tel détachement de vivre, qu’en vérité… ce serait à craindre quelque fatal renoncement chez ce poète, si l’on ne savait pas que, tôt ou tard, les âmes limpides sont toujours attirées par l’espérance. […] Et, se promenant dans cette allée de hauts arbres qui se rouillent, le poète évoque le grand accord des choses, non leurs larmes, il sait qu’elles n’en ont point, mais leur grand et unanime consentement à la langueur, leur appétit de nirvâna, leur désir de fusion dans la nuit, qu’y lisent ou que leur prêtent les grandes âmes teintées de tristesse contemplative. […] Cet homme vénérable et charmant a su répandre une égale innocence dans toute sa vie et dans toute son œuvre à la fois.

2490. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Merrill, Stuart (1863-1915) »

Albert Mockel Stuart Merrill a la science de la ligne décisive, comme il sait onduler toutes les souplesses d’une attitude ; mais, il faut le remarquer, ses formes sont presque toujours en équilibre statique, telles que les fortes et nobles créations de Constantin Meunier, par exemple ; le geste, chez lui, peut s’immobiliser indéfiniment, par cela même qu’il indique plus souvent un état qu’une action, et donne mieux l’impression de la chose qui dure. […] Mais les souffles courts peuvent plaire, si l’on sait en tirer parti. […] Merrill ne saurait aller très loin et que bientôt l’essoufflement lui serrera la gorge, et cela ne manque jamais.

2491. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Silvestre, Armand (1837-1901) »

Nous avons lu ses vers en épreuves ; nous ne savions pas encore son nom : notre admiration n’est donc pas un acte de complaisance. […] Armand Silvestre, en qui le prosateur rendrait injuste pour le poète, — le poète éperdu de seul lyrisme, — a écrit, dans les Paysages métaphysiques notamment, quelques-uns des plus beaux vers que je sache. […] Marcel Fouquier Dans les Renaissances, lorsque le poète s’interroge, c’est pour savoir le mot de sa destinée.

2492. (1863) Molière et la comédie italienne « Préface » pp. -

Comment j’ai été amené à l’entreprendre, c’est ce que s’expliqueront aisément ceux des lecteurs qui savent que j’ai publié une édition des œuvres de Molière avec toutes les recherches et tous les développements qu’une telle publication comporte1. […] Ils parcoururent le pays avec leur nouveau bouffe qui réussit à merveille et eut accès partout à la faveur de ses pointes : ce à quoi contribuèrent aussi son physique de caricature et sa tenue de campagnard, à savoir la camisole et le pantalon de toile blanche. […] Malgré ces nombreux devanciers, le soin que j’ai pris de remonter autant que possible aux textes et aux documents originaux, m’a permis d’apporter dans cette étude quelques éléments nouveaux, que le lecteur qui a étudié ces questions saura facilement reconnaître.

2493. (1887) Discours et conférences « Discours à l’Association des étudiants »

J’eus tort peut-être ; il en est résulté que, sur mes vieux jours, au lieu d’être, selon l’usage, un conservateur rigide, un moraliste austère, je n’ai pas su me défendre de certaines indulgences que les puritains ont qualifiées de relâchement moral. […] Il faut savoir travailler toujours, ou, pour mieux dire, il faut s’arranger pour que le temps du travail et celui du repos ne soient pas distincts. […] Ne mettez pas de bornes à votre curiosité ; aspirez à tout savoir ; les limites viendront d’elles-mêmes.

2494. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « I »

Mais un empire, douze fois grand comme la France actuelle, ne saurait former un État dans l’acception moderne. […] Le roi de France, qui est, si j’ose le dire, le type idéal d’un cristallisateur séculaire ; le roi de France, qui a fait la plus parfaite unité nationale qu’il y ait ; le roi de France, vu de trop près, a perdu son prestige ; la nation qu’il avait formée l’a maudit, et, aujourd’hui, il n’y a que les esprits cultivés qui sachent ce qu’il valait et ce qu’il a fait. […] Aucun citoyen français ne sait s’il est Burgonde, Alain, Taïfale, Visigoth ; tout citoyen français doit avoir oublié la Saint-Barthélemy, les massacres du Midi au XIIIe siècle.

2495. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 439-450

Si le plan des Philosophes ressemble un peu trop à celui des Femmes Savantes, pour laisser à l’Auteur la gloire de l’invention, il a du moins su se procurer celle qui doit être le prix du ton de la bonne Comédie, d’une versification heureuse, énergique, & facile. […] Heureux, si, dans les divers assauts qu’il a livrés à la Philosophie & au mauvais goût, il eût su se garantir des travers qu’il a combattus, & se fût contenu dans les bornes que prescrivent la justice & l’honnêteté ! […] Nous pouvons lui pardonner encore, sans qu’il nous en coute le moindre effort, d’assurer, avec sa modestie & sa bonne foi reconnues, que nous n’avons composé notre Livre que d’après ses Mémoires littéraires, que nous avons, ajoute-t-il, presque toujours pillés dans ce que nous avons dit d’un peu raisonnable, parce que ceux qui connoissent l’un & l’autre Ouvrage savent combien les jugemens en sont différens.

2496. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Avertissement » pp. -

Avertissement En écrivant ce Manuel de l’Histoire de la Littérature française, qui est en même temps, je n’ose dire la promesse, mais du moins le « programme », d’une Histoire plus ample et plus détaillée, je me suis appliqué particulièrement à quelques points, que l’on verra bien, je l’espère, mais que l’on pourrait aussi ne pas voir, — si je n’avais pas su les mettre en évidence, — et que, pour ce motif, le lecteur m’excusera de lui signaler dans ce court Avertissement. […] Il faudra même que l’on s’y reporte : premièrement, parce qu’on ne saurait négliger ces sources sans s’exposer à faire des découvertes qui n’en seraient pas ; et puis, parce que les jugements mêmes que les contemporains et ceux qui les ont suivis ont portés sur les œuvres de nos écrivains se sont comme incorporés à l’idée que nous nous formons d’elles. […] Et je me suis mis… à plusieurs, pour ne pas réussir à savoir d’où vient l’adage : Quos vult perdere Jupiter dementat.

2497. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre V. La Henriade »

Des critiques judicieux ont observé qu’il y a deux hommes dans Voltaire : l’un plein de goût, de savoir, de raison ; l’autre qui pèche par les défauts contraires à ces qualités. […] Il charme et fatigue par sa mobilité ; il vous enchante et vous dégoûte ; on ne sait quelle est la forme qui lui est propre : il serait insensé s’il n’était si sage, et méchant si sa vie n’était remplie de traits de bienfaisance. […] La Vérité du Tasse est une Muse, un Ange, je ne sais quoi jeté dans le vague, quelque chose qui n’a pas de nom, un être chrétien, et non pas la Vérité directement personnifiée, comme celle de la Henriade.

2498. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre II. Chimie et Histoire naturelle. »

On sait que nos sciences décomposent et recomposent, mais qu’elles ne peuvent composer. […] « Dans ce siècle même, dit Buffon, où les sciences paraissent être cultivées avec soin, je crois qu’il est aisé de s’apercevoir que la philosophie est négligée, et peut-être plus que dans aucun siècle ; les arts, qu’on veut appeler scientifiques, ont pris sa place ; les méthodes de calcul et de géométrie, celles de botanique et d’histoire naturelle, les formules, en un mot, et les dictionnaires, occupent presque tout le monde : on s’imagine savoir davantage, parce qu’on a augmenté le nombre des expressions symboliques et des phrases savantes, et on ne fait point attention que tous ces arts ne sont que des échafaudages pour arriver à la science, et non pas la science elle-même ; qu’il ne faut s’en servir que lorsqu’on ne peut s’en passer, et qu’on doit toujours se défier qu’ils ne viennent à nous manquer, lorsque nous voudrons les appliquer à l’édifice161. » Ces remarques sont judicieuses, mais il nous semble qu’il y a dans les classifications un danger encore plus pressant. […] Il n’y a qu’un fait certain, en chimie, fixé par Boerhaave, et développé par Lavoisier ; savoir que le calorique, ou la substance qui, unie à la lumière, compose le feu, tend sans cesse à distendre les corps, ou à écarter les unes des autres leurs molécules constitutives.

2499. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Armand Baschet »

Je n’ai donc rien à dire, sur ce point, à l’infortuné Baschet ; mais je suis plus en droit, et je me sens plus en courage, de lui faire un autre reproche : c’est de n’avoir pas su, puisqu’il touchait à ce sujet scabreux du mariage de Louis XIII, quelle riche mine de comique il avait là sous la main ! […] Le froncé de ses sourcils se creuse davantage ; on voit qu’il sent profondément l’importance de ce qu’il va nous raconter ; et c’est ici que, sans le savoir, comme M. Jourdain quand il fait de la prose, il atteint, non pour le gros public qui veut un gros comique, mais pour le public raffiné, un genre de comique que les connaisseurs sauront apprécier… On a dit que pour les duchesses de l’ancien régime il n’y avait pas d’indécences, qu’elles pouvaient, sans embarras, se mettre toutes nues devant leurs gens, parce que leurs gens n’étaient personne.

2500. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Couyba, Charles-Maurice (1866-1931) »

Paul Verlaine Voici donc enfin retrouvée la « bonne chanson », si j’ose m’exprimer ainsi, non plus celle si piquante de Désaugiers, si correcte de Béranger, si bourgeoise, dans le bon sens, de Nadaud, mais plutôt, à mon avis, la chanson simple et vivante, dans le goût de Pierre Dupont, avec je ne sais quoi de la grâce du xviiie  siècle et la poésie vraie. […] Il me semble que vous avez su introduire, dans ces jolies compositions, d’une harmonie exquise, autant de poésie que le genre en comporte, et vos grands devanciers nous ont prouvé que toute inspiration peut s’y mettre à l’aise.

2501. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 434-435

Amour fut son modele à cet égard, & l’on sait combien il l’a surpassé. […] Son zele lui inspira cet artifice, pour dégoûter des lecteurs dangereuses ; exemple suivi de nos jours par un Pere Marin, Minime, à qui on eût souhaité, pour le succès de la bonne œuvre, plus de connoissance du monde & moins de prolixité, quoiqu’on doive lui savoir un très-grand gré de ses bonnes intentions.

2502. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 461-462

Depuis ce temps-là, on ne sait ce que cette pierre est devenue. M. l’Abbé le Bœuf, très-avide, comme on sait, de ces sortes de morceaux, assure cependant l’avoir vue dans la basse-cour d’un Curé, près de Versailles, où elle sert d’abreuvoir.

2503. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 92-93

Sa Muse a su se plier à tous les goûts. […] Une réserve dont on doit lui savoir gré, c’est que la vivacité de son imagination n’a jamais laissé échapper aucun trait contre la Religion, aucun de ces transports qu’on appelle philosophiques, aucune de ces saillies licencieuses qui coutoient si peu aux Grécourt, aux Chaulieu, & à quelques autres qui n’avoient jamais tant d’esprit que pour le vice & contre Dieu.

2504. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » p. 225

Il a su imprimer aux Productions Romanesques, auxquelles il s’est attaché, un caractere de décence & d’utilité qui rend les siennes dignes de tous les genres de Lecteurs. […] De telles Productions seront toujours distinguées, avec les éloges qu’elles méritent, de la multitude assommante de nos Romans bizarres, frénétiques, & sans dessein ; parce qu’elles prouvent qu’avec le talent d’écrire, leurs Auteurs ont du savoir & des lumieres qu’on ne peut acquérir qu’avec beaucoup d’étude & de réflexion.

2505. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

J’ai tenté de montrer avec quelle force la raison philosophique, malgré tous les obstacles, après tous les malheurs, a toujours su se frayer une route, et s’est développée successivement dans tous les pays, dès qu’une tolérance quelconque, quelque modifiée qu’elle pût être, a permis à l’homme de penser. […] Souvent des revers et toujours du malheur au dedans de soi ; mais l’esprit vraiment remarquable, mais une intelligence éclairée, c’est l’homme qui choisit le bien et sait le faire, pour qui la vérité est une puissance de gouvernement, et la générosité un moyen de force. […] Je ne sais quel caractère il a reçu du ciel, celui qui ne désire pas le suffrage des hommes, celui qu’un regard bienveillant ne remplit pas du sentiment le plus doux, et qui n’est pas contristé par la haine, longtemps avant de retrouver la force qu’il faut pour la mépriser. […] Je sais combien il est facile de me blâmer de mêler ainsi les affections de mon âme aux idées générales que doit contenir ce livre ; mais je ne puis séparer mes idées de mes sentiments ; ce sont les affections qui nous excitent à réfléchir, ce sont elles qui peuvent seules donner à l’esprit une pénétration rapide et profonde.

2506. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VII. Narrations. — Dialogues. — Dissertations. »

Quand deux personnes causent, c’est par une série d’allusions : elles savent ce dont elles parlent, elles se connaissent, et un mot en dit long pour chacune d’elles. […] Cet homme que nous fait entrevoir le grand romancier Tolstoï, lorsqu’il peint le défilé interminable des blessés de Borodino qui passe sous les yeux de son héros ému et navré, cet homme couché sur le ventre au fond d’une charrette, dans la demi-ombre de la bâche, blessé, on ne sait où ni quand, d’on ne sait quelle blessure, sans visage, sans nom, sans passé, sans avenir, forme obscure et vague un moment devinée et disparue pour jamais : c’est là, semble-t-il, un détail insignifiant ; et pourtant que de pensée, que d’émotion ramassée en ce seul trait ! […] Souvent aussi la division exacte entre les preuves de fait et les raisons théoriques ne saurait se faire, et une dissertation n’est qu’un enchaînement continu d’inductions et de déductions, de spéculations et d’observations, qui, par une progression régulière, par une clarté croissante, forment la conviction du lecteur.

2507. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXV. Mort de Jésus. »

On sait que, chez les Romains, les soldats, comme ayant pour métier de tuer, faisaient l’office de bourreaux. […] On ne sait pas avec exactitude l’emplacement de ce tertre. […] Selon une tradition, Jésus aurait prononcé cette parole, qui fut dans son cœur, sinon sur ses lèvres : « Père, pardonne-leur ; ils ne savent ce qu’ils font 1178. » Un écriteau, suivant la coutume romaine, était attaché au haut de la croix, portant en trois langues, en hébreu, en grec et en latin : LE ROI DES JUIFS. […] L’idée mère de ce cruel supplice n’était pas de tuer directement le condamné par des lésions déterminées, mais d’exposer l’esclave, cloué par les mains dont il n’avait pas su faire bon usage, et de le laisser pourrir sur le bois.

2508. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Mathilde de Toscane »

Lui, l’auteur des Nièces de Mazarin, de Madame de Montmorency, et, dans son Louis XVI, de ce portrait de Marie-Antoinette qui seul vaut une biographie, lui qui semble avoir spécialement jusqu’ici l’intelligence et le goût des femmes dans l’histoire, ne pouvait pas, puisqu’il abordait le Moyen Age, oublier une des plus purement grandes qui aient jamais existé… Aussi l’a-t-il peinte comme il sait peindre et nous l’a-t-il donnée. […] IV Laissons donc dire le titre de ce livre, qui nous invite avec un nom de femme ; laissons même les détails charmants et naïfs de ce poème retrouvé du chapelain de la comtesse Mathilde, dont Renée, l’habile enchâsseur qui sait faire reluire les moindres pierres, a orné les pages de sa chronique ressuscitée. […] L’histoire de l’Église, à cette époque, qu’il a su écrire, a des pages qui feraient pleurer ceux qui l’aiment. […] Je me contenterai des paroles par lesquelles il termine son jugement sur l’ensemble de la vie du pontife, et où la plume de l’historien a été constamment digne de son sujet : « Cet homme — dit-il en finissant — ne savait inspirer que des sentiments excessifs, la haine la plus violente ou le plus absolu dévouement.

2509. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Paix et la Trêve de Dieu »

Cependant, tels qu’ils sont et tels que l’avenir saura les discuter et les réduire, Guizot et Thierry resteront comme des historiens, du moins de gravité et d’effort, tandis qu’après eux, il faut bien le dire, le xixe  siècle, tout à l’heure sexagénaire, n’a sur le Moyen Âge que des romanciers… qui ne sont pas des Walter Scott ! […] En vertu d’un de ces despotismes grotesques de la bêtise qui sait s’imposer, le mépris mérité par des écrivains aussi inférieurs et aussi plats que les Anquetil et les Dulaure, par exemple, n’empêche nullement leur influence de s’exercer, même sur des esprits moins bas qu’eux ; et c’est ainsi que nous ignorons, tous ou presque tous, notre propre histoire. […] Philosophe du moi moderne, savez-vous ce que c’est que le point d’honneur ? […] Si l’auteur de la Trêve de Dieu ne plonge pas avant dans les horizons qui cernent son sujet et s’il ne voit pas la déduction des faits qui est la loi logique de l’histoire, en sa qualité de juriste il sait compulser des actes législatifs, évoquer des textes et rapprocher des décisions.

2510. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de la Révolution » pp. 73-87

Michelet sait donc à merveille de combien de bonnets de femmes se compose, en France, l’opinion publique. […] Triste procédé, qui pourrait dispenser la Critique de s’occuper d’un ouvrage dont le fond est déjà connu, si, d’un autre côté, le nom de l’auteur, le titre du livre, et les quelques points de suture qui tiennent les morceaux dont il est composé rapprochés, ne révélaient pas suffisamment l’éternel dessein de propagande contre lequel on ne saurait mettre trop en garde les esprits faibles sur lesquels Michelet, avec son talent mystico-sensuel, peut beaucoup agir. […] Il se contente de nous dire une fois de plus ce que tout le monde en sait. […] Qui ne sait l’outrance de la pensée de l’écrivain qui a écrit Le Prêtre, la Femme et la Famille ?

2511. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Si j’avais une fille à marier ! » pp. 215-228

Sans ce besoin, plein de coquetterie, de se recommander au seigneur public et de se concilier ses chères bonnes grâces, Weill n’eût peut-être pas collé au front de son livre cette locution usuelle, vulgaire, qui semble chercher des échos dans l’esprit de tous ceux qui la débitent, et qui doit plaire par sa simplicité familière aux amateurs du simple et du familier (et on sait s’ils sont nombreux, ces braves gens-là !) […] « Tu ne sais pas ce que c’est qu’une femme, ma fille, — dit Weill, — et il faut qu’avant de te marier tu apprennes ce que c’est qu’un homme (sic), et de nécessité il faut que tu le saches pour te marier et être heureuse par le mariage. » Tel est exactement le préambule de Weill. […] On dirait un flacon d’essence extrait de je ne sais combien de philosophies, — une eau de Mille fleurs philosophique, dans laquelle on reconnaît bien, quoique affadies les unes par les autres, toutes les erreurs qui portent aux têtes faibles et qui se confondent dans une petite infection très satisfaisante : ainsi le matérialisme français et le naturalisme du xviiie  siècle, et l’humanisme du xixe et l’idéalisme allemand et l’hégélianisme, mais l’hégélianisme en gouttelettes, dosé homéopathiquement, à peu près comme dans le petit flacon si bien bouché à l’émeri du baron de Feuchtersleben !

2512. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Charles d’Héricault » pp. 291-304

Je ne sache pas de livre meilleur que le sien pour jeter la goutte d’eau glacée sur les fronts échauffés par le bonnet rouge, — pour rasseoir et paralyser l’enthousiasme imbécilement ou épileptiquement révolutionnaire… Peu de temps avant sa mort, est-ce que Victor Hugo — un égaré aussi par l’histoire de la Révolution française — n’écrivait pas cette phrase, chargée, croyait-il, d’une prophétie : « Le dix Août est à la Révolution ce qu’aujourd’hui est à demain… » ? […] Et cela est si vrai, que M. d’Héricault, qui sait tout, n’est pas plus sûr du coup de pistolet de Merda que de son nom ! Mais ce qu’on sait, c’est que ce fut la fin, — la fin de la Terreur et de Robespierre, tués tous deux de ce coup de pistolet anonyme, resté mystérieux. […] Il fut tué, on ne sait trop par qui, et mal tué !

2513. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIII. Pascal »

Poésie naïve s’il en fut, celle-là, car elle ne se sait pas poésie, et quand elle le saurait, elle ne s’en soucierait pas ! […] dans une doctrine qui touche par un seul point à celle de Calvin, mais qui y touche, Pascal a su être un grand poëte. […] Qui sait, du reste ?

2514. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « A. P. Floquet »

Cependant, la Vie de l’Aigle de Meaux, tout oppressive qu’elle fût pour le faible talent de Bausset, eut un succès réel quand elle parut, et ce succès s’immobilisa dans l’espèce de considération qu’elle a gardée, mais dont les causes ne sauraient échapper qu’à une critique sans pénétration et sans regard. […] Mais pour qui savait voir, ils en éclairaient mieux le néant. Pour qui savait lire, il était évident que c’était là une histoire à refaire, et que ce livre de Bausset n’était pas un monument qui pût effrayer ou désespérer personne. […] L’enthousiasme ne sait pas trembler, un écrivain qui a voué à Bossuet un culte véritable et qui, pour mieux vivre tête à tête avec lui, s’est retiré intellectuellement de son siècle et n’a plus habité que celui de cet imposant génie, Floquet, a entrepris de nous donner un livre nouveau sur Bossuet, et, quoique sa modestie le cache avec un goût parfait sous ce nom respectueux d’Études, ce livre, d’une érudition vaste et détaillée, n’en est pas moins une biographie.

2515. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Maynard »

Et il a enfin été digne de parler de cet homme qu’on enterre un peu trop dans sa grande âme, mais qui était aussi, il faut bien qu’on le sache ! […] Il savait mieux que qui que ce fût ce qu’un homme comme Vincent pouvait pour la gloire et la vertu d’un sacerdoce qui avait besoin d’être relevé dans la doctrine et dans les mœurs. En dehors des questions religieuses, il savait aussi ce qu’il y avait de prudence, même à sa manière, à lui, Richelieu, dans cet esprit éclairé d’en haut, dans ce bon sens net, absolu, perçant, qui méprisait les disputes et allait à l’action par la voie la plus courte, parce qu’elle était la plus droite. […] Écueil de l’histoire de saint Vincent de Paul que cette humilité, pour qui ne saurait pas combien cette goutte d’eau du diamant catholique est belle.

2516. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Jules de Gères »

Je n’en sais rien, mais, si cela est, Gères n’en est que plus intéressant à mes yeux. […] Vous savez avec quels accents il y parle du mendiant Homère et de Virgile, qui garda les chevreaux ; seulement, la pauvreté d’Homère et l’humble condition de Virgile sont des misères poétiques et pittoresques. […] Il sait de reste que, lion ou gazelle, le poète n’obéit qu’à sa nature, et qu’il ne marche librement dans le fond de sa pensée que comme le lion et la gazelle dans leurs déserts ou dans leurs bois ! […] Mais à la rêverie il sait très bien allier la précision, nette et presque coupante, du détail.

2517. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Laurent Pichat »

Je savais, d’ailleurs, que Laurent Pichat était un démocrate, une manière d’homme politique… Démocratie et politique ! […] Qui sait ce qu’encore il offrait De richesse au poète avide ? […] Qui sait ce qu’on découvrirait Si l’on retrouvait la clé rose ? […] Et quoique l’auteur des Réveils n’en ait, que je sache, jamais recommencé d’aussi beaux, il y en a pourtant d’autres qu’on lit après ceux-là et qui dénotent une puissance de variété singulière dans l’inspiration et dans l’originalité.

2518. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Amédée Pommier »

Le xviie  siècle et le xixe se rejoignaient en lui et s’y étreignaient pour faire un poète d’ordre composite, très rare et très équilibré, et dans lequel on ne savait qui, des deux génies de ces deux siècles, dominait le plus. […] Ce poète, qui n’avait dans le rythme de rival que Théophile Gautier, et qui, comme âme poétique et comme inspiration, valait bien davantage, Amédée Pommier, qui n’a jamais su faire de visites pour l’Académie, n’en a jamais su faire non plus à la Critique et n’a demandé dix lignes d’article à personne. […] Mais ce qui rend cette impression encore plus profonde, c’est qu’immédiatement après avoir tracé cet écrit qu’on ne sait trop comment nommer, cette espèce de révélation testamentaire de sa vie, Amédée Pommier soit mort, après l’avoir signée· Cette mort presque subite donne, je trouve, à sa vie, la grandeur d’une destinée.

2519. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Madame Sand et Paul de Musset » pp. 63-77

Tout le monde sait les noms vrais de monsieur Lui et de madame Elle, et tout le monde les a dits, jusque sur les toits ! […] D’ailleurs, soyons francs une bonne fois : sait-on où commence le mystère, l’arcane, le sanctuaire de la vie privée, dans la destinée exceptionnelle des artistes et des écrivains qui font publicité de tout et jusque parfois de leurs vices ? […] C’est de plus l’histoire des lions qui croient savoir peindre… Madame Sand, comme toutes les femmes devenues des bas-bleus, et qui luttent d’orgueil contre l’homme, crée des hommes misérables dans tous ses romans, pour donner à peu de frais la supériorité à la femme. […] Les critiques qui veulent aller passer huit jours à Nohant peuvent la traiter de tête d’homme, de penseur, de génie qui n’a pas de sexe, etc. ; mais, pour ceux-là qui savent rester dans leur chambre, comme le voulait Pascal, madame Sand n’est qu’une femme littéraire, ayant plus ou moins de talent ou de prétention littéraire.

2520. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Deux romans scandaleux » pp. 239-251

Tout le monde sait les noms vrais de monsieur Lui et de madame Elle, et tout le monde les a dits, jusque sur les toits ! […] D’ailleurs, soyons francs une bonne fois : sait-on où commence le mystère, l’arcane, le sanctuaire de la vie privée, dans la destinée exceptionnelle des artistes et des écrivains qui font publicité de tout et jusque parfois de leurs vices ? […] C’est de plus l’histoire des lions qui croient savoir peindre… Mme Sand, comme toutes les femmes devenues des bas-bleus, et qui luttent d’orgueil contre l’homme, crée des hommes misérables dans tous ses romans pour donner à peu de frais la supériorité à la femme. […] Les Critiques qui veulent aller passer huit jours à Nohant, peuvent la traiter de têtu d’homme, de penseur, de génie qui n’a pas de sexe, etc. ; mais pour ceux-là qui savent rester dans leur chambre, comme le voulait Pascal, Mme Sand n’est qu’une femme littéraire ayant plus ou moins de talent ou de prétention littéraire.

2521. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Malot et M. Erckmann-Chatrian » pp. 253-266

Depuis Oswald, qui, dans Mme de Staël, ne sait plus celle qu’il aime de Corinne ou de Lucile, jusqu’à la femme de Leone Leoni, qui retombe toujours à son vil coquin d’amant, comme Maurice Berthaud (le héros de M.  […] N’avons-nous pas vu plus travaillées et plus rutilantes qu’ici les éternelles antithèses de la femme de vingt-sept ans et de la jeune fille de dix-sept, de la femme qui sait et de la jeune fille ignorante, de la brune enfin et de la blonde, pour que la physiologie, sans laquelle nous ne pouvons vivre même littérairement, y soit ? […] Il n’osait prononcer l’un et se sentait trop faible pour relever l’autre. » Cela n’est pas mâché, comme vous voyez, et on sait que nous ne sommes pas prude, mais nous demandons humblement, soit un peu de poésie, soit un peu de passion, pour faire passer ces franquettes d’expression qui, à froid, et dites comme cela, sont insupportables. […] Des débuts bien sages, laborieux… qui sait ?

