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47. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Feuillet de Gonches »

Ceux qui lisent n’ont pas oublié cet intéressant fragment de critique d’art et de biographie sur Léopold Robert, publié au moment où l’on croyait le plus Feuillet enfoncé, englouti dans le protocole, dans ce terrible bonnet fourré du protocole qui doit entrer jusqu’au nez d’un homme quand il se le met sur la tète, et qui doit calfeutrer sa cervelle contre tout ce qui n’est pas cette majestueuse procédure. […] Feuillet a énormément bu à cette coupe enivrante de la langue de La Fontaine, qui a une bien plus grande puissance que ce lotus dont on disait qu’il faisait oublier la patrie, puisqu’elle nous fait oublier notre personnalité et nous fait revêtir la sienne. […] Il a voulu aussi les instruire, et il a jeté dans leurs mémoires, aussi grand ouvertes que leurs yeux, des tournures de langue oubliées, de charmantes choses tombées en désuétude, des mots divins que La Fontaine, qui n’était pas fier, ramassait, et qu’il faut rapprendre à l’enfance, si on ne veut pas qu’elle périsse, l’ancienne langue française, exténuée dans les maigreurs du xviiie  siècle.

48. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre I. La critique » pp. 45-80

Willy dont les procédés de réclame outrancière lui ont fait oublier les admirables qualités, des façons violentes d’apôtre chassant les marchands du temple. […] Marius-Ary Leblond comme l’auteur du Grand-Pan ont voulu mêler à l’aristocratie — un peu affectée — du style, la démocratie des idées ; ils ont oublié les pages amères des Goncourt et de Leconte de Lisle contre la Commune. […] On a trop oublié ses 36 Situations dramatiques qu’on a tant pillé. […] N’oublions pas que c’est au nom de la simplicité et de la clarté que les pédants ont nié la beauté vraiment traditionnelle. […] Charles Foleÿ a repris la chronique littéraire, oubliée par Μ. 

49. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

Dans une autre maison princière, Chaulieu, tout poète qu’il était, prenait en main les affaires des Vendôme, et il n’y oubliait pas les siennes. […] On a même récemment réimprimé ce volume, cette Galerie de Portraits de société, très augmentée, et l’on doit peut-être des remerciements à l’éditeur ; car il est bon de ne rien oublier et de tout connaître. […] Mais bientôt son dessein paraît s’interrompre et s’oublier dans plusieurs chapitres mêlés, et qui ont pour titre : Des Jugements, De la Mode, De quelques Usages : on va à droite ou à gauche, à l’aventure, on revient en arrière. […] N’oubliez pas, entre tant d’autres, l’incomparable personnage du ministre plénipotentiaire. […] Il semblait donc, étant le dernier à opiner, devoir lever le partage et décider entre les concurrents ; chacun tâchait par ses regards de l’attirer dans son parti, lorsque, prenant la parole, il dit :« Je n’ai pas oublié, Messieurs, qu’un des principaux statuts de cet illustre Corps est de n’y admettre que ceux qu’on en estime les plus dignes : vous ne trouverez donc pas étrange, Messieurs, si je donne mon suffrage à M. 

50. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » p. 404

Un tel début détournera tout Lecteur honnête de lire le reste du Chapitre, supposé que cet Ouvrage oublié tombe entre ses mains. Quelles bonnes raisons peut-on attendre d’un homme qui oublie toute raison dès le commencement ?

51. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

Voilà la raison de cet amour dont il est transporté pour les figures, les choses et les mœurs du xviiie  siècle ; car, ne l’oublions pas, l’amour idolâtre, l’amour fétichiste pour le xviiie  siècle est la caractéristique de l’École-trumeau ! […] Capefigue a oublié ce que les Royalistes, tels que les a faits la maison de Bourbon, ne manquent jamais d’oublier non plus dans leurs appréciations raccourcies, — l’importance des mœurs dans la politique des gouvernements et dans la destinée des peuples ! […] IX En effet, il faut réhabiliter Mme Du Barry de la tête aux pieds, avec une autorité souveraine, — faire resplendir ce qu’elle fut, c’est-à-dire le contraire de ce que croient les hommes et de ce que dit l’histoire, — préciser avec une rigueur qui rende toute contestation impossible l’action qu’elle eut, si elle en eut jamais de profitable à la monarchie, ou ne pas s’en mêler du tout et la laisser oubliée, — si tant est qu’on puisse l’oublier — dans ce tas de chiffons souillés qui finissent par devenir sanglants et qui furent le dix-huitième siècle. […] Capefigue, faire bénéficier de l’échafaud cette femme, qui ne fut jamais plus qu’une courtisane, même dans sa dernière terreur avec le bourreau, n’est-ce pas confondre toutes les notions et surtout oublier que tout le prestige de l’échafaud n’a jamais pu couvrir les fautes de Louis XVI aux yeux sévères de l’histoire et les lui faire pardonner, quoique, lui, il eût vécu chaste et soit mort avec la sérénité d’un martyr ? […] Quant aux autres moins graves de visée et d’études, qui ne sont plus des historiens, et qui, comme MM. de Goncourt, passent leur vie à racler le pavé du dix-huitième siècle pour y trouver quelque loque oubliée qu’ils puissent suspendre à leur ficelle, ou comme M. 

52. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Eugène Sue qu’un romancier, oubliera ses prétentions historiques comme il a oublié ses prétentions philosophiques. […] Préoccupé de sa tâche d’historien, il a presque oublié sa tâche de romancier. […] Ils chantent leur passion et oublient d’être passionnés. […] Il ne faut pas oublier à quelle époque Chatterton a été représenté. […] Il embrasse de son regard un champ immense, mais il n’oublie pas les lignes du paysage que ses yeux ont déjà parcourues.

53. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 266-267

Poëte oublié, qui n’étoit pas sans mérite, plus digne d’obtenir une place dans le Parnasse François de M. du Tillet, & dans la Bibliotheque Françoise de M. l’Abbé Goujet, que tant d’autres Poëtes obscurs, qu’on eût pu oublier plus justement que lui.

54. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

Henri III empêche donc qu’on ne réprime vigoureusement l’émeute dès le principe : il avait expressément défendu à ses capitaines d’enfoncer les bourgeois, « et il avait tant de peur que l’impatience des soldats et le désir de butiner ne leur fissent oublier ses ordres qu’il leur envoyait de ses officiers de moment en moment pour les réitérer. […] Nous nous imaginons toujours volontiers nos ancêtres comme en étant à l’enfance des doctrines et dans l’inexpérience des choses que nous avons vues ; mais ils en avaient vu eux-mêmes et en avaient présentes beaucoup d’autres que nous avons oubliées. […] Sur le chapitre des finances, il s’était laissé aller à son antipathie naturelle et avait trop oublié qu’il n’écrivait plus en temps de Fronde. […] Mézeray, ne l’oublions pas, était un républicain d’avant Louis XIV et non d’après Louis XVI, un républicain royaliste d’un genre approchant celui de Gui Patin. […] Dans sa dernière maladie, Mézeray, qui n’obéissait en rien au respect humain ni à l’esprit de système, fit amende honorable devant témoins sur les points capitaux de la croyance : « Oubliez, dit-il, ce que j’ai pu autrefois vous dire de contraire, et souvenez-vous que Mézeray mourant est plus croyable que n’était Mézeray en vie. » Il mourut le 10 juillet 1683, laissant un testament qu’on a publié et qui prête aux commentaires.

55. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Dans quelques années, si on oublie qu’un jour tu fus brave, si on te pardonne d’avoir fait une fois un geste de virilité, nous te verrons, vieillard qui bave de désir devant tous les hochets, recommencer à mendier le suffrage d’Albert Vandal et de Jules Lemaître. […] Pourvu que l’avocat vibre, les bons boutiquiers qui sont venus au Palais un peu comme à un devoir et un peu comme à un plaisir ; un peu comme à leur boutique, mais un peu comme au théâtre ; disposés sans doute à défendre la chère société faite à leur ignoble ressemblance, mais prêts aussi à applaudir l’acteur habile, oublient un instant leur morale utilitaire, se laissent entraîner à l’ivresse romantique. […] Un jour, cependant, M. le duc s’oublia à quelque romantisme : il sortait peut-être de relire Marion de Lorme et, dans la courtisane, ne voulut voir que la femme. […] Le Tailhade actuel, dans sa précipitation, oublie quelquefois qu’il sait le latin et même le français. […] Il méprise Jeanne d’Arc dès que les patriotes vomissent sur elle leurs louanges et, puisque les clergés actuels se réclament du nom de Jésus, il oublie que Jésus vivant fut l’ennemi des clergés et de toutes les organisations oppressives.

56. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. Le Chateaubriand romanesque et amoureux. » pp. 143-162

Il supprime, il oublie tout d’abord Mme de Beaumont. […] En même temps qu’il dit à Céluta qu’il ne l’aime pas, qu’il ne l’a jamais aimée et qu’elle ne l’a jamais connu, il a la prétention de ne vouloir jamais être oublié d’elle, de ne pouvoir jamais être remplacé : « Oui, Céluta, si vous me perdez, vous resterez veuve : qui pourrait vous environner de cette flamme que je porte avec moi, même en n’aimant pas ?  […] Je voudrais n’être pas né, ou être à jamais oublié. […] Ils m’oublieront comme je les oublie. […] Chateaubriand, en le disant, oublie qu’il va à la messe et qu’il est allé au Calvaire.

57. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXII. Des éloges des hommes illustres du dix-septième siècle, par Charles Perrault. »

La vanité de la famille a ses droits, il faut bien les satisfaire ; mais la vanité de l’orateur a aussi les siens, et ils ne sont pas oubliés. […] C’est sans doute une partie de ces raisons qui a engagé l’auteur des hommes illustres du dix-septième siècle à choisir dans ses éloges une route tout à fait différente, et à s’oublier lui-même pour ne se souvenir que des personnes qu’il voulait louer. […] Mais nos richesses nous rendent ingrats ; nous oublions les hommes laborieux qui se sont ensevelis dans la mine pour nous tirer de l’or, et nous ne louons que l’artiste qui l’emploie.

58. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Maynard »

oublié dans son livre qu’il avait l’honneur d’être prêtre. […] L’abbé Maynard, qui n’oublie rien pour mettre en saillie son pieux héros, n’a pas oublié cette circonstance. […] IV Du reste, une fois l’homme d’État dégagé et mis dans sa lumière, une fois la tête humaine, que les philosophes respectent, reconnue toute-puissante dans le divin prêtre, l’historien actuel de saint Vincent de Paul n’a pas, lui, pour le saint bonhomme, le dédain insolemment attendri des mandarins philosophiques et des Trissotins d’Académie, et il n’oublie pas cet autre côté de la physionomie de saint Vincent qu’on a trop voulu regarder seul.

59. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Marquis Eudes de M*** »

… Elle l’est même pour ceux qui, catholiques conséquents, la croient vraie, mais qui, sensibles comme dans leur chair pour la religion de leurs entrailles, pâliront peut-être de voir un dogme sur lequel la Précaution oubliait son voile à dessein affronter indifféremment la risée. […] L’auteur s’est oublié lui-même pour ne penser qu’à ses adversaires, à ceux qui n’avaient pas sa croyance. […] Hallucinations, névropathies mystérieuses, monomanies, dans lesquelles l’homme paraît, d’après tous les témoignages de la science, être obsédé, ou possédé, ou dominé par « les esprits », toutes ces affections épouvantables qu’il a étudiées avec le sens exercé du médecin qu’ont-elles inspiré à la science moderne, si ce n’est des « hypothèses malheureuses pour remplacer un vieux dogme oublié » ? […] C’est un procès-verbal immense dans lequel rien n’est oublié, depuis les fails les moins connus, comme ceux, par exemple, du presbytère de Cideville en 1851, que l’auteur rapporte avec les détails d’un témoin qui les a lui-même observés, jusqu’à ceux qui bouleversent en ce moment l’Amérique, où, suivant les paroles d’un journal anglais, « 500, 000 sectateurs entretiennent avec les esprits tout un système de relations, fonctionnant comme une institution nationale ».

60. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « José-Maria de Heredia »

José-Maria de Heredia58 I Cette Histoire d’une conquête 59 en est une sur l’imagination… Cette antique chronique d’un vieux chroniqueur oublié et à peu près inconnu en France, traduite par la fantaisie éprise d’un écrivain qui a du sang espagnol et conquérant dans les veines et la plus profonde culture de la langue française, ce récit, si différent, par les sentiments et par le ton, du ton et des sentiments de l’histoire moderne, a fait son chemin en deux temps, comme les Dieux d’Homère. […] Je ne crois pas qu’en fait de coloristes on pût remonter beaucoup plus haut qu’à l’historiographe Mathieu, un artiste énorme et oublié, dont Lemerre, qui a eu la hardiesse d’éditer un Agrippa d’Aubigné intégral, et qui publie la Chronique de Diaz del Castillo, devrait bien éditer le Louis XI, lequel, par le pittoresque, ferait pâlir le Louis XI de Michelet. […] Tout y est, rien n’est oublié de l’inventaire épique de la civilisation espagnole au moment de la mort de la grande Isabelle la Catholique et de l’invasion de cette sacrée soif de l’or qui s’empara alors de la militaire et religieuse Espagne, et qui la jeta, après l’avoir dépravée, comme un vampire, sur le Nouveau Monde. […] c’est ce coloriste d’aujourd’hui et dont j’ai essayé de faire connaître la palette qui, au lieu de traduire quelque grand écrivain de génie, a mieux aimé emboîter le pas, en le traduisant, derrière un vieux soldat oublié, et bravement chausser les vieilles bottes et la casaque de guerre de cet héroïque roquentin !

61. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Walckenaer. » pp. 165-181

Walckenaer le sait bien, et, à côté de La Fontaine, il n’a pas oublié son camarade Maucroix. […] En me faisant cette question, vous paraissez avoir vous-même oublié les détails de cette journée : laissez-moi vous les raconter. […] On a relevé dans ces utiles et instructifs volumes quelques inadvertances singulières, notamment la traduction des vers de la quatorzième Épode, qui sont censés des reproches de Mécène à Horace : « Pourquoi cette molle paresse, cette torpeur où votre esprit s’oublie ? […] Walckenaer s’est tant plu et complu, qu’il s’y est oublié. […] Les sciences positives qu’il a cultivées et augmentées enregistreront son nom ; la littérature française ne saurait désormais oublier non plus un nom qui se trouve lié d’une manière si inséparable à ceux de Mme de Sévigné et de La Fontaine.

62. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Par toute la grande Italie Où je marche le front baissé, De toi seul, lorsque tout m’oublie, Notre abandon est embrassé… L’image de ce platane à la fenêtre sans rideau, du moins dans les deux premiers vers de la strophe, est saisissante ; on sent que c’est pris sur nature, et que ce n’était pas une fiction du poète. […] Car ce qu’on ne sait pas assez, ce que les aisés et les heureux oublient trop vite, c’est que lorsqu’une fois une maison, un humble ménage est tombé au-dessous de son courant, lorsqu’il y a eu chômage dans le travail, lorsqu’un arriéré s’est une fois formé et grossi jusqu’à la dette, on ne se rattrape jamais : on en a de ce poids sur la tête pour toute la vie. […] mon bon Félix, quand nous n’en pouvons plus du fardeau de nos peines, n’oublions pas que sa bonté ne nous a pas tout à fait abandonnés et qu’enfin nous sommes ses enfants. […] Jamais je n’oublierai M.  […] N’oublie jamais de la saluer de ma part et de me rappeler au souvenir de ma grand-mère, de notre bon père et de ma chère et gracieuse maman, poussée au loin dans un si grand naufrage82.

63. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES FRAGMENTS ET LETTRES DE BLAISE PASCAL, Publiés pour la première fois conformément aux manuscrits, par M. Prosper Faugère. (1844). » pp. 193-224

Remarquez encore que chacun porte dans sa philosophie et sa théologie son humeur, ce qu’on oublie trop. […] Se prévaloir contre la foi de Pascal de certain mode d’argumentation qu’il emploie hardiment et qui impliquerait le scepticisme absolu au défaut de la foi, c’est supposer ce qu’il s’agit précisément de démontrer, c’est oublier combien cette foi faisait peu défaut en lui, combien elle était pour lui chose réelle, pratique, sensible et vivante. […] Dans le christianisme tel que nous l’entendons volontiers aujourd’hui, civilement et philosophiquement, on oublie trop une seule chose ; — mais pour ne pas avoir l’air de prêcher, quand je n’ai pour but que de rétablir le vrai sur Pascal, je prendrai un détour dont on ne se plaindra pas, avant de dire mon mot sur cette chose ou cette personne, qu’on oublie trop généralement aujourd’hui en parlant du christianisme. […] C’est pour n’avoir pas senti, pour avoir insensiblement oublié à quel point et à quel degré de réalité Pascal croyait à Jésus-Christ, au Dieu-homme et sauveur, qu’on a voulu faire de lui un sceptique. […] N’oubliez pas, en jugeant l’édition première, cet autre inconvénient pour elle d’avoir été faite par un Comité ; les Comités peuvent être bons pour les lois, mais non pour les éditions où le goût a surtout part. « Il n’y a point d’ouvrage si accompli, a dit La Bruyère, qui ne fondît tout entier au milieu de la critique, si son auteur voulait en croire tous les censeurs, qui ôtent chacun l’endroit qui leur plaît le moins. » Les Pensées de Pascal n’ont pas fondu, dira-t-on, tant elles étaient solides !

64. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

Sans parler de cette confusion du droit spirituel et du droit temporel dans leurs mains, oubliez-vous ce que la papauté souveraine à Rome a perdu d’alliés ou de sujets catholiques depuis Jules II dans le monde actuel ? […] Oubliez-vous que Henri VIII a déchiré les trois royaumes de la Grande-Bretagne de la carte pontificale, et que, sur la terre comme sur la mer, la Rome papale a ses plus acharnés ennemis là où elle avait ses plus fanatiques défenseurs ? Oubliez-vous que Genève est à Calvin avec les trois quarts de cette Suisse où Rome avait son recrutement intarissable dans ces montagnes de l’Helvétie qui étaient pour elle ce que la Dalmatie était pour les Romains, un grenier d’hommes ? Oubliez-vous que le Nord tout entier, Danemark, Suède, Norvège, Hanovre, Hollande, sont des branches détachées aujourd’hui du tronc pontifical ? Oubliez-vous qu’une grande puissance germanique elle-même, la Prusse, qui forme à elle seule un quart des forces militaires de l’Europe, a répudié le joug spirituel et à plus forte raison temporel des pontifes-rois ?

65. (1920) Enquête : Pourquoi aucun des grands poètes de langue française n’est-il du Midi ? (Les Marges)

Ils n’oublient qu’une chose ! […] N’oublions pas ici que la poésie fait généralement escorte aux princes temporels. […] Un peuple qui oublie sa langue ne mérite que l’anéantissement, a dit Mistral ; qu’il l’oublie, c’est vilain et néfaste ; si on la lui supprime brutalement, l’honneur est sauf, mais, à cela près, le résultat est le même. […] (Artistes, ne l’oublions pas !) […] En oubliant la langue, ils ont oublié le pays, et, en quittant leur vêtement, et ils se sont dépouillés de leur personnalité.

66. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Jasmin. (Troisième volume de ses Poésies.) (1851.) » pp. 309-329

Un jeune homme, enfant du peuple, bien doué, et d’une demi-éducation, fut témoin d’une scène déchirante, et, comme Jasmin avec quelques amis arrivait sur les lieux, l’enfant encore plein d’émotion la leur raconta : Je ne l’oublierai jamais, dit Jasmin, il nous fit frémir, il nous fit pleurer… C’était Corneille, c’était Talma ! […] Avec sa facilité improvisatrice, encore aidée des ressources du patois dans lequel il écrit, Jasmin pourrait courir et compter sur les hasards d’une rencontre heureuse comme il n’en manque jamais aux gens de verve et de talent : mais non, il trace son cadre, il dessine son canevas, il met ses personnages en action, puis il cherche à retrouver toutes leurs pensées, toutes leurs paroles les plus simples, les plus vives, et à les revêtir du langage le plus naïf, le plus fidèle, le plus transparent, d’un langage vrai, éloquent et sobre, n’oubliez pas ce dernier caractère. […] Il est vrai qu’un poème comme Jocelyn, exécuté et traité avec le soin que Jasmin apporte aux siens, coûterait huit ou dix années de la vie, et l’on n’aurait guère le temps de faire à travers cela une dizaine de volumes sur les Girondins ou les Jacobins, et une révolution de février, la chose et le livre à la fois, et toute cette série d’improvisations que nous savons et que nous oublions, ou que nous voudrions oublier. […] Avant la révolution de Février, en avril 1847, dans la pièce intitulée Riche et pauvre, ou les Prophètes menteurs, il montrait la bienfaisance des uns désarmant la colère et l’envie des autres, et faisant mentir les sinistres prédictions ; il montrait aux plus pauvres la charité mieux comprise que jamais, se déployant partout, donnant d’une main et quêtant de l’autre ; et aux riches il disait : « N’oubliez pas un seul moment que des pauvres la grande couvée se réveille toujours avec le rire à la bouche, quand elle s’endort sans avoir faim. » Dans son poème Ville et campagne, composé pour la fête du comice agricole de Villeneuve-sur-Lot (septembre 1849), il montrait les avantages qu’il y a à ne pas déserter son sol natal pour les glorioles et les ambitions des villes ; il faisait porter une santé par le plus sage et le plus vieux, « non à l’esprit nouveau, plein de venin, mais à l’aîné de l’esprit, au bon sens ». […] » — C’est après avoir entendu ce poème et tant de pièces inspirées par un même sentiment moral élevé, qu’on a pu dire avec raison : « Si la France possédait dix poètes comme Jasmin, dix poètes de cette influence, elle n’aurait pas à craindre de révolutions. » J’allais oublier de dire que ce troisième volume de Jasmin est dédié à M. 

67. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

Nisard, par son goût pour la raison générale, a un peu trop oublié ce que cette raison générale doit à la raison individuelle ; il a trop préféré la raison qui conserve à la raison qui découvre ; surtout il n’a pas fait la part qui convient en littérature à l’imagination inventive, et il a trop méconnu la part du génie personnel des écrivains. […] Nisard semble l’oublier ou ne lui fait qu’une part secondaire et sans importance. […] Chapelain, Conrart et tant d’autres oubliés auraient provoqué et dirigé les comédies de Molière et les tragédies de Racine ? […] Ce n’est pas qu’il faille dédaigner l’Art poétique de Boileau ; les conditions saines et solides de toute poésie y sont vivement exprimées ; mais j’ai besoin, après l’avoir lu, et pour ne pas oublier que la poésie est chose divine et légère, de relire la Lettre à l’Académie française de Fénelon. […] La Fronde, bien entendu, est un événement perdu auquel on ne fait que de vagues et lointaines allusions : à plus forte raison a-t-on oublié le xvie  siècle.

68. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rigault » pp. 169-183

qui s’oublie ?  […] Qui s’oublie ? […] Le goût est la faculté supérieure d’Horace ; mais, ne l’oubliez pas ! […] Et tous les vieillissants, tous les impuissants, toute la Cour des Miracles du vice qui ne fait plus de miracles, de croire en lui et d’oublier leurs malheurs en lui demandant sa sagesse.

69. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des Pyrénées »

En effet, si ce livre, entrepris dans l’intérêt de populations plus ou moins injustement oubliées, et qui firent, à leur heure, leur petit tapage dans l’histoire ; si ce déchiffrement laborieux d’étiquettes de peuples momifiés dans les catacombes de leurs montagnes peut être véritablement quelque chose de plus qu’un travail de chroniqueur ou d’antiquaire ; s’il y a réellement l’étoffe d’une grande et neuve histoire dans ce déterrement de nations mêlées et fondues, dans cette grenaille féodale qui a levé sur les versants des Pyrénées, comme elle a levé partout dans le limon de l’Occident, on est rigoureusement tenu d’ajouter aux faits qu’on raconte les considérations qu’ils inspirent ou qui les dominent. […] … Quand on l’aura lu, sera-t-elle bien et dûment convaincue, cette ingrate Histoire, d’avoir oublié dans ses annales des pages qui étaient nécessaires à l’intelligence du passé et à la grandeur du genre humain ? […] La Critique, qui est aussi une sentinelle, doit le dire à tous ceux qui s’occupent d’histoire : dans l’état présent des travaux historiques, qui sont réels, avancés, l’heure est sonnée pour les esprits robustes d’aller aux ensembles et aux résumantes individualités historiques, et de planter là les monographies et ce qu’on peut appeler la petite histoire, l’histoire oubliée. […] Il faut, du moins, que sa vie, ses combats, ses souffrances, lui aient frappé une effigie profonde et ineffaçable, lui aient donné une de ces physionomies qu’une fois vues on ne peut plus jamais oublier.

70. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Montmorency » pp. 199-214

Il ne nous indique point, avec l’étincelante netteté que doit avoir un titre, la Montmorency, héroïque ou charmante, qu’il s’en va tirer de la gloire de famille où elle est ensevelie et où, si fameuse en son temps, elle est maintenant trop oubliée ! […] Qui l’a oublié ? […] Au xviie  siècle, Henry de Montmorency, si admiré et si brillant comme grand seigneur et comme homme de guerre, oublié maintenant ainsi que tant d’autres, sans sa mort, historiquement, n’aurait pas vécu. […] Madame de Montmorency fut parfaite et oubliée.

71. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Agrippa d’Aubigné »

Évidemment, un temps et une littérature qui oubliaient le grand marquis de Ronsard, l’astre majestueux de la Pléiade, devaient bien plus profondément oublier ce vieux soldat huguenot de d’Aubigné, qui rimait à la diable, — à la fière franquette du soldat, — l’arquebuse sur le cou ou le cul sur la selle. […] Les vers oubliés et retrouvés d’Agrippa d’Aubigné ont-ils chanté aux éditeurs, à mesure qu’ils les retrouvaient, une pareille mélodie ? […] L’Histoire n’a point oublié qu’il lui prédit le coup de couteau de la fin, ce providentiel coup de couteau qui frappa au ventre Henri III et Henri IV à la poitrine, marquant ainsi la différence des coupables par la différence du châtiment !

72. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Honoré de Balzac » pp. 1-15

C’est trop oublier que les préfaces de Balzac, raturées d’ailleurs par la grande préface de La Comédie humaine, qui ne fut pas le dernier mot que son génie prononça, n’étaient dans ses travaux et dans ses idées que des jalons, bientôt dépassés et bientôt abattus. […] Aussi, après avoir oublié l’homme dans Balzac, avec sa virtualité et les circonstances, et tout ce qui rend l’illustre auteur de La Comédie humaine plus monumental que son monument, M.  […] Poitou des nombreuses qualités de Balzac : ou il les transforme en défauts, ou il les méconnaît, ou il les oublie. […] Mais il n’a pas voulu que le mot fût oublié ; et, pour notre compte, nous disons tant mieux !

73. (1874) Premiers lundis. Tome I « [Préface] »

Louis de Carné, qu’il avait oublié, a même été repris par lui, au passage, dans le National, dès qu’il lui a été signalé, et fait partie, depuis 1869, des Portraits Contemporains (tome II). […] Une autre considération qui nous a déterminé aussi à ne rien omettre de ce qui portait la marque infaillible de l’écrivain jusque dans de simples notices bibliographiques, c’est que nous avons obtenu la certitude que nous allions rendre service à des travailleurs spéciaux : cette conviction nous est venue, à mesure que nous retrouvions quelques-unes de ces pages oubliées, en les signalant à des savants pour lesquels elles devaient être un motif d’intérêt. […] Sainte-Beuve, signalons nous-même deux articles qui auraient leur place marquée ici et que nous n’avons pu y insérer parce qu’ils n’étaient plus notre propriété ; quelqu’un, dont le concours bienveillant et actif a considérablement favorisé et facilité nos recherches, nous recommandait longtemps à l’avance de ne pas les oublier : il s’agit d’une dernière étude sur Madame Tastu composée en 1869 pour la Galerie des Femmes célèbres ; et de Jugements et Témoignages sur Le Songe et sur Gil Blas dictés en 1863 pour une édition de Gil Blas.

74. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Quimper »

On oublie qu’à la Révolution, la Bretagne, avant la chouannerie, avait été girondine. […] Ils n’ont pas oublié que leurs aïeux, depuis des siècles, avaient pour profession de casser des têtes d’Anglais ou de se faire casser la leur ; c’était honorable, car c’était réciproque. […] C’est ce que je me disais, ces jours-ci à Perros, en retrouvant toute sorte de vieilles petites connaissances, des oiseaux, des fleurs poussant sur les vieux murs, dont j’avais oublié le nom, et, en particulier, ce rocher du groupe des Sept-Îles qui est, au printemps, rempli d’innombrables oiseaux de mer.

75. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXXIV » pp. 337-339

Béranger a, dans la vie privée et dans toute sa conduite, bien du calcul et de l’arrangement ; il tient, par exemple, à amener les autres à lui, en se flattant de n’aller jamais à eux ; il croit peut-être avoir pris Chateaubriand et Lamennais, les avoir convertis et conquis, mais il oublie que de tels hommes ne se hantent pas impunément et qu’on ne saurait les voir beaucoup sans se modifier soi-même. […] N'oublions pas que les chroniques de Sainte-Beuve à la Revue suisse étaient anonymes, ce qui permettait à l’auteur de parler de lui-même à la troisième personne, comme s’il s’agissait d’un autre.

76. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fuster, Charles (1866-1929) »

Fuster, je dirai qu’elle se passe pendant la dernière guerre ; que deux fiancés, Louise et Pierre, recueille et, soignent un blessé, lequel se prend d’amour pour la jeune fille ; mais le malade, rendu à la santé, retourne parmi les siens ; Louise revient peu à peu à celui qui n’a cessé de l’aimer et oublie ce mirage d’un instant qui avait trompé son cœur. […] Passionnel, il a écrit : Les Tendresses, le Cœur, Du fond de l’âme, Louise ; spiritualiste, il a composé : L’Âme pensive, les Enthousiasmes, les Sonnets, — dont quelques-uns sont très beaux, un entre autres intitulé : La Bonne souffrance, que je n’ai point oublié ; — L’Âme des choses, où palpite encore et surtout l’âme des hommes.

77. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 198-200

Les réflexions excellentes répandues dans ce dernier Ouvrage, les sages préceptes de morale & de politique, les exemples bien choisis y peuvent faire oublier les fautes du style, & fournir des instructions à ceux qui voudront instruire les autres. Balzac a doublement contribué aux progrès de l’éloquence, par ses Ecrits & par ses bienfaits : on ne doit pas oublier qu’il est le premier fondateur du prix d’Eloquence à l’Académie Françoise.

78. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

L’historien des Guise a oublié cette génération des deux unités, que tout, au contraire, de l’histoire qu’il écrivait, aurait dû lui rappeler. Et cette faute, de l’avoir oubliée, plane dans toute son histoire comme un nuage qui y jette son ombre à tout ce qu’il y a de vérité. […] C’est une histoire politique, surgissant de l’histoire religieuse qui la contenait, et qui méconnaît son origine, comme une fille coupable oublie sa mère. […] Je l’ai dit déjà : il n’était pas, et nul d’eux n’était au niveau de la grande Cause dont ils furent les serviteurs et qu’ils oublièrent trop pour leur propre service. […] Taine n’a oublié ses cruautés.

79. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

Les maîtres se sont tus ou vont se taire, fatigués d’eux-mêmes, oubliés déjà, solitaires au milieu de leurs œuvres infructueuses. […] Rien, certes, n’aura été délaissé ni oublié ; le fonds pensant et l’art auront recouvré la sève et la vigueur, l’harmonie et l’unité perdues. […] Les figures idéales, typiques, que celui-ci a conçues, ne seront jamais ni surpassées ni oubliées. […] Je n’oublie pas que la critique d’art est vaine en soi, qu’elle n’enseigne rien et ne modifie rien. […] Après Malherbe, les merveilleux artistes de la Pléiade ont été oubliés ; après J.

80. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fabié, François (1846-1928) »

Léon Cladel Un poète qui sait honorer ainsi que François Fabié les illettrés dont il est issu, ne les oubliera ni ne les reniera pas plus qu’il ne sera lui-même oublié ni renié par la postérité ; c’est un artiste en même temps qu’un homme, et celui-ci, non, non, ne diminue en rien celui-là !

81. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 441-443

Telle est l’illusion de la vanité littéraire : on oublie que le génie seul peut conduire à l’immortalité, & l’on se flatte que quelques légeres étincelles d’esprit pourront résister au souffle du temps, qui ne respecte que les vraies lumieres. […] Les préceptes n’en sont ni fins ni nouveaux ; tout ce qu’on peut dire, c’est que la versification en est facile & correcte, sans que ces deux qualités puissent faire oublier qu’elle manque de noblesse & d’élégance.

82. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

Bonstetten, disons-le bien vite pour nos Français qui savent si bien ignorer et sitôt oublier (quand ils l’ont su un moment) tout ce qui ne figure pas chez eux, sous leurs yeux et sur leur théâtre, était un aimable Français du dehors, un Bernois aussi peu Bernois que possible, qui avait fini par adopter Genève pour résidence et pour patrie, esprit cosmopolite, européen, qui écrivait et surtout causait agréablement en français, et qui semblait n’avoir tant vécu, n’avoir tant vu d’hommes et de choses que pour être plus en veine de conter et de se souvenir. […] Rossi n’avait jamais oublié la façon leste dont il lui avait vu faire ce saut désespéré, et cela pour éviter ce que tant de gens se résignent si aisément à subir et à prendre ou même à communiquer, — l’ennui. […] J’étais très souvent invité, dit-il, chez Voltaire, chez lord Stanhope, chez la duchesse d’Anville (cette grande dame française qui, pour changer, allait de temps à autre se faire un salon sérieux à Genève)… Je visitai le sage Abauzit dont l’heureuse pauvreté et l’âme sereine me remplissaient d’enthousiasme ; il avait trente louis de revenu ; avec cela il vivait plus heureux qu’un roi… Je n’ai point oublié le sentiment de gloire que j’éprouvai quand lui, qui ne faisait de visite à personne, vint me voir dans ma pension… Le syndic Jalabert eut la bonté de me donner des leçons de physique ; j’étais lié avec Moultou, l’ami intime de Rousseau ; mes véritables maîtres étaient ces hommes distingués. […] Gray, en se condamnant à vivre à Cambridge, oubliait que le génie du poète languit dans la sécheresse du cœur. […] En regard du Bonstetten de vingt-quatre ans que Gray vient de nous montrer dans toute sa fougue et sa gentillesse, et dont il a peur en même temps qu’il en est charmé, représentons-nous celui que Zschokke a dépeint à bien des années de là, « d’une taille un peu au-dessous de la moyenne, mais fortement constitué, trahissant par la grâce et la noblesse de ses manières l’habitude d’une société choisie, le visage plein d’expression, d’un coloris frais et presque féminin, le front élevé et d’un philosophe, les yeux pleins d’une souriante douceur, tout à fait propre à captiver, et tel, en un mot, qu’après l’avoir vu une fois, on ne l’oubliait plus ».

83. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

Un reflet de l’éclat que jette la parole du Père Hyacinthe est allé éclairer un tombeau presque oublié, et voilà comment j’ai aujourd’hui à annoncer une édition nouvelle de ces Poésies dont j’avais été le premier à reparler autrefois. […] N’oublions pas qu’il s’y mêlait de plus, chez Loyson, une veine de sang vendéen. […] Cette espèce de rendez-vous à prochaine échéance qu’il n’hésitait pas à donner à l’âme de Loyson se trouva heureusement fort ajournée : mais il est juste de dire que, s’il tarda de près d’un demi-siècle à le rejoindre, il ne l’oublia jamais ; il aimait à s’en entretenir avec nous ; il provoquait notre ami M.  […] Je pense que ce qui est dû surtout aux mauvaises plaisanteries de ce genre, c’est d’être méprisées et oubliées. […] Sans doute, et je suis le premier à le reconnaître, la méthode de Maine de Biran, qui consiste proprement à saisir et à présenter dans un cours d’observations psychologiques la véritable histoire de l’âme, n’a pas attendu pour se produire « ces toutes dernières années » ; je n’ai garde d’oublier les Jouffroy, les Damiron, et M. 

84. (1900) Le lecteur de romans pp. 141-164

Il doit prendre garde que la peinture, trop complaisamment poussée, d’un sentiment mauvais, d’un vice, d’une faute, ne fasse oublier au lecteur la perversité du sentiment ou de l’acte ; il faut qu’il mesure le danger de l’exemple qu’il crée lui-même, et que, par une habileté dont le public ne s’apercevra peut-être pas, sans le dire le plus souvent, il laisse aux manifestations de la volonté humaine leur caractère de liberté, de mérite ou de démérite. […] Oublions pour un instant la manière dont sont lus la plupart des romans, prêtés un jour, rendus le lendemain, dévorés par des yeux souvent jolis, mais qui ne savent pas lire, qui ne savent que suivre un héros à travers les pages d’un livre, comme un passant qui s’éloigne sur le sable d’une promenade. Oublions qu’on les juge trop souvent, ces personnages imaginaires, comme s’il s’agissait de les faire entrer dans son salon, sur leur sourire, leur naissance, le tour plus ou moins élégant de leur conversation, en un mot sur leurs qualités mondaines. Oublions que plus d’une lectrice, jeune ou vieille, n’a d’autre critérium, pour apprécier un caractère, que celui qui consiste à se demander, si elle est jeune : « L’aimerais-je ?  […] Oublions surtout qu’il existe un nombre bien grand d’œuvres romanesques qui ne méritent pas une critique moins sommaire.

