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58. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

Trop matériel, trop attentif aux superficies de la nature, M.  […] La nature le récompense largement de cette adoration païenne. […] La nature a doué M.  […] Il a véritablement tort de ne plus se fier à la nature, comme jadis. […] Il sait étudier la nature et y mêler un parfum romantique de bon aloi.

59. (1842) Discours sur l’esprit positif

C’est surtout, en effet, comme base rationnelle de l’action de l’Humanité sur le monde extérieur que l’étude positive de la nature commence aujourd’hui à être universellement goûtée. […] Mais en outre, une telle activité est de nature à susciter finalement une opposition universelle, aussi radicale que spontanée, à toute philosophie théologique. […] Sous cet aspect, il indique l’une des plus éminentes propriétés de la vraie philosophie moderne, en la montrant destinée surtout, par sa nature, non à détruire, mais à organiser. […] Quoi qu’il en soit de cette conjecture, il demeure incontestable que la pensée théologique est, de sa nature, essentiellement individuelle, et jamais directement collective. […] Ces derniers sont seuls immédiatement aux prises avec la nature, tandis que les premiers ont surtout affaire à la société.

60. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

Nous revenons vers la Nature. […] Il resplendit comme une face de la Nature. […] On sépara le Paradis de la Nature. […] la Nature est donc elle-même une chimère ? […] Il laisse se dérouler la nature.

61. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre cinquième. Genèse et action des principes d’identité et de raison suffisante. — Origines de notre structure intellectuelle »

Principe des lois de la nature. — Origine de notre croyance à l’universalité des lois. […] Ces deux principes sont des conditions de subsistance au sein de la nature même. […] Ainsi, outre l’ordre logique, est donné l’ordre mathématique de la nature, et cela sans aucune considération de finalité. […] L’uniformité de la nature n’est que ce tissu de dissemblances et de différences. Notre conscience et la nature se répondent.

62. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

L’idée de lois de la nature n’apparaît qu’assez tard et n’est accessible qu’à des intelligences cultivées. […] La nature, c’est la raison, c’est l’immuable, c’est l’exclusion du caprice. […] Si l’orthodoxie est immuable, c’est qu’elle se pose en dehors de la nature humaine et de la raison. […] C’est la question même de l’humanité et de la légitimité de sa nature. […] Le vrai est sans doute la voix de la nature humaine, mais de la nature convenablement développée et amenée par la culture à tout ce qu’elle peut être.

63. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Paragraphe sur la composition ou j’espère que j’en parlerai » pp. 54-69

Il faut encore qu’elle soit variée ; et elle le sera, si l’artiste est rigoureux observateur de la nature. […] Est-ce que cette composition n’offrira pas à ton ciseau toutes sortes de natures ? […] Il faut que ces figures s’y placent d’elles-mêmes, comme dans la nature. […] Et puis l’un est pur et simple imitateur, copiste d’une nature commune ; l’autre est, pour ainsi dire, le créateur d’une nature idéale et poétique. […] La ligne était tracée de toute éternité : il fallait appeler peintres de genre les imitateurs de la nature brute et morte ; peintres d’histoire, les imitateurs de la nature sensible et vivante ; et la querelle était finie.

64. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Pensées de Pascal. Édition nouvelle avec notes et commentaires, par M. E. Havet. » pp. 523-539

Mais ces hommes de doute et d’érudition, ou bien les libertins simplement gens d’esprit et du monde, comme Théophile ou Des Barreaux, prenaient les choses peu à cœur ; soit qu’ils persévérassent dans leur incrédulité ou qu’ils se convertissent à l’heure de la mort, on ne sent en aucun d’eux cette inquiétude profonde qui atteste une nature morale d’un ordre élevé et une nature intellectuelle marquée du sceau de l’archange ; ce ne sont pas, en un mot, des natures royales, pour parler comme Platon. […] Après avoir accepté avec confiance ce mode d’interprétation par les choses extérieures et la démonstration de Dieu par la nature, Fénelon, dans la seconde partie de son Traité, aborde un autre ordre de preuves ; il admet le doute philosophique sur les choses du dehors et s’enferme en soi, pour arriver au même but par un autre chemin et pour démontrer Dieu par la seule nature de nos idées. […] On croit sentir, en le lisant, une nature angélique et légère, qui n’a qu’à se laisser aller pour remonter d’elle-même à son principe céleste. […] Bossuet prend la plume, et il expose avec une haute tranquillité les points de doctrine, la double nature de l’homme ; la noble origine, l’excellence et l’immortalité du principe spirituel qui est en lui, et son lien direct avec Dieu. […] Pascal insiste sur le désaccord et sur le désordre inhérent, selon lui, à toute nature.

65. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Si vous aimez la nature humaine, il faut l’accepter tout entière. […] Évidemment encore, les éléments de la nature humaine. […] L’ordre de la nature est différent. […] La création divine est de la même nature. […] Il a très bien vu les rapports intimes qui rattachent l’homme à la nature, mais il a trop regardé l’homme comme l’enfant et l’écolier passif de la nature.

66. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Il cherche Dieu dans la nature comme le grand et éternel secret des mondes ; il croit, il adore, il prie. […] Cela ne résiste ni au raisonnement, ni à l’expérience, ni à l’histoire, ni à la nature. […] Mais l’instinct machinal de l’habitude l’emporta sur la nature, qui répugnait au meurtre. […] Le livre, en commentant si pathétiquement la nature, m’avait convaincu de mon crime. […] De l’utopie avec les idées, passe encore ; mais de l’utopie avec la nature !

67. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vien » pp. 74-89

Si vous prenez des natures énormes, votre scène sera presque immobile. […] Ceux qui l’accusent d’être froids demandent de sa grande nature, ce qui ne convient qu’à une petite nature telle que la leur. […] Le module du statuaire est communément grand ; la nature du choix de cet art est exagérée. […] Tout étant égal d’ailleurs, les natures exagérées prennent moins aisément le mouvement que les natures faibles et communes. […] C’étoit la nature de l’ Apollon du belvédère qu’il fallait choisir, et je ne scais quelle nature on a prise.

68. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Prenez donc des forces, et armez-vous de courage, tant pour agir que pour souffrir ce qui est contraire à la nature. […] La nature s’en attristera quelquefois, et ce sera beaucoup si vous le supportez sans vous plaindre. […] La nature craint la confusion et le mépris ; mais la grâce se réjouit de souffrir des opprobres pour le nom de Dieu. […] La nature a toujours pour fin de se satisfaire elle-même, et la grâce nous porte toujours à nous faire violence. […] La nature veut toujours dominer sur les autres ; la grâce fait qu’une âme s’humilie sous la main toute-puissante de Dieu.

69. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

Les enfants et les sages ont de grandes ressemblances, et le chef-d’œuvre de la raison est de ramener à ce que fait la nature. […] Il ne serait pas juste de vanter autant la puissance intérieure de l’homme, si ce n’était pas, par la nature et le degré même de cette force qu’on doit juger de l’intensité des peines de la vie. Tel homme est conduit par ses goûts naturels dans le port, où tel autre ne peut être porté que par les flots de la tempête ; et tandis que tout est calculé d’avance dans le monde physique, les sensations de l’âme varient selon la nature de l’objet et de l’organisation morale de celui qui en reçoit l’impression. […] Considérant, comme je l’ai dit ailleurs, le crime et ses effets comme un fléau de la nature qui dépravait tellement l’homme, que ce n’était plus par la philosophie, mais par la force réprimante des lois qu’il devait être arrêté ; je n’ai examiné dans les passions que leur influence sur celui même qu’elles dominent. […] Cette commotion produit plus en un jour que tous les écrits et les combinaisons politiques ; l’homme lutte contre sa nature, en voulant donner à l’esprit seul la grande influence sur la destinée humaine.

70. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

La morale : complaisance pour la nature ; opposition au christianisme. Nature et raison. […] Tout le comique du rôle résultera donc du désaccord perpétuel que l’auteur fait ressortir entre une nature élevée et les natures moyennes. […] Combattre la nature est folie : on est ridicule de le faire, et malheureux ; car la nature a le dessus ; elle se retourne contre celui qui veut la forcer ou la détruire. […] Cependant la nature est égoïste et l’instinct brutal : et le vice d’Harpagon n’est-il pas sa nature, ou l’hypocrisie de Tartufe ?

71. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

La sensibilité (sympathie pour la nature, Naturgefühl, comme dit Fr. […] Il en est ainsi de toutes les lois de la nature. […] Sans doute il y a de l’universel et des éléments communs dans la nature humaine. […] Car il est plus facile d’étudier les natures diverses dans leurs crises que dans leur état normal. […] M. de Maistre pousse le paradoxe jusqu’à nier l’existence même de la nature humaine et son unité.

72. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Les deux cathédrales »

Le paganisme avait divinisé les énergies cosmiques ; le christianisme immatérialise son Dieu dans un ciel fictif et jette l’anathème sur la nature. […] Les autres « fois » proviennent d’en haut, celle-ci est née d’en bas, des entrailles de la terre et de l’humanité, de la nature même de l’homme. […] La nature, jadis proscrite comme un réceptacle d’impuretés, reprend su place et sa dignité. […] Toute force, toute sagesse, toute beauté résident dans la nature, et tout ce qui s’élève à rencontre d’elle est fatalement stérile. […] L’œuvre du second est sortie de la nature et de la réalité, c’est une fleur de plénitude.

73. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

Sous le premier rapport, elle appartient à l’imitation de la nature ; sous le second, à l’éloquence des passions. […] Il ne s’agit ici que de la poésie, considérée seulement comme l’imitation de la nature physique. […] Le merveilleux se mêlait ainsi à la nature morale comme à la nature physique. […] Ils devaient leur bon goût aux jouissances mêmes de la nature ; nos théories ne sont que l’analyse de leurs impressions. […] Les Grecs n’ont jamais exprimé, n’ont jamais connu le premier sentiment de la nature humaine, l’amitié dans l’amour.

74. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

Par un effet de la nature infime de l’intelligence de l’homme, lorsqu’il se trouve arrêté par l’ignorance, il se prend lui-même pour règle de tout. […] La nature des choses consiste en ce qu’elles naissent en certaines circonstances, et de certaines manières. […] En tout les hommes suppléent à la nature par une étude opiniâtre de l’art ; en poésie seulement, toutes les ressources de l’art ne feront rien pour celui que la nature n’a point favorisé. — Si la poésie fonda la civilisation païenne qui devait produire tous les arts, il faut bien que la nature ait fait les premiers poètes. […] D’après tout ce raisonnement, la nature humaine dont elles sont un résultat, ne peut être que sociable. Cet axiome, rapproché du 8e et de son corollaire, prouve que l’homme n’est pas injuste par le fait de sa nature, mais par l’infirmité d’une nature déchue.

75. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Vos peintres rendent la nature sans vérité et sans idéal, et aucune pensée ne dirige leur pinceau. […] Le Christianisme commença par un retour vers la nature. […] La nature n’est pas pour lui cette retraite où l’âme travaille pour l’Humanité. C’est à contempler la nature pour elle-même que l’âme s’applique. […] Plus le sentiment de la nature est fort, plus ce tourment devient âpre et douloureux.

76. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Mais à quoi bon raisonner contre ces théoriciens à contresens de la nature ? […] Soyons le peintre de l’âme placée dans le milieu sensitif de la nature ! […] Décidément la nature sincère et grave de l’enfant du Jura se refuse à cet effort impossible. […] voilà la nature ! […] L’attention, l’attention concentrée d’un groupe ou deux de personnages au récit populaire chanté par un poète de la nature.

77. (1940) Quatre études pp. -154

« Tout ce qui est dans la nature est dans l’art. […] Par l’art, la nature sera disciplinée. […] Y a-t-il eu, cependant, une intimité aussi parfaite entre la nature et nos poètes français, qu’entre la nature et un poète anglais tel que Keats ? […] qu’on a de peine à vaincre la nature !  […] Contemplation de la nature, II, 7.

78. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Ils nous parlent d’une « religion » encore à naître, d’une « nature » encore incomprise, d’une « vie » plus large. […] Il nous dit : La nature est un tout vivant, à la fois âme et corps, orbe immense de fusion et d’harmonie. […] Elle est dans la nature, y bouillonne, voudrait se verser en torrents. […] Ne pensez-vous pas que ces parcelles de nature et d’humanité recèlent un monde de douleur et de joie, de vérité profonde et d’insondable idéal ? […] Si nous résumions leurs affirmations nous verrions qu’elles aboutissent à cette triple découverte : d’une liaison dans la Nature, d’une liaison dans l’Humanité, d’une liaison de la Nature et de l’Humanité, c’est-à-dire à un ensemble de solidarités se résolvant dans la solidarité du Tout.

79. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

Cela s’explique par la nature des mathématiques. […] La physique et les sciences qui s’y rattachent lui enlèvent la nature ; lui restera-t-il au moins l’homme et Dieu ? […] Qu’est-ce que la nature ? […] C’est là une double nécessité qui résulte de la nature même des choses et qui se comprend facilement. […] Et cela doit être puisque les affirmations de la science sont vérifiables, puisqu’elle façonne l’esprit humain sur la nature au lieu de façonner la nature d’après les conceptions arbitraires de l’esprit humain.

80. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7761-7767

Essai sur le goût dans les choses de la nature & de l’art. […] L’art vient à notre secours, & nous découvre la nature qui se cache elle-même ; nous aimons l’art & nous l’aimons mieux que la nature, c’est-à-dire la nature dérobée à nos yeux : mais quand nous trouvons de belles situations, quand notre vûe en liberté peut voir au loin des prés, des ruisseaux, des collines, & ces dispositions qui sont, pour ainsi dire créées exprès, elle est bien autrement enchantée que lorsqu’elle voit les jardins de le Nôtre, parce que la nature ne se copie pas, au lieu que l’art se ressemble toûjours. […] Il est dans la nature qu’un tout soit achevé, & l’ame qui voit ce tout, veut qu’il n’y ait point de partie imparfaite. […] Par exemple : Si la nature demande des peintres & des sculpteurs, qu’ils mettent de la symmétrie dans les parties de leurs figures, elle veut au contraire qu’ils mettent des contrastes dans les attitudes. […] Les gens grossiers n’ont qu’une sensation, leur ame ne sait composer ni décomposer ; ils ne joignent ni n’ôtent rien à ce que la nature donne, au lieu que les gens délicats dans l’amour se composent la plûpart des plaisirs de l’amour.

81. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIe entretien. Sur la poésie »

Ce qui est poésie dans la nature physique ou morale, et ce qui n’est pas poésie se fait reconnaître à des caractères que l’homme ne saurait définir avec précision, mais qu’il sent au premier regard et à la première impression, si la nature l’a fait poëte ou simplement poétique. […] Un salut et un adieu à l’existence et à la nature, mais un adieu qui est un salut aussi ! […] Fils d’un vieillard et d’une jeune épouse, Fénelon reçut de la nature la maturité de l’un et les grâces de l’autre. […] Le jeune disciple, par son caractère, donnait autant à redouter qu’à espérer de sa nature. […] Fénelon avait reçu de la nature les deux dons les plus nécessaires à ceux qui enseignent : le don d’imposer et le don de plaire.

82. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

En un mot, les valeurs de luxe sont dispendieuses par nature ; elles coûtent plus qu’elles ne rapportent. […] Toutes supposent également que la valeur est dans les choses et exprime leur nature. […] C’est dans la nature qu’il se manifeste ; il faut donc bien qu’il dépende de causes naturelles. […] La valeur vient bien du rapport des choses avec les différents aspects de l’idéal ; mais l’idéal n’est pas une échappée vers un au-delà mystérieux ; il est dans la nature et de la nature. […] Elle aussi vient de la nature, tout en la dominant.

83. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

Pline n’est rien moins que cela ; il ne nous offre qu’un studieux zélé, un curieux de la nature, mais un curieux surtout dans le cabinet. […] À propos du soleil, âme de la nature, dont il trace un éclatant tableau, il en vient à parler de Dieu. […] la religion de la nature, eux, ils n’ont nullement senti et daigné saisir cet esprit général circulant et respirant dans Pline. […] Après avoir, en nomenclateur infatigable, épuisé le catalogue de la nature, de tout ce qu’elle produit et qu’elle enferme en son sein, et des arts nombreux qui en dérivent, Pline s’arrête et conclut par ce petit hymne final : « Salut, ô Nature, mère de toutes choses ! […] Son oncle aussi avait oublié cette plante-là dans l’encyclopédie si complète qu’il a donnée des choses de la nature.

84. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

Pour qu’une idée suscite bien les mouvements que réclame la nature d’une chose, il n’est pas nécessaire qu’elle exprime fidèlement cette nature ; mais il suffit qu’elle nous fasse sentir ce que la chose a d’utile ou de désavantageux, par où elle peut nous servir, par où nous contrarier. […] Car ce qui est bon, c’est ce qui est conforme à la nature des choses ; ce qui y est contraire est mauvais, et les moyens pour atteindre l’un et fuir l’autre dérivent de cette même nature. […] Par là, il a implicitement reconnu leur caractère de choses ; car il n’y a que des choses dans la nature. […] Mais cette nécessité toute logique ne ressemble en rien à celle que présentent les vraies lois de la nature. […] Donc, en considérant les phénomènes sociaux comme des choses, nous ne ferons que nous conformer à leur nature.

85. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

La poésie alors est l’image de la nature. […] On a vu qu’elle est vivante, comme la nature ; on verra qu’elle est systématique, comme la science. […] La nature manifeste l’idée immortelle qui l’anime, mais par des oeuvres incomplètes et dispersées. […] L’artiste achève ce que la nature ébauche, et résume ce qu’elle disperse. […] Pour susciter cette passion immense, il a suffi d’assembler quelques conditions qui étaient dans la nature, et que la nature n’avait pas assemblées.

86. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

Je vous défie de nier ces faits et ces principes, si vous réfléchissez à la nature de la société politique. […] Cette souveraineté de Dieu ou de la nature a promulgué ses lois sociales par les instincts de tout homme venant à la vie. […] Ministre de cette souveraineté de la nature dont on retrouve le texte syllabe par syllabe dans nos instincts natifs, Confucius institue dans sa législation, et ensuite dans le gouvernement, toutes les lois et toutes les formes politiques qui dérivent de notre nature physique et de notre nature morale ; spiritualisme et loi civile, politique et vertu, temps et éternité, religion et civisme, ne sont pour lui qu’un même mot. […] Analysez le gouvernement de Confucius : vous y retrouvez tout l’homme moral et toute la politique de la nature dans le mécanisme accompli du gouvernement. […] On a pitié de telles utopies, pitié de tels contrats sociaux, pitié de telles dégradations de notre nature !

87. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Dieu, selon Jocelyn, est supérieur à la pensée humaine comme il est supérieur à la nature. […]  » Et c’est ainsi que Dieu, qui seul est sa mesure,  » D’un œil pour tous égal voit toute la nature ». […] Deux natures ainsi combattent dans son cœur. […] Lamartine, lui, était de ceux qui croient voir Dieu dans la nature, coeli enarrant gloriam dei. Selon Vigny comme selon Pascal, la nature cache Dieu ; au lieu d’avoir cet aspect consolateur que Lamartine lui prête, elle est triste.

88. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

L’esprit des hommes de lettres doit donc se tourner vers la contemplation de la nature et l’examen d’eux-mêmes. […] Cette vérité dans les expressions de l’amour et les tableaux de la nature, à travers toutes les inventions les plus bizarres, produit un effet remarquable. […] Les Allemands sont très distingués comme peintres de la nature. […] Lorsque les passions agitent l’existence, le calme extérieur de la nature est un tourment de plus. […] Néanmoins ils ont aussi pour système de mettre en contraste la nature vulgaire avec la nature héroïque, et ils diminuent ainsi l’effet d’un très grand nombre de leurs plus belles pièces.

89. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Les sites sont pour moi, comme pour toutes les natures impressionnables, la moitié des choses. […] À défaut d’autres passions que mon cœur ne pressentait pas encore, je concevais une sourde et fervente passion de la nature, et, à l’exemple de mon surveillant muet, au fond de la nature j’adorais Dieu. […] La nature est-elle si loin de lui qu’il ne l’ait pu contempler, ou la croit-il le simple résultat du hasard ? […] Bientôt il va se pencher sur le bord de son berceau, d’où il jette un premier coup d’œil sur la nature. […] « C’est ici le lieu de remarquer une autre loi de la nature.

90. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

Hugo a resplendi de santé, de nature exubérante et directe. […] Son monde idéal est figuré comme une architecture, parce que son monde réel est une architecture, une nature urbaine, c’est-à-dire une nature qui n’est plus une nature. […] Pareillement la crainte religieuse de la nature, qui faisait partie, pour les grands lyriques romantiques, de leur familiarité avec la nature, est devenue chez Baudelaire la haine de la nature. […] Esprit juste, il voit clair en lui comme dans la nature. […] Le doit-il en partie au côté féminin, passif, de sa nature ?

91. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes petites idées sur la couleur » pp. 19-25

Pourquoi cette variété de coloristes, tandis que la couleur est une en nature ? […] L’homme qui peint répugnera à introduire dans son tableau les effets qui le blessent dans la nature. […] C’est la nature vue à la chute du jour. […] C’est que l’homme n’est pas Dieu ; c’est que l’atelier de l’artiste n’est pas la nature. […] Et ce Chardin, pourquoi prend-on ses imitations d’êtres inanimés pour la nature même ?

92. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Les émotions de l’âme ont leur source dans les rapports inhérents à la nature humaine ; la gaieté n’est souvent que le résultat des relations diverses, et quelquefois bizarres, établies dans la société. […] La nature de convention, au théâtre, est inséparable de l’aristocratie des rangs dans le gouvernement : vous ne pouvez soutenir l’une sans l’autre. […] Ces formes poétiques, empruntées du paganisme, ne sont pour nous que l’imitation de l’imitation ; c’est peindre la nature à travers l’effet qu’elle a produit sur d’autres hommes. […] Rousseau et de Bernardin de Saint-Pierre ; c’est l’observation de la nature dans ses rapports avec les sentiments qu’elle fait éprouver à l’homme. […] Tout se lie dans la nature, dès qu’on en bannit le merveilleux ; et les écrits doivent imiter l’accord et l’ensemble de la nature.

93. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Chez Vauvenargues, il n’y a aucun désir de faire effet, aucune arrière-pensée de représailles contre la société mise en opposition avec la nature, aucun parti pris d’aucun genre. […] Le bien où je me plais change-t-il de nature ? […] » Vauvenargues a l’âme antique, et, comme les plus éclairés des anciens, il n’est pas disposé à admettre si aisément des contradictions dans la nature. […] Il a peu, ou plutôt il n’a pas le sentiment des beautés de la nature : dans la nature il ne considère volontiers que l’homme et la société ; Vauvenargues portait en lui le besoin d’être un grand homme historiquement. […] La nature voulut le montrer à son siècle comme un dernier exemplaire de l’âge précédent ; puis elle le retira avec une pudeur jalouse.

94. (1865) Introduction à l’étude de la médecine expérimentale

L’expérimentateur doit forcer la nature à se dévoiler, a-t-on dit. […] En un mot, il faut modifier la théorie pour l’adapter à la nature, et non la nature pour l’adapter à la théorie. […] L’esprit de l’homme a, par nature, le sentiment ou l’idée d’un principe qui régit les cas particuliers. […] La condition d’existence d’un phénomène ne saurait nous rien apprendre sur sa nature. […] Mais cette connaissance nous suffit pour étendre notre puissance sur la nature.

95. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

Par ces combinaisons, il reproduit sans doute bien souvent les types mêmes de la nature ; d’autres fois, il manque son œuvre et aboutit à des êtres monstrueux, non viables dans l’ordre de la nature ; mais d’autres fois aussi, — et c’est là l’un des espoirs les plus hauts, l’une des marques du vrai génie, — il peut aboutir à créer des types parfaitement viables, parfaitement capables d’exister, d’agir, de faire souche dans la nature, et qui cependant n’ont jamais existé en fait, n’existeront peut-être, jamais. […] Nul ne connaît les limites de la puissance d’action inhérente à la nature et de la puissance de représentation inhérente à l’artiste. […] Illusions ou réalités, des visions passent ; qui se trouve là, les voit18. » Aussi, pour le poète, rien de purement subjectif : le monde de l’imagination est, à sa façon, un monde réel ; le monde intérieur n’est-il pas un prolongement de l’autre, une nouvelle nature dans la nature ? Ajoutez la nature humaine à la nature universelle, vous avez l’art : ars homo additus natures. — D’autre part, qu’est-ce que la réalité même, pour le poète, sinon une vision, d’un autre genre que celle où le cerveau seul enfante, mais pourtant encore une vision ? […] Si parmi ses auteurs favoris Corneille compte Lucain et les Espagnols, c’est tout simplement que la nature même de son génie le porte vers eux.

96. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

La nature varie sans cesse : chaque position, chaque action différente la modifie diversement : c’est donc la nature qu’il faut avoir étudiée sous telle & telle face pour en juger l’imitation. […] Ce n’est point la nature reposée, mais la nature en contraction, & dans cet état de souffrance où la mettent les passions violentes, les grands dangers, & l’excès du malheur. […] C’est bien-là le cri de la nature qui applaudit à la perfection de l’art. […] C’est ainsi qu’Ovide a manqué la nature, en voulant l’imiter d’après lui-même. […] La nature dans ses opérations ne pense à rien moins qu’à être pittoresque.

97. (1890) Dramaturges et romanciers

Nature évidemment spontanée et mobile, la patience et la volonté lui font défaut. […] La nature toute spontanée de M.  […] L’artiste n’a pas dû prendre son modèle dans la nature, puisque nous venons de voir que la nature ne pouvait le lui fournir, et cependant il ne l’a pas pris dans sa pensée, puisque nous venons de reconnaître-que ce cheval a tous les attributs de la vie et de la nature. […] Que de beaux traits pris sur le vif de la nature italienne ! […] L’unité toute classique qui y règne est tout à fait contre nature.

98. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

On doit se demander quelle partie de la nature a le don d’attirer l’attention ou la sympathie. […] En même temps que les âmes, lasses de la nature arrangée, asservie par l’homme, revenaient vers la nature libre et indomptée, le dégoût pour les mensonges, les petitesses et les vulgarités de la société civilisée rejetait plus d’un écrivain vers l’humanité rude et fruste des âges ou des pays barbares. […] Partout où l’homme domine la nature, la raison prend le pas sur l’imagination, la science sur la fantaisie exaltée. […] Il n’apprécie la nature rude et sauvage que le jour où la nature civilisée lui permet d’arriver sans trop grand effort aux parties qui ont échappé à son action et de regarder sans crainte et sans arrière-pensée des forces imposantes contre lesquelles il se sent ou se croit abrité. […] Cependant, si étrange que soit le fait, la littérature a plus d’une fois contribué à la conquête, à la transformation de la nature.

99. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — II. (Fin.) » pp. 427-443

Il est intéressant de voir cette lutte des deux natures, et cette résistance de l’homme du Nord, déjà devenu si Italien, à le devenir davantage. […] C’est d’une nature si forte, d’une énergie si étonnante, qu’il me semble qu’on ne peut rien mettre en ligne. […] Il se traîne sur des modèles dont il ne peut approcher, au lieu de prendre la nature pour premier et grand type. […] Léopold Robert fut atteint, comme quelques natures d’élite, de ce qu’on a appelé la maladie de quarante ans, et il y succomba (20 mars 1835). […] Cet ouvrage qu’on réimprime de temps en temps est de nature à s’augmenter à chaque édition nouvelle.

100. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Vivre conformément à notre nature, autre maxime vantée, n’est qu’un cercle vicieux : qu’est-ce que notre nature ? […] Qu’est-ce que la nature ? […] En un mot, sa nature est corrompue, et d’après cela, qu’est-ce que le renvoyer à la nature ? […] Où cherchera-t-elle ses données sinon dans la nature ? Qu’on ne s’y trompe pas : la nature dégradée de l’homme a bien plutôt perverti la raison que la raison n’a perverti la nature.

101. (1890) Nouvelles questions de critique

Les règles d’un genre sont les lois de ce genre, telles qu’on tâche à les induire de la nature et de l’histoire de ce genre. […] D’autres ont mieux chanté l’amour, comme Lamartine ; ou la passion, comme Musset ; ou la nature et la joie de vivre. […] « La nature ne peut être améliorée par aucun moyen qui ne soit son ouvrage » même les monstres sont dans la nature ; et ce principe, qui est le fondement du naturalisme, ne l’est pas moins de l’idéalisme. […] Rien que la nature mais toute la nature ; dont ils ne demandent pas qu’on exclue la laideur ou la vulgarité mais dont ils ne veulent pas non plus qu’on lamine la distinction ou la beauté. […] J’entends ici qu’après que Shakespeare et Milton, après que Michel Ange et Rembrandt, après que Rousseau même et que Goethe ont passé, la nature s’est agrandie quelque chose de nouveau est apparu dans le monde ; il est plus vaste de tout ce qu’ils y ont apporté ; et une combinaison nouvelle de la nature s’est réalisée en eux, laquelle désormais fait à son tour partie de la nature.

102. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

Le supplice que l’imagination des poëtes a inventé se trouve produit dans la nature par l’action du poison américain. […] Quant à présent, nous ignorons complétement quelle peut être la nature de cette influence. […] La nature, suivant l’expression de Goethe, est un grand artiste. […] L’expérimentateur ne peut changer les lois de la nature. […] Guislain, la Nature, etc., p. 164.

103. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

  Si maintenant, après l’esprit, nous considérons la nature, nous dépassons aussi, dès le premier pas, le point de vue de l’observation ordinaire. […] L’un et l’autre sont un courant d’événements homogènes que la conscience appelle des sensations, que les sens appellent des mouvements, et qui, de leur nature, sont toujours en train de périr et de naître. À côté de la gerbe lumineuse qui est nous-mêmes, il en est d’autres analogues qui composent le monde corporel, différentes d’aspect, mais les mêmes en nature, et dont les jets étagés remplissent, avec la nôtre, l’immensité de l’espace et du temps. […] Il y a donc dans l’arrangement ou dans la nature des derniers éléments mobiles quelque particularité ou circonstance qui empêche l’équilibre universel et final de s’établir. […] Or, à ce titre, on peut considérer les deux conditions comme des moyens, et leur commun résultat comme un but, comme le but de la nature exprimé par une loi suprême.

104. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

Cette identité absolue du moi et du non-moi, de l’homme et de la nature, c’est Dieu. Il suit de là que Dieu est dans la nature aussi bien que dans l’homme. » Et il ajoute : « Ce système est le vrai. […] Condillac trouve une méthode d’analyse, et définit d’une façon nouvelle la nature des idées générales et des signes. […] Il ne s’agit pas, pour nous, d’étudier sa nature ou de démontrer son existence, comme un physicien examine la nature et démontre l’existence de l’éther ; il s’agit de trouver en lui un gardien de la morale. […] Nous n’examinerons pas si le Dieu qu’on prouve par l’idée de l’infini n’a pas une nature contraire à la nature du Dieu qu’on construit par l’induction psychologique.

105. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre II : De la méthode expérimentale en physiologie »

« Je serais d’accord avec les vitalistes, dit-il, s’ils voulaient simplement reconnaître que les êtres vivants présentent des phénomènes qui ne se retrouvent pas dans la nature brute, et qui par conséquent leur sont spéciaux. […] On voit quelle place considérable occupe la vie dans l’échelle de la nature, et combien elle complique la question si difficile par elle-même de l’âme et du corps. […] Lorsque le besoin que j’ai d’une chose s’arrête devant le droit d’autrui, on peut dire que c’est la série mécanique des phénomènes de la nature qui vient se choquer contre une idée. […] Non-seulement l’homme est en rapport avec la nature, mais il est lui-même une partie de la nature ; la moitié de son être, sa partie corporelle, appartient à la nature. […] Comment les lois de la liberté peuvent-elles admettre, sans être détruites, l’action de la nature ?

106. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre XI. Le Guerrier. — Définition du beau idéal. »

L’homme très près de la nature, tel que le Sauvage, ne les connaît pas ; il se contente, dans ses chansons, de rendre fidèlement ce qu’il voit. […] Et nous ne pouvons nous empêcher de remarquer qu’il n’y a que l’homme qui soit susceptible d’être représenté plus parfait que nature, et comme approchant de la Divinité. […] Car si vous entreprenez de peindre les premiers âges de la Grèce, autant la simplicité des mœurs vous offrira des choses agréables, autant la barbarie des caractères vous choquera : le polythéisme ne fournit rien pour changer la nature sauvage et l’insuffisance des vertus primitives. […] Trop loin de la nature et de la religion sous tous les rapports, on ne peut représenter fidèlement l’intérieur de nos ménages, et moins encore le fond de nos cœurs. […] Ainsi, tandis que le Tasse est dans la nature relativement aux objets physiques, il est au-dessus de cette nature par rapport aux objets moraux.

107. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Topffer »

Depuis le premier tiers de ce siècle, en effet, la description de la nature, — que disons-nous ?  […] Le pouls musical de ces deux natures harmonieuses bat dans le même rhythme, aimable et doux. […] Sterne va des moindres traits, des moindres linéaments de la Nature jusqu’au fond de l’homme. Il éclaire l’homme par la Nature, la Nature par l’homme, et on ne sait qui des deux est le mieux éclairé, le plus vivant, le mieux peint ! Topffer ne voit que la Nature.

108. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Il est la désorganisation enthousiaste de la nature humaine civilisée. […] La Nature — 2. […] Mais la nature, malgré tout, est providentielle. […] Où te saisir, Nature infinie ! […] On ne nie point la belle abondance de cette nature.

109. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 45, de la musique proprement dite » pp. 444-463

Ainsi que le peintre imite les traits et les couleurs de la nature, de même le musicien imite les tons, les accens, les soupirs, les infléxions de voix, enfin tous ces sons, à l’aide desquels la nature même exprime ses sentimens et ses passions. […] Ils la tiennent de la nature même. […] Cet art a voulu encore faire des imitations de tous les bruits qui sont les plus capables de faire impression sur nous lorsque nous les entendons dans la nature. […] En premier lieu, bien que cette musique soit purement instrumentale, elle ne laisse pas de contenir une imitation veritable de la nature. […] Les musiciens composent souvent des symphonies pour exprimer des bruits que nous n’avons jamais entendu, et qui peut-être ne furent jamais dans la nature.

110. (1915) La philosophie française « I »

Les recherches et les réflexions de Lamarck avaient d’ailleurs été préparées en France par beaucoup de travaux originaux sur la nature et la vie. […] La recherche scientifique, telle que Claude Bernard la recommande, est un dialogue entre l’homme et la nature. Les réponses que la nature fait à nos questions donnent à l’entretien une tournure imprévue, provoquent des questions nouvelles auxquelles la nature réplique en suggérant de nouvelles idées, et ainsi de suite indéfiniment. […] Immanente à l’œuvre de Claude Bernard est ainsi l’affirmation d’un écart entre la logique de l’homme et celle de la nature. […] Par sa morale, autant que par sa théorie de la nature et de l’homme, il a agi considérablement sur la pensée de son temps 36.

111. (1813) Réflexions sur le suicide

Chaque individu possède en lui-même les moyens d’accomplir son devoir ; et ce qu’il y a d’admirable dans la nature morale, comme dans la nature physique, c’est à quel point le nécessaire est également et universellement réparti, tandis que le superflu est diversifié de mille manières. […] La nature physique accomplit cette œuvre par la destruction, et la nature morale par le sacrifice. […] — Le Suicide nous soustrait à la Nature aussi bien qu’à son Auteur. […] Que signifie ce triste avant-coureur dont la nature fait précéder la mort ? […] en passant de la vie à la mort sans que le devoir ou la nature aide à franchir cet abîme.

112. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

Mais bientôt cependant notre attention se porta de nouveau sur la nature qui nous entourait. […] Il faut pour observer la nature une tranquille pureté d’âme que rien ne trouble et ne préoccupe. […] Dans la nature ? […] Il sent toutes les délices rafraîchissantes de la nature libre, mais il ne peut les goûter. […] Il n’est pas dans la nature de l’alouette de se poser sur les buissons.

113. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre premier. Musique. — De l’influence du Christianisme dans la musique. »

Platon a merveilleusement défini la nature de la musique : « On ne doit pas, dit-il, juger de la musique par le plaisir, ni rechercher celle qui n’aurait d’autre objet que le plaisir, mais celle qui contient en soi la ressemblance du beau. » En effet, la musique, considérée comme art, est une imitation de la nature ; sa perfection est donc de représenter la plus belle nature possible. […] Mais si cette institution est en outre de nature religieuse, elle possède alors les deux conditions essentielles à l’harmonie, le beau et le mystérieux. […] C’est là qu’elle élève la voix vers le firmament, au milieu des concerts de la nature : la nature publie sans cesse les louanges du Créateur, et il n’y a rien de plus religieux que les cantiques que chantent, avec les vents, les chênes et les roseaux du désert.

114. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre premier. Les caractères généraux et les idées générales. » pp. 249-295

Il en est de même dans toutes les provinces de la nature. […] Pendant que mon esprit fait ses additions ou ses soustractions, la nature fait les siennes. […] Y a-t-il dans la nature des constructions physiques conformes à ces constructions mentales ? — Et d’abord, y a-t-il dans la nature des surfaces, des lignes et des points ? […] — Autant que nous pouvons en juger, la nature n’en fournit pas.

115. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Vitet), regretter, qu’il n’eût pas en effet réalisé la lutte entre des deux natures, entre la nature humaine supérieure la tête, la pensée, l’esprit, et entre la nature inférieure, animale, matérielle ? […] Aussi, dans son Centaure à lui, ces deux natures ne sont pas opposées, elles sont conjointes et confuses. […] Il aime la nature comme l’enfant aime sa nourrice, moins occupé de ses charmes, dont le sentiment ne lui est pas étranger cependant, que de sa fécondité… Le paysan aime la nature pour ses puissantes mamelles, pour la vie dont elle regorge. […] L’aime Nature ne fait mal à ceux qui lui appartiennent… « Que d’ondées j’ai essuyées ! […] Quel est ce sanglier qui se rue et se roule dans la nature, de même que le Centaure s’y plonge ?

116. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre I : De la méthode en psychologie »

« La science de la nature humaine est du même genre. […] D’ailleurs, si ces parties, les plus nobles de notre nature, ne sont pas originelles, elles ne sont pas pour cela factices et non naturelles. Les produits sont tout autant une partie de la nature humaine que les éléments qui la composent. […] Mill en fixer la nature et la méthode. […] La psychologie a pour objet les lois les plus générales de la nature humaine : l’éthologie a pour objet les lois dérivées.

117. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XI. De la littérature du Nord » pp. 256-269

Cette nature si vive qui les environne, excite en eux plus de mouvements que de pensées. […] Le spectacle de la nature agit fortement sur eux ; elle agit comme elle se montre dans leurs climats, toujours sombre et nébuleuse. […] La nature, que les anciens avaient peuplée d’êtres protecteurs qui habitaient les forêts et les fleuves, et présidaient à la nuit comme au jour ; la nature est rentrée dans sa solitude, et l’effroi de l’homme s’en est accru. […] Néanmoins ne croirait-on pas, en lisant les écrivains du Nord, que c’est une autre nature, d’autres relations, un autre monde ? […] à la nature humaine tous les jours plus aride, tous les jours plus à plaindre, et qui brise chaque jour quelques-uns des liens formés par la délicatesse, l’affection ou la bonté.

118. (1890) L’avenir de la science « I »

Je le regarde comme le principe de toute noble vie, comme la formule expressive, quoique dangereuse en sa brièveté, de la nature humaine, au point de vue de la moralité et du devoir. […] Ainsi la nature humaine se trouva mutilée dans sa portion la plus élevée. […] Mais, si l’on entend par poésie cette faculté qu’a l’âme d’être touchée d’une certaine façon, de rendre un son d’une nature particulière et indéfinissable en face des beautés des choses, celui qui n’est pas poète n’est pas homme, et renoncer à ce titre, c’est abdiquer volontairement la dignité de sa nature. D’illustres exemples prouveraient au besoin que cette haute harmonie des puissances de la nature humaine n’est pas une chimère. […] Dans l’état actuel de l’esprit humain, une trop riche nature est un supplice.

119. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VI. De l’envie et de la vengeance. »

La gloire, la vertu, le génie viennent se briser contre cette force destructive ; elle met une borne aux efforts, aux élans de la nature humaine, son influence est souveraine ; car qui blâme, qui déjoue, qui s’oppose, qui renverse, qui se saisit enfin de la force destructive, finit toujours par triompher. Mais le mal que l’envieux sait causer, ne lui compose pas même un bonheur selon ses vœux ; chaque jour, la fortune ou la nature, lui donne de nouveaux ennemis ; vainement il en fait ses victimes, aucun de ses succès ne le rassure, il se sent inférieur à ce qu’il détruit, il est jaloux de ce qu’il immole ; enfin, à ses yeux mêmes, il est toujours humilié, et ce supplice s’augmente par tout ce qu’il fait pour l’éviter. […] On se persuade que la crainte d’être puni, peut empêcher les hommes violents de se porter à de certains excès, ce n’est pas du tout connaître la nature de l’emportement. […] Il est une réflexion qui devrait servir de guide à ceux qui se mêlent des grands débats des hommes entre eux, c’est qu’ils doivent considérer leurs ennemis comme étant de leur nature ; il y a malheureusement de l’homme jusques dans le scélérat, et l’on ne se sert jamais cependant de la connaissance de soi, pour s’aider à deviner un autre. […] La France ne peut être sauvée que par ce moyen, et les partisans de la liberté, les amateurs des arts, les admirateurs du génie, les amis d’un beau ciel, d’une nature féconde, tout ce qui sait penser, tout ce qui a besoin de sentir, tout ce qui veut vivre, enfin, de la vie des idées, ou des sensations fortes, implore à grands cris le salut de cette France.

120. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 7, que les genies sont limitez » pp. 67-77

Les nuances ne sont pas mieux fonduës dans la nature que dans leurs tableaux. […] Sans invention dans leurs expressions : incapables de s’élever au-dessus de la nature qu’ils avoient devant les yeux, ils n’ont peint que des passions basses et une nature ignoble. […] Chaque genre de poësie demande un talent particulier, et la nature ne sçauroit gueres donner un talent éminent à un homme, que ce ne soit à l’exclusion des autres talents. […] L’émulation et l’étude ne sçauroient donner à un génie la force de franchir les limites que la nature a prescrites à son activité. […] Un génie à qui la nature ne donna que des aîles de tourterelle, n’apprendra jamais à s’élever d’un vol d’aigle.

121. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre premier. La Formation de l’Idéal classique (1498-1610) » pp. 40-106

Nous ne pouvons développer en nous que ce que la nature y a mis, et ce qu’elle y a mis, la nature en a eu ses raisons. […] « Physis, c’est Nature, engendra en sa première portée Beauté et Harmonie — Antiphysie, laquelle est de tout temps adverse de Nature, incontinent eut envie sur cestuy tant brave et honorable enfantement, et au rebours enfanta Amodunt et Discordance… Et depuis elle engendra les Matagots, Gagots et Papelards… et autres Monstres difformes et contrefaits en dépit de Nature. » [Pantagruel, livre III, ch. 32.] […] Ou, en d’autres termes encore, ayant retrouvé la nature et libéré l’individu, la Renaissance a compris que l’on ne pouvait remettre absolument au hasard le développement ni de l’un ni de l’autre, et elle a subordonné l’imitation de la nature, puis le développement de l’individu, à la réalisation de la beauté. […] L’idée même d’une perfection qui dépasse, ou qui achève la nature, ne saurait se tirer que de l’observation de la nature, et se réaliser dans l’œuvre d’art qu’avec et par des moyens qui sont eux-mêmes de la nature. […] Nous étudierons en nous la nature, mais ce sera pour la discipliner.

122. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

La nature entière ne nous fournira pas l’idée de la perfection, car tous les êtres de la nature sont imparfaits. […] Ce fond est un peu couvert et voilé dans la nature. […] Dans la nature ce symbole est souvent obscur : l’art en l’éclaircissant atteint des effets que la nature ne produit pas toujours. […] L’indignation de sa nature est généreuse. […] Cela tient à la nature de chacun de nous.

123. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

Léopold Robert s’occupa beaucoup moins de regarder les maîtres que la nature : « Je cherche à suivre la nature en tout. […] Je vous avouerai, cher ami, qu’en faisant ces observations, je ne pouvais m’empêcher de trouver l’immortel Raphaël bien au-dessous de la nature, et il me semble qu’avec son sentiment sublime, il aurait frappé bien plus fort s’il eût donné à tous ses sujets juifs tout le caractère que la nature offre. […] Je suis heureux de voir la nature aussi belle et noble. […] Je pense à la nature et je ne vois que des poupées. […] Il y trouve peut-être trop de nature, c’est-à-dire un effet qui rend trop naturellement les choses.

124. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? […] Ainsi, sur un point, nous sommes d’accord ; il n’est rien de tel que de voir une Fronde pour se rafraîchir dans l’idée de la nature humaine. […] Mais la nature n’a fait qu’une fois un Shakspeare. […] La bonté devait faire le fond de notre nature, avant la Chute apparemment. […] On m’objecte : Mais il y a bien des absurdités, bien des idées inapplicables chez Jean-Jacques et contraires aux dispositions de la nature humaine.

125. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite) »

tombent sur moi tous les fléaux de la nature et de la fortune pour me rendre un remède si doux ! […] C’est sous l’inspiration de la nature que je me plais à prendre la plume. […] Vous avez pu remarquer, comme moi, combien l’aspect des beautés simples de la nature ramenait facilement la paix dans votre pauvre âme. […] mon ami, que la nature est belle à étudier, quand c’est un chemin pour arriver à son Auteur ! […] J’ai lutté avec quelque courage contre l’adversité, mais je n’ai point de force contre les douleurs de la nature.

126. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

qu’est-ce que la nature a à voir là-dedans ? […] Comment trouvez-vous cette partie de la nature ? […] La nature, qui seule est bonne, est toute familière et commune. […] Au reste la copie exacte de la nature satisfait en même temps les sens et l’intelligence ; tout est harmonie dans la nature. […] qu’est-ce que la nature a à voir là-dedans ?

127. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

La nature dépose dans les âmes privilégiées le germe des grands talents ; mais pour le faire éclore, il faut que l’art vienne en aide à la nature. […] Il en est ainsi de l’âme du poète, soit qu’il cherche ses inspirations dans la nature extérieure, soit qu’il les trouve dans sa propre nature. […] On a dit que le goût était la faculté de se plaire aux beautés de la nature et de l’art. […] Il a les mêmes bases dans tous les esprits, la nature et la vérité. […] C’était le triomphe de l’art sur la nature.

128. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XV. De l’imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans » pp. 307-323

Les Anglais observent la nature, et savent la peindre : mais ils ne sont pas créateurs. […] Avant de donner une forme à Satan, il l’avait conçu immatériel ; il s’était représenté sa nature morale, avant d’accorder avec ce caractère sa gigantesque stature, et l’épouvantable aspect de l’enfer qu’il doit habiter. […] comme il vous promène à travers toutes les sensations enivrantes de la jeunesse, de la nature et de l’innocence ! […] L’on juge les défauts de leurs écrits comme ceux de la nature, et non comme ceux de l’art. […] parlez de vos joies, vous qu’une larme soudaine surprend souvent quand vous regardez autour de vous, et que rien ne frappe vos regards que des tableaux de félicité ; toutes les affections variées de la nature se pressent sur votre cœur.

129. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ferdinand Denis »

L’idée qui a présidé à l’ouvrage est celle-ci ; La poésie tire son premier charme des images qu’elle emprunte à la nature ; dans nos tièdes contrées, au sein d’une civilisation toute-puissante, cette nature a peine à se faire jour et n’est pas à l’aise pour se déployer : là seulement où un climat de feu la féconde sans relâche, et où le voisinage de l’homme ne la met point à la gêne, pleine de vie et de jeunesse, elle éclate dans toute sa solennité. […] Cette idée est parfaitement juste : il faut au poète l’observation réfléchie de la nature ; son génie y gagne en étendue et en vérité. […] L’auteur y jette un coup d’œil sur la nature des tropiques, sur les impressions qu’y causent les végétaux, l’Océan, les fleuves. […] L’auteur a donc voulu, ce me semble, démontrer en sa personne l’influence complète des scènes de la nature sur le génie. […] N’y avait-il donc pas assez d’émotions à recueillir du tableau naïf de ce noble cœur brisé par l’amour, qui va par-delà l’Océan se distraire dans les combats ou se consoler dans la nature ?

130. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Nouveaux voyages en zigzag, par Töpffer. (1853.) » pp. 413-430

Maintenant qu’on a sous les yeux l’ensemble des vues, des écrits et des croquis de Töpffer, c’est le cas de bien expliquer la nature de son talent comme peintre des Alpes, et de bien fixer le genre de son invention, le caractère à la fois naïf et réfléchi de son originalité. […] M. de Humboldt, dans un des volumes du Cosmos, a traité du sentiment de la nature physique et du genre descriptif, en les suivant aux diverses époques et dans les différentes races ; il a aussi traité de la peinture du paysage dans ses rapports avec l’étude de la nature. […] Le sentiment du charme particulier qui s’attache à la reproduction des scènes de la nature par le pinceau est une jouissance toute moderne. […] Et ne venez pas lui dire que ces merveilleux peintres des choses naturelles ne font que copier minutieusement la nature. […] Et revenant aux peintres flamands, il s’attache à montrer que leur faire n’est pas, comme on l’a dit, toute réalité, mais bien plutôt tout expression ; que ce faire est « plus fin, plus accentué, plus figuré, plus poétique qu’aucun autre, et si éloigné d’être servilement imitatif de la nature, que c’est par lui au contraire que nous apprenons à voir, à sentir, à goûter dans une nature, d’ailleurs souvent ingrate, ce même charme que respirent les églogues de Théocrite et de Virgile ».

131. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre II. Rapports des fonctions des centres nerveux et des événements moraux » pp. 317-336

L’hétérogénéité apparente serait moins alors dans la nature même de l’agent physique que dans les fonctions de l’instrument physiologique qui forme les sensations ; de sorte qu’en transportant, par une fausse attribution, les dissemblances de l’effet à la cause, on aurait en réalité classé les phénomènes médiateurs par lesquels nous avons conscience des modifications de la matière, plutôt que l’essence même de ces modifications… Tous les phénomènes physiques, quelle que soit leur nature, semblent n’être au fond que les manifestations d’un seul et même agent primordial ». […] Car, les deux événements étant irréductibles entre eux par nature, ils forment deux mondes à part, isolés ; nous excluons par hypothèse tout événement plus général dont ils seraient des formes distinctes et des cas particuliers ; nous déclarons d’avance que leur nature ne fournit rien qui puisse fonder leur dépendance réciproque ; nous sommes donc obligés, pour expliquer cette dépendance, de chercher au-delà de leur nature, partant au-delà de toute la nature, puisqu’ils font à eux deux toute la nature, par conséquent enfin dans le surnaturel ; ainsi nous devrons appeler à notre aide un miracle, l’intervention d’un être supérieur. […] Quelle est la valeur de chacun des deux points de vue, et que faut-il en défalquer pour dégager la vraie nature de l’événement ? […] Vue d’un côté, la nature a pour éléments des événements que nous ne pouvons connaître qu’à l’état de complication extrême, et qu’en cet état nous nommons sensations. […] Supposez un livre écrit dans une langue originelle et muni d’une traduction interlinéaire ; le livre est la nature, la langue originale est l’événement moral, la traduction interlinéaire est l’événement physique, et l’ordre des chapitres est l’ordre des êtres. — Au commencement du livre, la traduction est imprimée en caractères très lisibles et tous bien nets.

132. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Il y a des natures, distinguées d’ailleurs, qui sont singulièrement prédestinées à la crédulité ; il ne s’agit pour elles que de savoir de qui elles seront dupes, et par malheur elles ne font pas le choix. […] La science désormais le rappelait ; il avait à réparer envers ses chères montagnes et envers la nature des absences trop longues, à renouer d’austères et attrayants travaux trop longtemps interrompus. […] Plus d’un savant, sans doute, avait déjà considéré les Pyrénées à des points de vue tout spéciaux, mais aucun avec ce sentiment de la nature uni à une science positive aussi étendue et aussi solidement diverse. […] Tel est le premier des beaux et grands paysages de Ramond, par lesquels il exprime dans ses différences avec les Alpes la nature pyrénéenne. […] Mais veut-on sous le pinceau du voyageur un paysage tout simple, animé de figures, avec un sentiment à la fois actuel et biblique, avec un reflet moral de l’homme au milieu de la plus réelle nature ?

133. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre II : L’intelligence »

La continuation d’une impression étant la continuation du circuit nerveux, sa reproduction doit être de la même nature. […] Notre principale faculté active est traduite par la volition dont la nature est de nous pousser à fuir la douleur et rechercher le plaisir. […] Induction, généralisation indirecte, propriétés conjointes, affirmations, propositions, jugements, lois de la nature. […] Les objets complexes, les touts concrets que nous voyons dans la nature, comme un arbre, une orange, une localité, une personne, sont des agrégats d’idées et de sensations contiguës. […] Bain, la doctrine courante qui veut que la nature soit son critérium et la vérité (réalité) son but.

134. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

Une riche nature sans doute les sert mieux et les enchante ; la grande nature admirée ensemble est le plus bel accompagnement d’un noble amour. […] est-ce de votre maîtresse, ou bien est-ce de la nature ? […] La Julie de Raphaël est un être frêle, maladif, nerveux, une nature toute d’exception. […] Avec un mari qui n’est pour elle qu’un père, et qui, dans sa philosophie indulgente, lui permettrait beaucoup, avec des opinions et des doctrines positives comme celles qu’elle s’est formées, on est réduit à reconnaître que Julie ne peut être protégée dans ses longs tête-à-tête avec son jeune ami (et elle en convient) que par son mal même et par la singularité de sa nature. […] La nature a bien sa musique, mais elle est rare heureusement.

135. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

un homme d’esprit railleur devant un génie inventeur, haut et profond comme la nature. […] C’est lui qui donne au monde son mouvement intime ; la nature est en lui, et il est dans la nature ; et jamais ce qui vit, ce qui se meut, ce qui est en lui, n’est privé de sa force et de son esprit. […] « La nature, a-t-il dit, ne se donne pas à tout le monde. […] Il vit toujours et sans cesse dans les grandes natures pour élever vers lui les natures inférieures. » « Je ne suis pas plus amateur de la philosophie populaire. […] C’était une nature vigoureuse qui avait besoin de beaucoup d’années pour mûrir.

136. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

Il ne faudrait pas s’exagérer le rôle du principe de la conservation de l’énergie dans l’histoire des sciences de la nature. […] De là un symbolisme de nature mécaniste, également impropre à prouver la thèse du libre arbitre, à la faire comprendre, et à la réfuter. […] On laisse alors la nature propre de ces phénomènes dans l’ombre, mais on affirme qu’en leur qualité de phénomènes ils restent soumis à la loi de causalité. […] Mais d’autre part, cette idée de force, transportée dans la nature, ayant cheminé côte à côte avec l’idée de nécessité, revient corrompue de ce voyage. […] Mais la dissociation de ces deux idées est un fait accompli dans les sciences de la nature.

137. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Vous avez commencé, Monsieur, par le vrai commencement de la nature. […] La claire vue de la nature du mal vous indique le remède ; on guérit bientôt la maladie dont on connaît la cause. […] La nature est roturière ; elle veut qu’on travaille ; elle aime les mains calleuses et ne se révèle qu’aux fronts soucieux. […] Sa nature héroïque le porta toujours à ce qu’il y eut de plus âpre et de plus fort. […] Nature essentiellement religieuse, il ne douta que par la foi profonde et par respect de la vérité.

138. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

L’effet moral vraiment digne de ce nom, sur une scène élevée, doit sortir du spectacle même de la nature humaine observée et saisie dans le jeu varié de ses passions, dans ses misères et dans ses grandeurs, et jusque dans l’énergique naïveté de ses ridicules. […] Elle est morale enfin, cette impression généreuse et mâle, cette veine d’honnête homme qui court à travers les brusqueries passionnées du Misanthrope, et qui, par lui, nous réconcilie plus qu’il ne pense avec la nature humaine. En un mot, il est un point élevé où l’art, la nature et la morale ne font qu’un et se confondent, et c’est à cette hauteur que tous les grands maîtres dramatiques que l’humanité aime à reconnaître pour siens se sont rencontrés. À des degrés inférieurs, il est encore d’honorables places à saisir ; et, quoique le talent se laisse peu conseiller à l’avance, quoiqu’il appartienne à lui seul, dans ce fonds tant de fois remué, mais non pas épuisé, de l’observation naturelle et sociale, de découvrir de nouvelles formes et des aspects imprévus, qu’on nous permette d’exprimer ce seul vœu : c’est qu’il revienne enfin et qu’il s’attache désormais à étudier une nature humaine véritable, une nature saine et non corrompue, non raffinée ou viciée à plaisir, une nature ouverte aux vraies passions, aux vraies douleurs, sujette aux ridicules sincères, malade, quand elle l’est, des maladies générales, et naturelles encore, que tous comprennent, que tous reconnaissent et doivent éviter. […] Puisque, dans les représentations scéniques qui sont plus particulièrement à l’usage du peuple, dans cette suite de tableaux compliqués et vastes où il se dépense souvent tant d’artifice et de talent, les auteurs ne visent point à cette reproduction entière et profonde de la nature, qui est le suprême de l’art, puisqu’ils font des sacrifices à l’appareil, à l’émotion, et, pour tout dire, à l’effet, il est tout simple qu’on leur demande plus ouvertement de pousser au bien plutôt qu’au mal, et à la vertu plutôt qu’au vice.

139. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De la philosophie. »

La philosophie, dont je crois utile et possible aux âmes passionnées d’adopter les secours, est de la nature la plus relevée. […] L’ambitieux, en apercevant ces hameaux, entourés de tous les dons de la nature, demande si le gouverneur de ce canton a beaucoup de crédit, ou si les paysans qui l’habitent peuvent élire un député. […] Les années, avec tout ce qu’elles amènent avec elles, se succèdent tranquillement suivant l’intention de la nature, et l’homme participe au calme de l’ordre universel. […] Elle veut se sauver du présent, et elle se livre à l’avenir, bien plus propre à l’agiter, bien plus conforme à sa nature. […] Toute la nature semble se prêter aux sentiments qu’ils éprouvent alors.

140. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Rayons et les Ombres » (1840) »

L’homme existe de deux façons : selon la société et selon la nature. Dieu met en lui la passion ; la société y met l’action ; la nature y met la rêverie. […] La société se meut dans la nature ; la nature enveloppe la société. […] Il vivrait dans la nature, il habiterait avec la société. […] Il se tourne constamment vers l’homme, vers la nature ou vers Dieu.

141. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Sainte-Beuve nous montre, à peu près dans le même temps, trois talents occupés du même sujet et visant chacun à la gloire difficile d’un poème sur la nature des choses. […] En elles-mêmes et d’après leur nature, la poésie et la science, de même que la philosophie, ne sauraient être séparées. […] La Nature nous échappe par sa grandeur ; ignorant ses motifs, nous voulons juger par les nôtres : rien n’est bon en soi ni mauvais, tout est rationnel, tout est parce qu’il doit être : La Nature nous dit : « Je suis la raison même. […] La Nature n’est pas soumise aux lois de notre conscience, et la Divinité, si elle existe, laisse faire à la Nature son œuvre nécessaire ; le large plan qui se développe à travers l’infini de l’espace, du temps et du nombre, ne peut se laisser troubler par les incidents misérables de nos plaintes et de nos gémissements. […] Ta nature, ô Justice !

142. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

Brunetière, parce que l’homme a compliqué et faussé la nature : et cet art de vivre se résume à savoir retrouver la nature. […] 3° L’ennemi de la vie, ce n’est pas la mort, c’est la douleur, et c’est elle qu’il faut fuir de toutes les forces que nous prête la nature. […] Il ne s’embarrasse pas de faire un système, ni de savoir si les fondements de ses idées sont solides en bonne logique : il lui suffit que nature les ait mises en lui. […] Il croit à la conscience, et à la raison, tellement qu’il s’en sert pour condamner la nature, ou la rectifier. […] Montaigne a foi dans l’éducation, pour développer, fortifier, mais aussi pour redresser la nature.

143. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

Je suis convaincu, pour l’honneur de la nature humaine, que le christianisme n’est chez l’immense majorité de ceux qui le professent qu’une noble forme de vie. […] Il y a des natures qui aiment à se torturer à plaisir et à se proposer l’insoluble. La morale et le sérieux de la vie n’ont pas d’autre preuve que notre nature. […] L’erreur pure ne provoquerait dans la nature humaine, qui après tout est bien faite, que le dégoût ou le sentiment du ridicule. […] Mais maintenant je vois que j’eus tort ; j’aurais dû les tuer ; car la mission de l’homme dans la nature, c’est de réformer le laid et l’immoral.

144. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

L’érudition me paraît dans beaucoup de cas puérile et peu démonstrative de sa nature. […] Courbet l’accomplit au profit de la nature extérieure, positive, immédiate. […] Les belles femmes, les natures riches, les santés calmes et florissantes, voilà son triomphe et sa joie ! […] Ingres qui a cherché la nature, mais la nature qui a violé le peintre, et que cette haute et puissante dame l’a dompté par son ascendant irrésistible. […] Comme la nature perçue par des nerfs ultra-sensibles, elle révèle le surnaturalisme.

145. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Il ne faut point s’attendre à y trouver rien de la nature ni d’une description réelle. […] Les anciens ont commencé par observer et par peindre directement la pure nature. […] Chez les anciens, dans ce Midi, la nature, dès le premier jour, était plus belle ; et puis la mer, en découpant les continents de toutes parts, leur faisait une élégante ceinture et les rendait plus accessibles, même dans leur primitive horreur. […] Ils ont tous cela de commun, de ne pas prendre la nature au sérieux, et de ne la regarder en sortant du cabaret ou du salon que pour y mettre une grimace et de l’enluminure. […] Ô nature grande et sincère, enfin après bien des siècles, tu es retrouvée !

146. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

L’homme est le miroir pensant de la nature ; tout s’y retrace, tout s’y anime, tout y renaît par la poésie. […] Tel coup, tel mot ; voilà la nature ! […] Phémius avait, pour tout salaire des soins qu’il prenait de cette jeunesse, la rétribution, non en argent, mais en nature, que les parents lui donnaient pour prix de l’éducation reçue par leurs fils. […] La nature, cruelle et consolatrice, semblait avoir voulu le recueillir tout entier dans ces spectacles intérieurs, en jetant ce voile sur sa vue. […] Voilà l’abrégé de l’histoire d’Homère ; elle est simple comme la nature, triste comme la vie ; elle consiste à souffrir et à chanter : c’est en général la destinée des poètes.

147. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, par George Sand. (1846-1850.) » pp. 351-370

Cependant la nature parle, l’estomac crie ; il a faim. […] Quoi qu’elle fasse, même dans les touches gracieuses, on sent une nature riche et drue, comme on dirait en ce vieux langage. […] Mme Sand le sait bien ; elle excelle à peindre Ces natures qu’elle domine et pénètre si bien du regard. […] Ce fut Jean-Jacques qui le premier eut la gloire de découvrir la nature en elle-même et de la peindre ; la nature de Suisse, celle des montagnes, des lacs, des libres forêts, il fit aimer ces beautés toutes nouvelles. Bernardin de Saint-Pierre, peu après, découvre à son tour et décrit la nature de l’Inde.

148. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

Bernardin de Saint-Pierre, dont le plan embrassait « la recherche de nos plaisirs dans la nature et celle de nos maux dans la société », prenait ce beau monde par son faible, et le flattait, même en le critiquant. […] Après Buffon, Bernardin de Saint-Pierre paraissait dans ces avenues de la nature comme un grand prêtre plus doux, plus attrayant, et qui faisait entrer dans ses explications spécieuses quelque chose de l’onction et du sourire de Fénelon. […] En cela même il abuse, et il a légèrement amolli la nature, il l’a partout argentée trop également. […] La première partie des Études de la nature est toute dirigée contre les athées. […] Il ne se refuse à aucun rêve, pourvu que le rêve rentre tant soit peu dans ses vues, et il s’y livre désormais avec méthode à la fois et une sorte de délire : on est en plein dans le mysticisme de la nature.

149. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Seconde partie. » pp. 35-56

Homme de génie n’accuse point la Nature ; ne te plains point d’avoir reçu en naissant ce feu sacré qui te presse, te domine, te rend utile & cher à l’ Univers. […] Son spectacle et celui de la Nature, c’est-là qu’il prépare ses pinceaux, & qu’il broye ses couleurs. […] Assis sous un ombrage frais, couché près du cristal des eaux, tu souriois à la Nature, & la Nature te couronnoit de ses fleurs. […] Une Nature sauvage s’embellit de sa présence. […] Est-il rien deplus délicieux que de pouvoir jouir de la Nature, en tous les tems, en tous les lieux ; d’ouvrir son ame aux objets enchanteurs qui la décorent ?

150. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la tragédie chez les Anciens. » pp. 2-20

Ce raisonnement, au reste, est fondé sur la nature des passions mêmes. […] Car alors, non contents d’étudier la nature dans leur propre cœur, ils jugeaient de ce qui devait plaire par ce qui plaisait en effet, et se conformaient au goût des peuples pour suivre de plus près la nature, comme un sculpteur habile et éclairé étudie l’antique qui a plu, pour approcher de plus près du vrai beau qui doit plaire. […] Voilà la règle de la nature, telle qu’Homère l’a choisie, ainsi que je l’ai déjà insinué ; et je ne pense pas qu’on puisse raisonnablement en alléguer d’autres. […] C’est encore la nature qui le veut ainsi ; car l’esprit impatient court avidement à l’issue. […] D’autres caractères, vertueux aussi, mais plus conformes à la nature commune, amolliraient l’âme et feraient prendre au spectateur une habitude de faiblesse et d’abattement.

151. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre IV. De la méthode » pp. 81-92

Comment descendre d’une nature cultivée par la civilisation à cette nature inculte et sauvage ; c’est à grand’peine que nous pouvons la comprendre, loin de pouvoir nous la représenter ? […] Cependant, par un effet de leur nature corrompue, les hommes toujours tyrannisés par l’égoïsme, ne suivent guère que leur intérêt ; chacun voulant pour soi tout ce qui est utile, sans en faire part à son prochain, ils ne peuvent donner à leurs passions la direction salutaire qui les rapprocherait de la justice. […] Alors s’expliquera la manière particulière dont les choses sont nées, autrement dit, leur nature (axiome 14) ; or l’explication de la nature des choses est le propre de la science. Enfin cette explication de leur nature se confirmera par l’observation des propriétés éternelles qu’elles conservent ; lesquelles propriétés ne peuvent résulter que de ce qu’elles sont nées dans tel temps, dans tel lieu et de telle manière, en d’autres termes, de ce qu’elles ont une telle nature (axiomes 14, 15.) Pour arriver à trouver cette nature des choses humaines, la Science nouvelle procède par une analyse sévère des pensées humaines relatives aux nécessités ou utilités de la vie sociale, qui sont les deux sources éternelles du droit naturel des gens (axiome 11).

152. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre III. La Déformation de l’Idéal classique (1720-1801) » pp. 278-387

Mais ce n’est pas tout encore, et l’homme n’étant pas à lui seul toute la nature, il reste à voir quels sont les rapports de la nature et de l’homme. Qu’est-ce donc que l’homme dans la nature ? […] La nature est la cause des effets que nous sommes. […] Ils lui ont fait entendre à lui-même la nature de son pouvoir. […] Les Époques de la nature, 1778.

153. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

La nature de telle traduction peut vous renseigner sur la nature de l’idiome original. […] Son procédé pour créer des hommes ressemble à celui de la nature. […] Ici, la nature a été copiée avec une fidélité surprenante. […] C’est là ce qu’il appelle l’affranchissement de l’individu par la nature. […] D’une nature qui pouvait être facilement discordante, il fit une nature harmonieuse et pleine d’équilibre.

154. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre IV : Sélection naturelle »

Il est de même très difficile d’éviter toujours de personnifier le mot de nature ; mais par nature j’entends seulement l’action combinée et le résultat complexe d’un grand nombre de lois naturelles, et par lois, la série nécessaire des faits telle qu’elle nous est connue aujourd’hui. […] L’homme ne choisit qu’en vue de son propre avantage, et la nature seulement en vue du bien de l’être dont elle prend soin. […] Jusqu’où descend dans l’échelle de la nature cette loi de guerre ? […] On voit donc que ces plantes naturalisées sont de natures très diverses. […] Je suppose que ces variations sont légères, mais très diverses de nature.

155. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

L’un a été la révélation primitive de l’idéal contenu dans la nature extérieure ; l’autre en a été l’étude raisonnée et l’exposition lumineuse. […] Que de vers superbes, spacieux, animés d’un mâle sentiment de nature et se ruant à l’assaut des hautes périodes ! […] C’est la plaie secrète qui énerve et qui ronge les natures les plus mâles. […] Si la nature obéit aux lois inviolables qui la régissent, l’intelligence a aussi les siennes qui l’ordonnent et la dirigent. […] Les épidémies de cette nature passent et le génie demeure.

156. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

Les sciences physiques ayant pour but une utilité immédiate, aucun gouvernement ne veut ni ne peut les interdire ; et comment l’étude de la nature ne bannirait-elle pas la croyance de certains dogmes ? […] Si l’on pouvait faire goûter à l’homme la sorte de repos dont jouissent les êtres qui n’ont reçu de la nature que l’existence physique, ce serait un bien peut-être, puisque la faculté de souffrir serait diminuée. Mais pour réduire l’homme à cet état, il faut le tourmenter sans cesse ; car tendant toujours à y échapper par la force même de la nature, pour arrêter cette tendance, il faut le précipiter par la douleur dans l’abrutissement. […] C’est elle qui sert à connaître tout ce qu’il y a de bien dans la nature ; c’est elle qui peut seule ajouter à tous les biens de la vie la durée et le repos. […] J’ai tâché de rassembler, dans cet ouvrage, tous les motifs qui peuvent faire aimer les progrès des lumières, convaincre de l’action nécessaire de ces progrès, et par conséquent engager les bons esprits à diriger cette force irrésistible, dont la cause existe dans la nature morale, comme dans la nature physique est renfermé le principe du mouvement.

157. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

Bataille, fait pour mieux aussi, de nature, que pour suivre M.  […] dans la nature de M.  […] Rubens indigéré, une telle nature brouille sa palette. […] La morale, la religion, la métaphysique, toutes les conditions de la nature humaine intellectuelle pèsent sur vous. […] A bien des places, il y a l’erreur ou l’ignorance de la nature humaine, l’inconséquence, la maladresse.

158. (1870) La science et la conscience « Chapitre I : La physiologie »

Ici le débat est au cœur de la nature humaine. […] Littré cite des vers de Schiller sur la beauté, don de la nature, tant admirée et aimée des êtres humains. La vertu aussi est un don de la nature, non le prix d’un effort. […] Le génie lui-même, cet état supérieur de la nature humaine, n’échappe point aux formules outrées d’une certaine analyse physiologique. […] Telle est la formule de la corrélation de l’esprit avec les autres forces de la nature.

159. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Ramond, en même temps qu’il observait la nature en géologue, en physicien et en botaniste, s’appliquait expressément à rendre l’aspect et la physionomie des lieux, la teinte diverse des rochers, la couleur des eaux et jusqu’à l’individualité des monts. […] On l’a critiqué : malheur à qui ne verrait la nature que de l’œil de ses critiques ! […] Au soir d’une journée si pénible, il était doux de voir la nature rentrer dans l’ombre qui nous invitait au repos, et d’en jouir un moment sur les restes de ces structures guerrières que la paix livre à la destruction. […] On sent tout ce qu’a d’original ce double sentiment, exprimé ici, du peintre et du savant, de l’observateur et de l’amant de la nature. […] Ramond a varié plus d’une fois cette vue générale et supérieure à laquelle il tend par nature et élévation d’esprit ; il l’a renouvelée et complétée une dernière fois au sommet du Pimené, dans les Voyages imprimés en 1801.

160. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Première leçon »

(2) Sans doute, la nature de ce cours ne saurait être complètement appréciée, de manière à pouvoir s’en former une opinion définitive, que lorsque les diverses parties en auront été successivement développées. […] De même, le dernier terme du système métaphysique consiste à concevoir, au lieu de différentes entités particulières, une seule grande entité générale, la nature, envisagée comme la source unique de tous les phénomènes. […] Il en est de même en considérant sous le point de vue pratique la nature des recherches qui occupent primitivement l’esprit humain. […] Bien au contraire, un cours de la nature de celui-ci exige, pour être convenablement entendu, une série préalable d’études spéciales sur les diverses sciences qui y seront envisagées. […] Il est urgent de s’en occuper sérieusement ; car ces inconvénients, qui, par leur nature, tendent à s’accroître sans cesse, commencent à devenir très sensibles.

161. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

Mitraud sur la Nature des sociétés humaines, comme il dit, et ce livre dont tout pour nous, jusqu’au titre, manque de rigueur et de vérité nous a jeté dans des perplexités étranges. […] dans ce traité qui s’intitule somptueusement de la Nature des sociétés humaines, le fond des choses, s’il en est un, n’est pas visible. […] Tête que j’oserai appeler antihistorique, cervelle rechercheuse d’abstractions, M. l’abbé Mitraud n’a ni le sens de l’histoire, ni le sens de la nature humaine. […] La Circé des partis lui verse le philtre de l’Éloge pour faire de lui un compagnon d’Ulysse… ce qui n’irait pas mal à ce jurisconsulte des besoins de la Nature ! […] De la nature des sociétés humaines, par M. l’abbé Théobald Mitraud.

162. (1910) Rousseau contre Molière

Par la toute-puissance de la nature ? […] Quel est le préjugé ou la convention qui dans Don Juan est battu en brèche par la nature et où est la victoire de la nature ? […] De duel entre la nature et la convention, pas l’ombre. […] Philaminte veut s’élever au-dessus de la nature ? […] Est-ce qu’il ne suit pas la nature tout simplement ?

163. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Préface de la seconde édition »

En effet, quoiqu’ils nous soient intérieurs par définition, la conscience que nous en avons ne nous en révèle ni la nature interne ni la genèse. […] Pourtant, ce qu’on juge si facilement inadmissible quand il s’agit des faits sociaux, est couramment admis des autres règnes de la nature. […] Mais les états de la conscience collective sont d’une autre nature que les états de la conscience individuelle ; ce sont des représentations d’une autre sorte. […] Or le groupe est constitué autrement que l’individu et les choses qui l’affectent sont d’une autre nature. […] Là où l’animal est remplacé par un ancêtre humain, mais également mythique, c’est que le clan a changé de nature.

164. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

Mais c’est la nature de cette opération, qui paraît malaisée à déterminer. […] Mais on pourrait se demander si la nature est belle autrement que par la rencontre heureuse de certains procédés de notre art, et si, en un certain sens, l’art ne précéderait pas la nature. […] Si les sons musicaux agissent plus puissamment sur nous que ceux de la nature, c’est que la nature se borne à exprimer des sentiments, au lieu que la musique nous les suggère. […] La nature procède par suggestion comme l’art, mais ne dispose pas du rythme. […] La nature de cet élément est d’ailleurs aisée à déterminer.

165. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

Une conception totale de la nature s’organisait, dont les traits essentiels étaient la stabilité de ses lois, la liaison de ces lois entre elles, l’espérance lointaine de les réduire à une formule unique. […] Ils n’ont eux-mêmes d’autre « relation » avec ce qu’ils expriment, et avec nous, que de le représenter dans sa « relation » avec la nature de l’esprit humain. […] Les Voltaire ou les Diderot tenaient essentiellement à ce que leur « tableau de la nature », avant même d’être exact, fût la contradiction réputée « scientifique » des enseignemens de la religion. […] La conception de la vie n’est plus pour nos physiologistes ce qu’elle pouvait être pour Cabanis ou pour Bichat ; le tableau de la nature n’est plus pour nous ce qu’il était pour les contemporains de l’auteur du Cosmos. […] Cette rencontre de la nature et de l’homme dans la construction des mêmes engins, sans qu’on puisse dire que l’homme ait copié la nature, et encore moins que la nature ait pris modèle sur l’homme, est une des meilleures preuves que le système de nos sciences est bien fondé sur ses raisons naturelles, indépendantes des conceptions et des artifices de l’esprit humain7. » C’est ce qu’on a exprimé d’une autre manière, plus générale, en disant que « partout où il y a du sensible » il y avait toujours de « l’intelligible qui y correspond8. » Est-il, après cela, bien utile de compliquer le problème à loisir ?

166. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

Le cerveau fut tout chez lui, et la nature, qui avait doublement doué son généreux oncle, oublia ici totalement le cœur. […] Fontenelle, de bonne heure, marqua tous les défauts d’une nature privée d’idéal et de flamme, et qui n’avait ni ciel à l’horizon ni foyer intérieur ; mais il eut aussi toutes les qualités compatibles avec ces sortes de natures purement intellectuelles. […] Quelle manière plus opposée à celle dont Pascal embrasse le ciel et la nature ! […] Pascal sentait avec tressaillement, avec effroi, la majesté et l’immensité de la nature, quand Fontenelle semble n’en épier que l’adresse. […] On voit que ce grand homme a été moulé à plaisir par la Nature… » M. 

167. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

Il doit être réellement fidèle à sa propre nature. […] Cela serait même, je crois, antipathique à sa nature. […] Ainsi, de la nature, par exemple. « La nature n’est qu’un dictionnaire », répétait-il fréquemment. […] Et puis il tombe dans le fameux défaut moderne, qui naît d’un amour aveugle de la nature, de rien que la nature ; il prend une simple étude pour une composition.

168. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

« Ces phénomènes sont donc exactement pour lui dans la même condition que les phénomènes de la nature extérieure. » — Voilà cependant où leur logique les mène, et ils appellent cela faire de la science, et ne pas faire de l’imagination. […] De l’idée que les psychologistes se font de la nature du moi, ils déduisent rigoureusement sa destinée. […] La puissance encore indomptée de la nature accablait à chaque instant son activité gauche, inégale, sans cesse refoulée sur elle-même ; la férocité des monstres sauvages, l’inclémence des éléments, les déluges, apportaient de tous les points de l’horizon l’effroi et la haine à cet être qui était fait pour aimer. […] Les relations actives avec le monde, avec la nature, et toutes les excitations du dehors leur semblaient funestes, et la perfection pour eux consistait à les retrancher. […] Cette réhabilitation réelle et l’harmonie qui doit en résulter ne pourront s’obtenir que par la conception nouvelle qui ramène la matière et l’esprit dans la substance de l’être, l’âme et le corps dans l’unité de la vie, l’homme et la nature dans le sein de Dieu, la science et l’industrie dans la religion.

169. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexandre de Humboldt »

Sous le Humboldt de la grande nature, il y avait le Humboldt de la petite et même de la très petite, l’observateur de l’insecte humain. […] Et je prie ceux qu’un tel mot révolterait et auxquels il semblerait une irrévérence, de vouloir bien se rendre compte avec moi des œuvres de Humboldt et surtout de la nature de son esprit. De nature, il avait l’attraction et l’aptitude à la science, cela n’est pas douteux. […] l’essentiel, c’est « l’expression noble, qui ne manquera jamais, si elle l’est, l’effet grandiose de la nature », dit ce tulipier de la phrase, et pardonnez-nous de l’avoir appelé : un beau parleur scientifique, après cela ! […] Humboldt, dans sa correspondance, a ce quelque chose de grand et de nain, de mesquin et d’imposant, qui faisait de lui également l’interprète majestueux de la nature et un cancanier de société, une espèce de portier sublime, — le portier des Cordillières, par exemple, mais un portier, hélas !

170. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIV. Alexandre de Humboldt »

Sous le Humboldt de la grande nature, il y avait le Humboldt de la petite et même de la très petite, l’observateur de l’insecte humain. […] Et je prie ceux qu’un tel mot révolterait et auxquels il semblerait une irrévérence, de vouloir bien se rendre compte avec moi des œuvres de Humboldt et surtout de la nature de son esprit. De nature, il avait l’attraction et l’aptitude à la science, cela n’est pas douteux. […] Humboldt, dans sa correspondance, a ce quelque chose de grand et de nain, de mesquin et d’imposant, qui faisait de lui également l’interprète majestueux de la nature et un cancanier de société, une espèce de portier sublime, — le portier des Cordillères, par exemple, mais un portier, hélas ! […] Humboldt a oublié « l’expression noble qui ne manque pas l’effet grandiose de la nature », et avec laquelle ici, s’il ne l’avait pas oubliée, il n’eût pas manqué le ridicule, est adressée à M. de Varnhagen Von Ense, le mari de la fameuse Rachel Varnhagen, la Mme de Staël blonde de l’Allemagne.

171. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

. — Les Études de la Nature. — Paul et Virginie. — § V. […] Avec Dieu disparaissait le sentiment des œuvres de la nature, lesquelles ne parlent à notre âme qu’à la condition d’y trouver la croyance à l’ouvrier. […] Bernardin de Saint-Pierre. — Les Études de la nature […] Les devanciers de Bernardin de Saint-Pierre, dans l’art de peindre les choses de la nature, Fénelon, J. […] Tout est couleurs, murmures, parfums, dans cette prose opulente comme la nature qu’elle décrit.

172. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Mais je tâche de comprendre leur nature. […] Il sent, il pense, il agit avec ses deux natures. […] On ne commande à la nature, a-t-on dit, qu’en lui obéissant. […] Il est inhérent à notre nature même. […] Nous n’avons nullement conscience, tant que nous ne l’avons pas analysé, de la vraie nature de notre sens du devoir, ni surtout de toute sa nature.

173. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre I : Rapports de cette science avec l’histoire »

Jusqu’à l’époque où la géologie positive a été fondée, l’idée d’un passé de la nature, d’une évolution dans son développement, était reléguée parmi les hypothèses philosophiques. […] Ainsi le passé est entré comme objet dans les sciences de la nature, et elles sont devenues historiques sans cesser d’être des sciences. […] L’individu, étant presque à lui seul un petit monde, surtout quand il est grand, prend une place et joue un rôle qu’aucun individu n’occupe dans la nature extérieure. […] Sans doute les événements extérieurs ont un éclat qui frappe tous les yeux ; mais pour ceux qui aiment la pensée, quel plus grand événement qu’une grande idée, une vue originale sur la nature des choses ? […] On dit encore que la nature est le livre de Dieu ; mais la pensée humaine n’est-elle pas aussi le livre de Dieu, et en quelque sorte son verbe mortel ?

174. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

On sent qu’il n’est pas sur son terrain, parce qu’il n’est pas dans sa nature. […] Le poëte, insistons sur ce point, ne doit donc prendre conseil que de la nature, de la vérité, et de l’inspiration qui est aussi une vérité et une nature. […] C’est la même nature qui féconde et nourrit les génies les plus différents. […] La nature et l’art sont deux choses, sans quoi l’une ou l’autre n’existerait pas. […] Que pourraient donc perdre à entrer dans le vers la nature et le vrai ?

175. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Michel-Ange conçoit, imagine, rêve toujours un peu plus grand et un plus beau que nature. […] Mais la fécondité de Michel-Ange, égale à celle de la nature, prodiguait la conception comme la nature prodiguait la matière. […] Au lieu de parole, la nature semblait lui avoir donné le dessin, hiéroglyphe vivant et universel de la création. […] « L’effet donc l’emporte ici-bas sur la cause et la nature est vaincue par l’art ! […] rends-moi le visage angélique dont la disparition a enlevé ta grâce et sa puissance à toute la nature.

176. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

L’intérêt du sujet est ailleurs, et uniquement dans la nature de la question ou du problème qu’il soulève. […] Conformons-nous à la nature. […] Mais cette philosophie de la nature, quelle est-elle ? […] Rien ne paraît plus évident. « L’école des femmes », c’est l’amour, ou mieux encore, c’est la nature ; et la leçon, assez parlante, c’est que la nature toute seule sera toujours plus forte que tout ce que nous ferons pour en contrarier le vœu. […] Il est jeune comme elle, comme il est naïf, et comme elle il est la nature.

177. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 18, qu’il faut attribuer la difference qui est entre l’air de differens païs, à la nature des émanations de la terre qui sont differentes en diverses regions » pp. 295-304

Les émanations dont dépendent les qualitez de l’air, dépendent elles-mêmes de la nature des corps dont elles s’échappent. […] La couleur du vague de l’air, celles des nuages qui font un horrison colorié au coucher comme au lever du soleil, dépendent de la nature des exhalaisons qui remplissent l’air et qui se mêlent avec les vapeurs dont ces nuages sont formez. […] Je conclus de ce que j’ai exposé, qu’ainsi que les qualitez de la terre décident de la saveur particuliere aux fruits dans plusieurs contrées, de même ces qualitez de la terre décident de la nature de l’air de chaque païs. […] Or, cette cause est sujette par sa nature à bien des vicissitudes comme à une infinité d’altérations. […] La nature prudente s’en est servie pour couvrir la seconde enveloppe composée de mineraux et de terres grasses dont les sucs contribuent à la fertilité du sol extérieur.

178. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Tout s’y mêle : la fantaisie, les espérances mystiques et l’étude positive de la nature. […] L’éducation se résume dans ces mots : famille, patrie, nature. […] On oublie les défauts de l’enfant ; sa vue seule fait aimer la nature et bénir la vie. […] Dieu d’abord, révélé par la mère, dans l’amour et dans la nature. […] Il mêle la nature à toutes ses émotions : « Rien de la nature ne m’est indifférent.

179. (1840) Kant et sa philosophie. Revue des Deux Mondes

La nature de l’esprit humain ne variant pas, ses lois ne sauraient varier. […] Ce fut donc la raison qu’ils suivirent, même en travaillant sur la nature ; ce furent les principes de cette raison qu’ils cherchèrent dans la nature, et c’est en devenant rationnelle que la physique devint une science. […] La physique doit l’heureux changement de sa méthode à cette idée : que la raison cherche, je ne dis pas imagine, dans la nature, conformément à ses propres principes, ce qu’elle doit apprendre de la nature, et ce dont elle ne peut rien savoir par elle-même. […] Les principes de la haute physique sont de la même nature. […] Il ne l’est pas même envers la nature humaine.

180. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

Nous en comprendrons mieux la nature. […] Sortons de la nature. […] Car elle est essentiellement de même nature. […] Bien plus, ces différents arts pourront exprimer des sentiments de même nature. […] Ce que nous cherchons ici, c’est quelle doit être leur nature.

181. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

On commence à se livrer à un excès par entraînement, mais, à son comble, il amène toujours une sorte de tension involontaire et terrible ; hors des lignes de la nature, dans quelque sens que ce soit, ce n’est plus la passion qui commande, mais la contraction qui soutient. […] Si, dans le système du monde, les diverses natures des êtres, des espèces, des choses, des sensations, se tiennent par des intermédiaires, il est certain que la passion du crime est le chaînon entre l’homme et les animaux ; elle est à quelques égards aussi involontaire que leur instinct, mais elle est plus dépravée ; car c’est la nature qui a créé le tigre, et c’est l’homme qui s’est fait criminel : l’animal sanguinaire a sa place marquée dans le monde, et il faut que le criminel le bouleverse, pour y dominer. […] La nature morale dans les esprits ardents tend toujours à quelque chose de complet, et l’on veut étonner par le crime, quand il n’y a plus de grandeur possible que dans son excès ; l’agrandissement de soi, ce désir qui, d’une manière quelconque, est toujours le principe de toute action au-dehors, l’agrandissement de soi se retrouve dans l’effroi qu’on fait naître. […] de quelle nature est celui qui, pour son ambition, a pu donner la mort ? de quelle nature est celui qui sait braver tout ce que cette idée a de solennel et de terrible, cette idée dont le retour immédiat sur soi-même devrait effrayer tout ce qui veut vivre.

182. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

Sa compagnie, sa joie, son amour, c’était sa sœur Lucile, nature exaltée, nerveuse, avec qui il rêva de vies merveilleuses, de courses lointaines, et de sensations toujours renouvelées. […] Mais l’intelligence et l’esprit restèrent toujours des parties secondaires de sa nature, tout à fait sous la domination du caractère et de l’imagination. […] Les Études et les Harmonies de la nature n’étaient que puériles, au lieu que le Génie du Christianisme est puissant. […] Ici nous tenons un grand peintre : dans ses tableaux, les cadres ou les prolongements sentimentaux se décollent d’eux-mêmes ; il ne reste que la nature fortement saisie, fidèlement rendue en sa beauté originale et locale. […] Il a cette espèce d’ivresse devant la nature qui fait la peinture chaude, sans altérer la lucide précision de l’œil.

183. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

Pour lui rien n’est vil ni bas dans la nature et dans l’homme. […] Il retrouve la pulsation de la nature, à travers la vie de l’homme et la vie des choses.‌ La nature et l’homme se retrouvent en une communion frémissante ; ce lien, voilà sa grande force. […] Le divorce cesse. « Nous avons fait à la nature, au vaste monde, peut-il dire justement, une place tout aussi large qu’à l’homme. […] C’est une littérature d’impuissance et d’abandon, que la nature néglige, plus encore qu’elle n’est négligée par elle.

184. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

sa nature l’entraînait. […] La nature travaille avec nous. […] — Comment était-il affecté du spectacle de la nature ? […] Lui aussi, il eut pour nourrice la Nature. […] Nature grandiose !

185. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Elle doit commander à tous, car, par nature, elle est universelle. […] Origine, nature et valeur du préjugé héréditaire. — En quoi la coutume, la religion et l’État sont légitimes. […] La religion est de sa nature un poème métaphysique accompagné de croyance. […] J’y ai droit ; la nature et la Providence m’y appellent ; il est mon héritage. […] Baron d’Holbach, Système de la nature, I, 347.

186. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

L’âme est le miroir de la création ; la nature commence par s’y refléter, puis elle s’y anime, et le poète est créé dans l’enfant. […] Malheur à l’imagination, qui se sépare de la nature ! […] La nature est Dieu divisé à l’infini (profession de foi de son maître Goethe). […] Ils n’avaient foi l’un qu’à la nature, l’autre qu’aux faits. […] Le génie a ses saisons comme la nature ; après la récolte, la stérilité.

187. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

Il vit peu dans le monde, ou du moins il n’y donne qu’une partie extérieure de lui-même et ce qui est de représentation, il s’isole le reste du temps ; il passe des journées entières dans les forêts, au spectacle de la nature, et dans cette tour qui était son cabinet de travail. […] Doué, par la nature, d’une intelligence vaste et capable de tout, plutôt que d’une vocation précise et impérieuse, c’est lui-même qui, par ambition et par choix, détermine la direction de cette intelligence et qui la porte décidément vers telle ou telle conquête. […] Que ce temple de la nature qu’il a si majestueusement ouvert n’aille point aboutir à une petite église où, sous prétexte de s’incliner devant lui, on se loue ensuite les uns les autres comme je vois qu’on le fait invariablement dans plusieurs des écrits que j’ai cités. […] L’homme peut donc non seulement faire servir à ses besoins, à son usage, tous les individus de l’univers, mais il peut encore, avec le temps, changer, modifier et perfectionner les espèces ; c’est même le plus beau droit qu’il ait sur la nature. […] À part quelques mots de pure forme et de déférence, l’idée seule de la nature, c’est-à-dire des lois immuables et nécessaires limitant et enveloppant de toutes parts la force de l’homme, est ce qui règne chez Buffon.

188. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

Un fait d’où l’on puisse déduire la nature, les rapports et les changements des autres. […] Première vérification : considérez les rapports et la nature des opérations et des organes. […] Donc de la nutrition on peut déduire les rapports et la nature d’un groupe de faits. […] Donc de la décomposition on peut déduire la nature et les rapports d’une série de faits. […] C’est à ce moment que l’on sent naître en soi la notion de la Nature.

189. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. […] La nature n’a pas songé à cette superposition. […] Pour cela, un va-et-vient continuel est nécessaire entre la nature et l’esprit. […] De là les luttes sans nombre dont la nature est le théâtre. […] Ce n’est pas une différence de degré, mais de nature.

190. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

Non seulement ils sont plus grands ou plus petits que nature, mais, — chose beaucoup plus grave, — ils sont autrement que nature. […] Les uns veulent embellir la nature, l’idéaliser, substituer leur imagination au fait, créer une sorte de nature conventionnelle, en lieu et place de la nature réelle. […] Cette manière d’envisager la nature physique et colorée s’applique à la nature morale. […] Rien ne peut corrompre une nature bien douée. […] C’est un fac-similé de la nature, soit ; mais cela vous donne-t-il la millième partie de l’émotion que produit sur vous le spectacle de la nature ?

191. (1908) Après le naturalisme

Revenons à la nature, à la nature véritable de l’art. […] La nature en change. […] Que de beauté dans la nature et dans l’œuvre des hommes. […] Tous deux sont faux, selon la nature. […] Que la nature obéisse à l’esprit.

192. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Leconte de Lisle sera celle d’un artiste attaché surtout aux manifestations extérieures de l’histoire et de la nature. […] Le choix du poète s’explique : de même qu’il n’a pas vu la justice dans l’histoire, il ne lui plaît pas de voir la tendresse dans la nature, et il craint la charmante duperie des campagnes d’Occident. […] La Nature a chez nous l’ondoiement et la grâce, quelque chose qui rit, qui flotte et se renouvelle. […] C’est comme l’épopée de l’indifférence magnifique de la nature. […] Mais la Nature n’est pas seulement cruelle par sa sérénité : il lui arrive d’être franchement lugubre.

193. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Il admettait la nature des choses comme basede toute législation ; et nature des choses, qu’est-ce autre chose que Dieu ? […] Les lois de la nature seront celles qu’il recevrait dans un état pareil. […] Il y a autant de républiques ou de démocraties qu’il y a de natures d’élections. Il y a autant de monarchies qu’il y a de natures d’hérédité et de contrôles. […] Telle est la nature de la Chine, que le mauvais gouvernement y est d’abord puni.

194. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

« Les animaux, étant doués de sentiment, manifestent encore mieux la puissance de la nature. […] Chaque animal, fidèle à son instinct, sans pouvoir changer sa façon de vivre, suit inviolablement la loi de la nature. […] En un mot, nos mains tâchent de faire dans la nature, pour ainsi dire, une autre nature. […] Tout à l’heure, dissertant sur le droit et la loi, vous rapportiez tout à la nature : eh bien ! jusque dans les choses qui sont faites pour le repos et le divertissement de l’esprit, la nature domine encore.

195. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

Cette jeune personne avait reçu de la nature un esprit délicat, et de son père un esprit cultivé. […] La nature donne l’imagination, mais les hommes seuls donnent le bon sens. […] Ce démocrate ne sent la beauté que vêtue de luxe et de vanités : son orgueil prévaut même sur la nature. […] Cette ivresse de la nature est sincère, éloquente, communicative sous sa plume ; il se sent délivré de la société des hommes. […] C’est que ce livre était de la nature des sophismes : il fut prestigieux, il ne fut pas naturel ; la nature seule a dans les livres des effets immortels.

196. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

Il faut que la nature même la plus féconde tienne enfin un jour ce qu’elle a promis. […] Le vin aussi est chanteur de sa nature. […] Je me loue de la nature et ne me plains point de la fortune. […] Car la grâce est un don gratuit de la nature. […] Sa nature le lui défendit, et peut-être aussi un calcul habile.

197. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

L’égalité des droits est établie par la nature. […] Incorrigibles inégalités de la nature et de la loi ! […] La nature obéissait à la volonté et lui prêtait toute sa vie pour mourir en reine. […] Malheureusement pour sa mémoire, il se donna aussi comme juge dans un procès où la nature le récusait. […] Mais elle en tirera cette grande leçon : c’est que, quand l’opinion et la nature se combattent dans le cœur d’un citoyen, c’est la nature qu’il faut écouter ; car l’opinion se trompe souvent, et la nature est infaillible.

198. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

La nature entière se réveille ; de nouvelles feuilles, de nouvelles fleurs poussent à vue d’œil. […] La nature entière est rafraîchie, mais on voit sous les arbres des monceaux de pétales et de feuilles. […] Il paraît évident que c’est là qu’il a par ses instincts manifesté sa divine nature aux premiers hommes. […] Je trouve aussi sous sa plume le mot dont j’avais besoin et que la nature divine du sujet me suggère pour mon Cosmos, à moi. […] Les hommes sont un composé ; Dieu est simple, parce qu’il est immatériel dans sa nature.

199. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

Un tel art aurait au plus haut point le défaut inhérent à tous les arts, qui est de se montrer infiniment plus étroit que la nature. […] En réalité il ne les viole pas d’une manière absolue, car des sensations franchement désagréables ne pourraient se tolérer, mais il les tourne, et ainsi il s’efforce d’élargir sans cesse le domaine que l’art s’ouvre dans la nature infinie. […] On reproche parfois à certains génies d’être subtils ; mais quoi de plus subtil que la nature ? […] C’est s’arrêter à la superficie des choses que d’y voir seulement des effets à saisir et à rendre, de confondre la nature avec un musée, de lui préférer même au besoin un musée. « Vous me mépriseriez trop, dit encore Flaubert à George Sand, si je vous disais qu’en Suisse je m’embête à crever… Je ne suis pas l’homme de la nature et je ne comprends rien aux pays qui n’ont pas d’histoire. […] C’était d’ailleurs son peu de durée que Platon et Socrate reprochaient déjà au oratoire genre ; par sa nature même, en effet, il renferme quelque chose de passager, de conventionnel et de fragile : il est fait pour la cause du moment.

200. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — I. » pp. 180-197

Poujoulat écrit dans toute la confiance et la sécurité des convictions françaises, qui ne soupçonnent pas assez la nature et la force des objections mises en avant par une science critique plus indépendante, plus étendue. […] Il montre ce Sauveur qui cherche avant tout la misère et la compassion, évitant de prendre la nature angélique qui l’en eût dispensé, sautant par-dessus en quelque sorte, et s’attachant à poursuivre, à appréhender la misérable nature humaine, précisément parce qu’elle est misérable, s’y attachant et courant après quoiqu’elle s’enfuît de lui, quoiqu’elle répugnât à être revêtue par lui ; voulant pour lui-même une vraie chair, un vrai sang humain, avec les qualités et les faiblesses du nôtre, et cela par quelle raison ? […] Il a couru après d’une course précipitée, sautant les montagnes, c’est-à-dire les ordres des anges, il a couru comme un géant à grands pas et démesurés, passant en un moment du ciel en la terre… Là il a atteint cette fugitive nature ; il l’a saisie, il l’a appréhendée au corps et en l’âme. […] M. de Bausset se l’est demandé et y a répondu autant qu’il l’a pu, en des termes bien généraux : La nature, dit-il, l’avait doué de la figure la plus noble ; le feu de son esprit brillait dans ses regards ; les traits de son génie perçaient dans tous ses discours. […] La nature l’avait fait tendre, le dogme l’avait fait dur. » Je ne crois pas à cette contradiction chez Bossuet, la nature la plus une et la moins combattue qui nous apparaisse.

201. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poème des champs, par M. Calemard de Lafayette (suite et fin) »

Je conçois pour un poème des champs et de la nature, comme source d’inspiration principale et propre à animer le tout, deux ou même trois façons générales de voir et de sentir, trois esprits différents, et je les définirai par des noms antiques et immortels : l’esprit d’Hésiode, celui de Lucrèce, celui de Virgile. […] C’est la nature humaine dans sa vérité et sa crudité. […] L’esprit de Lucrèce, on le connaît aussi : c’est le génie de la nature puisé à sa source, embrassé dans toute sa grandeur et dans sa puissance, et aussi adoré dans sa fleur et sa vénusté. […] Il y a bien encore un peu de Delille dans tout cela ; mais il n’y a pas grand mal quand c’est du Delille revu et corrigé par la nature. […] Tout a son prix aux yeux de la critique qui sent l’art comme l’expression presque directe de la nature et de la vie.

202. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Quand vous découvrez une pensée nouvelle, il y a dans la nature une image qui sert à la peindre, et dans le cœur un sentiment qui correspond à cette pensée par des rapports que la réflexion fait découvrir. […] Les expressions abstraites qui ne rappellent en rien les mouvements du cœur de l’homme, et dessèchent son imagination, ne conviennent pas davantage à cette nature universelle dont un beau style doit représenter le sublime ensemble. […] Les pensées qui peuvent être offertes sous le double aspect du sentiment et de l’imagination, sont des pensées premières dans l’ordre moral ; mais les idées trop fines n’ont point de termes de comparaison dans la nature animée. […] Qui sait jusqu’où l’on pourra porter cette puissance d’analyse, qui, réunie à l’imagination, loin de rien détruire, donne à tout une nouvelle force, et, semblable à la nature, concentre dans un même foyer les éléments divers de la vie ? […] Il arrive sans cesse en société, lorsqu’on écoute des hommes qui ont le dessein de faire croire à leurs vertus ou à leur sensibilité, de remarquer combien ils ont mal observé la nature, dont ils veulent imiter les signes caractéristiques.