2522. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

Bataille et Basetti ; je les prendrai et je le raconterai en quelques mots… Il faut bien que les pauvres gens qui ne demandent qu’à lire sachent de quoi il s’agit dans un livre dont on leur parlera certainement, parce qu’il est sur un sujet scabreux et scandaleux. […] Vous savez que pour être mis en première ligne dans les romans des réalistes, il faut être vulgaire de nom et faire des choses vulgaires ; c’est la suprême caractéristique de ces égalitaires charmants. […] … Je voudrais bien savoir ce qu’est le devoir pour un homme qui ne croit qu’à la vie, à la génération des êtres, à la reproduction et aux instincts !… Or, par cela même qu’elle a la passion du devoir… abstrait, sans doute, l’auteur, qui sait rire comme tout Ægipan, nous fait de Clémentine une caricature !

2523. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIV. Des panégyriques depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1748 ; d’un éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741. »

Le panégyrique du roi est fondé sur les faits qui se sont passés depuis 1744 jusqu’en 1748 ; et cette époque, comme on sait, fut celle de nos victoires ; ce qu’il n’est pas inutile de remarquer, c’est que l’auteur se cacha pour louer son prince, comme l’envie se cache pour calomnier ; mais les grands peintres n’ont pas besoin de mettre leurs noms à leurs tableaux ; celui-ci fut reconnu à son coloris facile et brillant, à certains traits qui peignent les nations et les hommes, et surtout au caractère de philosophie et d’humanité répandu dans tout le cours de l’ouvrage. […] La suite est un mélange de raison et de sensibilité, de douceur et de force ; c’est le sentiment qui sait instruire, c’est la philosophie qui sait parler à l’âme. […] L’officier en deviendrait plus grand, le soldat même n’oserait plus se croire avili dans son obscurité ; il saurait que pour aspirer à la renommée, il suffit d’être brave, et qu’elle n’est plus, comme les honneurs, le patrimoine exclusif de celui qui a de la fortune et des aïeux.

2524. (1932) Les idées politiques de la France

Il est même le contraire d’un cléricalisme : à savoir un laïcisme. […] Sait-on jamais ce qui réussira ? Tout de même oui : on sait que c’est rarement ce qui devrait réussir. […] On sait qu’il y a un moyen... […] Quant à savoir si cela durera, c’est une autre affaire.

2525. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

Il est probable que Saint-Just avait du génie, et de lui aussi on sait des mots étonnants. […] Et cela n’était point pour arranger ses affaires avec Napoléon qui refusait de venir à Genève sous prétexte qu’il ne savait pas l’anglais. […] Toutes les passions selon Fourier, donnent un rendement social quand on sait les utiliser. […] On sait que le vrai Byron en sourit. […] Il éleva à la deuxième puissance son génie poétique : le monologue qui n’était que comte devint duc, prince, burgrave, empereur, que sais-je ?

2526. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Il sait s’ennuyer ; ou plutôt il ne s’ennuie pas ; son train ordinaire, ce sont les sensations ternes, et l’insipide monotonie de la vie machinale n’a rien qui doive le rebuter. […] On ne saurait imaginer des clubs mieux munis du nécessaire et du superflu, des maisons si bien approvisionnées et si bien menées, l’agrément et l’abondance si savamment entendus, un service si sûr, si respectueux, si rapide. […] Ils ont voyagé par toute l’Europe, et souvent plus loin ; ils savent des langues et des littératures ; leurs filles lisent couramment Schiller, Manzoni et Lamartine. […] Ils feront parfois des émeutes, mais point de révoltes ; ils savent déjà l’économie politique, et comprennent que violenter les capitaux, c’est supprimer le travail. […] Ce que l’on sait de lui, c’est qu’il est parfaitement juste, et une confiance pareille suffit pour représenter tous les événements de la vie comme un acheminement vers le règne de la justice.

2527. (1860) Cours familier de littérature. IX « Le entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier (2e partie) » pp. 81-159

je ne saurais vous le dissimuler : j’emporte un profond sentiment de tristesse. […] Un acte de dureté envers son mari aggrava cette répugnance, des sévérités personnelles l’envenimèrent ; elle ne sut jamais haïr, mais elle sut s’éloigner. […] Il était alors attaché par je ne sais quel service d’honneur à la cour de la reine de Naples, sœur de l’empereur Napoléon. […] (On sait ce qu’il a fait après, quand le vent, au lieu de souffler des trônes, a soufflé des peuples, en 1848.) […] « Au milieu de tout cela je suis triste, et je sais pourquoi.

2528. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

J’étais revenu vingt fois, attiré par je ne sais quoi (c’était l’indéfinissable, ce qui attire le plus dans l’homme, dans la femme ou dans leur image). […] Une tombe, on ne sait sur quel chemin du monde, loin de la tombe de ton père ! […] La culture la plus intelligente ne saurait jamais remplacer ce mouvement naturel et spontané d’une société qui tend à faire de l’art la principale affaire de tout un peuple et la suprême expression de sa vie nationale. […] Tous les Athéniens comprenaient Démosthène, savaient leur langue, jugeaient leur législation et leurs arts. […] Il faut à la fois savoir regarder, sentir et exprimer : et exprimer comment ?

2529. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

On ne sait pas son nom. […] Vous avez su réunir ici bien des plantes différentes : voilà des vignes et des arbres fruitiers de plusieurs espèces. […] vous savez que les malheureux aiment à parler de leurs infortunes. […] Il savait par cœur les Nuits d’Young, et les sublimes passages de Werther, d’Atala et de René. […] Il n’y a que ceux-là qui savent le dire, parce que c’est la nature qui parle à leur place.

2530. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

Sachons le voir comme il est, avec sa belle énergie et son infatigable activité, son bon sens ferme et fin, ses instincts généreux, humains, bienfaisants. […] On ne saurait trop remarquer la qualité de la plaisanterie de Molière. […] Je ne sais rien de plus artificiel que cette division. […] Mais ici l’observateur internent, et dit que ce respect de la vérité est rare dans le monde que même la société ne saurait subsister, s’il était universel. […] Mais celui-là a voulu voir et su voir : c’est un réaliste, sans amertume et sans prétention.

2531. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Le beau morceau sur Epictète et Montaigne, qu’on sait être l’extrait d’une conversation de Pascal avec M. de Sacy, n’est pas une première impression à la suite d’une lecture récente. […] Ne savons-nous pas bien qu’il en connut toutes les angoisses ? […] Dans Descartes, c’est une éloquence de raisonnement, d’où le pathétique est exclu ; c’est la domination, avec je ne sais quelle insensibilité dédaigneuse. […] Le bon père jésuite qui trahit sa société sans le savoir, qui professe honnêtement une méchante morale, sera toujours bien plus dans la nature que Gorgias, lequel, après tout, n’est pas dupe de sa fausse rhétorique. […] Je tiendrais la chose impossible, si, après ce que j’ai vu de vos pères, je ne savais pas qu’ils peuvent faire facilement ce qui est impossible aux autres hommes. » Ailleurs, l’interlocuteur se montre impatient d’en savoir plus ; il excite le père, qui voudrait bien garder quelque chose du secret de la société.

2532. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

Un homme qui sait que sa vie est dans le plus grand danger et veut la sauver sera peut-être capable de dire, comme fit Louis XVI entouré d’une multitude furieuse : « Ai-je peur ? […] Darwin, on le sait, l’explique par l’attention qu’on porte sur son visage lorsqu’on a l’idée qu’un autre vous regarde : c’est cette attention qui appellerait le sang sur le visage même. […] On sait que Mosso a appliqué ingénieusement la balance même à l’étude de la circulation. […] D’ailleurs, nous savons qu’il n’y a pas un seul changement mental qui ne soit, à divers degrés, sensation, émotion et volition, pas plus qu’il n’y a de mouvement possible dans l’organisme qui ne soit afférent par son point d’entrée, central par son point d’arrivée et efférent par son point de sortie. […] Malgré cela, nous croyons que ce principe a une valeur psychologique que Darwin n’a pas su mettre en lumière.

2533. (1856) Cours familier de littérature. I « Ier entretien » pp. 5-78

Dieu seul sait les secrets de Dieu : aucun autre être ne pourrait ni les concevoir ni les garder. […] Ce fut mon premier sentiment littéraire ; il se confondit dans ma pensée avec ce je ne sais quoi de saint qui respirait sur le front de la sainte femme, quand elle ouvrait ou qu’elle refermait ces mystérieux volumes. […] Elle finit aussi avec elle : dès qu’un peuple ne sait plus ni chanter, ni écrire, ni parler, il n’existe plus. […] Sur ces pages où ils me reprochent d’entasser des monceaux de vanité, ce n’est pas de l’encre que vous lisez, sachez-le bien, c’est de la sueur ! […] Savez-vous pourquoi je supporte la vie ?

2534. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Aussi n’est-ce point une vaine pensée de croire que les corps des hommes illustres ne sont pas tout à fait mortels, et qu’il y a quelque esprit au-dehors qui ne se détache jamais des linéaments admirables dont la nature marque les gens de cette condition, en sorte que dans leurs portraits on connaît leurs génies, et qu’on y voit toujours je ne sais quoi de vif : ainsi qu’aux médailles antiques on dirait que ces têtes romaines respirent encore dans le métal quelque chose de leur vieille vertu. […] Faisons chez le panégyriste la part des ressouvenirs de Tacite et de Cicéron : on ne saurait rendre plus dignement toutefois l’impression que produit encore sur nous le portrait du président Jeannin, recueilli parmi ceux des grands hommes de Perrault. […] Tous deux affirmaient qu’ils avaient charge de faire faire à Dijon, et dans toute la Bourgogne, ce qui venait d’être fait à Paris : Je fus appelé, dit le président Jeannin, à la délibération du conseil qui fut pris là-dessus, avec le sieur de Ruffé, frère dudit sieur de Comarin, les sieurs de Vintimille et deux autres, entre lesquels opinant le premier comme le plus jeune et le moins qualifié (car je n’étais lors qu’avocat au Parlement), mon avis fut qu’il fallait mander ces deux seigneurs qui avaient apporté cette créance, et savoir d’eux séparément, et l’un après l’autre, s’ils la voudraient donner par écrit et signer. […] Mais que j’ai hâte, malgré les preuves d’énergie et d’habileté qu’il y donne, d’être sorti bientôt avec lui de ces époques pénibles de désordre et de confusion, où le patriotisme ne sait le plus souvent à quoi se prendre, où les routes du devoir sont douteuses et obscures, où il faut se cacher et user de ruse pour faire le moindre mal dans l’impuissance du bien, où les forces de l’État se consument dans des luttes intestines, et où les âmes généreuses seraient capables, à la longue, de s’aigrir et de s’altérer ! J’appelle le moment où, sous un roi magnanime et brave qui sait distinguer les hommes, la carrière se rouvrira pour le président Jeannin, carrière d’honneur, d’utilité manifeste, de services publics non équivoques, et qui parleront d’eux-mêmes : on y verra enfin se dessiner tout entier le vieillard illustre et consommé, qui a en lui les talents d’un Forbin-Janson, et qui tient aussi des vertus de L’Hôpital.

2535. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Pierre Clément, Chéruel, Bernier ; mais rien ne suppléait à une publication complète, et l’on doit savoir gré à M.  […] Dans un temps où notre pays est infesté de tant de fausses doctrines mortelles aux vraies méthodes, et traversé d’un détestable esprit où les charlatanismes et les timidités se combinent, sachons au moins les noms de ceux qui forment l’élite scientifique et philosophique, qui marchent à l’avant-garde de la pensée et demeurent l’espoir de l’avenir. […] On ne dit pas si le maître, et possesseur de la garde-robe le sut et y consentit. […] Homme d’affaires, il avait non-seulement de l’habileté, mais de l’adresse ; il savait se ménager entre deux, écueils. […] « J’ai lu au roi la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire pour demander des troupes pour essayer d’obliger les religionnaires de votre département à se convertir ; Sa Majesté m’a commandé de vous faire savoir qu’elle ne juge pas présentement de son service de vous en envoyer. » Il y eut bien des va-et-vient dans cette affaire de la Révocation, il y eut des flux et des reflux.

2536. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « GLANES, PÖESIES PAR MADEMOISELLE LOUISE BERTIN. » pp. 307-327

Faut-il dire à cet enfant qui joue quelque chose de cet avenir qu’on sait pour lui et qu’il ignore ? […] En ce bel hymne, à propos des filles de Délos si gracieuses à charmer, on lit ce ravissant passage : « … Elles savent imiter les chants et les sons de voix de tous les hommes, et chacun, à les écouter, se croirait entendre lui-même, tant leur voix s’adapte mélodieusement ! […] Je sais ce que de dignes successeurs, et à la fois novateurs habiles et prudents, ont pratiqué de louable pour soutenir et prolonger l’héritage. Je sais aussi les nobles audaces premières, et les témérités qu’on aimait, et la verve ou l’intention persistante de quelques-uns. […] L’école moderne n’a pas non plus résolu cette question de savoir s’il est possible en français de faire un poëme de quelque étendue, un poëme sérieux et qui ne soit pas ennuyeux ; malgré Jocelyn, qui était si digne et si près de la résoudre, la question demeure pendante155.

2537. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

Pourtant comme, en fait de personnes du sexe, la force et la grandeur ne sont pas tout, je ne saurais pour ma part pousser la préférence jusqu’à l’exclusion. […] On reviendra, si je ne me trompe, à ces femmes du xvie  siècle, à ces contemporaines des trois Marguerite, et qui savaient si bien mener de front les affaires, la conversation et les plaisirs : « J’ai souvent entendu des femmes du premier rang parler, disserter avec aisance, avec élégance, des matières les plus graves, de morale, de politique, de physique. » C’est là le témoignage que déjà rendait aux femmes françaises un Allemand tout émerveillé, qui a écrit son itinéraire en latin, et à une date (1616) où l’hôtel Rambouillet ne pouvait avoir encore produit ses résultats253. […] Je sais combien le vrai goût et le plus fin a été longtemps l’apanage presque exclusif du monde aristocratique ; combien, à certains égards, et malgré tant de changements survenus, il en est encore un peu ainsi. […] Après cela, que sur certains points délicats et réservés elle n’ait pas tout dit : que, par exemple, ses amours à la Bastille avec le chevalier de Menil aient été poussés encore un peu plus loin qu’elle n’en convient, il n’y a rien là que d’assez vraisemblable, et raisonnablement on ne saurait demander à une femme, sur ce chapitre, d’être plus sincère, sans la forcer à devenir inconvenante. […] Elle les observait à l’aise et aussi à ses dépens dans cette petite cour de Sceaux, absolument comme on observe de gros poissons dans un petit bassin : « Les Grands, écrivait-elle à Mme du Deffand, à force de s’étendre, deviennent si minces qu’on voit le jour au travers : c’est une belle étude de les contempler, je ne sais rien qui ramène plus à la philosophie. » Les scènes avec la duchesse de La Ferté et les aventures à Versailles sont d’un excellent comique et du meilleur goût, du plus franc, du plus simple ; cela va de pair avec la plaisanterie des Mémoires de Grammont.

2538. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre III. Le cerveau chez l’homme »

Je n’oserais pas contester ce tableau si saisissant et si spécieux, et qui paraît vrai dans sa généralité ; mais d’une part Gall voyait tout avec son imagination, et d’un autre côté, quand on a quelque expérience de ces questions, on sait qu’il est bien rare que les faits s’y présentent avec cette parfaite simplicité. […] On voit par tous ces faits que l’on ne sait pas encore très bien, quoi qu’en dise le docteur Gall, le rapport du développement du cerveau avec le développement de l’âge. […] Wagner, à 1807 grammes, on a encore un poids « très-supérieur à la moyenne, à savoir d’au moins 400 grammes ». […] N’oublions pas une dernière circonstance par laquelle on a cherché à expliquer la diversité et l’inégalité des intelligences, à savoir la composition chimique du cerveau, qui a attiré l’attention de nombreux observateurs. […] On trouve en effet que l’animal qui a le plus d’intelligence, à savoir le singe, est précisément celui qui se rapproche le plus de l’homme par la forme du cerveau.

2539. (1759) Observations sur l’art de traduire en général, et sur cet essai de traduction en particulier

Une des grandes difficultés de l’art d’écrire, et principalement des traductions, est de savoir jusqu’à quel point on peut sacrifier l’énergie à la noblesse, la correction à la facilité, la justesse rigoureuse à la mécanique du style. […] Mais quelque caché qu’il soit, nous savons toujours qu’il y en a eu, et c’est pour cela que nous préférons les ouvrages originaux aux ouvrages d’imitation. […] Ce courage consiste à savoir risquer des expressions nouvelles, pour rendre certaines expressions vives et énergiques de l’original. […] L’original doit y parler notre langue, non avec cette timidité superstitieuse qu’on a pour sa langue naturelle, mais avec cette noble liberté qui sait emprunter quelques traits d’une langue pour en embellir légèrement une autre. […] On l’accuse, je le sais, d’avoir peint trop en mal la nature humaine, c’est-à-dire, de l’avoir peut-être trop bien étudiée ; d’être obscur, ce qui signifie seulement qu’il n’a pas écrit pour la multitude ; d’avoir enfin le style trop rapide et trop concis, comme si le plus grand mérite d’un écrivain n’était pas de dire beaucoup en peu de mots.

2540. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lawrence Sterne »

Cette pèche, cet ananas, ce fruit exquis et fin et sans nom, d’une espèce unique peut-être sur l’espalier d’une littérature, a des parties meurtries, qui pourraient bien, qui sait ? […] Nous ne savons pas à quel point l’Angleterre, dupe de Chatterton une première fois et de Macpherson une seconde, croit à la réalité de l’œuvre posthume attribuée au plus original de ses conteurs ; et que nous importe ! […] Avec l’admiration qu’il a pour Sterne et qui nous paraissait d’un heureux augure, nous aurions cru qu’il eût saisi l’occasion de nous donner sur ce rare génie que Jean-Paul appelle, je ne sais plus où « la rose bleu de ciel dans l’ordre des intelligences », quelques pages de critique humaine et profonde. […] nous savons pourquoi ils ont combattu. […] Humouriste à teintes adoucies et pures, dans une contrée où l’humour a des tons criards et je ne sais quelle hagarde ivresse, il ne doit la transparence de son sourire et la limpidité de ses larmes qu’à la chasteté du sentiment chrétien qui ne l’abandonne jamais, et, sur les limites de la passion où parfois il glisse, se rappelle encore à lui par une rougeur… Ascète adorable, qui donnerait des charmes inattendus à l’Austérité et qui s’est peint en trois traits, lui et son talent, quand il a dit : « Que faut-il à « un homme pour être heureux ?

2541. (1936) Réflexions sur la littérature « 6. Cristallisations » pp. 60-71

Ils restreignent à on ne sait quel cercle noble étrangement choisi la suite des noms qui leur paraissent compter. […] Aucun grand artiste ne paraît avoir réalisé un de ces amours absolus : on ne saurait même les imaginer chez les héros suprêmes, un Platon, un Léonard ou un Goethe, dont les cristallisations amoureuses ne peuvent vivre que comme essais, ébauches de leurs cristalisations esthétiques. […] Que Béatrice ait ou non existé, on ne saurait se tromper sur la nature de la cristallisation qu’elle a subie chez Dante, et toutes les femmes qu’ont idéalisées tour à tour les descendants du grand poète ont trouvé autour d’elles parfois comme une prison ou une meurtrissure la cristallisation de l’art là où elles attendaient le voile diaphane de l’autre cristallisation. […] Je crois bien qu’il est le seul aujourd’hui à représenter un type complet de critique esthétique, à qui sont familières chacune des trois branches de l’art, plastique, littéraire et musicale, et qui sait constamment les réunir par des lianes souples d’idées générales. […] Le malentendu, l’hostilité de l’artiste et de la société ne sont pas niables, mais le tempérament de l’artiste fait sa partie dans ce malentendu, et il y aurait peut-être quelque chose de pire qu’une société sans artistes, à savoir une société d’artistes.

2542. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mariéton, Paul (1862-1911) »

L’idéal lyonnais — nous ne savons quelle douceur rayonnante répandue là-bas chez les hommes et surtout chez les femmes — se marque bien, sinon dans la personne, du moins dans l’œuvre poétique et même dans la prose de M.  […] Il sait, lui aussi, donner une façon achevée à ses émaux et camées.

2543. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Des Rieux, Lionel (1870-1915) »

Et puis, M. des Rieux a su apporter tant de probité à la reconstitution de ses petites scènes grecques, que, vraiment, on ne saurait lui en vouloir de son archaïsme cherché, et qu’on doit seulement se contenter de sourire de la satisfaction tout à fait jeune et de sain érotisme qu’avec bonheur et discrétion il a trouvée pour nous… [L’Ermitage (octobre 1895).]

2544. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 230-231

On a aussi de lui des Mémoires, qui seront estimés de quiconque est capable de connoître le prix d’une narration claire, méthodique, naïve, qualités préférables au ton embarrassé ou à la fausse chaleur que plusieurs Ecrivains n’ont pas su éviter dans leurs récits. […] A cette occasion, on doit lui savoir plus de gré d’avoir compris que c’étoit la vraie maniere de traduire les Poëtes, qu’on ne doit lui reprocher son imprudence d’avoir entrepris un pareil Ouvrage avec aussi peu de talent pour la versisication.

2545. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 523-524

Sans l’envisager ici sous un autre point de vue que celui que nous nous sommes proposé dans cet Ouvrage, on peut regarder ce Traité comme un monument de son zele & de son savoir. […] On sait que le sel & la vivacité de cette plaisanterie contribuerent, autant que les armes d’Henri IV, à porter les derniers coups aux extravagances de la Ligue, en la couvrant de ridicule.

2546. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 271-272

La Scene Françoise ne lui doit encore que le Philosophe sans le savoir, qu'on peut dire être tous les jours applaudi sans savoir pourquoi.

2547. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 282-284

La plupart des Auteurs d'à présent ne sont plus si dupes ; ils savent dans la plus grande précision ce qu'un volume doit rendre ; cet objet paroît plus les toucher que celui de la gloire. […] On sait que ce Livre est un amas, un magasin de formules de Lettres & de Complimens, sur toutes sortes de sujets, où le Peuple croit encore aujourd'hui trouver un modele du style épistolaire.

2548. (1818) Essai sur les institutions sociales « Avertissement de la première édition imprimée en 1818 » pp. 15-16

D’ailleurs, si nous voulons savoir toutes les choses à mesure qu’elles passent sous nos yeux, nous instruire des doctrines avant qu’elles aient vieilli ; savoir, pendant qu’ils l’occupent encore, les noms des acteurs qui se succèdent sur la scène politique, n’avons-nous pas les journaux de tous les jours, les livres de chaque semaine, les pamphlets du soir et du matin ?

2549. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

Enfin, quand ce serait un peu à vos dépens que j’aurais voulu faire réussir votre enfant, en bon père vous devriez m’en savoir gré et reconnaître à ma conduite le zèle de l’amitié. […] À l’instant un des interlocuteurs change de ton ; il essaye de se rétracter, ou du moins d’atténuer ce qu’il vient de dire : On le regarde, on se regarde, on ne sait d’où vient un changement si subit. […] Devaines, vous êtes donc d’avis que je ne sais pas écrire. […] C’est dans cette discussion que le Conseil d’État se sentit partagé entre le respect dû à ce savant octogénaire, à ce sage esprit en qui ne s’est affaiblie aucune faculté et d’où ne s’est échappée aucune portion de savoir, et l’admiration due à ce jeune législateur qui, malgré sa jeunesse, affronte les points les plus ardus de la législation. […] [NdA] Voici l’extrait pur et simple, et comme la minute de la conversation qui eut lieu à ce sujet (9 décembre 1799) : — Bonaparte : « Je ne sais qui faire consul avec Cambacérès.

2550. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

Il resterait toujours à savoir si ce procédé attentif et curieux, employé à l’exclusion de tout autre, est dramatique dans le sens absolu du mot ; et pour notre part nous ne le croyons pas : mais il suffisait, convenons-en, à la société d’alors, qui, dans son oisiveté polie, ne réclamait pas un drame plus agité, plus orageux, plus transportant, pour parler comme madame de Sévigné, et qui s’en tenait volontiers à Bérénice, en attendant Phèdre, le chef-d’œuvre du genre. […] Depuis Andromaque, qui parut en 1667, jusqu’à Phèdre, dont le triomphe est de 1677, dix années s’écoulèrent ; on sait comment Racine les remplit. […] Il est vrai que ce gracieux épisode de la Bible s’encadre entre deux événements étranges, dont Racine se garde de dire un seul mot, à savoir le somptueux festin d’Assuérus, qui dura cent quatre-vingts jours, et le massacre que firent les Juifs de leurs ennemis, et qui dura deux jours entiers, sur la prière formelle de la Juive Esther. […] C’est l’épanchement le plus pur, la plainte la plus enchanteresse de cette âme tendre qui ne savait assister à la prise d’habit d’une novice sans se noyer dans les larmes, et dont madame de Maintenon écrivait : « Racine, qui veut pleurer, viendra à la profession de la sœur Lalie. » Vers ce même temps, il composa pour Saint-Cyr quatre cantiques spirituels qui sont au nombre de ses plus beaux ouvrages. […] Des critiques sans portée ont abusé du droit de le citer pour modèle, et l’ont trop souvent proposé à l’imitation par ses qualités les plus inférieures ; mais, pour qui sait le comprendre, il a suffisamment, dans son œuvre et dans sa vie, de quoi se faire à jamais admirer comme grand poëte et chérir comme ami de cœur.

2551. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Mais celui qui ne saurait obtenir de ses semblables aucun témoignage d’approbation volontaire, quel intérêt a-t-il à la conservation de la race humaine ? […] Je ne sais si la puissance de la pensée doit détruire un jour le fléau de la guerre ; mais avant ce jour, c’est encore elle, c’est l’éloquence et l’imagination, c’est la philosophie même qui relèvent l’importance des actions guerrières. […] Il faut opprimer lorsqu’on ne sait pas convaincre ; dans toutes les relations politiques des gouvernants et des gouvernés, une qualité de moins exige une usurpation de plus. […] Dans le calme, dans le bonheur, la vie est un travail facile ; mais on ne sait pas combien, dans l’infortune, de certaines pensées, de certains sentiments qui ont ébranlé votre cœur, font époque dans l’histoire de vos impressions solitaires. […] Les suites quelconques des actions des hommes ne sauraient ni les rendre innocentes, ni les rendre coupables ; l’homme a pour guide des devoirs fixes, et non des combinaisons arbitraires ; et l’expérience même a prouvé qu’on n’atteint point au but moral qu’on se propose, lorsqu’on se permet des moyens coupables pour y parvenir.

2552. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

La Réforme leur porta un coup mortel : n’ayant pas su s’élever à l’art, ils excitèrent, par la plate familiarité ou le réalisme bouffon de leurs drames, la raillerie scandalisée des protestants, la défiance et l’hostilité des catholiques. […] On ne sait trop d’où venaient les Enfants sans souci, les Sots habillés de jaune et de vert, et coiffés du chaperon orné d’oreilles d’âne et de grelots. […] Ou sait qu’on jouait des farces dès le xiiie  siècle, nous l’avons dit : on en a joué plus que jamais aux xve et xvie  siècles. […] On ne sait par qui ni quand Patelin fut composé et joué : tous les noms, toutes les dates qu’on a donnés ne s’appuient sur aucun fondement sérieux. […] Mais, et précisément pour cette raison, il ne faut pas juger du genre de la farce par Patelin qui est resté unique, qui n’a rien continué, rien commencé, que nous sachions, dans l’histoire de notre théâtre, qui par conséquent est en dehors du cours normal de son développement.

2553. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre VIII »

On ne sait par quel bout prendre ce hobereau détraqué. […] Mais savez-vous que ce Breton perverti devient presque odieux, lorsqu’il se pose en victime de la capitale ? […] Sa fille l’a jugée sans le savoir, et l’a condamnée. […] Il n’y peut rien et ne sait qu’y faire. […] oui, je sais, — réplique Léopold, — l’histoire de cette maîtresse de piano ! 

2554. (1875) Premiers lundis. Tome III «  Les fils  »

» Nous admettons donc très-bien que l’on sache gré à M.  […] Il s’agissait uniquement, dans le cas particulier, de savoir si le prince de Broglie a un talent si extraordinaire qu’il doive aspirer à une nomination en quelque sorte extraordinaire et d’exception, qui le fasse siéger à l’Académie à côté du duc, son père ; s’il y a lieu, en un mot, à un cumul dans une même famille.

2555. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Ducoté, Édouard (1870-1929) »

Et l’on ne saurait plus exactement dépeindre, il me semble, la physionomie de ce poète. […] Ducoté est un sincère, et quand il ne cherche pas à quintessencier, il sait dans une langue excellente exprimer des sentiments très humains et des sensations très délicates.

2556. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Raymond, Louis (1869-1928) »

Je cueille au passage : Et il y a je ne sais quelle cloche qui tinte obstinément dans le silence, à bord de quelque navire en partance. Là-bas, dans le port tout proche, il y a je ne sais quelle cloche qui tinte ses notes éteintes, obstinément, dans le silence.

2557. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 52-53

Ses Discours Latins, couronnés par l’Université de Paris, prouvent qu’il est très-versé dans la Langue que son état l’oblige d’enseigner ; deux autres Discours François prouvent encore qu’il sait écrire dans la sienne. […] On ne sauroit trop avertir les Auteurs de se prémunir contre le dégoût du travail, qui fait languir sur la fin les productions littéraires entreprises d’abord avec le plus d’ardeur, & accueillies avec estime.

2558. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 174-175

On sait qu'elle retira chez elle ce Pere de la Fable, & qu'elle eut le bonheur de posséder vingt ans dans sa maison, celui qu'elle appeloit si ingénieusement son Fablier. […] de Fontenelle qui étoit de leurs amis, m'ont assuré que cette Dame, qui s'est distinguée par son mérite & par son savoir, n'a jamais composé de Vers ».

2559. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

Il se sentait poète sans savoir ce que c’était que la poésie ; il avait une langue harmonieuse sur les lèvres sans savoir si c’était un patois ; cette langue de sa mère était, à son gré, la plus délicieuse, car c’était celle où il avait été béni, bercé, aimé, caressé par cette mère. […] Mais d’abord sachez que tout le récit est écrit, à peu près comme les chants du Tasse, en stances rimées de sept vers inégaux dans leur régularité. […] Nul ne sait mieux ce qu’il a voulu dire ; notre français à nous serait un miroir terne de son œuvre : le sien à lui est un miroir vivant. […] — Je ne sais, répondit-elle à voix basse et en baissant le front. […] Vous savez comme elle est !

2560. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 374-376

Les Gens de Lettres ne sauroient-ils donc jamais employer une juste mesure, dans les jugemens qu’ils portent sur certains Ouvrages ? […] On doit donc savoir gré à M. de Brebeuf, d’avoir semé dans la sienne des vers heureux, des pensées sublimes, des morceaux d’une élégance & d’une précision que nos meilleurs Poëtes ne désavoueroient pas, & qu’ils ont même imités.

2561. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 388-389

Il sut rajeunir & embellir l’ancienne Comédie de l’Avocat Patelin, qu’on jouoit dès le temps de Charles VIII, & dont François Corbueil est le premier Auteur. […] Les Ouvrages des hommes de génie, & l’on peut appeler de ce nom l’Auteur du Grondeur, devroient être sacrés pour ceux qui n’en sont que les organes, & qui n’ont de mérite qu’à proportion qu’ils savent en rendre les beautés dans toute leur valeur.

2562. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 407-409

Sa maniere & son style ont su faire goûter aux esprits les plus frivoles une science d’observations, qui n’avoit été négligée, que parce que ses prédécesseurs n’avoient pas eu, comme lui, le talent de la rendre piquante & de l’embellir. […] Pourroit-on s’étonner, après cela, de voir toute l’Europe s’empresser de recueillir ses Ouvrages, & la gloire de la Langue Françoise passer chez l’Etranger avec les richesses du savoir ?

2563. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 444-446

On sait qu’après avoir épuisé l’indulgence de Louis XI, perdu les bonnes graces d’Edouard V, Roi d’Angleterre, il mourut en pays étranger, accablé de chagrins, déchiré de remords, & détesté de tous les honnêtes gens. […] Villon sut le premier, en ces siecles grossiers, Débrouiller l’art confus de nos vieux Romanciers.

2564. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Poursuivons pourtant : « Ayant ainsi expliqué les mots, j’arrive maintenant à la proposition qu’ils forment, à savoir que la religion est le meilleur des savoirs et la meilleure des sagesses. […] La vérité ainsi appuyée sur toutes ses assises ne saurait plus être ébranlée. […] Ses sermons ont l’air d’une conversation, d’une conversation du temps, et vous savez de quel style on causait à ce moment en Angleterre. […] Sans le savoir, les deux peuples roulent depuis deux siècles vers ce choc terrible ; sans le savoir, ils n’ont travaillé que pour l’aggraver. […] Il examine entre autres « le péché contre le Saint-Esprit. » On aurait bien voulu savoir en quoi consistait ce péché dont parle l’Évangile.

2565. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

Quand personne ne sait qu’une chose est, c’est à peu près comme si elle n’était pas. […] Oh, je sais ce que la société dit (elle a, je le répète, ses raisons de le dire) ; mais pour savoir ce qu’elle pense et ce qu’elle veut, il ne faut pas trop écouter ce qu’elle dit, il faut regarder ce qu’elle fait. […] Pour le savoir, voyons d’abord ce qui nous est tacitement demandé. […] On sait ce qu’une découverte scientifique implique de concentration et d’effort. […] Comment saurait-on autrement ce qu’on doit faire dans chaque cas particulier ?

2566. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

Sachez que ces habits ont en eux deux vertus particulières. […] On sait que le traité à peine conclu fut attaqué avec violence ; Swift qui l’avait facilité, eut encore à le défendre. […] Swift connaissait maintenant l’Irlande et savait quel point d’appui on pouvait trouver dans ses souffrances et dans ses passions. […] On dit généralement que vous en êtes l’auteur, mais le libraire déclare qu’il ne sait pas de quelle main il l’a reçu. […] Qui ne sait alors que nous allons chercher du secours auprès de ceux qui ont éprouvé le même sentiment, et qui l’ont communiqué d’une façon durable au genre humain.

2567. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Pour moi, je ne sais plus qu’il m’a fallu, hélas ! […] N’y a-t-il donc personne qui sache lire avec soin ? […] Admettons que nous ne savons pas lire et que cela s’y trouve. […] Mais, avant su notre Pouvoir, usons notre Pouvoir. […] mais ne sais-tu pas à qui seul forger l’Or sera accordé ?

2568. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

Quand vous attendez pour l’unique plaisir de savoir ce qui va arriver, vous désirez encore ce plaisir ; quand vous contemplez l’objet prétendu indifférent, vous désirez le connaître, vous tendez encore à lui. […] Un son imperceptible n’est pas nécessairement un souvenir de son, quoique, en écoutant une cloche lointaine, quand le son atteint un certain degré de faiblesse, on ne sache plus si ce qu’on entend est souvenir ou perception. […] On sait que, pour Spinoza, la croyance est le caractère essentiel de toute représentation non contredite. […] Nous n’en savons rien. […] La question est de savoir s’il faut, au lieu du jeu des lois de la sensation, de l’émotion et de l’appétit, invoquer une loi transcendantale ou, pour mieux dire, une faculté transcendantale.

2569. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

les tours ne vinrent que de la difficulté de s’exprimer ; les épisodes de l’inhabileté qui ne sait pas distinguer et écarter les choses qui ne vont pas au but. […] Demandez-leur pourquoi la jurisprudence antique des Romains fut entourée de tant de solennités, de tant de mystères ; ils ne savent qu’accuser l’imposture des patriciens. […] Les exceptions, les privilèges sont souvent demandés par l’équité naturelle ; aussi les gouvernements humains savent faire plier la loi dans l’intérêt de l’égalité même. […] Il croyait avoir remarqué que ceux qui savent tant de langues, n’en possèdent jamais une parfaitement. […] On ne peut s’en étonner lorsqu’on sait comment elle fut publiée.

2570. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

il est des choses que je veux savoir, et je t’interrogerai jusqu’à ce que tu me les aies dites. » Et, à la fin du solennel dialogue : Wola « Tu n’es point Wegtamr, comme je l’ai cru ; tu es Odin, le chef des peuples. […] Loke « Quel est ce poisson qui ne sait passe préserver du piège ? […] »   Ces exemples suffisent pour montrer que la recherche des origines mythiques des poèmes wagnériens ne saurait en rien amoindrir l’invention poétique du maître. […] A côté de l’initiation lente causée par les auditions encore rares des œuvres de Wagner, se poursuivait une propagande active autant que sincère, entreprise d’enthousiasme par des admirateurs qui joignaient à la solidité de leurs convictions, le savoir et l’objectivité nécessaires à toute critique respectable. […] Richard Wagner nous a donné le drame idéal ; en lui élevant une maison exclusivement spéciale, il a clairement indiqué que ce drame ne saurait vivre dans nos théâtres, qu’il doit rester entièrement en dehors d’eux.

2571. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre II : La Psychologie »

Il n’y a pas à en douter ; car, d’une part, on ne sait pas ce qui a été dit ou lu, et d’autre part, si le lecteur cesse subitement, nous nous éveillons, ce qui montre que nous avions la sensation des sons. […] Le naturaliste, dit-il, sait qu’il y a une différence énorme entre le singe et l’huître ; mais il sait aussi que malgré leurs différences, tous les animaux obéissent aux mêmes lois biologiques. […] Quant à la pensée, nous ne savons pas et ne saurons peut-être jamais ce qu’elle est. Nous ne savons plus ce qu’est la vie. […] Aussi je n’admets pas cette transformation : et quand on me dit qu’une excitation nerveuse en atteignant le cerveau est transformée en sensation, je demande d’où on le sait et comment on le prouve.

2572. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Et qui sait même si ce n’est point par le fait de ce sentiment partagé qu’il a peint, lui, M.  […] Seulement, il faut bien pourtant que vous le sachiez ! […] Qui peut le savoir avec un écrivain dont l’outrance en tout est suspecte ? […] Zola, c’est peut-être aussi, qui sait ? […] Qui sait ?

2573. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Appendices de, la deuxième édition »

Nous savons que les formules de Lorentz donnent les relations qui lient les coordonnées d’espace et de temps mesurées par Pierre aux coordonnées d’espace et de temps mesurées par Paul, pour un même événement. […] (il ne saurait être en plusieurs à la fois), en chacun d’eux il trouvera et vivra le même Temps réel t, attribuant alors successivement au système S les Temps simplement représentés t″, t‴, etc. […] On ne saurait s’exprimer avec plus de précision. […] Mais nous savons que, si S est en mouvement, le physicien qui s’y trouve est un physicien simplement représenté : le physicien réel est en S″. […] Pour le savoir, nous n’avons qu’à placer notre observateur réel, tour à tour, en S et S′.

2574. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — Q — Quinet, Edgar (1803-1875) »

Jules Barbey d’Aurevilly Tout le monde le sait, M.  […] On ne sait quoi d’affectueux lui concilie, le lecteur.

2575. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 366-368

« Un habile Traducteur, dit-il*, doit être un Protée qui n’ait point de forme immuable, & qui sache prendre toutes les diverses formes des Originaux. Mais pour cela, outre la souplesse du génie, il faut de la patience : vertu qui manque plus que le génie aux François, & qui manque sur-tout aux Traducteurs ; car tout Ecrivain ne fait effort qu’à proportion de la gloire qu’il se promet de son Ouvrage ; & comme les Traducteurs savent que le préjugé du Public n’attache qu’une gloire médiocre à leur travail, aussi sont-ils sujets à ne faire que des efforts médiocres pour y réussir. » Après avoir condamné la maniere de traduire de Tourreil, on doit rendre justice aux deux Préfaces excellentes qu’il a mises à la tête de sa Traduction.

2576. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

Il n’assista pas aux premiers actes mémorables ni à la séance du Jeu de paume, où David d’ailleurs a bien fait de le placer : on sait d’avance en quel sens il aurait marché, et, dès son entrée, il prit rang dans l’Assemblée à côté des plus actifs et des plus utiles, et comme le premier lieutenant de Sieyès. […] Je ne veux pas d’assignats pour plus de 200 millions ; et M. de Mirabeau sait très bien, du moins je m’en flatte, que le secret de mon opinion n’est pas dans des vues malhonnêtes ou contraires à la Révolution. […] Mirabeau continue : Je ne sais pas trop ce que j’écris dans ce tumulte, mon cher Roederer ; mais ce que je sais, c’est qu’il suffit que l’abbé Sieyès et vous soyez d’un avis pour que je sois sûr, même sans examen, que l’on peut honnêtement et raisonnablement avoir cet avis. […] En tête de cette traduction, restée manuscrite, il disait (janvier 1794) : J’entreprends la traduction de ce livre (De Cive) sans savoir si j’aurai le temps ou le courage ou la volonté de le finir. […] [NdA] J’ai peine à m’expliquer comment Étienne Dumont de Genève, en ses Souvenirs, parlant de Roederer qu’il rencontrait dans le groupe des Girondins, a pu dire de lui : « Roederer, homme d’esprit, mais fort ignorant, avait un fonds de légèreté dans le caractère qui lui donnait un rôle subalterne, quoique par sa capacité il l’emportât sur presque tous. » Quand on a eu sous les yeux les extraits en masse des lectures de Roederer dès sa première jeunesse, et quand on a vu l’ensemble de ses travaux sous la Constituante, on ne saurait admettre que cette ignorance dont parle Dumont, et dont les plus instruits eux-mêmes ne sont pas exempts sur les points étrangers à leurs études, ait porté le moins du monde sur la science politique et économique qui était l’essentiel ici.

2577. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [III] »

Le parti qui me reste à prendre n’est pas difficile à préjuger : je dois soutenir mon rôle et savoir mourir au besoin. […] Monseigneur, Votre Altesse sait au prix de quels efforts j’ai fait les cinq dernières campagnes. […] — Si ce n’est que cela, soyez tranquille, l’Empereur sait tout ; je vous ai toujours voulu du bien, et si vous me laissez dire à l’Empereur que vous vous soumettez, l’affaire s’arrangera à votre satisfaction. » Elle était arrangée déjà. […] Jomini en saura quelque chose. […] Les services de Jomini dans cette retraite furent d’un autre ordre : il avait étudié le pays et savait les endroits moins ravagés, les chemins qu’on pouvait prendre pour avoir chance d’éviter l’ennemi, ou du moins pour le trouver moins en force.

2578. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre III »

Et le village lui-même ne sait plus comment revendiquer ses communaux  Contre le papier griffonné, contre les agents publics, contre l’homme qui de près ou de loin touche au blé, l’acharnement est aveugle et sourd. […] On fait venir les dragons de Provins, les braconniers en tuent un, abattent trois chevaux, sont sabrés ; quatre d’entre eux restent sur la place et sept sont pris. — On voit par les cahiers des États Généraux que, chaque année, dans chaque grande forêt, tantôt par le fusil d’un braconnier, tantôt et bien plus souvent par le fusil d’un garde, il y a des meurtres d’hommes  C’est la guerre à demeure et à domicile ; tout vaste domaine recèle ainsi ses révoltés qui ont de la poudre, des balles et qui savent s’en servir. […] Combien d’assassinats de curés, de laboureurs, de veuves qu’ils ont tourmentés pour savoir où était leur argent et qu’ils ont tués ensuite !  […] Leur entretien coûtait au roi un million par an, et Dieu sait comment ils étaient entretenus ! […] Il y en a trop, on ne saurait où les mettre.

2579. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

Ses personnages ne vivaient pas à la cour, mais aux champs et dans les étables, et on lui pardonnait de se faire fermier, et de savoir le nom rustique des bêtes, de dire la bique, le loquet, de peindre bravement la cuisine, « le tripotage des mères et des nourrissons », et plus intrépidement encore les habits de ses personnages, « le jupon crasseux et détestable d’une misérable vieille. » Il fait entendre les « pétarades » du cheval. […] Les mots diffèrent, par le son d’abord ; tout le monde sait qu’il y a des sons larges et francs, légers ou durs, élégants ou sales. […] 191 Je ne sache pas que La Fontaine ait jamais voulu faire une phrase symétrique. […] En tout ce mont ne sai Nulle si belle bête, Comme vous, dom Corbel Car fussé-je si bel Et de corps et de tête. […] La vérité pourtant est que les grands poëtes seuls savent mettre d’accord l’expression et l’idée, la sensation et le sentiment.

2580. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

J’en sais trois : « Un misérable est un objet de curiosité pour les hommes. […] Lorsqu’on ne sait où gît le siége du mal, où peut-on appliquer le remède ? […] « Mais, si nous ignorons comment le malheur agit, nous savons du moins en quoi il consiste : en une privation. […] « Peut-être aussi, lorsque tout repose, entre deux ou trois heures du matin, au murmure des vents et de la pluie qui battent contre votre fenêtre, écrivez-vous ce que vous savez des hommes. […] « Lorsque l’homme sauvage, errant au milieu des déserts, eut satisfait aux premiers besoins de la vie, il sentit je ne sais quel autre besoin dans son cœur.

2581. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Michaud était né journaliste : aux aguets chaque matin, il excellait à faire cette guerre à l’œil, à suivre en souriant les moindres mouvements de l’ennemi, à tomber sur lui par surprise ; quand on sait si bien le point juste où il faut viser pour blesser, il est difficile, même aux moins méchants, un jour ou l’autre, de ne pas être cruels. […] Ami de ces deux dames, je ne sais s’il a été amant ; mais surtout il a été aimé ; Mme Cottin l’appelait du petit nom de Ferdinand. […] Soulié, Nodier, le marquis de La Maisonfort, appartenaient à la première Quotidienne que je sais peu. […] C’est un office modeste ; les ministres ne sauraient en être jaloux… On ne dit pas d’un réverbère qui brille dans la nuit, qu’il exerce son influence sur la marche des passants. » La situation d’un homme d’esprit aussi libre que M.  […] Ceux qui l’ont vu à Passy, dans ses dernières années, savent combien il était resté aimable, indulgent, bon et malin, accueillant pour l’esprit, de quelque part qu’il vînt.

2582. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Benjamin, qui le voyait faire, qui entendait causer ceux qui y contribuaient de leur plume, et qui lui-même travaillait à l’imprimer, eut l’idée de donner quelques articles ; mais, sentant bien qu’on les refuserait avec dédain à cause de sa jeunesse, si on l’en savait l’auteur, il les fit arriver d’une manière anonyme et en déguisant son écriture. […] Il y reviendra, après ses premières licences, d’une manière sincère et touchante : je ne sais aucun déiste qui témoigne un sentiment de foi plus vif que Franklin ; il paraît croire, en toute occasion, à une Providence véritablement présente et sensible ; mais là encore, qu’est-ce qui a le plus contribué à le ramener ? […] La vérité et la sincérité ont un certain lustre naturel distinctif qui ne peut jamais bien se contrefaire ; elles sont comme le feu et la flamme, qu’on ne saurait peindre. […] À cette probité réelle et fondamentale, Franklin tenait aussi à joindre le profit social légitime qui en revient ; mais, en remarquant les petites adresses et les petites industries qu’il mettait à se rendre de plus en plus vertueux au-dedans et à être de plus en plus considéré au-dehors, on ne saurait jamais séparer chez lui l’apparence d’avec la réalité. […] C’est par ces degrés de sagacité morale, de sagesse de conduite, de rectitude et d’adresse, d’amour du bien public et de bonne entente de toutes choses, que Franklin se préparait peu à peu, et sans le savoir, au rôle considérable que lui réservaient les événements.

2583. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

pourquoi ne sait-il pas s’employer dans toute la largeur de son étoffe ? […] En vérité, on ne le répétera jamais assez : qu’était donc Heine à l’origine pour avoir résisté vingt-cinq ans à la philosophie hégélienne, pour être resté si longtemps dans les bras de cette Goule du Néant et n’y avoir pas été dévoré jusqu’à la dernière fibre, — la fibre harmonieuse de ce cœur de poète qui sait chanter sous la morsure de tous les vautours de la vie ? […] D’ailleurs, dans ce livre : De l’Allemagne, comme dans la tête de l’auteur, il résulte du mélange de poésie très vraie et de philosophie très fausse qui s’y combinent, je ne sais quoi d’hermaphrodite et de bâtard qui n’est ni la poésie qu’on pouvait espérer, ni la philosophie qu’on devait attendre. […] Pour mon compte, je ne sais rien de plus exquis. […] Éclatante réplique au fameux axiome : Mens sana in corpore sano, de l’École de Salerne, qui renvoie si fièrement à l’école cette École… Heine, à travers la sympathique pitié qu’il est impossible de ne pas sentir pour des maux si grands, inspire pourtant je ne sais quelle joie orgueilleuse à ceux-là qui croient à la spiritualité humaine et qui pensent que, dans la créature de Dieu, les organes ne doivent pas être les maîtres, mais les serviteurs.

2584. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre X. »

On sait tout ce qui a péri de l’antiquité, tout ce qui manque de chefs-d’œuvre et d’études critiques faites pour le théâtre grec, depuis Aristote et Théophraste jusqu’au roi Juba, ce mari d’une fille de Cléopâtre, qui écrivait dans sa cour de Mauritanie un traité complet de l’art dramatique. […] « Bœotum in crasso jurares aere natum109 » Elle se conserve, elle se répète par-delà l’époque où elle était si fort démentie par le savoir et l’inventive sagacité de Plutarque, dans le déclin de l’esprit grec. […] On sait comment d’ailleurs elles étaient, pour la langue et l’art, négligées de presque tous, hormis quelques rares érudits, jusqu’à la renaissance poétique tentée par André Chénier. […] On le sait, cependant : à cette seconde invasion des Perses, Thèbes déserta la cause de la Grèce ; et la trahison d’un Thébain avait indiqué, dit-on, le passage par où furent livrés Léonidas, ses trois cents Spartiates et les Béotiens de Thespies. […] « Tu vas, je crois, savoir toute la vérité : c’est l’heure d’apprendre de cet homme ce que fait la Perse ; il apporte assurément quelque bonne ou fatale nouvelle.

2585. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française, par M. D. Nisard. Tome iv. » pp. 207-218

, l’auteur, en arbitre et presque en syndic désigné, dresse le bilan de la fortune littéraire de la France ; il établit la balance par profits et pertes, ce sont les termes mêmes qu’il emploie ; il compte devant nous tout ce qui doit entrer dans l’un ou l’autre plateau ; il sait faire rendre à chacun, il en obtient tout ce qu’il exige pour la régularité de son inventaire. […] Je ne sais trop pourtant si les qualités du style de Duguet, aux bons endroits, et dans certaines lettres, sont si loin du tour et de la coupe épigrammatique de Fontenelle. […] Il y a des prescriptions, des conseils, car il faut bien que le temple du goût ait une enceinte sacrée ; mais quiconque sait n’être pas ennuyeux a le droit d’y entrer, fût-ce par la brèche. […] Il rend surtout témoignage du caractère et du talent de l’auteur, — un caractère ami du bien et jaloux du mieux, un de ces esprits comme il y en a peu, fixés et non arrêtés, défendus par des principes, et qui restent ouverts aux bonnes raisons ; un esprit qui a en soi son moule distinct, et qui imprime à tout ce qu’il traite ou ce qu’il touche un certain composé bien net de sagacité, de savoir, de moralité et de style —, qui y met sa marque enfin.

2586. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

Chaque génération savait et redisait par le chant la tradition du passé, l’augmentant, la variant sans cesse, ignorant l’auteur ou les auteurs de ces poëmes, et les attribuant à des personnages fabuleux. […] En demeurant le plus individuel des poëtes, aussi bien que le plus accompli des artistes, le chansonnier a su devenir le plus populaire, le seul même qui réellement l’ait été en France, depuis des siècles, en ce sens que, durant quinze années, ses œuvres, partout retentissantes, auraient pu, à la lettre, vivre et se transmettre sans l’impression. […] Béranger, dans ce dernier volume, en donnant le rôle principal aux chansons et ballades de cette espèce, a su triompher de toutes les difficultés nouvelles qu’il se créait. […] Un tel à-propos et un tel bonheur, exploités par un génie qui a su si complètement s’en rendre compte, sont un coup unique dans une littérature .

2587. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « JULES LEFÈVRE. Confidences, poésies, 1833. » pp. 249-261

Si nous ne savions d’ailleurs ces détails, le volume des Confidences suffirait pour nous les faire deviner. […] Pour qui sait lire les poëtes et se rendre compte avec soin, l’ouvrage de M. […] Dans la première moitié du volume, tant que la passion n’en est qu’aux tristesses, aux espérances, aux pressentiments qui envahissent toutes les âmes ainsi affectées, on regrette que de ce fonds un peu confus, étalé devant nous en longs épanchements, le poëte n’ait pas su tirer des scènes plus distinctes, plus détachées, plus parlantes aux yeux, de ces tableaux qu’on pourrait peindre sur la toile et qui vivent dans la mémoire. […] J’ignore si ce peut être un adoucissement pour les défaites du poëte ; mais je sais qu’en le lisant on se console de ne pas obtenir la gloire dans les arts, lorsqu’on voit combien ont souvent de génie enfoui et rebelle, combien de laborieuses douleurs subissent ceux même qu’elle ne devra pas couronner.

2588. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

L’homme ainsi défini et restreint, la destinée de l’homme n’est plus que celle du moi et de l’esprit ; celle du corps, qui est distincte, ne saurait être comptée que comme embarras et obstacle ; du moment qu’il y a en nous quelque chose qui n’est pas nous, selon l’expression de M.  […] Sans doute, si vous entendez par moi la force qui pense, qui veut et qui a la conscience nette, lucide et réfléchie de toutes ses sensations, vous arriverez à l’isoler à peu près complètement des autres forces que vous supposez dans les divers organes ; mais encore, comme vous ne pouvez nier que dans l’homme, tel qu’on l’entend communément, corps et âme, il n’y ait une certaine unité, il s’ensuivra qu’en nous le je ne sais quoi nécessaire qui unit le moi tel que vous l’entendez dans un sens restreint, et les autres forces des divers organes, est le moi supérieur, le vrai moi, l’homme réel et vivant : que devient alors votre dualité ? […] Or, que des muletiers d’Andalousie jouent ce tour-là à Sancho Pança, ou la populace des moines à Riego, on le conçoit ; c’est une farce ou une cruauté ; mais on ne saurait rien supposer de tel de la part d’une providence sérieuse et bienfaisante ; il faut donc que ces rapports peu harmoniques de l’âme avec le corps soient une peine ou une épreuve, un purgatoire en ce monde ou une croix. […] A l’origine, quand l’humanité naissante, venue je ne sais d’où, échappant à une vie antérieure et inconnue, sortant du non-moi au sein duquel elle avait été recueillie et transformée, se leva debout, secoua sa fange, se sentit à part, et fit en chancelant le premier pas dans sa nouvelle carrière de progrès, les choses durent se passer étrangement, et nous avons peine, de la hauteur où nous sommes aujourd’hui, à nous en représenter l’idée.