203. (1890) L’avenir de la science « IV » p. 141

La culture intellectuelle, la recherche spéculative, la science et la philosophie, en un mot, ont la meilleure de toutes les garanties, je veux dire le besoin de la nature humaine. […] Et c’est à ces superbes débordements des grands instincts de la nature humaine que vous venez tracer des limites, avec votre petite morale et votre étroit bon sens ! […] Un développement morbide et exclusif est plus original et fait mieux ressortir l’énergie de la nature comme une veine injectée qui saille plus nette aux yeux de l’anatomiste. […] Hâtez-vous donc d’embrasser ces règles et d’être heureux. » Voilà un charmant moyen pour ennoblir la nature humaine. […] La même application irrationnelle, mais énergique et belle, d’un principe de la nature humaine se remarque dans les idées des religions sur l’expiation.

204. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IV. La littérature et le milieu psycho-physiologique » pp. 126-137

Il dit, en effet, dans son Emile : « La nature ne se trompe pas. » Et « la nature » signifie là les penchants naturels au cœur humain. […] Quand Bernardin de Saint-Pierre a publié ses Etudes de la Nature, une jeune fille de Lausanne, dans un accès d’admiration, lui écrit pour lui offrir sa main. […] Scarron, le roi du burlesque, est, par une harmonie de la nature, comme eût dit plus tard Bernardin de Saint-Pierre, le burlesque incarné. […] Etudes de la nature, tome III, étude XIIe. […] Études de la nature, IV, 239.

205. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre I : Qu’est-ce qu’un fait social ? »

Mais, en réalité, il y a dans toute société un groupe déterminé de phénomènes qui se distinguent par des caractères tranchés de ceux qu’étudient les autres sciences de la nature. […] Il arrive même qu’ils nous font horreur, tant ils étaient contraires à notre nature. […] Ce qui démontre catégoriquement cette dualité de nature, c’est que ces deux ordres de faits se présentent souvent à l’état dissocié. […] On trouve de même à l’intérieur de l’organisme des phénomènes de nature mixte qu’étudient des sciences mixtes, comme la chimie biologique. […] Mais alors même que le fait social est dû, en partie, à notre collaboration directe, il n’est pas d’une autre nature.

206. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

Il n’a rien découvert, mais il a tout enflammé ; et le sentiment de l’égalité, qui produit bien plus d’orages que l’amour de la liberté, et qui fait naître des questions d’un tout autre ordre et des événements d’une plus terrible nature, le sentiment de l’égalité, dans sa grandeur comme dans sa petitesse, se peint à chaque ligne des écrits de Rousseau, et s’empare de l’homme tout entier par les vertus comme par les vices de sa nature. […] Un certain asservissement de l’esprit empêche l’homme d’observer ce qu’il éprouve, de se l’avouer, de l’exprimer ; et l’indépendance philosophique sert, au contraire, à mieux connaître, et la nature humaine, et la sienne propre. […] Phèdre vous inspire de l’étonnement, de l’enthousiasme ; mais sa nature n’est point celle d’une femme sensible et délicate. […] Défendre la patrie qui nous a proscrits, sauver la femme qu’on aime alors qu’on la croit coupable, l’accabler de générosité, et ne se venger d’elle qu’en se dévouant à la mort, quelle nature sublime, et cependant en harmonie avec toutes les âmes tendres ! […] L’harmonie de la prose, c’est celle que la nature indique d’elle-même à nos organes.

207. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Si j’avais une fille à marier ! » pp. 215-228

…) je te parle au nom de la nature, qui est la même partout, chez les civilisés comme chez les sauvages, à Constantinople comme à Paris, et que les hommes ont violée partout par des lois particulières, malheur des femmes… » Or, c’est cette nature interrogée, cette physiologie bien apprise, qui donneraient à la jeune fille de Weill, s’il avait vraiment une fille à marier, les notions nécessaires pour résister à tout, même à l’infidélité de son mari, s’il était jamais infidèle. […] On y voit, en effet (page 36), que « la concupiscence de la femme est illimitée ; (page 49) que les plaisirs de l’amour, dès qu’ils ne sont plus légitimes, exposent l’homme et la femme à d’horribles maladies ; (page 36) que la femme infidèle à un homme, par sa nature même n’est plus fidèle à aucun autre homme », ce qui n’est que la moitié du vrai, par parenthèse, car le vrai tout entier c’est que la femme n’est, de nature, fidèle à aucun homme, et ne le peut si Dieu ne l’aide pas ! […] n’oublie aucune des négations et des impossibilités de la nature de la femme ; seulement, il oppose cette nature très positive, qu’elle sent en elle, à la grande Nature vague, qu’elle n’a jamais vue ni entendue, et qui lui dit, par la bouche de monsieur son père, qu’elle « a voulu (elle, la grande Nature !) […] Faux en métaphysique, si on peut dire qu’il y ait de la métaphysique dans ces bigarrures de philosophie sans étoffe ; — faux en morale, puisqu’il la fait naturelle ; — et faux en conception du rôle social de la femme, qui n’est plus qu’un rôle physiologique, car l’idéal est imposé par la nature au nom des lois physiologiques, lesquelles, pour Weill, doivent comprendre toutes les espèces de lois, il est faux encore, le plus souvent, par le style romanesco-philosophique, et, par-dessus tout cela, il n’est pas amusant !

208. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre II. Harmonies physiques. — Suite des Monuments religieux ; Couvents maronites, coptes, etc. »

Il y a dans les choses humaines deux espèces de natures placées, l’une au commencement, l’autre, à la fin de la société. […] Cette dernière nature, ou cette nature de la société, est la plus belle : le génie en est l’instinct, et la vertu l’innocence, car le génie et la vertu de l’homme civilisé ne sont que l’instinct et l’innocence perfectionnés du Sauvage. […] Entre les siècles de nature et ceux de civilisation, il y en a d’autres, que nous avons nommés siècles de barbarie. […] D’un côté, l’homme sauvage, en s’emparant des arts, n’a pas assez de finesse pour les porter jusqu’à l’élégance, et l’homme social pas assez de simplicité pour redescendre à la seule nature. […] Nous avons parlé des couvents européens dans l’histoire de René et retracé quelques-uns de leurs effets au milieu des scènes de la nature ; pour achever de montrer au lecteur ces monuments, nous lui donnerons ici un morceau précieux que nous devons à l’amitié.

209. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale. »

Ce qu’il y a de plus sacré dans la morale, ce sont les liens des parents et des enfants : la nature et la société reposent également sur ce devoir, et le dernier degré de la dépravation est de braver l’instinct involontaire qui, dans ces relations, nous inspire tout ce que la vertu peut commander. […] Le sentiment, usurpateur, veut chaque jour de nouvelles conquêtes : alors même qu’il a tout obtenu, il s’afflige souvent de ce qui manque à la nature de l’homme pour aimer ; comment supporterait-il d’être tenu volontairement à une certaine distance ? […] La base principale d’un tel lien, l’ascendant du devoir et de la nature, ne peut être anéanti ; mais dès qu’on aime ses enfants avec passion, on a besoin de toute autre chose que de ce qu’ils vous doivent, et l’on courre, dans son sentiment pour eux, les mêmes chances qu’amènent toutes les affections de l’âme : enfin, ce besoin de réciprocité, cette exigence, germe destructeur du seul don céleste fait à l’homme, la faculté d’aimer, cette exigence est plus funeste dans la relation des parents avec les enfants, parce qu’une idée d’autorité s’y mêle, elle est donc par la même raison plus funeste et plus naturelle ; toute l’égalité qui existe dans le sentiment de l’amour suffit à peine pour éloigner de son exigence l’idée d’un droit quelconque ; il semble que celui qui aime le plus, par ce titre seul, porte atteinte à l’indépendance de l’autre ; et combien plus cet inconvénient n’existe-t-il pas dans les rapports des parents avec les enfants ? […] Sans cesse la main de fer de la destinée repousse l’homme dans l’incomplet, il semble que le bonheur est possible par la nature même des choses, qu’avec une telle réunion de ce qui est épars dans le monde, on aurait la perfection désirée ; mais dans le travail de cet édifice, une pierre renverse l’autre, un avantage exclut celui qui doublait son prix ; le sentiment dans sa plus grande force est exigeant par sa nature, et l’exigence détruit l’affection qu’elle veut obtenir. […] La conclusion que j’ai annoncée, c’est que les âmes ardentes éprouvent par l’amitié, par les liens de la nature, plusieurs des peines attachées à la passion, et que par-delà la ligne du devoir et des jouissances qu’on peut puiser dans ses propres affections, le sentiment, de quelque nature qu’il puisse être, n’est jamais une ressource qu’on trouve en soi, il met toujours le bonheur dans la dépendance de la destinée, du caractère, et de l’attachement des autres.

210. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Introduction »

Tous les règnes de la nature n’ont-ils pas leurs images dans notre pensée, où se fait une classification plus ou moins exacte des êtres, une reproduction plus ou moins fidèle de leurs types et du plan que réalise l’univers ? […] Le platonisme se figurait des modèles éternels sur lesquels la nature règle la production des êtres, comme l’artiste règle son œuvre sur un idéal préconçu. […] C’est, précisément ce qui fait que notre pensée enveloppe en elle de quoi comprendre la nature et tout ce qui nous est inférieur ; en ce sens, on peut dire que, pour apprendre, il suffit de nous souvenir, non pas, comme croyait Platon, d’un monde intelligible, mais du monde sensible. Chacun de nous résume et exprime en soi les différents règnes de la nature, avant d’entrer dans le règne humain. […] La première est naturaliste ; elle consiste à représenter la pensée comme le reflet ou l’enregistrement passif des objets extérieurs et des lois de la nature, auxquelles elle n’aurait aucune part : c’est la forme de l’objet qui explique seule celle de l’image dans le miroir.

211. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Millet pour faire la découverte de la nature. […] La nature est bien vieille quoique toujours jeune, et l’art date de loin. […] D’ailleurs, ce qui confirme ce jugement, c’est que le sujet mis à l’étude est la nature, et que la nature ne change point. […] Après avoir dépeint, à satiété, les passions suivant la nature, nos auteurs, à la mode, en arrivent à celles contre nature. […] En somme, la nature ne permet pas qu’on pénètre ainsi ses secrets.

212. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

Bref, cela paraît un des crimes par excellence contre la nature, — contre cette nature dont Jean-Jacques est l’apôtre. […] De quelle « nature » nous parle donc Rousseau ? […] la nature ! […] — L’opposition de la nature et de la société, et que la société a corrompu la nature. […] La nature et la société ne sont donc plus ennemies ?

213. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

Ces libertins du monde n’avaient pas de doctrine arrêtée : ils se moquaient des mystères et des dévots, affichaient la tolérance, prétendaient suivre seulement la raison et la nature, et vivaient en gens pour qui c’est raison de satisfaire à leur nature. […] Le cartésianisme fit des chrétiens apparents, en faisant des philosophes qui croyaient à Dieu, à l’âme immortelle, à la supériorité infinie de la nature spirituelle sur la nature corporelle (ce qui établissait une hiérarchie très nette des plaisirs). […] Jésus-Christ est rédempteur, réparateur : à la nature déchue et misérable, il apporte le salut, le pardon. […] Ou bien qu’on lise ceci : « Quelle est donc cette nature sujette à être effacée ? La coutume est une seconde nature qui détruit la première.

214. (1888) Poètes et romanciers

L’un chante la nature souriante et la volupté d’Épicure, l’autre la Nature austère et la recherche de l’invisible. […] L’humanité rentre sous l’empire de la Nature. […] Victor Hugo a fait de la nature et de Dieu. […] À défaut de bonté, la Nature a de la prudence. […] La passion exalte la nature et ne la détruit pas.

215. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Tout ce qui ne vient pas de notre nature, nous vient de là. […] Ce n’est plus seulement la nature, mais ce sont les pierres. […] Nous adresser à la nature ? compter sur la sensibilité de la nature ? […] Mais la nature, c’est justement l’insensibilité.

216. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

La sensation, de sa nature est subjective. […] Tout dans la nature est vivant, est animé. […] Quelle est la nature de cet être inconscient ? […] Cherchons donc maintenant quelle est sa nature propre. […] Nous pouvons nous servir de ces mêmes expressions pour caractériser l’instinct et l’habitude : le premier est la nature « naturante », la nature naturelle ; le second, la nature acquise, la nature « naturée ».

217. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

La nature, et rien que la nature, peut en effet réussir à démêler la grande destinée du monde… La nature, la nature humaine dicte la loi aux deux sœurs, culture et civilisation : Dans la mesure où je suis contenue en vous, leur dit-elle, vous vivrez et fleurirez ; dans la mesure où je ne suis pas en vous, vous périrez et vous dessécherez. […] Nous parlons à l’artiste comme Schopenhauer à la Nature. […] Il est la Nature ; il est par conséquent aussi la Musique, puisque Nature et Musique sont une et même chose sous des aspects différents. […] Son art prend la place de la nature ; il est la nature retrouvée. […] Il est le premier qui ait montré clairement la nature du rythme.

218. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « De la poésie et des poètes en 1852. » pp. 380-400

Brizeux est un poète d’élite et qui compte : c’est une nature individuelle très fine et très marquée. […] Lacaussade, qui sent profondément cette nature tropicale, a mis sa muse tout entière au service et à la disposition de son pays bien-aimé. […] Jeune, mais déjà mûr, d’un esprit ferme et haut, nourri des études antiques et de la lecture familière des poètes grecs, il a su en combiner l’imitation avec une pensée philosophique plus avancée et avec un sentiment très présent de la nature. […] la nature est vide et le soleil consume : Rien n’est vivant ici, rien n’est triste ou joyeux. […] M. de Laprade a fort convenablement loué Musset ; celui-ci ne l’appréciait nullement : il y avait antipathie de nature.

219. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

… Mais, j’en rends grâce à cette même nature, cette fibre très sensible à la douleur l’est aussi aux impressions douces et enivrantes de la vie. […] Parlez-nous de lois d’amour, et chantez-nous les bergeries de la nature et les maternités de la Providence ! […] Ce serait triste, mais on ne serait du moins ni fou, ni trompé devant la nature. […] Telle nature, tel style ; voilà, selon moi, un incontestable axiome de haute littérature. […] « Quelle forme de toi n’avilit ma nature ?

220. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Tout autre serait une avarice de nature tragique. […] Entre la nature et nous, que dis-je ? […] Mais de loin en loin, par distraction, la nature suscite des âmes plus détachées de la vie. […] Mais c’est trop demander à la nature. […] Il donne à la nature sa revanche sur la société.

221. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

La science est l’étude de la nature, et la nature est immorale. […] Elle désire, ce qui n’est pas la même chose, vivre selon sa nature, et sa nature n’est pas de vivre d’accord. […] Il nous agrée que la nature soit faite comme l’humanité ou l’humanité comme la nature. […] A la nature géologique ? […] Par exemple, il s’agit d’expliquer par les lois de la nature animale les lois de la nature humaine.

222. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

Ces grands artistes font « poser » la nature devant eux ; Lamartine, non. […] Le poète allègue les gloires de la Suisse, et l’âme de Rousseau, que cette nature a nourrie et formée. […] Nulle part (jusqu’à présent du moins) Lamartine n’identifie explicitement Dieu et la Nature. […] Et toi, Nature, Souris longtemps sur mon tombeau ! […] Quel mouvement sans but agite la nature ?

223. (1860) Ceci n’est pas un livre « Le maître au lapin » pp. 5-30

Il faut être d’une nature bien perverse pour imaginer de pareilles choses !  […] La nature contient un élément poétique, puisque l’âme est remuée, puisque notre cœur se trouble, puisque notre esprit devient songeur aux spectacles qu’elle nous offre. […] Et cependant, pour que la nature nous apparaisse dans son entière vérité, son élément poétique doit nécessairement être reproduit. […] Les plus minces détails — quelle petite chose n’est intéressante dans la nature ?  […] Aussi insensible que la nature mourante, l’homme mourant ne voit pas le Christ ; la créature expirera sans une prière, sans une élévation d’âme : la Mort a tué jusqu’à l’espérance !

224. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Quelque terne que soit le signalement qu’il donne, quelque bizarre et hors nature le type qu’il entend représenter, d’une phrase, d’un monologue, d’un récit rapporté et interjeté, la nature morale particulière qu’il veut montrer apparaît dans tous les détails de sa configuration individuelle. […] Toute leur nature se témoigne ainsi souvent d’un coup, parce qu’elle est en général, sinon très simple, du moins invariable et très outrée. […] L’inanimé et l‘irresponsable, la nature, les cieux et la mer, les drames changeants que jouent en ce théâtre la lumière, les nuages et la nuit, n’ont pas d’attrait pour lui. […] Un sentiment de colère n’est pas l’examen, la classification, l’analyse de l’être ou de la chose qui cause la colère ; c’est exactement et uniquement le sentiment que l’on est en colère ; et ce sentiment est si homogène de sa nature, varie si peu de qualité, qu’on peut le comparer, grossièrement, aux états physiques permanents, à une note tenue, ou mieux encore à l’écoulement d’une veine liquide qui peut varier de calibre et d’impulsion, mais non de nature. […] Elles peuvent s’affaiblir et se renforcer, elles ne cessent qu’après avoir atteint le degré d’intensité requis par la circonstance et toléré par la nature de celui qui les éprouve.

225. (1914) L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature. Leçons professées à l’École normale supérieure

Comme ses intentions ont changé de nature, elles ont changé aussi de juridiction. […] Même, en un certain sens, tout n’est-il pas dans la nature ? […] Recommander l’imitation de la nature, c’est donc bien ; mais ce n’est pas dire grand’chose, si l’on ne précise à son tour la nature de l’imitation ; et — chacun de nous enfin ayant sa manière de voir, de sentir, de reproduire la nature — il faut convenir maintenant d’un principe qui restreigne, en s’y ajoutant, celui de l’imitation de la nature. […] Nous avons le droit de faire un pas de plus maintenant ; et Diderot nous prouve par son exemple, que, si l’art ne peut pas imiter la nature tout entière, c’est pour des raisons tirées de la nature même. […] En se regardant vivre et en s’anaIysant, Rousseau, comme tous les écrivains, fait deux parts de soi-même : celle de la nature en général, et de sa nature à lui, Rousseau.

226. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Nous fait-il pénétrer le moins du monde dans la nature particulière de son génie comique ? […] C’est là, comme on voit, la belle et simple nature. […] Il aimait la campagne, il aimait la nature. […] Ils ont l’air de considérer l’homme dans la nature comme un empire dans un autre empire, et l’empire même de la nature comme le jeu des secrets caprices du Destin. […] c’est sa nature, et il ne se peut refondre.

227. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Par la toute-puissance de la nature ? […] Il n’y a là aucune revanche de la nature. […] Est-ce qu’il ne suit pas la nature tout simplement ? […] Il ne contrarie pas la nature dans Agnès, il la laisse dans sa nature et c’est précisément la bêtise qu’il a faite et qu’il fait. […] Que de choses dans la nature ?

228. (1890) L’avenir de la science « IX »

Pourquoi le philologue, manipulant les choses de l’humanité pour en tirer la science de l’humanité, est-il moins compris que le chimiste et le physicien, manipulant la nature, pour arriver à la théorie de la nature ? […] Ne soulève-t-elle pas des problèmes dont la solution est aussi impérieusement exigée par notre nature que celle des questions relatives à nous-mêmes et à la cause première ? Le monde n’est-il pas le premier objet qui excite la curiosité de l’esprit humain, n’aiguise-t-il pas tout d’abord cet appétit de savoir, qui est le trait distinctif de notre nature raisonnable, et qui fait de nous des êtres capables de philosopher ? […] Il est indubitable aussi que l’apparition de l’humanité sur la terre s’est faite en vertu des lois permanentes de la nature 89 et que les premiers faits de sa vie psychologique et physiologique, bien que si étrangement différents de ceux qui caractérisent l’état actuel, étaient le développement pur et simple des lois qui règnent encore aujourd’hui, s’exerçant dans un milieu profondément différent. […] Lois qui ont produit cette apparition, laquelle se continue encore dans les recoins de la nature  Il faudrait, pour aborder ce côté de la question, posséder à fond la physiologie comparée, et être capable d’avoir un avis sur la question la plus délicate de cette science.

229. (1892) Boileau « Chapitre II. La poésie de Boileau » pp. 44-72

Mais il rend ce qu’il a perçu de la nature, comme il l’a perçu. […] Qu’avait-il donc vu de la nature ? […] Mais, en somme, la nature resta toujours pour lui une étrangère. […] Boileau ne pouvait ni saisir l’âme de la nature, ni y répandre la sienne. […] La nature est vraie, et d’abord on la sent.

230. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

Prenons pour exemple le paysage : il nous apparaîtra comme une association entre l’homme et les êtres de la nature. […] Il faut animer la nature, sans quoi elle ne nous dit rien. […] Le sentiment poétique n’est pas né de la nature, c’est la nature même qui en sort transformée en une certaine mesure. […] Il faut être déjà poète en soi-même pour aimer la nature : les larmes des choses, les lacrymae, rerum, sont nos propres larmes. […] En résumé, l’art est une extension, par le sentiment, de la société à tous les êtres de la nature, et même aux êtres conçus comme dépassant la nature, ou enfin aux êtres fictifs créés par l’imagination humaine.

231. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

On ne sort pas impunément de sa nature : ce qu’on gagne en gloire on le perd en amour. […] Le génie n’est pas de la compétence de la société, il est arbitraire comme la nature. […] C’est le mystère de la langue plus que celui de la nature. […] Le temps s’y prêtait autant que la nature toute littéraire et toute politique de l’esprit des salons. […] Une gironde aristocrate, c’était sa vraie nature.

232. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Ce n’est pas que les sciences de la nature ne fournissent des données tout aussi philosophiques. […] L’idée de l’infini est une des plus fondamentales de la nature humaine, si elle n’est pas toute la nature humaine ; et pourtant l’homme ne fût point arrivé à comprendre dans sa réalité l’infini des choses, si l’étude expérimentale du monde ne l’y eût amené. […] Le physicien est le critique de la nature ; le philosophe est le critique de l’humanité. […] Ce Dieu isolé de la nature, cette nature que Dieu a faite ne prêtent point à l’incident et à l’histoire. […] L’œuvre belle est celle qui représente, sous des traits finis et individuels, l’éternelle et infinie beauté de la nature humaine.

233. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

La science, l’étude de la nature et de la physique, tint de tout temps une grande place dans sa vie et dans sa pensée. […] Le profit que Gœthe tira de l’étude de la nature devait être moins direct qu’indirect, moins public qu’individuel, et servir moins à sa gloire qu’à son perfectionnement. […] C’était l’étude de la nature qui lui avait appris la large méthode ; la nature avait été son livre : « Avec elle, disait-il, nous avons affaire à la vérité infinie, éternelle, et elle rejette aussitôt comme incapable tout homme qui n’observe pas et n’agit pas toujours avec une scrupuleuse pureté. […] C’était là quelque chose de contraire à ma nature, et j’aurais été un misérable gueux si j’avais fait des mensonges aussi hypocrites. […] Je croyais à Dieu et à la Nature, au triomphe de ce qui est noble sur ce qui est bas ; mais ce n’était pas assez pour les âmes pieuses… Et en politique, que n’ai-je pas eu à endurer !

234. (1890) L’avenir de la science « V »

Appliquée à la nature, elle en a détruit le charme et le mystère, en montrant des forces mathématiques là où l’imagination populaire voyait vie, expression morale et liberté. […] Il n’y a pas un seul anneau de cette chaîne qu’on ait été libre un instant de secouer ; le seul coupable en tout cela, c’est la nature humaine et sa légitime évolution. Or, le principe indubitable, c’est que la nature humaine est en tout irréprochable et marche au parfait par des formes successivement et diversement imparfaites. […] Nous en avons pour garant la plus invincible des inductions, tirée de l’exemple des sciences de la nature. […] Car je le défie, dans l’état actuel de l’esprit humain, de faire concorder tous les éléments de la nature humaine.

235. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Examen du clair-obscur » pp. 34-38

Moyen technique de s’assurer si les figures sont ombrées sur le tableau comme elles le seraient en nature : c’est de tracer sur un plan celui de son tableau, d’y disposer des objets soit à la même distance que ceux du tableau, soit à des distances relatives, et de comparer les lumières des objets du plan aux lumières des objets du tableau. […] Voilà peut-être un cas où il ne faut plus peindre la nature. […] Parce qu’ils se trouvent plus souvent dans la scène de la nature qu’on se propose d’imiter qu’ils ne s’y trouvent pas. […] Voilà la belle peinture, voilà la véritable imitation de la nature. Je suis par rapport à ce tableau ce que je suis par rapport à la nature que le peintre a prise pour modèle.

236. (1914) Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne pp. 13-101

Ils ne s’excluent ni dans la nature ni dans cette autre nature qu’est la grâce. Ni dans la nature ni dans cette deuxième et supérieure nature qu’est la nature de la grâce. […] Les natures qui sont bons pour le péché sont de la même nature, du même règne que ceux qui sont bons pour la grâce. […] C’est une question de nature et d’essence. […] C’est une question de nature ou de factice.

237. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

Cherchez l’immortalité dans l’amour et la divinité dans la nature. […] L’art n’est plus le copiste mais le rival de la nature. […] L’éternelle nature s’offre tour à tour sous divers aspects aux hommes que le temps dans son cours entraîne devant elle. […] Les images des objets réels ne sont pour vous que des moyens : la nature vous fournit la couleur : c’est à vous de conduire la brosse. […] Ce que vous devez y tracer, ce n’est pas la nature elle-même, c’est l’impression vive, profonde, originale, poétique en un mot, que cette nature a dû produire en vous.

238. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Oui, c’est dans ce siècle, c’est lorsque l’espoir ou le besoin du bonheur a soulevé la race humaine ; c’est dans ce siècle surtout qu’on est conduit à réfléchir profondément sur la nature du bonheur individuel et politique, sur sa route, sur ses bornes, sur les écueils qui séparent d’un tel but. […] Enfin, je terminerai cet ouvrage par des réflexions sur la nature des constitutions représentatives, qui peuvent concilier une partie des avantages regrettés dans les divers gouvernements. […] Il faudrait d’abord, en analysant les gouvernements anciens et modernes, chercher dans l’histoire des nations ce qui appartient seulement à la nature de la constitution qui les dirigeait. […] Après avoir bien établi l’importance première de la nature des constitutions, il faudrait prouver leur influence par l’examen des faits caractéristiques de l’histoire des mœurs, de l’administration, de la littérature, de l’art militaire de tous les peuples. […] Ces considérations, et beaucoup d’autres, conduiraient à un développement complet de la nature, et de l’utilité des pouvoirs héréditaires, faisant partie de la constitution ; et de la nature, et de l’utilité, des constitutions composées uniquement de magistratures temporaires.

239. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Le Brun »

Mais en même temps, chez ces individus de nature fortement originale, ces idées précoces restent fixes, abstraites, isolées, déclamatoires. […] Il faudra les plaindre, et tenir compte, en les jugeant, de la nature des temps et de la leur. […] Ses habitudes de domesticité trouvent moyen de se concilier avec sa nature énergique. […] Patriotisme, adoration de la nature, liberté républicaine, royauté du génie, telles sont les sources fécondes et retentissantes auxquelles Le Brun d’ordinaire s’abreuve. […] On verra en lui un de ces hommes d’essai que la nature lance un peu au hasard, un des précurseurs aventureux du siècle dont a déjà resplendi l’aurore.

240. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Rodolphe Topffer »

Ce merveilleux talent d’artiste ne se réservait en rien pour le public, et il continuait de se dépenser en nature autour de lui. […] Quand on est moraliste et qu’on n’observe que des hommes faits, on court risque de tourner au La Rochefoucauld et au La Bruyère ; si le regard se reporte au contraire sur une jeunesse honnête et chaque jour renouvelée, on garde la fraîcheur du cœur jusque dans la connaissance du fond, la consolation dans les mécomptes, une vue plus juste de la nature morale dans ses ressources et dans son ensemble. […] Calame, le sévère paysagiste, qui le premier abordait par son pinceau les hautes conquêtes alpestres tant rêvées par son ami, venait dîner les dimanches d’hiver avec lui ; entre ces deux hommes de franche nature, auxquels se joignait quelquefois M.  […] On peut dire de lui ce que l’auteur a dit de certains dessinateurs d’après nature, qu’il réussit à exprimer ses vues et ses impressions « sinon habilement, du moins avec une naïveté sentie, avec une gaucherie fidèle. » L’habileté est de la part de l’auteur qui se cache si bien derrière. […] Toutes les scènes qui se rapportent à la mort de Rosa sont d’une haute beauté morale ; il sera sensible à tout lecteur que celui qui les a si bien conçues et représentées travaillait, lui aussi, en vue du sujet même, c’est-à-dire du suprême instant et qu’il peignait d’après nature.

241. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Ce que tout le monde sait sur l’expression, et quelque chose que tout le monde ne sait pas » pp. 39-53

Quelquefois aussi on la reçoit de la nature, et il faut bien la garder comme on l’a reçue. […] Il faut avoir étudié le bonheur et la misère de l’homme sous toutes ses faces ; des batailles, des famines, des pestes, des inondations, des orages, des tempêtes ; la nature sensible, la nature inanimée, en convulsions. […] Sachez donc ce que c’est que la grâce, ou cette rigoureuse et précise conformité des membres avec la nature de l’action. […] Qu’arrivait-il de là : car après tout, le poète n’avait [rien] révélé ni fait croire ; le peintre et le sculpteur n’avaient représenté que des qualités empruntées de la nature ? […] Ce serait ici le moment de traiter du choix de la belle nature.

242. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VIII. »

Avait-il, comme l’indique un rhéteur du quatrième siècle, composé des hymnes en l’honneur de la nature, ὕμνους φυσιολογικούς, c’est-à-dire des chants de louange et d’admiration sur les éléments et les principes des choses, tels que la science novice les concevait alors ? […] Cette idée même se concilie facilement avec les débris qui nous restent d’un poëme de Parménide sur la Nature. […] Ou plutôt de la contemplation de la nature n’avait-il pas détaché le principe d’un Dieu tout spirituel, d’une intelligence absolue et suprême ? […] Hormis le mensonge des dernières paroles, les merveilles dont se vante ici le poëte physicien n’excèdent pas ce que l’observation et, sur quelques points, la prescience des phénomènes de la nature pouvaient lui suggérer de conseils utiles aux laboureurs et aux pâtres de Sicile. […] Dans son explication des forces vives de la nature, dans son double principe d’affinité et d’antipathie, de réunion et de séparation, d’où il fait sortir l’harmonie et la durée de l’univers, il paraît avoir affecté de combattre ceux qu’on appelait dès lors les athées, et qui réduisaient tout à la matière.

243. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Le peintre a ainsi associé une tourmente de la nature à un acte criminel. […] Tous les arts se rejoignent et ont pour point de départ commun les lois mêmes de la nature. […] Le comédien, malgré lui, sans d’ailleurs qu’il en ait conscience, est la proie d’une personnalité qu’il revêt trop souvent et dont la nature composée se substitue peu à peu par l’habitude à sa propre nature. […] C’est en somme le triomphe de l’être humain sur la nature, de l’intelligence sur la matière. […] Cet acteur, c’est le poète lui même, dont l’âme anime la nature inanimée.

244. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre IV. — Molière. Chœur des Français » pp. 178-183

Représentation de la nature humaine244, l’art comique a pour condition la science des traits éternellement communs de l’humanité245. Ses personnages, élevés du particulier au général, résument en eux des catégories entières ; ils participent de la nature immuable et essentielle de l’homme, un hypocrite a quelque chose de l’hypocrisie absolue, un jaloux, quelque chose de la jalousie absolue ; leur nom propre devient un substantif commun ; ils sont de tous les pays, et demeurent à jamais contemporains des générations qui se succèdent246. […] S’il existait quelque part un être isolé, qui ne connût ni l’homme de la nature, ni l’homme de la société, la lecture de ce grand poète pourrait lui tenir lieu de tous les livres de morale et du commerce de ses semblables253. […] Il a étudié la nature humaine d’après une méthode plus arrêtée et plus philosophique263. […] La vraie comédie doit arriver au plaisant par le sérieux, et faire jaillir le ridicule des profondeurs de la nature humaine272 Il faut que son dénomment décèle une utilité morale, et laisse voir le philosophe caché derrière le poète273.

245. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

C’est la loi de la société humaine comme de la nature et, dans la société comme dans la nature, l’histoire constate que, de l’état primitif et barbare à l’état de civilisation, — en dépit de souvent graves mais toujours partiels retours en arrière, — cette marche est ascendante, progressive, du mal au bien, du bien au mieux. […] Que lui ajouter, que lui retrancher, sans altérer sa nature ? […] Mais les amplitudes de ses oscillations demeurent constantes et — pendule de spéciale nature — égales ! […] De nature, d’essence, l’Art est religieux. […] Déesses au seul cœur, Nature et Mort jumelles, Car nul n’a plus que moi désiré le saint jour Où vous nous donnerez enfin l’ordre fidèle, Mort et Nature originelles, du Retour.

246. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Beaucoup d’hommes du Nord (car Oberman a un sentiment admirable de la nature, de celle du Nord en particulier) ont répondu avec transport à la lecture du livre de M. de Sénancour ; Oberman vit dans les Alpes, et la nature alpestre, comme l’a dit M. Ampère, est en relief ce qu’est la nature de Norvége en développement. […] Les Rêveries sur la nature primitive de l’Homme  parurent en 1799. […] Cette expression résume sa nature. […] La grâce de la nature est dans le mouvement d’un bras ; l’harmonie du monde est dans l’expression d’un regard.

247. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

L’incomplet immense est dans la nature. […] Le grand silence de la nature heureuse emplissait le jardin. […] Vous êtes dans l’erreur : ils ont été des révoltés contre la nature. Furieux de trouver la nature en opposition avec leur système platonique de société, ils ont perdu la tête et ils ont fait le coup d’État contre la nature. […] et qu’avant d’énoncer sa théorie du progrès sans limites, il étudie profondément la force des choses, la loi de la nature, incommutable comme la nature elle-même.

248. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

Jocelyn : comment il peint la nature. — 3. […] La nature donc n’a rien qui le blesse : elle « est là qui l’invite et qui l’aime ». […] Un incurable optimisme emplit ce poème : tout passe, et nous passons ; nous souffrons, nous saignons ; et la nature est impassible. […] La nature n’a pas besoin d’amour ; elle est insensible : ce qui passe et ce qui pleure a besoin d’amour. […] Son voyage en Espagne l’y aida puissamment : jusque-là enfermé dans Paris, c’était la première fois qu’il voyait largement la nature.

249. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

Seroit ce une marche constante de la Nature ? […] La nature ! la nature ! […] Et qu’est-ce que la nature ? […] Ses tableaux offrent la largeur & la maniere libre de la Nature elle-même.

250. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Comment s’opère chez elle le contact avec la Nature ? […] Et nous allons voir que l’auteur d’Occident possède une incontestable nature de poète. […] La vraie nature a repris ses droits. […] Mais faut-il pas qu’en dernier ressort la Femme fasse retour à sa nature ? […] Tous leurs gestes s’humilient devant la loi de Nature qui créa la hiérarchie des sexes en amour.

251. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Or Chateaubriand, qui avait reçu de la nature tant de dons du talent, n’avait pas reçu ce complément de ces qualités qu’on appelle le don des vers. […] Voilà comme le critique se trompe, surtout quand il veut avoir plus d’esprit que la nature. Défions-nous des hommes d’esprit qui entendent malice à la nature ! […] Les démocrates l’adoraient de loin ; ils devinaient en lui, car il avait trop d’orgueil pour l’avouer, un contempteur de leur nature. […] L’aristocratie du style confessait en lui l’aristocratie de la nature.

252. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Je suis tenté, je l’avoue, d’avoir du respect pour tout ce qui prend sa source dans la nature. […] On sent que ce n’est pas ainsi qu’agit la nature. […] D’ailleurs, il y a bien moins de variété dans les passions propres à la tragédie que dans les caractères individuels tels que les crée la nature. […] La destruction les remet, en passant sur elles, en rapport avec la nature. […] Quoi de plus simple que d’imaginer que cet effort de la nature pour pénétrer en nous n’est pas sans une mystérieuse signification ?

253. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Lamartine »

C’est, à son début dans la vie, le naturel en action de cet homme qui est bien plus que naturel, qui est tout nature, qui ne cessera jamais de l’être, et qui, quand un jour il deviendra sublime, sera, sans cesser d’être naturel, idéal. […] Sa nature était l’idéal même. […] Parce qu’il était élevé, les esprits bas, qui sont si fins, le disaient niais, et Chateaubriand, Chateaubriand lui-même, le Méprisé des Naturalistes de notre âge, un jour l’appela « un grand dadais », parce qu’il voyait beau et grand, cet homme qui, en la regardant, grandissait la nature, mais qui ne la méconnaissait pas ! […] Faculté non de dupe, mais de poète, faculté enchanteresse et qu’il eut toujours, et non pas seulement dans ses vers, où la nature est plus belle que la réalité, mais dans la vie et même dans la vie politique, où sa nature de poète l’égara. […] Réfugié en Suisse pendant les Cent-Jours, il y vécut tête-à-tête avec la Nature, en face des lacs qu’il a chantés comme personne ne les chantera plus, aussi nature lui-même que cette nature !

254. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

La nature ne connaît ni le rire ni la fantaisie. […] Non, son esprit est tout à lui et tient à sa nature entière. […] « La nature », s’écrie-t-il, « ne veut pas la mort. […] La vérité est que j’en sais trop long sur la nature humaine. […] Son mépris de la nature féminine est la confession mystérieuse de son cœur.

255. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

Autant vaudrait dire, selon moi : Qu’est-ce que la nature ? […] Ce qui est poésie dans la nature physique ou morale, et ce qui n’est pas poésie, se fait reconnaître à des caractères que l’homme ne saurait définir avec précision, mais qu’il sent au premier regard et à la première impression, si la nature l’a fait poète ou simplement poétique. […] Cependant ou peut, si l’on veut, classer les genres de poésie par leur nature. […] Nous diviserons donc, comme la nature, par générations de génie ou par époques. […] Les grands poètes se rencontrent égaux en dessin et en couleur devant leur éternel modèle la nature, à travers tous les siècles, toutes les mœurs, toutes les langues.

256. (1885) L’Art romantique

Pour parler exactement, il n’y a dans la nature ni ligne ni couleur. […] La nature a été, dans les deux cas, une pure excitation. […] G., qui est, par nature, très voyageur et très cosmopolite. […] La fantasmagorie a été extraite de la nature. […] La nature embellit la beauté !

257. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

Jugez après cela si l’on peut bien raisonner, quand on conclut que puisqu’une chose sort du fond de la nature, qu’elle est un instinct de la nature, elle est véritable ?  […] N’a-t-il pas fallu que les lois divines et les lois humaines refrénassent la nature ? […] La nature est un état de maladie. » […] Telle est, par exemple, l’idée de l’immutabilité des lois de la Nature. […] On veut pénétrer « les secrets de la nature » — la nature qu’on voit, la nature qu’on touche, — et le Cours de chimie du pharmacien Lémery « se vend comme un ouvrage de galanterie ou de satire ».

258. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (3e partie) » pp. 365-427

tout, excepté ce qui intéresse l’homme, la nature et Dieu. […] puis, poussé de nouveau par l’instinct de l’infini qui est en moi, je me relève et je célèbre en balbutiant les miracles de ta nature. […] Sa nature est de l’ignorer, son instinct est de le découvrir toujours !  […] Elle scrute la nature sous sa double forme matérielle et morale. […] On se rend fort bien compte de la nature de ces soutiens et de leur façon de croître, quand on examine une série de jeunes sujets d’âges différents.

259. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

Nous devons avouer que l’homme absolu n’existe pas dans la nature. […] Dans une telle époque certes c’est par un miracle qu’un art peut encore exister ; l’art est le prophète d’une humanité idéale, mais il représente comme un idéal la plus noble image de la nature humaine. Et si nous, hommes vivants, nous regagnions la pure force, la beauté et la dignité de cette nature, nous serions, aussi, bons et nobles et chrétiens ; car le chemin qui mène à cette nature n’est pas un recul, mais une marche vers les hauteurs sur des degrés spirituels dans une sphère morale ; et ce n’est pas une marche de la tête mais du cœur ; et la religion secrète qui oblige le cœur à une telle marche spirituelle vers l’idéal, c’est le Christianisme. […] Avec l’harmonie de l’art Wagnérien résonné l’harmonie de l’humanité idéale ; c’est la race Aryenne qui se retrouve, non plus comme la race barbare de la nature héroïque, mais comme la race chrétienne de la culture idéale. […] Wotan, la force première de la volonté dans la Nature, ne peut que renoncer à ce monde en renonçant à sa propre existence ; et l’apparition la plus noble et la plus pure, qui refuse à la nature, par son non-savoir, ce qui lui est dû, doit périr avec ce monde égoïste.

260. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Heureux, il redevient amoureux ; voilà la nature. […] C’est se tromper étrangement sur la nature humaine. […] Voilà la nature. […] C’est que Beaumarchais les a pris dans la nature et dans la société française. […] Non ; la vérité morale ne le voudrait pas et la nature s’y oppose.

261. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

Il faut noter ici que, sous l’inspiration des femmes-poètes, le sens de la nature s’est métamorphosé. […] Mais on peut définir sa poésie, une tentative d’adaptation, d’identification parfaite avec la nature. […] Elle percevra mieux le bruit de son cœur, mêlé à l’orchestration de toutes les autres palpitations de la nature. […] L’amour de la nature est ici une transposition de l’amour sensuel, qui demeure à l’étape du désir. […] Elle n’emprunte ses images à la nature que pour exprimer des états de sentiment.

262. (1892) Boileau « Chapitre VI. La critique de Boileau (Fin). La querelle des anciens et des modernes » pp. 156-181

Je n’ai qu’à comparer ma connaissance avec les ouvrages des anciens, pour dégager la nature universelle qui est l’objet de l’art. […] Ce grand mot de nature une fois prononcé, l’objectivité, l’impersonnalité, la réalité s’imposaient à l’œuvre d’art. […] Au contraire Racine, Molière, La Fontaine ont tous dans l’esprit un idéal d’art, un type formel où la nature s’exprime dans son énergie et son caractère, mais de plus se revêt d’une absolue beauté. […] Chez Aristote, Boileau trouvait formulé ce grand principe de l’imitation de la nature, base commune de tous les arts, qui ne diffèrent que par le choix des objets, des moyens, et par le caractère de leur imitation : il est vrai que, ce principe posé, Aristote exposait surtout comment l’art transforme la nature, en vue de nous procurer le plaisir qui lui est propre. […] Toute cette exquise partie de la Lettre à l’Académie, où Fénelon traite de la poésie, aboutit là : les anciens respectent plus la nature et se font une plus haute idée de l’art que les modernes.

263. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « Introduction »

L’humble soumission au pouvoir divin, au monarque céleste et terrestre leur parut l’unique destin de l’homme, qui ne pouvait pas même demander l’oubli de son servage à la nature, abîme grouillant de tentations et de péchés. […] Mais le moyen-âge, dans sa foi solide et naïve, ignorait cette loi du monde moral : que toute compression engendre une dilatation, la Nature refoulée pendant des siècles, fit un jour irruption, en dépit des barrières. […] Des impulsions de la nature au cœur de l’homme est sorti le salut, c’est-à-dire le réveil du corps, du cœur, du cerveau. […] Dès qu’il a connu la nature, l’homme a rejeté l’artificiel divin autrefois imposé à son ignorance. […] Affranchissement de l’individu, retour aux voies de nature, acheminement de l’humanité vers sa propre conscience, telles sont les grandes lignes du nouveau devenir.

264. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7172-17709

Mais ce n’est encore ici qu’une mal-adresse indépendante de la nature intrinseque de l’institution des genres. […] Les uns sont d’une verité immuable & d’un usage universel ; ils tiennent à la nature de la pensée même ; ils en suivent l’analyse ; ils n’en sont que le résultat. […] comment pourroit-il se faire que l’usage des langues s’accordât toûjours avec les vûes générales & simples de la nature ? […] Les deux prépositions élémentaires servent à indiquer avec plus d’énergie la nature de la chose nommée. […] La dérivation philosophique sert à l’expression des idées accessoires propres à la nature d’une idée primitive.

265. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Mais avec le christianisme, l’esprit pénétra jusqu’au fond de sa nature spirituelle. […] Or la tragédie sort par là de sa véritable nature, et touche aux confins du comique. […] Comment retrouver l’idéal perdu de la nature libre et du grand homme ? […] que ne peut-il faire résonner dans la nature entière la trompette de la révolte ? […] Cette harmonie se réalise par l’union de la nature divine et de l’individualité humaine.

266. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

Arrêtons-nous un moment à l’écouter sur ce point, et recueillons ses doctrines littéraires qu’il sut mettre en parfait accord avec la nature et la saveur de ses productions. […] Selon lui, la nature n’est pas en affaiblissement ni en décadence, quoi qu’en disent les partisans exagérés de l’Antiquité : Non, monsieur, la nature n’est pas sur son déclin : du moins ne ressemblons-nous guère à des vieillards ; la force de nos passions, de nos folies, et la médiocrité de nos connaissances, malgré les progrès qu’elles ont faits, devraient nous faire soupçonner que cette nature est encore bien jeune en nous. […] À chaque époque il y a donc de nouvelles façons de penser possibles et nécessaires, et toutes ne sont pas épuisées, pas plus que les airs que la nature trouve à varier à l’infini dans le composé des physionomies et des visages. […] c’est donc par sa nature même et par son tour d’esprit, par la conformation ingénieuse, mais minutieuse aussi et méticuleuse, de son talent. […] Dans les conseils à demi honnêtes, à demi intéressés, qu’elle donne à Marianne ; dans une certaine scène où elle se querelle avec un cocher de fiacre, il y a une imitation minutieuse de la nature triviale : mais, le dirai-je ?

267. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Elle sentait l’art et la nature comme on ne les sent qu’en Italie ; mais ce sentiment, commencé à l’italienne, se traduisait, se terminait trop souvent en vapeurs et en brouillards, non sans avoir passé par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. […] Il appelait ces pages de Bettina les « évangiles de la nature » : « Continue de prêcher, lui disait-il, tes évangiles de la nature. » Il se sentait le dieu fait homme de cet Évangile-là. […] Léonidas et Pascal, surtout le dernier, il n’est pas bien sûr qu’il ne les ait pas considérés comme deux énormités et deux monstruosités dans l’ordre de la nature. […] Bettina a beau se faire Allemande autant que possible, elle ne peut se contenter tout à fait de cette vénération esthétique et idéale qui ne suffit pas à la nature. […] Ces conversations de Beethoven sont admirablement rendues par Bettina : la naïveté d’un génie qui a le sentiment de sa force, qui dédaigne son temps et a foi en l’avenir, une nature grave, énergique et passionnée, s’y peignent en paroles mémorables.

268. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

Chagrin et méditatif par nature ou par suite de l’abandon de son père, il inspira de l’intérêt à un oncle maternel, la seule personne de sa famille qui le visitât quelquefois. […] Voulant que le chameau habitât un pays où il ne trouverait que peu de nourriture, la nature a économisé la matière dans toute sa construction. […] Description complète et parfaite d’après nature, qu’envierait Cuvier et qui laisse en arrière celle de Buffon ! […] De même, quand il considère la nature, il ne se desserre point le cœur, il ne s’ouvre jamais avec plénitude à l’impression tranquille et sereine de ses grandeurs et de ses beautés. […] Ce moraliste qui se piquait d’être sans illusion se trouva pris au dépourvu sur la nature humaine.

269. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIV : Récapitulation et conclusion »

Mais ce que nous pouvons faire et ce que nous faisons, c’est de choisir les variations que la nature produit et de les accumuler dans la direction qui nous plaît. […] Il est aisé de voir pourquoi la nature est prodigue de variétés, bien qu’avare d’innovations. Mais pourquoi cette loi de nature existerait-elle, si chaque espèce avait été indépendamment créée ? […] Nous pouvons ainsi comprendre pourquoi la nature se meut pas à pas, en dotant différents animaux de la même classe de leurs différents instincts. […] Les organes rudimentaires seront des guides infaillibles, quant à la nature des organes perdus depuis longtemps.

270. (1857) Réalisme, numéros 3-6 pp. 33-88

La nature vaudra toujours mieux que toute invention possible. […] Rien n’est libre dans la nature, mais rien non plus n’y est arbitraire. […] Mais d’où te vient cette idée de la nécessité de la nature ? […] Embellir la nature ! […] Qu’un homme prétende trouver en lui-même des conceptions préférables à la nature en se conformant à la nature, ceci est le comble du grotesque.

271. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Ils savouraient le miel que la nature avait mis sur le bord ; ils avalaient le reste par surcroît, sans l’avoir vu. […] Il prouvera ainsi qu’il y a une religion statique, naturelle à l’homme, et que la nature humaine est invariable. […] Nous avons trouvé que la première était préfigurée dans la nature ; nous voyons maintenant dans la seconde un bond hors de la nature, et nous considérons d’abord le bond dans des cas où l’élan fut insuffisant ou contrarié. […] Dès les temps les plus anciens l’Hindou spécula sur l’être en général, sur la nature, sur la vie. […] La nature de Dieu apparaîtra ainsi dans les raisons mêmes qu’on aura de croire à son existence : on renoncera à déduire son existence ou sa non-existence d’une conception arbitraire de sa nature.

272. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

Nous avons là une catholique de vieille souche, douce, pieuse, fervente, résignée, tendre, poétique, aimant la nature et adorant Dieu dans la nature, y trouvant à chaque pas les plus charmants emblèmes, moralisant avec grâce et sourire au sein même de la douleur : nous avons, d’autre part, et en regard d’elle, un caractère énergique de calviniste à demi émancipée, poétique aussi, très-croyante toujours, fervente, même prêcheuse, mais ouverte à toutes les impressions, ayant sa palette à elle, près de sa Bible, poussant ardemment ses aspirations vers le monde extérieur et absorbant la création par tous ses pores : — deux types. […] Et, par exemple, un jour qu’Eugénie de Guérin visite le Nivernais (à quelques années de là), pour rendre son impression, elle dira : « Il fait bon courir, dans cette nature enchanteuse, parmi fleurs, oiseaux et verdure, sous ce ciel large et bleu du Nivernais. […] Ces expressions à la Wordsworth, — à l’Oberman et à la Chateaubriand, — qui ont en elles je ne sais quelle magie de sons et de syllabes en harmonie avec l’esprit des choses et avec la nature rendue, manquent généralement sous la plume d’Eugénie de Guérin. […] Son livre, à elle, c’est la Bible, David et les Psaumes, puis la nature, cet autre livre de Dieu. […] Ce qu’ils n’ont pas fait, Mme de Gasparin Pose, et la devise donnée par Victor Hugo est devenue la sienne : la Bible, rien que la Bible d’une part, et de l’autre Dieu dans le soleil, dans la nature et dans ses œuvres.

273. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

Mais le premier but qu’on doit se proposer, en s’occupant du sort des hommes, n’est pas la conservation de leur vie ; le sceau de leur nature immortelle est de n’estimer l’existence physique qu’avec la possession du bonheur moral. […] Cette réunion est possible, et l’obtenir pour soi ne l’est pas : il est des cœurs qui s’entendent, et le hasard, et les distances, et la nature, et la société séparent sans retour ceux qui se seraient aimés pendant tout le cours de leur vie, et les mêmes puissances attachent l’existence, à qui n’est pas digne de vous, ou ne vous entend pas, ou cesse de vous entendre. […] La jalousie, cette passion terrible dans sa nature, alors même qu’elle n’est pas excitée par l’amour, rend l’âme frénétique, quand toutes les affections du cœur sont réunies aux ressentiments les plus vifs de l’amour propre. […] La nature et la société ont déshérité la moitié de l’espèce humaine ; force, courage, génie, indépendance, tout appartient aux hommes, et s’ils environnent d’hommages les années de notre jeunesse, c’est pour se donner l’amusement de renverser un trône ; c’est comme on permet aux enfants de commander, certains qu’ils ne peuvent forcer d’obéir. […] Ce n’est pas en renonçant au sort que la société leur a fixé, que les femmes peuvent échapper au malheur ; c’est la nature qui a marqué leur destinée, plus encore que les lois des hommes : et, pour cesser d’être leurs maîtresses, faudrait-il devenir leurs rivaux ?

274. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

Des querelles frivoles, telles que des disputes sur la musique, sur la littérature, peuvent donner quelques idées légères de la nature de l’esprit de parti ; mais il n’existe tout entier, mais il n’est l’action dévorante qui consume les générations et les empires, que dans ces grands débats où l’imagination peut puiser sans mesure tous les motifs d’enthousiasme ou de haine. […] Il faut que les moyens soient de la nature de la cause, parce que cette cause paraissant la vérité même, doit triompher seulement par l’évidence et la force. […] L’esprit de parti est une sorte de frénésie de l’âme qui ne tient point à la nature de son objet. […] Je me sers de l’expression temporel, parce que l’esprit de parti déifie la cause qu’il adopte, en espérant de son triomphe des effets au-dessus de la nature des choses. […] D’abord l’esprit de parti ne peut jamais obtenir ce qu’il désire ; les extrêmes sont dans la tête des hommes, mais point dans la nature des choses.

275. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre II. L’analyse interne d’une œuvre littéraire » pp. 32-46

Ou, au contraire, est-ce qu’il représente plutôt les ensembles confus, accidentés, tourmentés, chaotiques, comme ceux qu’offre parfois l’art gothique ou la nature à l’état sauvage ? […] Les frères de Goncourt, de leur côté, avaient coutume d’apercevoir la nature à travers un tableau de musée ; ils disaient couramment d’un paysage : c’est un Van der Meulen, un Corot, un Ruysdaël. […] A considérer leur nature, ces sentiments sont tous des variétés de l’amour ou de la haine. […] Zola6, dont il a voulu faire, nous dit-il, une copie fidèle de la nature. […] S’il est des genres littéraires voués ainsi à l’action par leur nature même, tous peuvent à l’occasion prendre ce caractère militant.

276. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Imaginez la nature sans mouvement : tout est mort ; plus de communication ; l’univers n’est qu’un assemblage de masses isolées et de corps sans action, éternellement immobiles. […] Croit-on, en effet, que, dans toutes les beautés ou de la nature ou de l’art, ce soit l’idée d’un seul et même objet, ou une sensation simple qui nous attache ? […] Dans ce contraste, et d’organisation et de caractère, chacun cependant prend pour la nature ce qui est lui : nos passions ou nos faiblesses, voilà la règle de nos jugements. […] Que sur tous ces objets, s’il a une âme sensible et forte, il ne craigne pas de s’y abandonner ; la nature est pour lui. […] Que celui donc à qui la nature l’a refusée, n’aspire point à imiter ce qu’il n’a pas.

277. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

L’homme ne l’intéressa pas moins que la nature. […] Que la nature soit Dieu ou que Dieu soit la nature, cela paraît à peu près indifférent. […] Hugo qui montrent le mieux la nature de sa méditation. […] indulgente Nature ! […] Mais la tragédie ne convenait pas à sa nature exubérante et fougueuse.

278. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — V »

Ce qu’a donné ce naturalisme (sa soumission aux lois de la nature) dans sa philosophie et dans son esthétique, c’est un problème que je n’examine pas, mais dans son œuvre d’historien politique, cette vue gœthienne l’a mené à une doctrine par trop timide. […] Nous savons bien qu’il devait haïr les choses désordonnées, ce puissant naturaliste, qui acceptait et aimait les lois de la nature. […] J’ose dire que dans les œuvres dont la nature m’avait prescrit la tâche, j’ai travaillé nuit et jour sans me permettre la moindre distraction ; loin de là, mes efforts, mes recherches, mon activité, tout a été aussi consciencieux qu’il dépendait de moi. Si chacun peut en dire autant de soi, cela ira bien pour tous. »‌ Vous voyez comment il faudrait très légèrement transformer la phrase pour qu’un de ces grands individus, que Taine traite de fous furieux, la reprît : « Nous ne pouvons pas tous servir l’humanité de la même façon… Marc-Aurèle, Spinoza, Gœthe, c’est très bien… accepter les lois de la nature, c’est parfait… Mais contrarier la nature, l’exalter, c’est un magnifique dressage… » Les grands hommes que je viens de citer sont des forces conservatrices ; elles s’efforcent de maintenir ; elles pourraient enrayer le mouvement vers l’inconnu, qui est la vie même.

279. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

Sur ces rives désolées, d’où la nature semblait avoir exilé la vie, Pierre assit sa capitale et se créa des sujets. […] Les limites de sa science sont celles de sa nature. […] Ne contiennent-ils rien de particulier et d’étranger à notre nature ? […] Il y a des intelligences, des natures meilleures, des hommes divinisés. […] La science, de sa nature, aime à paraître ; car nous sommes tous orgueilleux.

280. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Si la bête, féroce n’a que des sommeils sanglants comme ses veilles, qui faut-il accuser, sinon la Nature, qui fait vivre les uns de la mort des autres ? […] Les émotions humaines ne sont-elles pas un des mouvements de la Nature ? […] Tandis que le jaguar rêve de sang, l’homme, parfois, rêve d’idéal ; tous les deux sont les enfants de la même Nature. […] La nature ne cesse pas d’être belle parce qu’elle n’a point été créée en six jours. […] Nature, toute nue.

281. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

Ce noble plaisir populaire du théâtre est inconnu par sa nature aux époques de barbarie ou même de jeunesse des peuples. […] Il faut que, non seulement la nature morale, mais encore la nature physique leur obéisse comme la note obéit au musicien sur l’instrument, comme la teinte obéit au peintre sur la palette. […] La nature lui en avait donné à la fois les vices et les vertus : un orgueil de dieu et un commandement de roi. […] Il y a à cela trois causes qui sont dans la nature même du drame ou de la tragédie. […] Le paysage, le lieu, le ciel, les réflexions, les peintures, n’existent pas et ne peuvent pas exister pour lui ; ses tableaux ne peuvent avoir ni horizon, ni premier plan ; le spectacle de la nature et les analogies de cette nature avec l’homme lui sont à peu près interdits.

282. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Ce prêtre croit à la bonté de la nature. […] On remarquera surtout la démonstration de l’existence de Dieu par les merveilles de la nature. […] L’idée de Dieu sert à faire rentrer, dans une littérature trop exclusivement humaine et intellectuelle, la nature et ses beautés sensibles. […] Il est le plus charmant, le plus fin, le plus sûr des critiques, partout où sa nature se trouve conforme à l’œuvre dont il parle. […] Il indique cette thèse du retour à la nature que prêchera Jean-Jacques, avec qui, au fond, il a tant d’affinités.

283. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre I. De la sélection des images, pour la représentation. Le rôle du corps »

En général, une image quelconque influence les autres images d’une manière déterminée, calculable même, conformément à ce qu’on appelle les lois de la nature. […] Mais, pour élucider ce point, il convient d’approfondir la nature de l’affection. […] Il semble donc bien qu’il y ait une différence de degré, et non pas de nature, entre l’affection et la perception. […] Et ce n’est pas seulement une différence de degré qui sépare la perception de l’affection, mais une différence de nature. […] Mais notre propre nature, le rôle et la destination de notre personne, demeurent enveloppés d’un aussi grand mystère.

284. (1874) Premiers lundis. Tome II « Henri Heine. De la France. »

Loève-Veimars annoncent une nature mobile, impressive, mordante, se piquant d’être légère, d’une ironie souvent factice, d’un enthousiasme parfois réel, quelque chose de M. de Stendhal, mais avec plus de pittoresque, et, malgré tout, de spiritualisme. […] A propos de la Ronde de nuit à Constantinople, de Decamps, on avait reproché au peintre d’avoir forcé et chargé la nature. […] Je crois que l’artiste ne peut trouver dans la nature tous ses types, mais que les plus remarquables lui sont révélés dans son âme comme la symbolique innée d’idées, et au même instant. » Et il ajoute avec justesse que Decamps a le droit de répondre au critique qu’il a été, en peignant, fidèle à la vérité fantastique, à l’intention d’un rêve, à la vision nocturne de ces figures sombres courant sur un fond clair. La même question se reproduit à l’occasion des Moissonneurs de Robert : ici ce n’est pas la vision fantastique et un peu fabuleuse qui empiète sur la nature, c’est l’idéal qui épure et ennoblit celle-ci : « Quelques têtes, dit M. Heine, semblent être des portraits ; mais le peintre n’a point copié la nature avec le scrupule de beaucoup de ses confrères, ni rendu les traits avec une minutie diplomatique.

285. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

Le peuple corrompu était devenu par la nature esclave de ses passions effrénées, du luxe, de la mollesse, de l’avarice, de l’envie, de l’orgueil et du faste. Il devient esclave par une loi du droit des gens qui résulte de sa nature même ; et il est assujetti à des peuples meilleurs, qui le soumettent par les armes. […] Ensuite : ceux-là gouverneront toujours le monde qui sont d’une nature meilleure. […] En effet ils sont devenus plus féroces par la barbarie réfléchie, qu’ils ne l’avaient été par celle de nature. […] Mais la sagesse divine n’a pas besoin de la force des lois ; elle aime mieux nous conduire par les coutumes que nous observons librement, puisque les suivre, c’est suivre notre nature.

286. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

Mais il faut préciser, et tâcher de nous rendre compte de la nature et des effets de cette influence. […] En Angleterre, ses préceptes servent à enchaîner la fougue d’une nature encore brutale ; en Allemagne, il apporte comme un code de belles manières littéraires, comme un formalisme compliqué que ces esprits germaniques mettent leur gloire à pratiquer ponctuellement, avec grande contention et contorsion de leurs facultés encore peu agiles. […] Partout où Boileau paraissait encourager la littérature mondaine, ingénieuse, artificielle et noble, partout où il avait l’air d’avoir peur ou mépris de la nature, et d’encourager l’esprit à la farder, en un mot, dans ses erreurs, ses timidités et ses incorrections, on le suivit, et l’on érigea sa théorie mutilée en loi souveraine de la poésie. […] Le respect des opinions reçues, et la confiance en l’infaillibilité de la raison du siècle, font qu’on ne croit plus utile d’aller au-delà de l’idée que tout le monde se forme de la nature, jusqu’à la nature elle-même. […] Et nous nous fâchons, si par réflexion nous estimons que l’objet n’est pas ou est autrement dans la nature.

287. (1911) La valeur de la science « Troisième partie : La valeur objective de la science — Chapitre XI. La Science et la Réalité. »

Si les savants qui pensent ainsi avaient raison, devrait-on dire encore que les lois de la nature sont contingentes, bien que chaque loi, prise en particulier, puisse être qualifiée de contingente ? […] Mais en ce qui concerne le passé, le passé géologique qui n’a pas eu de témoins, les résultats de son calcul, comme ceux de toutes les spéculations où nous cherchons à déduire le passé du présent, échappent par leur nature même à toute espèce de contrôle. De sorte que si les lois de la nature n’étaient pas les mêmes à l’âge carbonifère qu’à l’époque actuelle, nous ne pourrons jamais le savoir, puisque nous ne pouvons rien savoir de cet âge que ce que nous déduisons de l’hypothèse de la permanence de ces lois. […] Mais les contradictions de ce genre peuvent toujours se lever de deux manières : on peut supposer que les lois actuelles de la nature ne sont pas exactement celles que nous avons admises ; ou bien on peut supposer que les lois de la nature sont actuellement celles que nous avons admises, mais qu’il n’en a pas toujours été ainsi. […] Donc quand nous demandons quelle est la valeur objective de la science, cela ne veut pas dire : la science nous fait-elle connaître la véritable nature des choses ?

288. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

» Madame de Vandeul, fille unique et si chérie de Diderot, nous a laissé quelques anecdotes sur l’enfance de son père, que nous ne répéterons pas, et qui toutes attestent la vivacité d’impressions, la pétulance, la bonté facile de cette jeune et précoce nature. […] A la manière dont Diderot sentait la nature extérieure, la nature pour ainsi dire naturelle, celle que les expériences des savants n’ont pas encore torturée et falsifiée, les bois, les eaux, la douceur des champs, l’harmonie du ciel et les impressions qui en arrivent au cœur, il devait être profondément religieux par organisation, car nul n’était plus sympathique et plus ouvert à la vie universelle. […] Sans doute sa théorie du drame n’a guère de valeur que comme démenti donné au convenu, au faux goût, à l’éternelle mythologie de l’époque, comme rappel à la vérité des mœurs, à la réalité des sentiments, à l’observation de la nature ; il échoua dès qu’il voulut pratiquer. […] Grimm avait déjà comparé la tête de Diderot à la nature telle que celui-ci la concevait, riche, fertile, douce et sauvage, simple et majestueuse, bonne et sublime, mais sans aucun principe dominant, sans maître et sans Dieu. […] Interprétation de la Nature.

289. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

Le beau, le grand, le vrai, la nature, sont des dieux partout révérés ; c’est le culte qui diffère. […] Lebrun a été effrayé d’une telle nature. […] Il ne saurait exister entre vous et moi d’autres conventions que celles qui tiennent à la nature même de l’art que vous prétendez exercer. […] C’était un admirable secret pour imiter de près la nature, et pour éviter la monotonie. […] La pure vérité, nous crie-t-on, la pure et simple nature !

290. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique »

Mais si, à certains égards, ils sont de même nature, ils ne laissent pas de constituer deux variétés différentes et qu’il importe de distinguer. […] Dans des circonstances où un homme sain souffrirait, il arrive au neurasthénique d’éprouver une sensation de jouissance dont la nature morbide est incontestable. […] La maladie, en effet, n’est-elle pas conçue par tout le monde comme un accident, que la nature du vivant comporte sans doute, mais n’engendre pas d’ordinaire ? […] Il n’est pas douteux, en effet, que cet excès ne soit de nature morbide. […] On sait qu’il tient à la nature du milieu social sans savoir en quoi ni comment.

291. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre I. De l’évolution de la vie. Mécanisme et finalité »

La nature met les êtres vivants aux prises les uns avec les autres. […] Il faut que nous ayons extrait, de la nature, des similitudes qui nous permettent d’anticiper sur l’avenir. […] Il est donc dominé par cette loi qu’il n’y a dans la nature que du même reproduisant du même. […] Mais il veut, lui aussi, que la nature ait travaillé comme l’ouvrier humain, en assemblant des parties. […] Séailles développe cette double thèse que l’art prolonge la nature et que la vie est création.

292. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Et pourtant l’art est quelque chose ; la gloire a ses droits ; elle parle aussi à son heure, même aux plus négligentes de ces divines natures. […] Il faut l’entendre, poëte, triompher dans sa solitude, et en des chants inextinguibles bénir la nature et Dieu. […] Mais la nature ne suffit pas toujours ; l’ennui va venir à l’homme solitaire, et la langueur. […] Double triomphe, admirablement senti, perpétuellement vrai, de la jeunesse et de la nature, en face du désastre ardent de la société ! […] Quand tout change pour toi, la nature est la même. 

293. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

De tout temps on a essayé de confondre ces deux natures dans les papes, de tout temps le bon sens a protesté ; à chacune de ces deux natures son attribut, voilà le vrai. […] Là est sa nature, là est son droit, là est sa forme, là seulement sera son durable avenir. […] On ne prescrit pas contre la nature. […] Le Piémont a forcé la main à la nature ; Turin et Londres retournent aujourd’hui, contre la pensée de la France, le sang de la France versé en Italie. […] Les Italiens, si magnifiquement doués par la nature, sont les mêmes génies et les mêmes caractères dans un autre milieu européen.

294. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIe entretien. Trois heureuses journées littéraires » pp. 161-221

Pays de Shylocks, qui laisse vendre la chair de l’homme, que les malédictions de ceux qui aiment la nature animée retombent à jamais sur toi ! […] me disait-il, c’est ma nature. Je ne cherche ni à incendier ni à éblouir : je cherche à adorer, à travers la nature et la foi (car je suis chrétien par le lait de ma mère), je cherche à adorer l’Auteur infini de cette nature ; ma poésie n’est que ma prière, mon enthousiasme n’est que mon encens. […] Et n’est-il de vivant que l’immense nature, Une au fond, mais s’ornant de mille aspects divers ? […] On sent partout dans ces idylles ce retour à la nature, seule inspiratrice infaillible des vrais poètes, les poètes de sentiment.

295. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

La difficulté vient d’une erreur dans laquelle ils sont tous tombés : ils ont regardé comme choses distinctes, l’origine des langues et celle des lettres, que la nature a unies. […] Leurs origines ayant été naturelles, leur signification dut être fondée en nature. […] Pour résoudre ce problème, établissons d’abord une grande vérité : par un effet de la diversité des climats, les peuples ont diverses natures. […] Aussi nous avons vu que chez les Grecs et les Latins, nom et nature signifièrent souvent la même chose. […] Ce fut sans doute cette langue atlantique qui, selon les savants, exprimait les idées par la nature même des choses, c’est-à-dire, par leurs propriétés naturelles.

296. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

Rapports complexes des animaux et des végétaux dans la nature. — IX. […] Or, de même que toutes les œuvres de la nature sont infiniment supérieures à celles de l’art, la sélection naturelle est nécessairement prête à agir avec une puissance incommensurablement supérieure aux faibles efforts de l’homme. […] Rapports mutuels et complexes des êtres organisés dans la nature. […] Nous avions commencé cette série par les oiseaux insectivores, et nous l’avons terminée en revenant à eux ; mais qu’on ne croie pas que dans la nature tous les rapports mutuels soient toujours aussi simples. […] — La dépendance d’un être organisé par rapport à un autre, telle que celle du parasite par rapport à sa proie, se manifeste généralement entre des êtres très éloignés les uns des autres dans l’échelle de la nature.

297. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400

Un ou deux grains jetés comme au hasard montrent que la nature n’a pas voulu pourtant que cette pureté classique de lignes se pût confondre avec aucune autre. […] La physionomie entière exprime noblesse, dignité, et, dès qu’elle s’anime, la grâce unie à la force, la joie qui naît d’une nature saine, la franchise et la bonté, parfois aussi le feu et l’ardeur. […] La probité de sa nature, si elle est avertie, s’arrête d’elle-même et se modère. […] La princesse Mathilde est, en effet, artiste dans l’âme, et je me suis réservé exprès jusqu’à ce moment le plaisir de parler avec quelque détail de ce côté si caractérisé de sa nature. […] On serait heureux d’avoir donné une idée, qui ne fût pas trop incomplète, d’une nature riche, loyale, généreuse, d’une personne qui, dans le plus haut rang, unit le don de beauté au feu sacré de l’art ; qui a le courage de ses pensées et le charme de ses sentiments.

298. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — II. Sur la traduction de Lucrèce, par M. de Pongerville »

Il aurait déployé, à propos de Lucrèce, toute sa profession de foi scientifique et philosophique ; il eût pleinement justifié la définition qu’une noble intelligence184 donna un jour de lui : « un croyant sans religion », montrant une fois de plus la nature de ses croyances basées sur ce que les connaissances humaines ont de plus positif et de plus grandiose. […] — Ainsi parle M. de Pongerville dans la préface qui précède sa traduction ; mais, depuis Louis XIV, l’admirable poème de la Nature des choses était tombé dans un véritable discrédit. […] L’humanité lui paraissait depuis longtemps sortie de ses voies ; les hommes, en s’écartant de la nature, s’étaient créé mille passions factices dont ils devenaient tour à tour instruments et victimes. […] “Lucrèce, en effet, est le premier parmi les poètes qui ait chanté l’unité de Dieu, et l’on est forcé de reconnaître que le mot nature est pour lui une expression équivalente au terme qui nous retrace le régulateur de l’univers.” […] M. de Pongerville, qui ne voulait blesser personne, et dont la nature est coulante, inclina pour le déisme.

299. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

Poëte d’un vrai talent, doué par la nature de qualités riches et rares, amoureux de la gloire immortelle et capable de longues entreprises, il ne lui a manqué peut-être au début qu’une de ces disciplines saines, et fortes qui ouvrent les accès du grand par les côtés solides, et qui tarissent dans sa source, et sans lui laisser le temps de grossir, la veine du faux goût. […] Ils y perdraient peut-être un peu en éloges généraux, en hommages traditionnels, mais ils gagneraient en originalité ; ils se graveraient dans la mémoire de manière à ne s’y plus confondre avec personne, et quand ils sont surtout de la nature de M.  […] Il est assez ordinaire, on le sait, d’être bon dans la première partie de la vie ; cette première bonté tient à la nature, à la jeunesse, à ce superflu de toutes choses qu’on sent au-dedans de soi ; on a de quoi prêter et rendre aux autres. […] Si l’artiste a mal vécu, s’il a vécu au hasard, au seul gré de son caprice et de son plaisir, qu’arrive-t-il le plus souvent lorsqu’il a dépensé ce premier feu, cette première part toute gratuite de la nature ? […] Ou bien le talent insensiblement s’altère, non point dans les détails du métier (il y devient souvent plus habile), mais dans le choix des sujets, dans la nature des données et des images, dans le raffinement ou le désordre des tableaux.

300. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre IV. L’écrivain (suite) »

La séparation est profonde chez nous entre la culture et la nature. Il y a eu toujours et il y a partout ici deux ordres d’hommes et de choses, selon que la nature gauloise ou la culture latine a prévalu. […] Il retrouve le grand sentiment de Lucrèce pour décrire « le temps où tout aime et pullule dans le monde », et pour sentir la puissance et la fécondité de la nature immortelle. […] Toute grande oeuvre littéraire contient un traité de la nature et des hommes, et il y en a un dans ces petites fables. […] Il laisse ses voisins ordonner leurs tirades ; il sent bien que par ces alignements d’idées on n’imite pas la nature.

301. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — La déclamation. » pp. 421-441

Ce n’est pas qu’ils approuvent les tons forcés, les gestes convulsifs & tout ce qui est hors de nature, dignes sujets de l’admiration des provinciaux. […] Mal partagée, à quelques égards, de la nature, l’ame lui tint lieu de tout, de voix, de taille & de beauté. […] Tous leurs efforts tendent à rendre la nature. […] Dans la conversation, on se communique ses idées pour ainsi dire de bouche à bouche ; mais, sur le théâtre, il faut garder les proportions de la perspective : c’est-à-dire qu’il faut « que l’expression de la voix soit au dégré de la nature, lorsqu’elle parvient à l’oreille des spectateurs ». […] On rend ces nuances avec plus ou moins de vérité, selon la force & la délicatesse du sentiment, & selon la flexibilité des organes dont la nature nous a doués .

302. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre premier. Astronomie et Mathématiques. »

Que ne plaît-il un jour à la nature, s’écrie Montaigne, de nous ouvrir son sein ? […] Nugae difficiles 159. » Toute pénible que cette vérité puisse être pour les mathématiciens, il faut cependant le dire : la nature ne les a pas faits pour occuper le premier rang. […] Entêtés de leurs calculs, les géomètres-manœuvres ont un mépris ridicule pour les arts d’imagination : ils sourient de pitié quand on leur parle de littérature, de morale, de religion ; ils connaissent, disent-ils, la nature. N’aime-t-on pas autant l’ignorance de Platon, qui appelle cette même nature une poésie mystérieuse ? […] Cette simplicité de la nature qui devrait leur faire supposer, comme Aristote, un premier mobile, et comme Platon, un éternel géomètre, ne sert qu’à les égarer : Dieu n’est bientôt plus pour eux que les propriétés des corps ; et la chaîne même des nombres leur dérobe la grande Unité.

303. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 312-324

Que renferme ce Systême prétendu de la Nature ? Un enchaînement de contradictions révoltantes, où la Nature se ment à elle-même, à chaque page ; un chaos de raisonnemens absurdes, dont il ne résulte que des idées vagues, détruites par des observations les plus simples ; un renversement général de toutes les institutions ; un réchauffé des délires de tous les anciens Philosophes ; en un mot, un assemblage monstrueux d’inconséquences & d’atrocités. […] Où l’ont-ils donc étudiée, cette Nature qu’ils méconnoissent autant qu’ils la dégradent, cette Nature qui ne devient, sous leur pinceau, qu’un cloaque infect, d’où s’exhalent plus de maux que la boîte de Pandore n’en contint jamais, puisqu’ils ôtent jusqu’à l’espérance ? […] Dans le Systême de la Nature, tout s’altere, se brouille, s’éteint ; la Nature, en désordre, n’a plus rien qui rappelle à elle-même ; tout ce qu’elle produit dans l’humanité, devient sa honte & son ennemi. […] L’homme est encore plus son enfant, que celui de nature.

304. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre II. Comment les nations parcourent de nouveau la carrière qu’elles ont fournie, conformément à la nature éternelle des fiefs. Que l’ancien droit politique des romains se renouvela dans le droit féodal. (Retour de l’âge héroïque.) » pp. 362-370

Comment les nations parcourent de nouveau la carrière qu’elles ont fournie, conformément à la nature éternelle des fiefs. […] À l’âge divin ou théocratique dont nous venons de parler, succéda l’âge héroïque avec la même distinction de natures qui avait caractérisé dans l’antiquité les héros et les hommes. […] Mais revenir à l’aristocratie, c’est ce qui est inconciliable avec la nature sociale de l’homme. […] En effet, dès qu’une fois les plébéiens ont reconnu qu’ils sont égaux en nature aux nobles, ils ne se résignent point à leur être inférieurs sous le rapport des droits politiques, et ils obtiennent cette égalité dans l’état populaire, ou sous la monarchie. […] … Il faut plutôt que Bodin, et avec lui tous les politiques, tous les jurisconsultes, reconnaissent cette loi royale, fondée en nature sur un principe éternel ; c’est que la puissance libre d’un état, par cela même qu’elle est libre, doit en quelque sorte se réaliser.

305. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laprade, Victor de (1812-1883) »

. — Du sentiment de la nature dans la poésie d’Homère (1848). — Poèmes évangéliques (1852). — Les Symphonies (1856). — Idylles héroïques (1858). — Pernette, poème (1868). — Harmodius, tragédie (1870). — Poèmes civiques (1873). […] Ainsi nous ont frappé les Symphonies de M. de Laprade, œuvre de méditation et de candeur, mélange d’inductions métaphysiques, de sentiments austères avec tendresse, et de vives émotions empruntées au spectacle de la nature et rapprochées toujours des grandes vérités inscrites au cœur de l’homme comme sur la voûte des cieux. […] François Coppée Ceux qui auraient pu craindre qu’il s’attardât dans un panthéisme plein de poésie sans doute, mais un peu bruineux et incertain, qu’il restât absorbé dans le rêve mystique où le plongeait la contemplation de la nature, ont été bien vite rassurés. […] Edmond Biré Victor de Laprade a créé une forme nouvelle de poésie lyrique, c’est la Symphonie, où tous les rythmes, tous les mètres, toutes les voix, la voix de l’homme et celles de la nature, concourent à un même but : véritable poème lyrique qui ne saurait, sans doute, entrer en comparaison avec les grandes compositions de l’art musical, ni pour l’harmonie savante, ni pour le charme et l’éclat de la mélodie, mais qui a cette supériorité sur elles de traduire avec une admirable clarté les pensées et les sentiments de l’âme. […] Mais ce qui est propre à certains poèmes, ce qui les marque d’un caractère à part, c’est la prédominance d’une sorte de piété attendrie, de vénération filiale pour la Nature.

306. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

Alexandre partit avec Forster et sa femme pour les bords du Rhin et la Hollande, afin d’y étudier les phénomènes de la nature purement matérielle. […] C’est au milieu des impressions produites par cette nature de paradis que Humboldt et ses compagnons arrivèrent à Orotava. […] Un nouveau tableau de la nature qu’il rencontra encore, ce furent les poissons volants dont il étudia l’anatomie et la propriété de voler. […] Sa physionomie, très fine et très évidemment étudiée, n’avait rien qui fût de nature à séduire une âme franche. […] Seiffert introduisait les visiteurs dans une vaste salle encombrée avec ordre des reliques de la nature pendant le voyage de son maître.

307. (1772) Éloge de Racine pp. -

Un homme tel que toi ne pouvait être formé que par la nature ; ton excellente organisation fut entièrement son ouvrage, et portait un caractère original, indépendant de toute imitation. […] Dans la nature et dans lui-même. […] Cet art que Corneille avait établi sur l’étonnement et l’admiration, et sur une nature souvent idéale, il le fonda sur une nature vraie et sur la connaissance du coeur humain. […] Quel homme, témoin de ce grand réveil de la nature, n’est pas saisi de respect et d’enthousiasme ? […] Songe que la prédilection marquée de la nature pour les hommes qu’elle a créés supérieurs aux autres, ne va pas jusqu’à leur prodiguer ses plus beaux dons sans les leur faire acheter.

308. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Deuxième leçon »

(2) Sans doute, quand on envisage l’ensemble complet des travaux de tout genre de l’espèce humaine, on doit concevoir l’étude de la nature comme destinée à fournir la véritable base rationnelle de l’action de l’homme sur la nature, puisque la connaissance des lois des phénomènes, dont le résultat constant est de nous les faire prévoir, peut seule évidemment nous conduire, dans la vie active, à les modifier à notre avantage les uns par les autres. […] Dans l’étude de chaque science les considérations historiques incidentes qui pourront se présenter auront un caractère nettement distinct, de manière à ne pas altérer la nature propre de notre travail principal. […] Il ne s’agit pas ici d’examiner si les deux classes de corps sont ou ne sont pas de la même nature, question insoluble qu’on agite encore beaucoup trop de nos jours, par un reste d’influence des habitudes théologiques et métaphysiques ; une telle question n’est pas du domaine de la philosophie positive, qui fait formellement profession d’ignorer absolument la nature intime d’un corps quelconque. Mais il n’est nullement indispensable de considérer les corps bruts et les corps vivants comme étant d’une nature essentiellement différente, pour reconnaître la nécessité de la séparation de leurs études. […] Ainsi, par exemple, dans certaines branches de la philosophie, c’est l’observation proprement dite ; dans d’autres, c’est l’expérience, et telle ou telle nature d’expériences, qui constitue le principal moyen d’exploration.

309. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VIII : Hybridité »

En pareil cas, il n’est donc en aucune façon surprenant que la stérilité inhérente à la nature des hybrides aille toujours croissant. […] Nul jusqu’ici n’a encore pu découvrir quelle est la nature ou le degré des différences apparentes, ou du moins reconnaissables, qui empêchent deux espèces de pouvoir s’allier. […] Nous voyons donc que, lorsque des êtres organisés sont placés sous des conditions de vie nouvelles et contre nature, ou lorsque des hybrides sont produits par le croisement aussi contre nature de deux espèces distinctes, le système reproducteur des uns et des autres, indépendamment de l’état général de leur santé, est frappé de stérilité d’une manière parfaitement semblable. […] Je ne prétends pas non plus que les quelques remarques que j’ai rassemblées ici aillent jusqu’au fond de la question : rien ne peut nous expliquer pourquoi un organisme placé sous des conditions de vie contre nature devient stérile. […] Si l’on songe à ces différences entre les procédés sélectifs de l’homme et ceux de la nature, on ne peut s’étonner le moins du monde de la différence des résultats.

310. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

. —  Nouvelle conception de la nature et de l’homme. […] » Voilà les magnificences qu’il rencontre toutes les fois qu’il est face à face avec la nature. […] La nature physique, cachée et opprimée sous des habitudes de réflexion mélancolique, se met à nu pour un instant. […] Et véritablement ce procédé, qui est l’imitation de la nature, est le seul par lequel nous puissions pénétrer dans la nature ; Shakspeare l’avait pour instinct et Gœthe pour méthode. […] Quel est cet être immobile dont la nature n’est que la « robe changeante et vivante ? 

311. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

Mais plus ils sont décidés à juger une femme selon les avantages ou les défauts de son sexe, plus ils détestent de lui voir embrasser une destinée contraire à sa nature. […] Une femme ne peut exister par elle ; la gloire même ne lui servirait pas d’un appui suffisant, et l’insurmontable faiblesse de sa nature et de sa situation dans l’ordre social, l’a placée dans une dépendance de tous les jours dont un génie immortel ne pourrait encore la sauver. […] L’homme se complaît dans la supériorité de sa nature, et, comme Pigmalion, il ne se prosterne que devant son ouvrage. […] En étudiant le petit nombre de femmes qui ont de vrais titres à la gloire, on verra que cet effort de leur nature fut toujours aux dépens de leur bonheur. […] Je n’appellerai point vanité le mouvement qui a porté vingt-quatre millions d’hommes à ne pas vouloir des privilèges de deux cent mille, c’est la raison qui s’est soulevée, c’est la nature qui a repris son niveau.

312. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

Principes de l’imitation artistique de la nature ; principes de la classification des œuvres. […] Elle ne tient pas compte de la nature individuelle : non pas du caractère, qui est résolu en influences composées de la race, du milieu et du moment ; mais du génie, de la précision de la vocation, et de l’intensité de la création. […] Il donne les formules d’un art objectif, impersonnel, classique, sinon de méthode, du moins d’effet : l’imitation de la nature est posée comme l’objet de l’art, mais non pas l’imitation exacte ; ce que l’art imite, « ce sont les rapports et les dépendances des parties » ; encore les altère-t-il souvent. Il a pour objet les caractères essentiels, dominateurs ; il les dégage, suppléant à la nature partout où elle les fait insuffisamment saillir. […] Il y a des morceaux de toute la nature, et je ne sens pas la nature, la vie de la nature, comme les apportent parfois les impressions irraisonnées d’une âme.

313. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Les Confidences, par M. de Lamartine. (1 vol. in-8º.) » pp. 20-34

Même hors de l’enfance et durant toute sa jeunesse, cette nature favorisée n’a cessé de s’épanouir sans se trouver en présence d’un obstacle qui l’avertit. […] Parmi les auteurs qu’il lit d’abord et qu’il aime, nous trouvons le Tasse, Bernardin de Saint-Pierre, Ossian ; c’est tout simple, et l’affinité des natures, la parenté des génies se déclare. […] Car enfin, qu’il tourne le dos à Rabelais, qu’il ait même l’air de mépriser Montaigne, je le conçois de la part d’une si platonique nature, et ces paroles de dédain ne signifient autre chose, sinon : Je ne leur ressemble en rien. […] L’épisode de Graziella a des parties supérieurement traitées et dans lesquelles on reconnaît un pittoresque vrai, sans trop de mélange du faux descriptif, un sentiment vif de la nature et de la condition humaine. […] Il n’a pas seulement l’amour de la nature, il en a la frénésie.

314. (1890) Le réalisme et le naturalisme dans la littérature et dans l’art pp. -399

Celle morale n’est si sévère pour la nature que parce qu’elle est elle-même subordonnée au dogme qui déclare la nature corrompue. […] La nature ne lui est pas entièrement étrangère. […] L’épithète de nature suffit ordinairement à ses besoins. […] Ils ne connaissent plus d’autre loi que celle de la nature. […] la Nature !

315. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Robert » pp. 222-249

Tout est vigoureux comme dans la nature, et rien ne se nuit comme dans la nature. […] On ne songe pas à l’art, on admire, et c’est de l’admiration même que l’on accorde à la nature. […] La vigne-madame, mauvais, selon moi-mais cela est en nature. — Cela n’est point en nature. Les arbres, les eaux, les rochers sont en nature ; les ruines y sont plus que les bâtimens, mais n’y sont pas tout à fait, et quand elles y seraient, faut-il rendre servilement la nature ? […] Cela se conçoit en nature, mais le conçoit-on dans l’art ?

316. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

Exposé dans un théâtre public, on me dissèque : un savant médecin explique devant tous, à mon sujet, comment la Nature a fabriqué le corps de l’homme avec beauté, avec art, avec une parfaite harmonie. […] Pendant ce repas du matin, à propos de chaque mets, l’entretien roule sur la vertu, propriété et nature des objets, des viandes, poissons, herbes ou racines. […] Il y a de l’excès, de la charge assurément dans tout l’ensemble ; mais c’est une charge qu’il est facile de ramener au vrai, et dans le sens juste de l’humaine nature. […] Nous avons d’avance dans une vue et une gaieté de génie ce que plus tard Jean-Jacques étendra dans l’Émile en le systématisant, et Bernardin de Saint-Pierre dans ses Études de la nature en l’affadissant. […] Le Télémaque parut, et ce livre rappela l’Europe aux harmonies de la nature.

317. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

Il est le maître de ce qui nous paraît de l’univers, et le seul spectateur de la nature. […] Ainsi l’amour, tel qu’il est peint dans une poésie chaste, l’amour tendre et sérieux est le véritable amour de la nature. […] Il lutte contre la société comme il lutte contre la nature, car sa vie est une vie de combat dans tous les modes de son existence. […] Les anciens, qui avaient mis en symboles toutes les puissances de la nature, n’avaient pas manqué d’établir des divinités conservatrices des lieux. […] On peut donc dire qu’en toutes choses l’énergie vitale lutte continuellement contre l’énergie de la nature aveugle et matérielle.

318. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Quel lien existe entre ces deux aspects de la nature humaine, l’homme et la femme ? […] La nature humaine a deux aspects unis et indivisibles, l’homme et la femme. […] Aura-t-elle deux ordres d’idées essentiellement distincts, le règne de la nature et le règne de la grâce ? […] Voilà, en effet, le fond de la nature humaine. […] Paul aurait dû en conclure l’égalité de ces deux aspects, indivis de notre nature, l’homme et la femme.

319. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Je voyais l’histoire de la nature et n’entendais point parler de son auteur. […] L’action en change de nature. […] Elles sont de diverse nature. […] Il ne triomphera point des lois de sa nature, et sa nature en son fond ne cessera pas d’être identique à elle-même. […] Ce qui est nature en l’homme est justement ce qui le distingue du reste de la nature.

320. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

De la poésie de la nature. […] Saint-Lambert, qui était surtout fait pour la société, avait certainement du goût pour la nature, et il l’a chantée de la manière dont il l’aima. […] Il ne décrit la nature qu’imparfaitement, avec monotonie, sans aucune de ces images grandes et douces que les anciens ont connues : et comment en serait il autrement, puisque jusqu’en ses heures les plus recueillies et sur son banc de gazon, sous son prunier en fleur, il a d’un côté Montaigne ouvert (je le lui passe, quoique ce ne soit pas le moment), mais de l’autre il a La Pucelle ? […] La correspondance qu’il entretint avec sa fille et avec quelques amis durant ses dix mois de captivité, tant à Sainte-Pélagie qu’à Saint-Lazare, offre des pages touchantes, des qualités cordiales, un amour franc de la nature et de la famille : Un botaniste passionné, écrivait-il à sa fille en avril 1794, n’est pas un conspirateur. […] … Tu ne connais pas tous les élans de mon âme vers la liberté depuis le rajeunissement de la nature.

321. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet »

Il n’a cessé de développer et de varier en mille applications le don qu’il avait reçu de la nature. […] Peintre de l’armée française, peintre d’histoire d’une grande époque et de tous les généreux souvenirs qui s’y rattachaient, comme de tous les brillants faits d’armes qui en continuaient la tradition, il était de plus un homme d’esprit, un caractère aimable, une nature droite, honnête, loyale, vive et sensée. […] Souriez-en, si vous le voulez ; c’était une partie de sa nature, une condition et comme une moitié de son talent. […] Thiers à propos du Salon de 1824, ne pouvait choisir une meilleure direction que celle qu’il a prise, pour le développement du talent particulier qu’il a reçu de la nature. […] Les anciennes écoles, selon lui, ont très-peu cherché cet idéal qu’on adore et qu’on exalte après coup en elles ; le plus souvent, elles n’ont fait que reproduire exactement la nature qu’elles avaient sous les yeux : il suffisait, pour nous donner l’impression élevée qui en sort, que cette nature fût généralement belle, et que les organisations d’élite qui s’y appliquaient sussent y choisir leurs sujets.

322. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite et fin.) »

Il y eut peut-être un moment où Virgile jeune, dans l’orgueil de ses vastes pensées, méditant une œuvre plus immortelle que Rome elle-même, se croyait au-dessus des lois de la critique et dédaignait de rien puiser qu’à la source directe de la nature ; mais quand il eut tout bien examiné des deux parts, il trouva que la nature et Homère, ce n’était qu’un. » Certes la poésie des seconds âges, des âges polis et adoucis, n’a jamais été mieux exprimée par un exemple. […] Bowles, un des précurseurs du mouvement romantique anglais, a fait à son auteur bien des querelles et lui a reproché bien des infériorités : « Le vrai poète, disait Bowles, doit avoir un œil attentif et familier à chaque changement de saison, à chaque variation de lumière et d’ombre dans la nature, à chaque rocher, à chaque arbre, — que dis-je ? […] Celui qui n’a pas l’œil fait pour observer toutes ces choses, et qui ne peut d’un seul regard distinguer chaque nuance et chaque teinte dans sa variété, sera d’autant insuffisant par là même dans une des plus essentielles qualités du poète. » Pope n’est certes pas dénué de pittoresque ; il sentait la nature, il l’a aimée et décrite dans sa forêt de Windsor ; condamné par sa santé à une vie sédentaire et ne pouvant voyager vers les grands sites, il avait le goût de la nature champêtre, telle qu’elle s’offrait riante et fraîche autour de lui : il dessinait même et peignait le paysage, il avait pris des leçons, pendant une année et demie, de son ami Jervas ; et comme on lui demandait un jour : « Lequel des deux arts vous donne le plus de plaisir, la poésie ou la peinture ?  […] Ne confondons point les genres et les natures ; ne demandons pas à une organisation ce qui est le fruit d’une autre ; appliquons à Pope son propre et si équitable précepte : « En chaque ouvrage considérez le but de l’écrivain, car on ne peut y trouver plus et autre chose qu’il n’a voulu y mettre. » Ami de Bolingbroke, de Swift, Pope ne les suit pas jusqu’au bout de leur philosophie et de leurs audaces. […] Consistante dans nos folies et dans nos fautes, la nature, honnête en cela et sincère, finit comme elle a commencé. » Et je traduirai à ma manière les exemples qu’il varie agréablement, et qui seraient moins familiers pour nous.

323. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

En un tout autre genre, mais avec une vue de la nature humaine qui n’est pas plus en beau ni plus flattée, M.  […] Mérimée n’a peut-être pas une meilleure idée de la nature humaine que M. de Balzac, et, si quelqu’un a semblé la calomnier, ce n’est pas lui certes qui la réhabilitera. […] C’est un grand peintre de nature et de paysage. […] Elle ne calomnie jamais la nature humaine, elle ne l’embellit pas non plus ; elle veut la rehausser, mais elle la force et la distend en visant à l’agrandir. […] Chez l’un comme chez l’autre, il faut faire bon marché de la nature saine ; ils opèrent volontiers sur le gâté ou le factice.

324. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre II : M. Royer-Collard »

Au reste, il débutait noblement par quelques exclamations poétiques : « N’était-ce donc que pour te jouer de lui, ô nature, que tu formas l’homme ? […] Ayant les mêmes effets et la même nature, elle a la même autorité et les mêmes droits. […] Nos idées sont si bien représentatives, que ce nom exprime leur nature et donne leur définition. […] Quelle force les forme, les accommode à la nature des objets extérieurs, les enchaîne entre eux, les attache à la sensation ? Par quelle mécanique admirable la nature tire-t-elle la vérité de l’erreur ?

325. (1878) Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux. Tome I (2e éd.)

Ces êtres sont fort nombreux dans la nature. […] Cette résistance varie d’ailleurs avec la nature des agents toxiques que l’on emploie. […] Elle est à la fois la plus vaste et la plus conforme à la réelle nature des choses. […] Deux opinions sont en présence relativement à la nature du nucléole. […] La nature semble procéder par de tout autres voies.

326. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Chardin » pp. 220-221

C’est la nature même. […] Pour regarder les tableaux des autres, il semble que j’aie besoin de me faire des yeux ; pour voir ceux de Chardin, je n’ai qu’à garder les yeux que la nature m’a donnés, et m’en bien servir. […] Mais peut-être la nature n’est-elle pas plus difficile à copier. […] Monsieur Pierre, regardez bien ce morceau, quand vous irez à l’Académie, et apprenez, si vous pouvez, le secret de sauver par le talent le dégoût de certaines natures.

327. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

avec naturel, gaieté, et une certaine abondance et richesse de nature qui ne demandait qu‘à s’épanouir. […] Vois le mépris, là où a péri l’amour ; la méfiance, là où croissait l’amitié ; l’orgueil, là où autrefois une nature aimante nourrissait tous les sentiments de vérité et de tendresse ! […] le sentiment, le roman, la nature ; ô ma sœur, en seriez-vous là encore ? […] On rit, on est déconcerté, on oublie un moment, par les finesses et les saillies de détail, ce qui souvent est une complète moquerie ou mystification de la nature humaine. […] C’est qu’il y a deux sortes de rangs, le rang social, et le rang natif ou naturel : « Non seulement, dit-elle, la nature nous désigne un rang, mais ce rang est une vocation.

328. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VII. De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins » pp. 176-187

Quand ce sont les tyrans qui menacent de la mort, les philosophes, contraints à supporter ce que la nature a de plus terrible et ce que le crime a de plus atroce, ne pouvant agir au dehors d’eux-mêmes, étudient plus intimement les mouvements de l’âme. […] Cette idée manque de justesse ; les arts ont un terme, je le crois, au-delà duquel ils ne s’élèvent pas ; mais ils peuvent se maintenir à la hauteur à laquelle ils sont parvenus ; et dans toutes les connaissances susceptibles de progression, la nature morale tend à se perfectionner. […] Enfin à cette époque, comme on n’avait pas découvert la véritable méthode qu’il faut suivre dans l’étude de la nature physique, l’émulation n’était point excitée dans une carrière où de grands succès n’avaient point encore été obtenus. […] Si l’on en excepte les années de la terreur en France, l’atrocité n’est pas dans la nature des mœurs européennes de ce siècle. […] Une corruption dégoûtante et qui fait autant frémir la nature que la morale, acheva de dégrader ce peuple jadis si grand.

329. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Tout ce que j’ai compris de ma vie du clair-obscur » pp. 26-33

Il semble que nous considérions la nature comme le résultat de l’art. Et réciproquement, s’il arrive que le peintre nous répète le même enchantement sur la toile, il semble que nous regardions l’effet de l’art comme celui de la nature. […] Ce n’est pas dans la nature seulement, c’est sur les arbres, c’est sur les eaux de Vernet, c’est sur les collines de Loutherbourg que le clair de la lune est beau. […] Ce n’est plus une toile, c’est la nature, c’est une portion de l’univers qu’on a devant soi. […] Comparez une scène de la nature dans un jour et sous un soleil brillant avec la même scène sous un ciel nébuleux.

330. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hebel »

c’est chez Hebel que cette réalité est plus concentrée, en raison même de la nature limitée et pour ainsi dire raccourcie de sa composition. […] Walter Scott, au contraire, est bien plus un homme, un grand observateur de nature humaine, qu’un Écossais, quoiqu’il soit Écossais aussi et profondément. […] S’imagine-t-on bien ce qu’un pareil génie, sans réminiscence, et placé bien en face de la nature avec son observation pour toute ressource, serait devenu et aurait fait ? […] De l’un, il observe d’un œil joyeux et frais les objets de la nature qui manifestent leur vie d’une manière palpable par leur accroissement ou leur mouvement, et qu’ordinairement nous tenons pour inanimés. […] On a chaud de toute cette bonne et grasse couleur qu’il étend sur la nature et les choses visibles ; on est tout attendri du sentiment moral qui spiritualise et poétise cette couleur d’École hollandaise appliquée sur des sujets allemands, fomentations délicieuses pour l’imagination et pour le cœur !

331. (1881) Le roman expérimental

Si nous ne donnons jamais la nature tout entière, nous vous donnerons au moins la nature vraie, vue à travers notre humanité tandis que les autres compliquent les déviations de leur optique personnelle par les erreurs d’une nature imaginaire, qu’ils acceptent empiriquement comme étant la nature vraie. […] La nature entière est son domaine. […] Je voudrais plus de souplesse, plus de nature. […] On citerait cent faits de cette nature. […] Soyez certains qu’ils ont été pris sur nature.

332. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

Il n’y a qu’une différence de degré, et non pas de nature, entre les facultés dites perceptives du cerveau et les fonctions réflexes de la moelle épinière. […] Il nous restait à montrer, par l’analyse du « souvenir pur », qu’il n’y a pas entre le souvenir et la perception une simple différence de degré, mais une différence radicale de nature. […] Cet idéalisme consiste à ne voir qu’une différence de degré, et non pas de nature, entre la réalité de l’objet perçu et l’idéalité de l’objet conçu. […] Ils lui reprochent d’expliquer par des associations les opérations supérieures de l’esprit, mais non pas de méconnaître la vraie nature de l’association elle-même. […] Même alors, la liberté ne sera pas dans la nature comme un empire dans un empire.

333. (1913) La Fontaine « VII. Ses fables. »

Parce que la fable, en elle-même, est un cadre assez élastique ; c’est surtout lui qui la fera telle, mais encore, de sa nature, elle est assez élastique. […] Les animaux d’espèces différentes ne connaissent aucune solidarité entre eux, et la loi de nature est, hélas ! […] « La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse (la nature les instruit, c’est-à-dire ils inventent de nouvelles choses). […] La nature dans ces cas, nous avoue Pascal, leur fournit une invention particulière ! […] dans sa première nature, dans sa première origine, l’homme lui-même, a eu à apprendre tout pour soutenir et défendre sa pauvre vie ; l’animal comme l’homme.

334. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Finalité et évolution dans la nature. […] Au reste, un poète qui peint la Nature et l’anime est toujours plus ou moins panthéiste. […] Où finit la nature ? […] Les descriptions mêmes de la nature, dans Hugo, ont été accusées de lieu commun. […] Enfin, lui qui a tout représenté de la nature, il n’a pas été un « poète de la nature ».

335. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guérin, Maurice de (1810-1839) »

Sainte-Beuve L’originalité de Maurice de Guérin était dans un sentiment de la nature tel qu’aucun poète ou peintre français ne l’a rendu à ce degré, sentiment non pas tant des détails que de l’ensemble et de l’universalité sacrée, sentiment de l’origine des choses et du principe souverain de la vie. […] Par cette fiction hardie, on est transporté tout d’abord dans un univers primitif, au sein d’une jeune nature, encore toute ruisselante de la vie et comme imprégnée du souffle des dieux. Jamais le sentiment mystérieux de l’âme des choses et de la vertu matinale de la nature, jamais la poétique et sauvage puissance qu’elle fait éprouver qui s’y replonge et s’y abandonne éperdument, n’a été exprimée chez nous avec une telle âpreté de saveur, avec un tel grandiose et une précision si parfaite d’images. […] Car il y a de la ferveur et de l’amour dans son tremblement devant la nature.

336. (1767) Salon de 1767 « Sculpture — Vassé » pp. 323-324

La nature a été exagérée, mais avec tant de discrétion que la ressemblance n’a rien souffert de la dignité qu’on a surajoutée. […] Nature ! Nature ! […] Vérité de costume, fausseté de nature.

337. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — J — Jammes, Francis (1868-1938) »

La nature est pour lui ce qu’il sent de la nature. […] Alors il dit tout cette vie surnaturelle et toute l’autre, celle des heures où il forme les yeux ; et la nature et le rêve s’enlacent si discrètement, dans une ombre si bleue et avec des gestes si harmoniques, que les deux natures ne font qu’une seule ligne, une seule grâce… [Le Livre des masques, 2e série (1898).] […] Paul Léautaud À écouter les poèmes contenus dans le volume : De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir, poèmes dont la sincérité parfois touche à la naïveté et d’une notation directe souvent jusqu’au mot choquant, on respire un sentiment d’immense humilité devant la nature et de foi ingénue en Dieu.

338. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

Mais n’allez pas toutefois accorder à cette nature si fraîche éclose trop d’ignorance et de simplicité ; elle sait le monde et la vie, elle a souffert bien des peines et s’est étudiée à bien des grâces. […] Ce sont d’autres souvenirs du pays et de la famille, des noces singulières, des retours de vacances, des adieux et de tendres envois d’un fils à sa mère, de calmes et riants intérieurs de félicité domestique ; ce sont par endroits des confidences obscures et enflammées d’un autre amour que celui de Marie, d’un amour moins innocent, moins indéterminé et qui peut se montrer sans rivalité dans les intervalles du premier rêve, car il n’était pas du tout de même nature ; ce sont enfin les goûts de l’artiste, les choses et les hommes de sa prédilection, le statuaire grec et M. […] Sans projets, sans envie, Ne cherchons désormais que l’oubli de la vie : Que chaque objet qui passe, ou noble ou gracieux, Nous attire, et sur lui laissons aller nos yeux ; Vivons hors de nous-même ; il est dans la nature, Dans tout ce qui se meut, et respire, et murmure, Dans les riches trésors de la création, Il est des baumes sûrs à toute affliction : C’est de s’abandonner à ces beautés naives, D’en observer les lois douces, inoffensives, L’arbre qui pousse et meurt où nos mains l’ont planté, Et l’oiseau qu’on écoute après qu’il a chanté. […] Les comparaisons qui parlent naturellement à l’imagination du poëte appartiennent à la plus jolie et à la plus fraîche nature ; on y voit des chevreuils, des faons timides, qui, les pieds dans le torrent, aspirent les derniers feux du soleil ou boivent la rosée matinale sous le fourré. […] C’est le propre des poésies extrêmement civilisées de revenir avec une curiosité expresse à la nature la plus détaillée, à la simplicité la plus attentive.

339. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Antoine Campaux » pp. 301-314

C’est ce génie, plus épris de réalité que d’idéal, de nature humaine que de l’autre nature. […] Mais ce qu’on n’a pas retrouvé, ni avant ni depuis, dans cette sincérité, ce qui fait vraiment Villon et lui étoile le front de sa Muse, c’est le pathétique poignant et charmant des larmes dans le rire et du rire dans les larmes, qui est aussi le pathétique de la nature au mois d’avril, quand il pleut et qu’il fait soleil. […] Opposition qui produit des arcs-en-ciel dans la nature, mais qui, dans l’ordre du sentiment et de la poésie, produit des choses encore plus charmantes que des arcs-en-ciel ! […] Il n’avait pas le sentiment de la nature. […] Grand poète, malgré le calus qu’il a à l’esprit et qui l’empêche de sentir la nature que le génie gaulois sent dans tous ses poètes, lui seul excepté, — étonnant de n’avoir pas galvaudé et perdu des facultés qu’il a traînées dans tous les désordres de la vie, Villon n’a pas besoin qu’on l’exagère pour qu’on reconnaisse sa réelle supériorité.

340. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

Je me promets beaucoup de plaisir et de vraies jouissances au milieu de cette nature grande et nouvelle. […] « Adieu jusqu’en des temps et des pays lointains ; jusqu’aux lieux où la nature accueillera l’automne de ma vie, jusqu’aux temps où mon cœur sera paisible, où mes yeux seront distraits auprès de vous ! […] C’est à la nature à décider si ce sera la statue d’un adolescent, d’un homme mûr ou d’un vieillard. […] Il n’a pas pris assez de fierté et d’étendue pour dominer toute cette nature, pour l’écouter, la comprendre, la traduire dans ses grands spectacles. […] Ce trait est saisi d’après nature, il peint tout Farcy au physique et résume les plus minutieuses descriptions qu’on pourrait faire de lui : Écossais de physionomie et aussi de philosophie, c’est juste cela.

341. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (3e partie) » pp. 369-430

Voilà le procédé de la nature. […] Voilà comment procède la nature. […] Son rôle, c’était sa nature. […] Tel était l’homme que la nature avait donné aux Girondins pour chef. […] Il est prudent par nature et temporisateur par nécessité.

342. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

La France doit à ce grand coloriste sa langue littéraire mise au service de la science de la nature. […] Ils ont sur lui l’avantage de voir Dieu plus clairement à travers ses œuvres, et de sentir palpiter partout l’âme de la nature. […] Avant l’époque des représentations nationales, elle s’était constituée par sa nature et à son insu le corps représentatif de la pensée. […] Ce ne sont pas les corps qui font naître le génie, c’est la nature ; ce ne sont pas même les corps qui reconnaissent, qui constatent, qui honorent le génie, c’est la postérité. […] Cette loi est sans exception ; car quelle que soit la supériorité relative des hommes élus à titre d’intelligence dans un corps intellectuel, c’est une loi de la nature que l’empire y appartient toujours à la médiocrité.

343. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Ce ne sont point des personnages mythologiques, apportant leurs volontés supposées ou leur froide nature au milieu des intérêts des hommes ; c’est le merveilleux des rêves, lorsque les passions sont fortement agitées. […] Tout ce qui est dans la nature peut intéresser l’esprit ; mais il faut, au spectacle, ménager les caprices des yeux avec le plus grand scrupule ; ils peuvent détruire sans appel tout effet sérieux. […] La folie, telle qu’elle est peinte dans Shakespeare, est le plus beau tableau du naufrage de la nature morale, quand la tempête de la vie surpasse ses forces. […] Il place à côté des tourments de la douleur, l’oubli des hommes et le calme de la nature, ou bien un vieux serviteur, seul être qui se souvienne encore que son maître a été roi. […] La société lui retire ce qui est la vie, avant que la nature lui ait donné la mort.

344. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre II. De la métaphysique poétique » pp. 108-124

Observent-ils les effets étonnants de l’aimant mis en contact avec le fer ; ils ne manquent pas, même dans ce siècle de lumières, de décider que l’aimant a pour le fer une sympathie mystérieuse, et ils font ainsi de toute la nature un vaste corps animé, qui a ses sentiments et ses passions. […] Comme ils parlaient par signes, ils crurent d’après leur propre nature que le tonnerre et la foudre étaient les signes de Jupiter. […] Ces signes étaient, si je l’ose dire, des paroles réelles, et la nature entière était la langue de Jupiter. […] Introduisant la certitude dans le domaine de la liberté humaine, dont l’étude est si incertaine de sa nature, elle éclaire les ténèbres de l’antiquité, et donne forme de science à la philologie. […] Cependant c’est le droit naturel établi séparément dans chaque cité qui a préparé les peuples à reconnaître, dès leurs premières communications, le sens commun qui les unit, de sorte qu’ils donnassent et redussent des lois conformes à toute la nature humaine, et les respectassent comme dictées par la Providence. » (Vico.

345. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Voilà donc les deux natures parfaitement distinctes, et la même évidence qui fait reconnaître à Descartes l’existence du corps lui révèle l’existence de l’âme. […] Que signifie le mot naturel, si ce n’est conforme à la nature ? Et qu’entend-on par la nature dans l’ordre intellectuel, sinon ce qu’il y a de semblable et d’identique dans tous les hommes, c’est-à-dire la raison ? […] Vivre conformément à la nature, ce n’est pas s’abandonner à tous ses mouvements, à tous ses instincts ; c’est suivre la raison. […] Il regardait l’inconvénient d’être trop connu comme une distraction dangereuse au dessein qu’il avait formé, disait-il, de ne jamais sortir de lui-même que pour converser secrètement avec la nature, et de ne quitter la nature que pour rentrer en lui-même.

346. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Son chant n’a rien de commun avec les sentiments et les pensées des hommes ; il ne se ressent pas davantage des impressions de la nature. […] Sans être fataliste le moins du monde, on ne peut méconnaître la part de fatalité que la nature même des choses introduit dans l’activité politique ou esthétique des sociétés humaines. […] Taine ne confond point l’ordre moral avec l’ordre physique, comme on le lui a si durement reproché ; il le soumet à des lois analogues et y applique la méthode des sciences de la nature. […] Quand la fatalité historique poursuit une fin heureuse et bonne, c’est en aveugle, comme la nature elle-même, dont elle fait partie. […] Vico, Principes d’une science nouvelle relative à la nature commune des nations.

347. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 10, objection tirée des tableaux pour montrer que l’art de l’imitation interesse plus que le sujet même de l’imitation » pp. 67-70

Section 10, objection tirée des tableaux pour montrer que l’art de l’imitation interesse plus que le sujet même de l’imitation On pourroit objecter que des tableaux où nous ne voïons que l’imitation de differens objets qui ne nous auroient point attachez, si nous les avions vûs dans la nature, ne laissent pas de se faire regarder long-tems. […] C’est moins l’objet qui fixe nos regards que l’adresse de l’artisan ; nous ne donnons pas plus d’attention à l’objet même imité dans le tableau, que nous lui en donnons dans la nature. […] Nous admirons le pinceau qui a sçu contrefaire si bien la nature. […] Un peintre peut donc passer pour un grand artisan, en qualité de dessinateur élegant, ou de coloriste rival de la nature, quand même il ne sçauroit pas faire usage de ses talens pour répresenter des objets touchans, et pour mettre dans ses tableaux l’ame et la vraisemblance qui se font sentir dans ceux de Raphaël et du Poussin.

348. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre II. Le mouvement romantique »

Ils s’attacheront à rendre leurs affections intimes et leurs impressions de la nature : leur lyrisme sera sentimental et pittoresque. Mais si nous nous intéressons aux émotions qui ne sont pas les nôtres, c’est que nous sommes hommes, et le poète est homme : nous avons en commun avec lui la nature et la source des émotions. […] si je suis capable de création lyrique, je la cherche dans tous les battements de mon cœur, dans tous les aspects de la nature. […] Il établissait que « tout ce qui est dans la nature est dans l’art » : ainsi le romantisme devenait un retour à la vérité, à la vie. […] Vive la nature brute et sauvage qui revit si bien dans les vers de M. de Vigny, Jules Lefèvre, V.

349. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

L’amour de la nature a bercé Audubon dès le premier âge. […] Avant d’avoir des amis, les objets de la nature matérielle frappèrent mon attention et émurent mon cœur. […] Je pensai que le moyen de m’approprier la nature, c’était de la copier. […] Je voulais seulement jouir de la nature. […] J’avais là tous les objets de mes affections, et cette belle nature nous souriait.

350. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

L’homme est dans ses œuvres, sans doute, mais il est aussi dans ses traits : la nature moule le visage sur l’âme. […] Quinet, nature allemande dans un talent français, a donné pour la première fois à la France la traduction, le sens et le commentaire. […] Tu m’as donné la puissante nature pour royaume, la force de la sentir, la volupté d’en jouir ! […] » s’écrie avec dégoût Faust indigné de voir profaner par cette ironie Dieu, la nature, la pensée, l’amour. […] ce flacon : trois gouttes de ce breuvage suffiront pour que la nature s’endorme doucement en un sommeil profond.

351. (1891) Esquisses contemporaines

La poésie de la nature est la seule que permette le positivisme. […] … Cette grande nature impassible te dit que demain tu disparaîtras sans avoir vécu. […] De fait, notre volonté n’est mise en jeu que si nous nous estimons plus grand que nature. […] Le Jésus des paraboles lui eût enseigné la nature, sa signification, son but et sa réalité. […] par ma nature.

352. (1887) George Sand

Quelle nature déjà complexe ! […] Laissez faire la nature, elle sait son métier. […] Mais la nouveauté est ici dans la nature de l’obstacle. […] La nature le repose et le récrée sans cesse. […] L’homme associé à la nature, la nature associée à l’homme, c’est une grande loi de l’art.

353. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

Elle a debonne heure retourné le monde ; elle a pris le contre pied de la nature ; elle a fait ce que défend un ancien sage, elle a déclaré la guerre à la vie : « Du petit au grand, écrivait-elle à une amie dans sa jeunesse, j’ai beaucoup étudié, beaucoup appliqué le dogme du sacrifice, auquel la pauvre Jeanne Gray avait tant de foi. […] Si elle manque souvent de naturel, on ne doit pas s’en étonner, puisqu’elle est en hostilité déclarée et irréconciliable avec la nature. […] Tout ce qui est bon et facile aux yeux de la nature lui paraît, à elle, périlleux ou mauvais, vu des yeux de la grâce ; et réciproquement. […] Mais Mme Swetchine est d’avis que la philosophie perd son latin à faire ces beaux traités, et en même temps elle n’a jamais consenti à lire couramment dans ces autres traités si engageants et si doux que lui offrait, à ses heures, la nature. […] Son traité, à en résumer l’esprit et les termes, est la gageure chrétienne la plus poussée que j’aie vue contre la nature.

354. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VI. De la philosophie » pp. 513-542

Ces hommes atroces, en retranchant de leur calcul les souffrances, les sentiments, l’imagination, croyaient le simplifier ; ils ne se faisaient nulle idée de la nature des vérités générales. […] La morale est la nature des choses dans l’ordre intellectuel ; et comme dans l’ordre physique, le calcul part de la nature des choses, et ne peut y apporter aucun changement, il doit, dans l’ordre intellectuel, partir de la même donnée, c’est-à-dire de la morale. […] Comme elle rencontre beaucoup d’obstacles, elle a reçu de la nature beaucoup de soutiens. […] En étudiant chacune des parties de la nature, il faut supposer des données antérieures à l’examen de l’homme ; l’impulsion de la vertu doit partir de plus haut que le raisonnement. […] Quand on s’étudie soi-même, ou reconnaît que l’amour de la vertu précède en nous la faculté de la réflexion, que ce sentiment est intimement lié à notre nature physique, et que ses impressions sont souvent involontaires.

355. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Montaigne, en effet, c’est la pure nature, qui se passe toute chose, qui s’accorde tous ses caprices ; et la loi de grâce, le christianisme, n’est pas venue seulement pour régler la nature, mais pour la retourner et la refouler, et, comme on dit, pour la circoncire. […] Il est bon au talent de réagir sur lui-même et de contrarier un peu sa nature pour l’affermir et la fortifier ; c’est le genre de service que l’étude de l’histoire rendit à M.  […] Droz a donc conduit l’histoire de la Révolution jusqu’au lendemain de la mort de Mirabeau ; cette grande figure domine tout ce troisième volume, le plus remarquable, le plus curieux et le plus neuf par la nature et le cachet des révélations précises. […] Droz plonger le regard au sein de cette nature si mélangée de Mirabeau, et en sortit chaque fois avec une admiration troublée de douleur et de regret. […] Il s’éteignit un jour sans douleur dans les bras des siens, et sembla justifier en tout cette belle pensée de Marc Aurèle : « Il faut passer cet instant de vie conformément à notre nature, et nous soumettre à notre dissolution avec douceur, comme une olive mûre qui, en tombant, semble bénir la terre qui l’a portée, et rendre grâces au bois qui l’a produite. » En ces temps de mélange et de turbulence, cette vie et cette nature de M. 

356. (1888) Portraits de maîtres

Cet éveil que la nature avait provoqué, le malheur le hâta. […] Cependant l’interprétation, la description de la nature à la manière antique restait toute entière à ressaisir. […] Mais qui donc oserait faire un crime à ce loyal esprit d’un excès de confiance dans la nature humaine ? […] La dépendance, de quelque nature que ce soit, est mauvaise aux critiques. […] La nature devenait l’amie et la confidente de la fugitive Psyché, cette amante d’Éros.

357. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

La gaieté que Gresset a voulu donner au méchant n’est point dans la nature. […] Une scène de Molière est une représentation de la nature ; une scène de Marivaux est un commentaire sur la nature. […] Il réclama une imitation plus exacte de la nature. […] Descartes avait eu aussi la noble ambition de la connaître ; mais ce qui avait surtout agité son esprit, c’était la liaison de la nature morale à la nature physique. […] Buffon, placé à une autre époque, ne songea qu’à la nature physique.

358. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

Cela me paraissait une ingratitude envers la nature. […] Le costume annule pour moi le personnage ; la nature est nue. […] Nos deux natures ne concordaient pas plus que nos âges. […] La nature ne lui avait pas donné de voix, mais une volonté qui se passe de la nature. […] … Osez parler, après de tels noms, de la décadence de la nature en France !

359. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre II. De l’Allégorie. »

Or, l’âme, dont la nature est la vie, a essentiellement la faculté de produire ; de sorte qu’un de ses vices, une de ses vertus, peuvent être considérés ou comme son fils, ou comme sa fille, puisqu’elle les a véritablement engendrés. […] Ces grandes émotions qu’inspire la nature sauvage n’ont point cessé d’exister, et les bois conservent encore pour nous leur formidable divinité. Enfin, il est si vrai que l’allégorie physique, ou les dieux de la fable, détruisaient les charmes de la nature, que les anciens n’ont point eu de vrais peintres de paysage59, par la même raison qu’ils n’avaient point de poésie descriptive. […] Mais, comme les nations infidèles ont toujours mêlé leur fausse religion (et par conséquent leur mauvais goût) à leurs ouvrages, ce n’est que sous le christianisme qu’on a su peindre la nature dans sa vérité.

360. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre II. Recherche des vérités générales » pp. 113-119

Or, de nos jours l’homme est, si l’on peut s’exprimer ainsi, rentré dans la nature ; on a compris qu’il n’est pas isolé au centre de l’Univers ; qu’il est soumis à des lois qui lui sont communes avec les êtres environnants. […] Il faut donc que la France et l’Europe entière aient été prédisposées à ce réveil du sentiment de la nature. […] Il sait que ce fut l’âge d’or de la société polie ; qu’en ce temps-là la vie mondaine fut l’idéal de tout ce qui comptait alors parmi les hommes ; que les jardins mêmes étaient des salons ; que les philosophes prouvaient l’existence de la matière par celle de la pensée ; que les poètes, acharnés à peindre l’âme humaine civilisée, laissaient à peine tomber quelques regards distraits sur la nature environnante. […] Question de race peut-être ; mais surtout parce que l’esprit mondain y fut une importation, une mode exotique venue d’outre-Manche, par conséquent une chose superficielle, un vernis peu solide, et aussi parce qu’une nation de marins, de commerçants, de voyageurs était par là même restée en contact perpétuel avec la nature. […] Si l’on veut après cela résumer les causes qui ont amené en France cette renaissance du sentiment de la nature, on arrive à cette formule : Cause essentielle : la longue et fatigante durée d’une civilisation trop exclusivement mondaine, durée qui engendre le désir de sensations opposées.

361. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre III. Paradis perdu. »

Le poète continue à développer ces grandes vues de la nature humaine, cette sublime raison du christianisme. […] Aussi Milton appelle-t-il la femme, fair defect of nature, « beau défaut de la nature. » La manière dont le poète anglais a conduit la chute de nos premiers pères mérite d’être examinée. […] Quelles calamités cette tranquillité présente de la nature ne fait-elle point entrevoir dans l’avenir ! […] À cette consommation du crime, rien ne s’altère encore dans la nature : les passions seulement font gronder leurs premiers orages dans le cœur du couple malheureux. […] Adam s’est retiré seul pendant la nuit sous un ombrage : la nature de l’air est changée ; des vapeurs froides, des nuages épais obscurcissent les cieux ; la foudre a embrasé les arbres ; les animaux fuient à la vue de l’homme ; le loup commence à poursuivre l’agneau, le vautour à déchirer la colombe.

362. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Seconde faculté d’une Université. Faculté de médecine. » pp. 497-505

Il exposera la nature de chacune et les principes caractéristiques que l’analyse chimique y découvre. […] Le professeur de chirurgie traitera de toutes les maladies purement chirurgicales, comme les plaies, les tumeurs, les ulcères, les luxations et les fractions ; il décrira la nature et la manière curative. […] Ensuite, ils expliqueront la nature et le traitement des maladies particulières aux femmes et aux enfants. […] Là il leur. fera observer les symptômes de chacune des maladies qu’il aura à traiter, leur indiquera les moyens d’en découvrir les causes, leur fera remarquer la marche que la nature suit le plus ordinairement, les indications qui se présentent à remplir, et leur rendra raison de la méthode curative qu’il croira devoir adopter. […] Cette petite provision, suffisante pour l’homme bien élevé, serait trop légère pour le médecin, dont la profession suppose une connaissance approfondie des substances de la nature et de leurs analyses, ses deux arsenaux.

363. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice de Guérin »

Poète naturaliste (pictura poesis), qui traverse la description pour aller heurter obstinément sa rêverie contre l’obstacle, éblouissant ou sombre, de la Nature, qui cache invinciblement son secret sous les formes incompréhensibles de la vie, il procède toujours par larges échappées de paysages, par prolongement d’horizons, ou par ces traits qui, tout déliés qu’ils soient, se fondent dans la transparence qui est l’infini au regard : Elle (sa Muse) me conterait sans pause Toutes les merveilles des mers, Et le mystère qui se passe En ce point vague de l’espace Où le ciel et les flots amers S’entre-baisent dans les jours clairs. […] Tous les deux écrivirent également en prose et en vers ; mais l’un (André Chénier), le poète du fini, parla mieux la langue des vers, qui est le langage du fini, et l’autre (Maurice de Guérin), le poète de l’infini, parla mieux la langue de la prose, dans laquelle la nature et la pensée semblent avoir plus d’espace pour s’étendre et tenir tout entières. […] Le reste, et le reste est le tout, n’est que prose : lettres écrites à des amis, mais dans les premiers moments de la vie ; Memoranda, vues sur soi-même ; paysages bretons : admirable rendu de la nature par qui l’adore ; et, pour couronner cet ensemble, Le Centaure, qui n’est pas un fragment, mais un chef-d’œuvre complet et absolu, où pour la première et seule fois Guérin saisit son idéal et n’insulta pas sa pensée. […] Les Études de Bernardin avaient été le vase vivant dans lequel il avait commencé de boire le lait des tendresses humaines pour la Nature… Mais, comme l’enfant grandi, qui a essuyé sa ronde bouche rose du lait maternel et qui n’a plus là que son propre souffle à lui, sa virginale haleine, Guérin ne fut plus que Guérin, et il ne resta pas dans les flots de sa chevelure ambroisienne, livrée à tous les vents de ses paysages, une seule des fleurs tombées de ce lilas de Bernardin sous lequel il s’était une minute assis. Gœthe, si respecté par Sainte-Beuve, Gœthe, qui aurait joui si profondément du Centaure et qui aurait rêvé à son tour cet Hermaphrodite, fils des Musées et de Pausanias, et qui devait devenir, dans la pensée de Guérin, le frère du Centaure ; Gœthe n’aurait confondu avec personne ce panthéiste original qui ne vit jamais au monde que la Nature, — la grande Nature qu’aimait Lucrèce, celle-là qui tient sous le bleu du ciel, entre deux horizons, — et, tout allemand qu’il fût, il aurait mieux compris que Sainte-Beuve l’interprétation presque consubstantielle de cette nature que Guérin nous a faite, dans ces fragments inouïs de pureté, de mollesse et de transparence, de contours sinueux et rêveurs !

364. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre II. La Nationalisation de la Littérature (1610-1722) » pp. 107-277

Ils croyaient, en second lieu, que, si l’imitation de la nature est le principe ou le « commencement » de l’art, cela veut dire sans doute en bon français qu’elle n’en est pas l’objet ou la « fin », et que l’écrivain manque à sa mission ou à sa fonction, qui ne se propose pas en quelque mesure, comme le dira bientôt Bossuet, de « perfectionner la nature » : il n’a pas dit de « l’embellir » ! […] Il y enseigne qu’on doit imiter la nature. […] C’est ce que voit bien aussi Bossuet, puisque c’est même alors qu’il fait écrire par Fénelon, contre Malebranche, la Réfutation du Traité de la nature et de la grâce. […] Non seulement il peint d’après nature ; mais c’est véritablement de « l’actualité » qu’il s’inspire, et toute son ambition n’est que de représenter au vif « les mœurs de son temps ». […] — l’exception qu’à ce titre nous constituons dans la nature ?

365. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre V. Du jeu, de l’avarice, de l’ivresse, etc. »

Il y a dans les libertins, dans ceux qui s’enivrent, dans les joueurs, dans les avares, les deux espèces de mouvement qui font les ambitieux en tout genre, le besoin d’émotion et la personnalité : mais dans les passions morales, on ne peut être ému que par les sentiments de l’âme, et ce qu’on a d’égoïsme n’est satisfait que par le rapport des autres avec soi, tandis que le seul avantage de ces passions physiques c’est l’agitation qui suspend le sentiment et la pensée ; elles donnent une sorte de personnalité matérielle, qui part de soi pour revenir à soi, et fait triompher ce qu’il y a d’animal dans l’homme sur le reste de sa nature. […] Le monde est agité par l’inquiétude de chaque homme, et ces armées innombrables qui couvrent la surface de la terre, sont l’invention cruelle des soldats, des officiers, des rois, pour chercher dans la destinée quelque chose que la nature n’y a point mis, ou tout au moins, pour obtenir cette interruption momentanée de la durée successive des idées habituelles, cette émotion qui soulage du poids de la vie. […] Si l’on parvenait à rallier la nature morale à la nature physique, l’univers entier à une seule pensée, on aurait presque dérobé le secret de la Divinité. La plupart des hommes cherchent donc à trouver le bonheur dans l’émotion, c’est-à-dire, dans une sensation rapide, qui gâte un long avenir : d’autres se livrent par calcul, et surtout par caractère à la personnalité ; mécontents de leurs relations avec les autres, ils croient avoir trouvé un secret sûr pour être heureux, en se consacrant à eux-mêmes, et ils ne savent pas que ce n’est pas seulement de la nature du joug, mais de la dépendance en elle-même que naît le malheur de l’homme.

366. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVI, les Érynnies. »

Les Érynnies y personnifièrent, dès qu’elles apparurent, le remords et le châtiment : — plus encore, les lois primordiales de la nature et du monde dont le dépôt était sous leur garde. […] Surveillantes de la nature, elles la maintenaient dans ses lois prescrites ; leur contrôle embrassait l’ordre universel, l’axe du monde tournait sous leurs mains. […] Avant tout, les Érynnies étaient les vengeresses acharnées du meurtre, du parricide surtout, qui, plus qu’aucun autre, outrage la nature. […] Nous nous ruons sur lui, et, si fort qu’il soit, nous l’effaçons de la terre. » II. — Haine et répulsion qu’elles inspirent. — Cruauté qu’on leur attribue. — Nature vampirique des Érynnies. — La vision de Dion. […] On leur attribuait même une nature vampirique : elles suçaient, disait-on, le sang de leurs victimes et s’en gorgeaient avidement.

367. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre VI. Harmonies morales. — Dévotions populaires. »

Nous quittons les harmonies physiques des monuments religieux et des scènes de la nature pour entrer dans les harmonies morales du christianisme. […] Ce ne sont, en effet, que des harmonies de la religion et de la nature. […] Il suit de là que, plus un culte a de ces dévotions populaires, plus il est poétique, puisque la poésie se fonde sur les mouvements de l’âme et les accidents de la nature, rendus tout mystérieux par l’intervention des idées religieuses. […] Pour l’homme de foi, la nature est une constante merveille. […] quelle élévation cela ne donnait-il pas à la nature humaine !

368. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

La seconde est, seule, conforme à la nature du genre. […] Elle multiplie autour d’une Eliot les harmonies de la nature et de l’homme. […] Mais pour créer le génie il ne faut pas imiter la nature, il faudrait être la nature, être une nature. […] Elle est, comme la nature, une vraie nature. […] Et c’est par là qu’il fait concurrence non seulement à l’état civil, mais à la nature, qu’il devient une nature.

369. (1874) Premiers lundis. Tome II « L. Aimé Martin. De l’éducation des mères de famille, ou de la civilisation du genre humain par les femmes. »

Jean-Jacques, venu dans un siècle et dans un monde énervé et de mœurs factices, s’est épris, par contre-coup de génie, du culte de la nature ; il s’est créé sous ce nom un idéal romanesque qu’il a constamment opposé aux raffinements de la société d’alors. […] De nos jours pourtant on a compris que, de même que toute saine politique n’est pas dans un état de nature antérieur, toute la destination sociale des femmes ne se découvre pas dans une vague idéalisation de ce mot nature. […] Nous croyons qu’il y a dans la nature un reste de mal qu’il faut attaquer par le sacrifice, et contre lequel la nature elle-même est infirme sans une sorte de grâce. — Et puis, quand on aurait trouvé théoriquement quelle devrait être l’éducation des mères de famille, ne faudrait-il pas que cette éducation pût matériellement s’adresser à toutes ?

370. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIIe entretien. Madame de Staël. Suite. »

Cet homme n’avait ni dans sa nature, ni dans son âme, ni dans son caractère, l’enthousiasme, l’énergie, la vertu publique, faits pour justifier un tel attachement. […] « L’un de ces tribuns, ami de la liberté et doué d’un des esprits les plus remarquables que la nature ait départi à aucun homme, M.  […] Les sensations qui nous viennent par les combinaisons de la société sont si différentes de celles de la nature ! […] C’était enfin un crime non-seulement contre la politique, mais contre la nature, à détester dans son persécuteur. […] Corinne, punie de sa beauté et de son génie, expire de tristesse sous l’excès même des dons qu’elle a reçus de la nature.

371. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

Mauvais pli de la nature ou contracture de la volonté, le vice ressemble souvent à une courbure de l’âme. […] En ce sens, on pourrait dire que la nature obtient souvent elle-même des succès de caricaturiste. […] Par extension, tout déguisement va devenir comique, non pas seulement celui de l’homme, mais celui de la société également, et même celui de la nature. Commençons par la nature. […] C’est dans cette zone des artifices, mitoyenne entre la nature et l’art, que nous pénétrons maintenant.

372. (1890) L’avenir de la science « XXIII »

C’est l’homme vrai et sincère, prenant au sérieux sa nature et adorant les inspirations de Dieu dans celles de son cœur. […] Tout se réduit à ce fait de la nature humaine : l’homme en face du divin sort de lui-même, se suspend à un charme céleste, anéantit sa chétive personnalité, s’exalte, s’absorbe. […] Quoi, vous admettriez que la matière est, parce que vos yeux et vos mains vous le disent, et vous douteriez de l’être divin, que toute votre nature proclame dès son premier fait ? […] Partout l’homme a dépassé la nature ; partout, au-delà du visible, il a supposé l’invisible. […] Elles ne connaissent pas le mystère, le renoncement, le sacrifice, puisqu’elles acceptent et sanctifient de prime abord la nature.

373. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre x »

Sur cette adolescence, rien ne subsiste que les diversités qui viennent de la nature et de l’histoire, qui sont dans le métal même et qui constituent l’alliage français. […] Que l’esprit et le cœur annihilent les instincts animaux et les révoltes de la nature ! […] Mais je pensais : « Que peut-il m’advenir de mal de cette nature qui m’est si amie ? […] Ils m’abritent et me protègent quand survient la tourmente…‌ Cette familiarité avec la nature, très fréquente chez nos jeunes soldats, est bien émouvante. […] Ce petit soldat résout la difficulté que l’on croyait voir entre le culte de la nature et le christianisme héroïque.

374. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

Toutes les consciences humaines sont de même nature, perçoivent de la même manière, marchent en quelque sorte du même pas et vivent la même durée. […] Le mathématicien, il est vrai, n’aura pas à s’occuper d’elle, puisqu’il s’intéresse à la mesure des choses et non pas à leur nature. […] Dans le présent travail, nous prenons la conscience telle que l’expérience nous la donne, sans faire d’hypothèse sur sa nature et ses origines. […] WHITEHEAD, The Concept of Nature, Cambridge, 1920. Cet ouvrage (qui tient compte de la théorie de la Relativité) est certainement un des plus profonds qu’on ait écrits sur la philosophie de la nature.

375. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

En même temps que l’esprit grave, mélancolique, de Vauvenargues, retardé par le scepticisme, s’éteint avant d’avoir pu s’appliquer à la philosophie religieuse où il aspire, des natures sensibles, délicates, fragiles et repentantes, comme mademoiselle Aïssé, l’abbé Prévost, Gresset, se font entrevoir et se trahissent par de vagues plaintes ; mais une voix expressive manque à leurs émotions ; leur monde intérieur ne se figure ni ne se module en aucun endroit. Plus tard, Diderot et Rousseau, puissances incohérentes, eurent en eux de grandes et belles parties d’inspiration ; ils ouvrent des jours magnifiques sur la nature extérieure et sur l’âme ; mais ils se plaisent aussi à déchaîner les ténèbres. […] Rousseau, disions-nous, avait eu de grandes parties d’inspiration ; il avait prêté un admirable langage à une foule de mouvements obscurs de l’âme et d’harmonies éparses dans la nature. […] Il a peu d’idées, des systèmes importuns, une modestie fausse, une prétention à l’ignorance, qui revient toujours et impatiente un peu ; mais il sent la nature, il l’adore, il l’embrasse sous ses aspects magiques, par masses confuses, au sein des clairs de lune où elle est baignée ; il a des mots d’un effet musical et qu’il place dans son style comme des harpes éoliennes, pour nous ravir en rêverie. […] Sans parler de tout ce qu’il y avait de primitivement affable dans la belle âme de Lamartine, on doit peut-être à cette éducation paternelle de Belley de n’y avoir rien déposé de timide et de farouche, comme il est arrivé trop souvent chez d’autres natures sensibles de notre âge.

376. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

On y saisit à l’origine une nature prompte, facile, assez riche et très malléable, une nature très naturelle si je puis dire, ouverte, franche, assez fière sans orgueil, sans fiel et sans aucun mauvais levain. […] Il est à remarquer comme dans ses récits, de quelque nature qu’ils soient, il n’oublie jamais les détails du manger, le vin de Champagne ou le flacon de vin de Tokai qui animait la fin des plus spirituels repas. […] Marmontel n’a pas ce goût sévère qui avertit de s’arrêter à temps et de s’en tenir à la seule nature. […] J’en pris à témoin le ciel et la nature… Ah ! […] Cette veine de sensualité ne va pas pour lors plus loin qu’il ne faut chez cette nature honnête ; mais j’y relève surtout l’habitude de voir les choses un peu autrement qu’elles ne sont, de les peindre avec un certain coloris bienveillant et amolli qui n’est pas leur juste couleur ; j’y note, en un mot, cette disposition de l’auteur à marmontéliser la nature.

377. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Première partie. Écoles et manifestes » pp. 13-41

Nous revenons vers la Nature. […] Et c’est l’eurythmie de la Nature qui détermine les rythmes de son harmonie.” […] L’art n’est plus, comme l’a promulgué le chef du naturalisme, la Nature vue à travers un tempérament, c’est la Nature elle-même qui se volatilise, se transverbe ou s’immobilise, selon que le musicien, le poète ou le peintre l’envisage. […] Par un violent effort ils ont voulu se placer au centre même du réel, et par une sorte de sympathie intellectuelle, communier avec la nature. […] Suivons la nature, sans doute, mais la nature d’à présent et non point celle de l’âge de Montchrétien ou de Bossuet.

378. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

Cette dernière expression est pourtant celle de la nature ; c’est la seule qui se présente à un amant affligé : la première est d’un bel esprit qui n’aime point, ou qui n’aime plus. […] Ainsi (ce qui semblera paradoxe, sans en être moins vrai) les règles de l’élocution ne sont nécessaires que pour les morceaux qui ne sont pas proprement éloquents, et où la nature a besoin de l’art. […] Il y a sans doute des oreilles qui ne sont pas faites pour l’harmonie oratoire, comme il en est d’insensibles à l’harmonie musicale ; mais c’est à la nature à les refaire, et non au raisonnement à les corriger. […] La première est dictée par la nature ; c’est ensuite à l’oreille et à l’art d’arranger les termes de la manière la plus harmonieuse. […] En un mot, la vérité, la simplicité, la nature, voilà ce que tout écrivain doit avoir sans cesse devant les yeux.

379. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. » pp. 432-452

La nature l’avait fait ainsi, et il ne ressemblait, par certains côtés essentiels, à nul autre des écrivains qui l’avaient précédé. […] Que de tableaux sont gâtés dans les Études de la nature par la borne de l’intelligence et par le défaut d’élévation d’âme de l’écrivain ! […] À travers cette contradiction de mouvements, il se dessine lui-même et se trahit dans sa nature secrète, mais il se fait connaître par le côté où il s’y attendait le moins, et on ne lui en sait pas gré. […] Ce qui reste évident pour lui, c’est qu’on ne sent nulle part l’unité de l’homme ni le vrai d’une nature ; et, à la longue, ce désaccord devient insupportable dans une lecture de mémoires. […] Mais, pour cela, il vous faudrait être un de ces poètes qui sont larges, simples et profonds comme la nature.

380. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

Il ne ressemble pas aux gens préoccupés et frappés qui, mesurant tout à leur horizon visuel, estimant tout d’après leur sensation présente croient toujours que la maladie qu’ils ont est la plus grave que jamais la nature humaine ait éprouvée. […] Et élevant de plus en plus sa pensée et son cœur, réduisant sa propre souffrance à ce qu’elle est dans l’immense sein de la nature, s’y voyant non plus seulement soi, mais des royaumes entiers, comme un simple point dans l’infini, il ajoute en des termes qui rappellent d’avance Pascal, et dont celui-ci n’a pas dédaigné d’emprunter le calque et le trait : Mais qui se représente comme dans un tableau cette grande image de notre mère nature en son entière majesté : qui lit en son visage une si générale et constante variété ; qui se remarque là-dedans, et non soi, mais tout un royaume, comme un trait d’une pointe très délicate, celui-là seul estime les choses selon leur juste grandeur. […]  » Lui, il ne faisait pas ainsi, il n’étalait rien ; il ménageait le plus doucement qu’il pouvait les esprits et les affaires ; il usait utilement pour tous de ce don d’ouverture et de conciliation, de cet attrait personnel dont la nature l’avait pourvu, et qui est d’une si heureuse et si générale influence dans le maniement des hommes. […] Avec Montaigne pourtant, de la nature dont nous le savons, cette pensée d’observation stoïque ne laissait pas d’introduire quelque consolation jusque dans les maux réels. […] Si on voulait l’imiter, même en supposant qu’on le pût et qu’on y fût disposé par nature, si l’on voulait écrire avec cette rigueur, et cette exacte correspondance, et cette continuité diverse de figures et de traits, il faudrait à tout moment forcer notre langue à être plus forte et plus complète poétiquement qu’elle ne l’est d’ordinaire et dans l’usage.

381. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

. — Retour à la nature et au sentiment. […] On ne songe plus à se composer et à se contraindre, à garder sa dignité en toute circonstance, à soumettre les faiblesses de la nature aux exigences du rang. […] L’empire est à la force dans l’humanité comme dans la nature. […] Le fonds et la ressource manquent à ce caractère ; à force de s’affiner, il s’est étiolé, et la nature, appauvrie par la culture, est incapable des transformations par lesquelles on se renouvelle et on se survit  L’éducation toute-puissante a réprimé, adouci, exténué l’instinct lui-même. […] Trait suprême du savoir-vivre qui, érigé en devoir unique et devenu pour cette aristocratie une seconde nature, se retrouve dans ses vertus comme dans ses vices, dans ses facultés comme dans ses impuissances, dans sa prospérité comme dans sa chute, et la pare jusque dans la mort où il la conduit.

382. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse psychologique »

On a vu par l’exposé historique du début que la plupart des critiques n’ont essayé de montrer la nature des écrivains dont ils s’occupaient que pour mieux apprécier leurs œuvres. […] Leur art, à l’exemple de la nature muette, s’adresse aux sens et à l’intelligence, pour provoquer par elle l’émotion que les artistes passionnés cherchent à produire directement, sachant que l’on s’émeut de voir un semblable ému. Ici, l’étude des relations entre les sentiments de l’œuvre et la nature morale de l’auteur demande plus de soins. […] Il s’agit d’émettre sur le jeu et la nature des gros organes de cette âme, une supposition qui nous permette de la figurer telle qu’elle puisse être la cause des manifestations constatées. […] Le modèle qu’il propose, spécificité française, est de nature pathologique.

383. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre I : De la méthode en général »

La religion, la philosophie, la poésie, contribuèrent à perfectionner les mœurs et les lois, mais toujours d’une manière spontanée, sans que l’on s’aperçût encore que l’homme peut par la science se rendre maître de la nature et de la société elle-même, et donner à ses progrès une direction choisie et voulue. […] Ainsi les hommes commencent à vouloir gouverner la société comme ils gouvernent la nature, mais d’une manière bien plus incertaine, les faits étant infiniment plus nombreux et plus compliqués. […] La découverte des interférences lumineuses fut l’expérience cruciale qui trancha la question entre l’hypothèse de Descartes et celle de Newton sur la nature de la lumière. […] Quoi de plus ingénieux que ce que Bacon nous dit des faits clandestins, qui sont ceux, dit-il, où la nature cherchée se trouve dans son état le plus faible et le plus imparfait ? […] Un tel savant, venant à défendre le droit de l’idée, c’est-à-dire le droit de l’esprit, dans l’interprétation de la nature, mérite particulièrement d’être écouté.

384. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 24, des actions allegoriques et des personnages allegoriques par rapport à la peinture » pp. 183-212

Mais, me dira-t-on, les peintres ont été de tout-tems en possession de peindre des tritons et des néreïdes dans leurs tableaux, quoiqu’on n’en ait jamais vû dans la nature. […] Il faut avoir une imagination plus féconde, et plus juste, pour imaginer et pour rencontrer les traits dont la nature se sert dans l’expression des passions, que pour inventer des figures emblêmatiques. […] Il faut, pour ainsi dire, sçavoir copier la nature sans la voir. […] Est-ce avoir la nature devant les yeux que de dessiner d’après un modele tranquille, lorsqu’il s’agit de peindre une tête où l’on découvre l’amour à travers la fureur de la jalousie. On voit bien une partie de la nature dans son modele, mais on n’y voit pas ce qu’il y a de plus important par rapport au sujet qu’on peint.

385. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

Les efforts s’accroissent toujours en proportion de la récompense ; et lorsque la nature du gouvernement promet à l’homme de génie la puissance et la gloire, des vainqueurs dignes de remporter un tel prix ne tardent point à se présenter. […] Il n’y a de variété que dans la nature ; les sentiments vrais inspirent seuls des idées neuves. […] Ce n’était pas aux victimes ; il était difficile de les convaincre de l’utilité de leur malheur : ce n’était pas aux tyrans ; ils ne se décidaient par aucun des arguments dont ils se servaient eux-mêmes : ce n’était pas à la postérité ; son inflexible jugement est celui de la nature des choses. […] Si vous parlez au nom de la puissance, ils vous écouteront avec respect, quel que soit votre langage ; mais si vous réclamez pour le faible, si votre nature généreuse vous fait préférer la cause délaissée par la faveur et recueillie par l’humanité, vous n’exciterez que le ressentiment de la faction dominante. […] Néanmoins il en est d’elle comme de tous les biens que permet notre destinée : ils ont tous des inconvénients, que l’on fait ressortir seuls, si le vent de la faction souffle dans ce sens ; mais en se livrant ainsi à l’examen des choses, quel don de la nature paraîtrait exempt de maux ?

386. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre I. Les théories de la Pléiade »

Contre les ignorants, ils maintiennent la nécessité de l’étude, de l’art, du travail ; que la nature toute seule ne fait pas des chefs-d’œuvre, et que les anciens seuls nous enseignent la façon des chefs-d’œuvre. […] Ronsard n’a pas vu nettement que les anciens sont les modèles, parce que la nature est fidèlement exprimée en leurs œuvres, et qu’ainsi de s’adresser à eux, ou à la nature, c’est la même chose : que du moins ils nous guident dans le choix des objets et des moyens d’imitation. […] Car bien qu’il n’ajoute cela que pour justifier l’emploi de la mythologie, je sens là une erreur générale : Ronsard pose les anciens à côté de la nature, non comme offrant déjà la nature, mais comme égaux à la nature dans les choses même où nous n’y trouvons ni raison ni vérité, où leur nature enfin n’est pas la nôtre. […] De là vient cette stupéfiante Préface de la Franciade, où, précisant le retentissant appel de Du Bellay, il enseigne à faire le pillage méthodique des trésors de l’antiquité, à mettre les Grecs et les Romains en coupe réglée ; où l’imitation se fait un décalque servile, matériel, irraisonné ; où sans plus regarder la nature, sans entrer non plus en contact avec l’âme des anciens, on leur arrache ce qu’ils ont d’extérieur, de relatif, de local.

387. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lamartine, Alphonse de (1790-1869) »

Jamais le souffle de la nature n’a plus profondément pénétré et n’a plus largement remué de la base à la cime et jusque dans les moindres rameaux une œuvre d’art ! […] quelle manière transparente et large de prendre et de refléter la nature ! […] Toutefois ces appellations très exagérées n’en donnent pas moins la clef de l’homme et de sa nature : c’était un esprit mobile, imparfaitement instruit et présomptueux. […] C’était le génie enfin : la nature même créant par sa créature. […] C’est le sentiment pur qui s’exprime dans l’atmosphère qui lui convient ; c’est l’existence même de l’âme qui se révèle à nous par la nature impalpable des images, les subtiles associations de sons et de mots.

388. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

Il me semble que j’entends l’Auteur de la Nature qui lui crie : Je t’ai doué de ce qui t’étoit nécessaire pour la mesure de ton bonheur. […] Voilà le précipice ou conduisent les passions factices ; l’homme de génie les méconnoit, il n’a que celles de la Nature, toujours bienfaisante en elle-même. […] Il sent que les dons de la Nature les seuls biens véritables sont la santé, la joie, la tendresse, la tranquillité de l’ame, & il soutiendra sans douleur toute autre privation, parce que sa raison aura reglé cette intempérance d’imagination qui fait l’inquiétude des autres hommes. […] Envain la Fortune veut se venger des dons qu’il a reçus de la Nature, envain elle l’accable de ces traits qui flétrissent l’ame, il refusera constamment de plier un genou servile devant ses idoles, ou ses favoris. […] Dignes compagnes de l’homme, osez penser avec lui ; la Nature vous a donné le même esprit.

389. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre I : Philosophie religieuse de M. Guizot »

Il retranche ainsi de l’homme des faits qui appartiennent à la nature humaine, par exemple le besoin du surnaturel. […] Ainsi tous les systèmes de philosophes mutilent la nature humaine, pas un seul ne résout les problèmes posés par le genre humain. […] Les lois de la nature ne s’imposent pas à la volonté humaine : il y a un domaine où l’homme est maître de ses actes. […] Le surnaturel est l’intervention immédiate et personnelle de Dieu dans la nature : c’est ce qui excède les forces naturelles. […] On objecte les lois de la nature, qui seraient immuables ; mais c’est ce qui est en question : elles sont permanentes, non nécessaires.

390. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XX. De Libanius, et de tous les autres orateurs qui ont fait l’éloge de Julien. Jugement sur ce prince. »

Je sais que ces sortes d’actions sont extraordinaires et doivent le paraître ; mais la nature passionnée a son prix, comme la nature réfléchie ; et les hommes peut-être les plus estimables ne sont pas ceux qui règlent froidement et sensément tous les mouvements de leur âme, qui avant de sentir ont le loisir de regarder autour d’eux, et se souviennent toujours à temps qu’ils ont besoin d’être modestes. […] Photius lui reproche de laisser trop apercevoir dans ses discours l’empreinte du travail, et d’avoir éteint, par un désir curieux de perfection, une partie de ces grâces faciles et brillantes que lui donnait la nature lorsqu’il parlait sur-le-champ. […] À l’exemple de Trajan, il soumit à la loi un pouvoir qui, par la force secrète de la nature et des choses, ne tend que trop souvent à s’affranchir de la loi. […] Enfin, en mourant, il témoigna la plus grande fermeté et le courage tranquille d’un homme qui obéit à la nature, et que ses actions consolent de la brièveté de sa vie56. […] Voici ses dernières paroles telles qu’on les trouve partout : « Mes amis, la nature me redemande ce qu’elle m’a prêté ; je le lui rends avec la joie d’un débiteur qui s’acquitte.

391. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre III. L’antinomie dans la vie affective » pp. 71-87

Considérons maintenant la nature de la sensibilité. […] Les intellectualistes conçoivent tout autrement que les physiologistes la nature de la sensibilité et son rapport à l’intelligence. […] C’est là une loi profonde de notre nature, indépendante de toute forme et de toute combinaison sociale. […] Elle tient vraisemblablement à notre nature primitive ; à notre physiologie compliquée, instable et discordante, à nos atavismes contradictoires. […] Metchnikoff, dans son livre : Essai sur la nature humaine.

392. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre V. L’Analyse et la Physique. »

À côté d’eux, il y a ceux qui sont seulement curieux de la nature et qui nous demandent si nous sommes en état de la leur mieux faire connaître. […] Elles doivent fournir un instrument pour l’étude de la nature. […] C’est ce que je vais m’efforcer de démontrer en précisant la nature des rapports entre la science pure et ses applications. […] Quelque variée que soit l’imagination de l’homme, la nature est mille fois plus riche encore. […] Voilà ce que nous devons au continu et par conséquent à la nature physique.

393. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre III : Théorie psychologique de la matière et de l’esprit. »

Cet accord de nous et de nos semblables achève et complète notre idée : que la réalité fondamentale de la nature consiste en des groupes de possibilités. […] Supposez que je considère l’Esprit divin simplement comme la série des pensées divines prolongée pendant l’éternité, ce serait assurément considérer l’existence de Dieu comme aussi réelle que la mienne ; ce serait faire ce qu’au fond on fait toujours, c’est-à-dire se fonder sur la nature humaine pour en inférer la nature divine. […] La nature précise du procédé par lequel nous le connaissons est un ample sujet de discussions… Je n’essaye pas de le trancher. Mais cet élément original qui n’a de communauté de nature avec aucune chose répondant à nos noms, et auquel nous ne pouvons donner aucun nom que le sien, sans impliquer quelque théorie fausse ou chancelante, c’est le Moi. […] « Il existe, prétend-il, une sorte d’harmonie préétablie entre le cours de la nature et la succession de nos idées, et quoique les puissances et les forces par lesquelles la première est gouvernée nous soient pleinement inconnues, nos pensées et nos conceptions ne laissent pas en définitive d’avoir suivi la même marche que les autres objets de la nature.

394. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVI. Buffon »

Non, il se maria tard, dans sa beauté mûrie, et distribua ses jours entre la Méditation et la Nature, entre l’amour sans trouble du mariage et les vigilances tendres et lucides de la paternité. […] C’est alors qu’il créa des naturalistes qui durent l’aider dans le gouvernement de ce Jardin, ouvert aux produits des quatre règnes de la nature et qui vinrent de tous les coins du globe s’y accumuler ! […] Le sentiment paternel, si protégeant et si élevé, rentrait dans sa nature ordonnante et souveraine. […] Flourens, se trompa d’abord sur la méthode, rien n’étant moins dans la nature de son esprit que les nomenclatures et les caractères généraux. […] Nous nous soucions fort peu, pour notre compte, que la science, dont la preuve définitive n’est jamais faite, revienne maintenant, comme on le dit, aux Époques de la nature, après les avoir insultées.

395. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

Ce n’est pas plus un technicien de rhythme qu’un descriptif, qui croit que calquer la nature sans y ajouter rien de l’âme humaine, c’est la peindre… Ce n’est point, enfin, un de ces objectifs, comme ce coucou de Gœthe en a pondu dans le nid de la France, depuis le Victor Hugo des Orientales jusqu’au Théophile Gautier d’Émaux et Camées et à Leconte de Lisle. […] Si le génie de l’expression rayonne davantage dans Lamartine, si le pathétique de la passion et des larmes est incomparable dans son poème sublime où la nature muette, après les cris qu’y pousse la nature vivante, est peinte avec plus de relief et plus de grandeur que dans Virgile, — et par la raison que la nature vivante s’empreint sur cette nature muette pour la spiritualiser et la transfigurer, — la supériorité morale appartient pourtant à du Clésieux, et la supériorité morale n’est pas une chose indifférente ou vaine en littérature. […] Du Clésieux, dans son poème, est resté jusqu’à la dernière page et jusqu’à son dernier vers dans la beauté du sentiment chrétien le plus pur, et cette beauté s’ajoute à celle de l’émotion humaine qui fait palpiter tout son poème, comme un cœur vivant… IV Rien de plus simple que ce roman en vers qui pourrait bien être une histoire, et cette simplicité est si grande que la donnée du poème peut se raconter en deux mots… Le héros du livre, qui n’est pas nommé dans le poème, l’amant d’Armelle, est un Childe Harold de ce temps où toute âme un peu haute est plus ou moins Childe Harold, et n’a pas besoin d’aller au fond de toutes les coupes que nous tend le monde pour s’en détourner et revenir à la solitude, — et pour s’essuyer, comme un enfant à la robe de sa mère, de ses souillures et de ses dégoûts, à la Nature. […] V Quant à la forme qu’elle a revêtue, cette poésie qui déroutera encore l’esprit byzantin et blasé de ce temps par la simplicité de son expression et par la simplicité des choses décrites, autant que par celle de son inspiration première, je l’ai déjà caractérisée en disant que l’auteur, qu’il le veuille ou non, qu’il le soit d’imitation ou de nature, est un lamartinien.

396. (1868) Curiosités esthétiques « VIII. Quelques caricaturistes étrangers » pp. 421-436

Tout à l’heure ce puissant amant de la nature cherchera flegmatiquement sa femme et ne la trouvera plus. […] Théophile Gautier est parfaitement doué pour comprendre de semblables natures. […] Il unit à la gaieté, à la jovialité, à la satire espagnole du bon temps de Cervantès, un esprit beaucoup plus moderne, ou du moins qui a été beaucoup plus cherché dans les temps modernes, l’amour de l’insaisissable, le sentiment des contrastes violents, des épouvantements de la nature et des physionomies humaines étrangement animalisées par les circonstances. […] On voit que Pinelli était de la race des artistes qui se promènent à travers la nature matérielle pour qu’elle vienne en aide à la paresse de leur esprit, toujours prêts à saisir leurs pinceaux. Il se rapproche ainsi par un côté du malheureux Léopold Robert, qui prétendait, lui aussi, trouver dans la nature, et seulement dans la nature, de ces sujets tout faits, qui, pour des artistes plus imaginatifs, n’ont qu’une valeur de notes.

397. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Appendice. [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 497-502

L’année dernière, quarante ouvrages avaient été envoyés pour concourir au prix ; cette année, quatorze seulement ont paru à leurs auteurs être de nature à satisfaire aux conditions du concours et à prétendre aux primes proposées ; quatorze seulement ont été envoyés et admis. […] Le poète dramatique, s’il est vraiment tel qu’il s’en est vu aux glorieuses époques et qu’on a le droit d’en espérer toujours, ce poète, dans la liberté et le premier feu de ses conceptions, ne songe point à faire directement un ouvrage moral ; il pense à faire un ouvrage vrai puisé dans la nature, dans la vie ou dans l’histoire, et qui sache en exprimer avec puissance les grandeurs, les malheurs, les crimes, les catastrophes et les passions. […] Mais à cette hauteur, la nature vraie, mâle ou tendre, fortement ou ingénument passionnée, la nature humaine encore vertueusement malade, si je puis dire, produit le plus souvent, grâce au génie et à un art tout plein d’elle, une impression morale qui ennoblit, qui élève, et qui surtout jamais ne corrompt. […] Il a été reconnu qu’ici la nature humaine réelle se retrouve prise sur le fait, et que ce qui tenait de lieu commun dans la donnée principale est heureusement racheté et rajeuni. […] Ponsard la prime que l’article quatrième de l’arrêté « réserve à l’auteur d’un ouvrage en cinq ou quatre actes, en vers ou en prose, représenté à Paris, pendant le cours de l’année, sur tout autre théâtre que le Théâtre-Français, et qui serait de nature à servir à l’enseignement des classes laborieuses par la propagation d’idées saines et le spectacle de bons exemples ».

398. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 140-155

La trempe de son caractere a vraisemblablement beaucoup influé sur la nature de ses opinions. […] La gloire est médiocre à ne prouver que ce qui est vrai ; laissons agir la Nature, cédons aux impressions même momentanées, & soyons singulier, pour devenir célebre ». […] Nous ne finirions pas, si nous voulions entrer dans la discussion de toutes ces contrariétés, si capables de faire connoître combien l’homme est dupe de lui-même, quand il ne se laisse conduire que par ses lumieres, & combien la Philosophie est incertaine dans ses idées, quand elle s’écarte des bornes prescrites par l’Auteur de la Nature à l’esprit humain. […] Les Lettres de la nouvelle Héloïse, considérées comme un Roman, n’ont presque rien de commun avec les regles qu’on doit observer dans ces sortes d’Ouvrages ; plan mal ordonné, intrigue vicieuse, développement pénible & trop lent, action foible & inégale, caracteres hors de nature, personnages dissertateurs, & par-là même ennuyeux. […] » Et d’avoir ajouté, avec autant de bon sens que de vérité : Fuyez ceux qui, sous prétexte d’expliquer la Nature, sement dans le cœur des hommes de désolantes doctrines, & dont le scepticisme apparent est une fois plus affirmatif & plus dogmatique, que le ton décidé de leurs Adversaires.

399. (1874) Premiers lundis. Tome I « Hoffmann : Contes nocturnes »

En un temps où on est las de toutes les sensations et où il semble qu’on ait épuisé les manières les plus ordinaires de peindre et d’émouvoir, en un temps où les larges sentiers de la nature et de la vie sont battus, et où les troupeaux d’imitateurs qui se précipitent sur les traces des maîtres ne savent que soulever des flots de poussière suffocante, lorsqu’on avait tout lieu de croire que le tour du monde était achevé dans l’art, et qu’il restait beaucoup à transformer et à remanier sans doute, mais rien de bien nouveau à découvrir, Hoffmann s’en est venu qui, aux limites des choses visibles et sur la lisière de l’univers réel, a trouvé je ne sais quel coin obscur, mystérieux et jusque-là inaperçu, dans lequel il nous a appris à discerner des reflets particuliers de la lumière d’ici-bas, des ombres étranges projetées et des rouages subtils, et tout un revers imprévu des perspectives naturelles et des destinées humaines auxquelles nous étions le plus accoutumés. […] Les phénomènes singuliers et subtils dans lesquels se complaît le génie d’Hoffmann, lorsqu’il ne les tire pas d’un concours plus ou moins romanesque d’événements tout extérieurs, et lorsque la nature humaine et l’âme sont sur le premier plan, se rapportent plus particulièrement, comme on peut le penser, à ces âmes sensibles et maladives, à ces natures fébriles et souffrantes, qui peuvent en général se comprendre sous le nom d’artistes : ce sont elles qui font le sujet le plus fréquent et le plus heureux de ses expériences. […] Cœurs ulcérés, comme il aurait voulu vous retremper au sein d’une nature active, aimante et pleine de voix et de parfums ; vous ravir dans des musiques bénies parmi des anges de lumière et de bonté ; vous enchanter ici-bas par des images pudiques et des apparitions gracieuses auxquelles pourtant vous n’auriez pas dû trop toucher, de peur de les flétrir et de vous dégoûter avant le temps ! […] Malgré les représentations de ses amis et les sarcasmes des autres étudiants, le bon Eugène se condamne à cette vie par amour pour la botanique, et cela dure quelque temps sans encombre ; mais enfin la nature se déclare ; une lente consomption s’empare du pauvre jeune homme qui s’en aperçoit à peine, puis qui tâche violemment de s’y soustraire.

400. (1911) La valeur de la science « Introduction »

Il faut ensuite examiner les cadres dans lesquels la nature nous paraît enfermée et que nous nommons le temps et l’espace. Dans Science et Hypothèse, j’ai déjà montré combien leur valeur est relative ; ce n’est pas la nature qui nous les impose, c’est nous qui les imposons à la nature parce que nous les trouvons commodes, mais je n’ai guère parlé que de l’espace, et surtout de l’espace quantitatif, pour ainsi dire, c’est-à-dire des relations mathématiques dont l’ensemble constitue la géométrie. […] C’est nous au contraire qui devrions nous étonner de la régularité de la nature. […] Cette harmonie que l’intelligence humaine croit découvrir dans la nature, existe-t-elle en dehors de cette intelligence ?

401. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre II. Chimie et Histoire naturelle. »

Soit préjugé d’éducation, soit habitude d’errer dans les déserts, et de n’apporter que notre cœur à l’étude de la nature, nous avouons qu’il nous fait quelque peine de voir l’esprit d’analyse et de classification dominer dans les sciences aimables, où l’on ne devrait rechercher que la beauté et la bonté de la Divinité. […] Ne valait-il pas autant le laisser à la tête de la création, où l’avaient placé Moïse, Aristote, Buffon et la nature ? […] Lorsqu’on n’a point de religion, le cœur est insensible, et il n’y plus de beauté : car la beauté n’est point un être existant hors de nous ; c’est dans le cœur de l’homme que sont les grâces de la nature. […] Lorsque la science était pauvre et solitaire ; lorsqu’elle errait dans la vallée et dans la forêt, qu’elle épiait l’oiseau portant à manger à ses petits, ou le quadrupède retournant à sa tanière, que son laboratoire était la nature, son amphithéâtre les cieux et les champs ; qu’elle était simple et merveilleuse comme les déserts où elle passait sa vie, alors elle était religieuse. […] Mais quand des congrégations de savants se formèrent ; quand les philosophes, cherchant la réputation et non la nature, voulurent parler des œuvres de Dieu, sans les avoir aimées, l’incrédulité naquit avec l’amour-propre, et la science ne fut plus que le petit instrument d’une petite renommée.

402. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Conclusion »

Puisque la loi de causalité a été vérifiée dans les autres règnes de la nature, que, progressivement, elle a étendu son empire du monde physico-chimique au monde biologique, de celui-ci au monde psychologique, on est en droit d’admettre qu’elle est également vraie du monde social ; et il est possible d’ajouter aujourd’hui que les recherches entreprises sur la base de ce postulat tendent à le confirmer. Mais la question de savoir si la nature du lien causal exclut toute contingence n’est pas tranchée pour cela. […] Mais en réalité, si les faits fondamentaux des autres règnes se retrouvent dans le règne social, c’est sous des formes spéciales qui en font mieux comprendre la nature parce qu’elles en sont l’expression la plus haute. […] Il a souvent paru que ces phénomènes, à cause de leur extrême complexité, ou bien étaient réfractaires à la science, ou bien n’y pouvaient entrer que réduits à leurs conditions élémentaires, soit psychiques, soit organiques, c’est-à-dire dépouillés de leur nature propre. […] Or il est impossible que les mêmes notions puissent convenir identiquement à des choses de nature différente.

403. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

Elle est choquée et presque scandalisée de découvrir que ceux qui lui révèlent les secrets de la nature sont eux-mêmes des enfants de la nature et aiment ses douces libertés. […] Nature et matière, passion et humanité, esprit et génie, oh ! […] Elle doit participer de la nature de l’illusion que créent les rêveries de la veille, et non de la nature de l’illusion que créent les rêves du sommeil. […] L’originalité véritable de sa nature apparaît, et l’on voit jusqu’au fond de son âme. […] Oui, vous dira-t-elle, c’était bien un vrai fils de la vie et de la nature qui m’a touché, car la nature et la vie se sont réveillées en moi à son contact.

404. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VII. Le Fils. — Gusman. »

La paix qui règne dans l’âme d’Alvarez n’est point la seule paix de la nature. […] Le poète a voulu faire reparaître ici la nature et le caractère orgueilleux de Gusman : l’intention dramatique est heureuse ; mais prise comme beauté absolue, le sentiment exprimé dans ce vers est bien petit, au milieu des hauts sentiments dont il est environné ! Telle se montre toujours la pure nature, auprès de la nature chrétienne.

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