2589. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Il y a en ce temps-ci un certain nombre d’esprits ardents, studieux, intelligents, qui, jeunes, après avoir passé déjà par des phases diverses, et avoir joint à un enthousiasme non encore épuisé, une maturité commençante, savent assez de quoi il retourne dans ces mouvements douloureux de la société, ressentent l’enfantement d’un ordre nouveau, y aident de grand cœur, mais ne croient pas qu’il soit donné à une formule unique et souveraine de l’accomplir : car le temps de ces découvertes magiques est passé ; un fiat lux social n’est possible qu’à l’aurore ; et aujourd’hui le progrès humain se fait sous le soleil, avec force sueurs, par tous, moyennant, il est vrai, quelques guides de génie, dont aucun pourtant n’a le droit de se croire indispensable. […] Devance l’univers en sa métamorphose ; Beaucoup sont suscités pour la prophétiser ; Tu peux en être aussi, mon Âme ; ose donc, — ose Sais-tu tout ce qu’un Dieu t’inspirera d’oser ? […] Borel qui croit devoir mettre en tête de ses contes une biographie mortuaire sur un Champavert, avec lequel il identifie le Petrus Borel des Rhapsodies, de façon que, dans ce dédale de Champavert et de Petrus, le pauvre lecteur éperdu ne sait auquel de tous ces sosies se reprendre. […] On aurait tort pourtant : il y a dans Champavert un fonds réel, beaucoup d’esprit, de l’observation mordante, du style ; je renvoie les sceptiques à Passereau qui est un plaisant conte, bien que les soubrettes y sachent le grec et l’art poétique, les cochers de cabriolet l’espagnol, les officiers de carabiniers le moyen âge, bien qu’on y dise la garde bourgeoise au lieu de la garde nationale ; oui, malgré tout cela, Passereau est un joli conte.

2590. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre IV. L’écrivain (suite) »

Parcourez aujourd’hui la France ; si la Révolution a diminué les différences de fortune, la centralisation a augmenté les différences de culture : une seule cité maîtresse où fourmillent et pullulent les idées engorgées qui s’étouffent et se fécondent infatigablement par le travail et le mélange de toutes les sciences et de toutes les inventions humaines, alentour, des villes de provinces inertes où des employés confinés dans leur bureau et des bourgeois relégués dans leur négoce vont le soir au café pour regarder une partie de billard et remuer des cartes grasses, bâillent sur un vieux journal, songent à dîner et digèrent sur des cancans ; plus bas encore, des paysans qui ont pour bibliothèque un almanach, lequel est de trop bien souvent, puisque la moitié d’entre eux ne sait pas lire, qui votent en moutons, et trouvent que ce vote est une corvée, ignorants, apathiques, incapables d’entendre un mot aux intérêts de l’Etat et de l’Eglise, habitués à laisser leur conscience et leurs affaires aux mains des gens qui ont un habit de drap. […] Le voilà enfin qui parle, quand il fait la langue vulgaire, dans les fabliaux, les mystères, les chansons de geste ; mais toute cette littérature s’arrête au milieu de sa poussée ; elle ne s’achève point ; elle n’a point son Dante ou son Boccace ; elle s’enfouit, s’efface de la mémoire des hommes ; les écrivains du dix-septième siècle n’en savent que deux ou trois noms, et les derniers, Villon, Marot, la reine de Navarre ; elle n’a été qu’un babil d’enfants malicieux et gentils. […] Trois ou quatre hommes tout au plus ont su se développer en restant gaulois ; ce sont ceux qui, en prenant un genre gaulois, la chanson, le pamphlet, la farce, la comédie, l’ont élargi et relevé jusqu’à le faire entrer dans la grande littérature : Rabelais, Molière, La Fontaine, Voltaire et peut-être quelquefois Béranger. […] Il avait vécu au milieu d’elle et savait comment on doit s’y tenir.

2591. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VII. Développement des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Peut-être si le baptiste, à l’autorité duquel il lui aurait été difficile de se soustraire, fût resté libre, n’eût-il pas su rejeter le joug des rites et des pratiques extérieures, et alors sans doute il fût resté un sectaire juif inconnu ; car le monde n’eût pas abandonné des pratiques pour d’autres. […] Jésus ne savait pas assez l’histoire pour comprendre combien une telle doctrine venait juste à son point, au moment où finissait la liberté républicaine et où les petites constitutions municipales de l’antiquité expiraient dans l’unité de l’empire romain. […] Mais, en constituant une immense association libre, qui, durant trois cents ans, sut se passer de politique, le christianisme compensa amplement le tort qu’il a fait aux vertus civiques. […] Nous savons l’histoire de la terre ; les révolutions cosmiques du genre de celle qu’attendait Jésus ne se produisent que par des causes géologiques ou astronomiques, dont on n’a jamais constaté le lien avec les choses morales.

2592. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIII » pp. 378-393

On dit sourdement que si son mari partait elle serait du voyage. » Au moment où le roi allait revenir de l’armée de Flandre et où la saison des eaux finissait pour madame de Montespan, on avait agité à la cour la question de savoir si madame de Montespan y reviendrait118. […] Je ne vous soupçonne point d’avoir révélé ma confession à l’abbé Testu ; mais il a appris par vous le dessein que j’ai de sortir de la cour ; c’est au-delà de ce que je voulais qu’il sut. […] On m’a montré de la tendresse (madame de Montespan triomphante y était disposée) ; mais à vous dire la vérité, on ne m’a pas persuadée, et je ne saurais renoncer au projet (de retraite) que j’ai fait avec vous : j’y envisage une douceur extrême ; et quelque bons traitements qu’on me fasse ici, j’y aurai de grands chagrins. […] Elle ne saurait trouver en moi les oppositions qu’elle y trouve sans me haïr.

2593. (1860) Ceci n’est pas un livre « Mosaïque » pp. 147-175

* *  * Je ne sais plus qui pronostiquait, de cette façon claire et concise, les destinées, du nouveau (est-il bien nouveau ?) […] — Savez-vous que ça commence à n’être plus drôle ? […] Or, sachez que mon café est hospitalier aux musiciens nomades, et que les consommateurs y ont, en général, le moss compatissant. […] * *  * un gamin lisant un journal. — Papa, tu ne sais pas ?

2594. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VI. Du trouble des esprits au sujet du sentiment religieux » pp. 143-159

qui précipitait au moment même Jacques II du trône où il n’avait pas su s’asseoir : tant il est vrai que le principe qui commence par agiter la société religieuse s’épuise, et devient sans force en passant dans la société civile ! […] Il laisse avec mélancolie errer ses regards en arrière ; il porte au-dedans de lui une vague inquiétude dont il ignore la cause ; il se crée des sentiments factices, et qu’il sait être ainsi, pour suppléer aux émotions qu’il ne retrouvera plus ; il s’étonne du désenchantement où il est plongé ; il a beau être séparé de la religion, ou par les passions dont il est devenu le jouet infortuné, ou par les séductions d’un esprit raisonneur, qui, à force de vouloir approfondir, égare ; il ne peut être sourd aux plaintes touchantes d’une mère, qui ne devait pas s’attendre à lui voir trahir ce qu’elle regardait comme ses plus chères espérances, ni aux terribles accusations de ses aïeux, qui lui reprochent, du fond de la tombe, d’avoir abandonné la portion la plus précieuse de leur héritage. […] Je sais qu’on espère, par la grande diffusion des lumières, obvier à l’inconvénient qui résulte de l’affaiblissement du principe religieux ; c’est, en d’autres termes, croire que les lumières peuvent remplacer la morale. Je suis loin de penser qu’il ne faille pas faire pénétrer le plus possible l’instruction dans toutes les classes de la société ; je sais tout ce qu’il y a d’inévitable et de fatal dans la force des choses, et j’ai déjà expliqué ma pensée à cet égard ; mais enfin cette diffusion des lumières trouvera toujours, et inévitablement aussi, une limite dans le besoin du travail, pour le plus grand nombre.

2595. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XX. Mme Gustave Haller »

Le nom d’un homme jurait là-dessus…, mais quand on prend du masque, on n’en saurait trop prendre. […] Bluet d’intelligence elle-même, qui s’effeuille et se perd dans je ne sais quelle métaphysiquette de sentiments, car il faut employer les diminutifs pour parler convenablement du Bluet, de ce livre où tout est petit et qui, sans jouer sur les mots, n’est rien, après tout, qu’une bluette ! […] La Critique s’est sentie émue jusqu’aux larmes devant ce dessin de Carpeaux, et ce dessin, indigne de lui, a été une des causes du succès du livre, demandé passionnément, je le sais, dans les cabinets de lecture. […] et qui est officier dans l’armée anglaise, on ne sait pourquoi, si ce n’est pour porter un joli uniforme, s’est donné la mission de vivre pour les autres.

2596. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXI. Mme André Léo »

d’avoir une pareille fille ; mais les libertins ne savent pas tous les bâtards qu’ils font ; sans cela ils ne les feraient pas !) […] cette Institutrice du peuple, cette doctoresse du baccalauréat, ignorante, comme une carpe, des choses qu’elle devrait le mieux savoir, puisqu’elle les attaque et qu’elle a l’ambition de les détruire, elle est surtout, et mesquinement, jalouse des Frères de la Doctrine chrétienne, de ces robustes éducateurs du peuple, tirés des entrailles mêmes du peuple et à qui elle voudrait arracher renseignement pour le remplacer par le sien. […] Pour en arriver là, elle ramasse, d’une main sans fierté, les plus sottes idées de ce sot temps sur le Péché originel et sur la Grâce, qui sont tout le christianisme, et elle les lui lance à la tête, ces sottes idées qu’elle sait peut-être sottes… « Quand je vis, dit-elle quelque part avec la nonchalante fatuité d´une raisonneuse dépaysée, qu’il (Dieu, — notre Dieu, à nous !) […] Mme André Léo nous donne même le programme de leurs institutions et le voici pour qu’il vous serve : Minéralogie et physique, zoologie et agriculture, philosophie et pas d’histoire…, vous savez pourquoi ?

2597. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Sahara algérien et le Grand Désert »

Je veux parler d’un talent de style très brillant et très littéraire, lequel, se rencontrant avec éclat sous la plume d’un officier qui n’a pas le temps d’être artiste, étonna beaucoup tout le monde, — du moins tous ceux qui ne savent pas ce que l’esprit militaire cache d’aptitudes et de puissances, et de quelles forces il arme un homme (c’est le mot ici) quand il est profond. […] Ce que nous appelons avec respect l’éducation militaire, cette forte éducation des choses qui l’emporte tant sur celle des livres et qui fait entrer les notions dans le cerveau par l’œil et la main, l’éducation militaire avait pu lui donner ce regard rectangulaire qui voit avec précision les objets, et la fermeté du dessin qui sait les reproduire, mais la maîtresse faculté de Daumas était le sentiment du pittoresque, et son livre de la Grande Kabylie le prouvait. […] On ne saurait trop le répéter, l’Armée, et l’Armée seule, nous a arrachés aux lâches influences que nous retrouvions partout autour de nous. Quand le régime parlementaire, avec une stupidité qui ne sentait pas même la honte, mettait en question l’abandon de nos établissements d’Algérie, l’Armée était l’antagonisme le plus glorieux et la meilleure critique du gouvernement qui osait ainsi disposer des acquêts de son épée ; car ses conseils d’état-major sont secrets et dans ses rangs l’incompétence se tait et obéit, contrairement au système de discussion et de publicité qui n’a jamais su que semer le bruit pour recueillir la tempête.

2598. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « L’idolâtrie au théâtre »

I Un feuilletoniste célèbre disait dernièrement, à propos de je ne sais quelle actrice qui avait bien exécuté un air, que l’enthousiasme avait soulevé la salle et que la chanteuse était allée aux étoiles : alle stelle ! […] Il faut que la critique le sache : en exaltant le comédien comme elle le fait depuis trente ans, en quintuplant son importance, en s’occupant de lui avec un dilettantisme si passionné et si exclusif, la critique n’a pas seulement montré ce genre peu touchant de reconnaissance — la reconnaissance du plaisir goûté — que des voluptueux, plus ou moins blasés, peuvent avoir pour de toutes-puissantes courtisanes, mais, à part son abaissement à elle-même, elle a exercé sur la société de son temps une action visible et funeste. […] Elle devait pousser, après beaucoup de siècles, il est vrai, dans le cerveau des nations chrétiennes, et nous devions la réaliser avec cette légèreté charmante « qui ne voit pas grand mal à ça », comme nous avons le droit de le dire, tant notre vieillesse, ainsi qu’on le sait, a le cœur pur ! […] nous sommes des chrétiens, mais nous sommes autant que tous des gens du monde et qui savent la vie.

2599. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Odysse Barot »

Un incomparable éventeur de gibier, un admirable limier littéraire, Philarète Chasles, presque Anglais lui-même, tant il savait l’anglais l’avait un jour parlé de Carlyle et montré, dans un fragment de traduction, combien il était difficile de traduire ce rude génie saxon compliqué de germanisme ; mais il en eut bientôt assez, malgré sa vaillance, et personne, après Chasles, ne fut tenté de s’y frotter. […] En écrivant cette histoire de la littérature anglaise, bourrée dans un volume à l’usage de ceux qui n’ont pas le temps de lire et qui sont endiablés de savoir, il a cru faire mieux balle démocratique contre nous. […] IV Voilà donc, dégagées de leur expression, qui manque d’audace, mais non de clarté pour ceux qui savent voir, les idées qui circulent et palpitent sous la peau de ce livre intitulé : Histoire de la littérature contemporaine en Angleterre 29. […] Pour ceux qui savent, ce n’est pas assez, et ce n’est pas assez pour ceux qui ignorent.

2600. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Joubert » pp. 185-199

Tout le monde sait-il ce que c’est que Joubert, ce délicieux déniché d’hier matin ? […] quel naturaliste le sait ou du moins l’a fait voir ! […] cette chose nécessaire pour un peintre, que rien ne saurait remplacer), Joubert est moins dans cette notice douceâtre d’un neveu rangé et très flatté, et qui met son oncle sur sa poitrine comme une décoration, que sous la facette et l’angle du mot vif, irrévérent et moqueur de madame Victorine de Châtenay, cité dans les Mémoires de Chateaubriand : « M.  […] Depuis Fontenelle, qui n’était pas né viable, comme on sait, et qui mit cent ans à expirer, on ne vit jamais rien de plus fragile que Joubert, cette porcelaine fêlée et raccommodée dans du lait, et tenue dans la ouate de la vie la plus douce pendant soixante ans.

2601. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ernest Hello » pp. 389-403

Hello dans sa renommée, et qui empêchera peut-être… qui le sait ? […] Ni Saint Augustin, ni Saint Denys l’Aréopagite, ni Saint Chrysostôme, ni aucun des Pères de l’Église — qui furent les plus grands esprits de l’humanité — dont nous savons les noms, mais dont nous ne lisons plus les ouvrages, ne trouveraient maintenant une miette de gloire à ramasser pour leur génie, — ce génie qui fut consubstantiel à leur foi. Et leur successeur à distance, par l’inspiration et par l’enthousiasme ; cet Ernest Hello qui me fait l’effet d’un Saint Siméon Stylite au xixe  siècle, par l’isolement et par la hauteur, a beau le savoir, il ne prend pas, lui, si haut qu’il soit, son parti de cette accablante destinée. […] Il sait qu’en tombant dans la sphère de l’action et de la volonté, les erreurs de l’esprit deviennent toujours immanquablement les vices du cœur, et ce sont ces erreurs de l’esprit sur lesquelles il porte aujourd’hui le coup de hache de son regard.

2602. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Jacques Cœur et Charles VII »

Seulement, dès qu’on a traversé toute cette splendeur et qu’on a mis la main sur le cœur de l’homme, on ne trouve plus qu’un être abject, auquel Dieu — qui sait seul ses desseins — a fait une grande destinée. […] Aussi doit-on le reconnaître, entre tous les historiens qui ont eu à parler de cet homme illustre, entre tous ceux-là qui touchent d’une main pieuse aux saintes poussières du passé, je n’en sache guères qu’un seul qui ait refusé sa sympathie à une si grande condition et à une si grande infortune. […] … Selon nous, la Critique ne saurait trop encourager les œuvres pareilles, au nom même de tous les intérêts de l’Histoire. […] Ces interprétations de grands esprits qui nous font penser dans le sens de leur propre pensée, ces espèces de torsions imprimées à la réalité toute droite sous la main artiste qui sait la ployer et la reployer à son gré autour d’une idée, étouffent toujours un peu l’histoire et la meurtrissent.

2603. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des Pyrénées »

Un homme instruit des faits, et seulement des faits, — les saurait-il, d’ailleurs, comme dix académies des Inscriptions à lui tout seul, — ne serait pas même un peintre d’un degré quelconque. […] Nous savons à qui nous parlons. […] Dans cette histoire des Pyrénées, dans ce repli, sur ce mamelon, au bas et au haut de ces roches, on n’aperçoit que la Féodalité chrétienne dont nous savons assez l’histoire, — mais dont il nous faudrait la loi. […] Quoiqu’il n’aborde presque jamais les choses comme nous voudrions les lui voir aborder, quoiqu’il se perde, lui et ses aptitudes, dans les feux de file de ces faits multiples et semblables qu’il fallait étreindre, résumer et généraliser dans de vigoureuses conclusions, on sent cependant au milieu de tout cela l’historien à la grande tendance, et on démêle, sous l’entassement un peu confus des documents, l’esprit recteur qui, plus tard, saura les organiser.

2604. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. le vicomte de Meaux » pp. 117-133

Et il s’agit de savoir comme il la comprend. […] Mais n’ayant rencontré, quand il tenta de pénétrer en France, que François Ier paganisé par la Renaissance, l’allié du Turc, le lecteur passionné de Rabelais et d’Érasme et le protecteur de Marot, flottant inconséquemment des bûchers allumés à des bûchers éteints, et du châtiment des Vaudois au repentir qu’il en exprima en mourant, le Protestantisme envahit bientôt, malgré la sécheresse de sa doctrine, un pays où il n’avait eu pour lui d’abord que les moqueries païennes de ses écrivains et l’attrait (lamentable toujours en France) de sa nouveauté… Révolté, dans son âme de moderne, contre la rigueur d’un temps qui avait une foi ardente et des mœurs séculairement chrétiennes, néanmoins catholique à ce point qu’il répète qu’il l’est incessamment dans son histoire, parce qu’il sait trop qu’on pourrait l’oublier, M. de Meaux ne paraît pas avoir compris que plus tard encore il était possible d’arrêter le Protestantisme envahisseur, comme l’Église, dans d’autres temps, avait arrêté l’Hérésie. […] Quant aux Juifs, si détestés par tous les peuples du Moyen Âge en pleine jeunesse et en plein amour de Jésus-Christ, qu’ils avaient crucifié, l’Église, qui les savait des ennemis acharnés, prit contre eux toutes les précautions de la prudence, mais leur laissa pratiquer leur culte, « en considération du témoignage involontaire et providentiel rendu par la synagogue à l’Évangile ». […] Nonobstant, on ne saurait trop le répéter, est-ce que cette justice qui ne défaille jamais, qui frappe toujours où il faut frapper, mais dans une mesure de sévérité et de clémence qui fait de la coutume de l’Église la plus sublime des législations, peut avoir produit la tolérance dont l’auteur des Luttes religieuses est épris ?

2605. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Le roi Stanislas Poniatowski et Madame Geoffrin »

L’éditeur de ces lettres, qui prend les choses de très haut, et qui ne s’étonne pas d’un état social où les classés commençaient à se mêler comme des numéros de loto dans leur sac, n’appuie pas beaucoup sur la question de savoir quelle fut la circonstance qui créa, de par un sentiment, une situation presque officielle en Europe, et sans exemple dans l’Histoire, depuis la nymphe Égérie, entre une marchande de glaces et le prince étincelant qui devait devenir Stanislas-Auguste. […] Qui sait ? Ce qu’on sait, c’est qu’elle représente la, sagesse dans un siècle qui n’en avait pas… En cela, en son mari, comme en bien d’autres choses, elle ressemblait à Madame de Maintenon, dont l’infortune conjugale est connue. […] Il est, pour moi, et il sera, pour tous les romanciers et tous les moralistes qui savent ; comme Dieu, tout le prix d’une âme, dans le sentiment individuel très complexe et très passionné que Madame Geoffrin eut pour Poniatowski toute sa vie, et qui, sous le nom d’amitié, cachait peut-être le plus bel amour de tout le xviiie  siècle, qui, le fat !

2606. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « III. Donoso Cortès »

Ils savent que Dieu, pour traverser les cœurs, met dans nos carquois toutes sortes de flèches, et que la flèche du Talent pénètre encore, après les plus perçantes, — celles de la Prière et de la Charité ! […] » Rappelez-vous ce qu’il dit une fois de Sainte-Hélène : « Napoléon, le maître du monde, devait mourir séparé du monde par un fossé dans lequel coulerait l’Océan. » Il parle quelque part de je ne sais quelle doctrine indigne de la majesté de l’absurde. […] Cette vue exprimée et développée déjà par Donoso Cortès, et qu’il démontre, à savoir : le triomphe naturel du mal sur le bien, et le triomphe surnaturel de Dieu sur le mal, par le moyen d’une action directe, personnelle et souveraine, n’avait jamais été formulée avec cette plénitude et cette vigueur. […] Le monde ne sut point assez ce que valait Donoso Cortès, et M. 

2607. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

Je ne sais pas, pour ma part, ce qu’il aurait été, car rien n’est plus traître que le destin des livres, bête comme tous les destins. […] Mais ce que je sais, et surtout ce que je veux voir, c’est le poème en soi, — et non pas l’accueil du public. […] Chose rare, et qu’il faut savoir apprécier ce qu’elle vaut, l’émotion que le poète ressent et qu’il donne, cette émotion, contenue et continue, qui est le caractère de son poème, ne cesse pas une minute, dans ce récit en vers de plus de trois cents pages. […] Dieu l’a vu, et son noble pays le sait !

2608. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

Edgar Quinet L’Enchanteur Merlin I Tout le monde le sait, M.  […] Et qui sait ? […] … Épopée emphatique, auprès de laquelle La Pétréide de Thomas, redoutée de Gilbert, ne serait que la plus légère des étrennes mignonnes, conte de fées pataud et niais, satire sociale où le thyrse de Rabelais, avec lequel ce Bacchant du rire enivré savait frapper son temps, est remplacé par l’arme bourgeoise d’un Prudhomme socialiste en mauvaise humeur, qui donne des coups de parapluie à son époque ; enfin, pour achever le tout, l’amphigouri panthéistique dans sa splendeur, voilà l’œuvre de M.  […] Nous qui savons le prix du temps mieux que lui, nous n’en aurions pas tant parlé, si les lâchetés de l’amitié, des partis et de la camaraderie, n’étaient pas en train de lui arranger une gloire hypocrite et dont on ne pense pas un mot.

2609. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Xavier Aubryet et Albéric Second » pp. 255-270

Xavier Aubryet (que je sache) n’a jamais pratiqué la chronique, ce genre à part dans le journalisme contemporain, destructif, dans un temps donné, de toute littérature. […] Et cependant Aubryet l’a tout autant subie, cette asservissante influence de Paris, dans son livre, qu’Albéric Second dans le sien… Grand étonnement pour moi, je l’avoue, qu’un homme qui a, comme Xavier Aubryet, toutes les bravoures de l’esprit, que ce crâne pimpant du paradoxe à qui j’ai vu, dans l’ordre intellectuel, casser tant d’assiettes, ne se soit pas soustrait, avec le bond de la contradiction, à cette domination de Paris qu’en politique il sait éloquemment maudire ! […] On ne sait pas, quand on a du talent, ce qu’on y étouffe. […] Mais pour ce grand homme sans critique, qui ne sut jamais se juger et qui se prit toujours de travers, la grande vie et la grande gloire ne seront pas où il les mettait.

2610. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVI. Des sophistes grecs ; du genre de leur éloquence et de leurs éloges ; panégyriques depuis Trajan jusqu’à Dioclétien. »

Enfin, dans sa vieillesse, menacé par un homme puissant : « Ne sais-tu pas, lui dit-il, qu’à mon âge on ne craint plus ?  […] Cet art, outre une imagination très vive et prompte à s’enflammer, supposait encore en eux des études très longues ; il supposait une étude raisonnée de la langue et de tous ses signes, l’étude approfondie de tous les écrivains, et surtout de ceux qui avaient dans le style, le plus de fécondité et de souplesse ; la lecture assidue des poètes, parce que les poètes ébranlent plus fortement l’imagination, et qu’ils pouvaient servir à couvrir le petit nombre des idées par l’éclat des images ; le choix particulier de quelque grand orateur avec qui leur talent et leur âme avaient quelque rapport ; une mémoire prompte, et qui avait la disposition rapide de toutes ses richesses pour servir leur imagination ; l’exercice habituel de la parole, d’où devait naître l’habitude de lier rapidement des idées ; des méditations profondes sur tous les genres de sentiments et de passions ; beaucoup d’idées générales sur les vertus et les vices, et peut-être des morceaux d’éclat et prémédités, une étude réfléchie de l’histoire et de tous les grands événements, que l’éloquence pouvait ramener ; des formules d’exorde toutes prêtes et convenables aux lieux, aux temps, à l’âge de l’orateur ; peut-être un art technique de classer leurs idées sur tous les objets, pour les retrouver à chaque instant et sur le premier ordre ; peut-être un art de méditer et de prévoir d’avance tous les sujets possibles, par des divisions générales ou de situations, ou de passions, ou d’objets politiques, ou d’objets de morale, ou d’objets religieux, ou d’objets d’éloge et de censure ; peut-être enfin la facilité d’exciter en eux, par l’habitude, une espèce de sensibilité factice et rapide, en prononçant avec action des mots qui leur rappelaient des sentiments déjà éprouvés, à peu près comme les grands acteurs qui, hors du théâtre, froids et tranquilles, en prononçant certains sons, peuvent tout à coup frémir, s’indigner, s’attendrir, verser et arracher des larmes : et ne sait-on pas que l’action même et le progrès du discours entraîne l’orateur, l’échauffe, le pousse, et, par un mécanisme involontaire, lui communique une sensibilité qu’il n’avait point d’abord. Tel était probablement l’art de ces orateurs ; mais pour savoir quel était ou pouvait être le genre de leur éloquence, il faut considérer tout ce qui pouvait influer sur elle. […] Nous n’avons point de panégyrique d’Antonin, qui cependant valait bien la peine d’être loué ; nous savons seulement qu’un orateur grec, nommé Gallinicus, auteur de plusieurs autres éloges, avait fait le panégyrique de ce prince ; mais rien de cet orateur ne nous est resté que son nom.

2611. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Sur l’École française d’Athènes »

La prononciation du grec telle qu’elle était en vigueur dans l’ancienne Université, et qu’elle l’est encore dans la nôtre, paraissait aux Grecs modernes tout à fait barbare ; le fait est qu’elle peut être commode pour les dictées de versions grecques que les professeurs font aux écoliers, mais elle ne saurait se donner raisonnablement pour l’écho fidèle de la plus harmonieuse des langues. […] Pour bien savoir et bien sentir dans ses moindres nuances, pour bien articuler dans ses accents le grec ancien, il n’est rien de tel encore que d’être Grec moderne. […] L’important serait bien moins d’abord dans tel ou tel règlement de détail que dans l’esprit qui animerait la fondation, et dans le choix de l’homme appelé à la diriger sur les lieux, et qui devrait savoir l’approprier, l’étendre, la modifier selon l’expérience même.

2612. (1874) Premiers lundis. Tome I « Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme. Deuxième édition. »

On objecta Werther, René, Byron, Adolphe, toutes les grandes douleurs philosophiques et aristocratiques, qui avaient su concilier la rêverie et la confidence avec un certain bon goût littéraire et un certain décorum de bonne compagnie. […] Les trésors d’activité, les torrents d’amour dont il ne savait que faire, s’aigrissaient en lui ou débordaient à tout propos ; il avait des envies fréquentes de se sacrifier, de se dévouer ; — pour qui ? […] Qui veut comprendre un poète, doit le suivre dans l’ordre d’idées où son instinct le place de préférence : avant de juger son expression, il faut étudier les aspects qu’il a su découvrir, hors des voies battues par la foule.

2613. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre V »

Nous savons de quelle triple origine les naturalistes durent extraire les matériaux premiers de leurs observations. […] Il réussit à peindre — et au vif — une intoxication par l’arsenic, un cas d’asphyxie croupale, le tout sans paraître savoir qu’il existât des modes techniques de traiter ses tableaux. […] Nous signalerons pourtant ici la note de pittoresque et de vérité historique qu’il a su donner à chacune de ses métaphores médicales.

2614. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mallarmé, Stéphane (1842-1898) »

Ils savent combien la forme de Mallarmé le traduit fidèlement, simplement, qu’il est modèle de pensée libre, hardie, harmonieuse, d’expression originale, non professeur d’un procédé. […] ses théories sur le théâtre suprême, sur l’union de l’art et de la morale, tout cela rayonne dans ses écrits d’une telle irradiation, que je ne saurais sans altération vous en parler. […] Enfin, on ne saurait trop le répéter, il nous apprit comment il ne faut pas écrire.

2615. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 39-51

Cet esprit, malgré l’appareil de réflexion & de dignité qu’il s’efforce de se donner, n’a jamais pu se débarrasser d’un je ne sais quel air de petitesse qui en décrédite les créations ; ces connoissances, pour être annoncées d’une maniere affectée & présomptueuse, tombent inévitablement dans les disgraces attachées â l’ignorance & au pédantisme ; ce talent, pour n’avoir pas été sagement cultivé, pour afficher trop de confiance, décele continuellement sa foiblesse, & révolte plus qu’il n’attache ; en deux mots, on peut, d’après l’expression de son premier Maître, M. de Voltaire, comparer l’esprit de M. de la Harpe, à un four qui ne cuit point. […] Car on sait avec quelle amertume ses Contemporains lui ont reproché d’avoir dit, avec vérité néanmoins, Je ne dois qu’à moi seul toute ma renommée. […] Et, pour passer à des raisons plus graves, que deviendroit la Philosophie, si le Mercure cessoit d’être un entrepôt de louanges destinées à consoler ses partisans, un arsenal d’où il puisse partir une artillerie capable d’effrayer les Rebelles, un bureau d’adresse pour les Lettres, les Réponses, les Répliques, & toutes les honnêtes industries qu’elle sait si habilement employer ; un magasin de gentillesses, d’ironies, d’épigrammes ?

2616. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 372-383

La plupart des Grands, sans en excepter les Princes, semblables à ces arbres nés dans le silence, & accrus à l’ombre des forêts, vivent & meurent sans que leur existence & leur chute fassent une sensation & un vide dans le monde : il n’en est pas de même de l’homme qui a su se rendre utile par ses lumieres ou ses talens ; il est connu par-tout où ses Ouvrages pénetrent ; & plus ou moins honoré de ses Contemporains, selon qu’il s’est montré plus ou moins supérieur dans le genre qu’il a embrassé, il peut se flatter d’exister encore avec honneur dans la mémoire des générations futures. […] Le Résumé par lequel il les termine, renferme des conseils trop sages & trop utiles à la Jeunesse, pour qu’on puisse nous savoir mauvais gré d’en présenter ici un court extrait. […] Le vrai Philosophe, éclairé par les vérités qu’il connoît, est sans cesse enflammé par le désir d’en connoître de nouvelles ; s’il réfléchit sur ce qu’il fait, s’il observe bien, s’il apprécie ce qui l’entoure, c’est depuis la combinaison de ce qu’il sait & de ce qu’il voit, qu’il s’éleve à de nouvelles découvertes, ou dans les profondeurs de la Nature, ou dans les replis du cœur humain.

2617. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1851 » pp. 1-9

* * * Nous étions bien aussi un peu sortis, il faut l’avouer, pour savoir des nouvelles de notre oncle, le représentant. […] — On ne sait pas !  […] Le prétexte de cette visite était je ne sais quel livre de bibliographie pour lequel il cherchait deux collaborateurs.

2618. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VIII »

Ces mots sont d’ailleurs sur la limite et on ne sait encore ce qu’ils deviendront : tramway semble s’acheminer vers tramoué plutôt que vers tranvé 75, quant à meeting, le peuple prononce résolument métingue, entraîné par l’analogie. […] Les architectes ont imité en France les fenêtres appelées par les Anglais bow-window ; voilà un mot dont je ne sais rien faire. […] Autant avouer que nous ne savons plus nous servir de notre langue et qu’à force d’apprendre celles des autres peuples nous avons laissé la nôtre vieillir et se dessécher.

2619. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Rayons et les Ombres » (1840) »

Lorsqu’il blâmerait çà et là une loi dans les codes humains, on saurait qu’il passe les nuits et les jours à étudier dans les choses éternelles le texte des codes divins. […] Les personnes qui veulent bien lire ce qu’il écrit savent depuis longtemps que, s’il admet quelquefois, en de certains cas, le vague et le demi-jour dans la pensée, il les admet plus rarement dans l’expression. […] Savoir, penser, rêver.

2620. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre II. Des Orateurs. — Les Pères de l’Église. »

« Je ne sais (dit l’orateur, en reprochant le luxe aux femmes chrétiennes), je ne sais si des mains accoutumées aux bracelets, pourront supporter le poids des chaînes ; si des pieds ornés de bandelettes s’accoutumeront à la douleur des entraves. […] C’est du prêtre de Carthage que Bossuet a emprunté ce passage si terrible et si admiré : « Notre chair change bientôt de nature, notre corps prend un autre nom ; même celui de cadavre, dit Tertullien, parce qu’il nous montre encore quelque forme humaine, ne lui demeure pas longtemps ; il devient un je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue 187 : tant il est vrai que tout meurt en lui, jusqu’à ces termes funèbres par lesquels on exprime ses malheureux restes ! 

2621. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre V. Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. »

Dans un siècle de lumières, on ne saurait croire jusqu’à quel point les bonnes mœurs sont dépendantes du bon goût, et le bon goût des bonnes mœurs. […] On sait que Buffon respectait tout ce qu’il faut respecter. […] Les disciples de la nouvelle école flétrissent l’imagination avec je ne sais quelle vérité, qui n’est point la véritable vérité.

2622. (1761) Salon de 1761 « Récapitulation » pp. 165-170

Elle a le bras à demi passé sous celui de son futur époux, et le bout de ses doigts tombe et appuie doucement sur sa main ; c’est la seule marque de tendresse qu’elle lui donne, et peut-être sans le savoir elle-même. […] Si c’est une servante, elle a tort d’être appuyée sur le dos de la chaise de son maître, et je ne sais pourquoi elle envie si violemment le sort de sa maîtresse. […] Je ne sais si la tête de cette sœur n’est pas aussi celle de la Blanchisseuse.

2623. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Léon Bloy »

Malgré tout, en effet, malgré la contagion de la libre pensée, ce terrible choléra moderne de la libre pensée qui les ronge et qui les diminue chaque jour, les chrétiens sont encore assez nombreux pour faire de la gloire comme le monde la conçoit et la veut, — et, de cela seul que l’Église mettait en question la sainteté de Christophe Colomb, il avait sa gloire, même aux yeux des ennemis de l’Église, qui, au fond, savent très bien, dans ce qui peut leur rester d’âme, qu’il n’y a pas sur la terre de gloire comparable à celle-là ! […] Otez, en effet, par la pensée, la personnalité de Christophe Colomb de la synthèse du monde, que, seule, l’Église embrasse, et que seule elle explique, et il ne sera plus qu’un homme à la mesure de la grandeur humaine ; mais avec l’Église et faisant corps avec elle, il devient immédiatement le grand homme providentiel, le bras charnel et visible de Dieu, prévu dès l’origine du monde par les prophètes des premiers temps… Les raisons de cette situation miraculeuse dans l’économie de la création, irréfragables pour tout chrétien qui ne veut pas tomber dans l’abîme de l’inconséquence, ne peuvent pas, je le sais, être acceptées par les esprits qui chassent en ce moment systématiquement Dieu de partout ; mais l’expression de la vérité, qu’ils prennent pour une erreur, est si grande ici, qu’ils seront tenus de l’admirer. […] Augustin lut, et on sait le reste.

2624. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XV. De Tacite. D’un éloge qu’il prononça étant consul ; de son éloge historique d’Agricola. »

Nous savons qu’il exerça pendant la plus grande partie de sa vie la profession d’orateur, et il ne s’appliqua à l’histoire que dans sa vieillesse. […] « En attendant, dit-il, je consacre ce livre en l’honneur d’Agricola mon beau-père ; et dans ce projet ma tendresse pour lui me servira ou d’excuse, ou d’éloge45. » Alors il parcourt les différentes époques de la vie de son héros, peignant partout comme il sait peindre, et montrant un grand homme à la cour d’un tyran, coupable par ses services même, forcé de remercier son maître de ses injustices, et obligé d’employer plus d’art pour faire oublier sa gloire, qu’il n’en avait fallu pour conquérir des provinces et vaincre des armées. […] Domitien, naturellement féroce, et d’autant plus implacable dans sa haine qu’elle était plus cachée, était cependant retenu par la prudence et la modération d’Agricola ; car il n’affectait point ce faste de vertu et ce vain fanatisme qui, en bravant tout, veut attirer sur soi l’œil de la renommée ; que ceux qui n’admirent que l’excès sachent que même sous de mauvais princes, il peut y avoir de grands hommes, et qu’une vertu calme et modeste, soutenue par la fermeté et les talents, peut parvenir à la gloire, comme ces hommes qui n’y marchent qu’à travers les précipices, et achèvent la célébrité par une mort éclatante, mais inutile à la patrie46. » Toutes les fois que Tacite parle des vertus d’Agricola, son âme fière et ardente paraît s’adoucir un peu ; mais il reprend la mâle sévérité de son pinceau pour peindre le tyran soupçonné d’avoir fait empoisonner ce grand homme, s’informant avec une curiosité inquiète des progrès de sa maladie, attendant sa mort de moment en moment, et osant feindre de la douleur, lorsqu’assuré qu’Agricola n’est plus, il est enfin tranquille sur l’objet de sa haine.

2625. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXXIV » pp. 337-339

Béranger a, dans la vie privée et dans toute sa conduite, bien du calcul et de l’arrangement ; il tient, par exemple, à amener les autres à lui, en se flattant de n’aller jamais à eux ; il croit peut-être avoir pris Chateaubriand et Lamennais, les avoir convertis et conquis, mais il oublie que de tels hommes ne se hantent pas impunément et qu’on ne saurait les voir beaucoup sans se modifier soi-même. Tout le profit ou le préjudice de ce commerce ne saurait être de leur côté ; ils ont agi à leur tour sur leur très-malin et très-spirituel ami ; le célèbre chansonnier a donc perdu un peu en gaieté, il a gagné en religiosité, en tendances sérieuses et sociales ; il est sorti peu à peu de son premier cadre et s’est agrandi.

2626. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. Buloz et le Messager de Paris. »

Plus le régime de la presse est libre et ouvre un vaste champ à toutes les haines, à toutes les injures, et plus il est du devoir de tous ceux qui veulent s’en servir à bonne et longue fin, d’apporter envers les adversaires, et ne serait-ce que par égard pour soi-même, une certaine modération de ton dont rien ne saurait dispenser. Les vétérans de la presse le savent ; les gens du monde qui s’y trouvent jetés à l’improviste courent grand risque de sortir de leur rôle et de se laisser surprendre à tout ce qui ne manque pas de les assiéger.

2627. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Croisset, Francis de (1877-1937) »

Qu’on se rappelle, par contre, l’allure tragique que Baudelaire a su donner à ses femmes damnées ; à elle seule, elle fait presque oublier le côté scabreux du sujet. […] Toute volupté le trouble et l’attire, brutale ou subtile, furtive ou continue, et il a su exprimer avec une grâce pénétrante des réalités ou des rêves, — qu’importe !

2628. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Désaugiers, Marc-Antoine-Madeleine (1772-1827) »

On ne saurait lui reprocher une seule épigramme. […] Sainte-Beuve Je puis assurer les élégiaques et les rêveurs que Lamartine, qui effleura cette vie de l’Empire dans sa jeunesse, apprécie fort et sait très bien rappeler à l’occasion certaines des plus belles chansons de Désaugiers.

2629. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Ghéon, Henri (1875-1944) »

Je ne sais pas si André Chénier eût jamais achevé son grand poème dont quelques vers isolés sont exquis, et M.  […] Il a vu le monde avec des yeux ingénus et avertis à la fois ; il sait les transformations des choses, la grande loi des pourritures renaissant en des êtres nouveaux (cf.

2630. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rouquès, Amédée (1873-1935) »

Il casse avec plaisir les ailes du vieil alexandrin, et il savoure je ne sais quelle volupté néronienne à voir sa victime panteler au ras du sol comme un oiseau blessé : Des voix confuses passent à travers la brume… ……………………………………………………… Ce pendant qu’au ciel tranquille un soleil pâlot Sommeillait, qui parfois laissait errer sa bouche À la cime fuyante et sonore du flot. Les goélands ne savaient plus les cris farouches.

2631. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 227-229

Le sentiment vient à l’appui de son systême, & lui fournit des observations pour prouver que le goût, dans les Arts, ne sauroit subsister sans l’imitation, dont il n’est lui-même qu’une conséquence. […] Dans un temps où toutes les notions sont confondues, toutes les regles enfreintes, presque tous lès genres dénaturés, on ne sauroit trop rappeler les jeunes esprits à la vérité & au bon goût.

2632. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 378-380

Jamais homme n’aima plus l’étude : il est vrai qu’il n’a pas toujours fait un bon usage de son savoir. […] Malgré cela, M. de Voltaire & quelques autres Ecrivains ont su ressusciter cette cendre, & se parer très-souvent des dépouilles de ce Discoureur.

2633. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — O. — article » pp. 430-432

Il est tant de petits incidens dévoués par leur peu de valeur au silence, qu’on ne peut trop savoir de gré aux Ecrivains substanciels & judicieux, dont la plume rejette tout ce qui ne tend point à développer, à faire saisir & à constater les faits essentiels. […] Il n’est pas, jusqu’aux Vies particulieres, qu’il n’ait su rendre intéressantes, par une touche vive, lumineuse, délicate, & remplie d’onction.

2634. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 369-371

Il est vrai que la Philosophie de l’Ecrivain des Mœurs a su du moins respecter quelque chose. […] L’expression est heureuse ; mais ces Messieurs devroient savoir que, si cet Auteur, réprouvé parce qu’il est décent, honnête, raisonnable dans la plupart de ses sentimens, n’a pas mérité d’être célébré par eux, comme tant d’autres, il n’en a pas moins le mérite d’écrire d’une maniere bien supérieure aux Auteurs de la Philosophie du bon sens, du Code de la Nature, du Christianisme dévoilé, & de tant d’autres rapsodies aussi insupportables par l’extravagance des idées, que par la bizarre contexture du style.

2635. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Orientales » (1829) — Préface de février 1829 »

Quelques-uns ont été plus loin encore, et, de ses écrits passant à sa personne, l’ont taxé de présomption, d’outrecuidance, d’orgueil, et, que sais-je ? […] Il sait fort bien que le peu de bruit qui se fait autour de ses livres, ce ne sont pas ces livres qui le font, mais simplement les hautes questions de langue et de littérature qu’on juge à propos d’agiter à leur sujet.

2636. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Dumont le Romain  » pp. 115-116

Vous savez que je n’ai jamais approuvé le mélange des êtres réels et des êtres allégoriques ; et le tableau qui a pour sujet la publication de la paix en 1749 ne m’a pas fait changer d’avis. […] Le peintre a eu une idée forte, mais il n’a pas su en tirer parti.

2637. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Il a ses titres aussi bien que la raison elle-même ; mais il ne sait pas les retrouver ; à la place des bons, il en allègue d’apocryphes. […] Mais, du même coup, elle a cessé d’être critique et clairvoyante ; elle ne tolère plus les contradictions ou le doute, elle n’admet plus les restrictions ni les nuances ; elle ne sait plus ou elle apprécie mal ses preuves. […] L’imagination sympathique était absente ; on ne savait pas sortir de soi-même, se transporter en des points de vue distants, se figurer les états étranges et violents de l’esprit humain, les moments décisifs et féconds pendant lesquels il enfante une créature viable, une religion destinée à l’empire, un État qui doit durer. […] Autour de cette idée centrale se reforme la doctrine spiritualiste  Un être si noble ne peut pas être un simple assemblage d’organes ; il y a en lui quelque chose de plus que la matière ; les impressions qu’il reçoit par les sens ne le constituent pas tout entier. « Je ne suis pas seulement un être sensitif et passif413, mais un être actif et intelligent, et, quoi qu’en dise la philosophie, j’oserai prétendre à l’honneur de penser. » Bien mieux, ce principe pensant est, en l’homme du moins, d’espèce supérieure. « Qu’on me montre un autre animal sur la terre qui sache faire du feu et qui sache admirer le soleil. […] Dans un salon il se trouve gêné416 ; il ne sait pas causer, être aimable ; il n’a de jolis mots qu’après coup, sur l’escalier ; il se tait d’un air maussade ou dit des balourdises, et ne se sauve de la maladresse que par des boutades de rustre ou des sentences de cuistre.

2638. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIe entretien. Vie du Tasse (2e partie) » pp. 65-128

tu ne sais pas ce que Tircis m’écrivait, quand, dans le délire de sa passion pour moi, il errait en forcené à travers les forêts, et qu’il excitait tout à la fois la dérision et la pitié des pasteurs et des nymphes ! […] « Je vois que vous êtes offensé », lui écrit le Tasse quelques jours après, sans doute en réponse à des reproches : « pardonnez-moi ; je ne sais quoi trouble mon esprit !  […] Elle ne savait presque rien de son père et de son frère, si ce n’est que l’un était mort, et que l’autre était devenu un chevalier et un poète de renom à la cour de la maison d’Este, à Ferrare. […] Nous nous occupons maintenant de les rassembler, et ils seront bientôt en ordre ; je vous le fais savoir, et je désire que vous le fassiez savoir à la sœur du Tasse, parce que cette dame a écrit, à moi et à ma sœur, sur cet objet ; ils seront remis aussitôt que possible entre vos mains, ou aux mains du Tasse lui-même ; et, de plus, on aura pour lui les plus grands égards et les plus grandes sollicitudes, non-seulement en paroles, mais en faits… » Le Tasse, malgré les conseils du cardinal Albano, qui s’efforçait de le retenir à Rome, était impatient de retourner à Ferrare ; le duc finit par y consentir. […] Lui ayant ainsi fourni l’occasion de causer, il sembla ne pouvoir cacher plus longtemps son désir de savoir qui j’étais : Dites-moi, je vous prie, reprit-il, qui vous êtes, quelle est votre patrie, et quel est le hasard qui vous amène dans ces contrées.

2639. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

Hugo à l’origine et ne sait mieux ce qu’il ne vaut plus. […] Hugo et ses amis qui sachent les vers de M.  […] Comparez-la, pour savoir où est la vraie poésie, aux paraboles que sa mère lui faisait lire, quand il avait une mère et une foi ! […] … Est-ce seulement, comme dans la santé humaine, la crise mystérieuse qui sauve tout et dont personne ne sait le secret ? […] Oui, qui sait ?

2640. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fabié, François (1846-1928) »

Léon Cladel Un poète qui sait honorer ainsi que François Fabié les illettrés dont il est issu, ne les oubliera ni ne les reniera pas plus qu’il ne sera lui-même oublié ni renié par la postérité ; c’est un artiste en même temps qu’un homme, et celui-ci, non, non, ne diminue en rien celui-là ! […] Je crois après cela qu’il a tort de dire à son père : Et ma plume rustique est fille de ta hache… Et tout le long de ses livres, je note un je ne sais quoi de fruste et de gauche.

2641. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — X — Xanrof, Léon (1867-1953) »

Léon Xanrof a composé la Ballade du Vitriolé, et je lui en sais un gré infini. […] Xanrof dont on sait le talent fin, le tour ingénieux.

2642. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 380-382

Une pénétration singuliere, & l’ardeur la plus opiniâtre pour l’étude, l’entraînerent de bonne heure à tous les genres du savoir. l’Astronomie, la Physique, les Mathématiques, la Métaphysique, la Morale, l’Histoire, fixerent tour à tour son application, & lui devinrent si familieres, que ses connoissances dans une seule de ses parties, suffiroient pour lui faire un nom. […] Il a composé, il est vrai, la Vie d’Epicure, mais en Historien qui sait condamner, lorsqu’il le faut, les égaremens de celui dont il raconte les actions.

2643. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 412-415

Aujourd’hui on sait seulement qu’il a écrit, sans qu’on se donne la peine de lire ses Ouvrages, qui déplaisent par la prolixité du style, quoique l’élocution en soit facile & nombreuse. […] Je ne sais point s’il passera à la postérité, mais il faudra pour cela qu’il ressuscite, puisqu’on peut dire qu’il est déjà mort, n’étant presque plus maintenant lu de personne. » Nous remarquerons, avant de finir cet article, qu’on lit dans une Ode de M.

2644. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 115-117

Mais, malgré les applaudissemens du Parterre, les vrais Littérateurs sauront toujours à quoi s'en tenir. […] Pour mériter des suffrages éclairés, il ne suffit pas d'avoir un coloris brillant, le style passager du jour, de savoir dialoguer une Scene, égayer un instant par de bons mots ; il faut inventer un sujet, le dessiner avec justesse, le développer avec grace, le conduire à un dénouement facile & pourtant imprévu.

2645. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 207-209

On y voit la présomption & les extravagances, dont l'excès & le ridicule devroient corriger ceux qui prétendent s'élever au dessus des autres par leur savoir, & qui se mettent au dessous par leur déraison. […] La Piece peut être mal imaginée, mal exécutée, mal écrite ; mais cela ne s'appellera jamais une infame Brochure par quelqu'un qui sait le François, à moins que quelque passion ne lui fasse outrer la signification des termes ».

2646. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre VI. Des Esprits de ténèbres. »

Ce merveilleux d’un fort grand caractère en fournit ensuite un second d’une moindre espèce, à savoir : la magie. […] Il faut qu’avec un goût exquis, le poète sache faire distinguer le tonnerre du Très-Haut, du vain bruit que fait éclater un esprit perfide ; que le foudre ne s’allume que dans la main de Dieu ; qu’il ne brille jamais dans une tempête excitée par l’enfer ; que celle-ci soit toujours sombre et sinistre ; que les nuages n’en soient point rougis, par la colère, et poussés par le vent de la justice, mais que leurs teintes soient blafardes et livides, comme celles du désespoir, et qu’ils ne se meuvent qu’au souffle impur de la haine.

2647. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Challe  » pp. 141-142

Je sais grand gré à [notre] Napolitain de l’avoir déterré dans le coin obscur où on l’a placé. […] Je ne sais ce que c’est que ce Guerrier qui raconte ses aventures.

2648. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Parocel » pp. 255-256

Nous savons tout aussi bien que toi, mon ami, que cette fable est ridicule, mais faut-il pour cela en faire un tableau insipide ? Au bas ce sont deux apôtres qui dorment de bon cœur et à qui l’on ne saurait pourtant reprocher le peu d’intérêt qu’ils prennent à leur maître, car le peintre ne l’a point fait intéressant.

2649. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

Il est clair que le point de départ de cette illusion est une fiction volontaire ; l’auteur sait d’abord qu’elle est fiction, mais finit par l’oublier. […] « Quand on lui demandait des nouvelles de sa santé, il répondait : Vous voulez savoir comment va le père Lambert ? […] Si j’insiste dessus à l’état normal, ce nom évoque en moi, par association, son équivalent, à savoir la série de mes événements actuels et antérieurs, jointe aux nombreuses séries d’événements possibles dont je suis effectivement capable. […] Nous savons qu’un coup de bâton est pour nous le précédent d’une douleur, et qu’un cri en est la suite. […] Mais ce n’est pas dès l’abord que nous la savons générale ; primitivement, elle agit en nous, sans que nous démêlions son caractère ou que nous sondions sa portée.

2650. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Je savais que M. de Chateaubriand avait je ne sais quelle prévention fort injuste, mais fort tenace, contre moi ; mon nom serait, je n’en doutais pas, une dissonance dans les noms des invités qui seraient prononcés à ses oreilles. […] Je ne sais pas s’il y avait plus de majesté à Saint-Cyr, mais il n’y avait pas plus d’esprit. […] Je ne savais pas même, pour plaire, feindre par complaisance une hostilité que je n’éprouvais pas contre la cour. […] J’étais éclos sous cette bienveillance : madame de Sainte-Aulaire savait distinguer l’espérance, même dans l’obscurité. […] — « Je viens, me dit-il, savoir de vous mon sort ; il est dans vos mains.

2651. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Que voyons-nous en sus dans cette guerre folle, dans cette « guerrette », comme l’appelle Tallemant des Réaux ? […] » On sait la mésaventure qui lui arriva au Palais de justice. […] La peine de mort fut prononcée contre je ne sais plus quel auteur d’écrit séditieux. […] Nous savons ce qui arrive quand l’autorité prédomine dans le domaine politique. […] Il n’est jamais indifférent de savoir qu’à tel moment une Université, une petite cour, une Académie ont été, sur tel ou tel point du sol national, des centres lumineux d’un rayonnement plus ou moins vaste.

2652. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

Cette famille revendique l’honneur d’avoir donné des grands maîtres à l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, des cardinaux à l’Église, et un troubadour au beau ciel languedocien. « Garins d’Apchier, disent les manuscrits cités par Raynouard, fut un gentil châtelain du Gévaudan, vaillant et bon guerrier, et généreux, et bon trouvère et beau cavalier ; et il sut tout ce qu’on peut savoir du bel art de galanterie et d’amour. » Il passe même pour avoir inventé une forme nouvelle de poésie. […] L’air de Paris l’a tué, je le crois ; je le savais, et je ne pouvais pas le tirer de là. […] Je ne sais si ce sont de bonnes prières que celles qu’on fait avec tant d’affection humaine, tant de vouloir sur le vouloir de Dieu. […] Je ne sais, mais n’ayant plus le plaisir de lui faire plaisir, ce que je vois n’offre pas l’intérêt que j’y trouvais jadis.

2653. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

On peut rire du bonhomme de traducteur tant que l’on voudra, il a rendu, à titre de collectionneur d’images21, un service signalé dont la postérité profite et dont elle lui sait gré. […] Il savait par cœur les aventures de L’Odyssée, et goûtait fort les Amadis. […] Je ne sais s’il était capable de se former un idéal à la Beatrix et j’en doute, mais s’il a eu un éclair de cet idéal, c’est à la princesse Marie qu’il l’a dû. […] Au retour de cette glorieuse campagne, la princesse Marie lui donna un logement à l’hôtel de Nevers et lui sut gré de sa peine : elle eut un de ses plus charmants sourires. […] Marolles n’avait rien de ces distinctions originelles ; mais il était auprès de la princesse Marie depuis l’âge de vingt-quatre ans ; il la voyait assidûment, il aimait à la servir ; il eut un je ne sais quoi pour elle : c’est ce qui m’a paru ressortir de ses mémoires, et c’est tout ce que j’ai voulu dire.

2654. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Daphnis et Chloé. Traduction d’Amyot et de courier »

Voltaire, qui devinait si juste là même où il ne savait pas, a très-bien dit : « Ce Théocrite, à mon sens, était supérieur à Virgile en fait d’églogue10 ». […] On ne sait rien de l’auteur qu’on n’a même eu l’idée d’appeler Longus que parce qu’on avait mal lu, à ce qu’il paraît, le titre d’un ancien manuscrit. […] D’une époque assurément tardive, mais de date incertaine, elle ne saurait être cependant rejetée très-bas dans les âges de décadence, car un goût fin y a présidé. […] On sait le sujet. […] Il n’est pas moins vrai que quand j’ai détaché de son livre la figure de ces deux gracieux enfants qui s’aiment sans se rendre compte et qui ne savent comment se le prouver, quand j’ai reconnu que Daphnis et Chloé ne sont pas morts et ne mourront pas, qu’ils recommencent à chaque génération d’adolescents, sous tous les régimes et à travers tous les costumes, qu’ils préexistent confusément et résistent à toute éducation comme la nature elle-même, je n’ai guère plus rien qui m’intéresse, et je rencontre bien des accessoires qui me choquent.

2655. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite et fin.) »

On sait que cette belle langue, si florissante au xiie  siècle et qui balançait pour le moins celle du Nord, avait été vaincue, compromise dans le désastre même qui suivit la croisade contre les Albigeois, et que, privée désormais de ses principaux centres et foyers où elle était cultivée avec pureté et avec élégance, elle était bientôt retombée à l’état de patois ; c’est en parlant d’elle qu’il m’est arrivé de dire que le patois est « une langue qui a eu des malheurs. » Mais ce patois de la langue provençale ainsi réduite était encore le plus riche de tous, le plus pittoresque et le plus sonore ; il n’avait cessé, même dans sa décadence, de permettre à de vrais poëtes de se produire : Goudouli est le plus célèbre ; mais combien d’autres dignes de plus de renom et d’un auditoire plus étendu ! […] Il y a une trentaine d’années, un poëte naturel, sorti des rangs du peuple, Jasmin, est venu remettre à la mode, étendre et comme renouveler cette flore du Midi, restée longtemps si morcelée et si locale : homme d’esprit et de sensibilité, artiste habile, acteur et poëte, vrai talent, il avait su, par ses heureuses combinaisons et par ses récitations chaleureuses, remettre en honneur le vieux patois, nécessairement altéré, et faire accroire un moment à toutes les populations du Midi qu’elles s’entendaient entre elles, puisqu’elles l’entendaient, lui, et qu’elles l’applaudissaient. […] Son premier recueil est curieux : je le recommande aux amateurs et collecteurs, comme j’en sais déjà, de raretés romantiques. […] Il se le disait à d’autres instants ; il savait que tout passe, que de nos jours tout poëte qui n’est pas souverain passe plus vite qu’autrefois, aussi vite que les plus fragiles beautés. […] Aniel, l’œil de larmes humide : Sois sans crainte, l’onde saura Redevenir bientôt limpide, Et le ciel s’y reflétera.

2656. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

Ses amis, et ils étaient nombreux encore, Cousin, Viguier, Patin, et bien d’autres m’en surent gré ; mais parmi les nouveaux venus, parmi ceux qui occupaient alors le devant de la scène et qui faisaient le plus de bruit, il y en eut d’assez pleins d’eux-mêmes, d’assez infatués et enivrés de l’orgueil de la vie, pour me reprocher ce souvenir donné à un humble mort, comme si par là on les volait eux-mêmes, insatiables qu’ils étaient, dans leur célébrité présente ; je recueillis de ce côté quelques injures127. […] Lainé et de ses collègues, peu juste (on ne saurait lui demander des choses contraires) envers l’Empire tombé dont elle ne voyait que les désastres et les malheurs128. […] On ne sait que faire entre tant d’avis et si divers. […] On me crée une réputation dont je me passerais bien volontiers : je ne sais que faire de cela. » Cet article de Loyson, dans lequel il saluait avec joie l’avénement d’un esprit éminent, d’un talent nouveau du premier ordre, comme il le fera plus tard pour Lamartine, contenait plus d’une réserve prévoyante et se terminait par une véritable profession de foi de christianisme libéral et de libéralisme chrétien. […] Cousin, dans un de ces éloquents discours funéraires, tels qu’il les savait prononcer, a très-bien défini Charles Loyson en ce peu de mots : noble esprit, âme tendre, jeune sage, et le pied sur cette tombe entrouverte, le bras solennellement étendu, il s’écriait en finissant : « Encore un mot, mon cher Loyson.

2657. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

Delavigne ne sut point se retirer à temps et s’obstina à poursuivre au delà du terme une mission déjà achevée. […] A Naples révoltée, à Parthénope, il n’a su guère parler que du laurier de Virgile. […] Mais si le temps m’épargne et si la mort m’oublie, Mes mains, mes froides mains, par de nouveaux concerts, Sauront la rajeunir, cette lyre vieillie ; Dans mon cœur épuisé je trouverai des vers, Des sons dans ma voix affaiblie ; Et cette liberté, que je chantai toujours, Redemandant un hymne à ma veine glacée, Aura ma dernière pensée, Comme elle eut mes premiers amours. […] Là où d’autres ne sont que plats copistes, il saura être original, comme il l’a déjà été ; peut-être même il le deviendrait difficilement dans tout autre genre que celui-là. […] Mais, en se tournant de bonne heure vers le théâtre, l’auteur des Vêpres siciliennes et des Comédiens s’est fait une route qui est bientôt devenue pour lui la principale, une carrière où, invité plutôt qu’entraîné par beaucoup des qualités et des habitudes littéraires de son esprit, il a su constamment les combiner, les diriger à bien sans jamais faire un faux pas ; où il a suivi d’assez près, bien qu’à distance convenable, les exigences variées du public, et n’a cessé de lui plaire, sans jamais forcer la mesure de la concession.

2658. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Notes sur l’Ancien-Régime »

Moheau, à qui Lavoisier s’en réfère dans son rapport de 1791, n’en sait pas davantage (Recherches sur la population de la France, 1778, 105) ; Lavoisier dit 83 000 individus, et le marquis de Bouillé (Mémoires, 50) 80 000 familles, tous deux sans aucune preuve  J’ai relevé, dans le Catalogue nominatif des gentilshommes en 1789, par Laroque et Barthélemy, le nombre des nobles qui ont voté, directement ou par procuration, aux élections de 1789, en Provence, Languedoc, Lyonnais, Forez, Beaujolais, Touraine, Normandie, Ile-de-France ; ce nombre est de 9 167  D’après le recensement de 1790 donné par Arthur Young dans ses Voyages en France, le nombre des habitants de ces provinces est de 7 757 000, ce qui, par proportion, donne un peu plus de 30 000 nobles votants parmi les 26 millions d’habitants de la France  En étudiant la loi, et en dépouillant les listes, on voit que chacun de ces nobles représente un peu moins d’une famille, puisque le fils d’un propriétaire de fief vote s’il a vingt-cinq ans ; je ne crois donc pas qu’on se trompe beaucoup en évaluant à 26 000 ou 28 000 le nombre des familles nobles, ce qui, à raison de 5 personnes par famille, donne 130 000 ou 140 000 nobles  La France en 1789 ayant 27 000 lieues carrées et 26 millions d’habitants, on peut compter une famille noble par lieue carrée et par 1 000 habitants. […] Selon Raudot (La France avant la Révolution, 84), il faut ajouter moitié en sus à l’évaluation officielle ; selon Boiteau (État de la France en 1789, 195), il faut la tripler et même la quadrupler. — Je pense que, pour les sièges épiscopaux, il faut ajouter moitié en sus, et que, pour les abbayes et prieurés, il faut doubler, parfois tripler ou même quadrupler. […] « Je désirai savoir quelle est la chose à laquelle, dans son nouvel état, elle avait eu le plus de peine à s’accoutumer  « Vous ne le devineriez jamais, a-t-elle répondu en souriant ; c’est de descendre seule un petit escalier. […] Il ne reste donc plus qu’à multiplier par 2,53 le chiffre qui représentera la part que la taille prélève sur le revenu net, pour savoir ce que les quatre impôts mis ensemble prélèvent sur ce revenu.

2659. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

Elle pouvait croire, sans illusion, qu’aucune société humaine n’en avait su plus qu’elle sur l’homme. […] Un esprit commun, qui n’a qu’une première vue, peut en être choqué, et quelque déclamateur vulgaire y verra des injures contre la nature humaine, mais quiconque sait lire au fond de son cœur, sans crainte d’y apercevoir, sur les indications si sûres de la philosophie chrétienne, ce fond de corruption où sont les tentations et tout le prix de l’innocence, reconnaîtra dans les plus sévères de ces maximes un avertissement menaçant donné par un des penseurs qui ont le mieux connu ce fond. […] Ce sont des mots à remettre au vocabulaire, pour l’écrivain qui saura leur donner la vie en les employant au service de la vérité. […] Cet esprit de prévention, qui n’est que la morale du dogme d’une première faute, donne je ne sais quelle pointe d’aigreur à bon nombre de maximes ; La Rochefoucauld en fait l’aveu. […] « Je n’ai jamais eu de haine pour personne, dit-il ; je ne suis pourtant pas incapable de me venger96. » Quand il croyait n’être que sévère au nom de la morale, il conservait un vieux ressentiment qu’il ne savait pas toujours démêler de ses sévérités.

2660. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

Leur persuasion que Dieu est en elles et s’occupe perpétuellement d’elles est si forte qu’elles ne craignent nullement de s’imposer aux autres ; notre réserve, notre respect de l’opinion d’autrui, qui est une partie de notre impuissance, ne saurait être leur fait. […] Son caractère aimable, et sans doute une de ces ravissantes figures 226 qui apparaissent quelquefois dans la race juive, faisaient autour de lui comme un cercle de fascination auquel presque personne, au milieu de ces populations bienveillantes et naïves, ne savait échapper. […] L’hypocrisie des pharisiens, qui en priant tournaient la tête pour voir si on les regardait, qui faisaient leurs aumônes avec fracas, et mettaient sur leurs habits des signes qui les faisaient reconnaître pour personnes pieuses, toutes ces simagrées de la fausse dévotion le révoltaient. « Ils ont reçu leur récompense, disait-il ; pour toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite, afin que ton aumône reste dans le secret, et alors ton Père, qui voit dans le secret, te la rendra 252. […] Dieu ton Père sait de quoi tu as besoin, avant que tu le lui demandes 253. » Il n’affectait nul signe extérieur d’ascétisme, se contentant de prier ou plutôt de méditer sur les montagnes et dans les lieux solitaires, où toujours l’homme a cherché Dieu 254. […] Épargne-nous les épreuves ; délivre-nous du Méchant 256. » Il insistait particulièrement sur cette pensée que le Père céleste sait mieux que nous ce qu’il nous faut, et qu’on lui fait presque injure en lui demandant telle ou telle chose déterminée 257.

2661. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame la duchesse d’Angoulême. » pp. 85-102

Elle était, on le sait, dans cette ville au moment où l’on apprit le débarquement de Napoléon en Provence (mars 1815). […] Depuis ce moment de 1815, on ne saurait remontrer Mme d’Angoulême dans aucun acte politique proprement dit, et toute sa vie fut de famille et d’intérieur. […] Elle était aumônière à un degré qu’on ne sait pas, et qu’il est difficile d’approfondir ; ceux qui étaient le plus au fait de ses charités et de ses œuvres en découvrent chaque jour qui sortent de dessous terre, et qu’on n’avait pas connues. […] Elle avait le soin de le laisser toujours en avant sur le premier plan : délicatesse d’autant plus vraie qu’on ne sait même si elle en a eu conscience. […] Elle s’en serait accusée devant Dieu ; et, quand le souvenir direct de ce qu’elle avait perdu de cher lui apparaissait, elle ne savait que se voiler, se dérober, en pleurant et sangloter.

2662. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « J. K. Huysmans » pp. 186-212

Il sait voir les personnes, les objets, les ensembles, les caractères avec une exactitude notablement supérieure à celle des romanciers idéalistes ; la vie d’un homme étant rarement tragique, il s’abstient de toute intrigue violente ou qui comprenne d’autres incidents que ceux éprouvés par un Parisien de la moyenne ; l’histoire à raconter se trouvant ainsi réduite, M.  […] Il n’est personne, parmi les romanciers, qui connaisse mieux Paris dans ses banlieues, ses quartiers excentriques, ses lieux de plaisir et de travail, dans ses aspects changeants de toutes heures, qui sache mieux les intérieurs divers des myriades de maisons parmi lesquelles serpentent ou s’alignent ses rues, qui porte mieux enregistrés dans son cerveau, les physionomies, la démarche, la tournure, les gestes, la voix, le parler, de ses catégories superposées d’habitants. […] Attentif aux conversations qu’il a entendu bruire autour de lui, renseigné par ses observations sur les termes techniques des métiers, il a retenu et su employer tout un vocabulaire populacier, populaire, bourgeois et artiste, amasser et déverser un trésor de mots d’argot et d’atelier qui lui permet de noter des sensations et des émotions dans la langue même des personnes qui la ressentent, lui fournit le mot exact ou pittoresque qui illumine toute une phrase du charme de la bonne trouvaille. […] S’il met en scène des personnages que leur manque de culture rend incapables d’observations minutieuses, dont les yeux rudimentaires ne savent point voir ; il intervient, décrit en personne, sensation par sensation, les tableaux que ces obtus spectateurs contemplent, et marque ensuite en réaliste exact le peu d’intérêt qu’éveille chez eux ce spectacle inaperçu. […] Il a d’admirables trouvailles de mots ; par l’appariement des paroles, il sait rendre la nature du choc nerveux brusque ou lent, dont l’affectent ses sensations.

2663. (1912) L’art de lire « Chapitre IV. Les pièces de théâtre »

De quelque art, du reste, qu’il s’agisse, le secret du dilettante, c’est d’attraper l’état d’esprit où l’artiste a été lui-même en composant son oeuvre et de savoir plus ou moins pleinement le garder et s’y maintenir. « Je ne trouve pas cette femme si belle, disait un Athénien devant une statue de Phidias. — C’est que tu ne la vois pas avec mes yeux, lui dit un autre. — Es-tu donc l’auteur ? […] Il répondit spirituellement : « Ne savez-vous pas qu’un auteur dramatique ne doit pas avoir de style ?  […] Vous observerez que nos tragiques du XVIe siècle font parler leurs personnages tous de la même façon et qu’il en résulte une monotonie cruelle ; que Corneille est excellent pour donner à Félix, à Stratonice, à Polyeucte et à Sévère des styles qu’on ne peut pas confondre ; que Racine, quoiqu’il y faille de meilleurs yeux, par des nuances, au moins très sensibles, sait fort bien distinguer le langage de Néron de celui de Narcisse, et aussi de celui d’Agrippine. Mais le maître en ce genre, maître incomparable, du moins à considérer tous les auteurs français, et pour les autres je sens mon incompétence, c’est Molière, qui trace un caractère par le style même du personnage dès les premières répliques qu’il prononce, qui met des nuances de style sensibles entre des personnages à peu près semblables, et par exemple entre Philaminte, Armande et Bélise, peut-être et je le crois, entre Mademoiselle Cathos et Mademoiselle Madelon ; qui indique par des styles différents les différents âges, même, d’un même personnage ; car on sait parfaitement que Don Juan n’a pas le même âge au cinquième acte qu’au premier, malgré l’apparente observation de la règle des vingt-quatre heures, et qu’il change de caractère du commencement à la fin de la pièce ; or, observez le style, et vous verrez que de ces différences dans le caractère et de ces différences d’âge, le style même vous avertit. […] On sait assez qu’Orgon, — et c’est une des grandes beautés de l’ouvrage — a deux caractères, selon, pour ainsi dire, qu’il est tourné du côté de Tartuffe ou tourné du côté de sa famille, autoritaire dans sa maison, docile au dernier degré devant « le pauvre homme ».

2664. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VII. Le cerveau et la pensée : une illusion philosophique »

Tous s’accorderont néanmoins à dire qu’à un état cérébral déterminé, correspond un état de conscience déterminé, et que les mouvements intérieurs de la substance cérébrale, considérés à part, livreraient, à qui saurait les déchiffrer, le détail complet de ce qui se passe dans la conscience correspondante. […] La thèse du parallélisme, qui consiste à détacher les états cérébraux et à supposer qu’ils pourraient créer, occasionner, ou tout au moins exprimer, à eux seuls, la représentation des objets, ne saurait donc encore une fois s’énoncer sans se détruire elle-même. […] Comme d’ailleurs notre connaissance de la matière ne saurait sortir entièrement de l’espace, et que l’implication réciproque dont il s’agit, si profonde soit-elle, ne saurait devenir extraspatiale sans devenir extrascientifique, le réalisme ne peut dépasser l’idéalisme dans ses explications. […] Hypnotisés, pour ainsi dire, par le vide que notre abstraction vient de faire, nous acceptons la suggestion de je ne sais qu’elle merveilleuse signification inhérente à un simple déplacement de points matériels dans l’espace, c’est-à-dire à une perception diminuée, alors que nous n’aurions jamais songé à doter d’une telle vertu l’image concrète, plus riche cependant, que nous trouvions dans notre perception immédiate.

2665. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

On sait si l’esprit est mesuré ou précipité, net ou obscur, systématique ou décousu, et jusqu’à quel degré. […] Aucun professeur ne savait mieux classer les questions, les annoncer, faire compter aux auditeurs tous les pas de sa méthode, les mener par la main, les soutenir aux passages difficiles, marquer les étapes du voyage, les arrêter au bout de chaque question pour leur faire embrasser d’un coup d’œil l’espace parcouru. On sent qu’il est toujours maître de son sujet, qu’il se meut dans le champ des idées comme dans son domaine, qu’il en sait tous les chemins, qu’il est prêt, si l’un d’eux se trouve fermé, à en ouvrir d’autres, qu’il a le droit de prendre charge d’âmes, et de s’offrir pour guide aux ignorants et aux étrangers qui voudront visiter la contrée solitaire et périlleuse où il s’est établi. […] Cousin sont nées en Ecosse, en Allemagne, au dix-septième siècle ; mais il a su les expliquer, les embellir, les propager, et, en leur acquérant l’empire, il a fait son office d’orateur. […] Qui leur a dit qu’au-dessus de toutes les incertitudes, il est une certitude suprême, une vérité égale à toutes les vérités de la géométrie, c’est à savoir que, dans la mort comme dans la vie, un Dieu tout-puissant, tout juste et tout bon, préside à la destinée de sa créature, et que derrière les ombres du trépas, quoi qu’il arrive, tout sera bien, parce que tout sera l’ouvrage d’une justice et d’une bonté infinies ?

2666. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fleury, Albert (1875-1911) »

Le poète a su balbutier. […] Ce poète a su cela.

2667. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Sainte-Croix, Camille de (1859-1915) »

Il sait ce qu’il aime et ce qu’il déteste ; son patron, s’il en avait un, serait Saint Barbey d’Aurévilly. […] Le roi de la contrée est Phlemmar, centième du nom, sa femme, la délicieuse reine Crédulie, leur premier ministre, Domito… Et si vous voulez savoir comment Métapanta, fils de Gupor, président d’une république voisine, — celle de Négocie, — et mari d’Ingénie, fille du grand savant Rhadinouard, s’y prit, pour embêter les tranquilles Lazuliens, et à un tel point, que les Négociens veulent conquérir leur pays, vous n’avez qu’à lire le volume.

2668. (1891) [Textes sur l’école romane] (Le Figaro)

» D’autres se joindront à nous s’ils veulent, mais je ne saurai jamais admettre aucun de ces impuissants symbolistes qui m’ont déshonoré. » Échos 14 septembre 1891. […] Jean Moréas, le fondateur de la nouvelle École dont nous annoncions hier l’apparition, adresse la lettre suivante au Figaro : Monsieur le Rédacteur, Le Figaro de ce matin m’attribue au sujet de l’École romane française une conversation dont je ne saurais assumer les termes violents.

2669. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 421-423

Quand l’Auteur n’auroit eu que le courage de résister au goût dominant du siecle pour le langoureux ou philosophique, ce qui est la même chose ; d’avoir su mépriser ce genre bâtard, quoique plus facile & plus applaudi par la multitude, & de s’être uniquement attaché aux bons modeles ; cette preuve de jugement suffiroit seule pour lui mériter des applaudissemens capables de l’encourager. […] Non, sans doute : il vaut beaucoup mieux marcher d’après les bons modeles, que de s’obstiner à créer des monstres bizarres qui ne sauroient jamais plaire qu’à des esprits frivoles, triste jouet du premier Auteur médiocre qui veut les séduire.

2670. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 445-448

Sans souiller sa plume par l’impiété & la licence, qui déshonorent celle de l’Auteur de la Pucelle, le Poëte a su y répandre un agrément, une fraîcheur & une vivacité de coloris qui le rendent aussi piquant dans les détails, qu’il est riche & ingénieux dans la fiction. […] Nous savons d’ailleurs qu’il est issu d’une famille honnête de notre ville d’Amiens ; que son aïeul & son pere y ont rempli différentes charge municipales, & qu’ils y ont toujours, ainsi que le sieur Gresset lui-même, vécu de cette maniere honorable, qui, en rapprochant de la Noblesse, est en quelque sorte un degré pour y monter, & c. »  

2671. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 419-421

On sait qu'il n'a laissé que huit volumes, & que son travail ne s'étend guere au delà des deux premieres Races de nos Rois. […] Il a su, malgré ces obstacles, la traiter de la maniere la plus intéressante, en la rapprochant, en quelque sorte, de nous ; en y développant les révolutions de nos mœurs ; en opposant, avec autant de justesse que de précision, les usages actuels à ceux de l'ancien temps ; en donnant aux matieres qu'il présente, une netteté, un ordre, un souffle de chaleur & de vie qui subjuguent l'attention & gravent profondément les objets dans la mémoire.

2672. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Greuze  » pp. 157-158

Ce Berger qui tient un chardon à la main et qui tente le sort pour savoir s’il est aimé de sa bergère, ne signifie pas grand chose. À l’élégance du vêtement, à l’éclat des couleurs, on le prendrait presque pour un morceau de Boucher ; et puis si on ne savait pas le sujet, on ne le devinerait jamais.

2673. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XI. Le plus brave des trois. »

Missa et moi nous avons voulu savoir si tu m’abandonnerais en cas de péril réel ». […] Est-ce la femme qui a eu le courage de rester seule, en pleine nuit, sous le cadavre du fauve, sans savoir si celui-ci était tout à fait mort ou bien encore si une autre panthère ne surviendrait pas ?

2674. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

Ils rêvent horriblement de la mort : « Mourir, aller nous ne savons pas où ! […] Qu’il vous suffise de savoir que vous aurez la gloire de fournir un père à ce qu’un si brave père a engendré. […] —  À la fin, tout s’est découvert, et les deux amants savent qu’ils vont mourir. […] J’apprendrais quelque chose que je ne saurai jamais ici, j’en suis sûre. […] Je ne sais rien au théâtre de plus pur et de plus touchant.

2675. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Nous l’émulons et nous y parviendrons ; nos esprits cherchent à se montrer libres, et l’on sait qu’après avoir imité, nous perfectionnons, puis nous surpassons. […] Il estime que le malheur de la plupart des hommes provient d’inquiétude, et de cette poursuite éternelle de quelque chose d’autre, au lieu de jouir de ce qu’on a : « Les hommes, dit-il, sont toujours in via et jamais in mansione. » Il attribue cette inquiétude à l’exemple, à l’imitation, à des causes étrangères à la nature de l’homme : « C’est une mauvaise et extraordinaire habitude, croit-il, dont nous pouvons être corrigés par le progrès de la raison universelle, comme on l’a été de la superstition et de quantité d’habitudes barbares et de façons de penser peu approfondies. » Pour lui, il est heureux et content de vivre ; il lui semble assister à un beau spectacle, à un joli songe ; si l’envie prend parfois au spectateur de faire l’acteur, c’est une faute, on est sifflé (il en sait quelque chose), et l’on s’en repent. […] peu de fautes, beauconp de grandes vérités ; Voltaire sait tout, parle de tout en expert. […] Il y a sans doute une part à faire à la boutade dans ces notes écrites pour soi seul dans le feu d’une lecture, mais le trait fondamental est manifeste : « Je ne sais pas bien nos lois, dit-il quelque part, mais je sais mieux qu’un autre comment elles devraient être. » Il méditait lui-même un grand ouvrage dont on a les matériaux, et dont le titre devait être : Les Lois de la société en leur ordre naturel. […] [NdA] Pour bien comprendre cet endroit, il faut se rappeler une remarque qui revient souvent chez d’Argenson, à savoir que le courage spirituel est très distinct du courage corporel, et que Voltaire, qui a dans l’âme beaucoup de hardiesse et même de témérité, devient peureux et poltron dès qu’il s’agit du moindre danger pour son corps : il jette le gant et ne soutient pas la gageure.

2676. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Aussi, à part Paul et Virginie, que rien ne saurait atteindre, Lamartine  dispense à peu près aujourd’hui de la lecture de Bernardin de Saint-Pierre ; quand on nommera les Harmonies, c’est uniquement de celles du poëte que la postérité entendra parler. […] Rousseau, je le sais, agit aussi très-puissamment sur Lamartine ; mais ce fut surtout à travers Bernardin de Saint-Pierre et M. de Chateaubriand qu’il le sentit. Il n’eut rien de Werther, il ne connut guère Byron de bonne heure, et même il en savait peu de chose au delà du renom fantastique qui circulait, quand il lui adressa sa magnifique remontrance. […] Rien ne saurait donc être plus achevé en soi que ce premier volume des Méditations. […] La Mort de Socrate et surtout le Dernier Chant d’Harold sont d’admirables méditations encore, avec un flot qui toujours monte et s’étend, mais avec l’inconvénient grave d’un cadre historique donné et de personnages d’ailleurs connus : or, Lamartine, le moins dramatique de tous les poëtes, ne sait et ne peut parler qu’en son nom.

2677. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

Je sais à quoi m’en tenir, et si ma conjecture va son train, je sais qu’elle est conjecture. […] Le choix de quelques-uns des sujets secondaires qu’il traverse, et qu’il enserre dans le principal, pouvant sembler arbitraire, c’est avoir fait preuve déjà de beaucoup d’esprit que d’avoir su les grouper de la sorte et les établir. […] Le spirituel auteur les a quelque peu bravés, ce me semble, en passant si hardiment sous leur canon ; il a l’air, et non sans malice, de vouloir leur faire beau jeu et les attirer en plaine par de certaines témérités qu’il sait combiner avec une étude approfondie. […] Quoi qu’il en soit, et pour ne parler ici que des autorités éminentes, on aimerait à savoir ce que pense, par exemple, l’historien de la Civilisation sur les chapitres parallèles qui traitent de la transformation romaine ; ce que l’historien du Paganisme en Occident trouve à redire peut-être dans le tableau reproduit de ces mêmes luttes des deux mondes païen et chrétien ; ce qu’oppose sans doute l’auteur des Récits mérovingiens à cette inégalité de rôle un peu brusque entre Frédégonde et Brunehaut, et comment enfin l’historien dès longtemps désigné de Grégoire VII apprécie la peinture de Rome féodale à la veille de ce pontife2. […] On sait ce que la tradition a fait de lui.

2678. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

La ruine de l’empire grec avait envoyé en Occident de savants hommes, mais aussi toute sorte de gens, qui n’avaient de grec que le nom, et, s’ils savaient à peu près leur langue nationale, étaient tout à fait incapables de l’enseigner. […] Ce recueil de mésaventures conjugales, de tragédies galantes et de drôleries antimonastiques n’est immoral que selon les convenances de notre siècle : mais on sait combien les convenances sont chose relative et variable. […] On sait qu’il édita le Roman de la Rose et les œuvres de Villon. Mais ses maîtres immédiats, c’est Jean Marot son père, Jean Le Maire de Belges, c’est Molinet aux vers fleuris, c’est le souverain poète français, « Crétin qui tant savait », Le bon Crétin au vers équivoqué, en un mot les grands rhétoriqueurs. […] Tout en lui tend à la joie, et a la joie de sa compagnie, sans laquelle la sienne ne saurait subsister.

2679. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre IV. Le patriarche de Ferney »

Il attaque la distraction des courtisans, la légèreté des femmes : à tout ce monde intelligent qui aimerait tant à penser, à savoir, s’il n’avait pas tant peur de s’appliquer et de s’ennuyer, il offre de petits livrets édifiants, clairs, vifs, amusants, qui ne fatiguent point, qui retiennent, et qui déposent leur idée substantielle chez les plus frivoles. […] Il sait que le gouvernement, qui ne peut rien contre lui et ne tient pas à pouvoir quelque chose, lui demande pour toute concession de ne pas s’avouer l’auteur des plus meurtrières brochures. […] La satire du Pauvre Diable (1738) distribua impartialement de larges volées de bois vert sur les épaules de tous les ennemis du « vieux Suisse », ennemis philosophiques, poétiques, personnels ; jansénistes, jésuites, parlementaires, comique larmoyant, Gresset, Trublet, Pompignan, Desfontaines, Fréron, Chaumeix : que sais-je ? […] De là la misérable étroitesse de sa critique religieuse : il ne sut comprendre ni l’essence du christianisme, ni son rôle consolateur et civilisateur. […] Mais qui sait si son aversion pour de telles recherches est faiblesse ou droiture d’esprit ?

2680. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes décadents » pp. 63-99

Tailhade avait eu aussi à se plaindre de je ne sais quels manques d’égards et il exhalait sa rancune en cinglantes épigrammes : Ce noble délire, Dieu ! […] Mais non, mon cher Parisis, c’est au contraire honteux ; vous prouvez par là que les journalistes sont des êtres inférieurs qui ne savent pas manier les femmes. […] Sus aux camelots !  […] Ces coups de grosse caisse, les plus subtils esthètes s’y résignaient, à commencer par Maurice Barrès qui faisait, le lendemain de l’exécution capitale de je ne sais plus quel criminel (Morin, je crois ?) […] Grands incompris, sachons cogner Sur la « gloirette » et le panache.

2681. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame de La Vallière. » pp. 451-473

Mais elle était trop simple et trop naturellement droite pour savoir dissimuler longtemps : le roi s’aperçut qu’elle lui cachait quelque chose, et il entra dans une grande colère. […] Le roi fut hors de lui quand on lui dit qu’on ne savait ce qu’était devenue La Vallière ; il fit si bien qu’il apprit pourtant où elle était ; il courut à toute bride, lui quatrième, pour la ramener aussitôt, prêt à commander de brûler le couvent, si on ne la lui rendait. […] avec une vive et amoureuse douleur de ses infidélités passées, et avec tout le respect et le religieux tremblement que mérite votre souveraine majesté. » De talent, d’imagination proprement dite, il ne saurait en être convenablement question, en appréciant un écrit de cette simplicité. […] Ils s’attendrissent d’avance sur mon sort : je ne sais pas pourquoi l’on parle, car je n’ai rien fait qui soit marqué : je crois que c’est Dieu qui le permet pour m’attirer à lui plus vite. On ne trouve pas, dans les lettres de Mme de La Vallière, un seul mot qui ne soit naturel, humble et doux, d’une reconnaissance vive pour ceux qui lui veulent du bien, d’une parfaite indulgence pour les autres : « Mes affaires n’avancent point, écrit-elle (11 janvier 1671), et je ne trouve nul secours dans les personnes dont j’en pouvais attendre : il faut que j’aie la mortification d’importuner le maître, et vous savez ce que c’est pour moi… » Et ailleurs : « Quitter la Cour pour le cloître, ce n’est point là ce qui me coûte ; mais parler au roi, oh !

2682. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre I. Shakespeare — Son génie »

Demandez à Job pourquoi il racle le pus de son ulcère avec un tesson, et à Dante pourquoi il coud avec un fil de fer les paupières des larves du purgatoire, faisant couler de ces coutures on ne sait quels pleurs effroyables6 ! […] Or, c’est là une vérité que nous avons indiquée déjà et que les penseurs savent, l’imagination est profondeur. […] Chacun sait que la poésie est une chose frivole, insignifiante, puérilement occupée de chercher des rimes, stérile, vaine ; par conséquent rien n’est plus redoutable. […] On court sus à la démocratie, fille de la philosophie. […] C’est son étendue même qui le secoue et qui lui communique on ne sait quelles oscillations énormes.

2683. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Nisard » pp. 81-110

Nisard le sait bien, du reste ; il sait si bien que le cœur fait défaut à la main ou la main au cœur, dans l’exécution des hautes œuvres de toute critique, qu’il n’est critique que le moins qu’il peut et qu’il en esquive l’occasion avec de singulières souplesses. […] Et cela, non plus, ne se sait point assez. […] Il sût méprisé cette besogne de chacal. […] Nisard : toutes ses héroïnes sont des sœurs par leurs sentiments bien plus que des maîtresses, et qui sait même si les amours de ce Lovelace faux qui cachait peut-être un Grandisson, mais poétique, au fond de son âme, ne furent pas plutôt des amours fraternels qu’autre chose ? […] Il cherchait son enfant Ada sur le front de toutes les petites filles, et il disait dans son génie ce que le Sauveur disait dans sa vie mortelle : « Laissez venir les petits enfants jusqu’à moi. » Qu’il le sût ou qu’il l’ignorât, c’était par tout cela qu’il était un génie chrétien, cet orgueilleux qui eut si souvent les humilités de la tendresse, et dont l’orgueil d’ailleurs, a dit magnifiquement M. 

2684. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre I. La quantité des unités sociales : nombre, densité, mobilité »

On sait que toutes, jusqu’à ces dernières années du moins, ont vu leur population se multiplier avec une rapidité inouïe ; phénomènes relativement récents et qu’on peut dire caractéristiques de l’époque moderne63. […] L’immensité de l’aire couverte par un Empire a peu d’action si, entre les individus qui sont ses sujets, il n’y a et ne saurait y avoir que peu de relations. […] Déjà, sous l’Empire romain, on sait que les communications avaient atteint une fréquence et une rapidité qui semblent avoir été oubliées jusqu’au réveil des temps modernes73. […] Mais que la circulation, de nos jours, ait pris un développement hors proportion avec tout ce que les anciens avaient pu connaître ou imaginer, on le sait de reste. […] On sait l’importance sociale du « prestige ».

2685. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Réception du père Lacordaire » pp. 122-129

Il y a eu je ne sais quelle phrase sur Tibère, à laquelle l’orateur a paru attacher beaucoup d’importance, et qui n’est que de mauvais goût. […] Guizot a su si bien choisir les termes de ses éloges qu’ils impliquent la critique et la leçon. — Il a maintenu, en présence du religieux catholique, l’autorité supérieure et souveraine de l’Évangile ; et comme s’il estimait, par là, avoir suffisamment assuré son drapeau, il a cru pouvoir aller plus loin que le récipiendaire qui s’était borné à faire allusion, en passant, à la question romaine. — Ici je demande la permission de ne pas insister. […] Le vrai bénéfice de l’expérience devrait être de savoir distinguer, dans des cas qui sembleront toujours différents, ce qu’il y a au fond de semblable, et de démêler la bonne voie dans un pays neuf.

2686. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres mises en ordre par M. J. Sabbatier. (Tome II, 1844.) » pp. 144-153

Victorin Fabre avait des qualités de jeune homme, et supérieures à celles que cet âge présente d’ordinaire : il avait la générosité de la jeunesse, il y joignait un esprit grave, une application constante, une faculté d’analyse et d’examen qui, dans l’expression, savait se revêtir de nombre et d’un certain éclat. […] Il lui arriva un peu ce qui arrive à de certaines jeunes filles qui épousent des vieillards : en très-peu de temps leur fraîcheur se perd on ne sait pourquoi, et le voisinage attiédissant leur nuit plus que ne feraient les libres orages d’une existence passionnée : Je crois que la vieillesse arrive par les yeux, Et qu’on vieillit plus vite à voir toujours les vieux, a dit Victor Hugo. […] Ce sont des symptômes auxquels on ne saurait fermer les yeux.

2687. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Études sur Blaise Pascal par M. A. Vinet. »

La nouvelle apologétique qu’on pourrait déduire des Pensées de Pascal, telles qu’on les possède actuellement, ne saurait s’adresser en réalité qu’à un petit nombre d’esprits et de cœurs méditatifs ; et elle mériterait moins le nom d’ apologétique que de s’appeler tout simplement une forte étude morale et religieuse faite en présence d’un grand modèle. […] Et que savons-nous encore s’il ne vécut que par les yeux ? […] Vinet disait cela de Bourdaloue par manière de conjecture, on peut le lui appliquer plus sûrement à lui-même : il était de ceux qui vivent d’une vie complète au dedans, et qui, sans rien laisser éclater, arrivent à savoir par expérience tout ce qu’il a été donné à l’homme de sentir.

2688. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

un seul fait, qui aurait pu sembler paradoxal au premier abord, savoir qu’un pas de plus M.  […] Pourtant, disons-le, elle ne saurait, même dans ce cas le plus favorable, échapper entièrement au reproche d’être exclusive. […] Qu’on ne lui impute ni l’uniformité ni la brusquerie que parfois elle lui imprime : il saurait être souple et varié, si elle lui permettait de le devenir, et, pour n’en citer qu’une preuve, voyez comme à propos il s’anime de finesse et d’éclat dans l’ingénieux portrait d’un chambellan célèbre.

2689. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — II »

L’originalité des grands poètes, on le sait, consiste surtout à voir et à exprimer la nature, la vie et les hommes par un côté intime et nouveau. Ils ne manquèrent pas au christianisme, et sous l’unité inflexible des traditions générales, plusieurs surent se créer des variétés fécondes d’idées et de formes, s’ouvrir, selon les lieux et les temps, des perspectives inattendues. […] Sa morale est celle que nous savons ; il nous répète avec un charme nouveau ce qu’on nous a dit mille fois, nous fait repasser avec de douces larmes ce que nous avons senti, et l’on est tout surpris, en l’écoutant, de s’entendre soi-même chanter ou gémir par la voix sublime d’un poète.

2690. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

Les anciens savaient animer les arguments nécessaires à chaque circonstance ; mais de nos jours les esprits sont tellement blasés, par la succession des siècles, sur les intérêts individuels des hommes, et peut-être même sur les intérêts instantanés des nations, que l’écrivain éloquent a besoin de remonter toujours plus haut, pour atteindre à la source des affections communes à tous les mortels. Sans doute il faut frapper l’attention par le tableau présent et détaillé de l’objet pour lequel on veut émouvoir ; mais l’appel à la pitié n’est irrésistible que quand la mélancolie sait aussi bien généraliser que l’imagination a su peindre.

2691. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVIII. Pourquoi la nation française était-elle la nation de l’Europe qui avait le plus de grâce, de goût et de gaieté » pp. 366-378

La flatterie qui sert à l’ambition exige beaucoup plus d’esprit et d’art que celle qui ne s’adresse qu’aux femmes : ce sont toutes les passions des hommes et tous leurs genres de vanité qu’il faut savoir ménager, lorsque la combinaison du gouvernement et des mœurs est telle, que les succès des hommes entre eux dépendent de leur talent mutuel de se plaire, et que ce talent est le seul moyen d’obtenir les places éminentes du pouvoir. […] Les Français n’approfondissent pas, comme les Anglais et les Allemands, les sentiments que le malheur fait éprouver ; ils ont trop l’habitude de s’en éloigner pour le bien connaître : mais les caractères dont on peut faire sortir des effets comiques, les hommes séduits par la vanité, trompés par amour-propre, ou trompeurs par orgueil, cette foule d’êtres asservis à l’opinion des autres, et ne respirant que par elle, aucun peuple de la terre n’a jamais su les peindre comme les Français. […] Il n’y avait pas sans doute beaucoup de philosophie dans la conduite de la plupart des hommes éclairés ; ils avaient souvent eux-mêmes les faiblesses qu’ils condamnaient dans leurs ouvrages : néanmoins ce qui relevait les écrits et les conversations, c’était une sorte d’hommage à la philosophie, qui avait pour but de montrer que l’on connaissait de la raison tout ce que l’esprit eu peut savoir, et qu’au besoin on pourrait se moquer de son ambition, de son orgueil, de son rang même, quoique l’on fût bien résolu à n’y point renoncer.

2692. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre IX. Beltrame » pp. 145-157

» On était alors, comme on le sait, au milieu de la guerre de Trente Ans, et l’Électeur palatin venait, en effet, de perdre ses États. […] Quand il sait qu’il vient encore de ruiner un stratagème de Scapin, il s’en va désespéré, résolu de s’expatrier et de fuir aux extrémités de la terre. […] Beltrame va se réfugier chez un de ses amis à Rome ; Lucrezia l’implore pour qu’il l’emmène avec lui, en promettant d’être plus sage à l’avenir, et dans la mauvaise comme dans la bonne fortune, il ne sait pas résister aux caresses de sa chère moitié.

2693. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XVII. Conclusion » pp. 339-351

La comédie erre longtemps, cherche et s’égare et se compromet à travers mille tentatives et mille aventures, se mêlant sur les tréteaux aux bouffonneries les plus grossières, avant de rencontrer le souverain artiste qui sache la fixer et la maîtriser, qui la retire de la cohue où elle se cache, qui la place sur un trône et lui élève un palais digne d’elle. Quoique les productions sans nombre que nos théâtres voient éclore chaque année, n’offrent pas, en général, les conditions d’une longue durée, qui sait pourtant si les éléments comiques qu’elles renferment sont destinés à périr à jamais ? […] Nous savons du moins, par l’expérience des âges écoulés, que tout ce qui se fait dans l’intervalle nous y achemine.

2694. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre premier. Prostitués »

Je joindrai l’utile à l’agréable : ils sauront, par les arts, amuser leurs ennuis et se rendre aimables aux femmes : leur parole, habile guerrière, les fera redoutables aux hommes. […] Mais, quand je réfléchis, je reconnais que le devoir est un absolu ; on ne saurait faire plus que son devoir et par conséquent, en bonne morale, nul ne doit être admiré. […] J’en sais d’autres qui, avec plus ou moins de succès, employèrent un volume à appeler : « Quelle femme riche veut m’acheter, corps et âme ?

2695. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre IV Le Bovarysme des collectivités : sa forme imitative »

Cette énergie de l’esprit, qui enfantait une langue, s’exprimait en même temps par une passion de savoir qui, s’exerçait dans tous les sens. […] On ne saurait douter pourtant que notre langue n’eût été plus homogène et plus pure, si cette alluvion ne l’avait un moment recouverte. […] Ainsi, en tous les ordres de l’activité mentale, l’influence de la culture antique a. contraint l’esprit français, au xvie  siècle, à se concevoir quelque peu différent de lui-même, et on ne saurait nier que cette fascination ne se soit fait sentir parfois avec trop de force et au détriment de la civilisation déjà formée qui la subissait.

2696. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre premier. »

On le voit à travers un nuage ; cela est si vrai, que La Fontaine est obligé d’expliquer son idée toute entière, et de dire enfin : Et quant au canal, c’est celui Que chacun sait, le livre des Maximes. […] Elle me rappelle le trait d’un riche particulier qui avait fait dîner ensemble un antiquaire, qui hors de là ne savait rien, et un physicien célèbre dénué de toute espèce d’érudition. Ces deux messieurs ne surent que se dire.

2697. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Tout ce que j’ai compris de ma vie du clair-obscur » pp. 26-33

Quel homme, s’il sait se passer du grand agent, et produire sans son secours un grand effet ! […] La loi en est pourtant bien simple, et le premier teinturier à qui vous portez un échantillon d’étoffe nuancée, jette la pièce d’étoffe blanche dans sa chaudière, et sait l’en tirer teinte comme vous l’avez désirée. […] Il n’y a pas un artiste qui ne vous dise qu’il sait tout cela mieux que moi.

2698. (1860) Ceci n’est pas un livre « Les arrière-petits-fils. Sotie parisienne — Premier tableau » pp. 180-195

Impossible aujourd’hui : le ministre d’État vient d’obliger — par décret — les vaudevillistes à parler français…, et puis ils le savent tous — l’argot ! […] Sais-tu lire ? […] Qui sait où le mènerait la vengeance ?

2699. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Gabrille d’Estrées et Henri IV »

Il ne fait pas Henri IV, ce séducteur de l’histoire, — on ne sait vraiment ni comment ni pourquoi, — un homme plus séduisant que Gabrielle ne fut elle-même une femme séduite. […] Il avait une manière d’être libertin pire que son libertinage, car elle faisait de lui je ne sais quel abject personnage de comédie. […] On le sait, les plus célèbres de ces incroyables promesses furent celles qu’il fit d’abord à Diane de Guiche, la belle Corisandre, ensuite à Gabrielle d’Estrées, laquelle mourut de son parjure quand il épousa Marie de Médicis, enfin, à Henriette d’Entragues, marquise de Verneuil, à qui on le vit, incorrigible, en signer une encore au moment où ses ambassadeurs signaient de leur côté à Rome le mariage qui tua Gabrielle.

2700. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La défection de Marmont »

On savait que depuis longtemps le duc de Raguse travaillait à ces Mémoires, et que, comme Chateaubriand, il prétendait avoir son Outre-Tombe. On savait que cet homme, qu’on appelait malheureux parce qu’il avait été la cause d’un désastre suprême, cherchait de toute sa force à se relever sous les accablantes paroles d’un historien qui pèsera un peu plus que lui devant l’Histoire, — les paroles de l’Empereur lui-même, — et c’était un spectacle qu’on attendait et qu’on tenait à voir que cette lutte d’un homme qui voulait sauver son honneur contre le mépris qui avait le plus le droit d’exister. […] Les entrailles de l’homme qui sait la vie et qui compatit à ses misères, les entrailles de l’homme y sont et y saignent, mais, grâce à Dieu !

2701. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hebel »

À notre sens, il n’y a que le mot à mot de la traduction interlinéaire qui donne l’idée juste de l’œuvre poétique qu’on veut faire juger à ceux-là qui ne savent pas la langue dans laquelle cette œuvre a été pensée. Procédé grossier et barbare, diront les académies, mais loyal et le seul que rechercheront toujours les artistes profonds, les vrais connaisseurs, qui savent reconstituer une poésie avec les mots qui l’ont exprimée, comme on imagine l’effet d’ensemble du collier dont on tient les perles défilées dans sa main. […] Buchon sait maintenant à quoi s’en tenir sur les empêchements d’une traduction comme la sienne.

2702. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Proudhon et Couture »

La statistique, qui ne sait que compter sur ses doigts, est impitoyable. […] Certainement, c’est un esprit très fort que Proudhon, quand on regarde ses facultés en dehors de leur emploi, et pourtant sait-on bien de quoi se compose le système de preuves de cet esprit très fort ? […] On sait que les dynasties ne jaillissent pas d’un événement à fleur d’histoire, mais qu’elles ont des préparations lointaines et profondes, causes mystérieuses, mais non impénétrables, de l’établissement d’une race dans le gouvernement d’un pays.

2703. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Véron »

Tallemant des Réaux dit quelque part que M. de Retz ne savait pas se boutonner. […] Il est des gens qui remuent toujours, qui ne savent pas se tenir tranquilles, qui gâtent, en se mêlant d’agir, toutes les bonnes grâces de la fortune, amoureuse parfois des endormis ! […] En nous racontant ces quatre années de règne auxquelles il manque encore un historien, il aurait pu faire naître au moins un intérêt immense et écrire un livre vivant ; mais la plume du docteur ne sait rédiger que des consultations, et c’est une consultation qu’il nous a donnée.

2704. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

Vous savez, mon cher ami, combien elle m’aimait. […] Après le quatrième acte, où domine la scène de l’urne, c’est de tous les autres celui dont je suis le plus content, et je crois savoir pourquoi. […] Mais Arnault, que le général avait chargé de la négociation et qui échoua, nous fait remarquer que Ducis, « hardi par la pensée, n’était rien moins qu’aventureux dans les actions. » Nous le savons de reste. […] Quelques amateurs curieux et pieux savent tout cela et se sont fait pour eux-mêmes des recueils à peu près complets d’un Ducis épistolaire. […] Vous savez comme je vous aime.

2705. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

L’instinct de la mère et du père, celui-là tout moral, l’instinct de la compassion et de la bonté, leur commande de soigner, d’allaiter, d’élever l’enfant ; il crée la continuité de l’espèce, il dépasse déjà la loi d’égoïsme de l’individu, il devient sans le savoir dévouement spiritualiste. […] Il marche à la tyrannie chez lui-même en allant porter sa propre tyrannie dans le monde ; bientôt il ne saura plus où retrouver le principe de l’autorité des gouvernements légitimes, c’est-à-dire naturels, de la société politique, trop vieux et trop irrespectueux pour le gouvernement patriarcal, trop égalitaire pour le gouvernement des castes, trop sceptique pour le gouvernement théocratique, trop ardent en nouveautés pour le gouvernement des coutumes et des dynasties, trop agité pour le gouvernement constitutionnel et l’équilibre des pouvoirs, trop turbulent pour le gouvernement des républiques, et trop impie envers ses propres droits pour les défendre soit contre l’oppression d’en haut, soit contre l’oppression d’en bas. […] Ils ne savent ni fonder ni conserver, ils ne savent que détruire et changer sur la terre ; ils sont le vent qui balaye le passé. […] XVI Notre contrat social, à nous, le contrat social spiritualiste, au contraire, celui qui cherche son titre en Dieu, qui s’incline devant la souveraineté de la nature, celui qui ne se reconnaît d’autre droit que dans ce titre magnifique, et plus noble que toutes les noblesses, de fils de Dieu, égal par sa filiation et par son héritage à tous ses frères de la création, celui qui ne croit pas que tout son héritage soit sur ce petit globe de boue, celui qui ne pense pas que l’empire de quelques millions d’insectes sur leur fourmilière, renversant ou bâtissant d’autres fourmilières, soit le but d’une âme plus vaste que l’espace, et que Dieu seul peut contenir ou rassasier ; celui qui croit, au contraire, à l’efficacité de la moindre vertu exercée envers la moindre des créatures en vue de plaire à son Créateur, celui qui place tous les droits de l’homme en société dans ses devoirs accomplis envers ses frères ; celui qui sait que la société humaine, civile et politique, ne peut vivre, durer, se perfectionner en justice, en égalité, en durée, que par le dévouement volontaire de chacun à tous, dévouement du père au fils, de la femme à l’époux, du fils au père, des enfants à la famille, de la famille à l’État, du sujet au prince, du citoyen à la république, du magistrat à la patrie, du riche au pauvre, du pauvre au riche, du soldat au pays, de tout ce qui obéit à tout ce qui commande, de tout ce qui commande à tout ce qui obéit, et, plus haut encore que cet ordre visible, celui qui conforme, autant qu’il le doit et qu’il le peut, sa volonté religieuse à cet ordre invisible, à ce principe surhumain que la Divinité (quel que soit son nom dans la langue humaine) a gravé dans le code, dans la conscience, table de la loi suprême ; celui qui sait que, sous cette législation des devoirs volontaires qu’on nomme avec raison force ou vertu, il n’y a ni Platon, ni J. […] Or savez-vous ce qu’il découvre très inopinément pour nous, à Genève, en recherchant les sources de J.

2706. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre IV. Racine »

Il eut pour maîtres l’helléniste Lancelot, Nicole, Hamon, Antoine Le Maistre ; il leur dut cette connaissance solide et ce sentiment délicat de l’antiquité, surtout de l’hellénisme, qui firent de lui le grand et pur artiste que l’on sait. […] Je ne sais pas au reste s’il est jamais arrivé que l’objet d’une grande passion, au roman et au théâtre, fût peint d’une manière satisfaisante, et parût autre chose qu’un ressort qui met la passion en branle, ou bien une cible où elle tire. […] Racine se retrouve dans les amants qu’on n’aime pas : Pyrrhus, fier et épris, un soupirant qui a de belles révoltes, et qui donne parfois de rudes secousses à sa chaîne ; Oreste, passionné et sombre, proche de la folie, et capable de crime ; et Mithridate, l’amoureux en cheveux gris, qui sait qu’on ne peut l’aimer et s’acharne à exiger l’amour, étalant avec emportement toutes les compensations qu’il a de la jeunesse qui lui manque ; et Néron, l’amoureux qui est un maître, et qui le sait. […] Remarquons bien une différence entre nos deux grands tragiques dans le choix des sujets : depuis le Cid, Corneille n’a pas tiré une tragédie de la poésie ancienne, sauf Pompée, qui vient de Lucain, un historien rhéteur plutôt qu’un poète, et sauf OEdipe, dont il a fait ce que vous savez, du Sophocle habillé à la Quinault. […] Phèdre a une poésie plus prestigieuse encore : on ne saurait citer tous les vers qui créent, autour de cette dure étude de passion, une sorte d’atmosphère fabuleuse, enveloppant Phèdre de tout un cortège de merveilleuses ou terribles légendes, et nous donnant la sensation puissante des temps mythologiques : Noble et brillant auteur d’une triste famille.

2707. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre troisième. La reconnaissance des souvenirs. Son rapport à l’appétit et au mouvement. »

Newton avait la faculté d’évoquer devant ses yeux l’image du soleil, même dans l’obscurité, en faisant simplement un certain effort visuel, à peu près comme quelqu’un qui essaie attentivement de distinguer un objet difficile à voir ; mais Newton savait parfaitement qu’il était comme le créateur de ce soleil imaginaire. […] L’animal n’a pas besoin de cet acte intellectuel pour sentir et reconnaître, sous des couleurs différentes qui se succèdent, ce je ne sais quoi de semblable, qui est impression continue de couleur sans être telle couleur particulière, et qui n’est pas son ou contact ; il y a sous les sensations visuelles une manière commune de sentir et de réagir qui, par la répétition et la variation des circonstances, se dégage elle-même des sensations particulières et devient souvenir ou image mnémonique. […] Qui sait même si, comme le croyait Platon et comme un darwiniste serait porté à le soutenir, nous n’avons pas parfois des réminiscences d’une expérience antérieure à notre naissance, et conséquemment ancestrale ? […] Quand le petit enfant fixe les yeux pour la première fois sur le visage humain, qui sait s’il n’éprouve pas le vague sentiment d’une chose qui n’est pas absolument nouvelle et qu’il a vue comme dans un songe ? […] Sa mémoire, sans savoir comment, conservait et reproduisait mille images, mais, quand elles apparaissaient évoquées par l’inspiration, il les reconnaissait comme les émotions de toute une existence, condensées en une série d’accords joyeux ou tristes.

2708. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XX » pp. 84-86

Voici le début de sa préface : « Ce que l’avenir nous garde, Dieu le sait ! […] Le vertige de ces temps ne me gagna pas, leur fantasmagorie ne m’éblouit point, l’orageuse et brillante fée ne put me changer comme elle en a changé tant d’autres ; elle fit en vain passer devant mes yeux son iris aux cent couleurs… D'autres voyaient tout cela comme costumes et blasons, drapeaux, armes curieuses, coffres, armoires, faïences, que sais-je ?

2709. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Revue littéraire. Victor Hugo. — M. Molé. — Les Guêpes »

Molé paraît indiqué dans l’opinion comme le plus convenablement placé pour hériter de ce fauteuil, qui a gardé un je ne sais quoi imposant. […] Dans les trois premières, l’auteur a su amuser avec malice sans être par trop méchant.

2710. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Chateaubriand, François René de (1768-1848) »

Un jour, sans doute, on pourra juger ses compositions et son style d’après les principes de cette poétique nouvelle, qui ne saurait manquer d’être adoptée en France du moment qu’on y sera convenu d’oublier complètement la langue et les ouvrages des classiques. […] Il aurait pu lui-même écrire en vers, car la muse, vous le savez, lui en a dicté d’harmonieux ; mais le besoin d’écrire avec rapidité dans les agitations de ce siècle dévorant lui en a été le loisir.

2711. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Samain, Albert (1858-1900) »

J’en sais peu d’aussi inquiets et d’aussi farouches, et l’approche même d’une admiration trop curieuse risquerait d’en faire brusquement cesser le chant pur et surnaturel, ainsi que s’enfuirait loin des profanes un vol de cygnes offensés. […] Remy de Gourmont Quand elles savent par cœur ce qu’il y a de pur dans Verlaine, les jeunes femmes d’aujourd’hui et de demain s’en vont rêver Au jardin de l’Infante.

2712. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Séverin, Fernand (1867-1931) »

L’auteur du Don d’enfance a le sens délicat de l’idylle et de l’églogue ; sa forme, d’une pureté limpide, s’harmonise étroitement avec ces genres virgiliens, et il sait en tirer de mélodieuses gammes claires. […] Et ils sont rares, ceux-là qui savent aujourd’hui bercer notre tristesse déçue et nos luttes avides D’un chant simple et nouveau comme le bruit des feuilles… [L’Ermitage (octobre 1890).]

2713. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 100-103

On sait qu’il ne s’est point assujetti à rendre scrupuleusement son modele ; qu’il l’a réformé, changé, imité, selon les divers effors de sa Muse & les inspirations de son goût ; & l’on peut dire que son travail est d’autant plus propre à lui faire honneur, que les morceaux où il s’est le plus écarté de l’original, ne sont pas les moins estimables de son Poëme. […] On a souvent dit, avec raison, que la meilleure de toutes ne sauroit ressembler qu’à l’envers d’une tapisserie, ou, tout au plus, qu’à l’Estampe d’un tableau.

2714. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 308-311

L’Auteur a su y placer à propos plusieurs remarques piquantes sur l’origine des Loix, des Usages, sur les Mœurs & la Politique ; en cela, il paroît s’être véritablement proposé l’instruction du Lecteur. […] Il paroît trop éclairé, pour ne pas savoir que dans tous les temps & dans toutes les classes d’hommes, il y a eu des erreurs & des vices ; que c’est être Juge injuste & mauvais raisonneur, que de vouloir faire rejaillir sur les membres actuels d’un Etat quelconque, les fautes de quelques-uns de ses membres, dans les Siecles précédens.

2715. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 66-69

Personne n'a su mieux manier un sujet, le conduire, & le terminer par un dénouement agréable & piquant. […] Le bizarre peut séduire un moment, mais son triomphe est court, & on méprise ce qu'on avoit d'adord goûté, à proportion de la honte qu'inspirent les travers qui avoient su en imposer.

2716. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Rathery »

La thèse qu’il soutient répond très péremptoirement à un lieu commun longtemps exploité (car, si suffisants que soient les Français, ils ont des jours de singulière modestie), à savoir que, littérairement, la France doit tout à la Renaissance et à l’Italie. […] Qui sait ?

2717. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

Par malheur, les marchands de pardons ne savent pas que tout est changé et que l’esprit est devenu adulte ; il ne récite plus les mots machinalement comme un catéchisme, il les sonde anxieusement comme une vérité. […] Celui-ci, ayant oublié plusieurs mots du Pater et du Credo latins, ne sait plus les réciter qu’en anglais. […] Crainte contre crainte, il ne reste qu’à savoir laquelle des deux sera la plus forte. […] Cette énorme obscurité, cette noire mer inexplorée377 qu’ils aperçoivent au terme de notre triste vie, qui sait si elle n’est pas bordée par un autre rivage ? […] « Les Allemands sont, comme vous savez, d’étranges buveurs ; il n’y a point de gens au monde plus caressants, plus civils, plus officieux ; mais encore un coup ils ont de terribles coutumes sur l’article de boire.

2718. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

J’ai demandé vingt fois aux républicains les plus notoires : « Le savez-vous ? » Tous m’ont répondu : « Non, nous n’en savons, à cet égard, pas plus que vous. […] Impossible à savoir, téméraire à dire, absurde à supposer. […] Je l’ignore ; et je crois que personne mieux que moi n’était placé pour ne rien ignorer, s’il y avait eu quelque chose de mystérieux à savoir. […] Son ambition se bornait à savoir attendre.

2719. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

Ils n’avaient su ni les prévenir par un déploiement de forces, ni couvrir les victimes de leurs corps, ni punir ce crime sur les assassins. […] Cette Révolution, elle ne put ni la prévoir, ni la comprendre, ni l’accepter ; elle ne sut que l’irriter. […] Sa politique vacillante, suivant les impressions du moment, tour à tour timide comme la défaite, téméraire comme le succès, ne sut ni reculer ni avancer à propos. […] Elle ne sut que charmer, égarer et mourir. […] Seule contre tous, innocente par son sexe, sacrée par son titre de mère, une reine inoffensive désormais est immolée sur une terre étrangère par un peuple qui ne sait pardonner ni à la jeunesse, ni à la beauté, ni au vertige de l’adoration !

2720. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

Je me suis dit, en ouvrant ce procès-verbal de la science universelle : Enfin je vais tout savoir. […] Il en déduisit une observation commune à tout le groupe des îles Canaries, à savoir que les produits inorganiques de la nature (montagnes et rochers) restent semblables à eux-mêmes jusque dans les régions les plus éloignées ; mais que les produits organiques (plantes et animaux) ne se ressemblent pas. […] Il n’avait qu’un vrai mérite, il étudiait consciencieusement ce que les autres avaient découvert ; il savait, dans le sens borné du mot science, et il préparait dans l’ombre le procès-verbal à peu près complet de tout ce que le monde savait ou croyait savoir de son temps pour écrire un jour son Cosmos. […] Nous ne pouvons pas savoir ce que l’âge avancé de la vie pouvait avoir ajouté à cette physionomie complexe et multiple, qui exprimait jadis toute autre chose que la candeur et la sincérité qui conviennent au vieillard. […] Le sentiment du droit à la liberté individuelle l’emportait chez lui sur tout, car il savait que le bonheur parfait et la liberté sont deux idées inséparables dans la nature et dans l’espèce humaine.

2721. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

Nous ne jouâmes point comme des enfants ; elle me demanda tout de suite quelles étaient mes leçons, si je savais quelques langues étrangères, si j’allais souvent au spectacle. […] Il aurait su, ce peuple, qu’on apporta devant la fenêtre de Marie-Antoinette la tête de son amie. […] vous qui vîtes devant vous votre malheureuse reine prête à mourir de désespoir, saviez-vous alors tout ce qu’elle devait souffrir ? […] Nul respect, nulle pitié ne consola leur misère ; mais rassemblant tous leurs sentiments au fond de leur cœur, elles surent y nourrir la douleur et la fierté. […] Jugez quelle est sa mère par le sentiment énergique et profond qu’à cet âge déjà elle a su lui inspirer !

2722. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

Il faut y insister d’autant plus qu’il sait au besoin, — ou peut-être suivant le gré d’une heure inattendue, — tracer de tels vers aussi bien que personne, une souple musique délicieuse comme celle-ci : Au bois des frênes nous avons pleuré. […] Je ne sais si pour les Grecs ce miraculeux instant ne fut pas entrevu ; mais n’y avait-il pas, chez Pindare lui-même, l’accord quasi régulier des rythmes parlés aux sons de la flûte et des tétracordes, et savons-nous quelles règles, de lui seul apprises, il avait prescrites à sa voix ? […] Mais il faudrait au moins savoir de quoi il s’agit. […] Toutefois il faut noter que le degré d’acuité d’un son dépend de la succession plus ou moins rapide des vibrations, comme on le sait. […] De plus, — ceci étant dit pour éviter une confusion souvent observée, — l’amplitude lumineuse d’un ton n’est pas en rapport direct avec sa position dans l’échelle des teintes qui, pour chaque couleur va du « pâle » au « foncé » ; une teinte « foncée » peut être plus vigoureuse, plus lumineuse qu’une teinte « claire » : on sait assez ce qu’est un tableau crayeux.

2723. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1878 » pp. 4-51

Il y avait, chez ma mère, une femme de chambre jolie, ayant l’air bête, mais vous savez, il y a quelques figures, où l’air bête met une grandeur. […] Il était aussi question de travaux, je ne sais lesquels par exemple, de travaux que pouvaient faire des gens n’ayant presque plus l’usage de leurs membres. […] Lundi 3 septembre À tous mes retours, je ne sais quel ennui, quel découragement me saisit, jusqu’au jour où je suis rentré dans le travail. […] L’un d’eux dessine trois corbeaux, et c’est vraiment merveilleux de savoir, dans un dessin qui n’a jamais d’enveloppe ni de contour général, réserver les lumières, et d’être fixé d’avance si sûrement sur les places et les valeurs de sa composition. […] Mardi 12 novembre Je ne sais quel charme ont les fleurs d’hiver, elles me semblent parées de quelque chose de joliment et délicatement souffreteux.

2724. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

On la trouvait trop grande pour la maison d’un époux ordinaire ; on rêvait pour elle on ne sait quel sort plus grand que nature. […] Elle ne voulait qu’un cœur ; elle savait se proportionner aux plus humbles conditions de la vie commune, pourvu que l’amour, cette poésie du cœur, ne manquât pas à sa destinée. […] Elle savait quelquefois s’irriter, jamais haïr. […] Madame Roland n’aurait pas mieux su mourir pour son honneur d’épouse ou pour son honneur de poète. […] En attendant, qu’ils sachent que je les lis, et que je m’écrie souvent en les lisant, et en sentant palpiter leur âme à travers la page : il y a des cœurs en France !

2725. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. »

Traversez un moment leur sphère, mais pour rentrer bientôt dans la vôtre ; restez la muse du foyer toujours, avec ce je ne sais quoi de raisonnable et de modéré jusque dans l’essor, avec la mesure du cadre qui donne un fond solide aux couleurs. […] Parmi les jeunes et ceux qui briguent la palme dans un prochain avenir, je suis forcé de négliger un groupe de jeunes amis : Catulle Mendès que son prénom oblige et qui ne paraît pas d’humeur à y déroger, qui se fait un jeu de mêler dans ses composés subtils Gautier, Musset et Benserade, nectar et poison ; — Emmanuel des Essarts que son nom oblige aussi, fils de poëte, un de mes élèves à moi (car j’en ai eu à l’École normale), et qui sait allier la religion de l’antiquité aux plus modernes ardeurs : qu’il ne les sépare jamais ! […] La critique elle-même, qui est un peu aux ordres du public, ne saurait appeler sur eux la curiosité ni forcer une attention qui se porte ailleurs. […] Le chant doit-il intervenir habituellement là où il ne saurait se déployer et où le sermo pedestris, le récitatif à rimes plates suffit ?

2726. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « M. Viguier »

Viguier, à propos de livres, la plupart assez insignifiants, qu’on lui envoyait à examiner : sans y mettre rien de trop, il y appliquait tout son savoir avec justesse. […] « Vous me faites l’amitié de me poser bien doucement une question à laquelle je suis sensible, savoir quand je devrai revenir. Il est bien vrai que je n’en sais rien maintenant. […] Quoi de moins philosophique que de n’avoir pas su au moins, en vieillissant, reconnaître l’éternelle nécessité en fait, de quelque religion positive dans les sociétés humaines et, au lieu de faire la part de cette nécessité en la conciliant avec la justice, d’avoir voulu entraîner le peuple à écraser l’infâme ?

2727. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Dans une Introduction, l’auteur raconte somment, en un château assez voisin de Paris, chez le duc de…, qui, par ambition, s’est fait partisan très avancé des idées nouvelles, une société nombreuse, composée de militaires, de députés, d’artistes, de journalistes, se met à discuter un soir le grand sujet à la mode, à savoir si la source du progrès est dans la vie publique et sociale, ou s’il la faut chercher au foyer domestique. […] L’intérêt, qui languissait dans le tête-à-tête, se relève avec l’arrivée d’un tiers ; c’est Rousseau lui-même qui, jeune, inconnu encore et s’ignorant, ouvre un jour la barrière verte du jardin de la maisonnette, et s’avance, sans trop savoir pourquoi, mais invinciblement attiré par l’image du bonheur qu’il rêve et par un air de clavecin qu’il entend. […] Beaucoup d’à peu près, çà et là des répétitions négligentes (délicieuse deux fois dans la même phrase, page 228), parfois de ces inadvertances triviales qu’il faut laisser à nos romanciers sans délicatesse (ainsi cette phrase, page 155, comme le plus grand imbécile qui eût jamais battu le pavé de Paris) ; — tout cela ne saurait être entièrement racheté, dans un roman sans action, par des pages élevées et éloquentes, fussent-elles nombreuses. […] Je sais que la scène devait se faire, qu’elle était essentielle à l’idée.

2728. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

Sans géographie l’histoire n’existe pas, la politique est aveugle, la guerre ne sait ni attaquer ni défendre, la paix ignore sur quels fleuves, sur quelles mers, sur quelles montagnes il faut construire ses forteresses ou asseoir ses limites ; la navigation ne peut se servir de ses boussoles, le commerce s’égare sur les océans, inhabile à découvrir quelles sont les productions ou les consommations qu’il doit emprunter ou porter aux climats divers dont il ne connaît ni la route, ni les richesses, ni les besoins, ni les langues, ni les mœurs, ni les philosophies, ni les religions. […] En parcourant d’un œil attentif toutes ces belles cartes réunies par un lien historique, dans cet atlas si admirablement groupé pour mettre l’univers en relief sous vos mains comme dans une exposition plastique du monde à toutes ses grandes époques, où tout ce qui est essentiellement mobile dans la configuration des empires parut un moment définitif, on sait tout de l’homme et tout de la terre politique ; on marche à travers les lieux et les temps avec un interprète qui sait lui-même toutes les langues et tous les chemins. […] Si j’étais père de famille, au lieu d’être un solitaire de l’existence entre deux générations tranchées par la mort, du passé et de l’avenir de ce globe, qui n’a plus pour moi que le tendre et triste intérêt du tombeau ; ou si j’étais un instituteur de la jeunesse, chargé de lui enseigner le plus rapidement et le plus éloquemment possible ce que tout homme doit savoir du globe et de la race à laquelle il appartient, pour être vraiment intelligent de lui-même, je suspendrais un globe terrestre au plancher de ma modeste école, et j’expliquerais, avec ce miraculeux démonstrateur de l’astronomie, le second Herschel, la place et le mouvement de notre globule au milieu des espaces et des mouvements de cette armée des astres, qui exécutent, chacun à son rang et à son heure, la divine stratégie des mondes.

2729. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « I. Leçon d’ouverture du Cours d’éloquence française »

Pour Molière, il nous montre qu’on ne sait pas si Madeleine Béjart a été la maîtresse de Molière, qu’il n’est pas du tout sûr qu’Armande fût la fille de Madeleine. […] Mais à la rigueur on ne sait rien. […] » On n’en sait rien, et Larroumet se refuse à faire la conjecture la plus romantique, mais aussi la plus désagréable pour Molière. Il aime mieux, puisqu’on ne sait rien, ne pas conjecturer le pis : et quand d’autres soupçonnent Molière d’avoir épousé la sœur ou la fille de son ancienne maîtresse, et d’avoir été « sot » comme Arnolphe ne voulait point l’être, il est content de pouvoir acquitter, faute de preuves, le grand écrivain qu’il aime.

2730. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

Si Vénus, sans rien perdre de sa beauté, savait détacher un coup de pied comme Deburau, elle serait la vraie Muse, la Muse pindaricomique des Odes funambulesques. […] Charles Baudelaire J’ai dit, je ne sais plus où : « La poésie de Banville représente les belles heures de la vie, c’est-à-dire les heures où l’on se sent heureux de penser et de vivre »… Banville seul, je l’ai déjà dit, est purement, naturellement et volontairement lyrique. […] Émile Faguet À propos du Baiser : Malgré tout le talent de M. de Banville et malgré toute la considération qui s’attache à son nom, on ne l’aurait pas écouté bien longtemps, et il le sait parfaitement. […] Jules Barbey d’Aurevilly Tout le monde sait la place que l’auteur des Cariatides et des Stalactites occupe dans la poésie française, et cette place, même ceux qui ne vibrent pas en accord parfait avec sa poésie, ne la lui contestent pas.

2731. (1890) L’avenir de la science « IV » p. 141

Mais enfin il reconnaîtra que, sans le savoir, nous avons posé la condition des progrès futurs et que notre industrialisme a été, quant à ses résultats, une œuvre méritoire et sainte. […] Il le sait, et de là ses joies et ses tristesses : ses tristesses, car, pénétré de l’amour du parfait, il souffre que tant de consciences y demeurent à jamais fermées ; ses joies, car il sait que les ressorts de l’humanité ne s’usent pas, que, pour être assoupies, ses puissances n’en résident pas moins au fond de son être et qu’un jour elles se réveilleront pour étonner de leur fière originalité et de leur indomptable énergie et leurs timides apologistes et leurs insolents contempteurs. […] Il faut renon-cer aux grandes choses ; les généreuses pensées ne vivront plus que dans le souvenir des rhéteurs ; la religion ne sera plus qu’un frein que la peur des classes riches saura manier.

2732. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

On ne saurait, dans aucun cas, assimiler cette liberté à la liberté absolue de la presse. […] Voulez-vous savoir si le monde reprend à la vie, si la société se remet à flot et rentre à pleines voiles dans ses élégances et ses largesses ? […] La civilisation, la vie, sachons-le bien, est chose apprise et inventée, perfectionnée à la sueur du front de bien des générations, et à l’aid’une succession d’hommes de génie, suivis eux-mêmes et assistés d’une infinité d’hommes de goût. […] Savez-vous ma définition du sublime oratoire ?

2733. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Montalembert orateur. » pp. 79-91

« On ne montre pas sa grandeur, a dit Pascal, pour être en une extrémité, mais bien en touchant les deux à la fois et remplissant tout l’entre-deux. » M. de Montalembert n’est plus tout entier à une extrémité ; il a montré qu’il savait embrasser des points opposés et marcher, lui aussi, dans l’entre-deux. […] C’était un beau rôle à l’âge de trente-trois ans, et il sut le remplir dans toute sa hauteur et son étendue. […] Thiers lui-même a grandi et a su ajouter à ses qualités habituelles je ne sais quoi de contenu et le ressort de l’émotion, — dans cette discussion pénible, M. de Montalembert a trouvé à proférer hautement des vérités qui avaient bien du poids et de l’accent sur ses lèvres.

2734. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre V. Les âmes »

L’inspiration sait son métier. […] Dante connaît la distinction des trois sortes de mots, parola plana, parola sdrucciola, parole tronca ; il sait que la piana donne un trochée, la sdrucciola un dactyle et la tronca un ïambe. […] Vous vous prenez la tête dans les mains, vous tâchez de voir et de savoir. […] Elles se comportent par moments comme si elles savaient.

2735. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre IV. Littérature dramatique » pp. 202-220

Depuis, nous en sommes tombés à la comédie de sentiment, au tragique larmoyant et bavard qui de La Chaussée, lequel savait au moins le français, s’abaisse encore jusqu’à Brieux, nous sommes tombés au vaudeville morne, à la farce niaise, à des compromis entre le music-hall, la maison close et le vaudeville qui n’ont même plus l’intérêt de chacun de ces genres si l’on peut dire. […] Tout le monde est d’accord, le drame romantique est sans pouvoir sur le public et ses derniers bourreaux, à quelques exceptions près, ne savent même plus l’art des beaux vers inutiles. […] Rivollet, adaptateur qui sait avec art réduire les belles œuvres : dans un ordre quelque peu différent, mais parallèle, voici MM.  […] On sait quel délicieux conte dramatique nous a présenté M. 

2736. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « IX »

Et savez-vous pourquoi, d’après ces messieurs, le travail du style ne prouve rien ? […] Chacun sait, aussi bien que nous, que tous les bons auteurs travaillent, et il serait difficile de nous démentir. […] Il reconnaît que certaines de ses pensées, « aussi belles » que celles « qui sont sorties brusquement de son cerveau », ont été « sans doute d’un accouchement plus ou moins laborieux » ; mais il voudrait cacher à tout le monde que Pascal a raturé ; ce scandale nuit à sa thèse, « Nous ne devrions pas le savoir », dit-il. […] Ces messieurs savent aussi bien que nous qu’on n’écrit pas sans se raturer.

2737. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

Le comte Gaston de Raousset a été, comme on le sait, fusillé au Mexique, après avoir envahi la Sonora avec une poignée d’hommes résolus, gagné une bataille et tenté d’élever une barrière française contre les empiétements journaliers et maintenant assurés du gouvernement américain. […] Il l’a surtout tirée de ses papiers et de sa correspondance ; car cet homme, qui savait écrire comme il agissait, a beaucoup écrit, et nous avons dans ses diverses lettres une relation vivante et presque haletante de ses efforts, de ses intentions et de ses projets, qui nous émeut, nous, les admirateurs de tant d’âme, mais que les gouvernements aux longues pensées doivent un jour méditer. […] …………………… Loin, par-delà les flots, Qui sait, qui pourra dire où blanchiront tes os ? […] … On ne cite de tels vers que parce qu’ils s’appellent La Sorcière, — parce que cet homme qui a manqué un empire se promettait une royauté, — parce qu’il n’a pas revu son château et que nous savons à présent où ses os blanchissent… Macbeth pur, tué avant la couronne, et qui n’a sur les mains que son propre sang !

2738. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. de Lacretelle » pp. 341-357

Sa splendeur, à lui, sort de lui-même, comme la splendeur des Séraphins, qui sort d’eux, et qu’il aurait rappelés, si un jour il n’était pas descendu de son étoile pour faire de la politique pratique, à laquelle il n’entendait absolument rien… Et il le savait ! […] Je ne sache en aucun siècle, dans l’ordre, des poètes, d’homme plus grand. […] C’est, en effet, son génie poétique qui l’abusa sur la valeur des hommes que, philanthrope par poésie et non par bêtise, comme tant d’autres, il ne sut jamais ni discerner ni juger. […] Du moins, il en souffrit trop pour un poète qui devait savoir que l’aumône, déshonorée par l’infernal orgueil moderne, n’abaisse, dans un pays chrétien, que ceux-là qui ne la font pas !

2739. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Fustel de Coulanges » pp. 15-32

Mais, en attendant qu’il le dise, on ne saurait trop présumer d’un historien qui introduit dans l’Histoire un point de vue aussi puissant et aussi renversant que celui qu’il vient d’y ouvrir, et qui, s’il est vrai absolument et sans réplique, comme il doit l’être, bouleverse l’Histoire telle qu’elle est écrite et acceptée, et en change instantanément tous les aspects. […] Les piailleurs contre le despotisme n’ont pas su voir combien, au fond, elle était despote, et bien moins encore dans ses hommes d’État que dans ses Institutions. […] Quand Alaric disait, vague pour être plus terrible : « Je ne sais quoi me pousse ! […] Cet homme, dont l’instinct politique respirait de loin l’Histoire, quand il ne la savait pas, devinait les choses que M. 

2740. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Goethe »

On était si las de la rhétorique de ce lâche menteur trop admiré, qu’on trouva d’une sensation délicieuse un livre rapide, de courte haleine, où la passion, la bavarde passion, savait en finir, et avalait ce verre d’eau du suicide, comme dit Stendhal, sans même penser à cette vieillerie de l’enseignement chrétien qui avait été la loi morale de l’Europe. […] Pour mon compte, je ne sais pas si ce buste d’Athénée fera un dieu sortable, mais ce dont je suis sûr, c’est que l’évolution par laquelle il s’élançait si agilement à sa divinité prétendue est l’évolution des âmes vulgaires… Les grandes âmes blessées traînent plus longtemps dans la vie cette chaîne brisée dont parle Bossuet. […] » etc., et, le respect que j’ai pour Goethe ne m’empêchera point de le citer, vous savez avec quelle fatuité béatifiée Trissotin y répond par son : « Oh ! […] Je ne sais pas si le grand Goethe ferait le même : « Oh !

2741. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VIII. Du mysticisme et de Saint-Martin »

La Critique ne saurait l’oublier. […] Caro sait tout cela aussi bien que nous, et il en touche même un mot en passant dans son chapitre du Mysticisme, en général. […] Mais sérieusement, et pour qui n’ignore pas la pente des choses, et où la logique pousse l’esprit encore plus qu’elle ne le mène, pour qui nous a prouvé que le mysticisme de Saint-Martin, comme tout mysticisme en dehors de la règle posée par l’Église, traîne l’esprit jusqu’au panthéisme, pour un homme expérimenté en ces matières, qui sait fort bien qu’il n’y a plus maintenant face à face, en philosophie, que le Catholicisme et le Panthéisme, et que toute idée se ramène forcément à l’un ou à l’autre de ces grands systèmes, sans pouvoir jamais en sortir, était-ce bien la peine de s’interrompre et de s’arrêter ? […] En Suisse, Lavater couvrait de je ne sais quelles vertus plus dangereuses que des vices, car elles font illusion, un mysticisme qui touchait à l’illuminisme allemand par une extrémité, et par l’autre à la théurgie.

2742. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

Il avait la simplicité de l’homme du monde, de l’homme qui sait vivre, de l’honnête homme, comme on disait du temps de Pascal. […] Il avait la grâce de savoir écouter longtemps, jusqu’au moment où, du fond de son silence attentif, partait le mot, l’éclair électrique, la balle d’argent de Robin des Bois ! […] Il a cela qu’il est passionné, qu’il est éloquent, qu’il connaît la vie, qu’il l’a pénétrée et qu’il sait la faire jouer dans la moindre des facettes de ses œuvres les plus courtes ; de ces œuvres qui ressemblent souvent à des bagues et à des bijoux de femme, pour le travail dans l’exiguïté. […] Gozlan avait longtemps vécu dans l’intimité de Balzac, comme il était allé je ne sais où en Afrique sur un vaisseau négrier, et il avait gardé ces deux coups de soleil : l’impression de Balzac sur sa pensée, la lumière d’Afrique dans ses yeux ; il s’était doré à ces deux choses.

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