85. (1887) La banqueroute du naturalisme

Rosny, Paul Margueritte, Lucien Descaves et Gustave Guiches, — faisons-leur le plaisir de mettre ici leurs noms, qu’on pourrait avoir oubliés, — ont publiquement protesté contre « l’exacerbation de la note ordurière » dans le roman de M.  […] Mais j’oublie que M.  […] Et il peut plaire à quelques-uns de l’oublier aujourd’hui, mais il nous plaît, à nous, de le leur rappeler. […] Ainsi sommes-nous faits en France, toujours courtisans du succès, et non moins empressés d’oublier, quand l’heure en est venue, pour quelle part nous y avons autrefois contribué. […] Quant à ceux qui ne lui reprochent que ses obscénités, il faut vraiment qu’ils aient oublié dans quel temps ils vivent, et les autres romans qu’ils lisent, et à quelle sorte d’histoires, sur leurs vieux jours, ils s’acharnent encore eux-mêmes.

86. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LOYSON. — POLONIUS. — DE LOY. » pp. 276-306

L’autre manière est plus pastorale et rappelle mieux l’âge d’or, je le sais ; mais celle-ci me convient davantage, et d’ailleurs je suis d’avis qu’on ne peut plus trouver l’âge d’or que chez soi. » Quand sa muraille est élevée, il s’occupe du dedans ; il dispose son jardin anglais, groupe ses arbres, fait tourner ses allées, creuse son lac, dirige ses eaux, n’oublie ni le pont, ni les kiosques, ni les ruines ; c’est alors qu’il exécute un projet favori, et dont nul ne s’est avisé encore. […] C’est un poëte de la Restauration, avons-nous dit, mais des trois ou quatre premières années de la Restauration, ne l’oublions pas. […] Les étrangers qui écrivent dans notre langue, même quand ils y réussissent le mieux, sont dans une position difficile ; le comble de leur gloire, par rapport au style, est de faire oublier qu’ils sont étrangers ; avec M. Labinsky, on l’oublie complétement ; mais, en parlant si bien la langue d’alentour, ont-ils la leur propre, comme il sied aux poëtes et à tous écrivains originaux ? […] Le style, le style, ne l’oublions pas, c’est ce qu’il faut même dans l’élégie, sans quoi elle passe aussi vite que l’objet qu’elle a chanté.

87. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Je n’ai fait qu’effleurer le La Harpe converti ; mais, avant de le développer sous cet aspect, je demande à rappeler devant des générations qui les ont oubliées, ou qui même peut-être ne les ont jamais sues, quelques-unes des anecdotes qui couraient le monde littéraire il y a cinquante ans, et qui ne sont pas toutes sans agrément. […] Jamais, par exemple, à son propos on n’oubliera ces vers de l’Apologie de Gilbert, lorsque ce poète de verve et d’avenir, se justifiant de nommer les masques par leur nom, s’écriait : Si j’évoque jamais du fond de son journal Des sophistes du temps l’adulateur banal ; Lorsque son nom suffit pour exciter le rire, Dois-je, au lieu de La Harpe, obscurément écrire : C’est ce petit rimeur de tant de prix enflé, Qui sifflé pour ses vers, pour sa prose sifflé, Tout meurtri des faux pas de sa muse tragique, Tomba de chute en chute au trône académique ? […] Cette révolution intérieure, si brusque qu’elle ait paru, avait été préparée depuis quelques semaines par des compagnons de captivité ; on cite, pour y avoir contribué, deux évêques, l’évêque de Montauban et celui de Saint-Brieuc, sans oublier « la belle et intéressante veuve du comte Stanislas de Clermont-Tonnerre ». […] je viens à vous parce que vous m’avez invoqué. » Je n’en lus pas davantage ; l’impression subite que j’éprouvai est au-dessus de toute expression, et il ne m’est pas plus possible de la rendre que de l’oublier. […] Il ne faut pas même oublier le post-scriptum qu’on a le tort de supprimer quelquefois, et qui donne au récit son vrai sens et toute sa moralité.

88. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Première partie. Écoles et manifestes » pp. 13-41

Cependant, elles contribuèrent à réintégrer quelques vérités oubliées. […] Les tentatives d’écoles ou de cénacles que nous avons signalées et qui sont caractéristiques, d’autres qu’il nous plaît d’oublier et qui sont le fait d’ambitions passagères ou basses n’ont point réussi à grouper la jeunesse d’aujourd’hui, encore moins à la diriger. […] Remy de Gourmont disait autrefois : « L’instinct abolit le génie… » Nous pourrions ajouter : « la France est un pays de tradition, d’élégance, de méthode… Elle a préparé la victoire d’un art aux lignes parfaitement délimitées… » Gardons-nous de l’oublier. Notre industrie et notre commerce sont morts, pour avoir oublié que notre industrie et notre commerce étaient commerce et industrie de luxe. […] Ils fondèrent le Collège d’Esthétique Moderne ; ils organisèrent des expositions de peinture, des conférences avec une activité un peu fébrile et une bonne volonté qu’on a trop oubliée.

89. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

On l’oublie et on croit à la force causatrice des hommes. […] Thierry ne pouvait pas les oublier. […] C’était un côté, beaucoup trop oublié par l’histoire, à dévoiler dans son héros. […] Mais, outre que les Romains sous Aétius, Bélisaire et Narsès, ne se sont pas si aisément dissous sous la poussée barbare et ont prouvé une fois de plus que les nations, toujours faites pour servir, n’existent jamais que par leurs chefs, on oublie trop que les Barbares sont en réalité aussi corrompus que leurs ennemis. […] Mais, après les avoir discutés, on les oubliera l’un et l’autre, car c’est la destinée de toutes les théories historiques d’être brisées au bout d’un certain temps.

90. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « X. M. Nettement » pp. 239-265

Nettement, a oublié ses circonspections ordinaires, il est monté jusqu’à cette indépendance où l’on ne craint plus de paraître implacable, et il l’a été en restant juste. […] Telle est la question que la Critique se pose et que, blasée d’œuvres médiocres et inutiles, elle aurait peut-être oublié de se poser, si en ce moment on ne capitonnait pas avec beaucoup de soin l’oreiller commode et doux d’un succès au livre de M.  […] Légitimiste fatigué, qui n’a pas attendu à être Louis XII pour oublier les cruelles injures du duc d’Orléans, il embrasse aujourd’hui ses ennemis de dix-huit ans et il n’a pas les bras qu’il faudrait pour les étouffer ! […] Il oublie Beyle, un scélérat d’idées, je le sais, mais l’écrivain qui a pensé avec tant de vigueur le Rouge et Noir et la Chartreuse de Parme, cet homme qui, avec ses noirceurs et ses perversités, brille d’une lueur sombre et dure au premier rang des puissances littéraires de son époque. Il l’oublie.

91. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre I. Les travaux contemporains »

On pourrait désirer sans doute de meilleurs résultats, mais il ne faut pas oublier que ces recherches sont toutes nouvelles, et tels qu’ils sont, d’ailleurs, ces résultats eux-mêmes ont un véritable intérêt. […] Nous ne devons pas non plus oublier la Physiologie de M.  […] N’oublions pas toute une classe d’ouvrages qui doivent être encore lus et étudiés par ceux qu’attire le grand problème des rapports du cerveau et de la pensée.

92. (1860) Ceci n’est pas un livre « Les arrière-petits-fils. Sotie parisienne — Premier tableau » pp. 180-195

Finette, vous oubliez que j’ai le cœur trop haut placé pour ne pas mettre l’indépendance au-dessus de tous les biens de cette terre. […] — 30 sous pour ce qu’on peut avoir oublié… — Total : 19 fr. 80. […] Je suis sûr, cher monsieur Cascaret, que vous oubliez les six sous de l’omnibus qui vous a déposé devant ma porte.

93. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Comte de Gramont »

cette chimère du passé, des réalités la plus terriblement réelle, cette inévitable fatalité du souvenir que Manfred maudit, dans Byron, et qu’il appelle l’impossibilité d’oublier, voilà, malgré les tours de force du linguiste et les travaux de joaillier que Gramont exécute sur le rhythme, ce qui distingue ses poésies et communique un charme profond à ce recueil, qui est, on le sent à travers les ciselures passionnées du poète et de l’idolâtre matériel, un fragment rompu de la vie et non un livre de vers écrit seulement pour montrer qu’on sait faire des vers ! […] Est-ce qu’on serait le chantre du passé, si on oubliait ? […] Seulement, autant, quand il reste le poète d’une cause et des traditions de son berceau, il est au-dessus de l’imitation et des reflets de la Renaissance et trouve sans la chercher cette forme qui n’est ni un vêtement, ni un ornement, mais la splendeur de la pensée à travers les mots qui la voilent et qui la révèlent, autant, quand le souvenir qu’il évoque tient à ces sentiments plus vulgaires que nous avons tous éprouvés, il retombe dans cette forme d’une époque trop admirée et que le progrès serait d’oublier.

94. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Poésies complètes de Théodore de Banville » pp. 69-85

D’autres fouillaient les antiques souvenirs, les ruines, les arceaux et les créneaux, et du haut de la colline, assis sur les débris du château gothique, ils voyaient la ville moderne s’étendre à leurs pieds comme une image encore propre à ces vieux temps, Comme le fer d’un preux dans la plaine oublié ! […] Et comment oublier, à ce propos, celui qui, dans le groupe dont il s’agit, s’est détaché à son tour en maître et qui est aujourd’hui ce que j’appelle un chef de branche, Théophile Gautier, arrivé à la perfection de son faire, excellant à montrer tout ce dont il parle, tant sa plume est fidèle et ressemble à un pinceau ? […] Jay, dans cette fameuse dispute si oubliée aujourd’hui, après avoir fait tant de bruit il y a vingt ans. […] Rendre à la poésie française de la vérité, du naturel, de la familiarité même, et en même temps lui redonner de la consistance de style et de l’éclat ; lui rapprendre à dire bien des choses qu’elle avait oubliées depuis plus d’un siècle, lui en apprendre d’autres qu’on ne lui avait pas dites encore ; lui faire exprimer les troubles de l’âme et les nuances des moindres pensées ; lui faire réfléchir la nature extérieure non seulement par des couleurs et des images, mais quelquefois par un simple et heureux concours de syllabes ; la montrer, dans les fantaisies légères, découpée à plaisir et revêtue des plus sveltes délicatesses ; lui imprimer, dans les vastes sujets, le mouvement et la marche des groupes et des ensembles, faire voguer des trains et des appareils de strophes comme des flottes, ou les enlever dans l’espace comme si elles avaient des ailes ; faire songer dans une ode, et sans trop de désavantage, à la grande musique contemporaine ou à la gothique architecture, — n’était-ce rien ?

95. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. Louis de Viel-Castel » pp. 355-368

Je ne prétends pas ici traiter la question dans son étendue, ni même l’effleurer, n’étant pas de ceux qui se plaisent à soulever de telles discussions rétrospectives, et je n’ai pas oublié d’ailleurs qu’à défaut d’un gouvernement alors selon nos vœux, il y a eu pour les esprits des saisons bien brillantes : mais ce qu’il faut bien dire quand on vient de parcourir le tableau fidèle de cette première Restauration, c’est que je ne crois pas qu’il se puisse accumuler en moins de temps plus de fautes, de maladresses, d’inexpériences, d’offenses choquantes à la raison, à l’instinct, aux intérêts d’un pays, ni qu’on puisse mieux réussir (quand on y aurait visé) à établir dans les esprits, au point de départ, la prévention de l’incorrigibilité finale des légitimités caduques et déchues, de leur incompatibilité radicale avec les modernes éléments de la société, et de leur impuissance, une fois déracinées, à se réimplanter et à renaître. […] Il avait la vanité de vouloir qu’on s’attachât à lui, à lui seul, à sa personne encore plus qu’au monarque ; il lui fallait, à toute heure, être adoré, adulé pour son esprit, cajolé pour son érudition, pour sa mémoire, pour l’irréfragabilité de son goût, échanger de petits soins, des confidences, de perpétuels témoignages, jusqu’au moment où il rejetait une habitude si chère pour une autre qui, à l’instant, la lui faisait oublier. […] L’abbé de Montesquiou le dit un jour très vivement au roi, à propos de M. de Blacas : « Votre Majesté ne doit pas oublier que, si les Français ont passé à leurs souverains toutes leurs maîtresses, ils n’ont jamais pu supporter un favori. » La politique de Louis XVIII, à son meilleur temps, fut viciée au cœur par le favoritisme. […] Il oubliait que son amour-propre en devait être plus flatté que celui des autres.

96. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VI. M. Roselly de Lorgues. Histoire de Christophe Colomb » pp. 140-156

Aura-t-il pris Christophe Colomb pour appuyer et rappeler une vérité de plus en plus oubliée, — l’intervention directe de Dieu dans l’histoire, — car M.  […] « Déjà depuis plus d’un demi-siècle, dit M. de Lorgues, le Portugal cherchait un accroissement par mer et il avait augmenté son domaine de plusieurs îles situées, loin des rivages connus, au sein de l’Océan. » Comme tant d’autres que l’histoire a désignés, mais dont elle a oublié les noms, Colomb aurait eu des velléités, des aperceptions, des pressentiments, des mouvements d’aiguille aimantée au cerveau, des plans même, si l’on veut, mais il n’aurait eu ni le courage, ni la foi, ni l’espérance, ni la patience, ni l’importunité sublime qui firent de sa vie un apostolat. […] Avec une sagacité singulière et une puissance de rapprochement qui n’oublie rien et centralise tout, il est allé chercher jusque dans le nom de Christophe Colomb (Christum ferens) et la légende du géant saint Christophe, qui passe le Christ sur ses épaules, à travers les eaux, des analogies prophétiques, comme la tradition catholique a toujours permis à l’écrivain d’en dégager… Par-là, il a complété le profond mysticisme de son œuvre. […] Le fils soi-disant naturel de Colomb était le fils d’un second mariage que les historiens avaient oublié.

97. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VIII. M. de Chalambert. Histoire de la Ligue sous le règne de Henri III et de Henri IV, ou Quinze ans de l’histoire de France » pp. 195-211

c’est contre un tel obstacle à la bienvenue et à l’établissement de la vérité que M. de Chalambert s’avise de lutter aujourd’hui avec deux volumes, pleins de notions exactes, quand on se tient au point de vue du détail des faits, mais qui, selon nous, ne creusent pas assez dans la question des origines, cette seule question qui éclaire tout en histoire et que M. de Chalambert, il faut le dire, n’a point oubliée. […] Voilà pourquoi il s’est efforcé, dans cette introduction, de signaler les caractères trop oubliés quand il s’agit de bien juger le xvie  siècle, de cette monarchie fille aînée de l’Église et de l’hérésie, qui en brisait l’unité séculaire. […] Il y a plus, les fautes commises par les classes dirigeantes de la société, et sur lesquelles M. de Chalambert ne pèse pas assez dans son introduction trop rapide, les lâchetés d’une royauté qui oubliait, depuis trop longtemps, sa fonction de bras droit de la chrétienté, les corruptions et les révoltes d’une noblesse qui ne méritait plus de porter la croix de ses aïeux des croisades sur le pommeau de son épée, le triste rôle de l’indécis François Ier, de l’imbécile Henri II, de Catherine de Médicis, cette athée à tout ce qui n’était pas le pouvoir dont elle était folle pour elle et pour sa race, toutes ces choses, compliquées de la mort du duc d’Anjou, le dernier héritier de cette famille de Valois qui périssait dans l’infécondité de la débauche, ne justifient pas entièrement et bien nettement, aux yeux de tous ceux que le catholicisme n’éclaire pas, le fait à outrance et si antipathique au génie national d’une confédération armée contre la descendance directe, dans un pays d’hérédité comme l’a toujours été la France. […] III Tels sont pourtant les faits et les enseignements qui planent sur l’histoire, et un véritable historien qui aurait eu en lui la fibre d’homme d’État se serait bien gardé de les oublier.

98. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Gaston Boissier » pp. 33-50

Rien, en effet, d’oublié, dans les termes du problème. […] Rien d’oublié dans le cercle historique que M.  […] Les femmes, qui expriment mieux que les hommes l’imagination religieuse d’une race, les femmes, « très pieuses à leurs dieux » dans cette époque de dévotion universelle, allaient à Isis et à Cybèle sans cesser d’aller à Junon et à Diane, comme, plus tard, elles devaient aller à Jésus… Seulement, il ne faut pas oublier de marquer ce que l’auteur de La Religion romaine oublie : c’est qu’une fois à Jésus, elles ne revenaient pas à Junon et à Diane, et que Junon et Diane ne leur avaient jamais fait faire ce que le Christianisme, qu’on veut diminuer en l’expliquant, leur fit faire, en raison de deux choses que ne connaissaient pas ces misérables religions anciennes : l’absolu de son dogme et le péremptoire de sa loi.

99. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

Cependant le héros, pour éprouver son épouse, feint d’avoir oublié Sacountala et son fils. […] » Le roi feint d’avoir tout oublié. […] Va, je m’oublierai plutôt moi-même. […] « Tu m’oublieras », lui dit la jeune fiancée. « Moi, t’oublier !  […] N’oubliez pas de m’en instruire !

100. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Villeroy, Auguste »

Tandis que, des fils de l’empereur, l’un, Chéréas, toujours indécis, essaye d’oublier, en faisant des vers, la chute qui menace Chrysopolis, et l’autre Théodore, insouciant et léger, oublie les malheurs de la patrie en courant au cirque et en fréquentant chez les courtisanes, Hérakléa, fière et pure, prie les Dieux, honore les vertus anciennes et pousse à la lutte acharnée.

101. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

— Certainement, lui dis-je, en m’asseyant sur son fauteuil, en face de son petit feu de cendre, il me reste toujours du temps pour aimer ceux qui m’aiment, et des soucis pour oublier les miens en pensant aux soucis de mes amis ! […] J’oubliais de vous dire qu’un gros livre in-quarto à deux colonnes était ouvert sur sa table, et qu’un chapelet grossier, dont les grains luisants témoignaient qu’ils avaient glissé longtemps dans les doigts (celui de sa mère), était négligemment jeté sur les pages. […] — Non, me répondit-il, je pars demain, et je n’ai pas voulu vous laisser ici sans vous dire adieu, et vous souhaiter un doux automne, ainsi qu’à madame de Lamartine et à cette nièce qui s’oublie auprès de vous pour vous faire oublier ce qu’on ne peut oublier, ajouta-t-il en passant le revers de sa large main sur ses yeux. […] Et toi, dans ma douleur demeure ensevelie, Je ne t’oublîrai pas, si le monde t’oublie. […] Pauvre, errant, oublié, négligé, sans doute il a manqué de confiance en ses amis, en sa famille qui lui fut toujours bonne et propice… Il n’a pas manqué de confiance, à coup sûr, dans le Père qui est aux cieux !

102. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

Lui aussi sentait en elle une créature de grande race, auprès de laquelle il oubliait toutes les mesquineries de sa condition misérable. […] Un enfantillage réjoui, c’était le caractère de cette figure ; une âme en vacances, quand il laissait la plume pour s’oublier avec ses amis ; il était impossible de n’être pas gai avec lui. […] Sa vie entière prouva cet amour ; elle s’oublia sans cesse pour nous, et cet oubli lui fit connaître l’infortune, qu’elle supporta courageusement. […] « “Avec le Tacite, n’oublie pas de m’envoyer un couvre-pied ; si tu pouvais y joindre quelque vieillissime châle, il me serait bien utile. […] Quand je travaille, j’oublie mes peines, c’est ce qui me sauve ; mais toi, tu n’oublies rien !

103. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre III. Le roman » pp. 135-201

Il ne faut pas oublier qu’il a pris naissance sous des cieux brumeux et moroses, où le rire est parfois un effort. […] Louis Bertrand, dont on n’oublie pas les solides et forts romans : Le Gardien de la Mort, La Cina, Le Rival de don Juan, Pepete le bien-aimé. […] Et il ne faut pas oublier M.  […] 47 » Que de noms oubliés déjà figurent dans cette énumération si incomplète. […] Boylesve présentait ses héros à la façon de Balzac et qu’on les voyait trop bien pour les oublier.

104. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

Mais j’allais oublier qu’un des hommes les plus compétents en matière de langue comme en toute fine et curieuse érudition, M.  […] Pour moi qui me suis occupé de d’Aubigné il y a vingt-sept ans pour la première fois quand je traversais le xvie  siècle, je ne dirai aujourd’hui que ce qui me semble nécessaire pour présenter cette forte figure en son vrai jour, sans exagérer ni ses vertus, ni sa pureté, ni ses mérites, mais sans rien oublier non plus d’essentiel en ce qui le distingue. […] Il est un point qu’il ne faut jamais oublier avec d’Aubigné, et qui est à retenir surtout quand on le compare, pour le style et le jet de la plume, avec Saint-Simon : c’est qu’il est un homme de lettres bien plus que Saint-Simon ne l’a jamais été. […] Quand on loue en lui l’écrivain énergique et franc, qu’on n’oublie donc point qu’il n’a pas été (comme cela est arrivé à d’autres guerriers qui ont pris la plume) un écrivain tout naturel et involontaire ; il savait ce qu’il faisait et était du double métier. […] et comme il n’oublie pas que c’est une gloire qui compte devant la postérité, de lui avoir sauvé la vie en deux ou trois mémorables occasions !

105. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

. — Je n’oublierai point, parmi les personnes présentes, une habituée et une amie de la maison, Mme de Bawr, l’auteur d’une jolie pièce de théâtre et d’agréables romans. Elle nous répéta plusieurs fois d’un air fin un mot dont nous ne sentîmes pas dans le moment toute la valeur : « Vous avez du talent, disait-elle aux romantiques, mais n’oubliez pas, Messieurs, ce conseil d’une vieille femme : soyez aimables !  […] Molière, sans songer précisément à la politique, en avait sans doute tiré des jours profonds pour la peinture morale de l’espèce, pour sa comédie dont le rire inextinguible ne saurait faire oublier les sanglantes morsures et les perpétuelles insultes à la guenille humaine. […] Pendant un séjour de la Cour à Fontainebleau au printemps de 1661, après le mariage de Monsieur, on voyait, dit-elle, dans les promenades que le roi, les reines, Monsieur et Madame faisaient sur le canal dans un bateau doré, le prince de Condé s’empresser de les servir à la collation en sa qualité de grand maître, mettant lui-même les plats sur la table ou les rendant au duc de Beaufort qui était en dehors de la barque trop petite, et qui s’empressait aussi, par son ardeur obséquieuse, de faire oublier les torts du passé. […] J’ai oublié le Contrat social de Rousseau, mais j’ai toujours présentes à l’imagination et à l’esprit tant de descriptions engageantes d’une vie saine, naturelle et sensée : puisse ce genre heureux d’existence, qui présuppose de si bons fondements, se propager plus encore39 !

106. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis du Belloy (suite et fin.) »

» — Et Mysis exprimant encore quelques craintes, et Pamphile s’animant de plus en plus : « Tout ce que je sais, dit la suivante qui a sa réserve d’expression et sa délicatesse à sa manière, c’est qu’elle mérite bien que vous ne l’oubliiez pas. » — « Que je ne l’oublie pas, ô Mysis, Mysis ! […] Je ne puis pousser plus loin ces analyses sans m’oublier tout à fait, et sans oublier aussi que j’aurais, si la place m’était accordée ; à prendre plus souvent M. de Belloy à partie et à lui dire, sur sa propre traduction : « Ceci est bien, ceci est heureux et élégant ; mais, à côté, ne trouvez-vous pas… ?  […] On ne peut oublier, pour peu qu’on ait été romantique, ce fameux exorde ex abrupto, ce début de tirade d’une superbe et terrible emphase ; mais ce n’est pas une raison pour l’imiter couramment.

107. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Michelet »

Ne l’oublions jamais ! […] ; — Ils oublient leurs habitudes… Enfin, ils aiment ailleurs. […] Alors, touché, attendri, pénétré, dans l’élan de sa reconnaissance pour ces généreux jeunes gens qui oubliaient leurs habitudes, et (nous aussi, pourquoi ne le dirions-nous pas ?) […] Son livre pourrait faire le pendant et la Suite de ces fameux livres oubliés maintenant, qu’on intitulait autrefois : la Mer libre, la Mer fermée, Mare liberum, Mare clausum. […] Il a des façons diplomatiques et discrètes de s’exprimer qui ne semblent rien, et qui sont tout ; car elles n’éconduisent pas seulement Dieu, elles le font oublier.

108. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

Dans cette exposition et dans cette critique de la philosophie régnante, je ne pense point avoir oublié une seule doctrine originale ou importante. […] Cousin, oubliée, inutile, impopulaire. […] Mon âme m’échappe malgré moi, et je ne puis consentir à garder les bienséances que m’inspire ma faiblesse, au point d’oublier que je suis Français. […] On oublia d’autres paroles très-expressives, trop expressives, qu’on avait autrefois jetées contre le christianisme, que les critiques n’osent citer, et dont tous les contemporains se souviennent. […] La doctrine est impuissante et respectée, souveraine et oubliée, dominante et stagnante.

109. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ferdinand Denis »

Il en est pourtant dont la grâce vraiment enchanteresse ne saurait s’oublier : « En Amérique, dit l’auteur, quand la marée s’est retirée, surpris quelquefois de trouver une fleur dans le fond d’un rocher stérile sur lequel le flot vient de se briser, vous voulez cueillir cette aigrette flottante qui résiste si bien aux orages et qui méprise la rosée du ciel ; tout à coup la fleur se retire des doigts indiscrets qui viennent de la toucher. […] Ainsi donc, dans peu d’années tout s’oublie ! […] Denis nous transporte dans les bocages d’Otahiti, séjour charmant de la poésie et de la volupté, où le navigateur oublie l’Europe et la patrie ; soit qu’aux bords sacrés du Guige, il nous retrace les caractères des beaux lieux qu’il arrose, la plénitude de la végétation, des villes au sein des forêts, (les gazelles et les biches auprès du buffle et du tigre, l’éléphant sauvage et sa vaste domination sur les hôtes des bois, et ses guerres sanglantes contre des armées entières de chasseurs ; soit qu’accomplissant cette fois toute sa mission, il nous montre la littérature portugaise passant du Gange au Tage, et qu’il présente les fables des Indiens, et leurs riantes allégories, et leurs croyances si douces et si terribles tour à tour ; alors, en s’adressant aux poètes, il est poète lui-même ; sa pensée, singulièrement gracieuse, s’embellit encore d’une expression dont l’exquise pureté s’anime des couleurs orientales.

110. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — II »

Il y a toujours sans doute beaucoup de tendresse et de douce intimité dans les lettres du philosophe à sa maîtresse ; mais la passion éclatante, épurée, et par moments sublime, a disparu dans une causerie plus molle, plus patiente, plus désintéressée ; les nouvelles, les anecdotes, les conversations sur toutes choses, s’y trouvent comme auparavant ; une analyse ingénieuse et profonde du cœur y saisit toujours et y amuse ; mais la verve de l’esprit supplée fréquemment à la flamme attiédie de la passion ; un gracieux commérage, si l’on peut parler ainsi, occupe et remplit les heures de l’absence ; on s’aime, on se le dit encore, on ne sera jamais las de se le dire ; mais par malheur les cinquante ans sont là qui avertissent désagréablement le lecteur et le désenchantent sur le compte des amants ; les amants eux-mêmes ne peuvent oublier ces fâcheux cinquante ans qui leur font l’absence moins douloureuse, la fidélité moins méritoire, et qui introduisent forcément dans l’expression de leurs sentiments les plus délicats, je ne sais quelle préoccupation sensuelle qui les ramène à la terre et les arrache aux divines extases de l’âme où s’égare et plane en toute confiance la prodigue jeunesse. […] Et puis voilà des éclats de rire, la lassitude qui s’oublie, le sommeil qui s’en va et la nuit qui se passe à causer. » Il y a encore une autre conversation où il lui explique toute la valeur de ce mot je vous aime ; c’est un petit chef-d’œuvre d’analyse morale exquise, assaisonnée d’épigrammes et nuancée de volupté. […] Je pensais qu’il me verrait, que je me jetterais entre ses bras, que nous pleurerions tous les deux, et que tout serait oublié.

111. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VI. De la littérature latine sous le règne d’Auguste » pp. 164-175

Mais on se les représente voyant passer la vie, comme ils regardent couler le ruisseau qui rafraîchit leur climat brûlant, et l’on finit presque par leur pardonner d’oublier la morale et la liberté, comme ils laissent échapper le temps et l’existence. […] Ils invoquent, ils rappellent avec délices la fraîcheur de la nature, pour échapper à leur soleil dévorant ; mais les Romains demandent de plus à la campagne un abri contre la tyrannie, c’était pour se reposer des sentiments pénibles, c’était pour oublier un joug avilissant, qu’ils se retiraient loin des cités habitées. […] Peut-on oublier d’ailleurs quel avantage prodigieux les historiens anciens ont sur les historiens modernes par la nature même des faits qu’ils racontent ?

112. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXIX » pp. 319-329

Elle lui répondit la lettre suivante, le 15 novembre : « Ne vous alarmez pas de ma dévotion, mon pauvre abbé ; rassurez l’hôtel de Richelieu ; on n’oublie pas dans la solitude des amis à qui l’on en doit tous les agréments. […] Quand elle charge l’abbé Testu de dire à l’hôtel de Richelieu : qu’on n’oublie pas dans la solitude des amis à qui l’on en doit tous les agréments, elle disait une chose sérieuse, qui se rapportait à la grande et belle habitation de Vaugirard, et à l’influence que madame de Richelieu exerçait sur la bienveillance de madame de Montespan et sur celle du roi. […] J’ai oublié de comprendre cette maison entre celles qui étaient ouvertes à la société d’élite.

113. (1762) Réflexions sur l’ode

Mais ces messieurs ne louent jamais que les morts, ou les vivants que la mort fait oublier. […] Mais les beautés supérieures d’un écrivain font oublier les critiques les plus justes ; et voilà par quelle raison, pour le dire en passant, les Aristarques et les Zoïles de l’antiquité ont également disparu ; perspective assez peu consolante pour leurs successeurs. […] La seconde chose que les littérateurs philosophes oublient quelquefois, c’est que la vérité, quand elle contredit l’opinion commune, ne saurait s’annoncer avec trop de réserve pour éviter d’être éconduite ; c’est déjà bien assez pour risquer d’être mal reçue, que d’être une vérité nouvelle.

114. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des ducs de Normandie avant la conquête de l’Angleterre »

Esprits raccourcis et passionnés, nous ne pensons, guères qu’à ce bout de toile historique dont nous sommes les tisserands d’un jour ou à ce qui peut directement s’y rattacher, et nous oublions trop que l’Histoire est particulièrement, dans sa notion pure et profonde, le récit des choses entièrement finies, des mondes entièrement disparus. Nous oublions trop que le grand caractère de l’Histoire c’est d’être une peseuse de poussière, et que des écroulements définitifs, des fins accomplies, conviennent mieux à cette Observatrice funèbre que des choses vivantes encore, qui déconcerteraient son œil et sa main. […] Nous avons, sur le simple titre de l’ouvrage, ressenti une forte et involontaire sympathie pour un homme qui, par ce temps de civilisation économique, écrit un livre sur les vieux iarls scandinaves, les pères oubliés des éleveurs de la vallée d’Auge et des herbagers du Cotentin.

115. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 34-39

Le plus connu des Ouvrages de cet Ecrivain presque oublié, est l’Histoire générale de la France, durant les deux premieres Races de nos Rois, en deux vol. […] N’oublier ni les femmes, ni les enfans des Rois ; mais ne parler des Rois mêmes, qu’à propos des affaires, & ne relever aucune circonstance de leur vie, qu’autant que cette circonstance aura contribué aux grands changemens.

116. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 467-471

Pourquoi cet Auteur, qui a joui d’une si grande réputation pendant sa vie ; que Vaugelas consultoit comme l’oracle de la Langue Françoise ; à qui Despréaux & Racine s’empressoient de lire leurs Ouvrages, comme à un juge plein de lumieres & de goût ; pour qui l’Académie avoit une déférence qui tenoit du respect ; qu’on regardoit au Barreau, comme un des Orateurs les plus éloquens ; pourquoi est-il aujourd’hui totalement oublié ? […] Il importe peu aux siecles suivans qu’un Auteur ait connu parfaitement sa langue, qu’il l’ait parlée purement & avec facilité, qu’il ait eu du goût & des connoissances, que les grands Poëtes de son temps l’aient célébré : s’il n’a laissé des Ecrits qui le rendent digne de se survivre à lui-même, on le met bientôt au rang des Auteurs oubliés.

117. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IV »

En France, elle ne s’imposera jamais tout entière à notre tempérament et ne nous fera jamais oublier notre fidélité à d’anciens souvenirs. […] On ne boude pas plus contre ses oreilles que contre son ventre, et Wagner est un artiste assez considérable pour qu’on puisse juger son œuvre avec une sérénité qui permette de négliger l’homme et d’oublier le gallophobe. […] En attendant les résultats, rétablissons quelques points d’Histoire qu’on paraît trop oublier. […] Il y a des gens qui ont des préoccupations artistiques — ou commerciales — si grandes qu’ils oublient la patrie. […] On remarquera que dans cette liste des «  plus célèbres musiciens français du temps  », des noms illustres côtoient d’autres aujourd’hui oubliés.

118. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Edmond et Jules de Goncourt »

Est-ce encore pour être plus vrais, plus réels, plus modernes, qu’ils ont oublié la miraculeuse influence de la croix sur cette orgueilleuse, simplifiée seulement par la douleur ? […] C’est une jeune fille comme il peut y en avoir dans tous les mondes, mal élevée comme on peut l’être dans tous les mondes, et dont on oublie, et qui oublie elle-même, son mauvais ton, à mesure que la vie la prend, la vie telle qu’elle est faite, sérieuse et quelquefois tragique… Il n’y a pas, à proprement parler, de bourgeois et de bourgeoisie là-dedans. […] Rien n’y est oublié de tout ce qui est indifférent ou inutile. […] M. de Goncourt n’y a oublié que le crottin que M. Zola, son ami, n’aurait pas oublié.

119. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DÉSAUGIERS. » pp. 39-77

Un reproche certain qu’ont mérité nos poëtes modernes, si éminents à tant d’égards, si grandement lyriques, si tendrement élégiaques, c’est d’avoir trop oublié l’esprit, ce qui s’appelle proprement de ce nom, ce qu’avaient précisément nos pères. […] Plante sacrée, tu crois au pied de l’Hymette, et tu communiques tes feux divins au poëte fatigué, lorsqu’après s’être oublié dans la plaine, et voulant remonter vers les cimes augustes, il ne retrouve plus son ancienne vigueur. […] On aura remarqué cette expression de tête grecque appliquée à l’enfant ; n’oublions pas que sur ces plages favorisées de la Provence étaient déposés de toute antiquité des germes apportés d’Ionie. […] vous avez beau l’ignorer ou l’oublier, ce contraste se reproduira chaque fois et chaque jour, pour qui le saura voir : publique ou cachée, il y aura toujours ce jour-là dans le monde une grande douleur, — une infinité de grandes douleurs. […] Comment oublier ces folles scènes nocturnes de M.

120. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Les quatre moments religieux au XIXe siècle, (suite et fin.) »

Ces abbés brillants et légers, qui oubliaient d’être prêtres avant 89, s’en étaient ressouvenus tout d’un coup dès qu’il avait fallu confesser la foi ou l’honneur de leur engagement dans les prisons, dans les pontons qui les déportaient ; semblables à ces gentilshommes qui savent combattre et mourir pour leur opinion dès qu’il y a péril. […] Ce fut un beau moment dont rien ne saurait effacer l’éclat dans cette première splendeur de l’inauguration du siècle : « Ils ne sont pas encore assez loin pour être oubliés, s’écriait en 1818 un des témoins émus, ces jours alors si nouveaux et si sereins, si inattendus et si consolants, dans lesquels, après tant d’années d’interruption et d’outrages, on vit le culte catholique ramené en pompe dans le même temple où il avait reçu les plus graves insultes, — ramené par la main d’un jeune guerrier qui semblait jusque-là aussi étranger aux choses religieuses qu’il était familiarisé avec la victoire. […] Je n’oublierai pas non plus Wilson, cet homme de bien, si uni, si modeste, si indulgent pour ceux qu’il avait une fois rencontrés et vus venir sur un terrain de confiance et d’honnêteté. […] Qu’elle n’en soit pas moins chère cependant, pour ne plus exister que dans le souvenir, cette union d’un jour, cette sympathie toute désintéressée des intelligences, et qu’aucun de ceux qui y ont pris part ne devrait oublier ! […] Paris s’en aperçut peu ; mais ce qui se vit alors dans quelques provinces n’est pas encore oublié : le corps universitaire souffrit et fut découragé dans la personne de plus d’un de ses jeunes membres.

121. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

MM. de Goncourt qui, à huit ans de distance l’un de l’autre, sont jumeaux ; qui pensent et sentent à l’unisson ; qui non-seulement écrivent, mais causent comme un seul homme, l’un seulement avec plus de réflexion et de suite, l’autre avec plus de pétillement et de saillies, sont entrés dans la littérature par la peinture, par les arts : ne l’oublions pas, et eux-mêmes, dans ce qu’ils écrivent, ne permettent jamais de l’oublier. […] Il y a une chose qu’oublient trop MM. de Goncourt : ils ne voient dans Voltaire que l’auteur dramatique, le poëte ; mais le philosophe, ils l’oublient. […] Ils sont bien des hommes de la fin du xviiie  siècle en cela ; mais ils sont tout à fait des artistes du xixe   par les touches successives du tableau et les nuances à l’infini : « Se trouver, en hiver, dans un endroit ami, entre des murs familiers, au milieu de choses habituées au toucher distrait de vos doigts, sur un fauteuil fait à votre corps, dans la lumière voilée de la lampe, près de la chaleur apaisée d’une cheminée qui a brûlé tout le jour, et causer là à l’heure où l’esprit échappe au travail et se sauve de la journée ; causer avec des personnes sympathiques, avec des hommes, des femmes souriant à ce que vous dites ; se livrer et se détendre ; écouter et répondre ; donner son attention aux autres ou la leur prendre ; les confesser ou se raconter ; toucher à tout ce qu’atteint la parole ; s’amuser du jour, juger le journal, remuer le passé comme si l’on tisonnait l’histoire ; faire jaillir, au frottement de la contradiction adoucie d’un : Mon cher, l’étincelle, la flamme, ou le rire des mots ; laisser gaminer un paradoxe, jouer sa raison, courir sa cervelle ; regarder se mêler ou se séparer, sous la discussion, le courant des natures et des tempéraments ; voir ses paroles passer sur l’expression des visages, et surprendre le nez en l’air d’une faiseuse de tapisserie ; sentir son pouls s’élever comme sous une petite fièvre et l’animation légère d’un bien-être capiteux ; s’échapper de soi, s’abandonner, se répandre dans ce qu’on a de spirituel, de convaincu, de tendre, de caressant ou d’indigné ; jouir de cette communication électrique qui fait passer votre idée dans les idées qui vous écoutent ; jouir des sympathies qui paraissent s’enlacer à vos paroles et pressent vos pensées comme avec la chaleur d’une poignée de main : s’épanouir dans cette expansion de tous et devant cette ouverture du fond de chacun ; goûter ce plaisir enivrant de la fusion et de la mêlée des âmes, dans la communion des esprits : la conversation, — c’est un des meilleurs bonheurs de la vie, le seul peut-être qui la fasse tout à fait oublier, qui suspende le temps et les heures de la nuit avec son charme pur et passionnant.

122. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

1837 On a beaucoup parlé, dans ces derniers temps, de poésie populaire ; on en a remis en honneur le règne et la floraison, trop oubliés jusqu’alors, et qui avaient orné un certain âge adolescent de la vie des nations ; on est même allé jusqu’à se figurer un temps privilégié où la poésie circulait comme dans l’air, où chacun plus ou moins y participait, et où l’œuvre admirée se formait du génie de tous. […] Nulle plaisanterie dans ses vers, nul jeu de mots sur sa condition habituelle ; le four ne revient pas là sous toutes sortes de formes, et le poëte, un moment soustrait aux soins vulgaires, s’efforce bien plutôt de les oublier, de les ennoblir en les idéalisant. […] Elle rentre en effet bientôt, avec un morceau de pain sous le bras, et tous les enfants, joyeux, à table, oublient la détresse. […] Il lit avec délices Florian, Ducray-Duminil ; la misère est oubliée ; l’hôpital, la besace, l’anneau, ont disparu de sa mémoire. […] Angèle, au bruit des baisers et des chansons, oublie de faire sa prière ; Marguerite, le front couvert d’une froide sueur, agenouillée, dit tout bas, pendant que son frère ôte le verrou : « O mon Dieu !

123. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Alphonse Daudet, l’Immortel. »

Enfin, je vois que quatre ou cinq des plus grands génies littéraires de ce siècle, sans compter une douzaine de talents supérieurs, ont été repoussés ou oubliés par l’Académie. […] (C’est ce qu’ont oublié quelques chroniqueurs farouches, de ceux qui vont criant : « Ne coupez pas les ailes au génie », comme s’ils étaient personnellement menacés.) […] Alphonse Daudet le hait d’une haine si féroce, qu’il oublie de nous dire que cet imbécile est un fort honnête homme, et que je le prenais, moi, de la meilleure foi du monde, sinon pour un vieux gredin, du moins pour un fort plat personnage. […] Car enfin, quoi qu’il lui soit arrivé, il reste académicien, secrétaire perpétuel, logé à l’Institut ; et les choses s’oublient, et dans huit jours on ne songera plus à son affaire, ou même sa loyauté et son courage lui auront ramené des défenseurs… Vous me direz que, au moment de son suicide, il est revenu de tout, même des vanités académiques… Mais justement il m’avait donné l’idée d’un homme absolument incapable de revenir jamais de certaines vanités. […] Je n’avais pas fini et j’oubliais la duchesse.

124. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres de la marquise Du Deffand. » pp. 412-431

Mme Du Deffand en était là, aveugle, ayant un appartement dans le couvent de Saint-Joseph. rue Saint-Dominique (quelques chambres du même appartement qu’avait occupé autrefois Mme de Montespan, la fondatrice) ; elle avait soixante-huit ans ; elle vivait dans le très grand monde, comme si elle n’était pas affligée de la plus triste infirmité, l’oubliant tant qu’elle le pouvait, et tâchant de la faire oublier à tous à force d’adresse et d’agrément ; se levant tard, faisant de la nuit le jour ; donnant à souper chez elle ou allant souper en compagnie, ayant pour société intime le président Hénault, Pont-de-Veyle, le monde des Choiseul dont elle était parente, les maréchales de Luxembourg et de Mirepoix, et d’autres encore dont elle se souciait plus ou moins, lorsque arriva d’Angleterre à Paris, dans l’automne de 1765, un Anglais des plus distingués par l’esprit, Horace Walpole : ce fut le grand événement littéraire et romanesque (pour le coup, c’est bien le mot) de la vie de Mme Du Deffand, celui à qui nous devons sa principale correspondance et tout ce qui la fait mieux connaître. […] Du fond de son fauteuil, aveugle qu’elle était, elle voyait tout ; elle emploie perpétuellement ce mot voir ; elle oublie qu’elle n’a plus d’yeux, et on l’oublie en l’écoutant. […] Elle m’avait fait promettre d’en prendre soin la dernière fois que je la vis ; ce que je ferai très religieusement, et je rendrai la pauvre bête aussi heureuse que possible. » Je n’ai pas voulu faire comme Buffon, et oublier le chien de l’aveugle. […] N’oublions pas non plus que Mme Du Deffand était de Bourgogne ; elle semble tenir de cette verve du terroir, qui inspira tant de piquants Noëls aux Piron et aux La Monnoye.

125. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

., mais égale et douce, je serais mort paisiblement dans le sein des miens ; bientôt oublié sans doute, j’aurais été regretté du moins aussi longtemps qu’on se serait souvenu de moi. […] Nous courons risque d’être aujourd’hui trop peu sensibles à ces premières pages pittoresques de Rousseau ; nous sommes si gâtés par les couleurs, que nous oublions combien ces premiers paysages parurent frais et nouveaux alors, et quel événement c’était au milieu de cette société très spirituelle, très fine, mais sèche, aussi dénuée d’imagination que de sensibilité vraie, dépourvue en elle-même de cette sève qui circule et qui, à chaque saison, refleurit. […] Et il raconte cette scène vive et muette que personne n’a oubliée, cette scène par gestes, arrêtée à temps, toute pleine de rougeur et de jeunes désirs. […] Enfin, ce sentiment de la réalité se retrouve chez lui jusque dans ce soin avec lequel, au milieu de toutes ses circonstances et ses aventures heureuses ou malheureuses, et même les plus romanesques, il n’oublie jamais la mention du repas et les détails d’une chère saine, frugale, et faite pour donner de la joie au cœur comme à l’esprit. […] Aussi n’oubliera-t-il jamais, même dans le tableau idéal qu’il donnera plus tard de son bonheur, de faire entrer ces choses de la vie réelle et de la commune humanité, ces choses des entrailles.

126. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

Tant que vécut son père, ce désir purement littéraire de Frédéric prévalut sur ses autres pensées et l’engagea à des démarches, à des avances où le futur roi s’oubliait un peu. […] Voltaire en dit quelques-unes au roi, et Frédéric les lui rend : « Vous avez eu les plus grands torts envers moi, écrit-il à Voltaire… Je vous ai tout pardonné, et même je veux tout oublier. […] Revenu en France, d’Alembert continua de correspondre avec Frédéric ; et (si l’on oublie l’épigramme qui ne fut jamais connue) cette correspondance atteste des deux parts bien de la raison, de la philosophie véritable, et même de l’amitié, autant qu’il en pouvait exister alors entre un particulier et un monarque. D’Alembert aussi, ne l’oublions pas, a ses faiblesses ; nous savons déjà que les philosophes du xviiie  siècle n’aimaient guère la liberté de la presse que quand elle était à leur usage : un jour d’Alembert est insulté par je ne sais quel gazetier qui rédigeait le Courrier du Bas-Rhin dans les États mêmes de Frédéric ; il le dénonce au roi. […] Pour moi, de quelque côté que je le prenne, et jusque dans les années où ses défauts se marquèrent le plus, je ne puis que conclure en somme à son avantage, et dire comme Bolingbroke disait de Marlborough : « C’était un si grand homme, que j’ai oublié ses vices. » Dans le cas présent, le grand homme avait, malgré tout, du bon et de l’humain, et un fonds de cœur en lui.

127. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — I. » pp. 322-340

Il y a quelques jours que, causant avec un magistrat homme d’esprit, à qui ses fonctions n’ont point fait oublier les lettres, après quelques propos sur divers sujets : « Savez-vous que c’est moi, me dit-il, qui, le premier ai relevé le corps de Paul-Louis Courier dans le bois où il fut assassiné ? […] Des lettres ainsi refaites et retouchées laissent toujours à désirer quelque chose, je le sais bien ; elles n’ont pas la même autorité biographique que des lettres toutes naïves, écrites au courant de la plume, oubliées au fond d’un tiroir et retrouvées au moment où l’on y pense le moins : mais Courier, homme de style et de forme, n’a guère dû faire de changements à ses épîtres que pour les perfectionner par le tour ; ses retouches et ses repentirs, comme disent les peintres, n’ont pas dû porter sur les opinions et les sentiments qu’il y exprime, et le travail qu’il y met, le léger poli qu’il y ajoute n’est qu’un cachet de plus. […] Courier, parmi ces écrivains du xviiie  siècle qu’il énumère, a grand soin d’oublier Voltaire, qui dérangerait sa théorie juste, mais excessive42. […] Il vit dans ces beaux lieux, il s’y naturalise, il s’y oublie ; et, dès qu’il a quitté son « harnais », comme il dit, et laissé son vil métier, il retourne y vivre et y passer les dernières années de la sécurité et du loisir (1810-1812). […] [NdA] Il n’oublie pas moins l’excellent style épistolaire de Mme Du Deffand, de celle que M. 

128. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

Un savant fait oublier un savant ; un poëte ne fait pas oublier un poëte. […] Végèce était comte de Constantinople, ce qui n’empêche pas sa tactique d’être oubliée. Oubliée comme la stratégie de Polybe, oubliée comme la stratégie de Folard.

129. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LA REVUE EN 1845. » pp. 257-274

Elle voudrait, contre les excès de tout genre, établir et pratiquer une critique de répression et de justesse, de bonne police et de convenance, une critique pourtant capable d’exemples, et qui, sachant se dérober par intervalles au spectacle d’alentour, à ces combats de Centaures et de Lapithes comme ceux que nous voyons aujourd’hui, irait s’oublier encore et se complaire à de studieuses, à d’agréables reproductions du passé. […] Ceux même qui parlent ainsi, et qui se plaignent si haut, ont oublié de quelle manière leurs œuvres dernières, celles qui restaient dignes de leur talent et de la scène, ont été examinées dans cette Revue, non point avec l’enthousiasme qu’ils eussent désiré peut-être, du moins avec une bienveillance et une sincérité d’intention incontestable84. Ce rôle, la Revue des Deux Mondes, nous l’espérons bien, ne s’en départira pas désormais, et l’effet même de ces violences extérieures devra être de l’y faire viser de plus en plus : dire assez la vérité même à ses amis, ne pas dire trop crûment la vérité même à ses ennemis (avec de tels agresseurs cela mènerait trop loin), en un mot, ne pas trop oublier l’agrément, même dans la justice. […] Les attaques dont il était question, et qui sont déjà si oubliées, se retrouveraient dans divers journaux, et notamment dans le moins littéraire de tous, dans la Démocratie pacifique, qui avait rendu à M.Alexandre Dumas le mauvais service de se prêter aveuglément à ses colères. — Dans cet article d’ailleurs, aussi bien que dans la suite de ceux qui ont pour titre : De la Littérature industrielle, Dix Ans après, etc., Quelques Vérités, etc., etc.

130. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

Une voix de Stentor criant à la tribune : Caton est un contre-révolutionnaire, un stipendié de nos ennemis ; et je demande que la mort de ce grand coupable satisfasse enfin la justice nationale, ferait oublier l’éloquence de Cicéron. […] Oubliez ce que vous savez, ce que vous redoutez de tels ou tels hommes ; livrez-vous à vos pensées, à vos émotions ; voguez à pleines voiles, et malgré tous les écueils, tous les obstacles, vous arriverez ; vous entraînerez avec vous toutes les affections libres, tous les esprits qui n’ont reçu ni l’empreinte d’aucun joug, ni le prix de la servitude. […] Ce qui est sublime dans quelques discours anciens, ce sont les mots que l’on ne peut ni prévoir, ni oublier, et qui laissent trace dans les siècles, comme de belles actions. […] Un très petit nombre de caractères vraiment distingués pourrait se décider dans le calme de la retraite par le seul sentiment de la vertu ; mais lorsqu’il faut du courage pour accomplir un devoir, la plupart des hommes, même bons, ne se confient en leurs forces que quand leur âme est émue, et n’oublient leurs intérêts que quand leur sang est agité.

131. (1842) Essai sur Adolphe

Car ma vie se partage entre la prière et le dévouement ; et leur route est si bien frayée, qu’elles vous oublient, ô mon Dieu ! […] S’il n’a pas vraiment méconnu son amour, s’il n’a pas oublié ses sacrifices, s’il a seulement négligé de la bénir et de la remercier chaque jour comme il devait le faire, peu importe à celle qui souffre : il y a des larmes que nulle prière ne peut sécher. […] S’il arrive à l’un des deux d’oublier un instant la servitude où il s’est cloué, au premier mouvement de liberté le bruit de sa chaîne le réveille en sursaut. […] Quand on est jeune, on croit à peine à la moitié de ces conseils ; à mesure qu’on vieillit, on s’aperçoit qu’il y en a beaucoup d’oubliés.

132. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre II : Partie critique du spiritualisme »

Le langage sans doute est un intermédiaire ; la sympathie et l’amour sont des liens, une multitude de consciences peuvent vibrer à l’unisson, comme il arrive dans l’enthousiasme et dans l’énergie des passions populaires ; enfin il y a entre tous les hommes un lien intime et secret, une essence commune, et, comme on l’a dit, une solidarité qu’il ne faut pas oublier ; mais, si intime que soit ce lien, il ne va pas, il ne peut aller jusqu’à effacer la limite qui sépare radicalement les esprits, à savoir ce caractère essentiel d’être présent à soi-même, ce qui implique que l’on ne peut être en autrui comme l’on est en soi. […] Puisqu’on s’appuyait ainsi sur un axiome cartésien, on n’aurait pas dû oublier que, suivant Descartes, ce ne sont pas seulement les attributs humains, c’est en général tout ce qui est doué d’un certain degré de perfection, c’est-à-dire de réalité, qui doit être conçu en Dieu d’une manière absolue. On n’aurait pas dû oublier que, Descartes admettant l’étendue des corps comme une réalité, puisqu’elle en est l’essence même, il est impossible, tant qu’on reste fidèle à cette doctrine, de ne pas attribuer à Dieu l’étendue infinie aussi bien que la pensée infinie, et de ne pas en faire par là même la substance des corps aussi bien que la substance des esprits ; c’est ce qu’a fait Spinoza. […] Comme il oublie vite le sujet pensant pour l’être absolu et la psychologie pour la physique !

133. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXVI. La sœur Emmerich »

Cela posé, et en conséquence de cette loi, il a été démontré, par d’assez nombreux exemples, que les talents les plus vrais parmi les femmes de ce siècle (comme de tous les siècles, du reste, si on en écrivait l’histoire), qui ont osé la littérature, ont toujours été ceux-là qui ont affecté le moins d’être littéraires ou qui ont eu le bonheur d’oublier, en faisant leur livre, qu’ils en faisaient un. […] il ne faut pas qu’on l’oublie, et j’avoue que j’ai un fort plaisir à le répéter aux écrivailleuses endiablées de cette époque superbement plate, puisqu’elle accepte leurs extravagantes prétentions, c’est qu’il faut que Dieu s’en mêle, par voie extraordinaire et par grâce surnaturelle, pour qu’une femme, en génie, vaille un homme… Dans l’ordre humain, cela ne s’est jamais vu. […] Lisez en effet tous ces récits de la sœur Emmerich, et entre tous, ce splendide et angoissant récit de la Passion, suivie d’heure en heure, de minute en minute, sans rien oublier ; et voyez si la sublimité de l’Évangile a éteint les couleurs de ce récit et diminué son effet déchirant et profond ! […] Que ne puis-je citer Hérode, Caïphe, Anne, trois visages distincts maintenant et que je n’oublierai plus !

134. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « EUPHORION ou DE L’INJURE DES TEMPS. » pp. 445-455

Là où il y avait dix statues rivales dans une même salle resplendissante, une seule debout brille encore, et, pour faire oublier les autres, elle occupe le milieu. […] Et pourtant de tels motifs de garantie future que j’embrassais de grand cœur, et auxquels je ne cessais de croire dans mon songe (car vous n’oubliez pas que c’en est un), ne le rendaient pas moins mélancolique et moins sombre ; mon pauvre Euphorion, avec la foule innombrable et confusément plaintive de ces poëtes déshérités, déchus, ensevelis, ne se laissait pas oublier, et ils faisaient tous la ronde autour de moi, tellement que mes idées commençaient à vaciller un peu.

135. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre III. Soubrettes et bonnes à tout faire »

» Willy, élève de Stanislas qui oublie ses condisciples vieillis pour Claudine « petit pâtre bouclé » et qui, devant l’objectif du photographe, ne boucle plus la boucle d’un p’tit jeune homme que si c’est Polaire qui offre ses grâces postérieures ; Willy qui ne sut jamais voir aux yeux d’autrui que ses propres vices, m’accusera, j’espère, d’avoir cédé à une nostalgie perverse : je viens de relire deux de ces volumes de contes où Mendès, fameux par ses imitations, se laisse saisir lui-même, fuyant et onduleux seulement comme une amuseuse qui s’amuse. […] Mais, quelques heures après, quand le silence s’est fait autour de son bavardage, quand la nuit a recouvert ses grimaces, on peut dépouiller l’intéressante imagination du vêtement barbarement pailleté, oublier la robe de foraine dont Catulle crut embellir cette duchesse, Les autres contes sont radotages de vieille qui, pour être moins infâme dans cette conversation, n’en reste pas moins inepte. […] Alors, vous comprenez, il y a quelques verbes qu’on a oublié de rafraîchir et quelques phrases blanchies qu’on a négligé de teindre.

136. (1875) Premiers lundis. Tome III « Viollet-Le-Duc »

A l’article d’Olivier de Magny, il n’a garde d’oublier le singulier Sonnet Dialogue entre le nocher Caron et l’amant, sonnet qui dans le temps eut une telle vogue, et fut mis en musique à l’envi par Orlande, Lejeune et d’autres célèbres compositeurs3. […] Viollet-Le-Duc ne manque pas : Semblables au François qui, durant son jeune aage, Et du Tibre et du Pô fraye le beau rivage : Car, bien que nuict et jour ses esprits soyent flattez Du pipeur escadron des douces voluptez, Il ne peut oublier le lieu de sa naissance ; Ains, chasque heure du jour, il tourne vers la France Et son cœur et son œil, se faschant qu’il ne voit La fumée à flots gris voltiger sur son toict.

137. (1925) Comment on devient écrivain

On retient son nom ; on oublie le personnage. […] » La mémoire peut être considérée comme une faculté qui oublie ou, si l’on veut, qui ne retient que pour oublier. Elle ne consiste pas à se rappeler, mais à retrouver es qu’on a oublié. […] Il y a longtemps sans cela que j’aurais tout oublié.‌ […] Je n’oublierai jamais ma confusion.

138. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Benjamin Constant et madame de Charrière »

» Ma famille me gronderait bien d’avoir oublié le de et le Rebecque ; mais je les vendrais à présent three pence a piece. […] Mais je vous demande, et à M. de Charrière, qui, j’espère, n’a pas oublié son fol ami, le plus grand secret. […] J’ai besoin, à deux cents lieues de vous, que vous ne m’oubliiez pas. […] Je l’ai parfaitement oublié hier, par exemple. […] Enfin je désire que Mallet et Ferrand, Ferrand et Mallet, soient oubliés, la Convention bientôt détruite, et la république paisible.

139. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

Ce qui est oublié redevient neuf, et il y a peut-être, dans la vie des peuples, un rythme de résurrections successives d’émotions anciennes, que nous rajeunissons. […] Alors qu’il me faudra pour jamais oublier, C’est vous, c’est vous ! […] Et elle veut oublier « le labyrinthe où s’égarent les pas poursuivant l’amour humain ». […] deux enfants oubliés dans un coin ? […] Mais lorsqu’on parlera de Renée Vivien, il faudra oublier ce blasphème des dernières heures, pour ne se souvenir que de la beauté de son chant d’amour.

140. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre III. L’analyse externe d’une œuvre littéraire » pp. 48-55

A propos du sujet, il convient de ne pas oublier de se demander quelle est l’époque choisie par l’écrivain. […] Chemin faisant, on n’oubliera point de relever les particularités orthographiques, les majuscules mises à certains mots ; les habitudes personnelles de ponctuation, les formes qui dérogent à l’usage où à la tradition. […] La synthèse, il faut se garder de l’oublier, est le but de l’analyse ; on ne dégage les éléments divers qui forment un ensemble que pour avoir de cet ensemble une conception logique et raisonnée, à la fois plus claire et plus profonde.

141. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 151-168

Il avoit ses raisons sans doute : Despréaux est en possession de la cime du Parnasse, d’où il donne encore des Loix, que les bons esprits n’oublieront jamais ; & il ne falloit rien moins qu’une Confédération, pour le chasser de son domaine & mettre à sa place le Chef de ces petits Conjurés. […] D’ailleurs Despréaux oublia-t-il jamais que les défauts d’un Ouvrage n’ont rien de commun avec la personne de l’Auteur ? […] Ils ont donc oublié que le Lutrin sera toujours notre premier Poëme ?

142. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jacques Demogeot » pp. 273-285

Demogeot, sans ce dernier chapitre qu’il aurait été si piquant d’oublier, nous ne saurions pas trop, en vérité, à quel système d’idées, à quel ordre de convictions générales ou particulières appartient l’auteur de ce livre, exclusivement littéraire. […] Il y est parlé d’Henri IV, loué cette fois par ses côtés louables, oublié par ses côtés mauvais. […] L’homme de Malherbe devient l’homme de Vaugelas, de Vaugelas dont les mérites si grands sont oubliés, et qu’il nous rappelle.

143. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le cardinal Ximénès »

Sans doute, parmi ces cardinaux, cités par Voltaire, il en fut plusieurs qui oublièrent trop la robe qu’ils avaient l’honneur de porter. […] Il ne nous donne qu’un plâtre assez pâle de cette grande figure qu’on oublie et dont il a voulu nous faire mesurer le galbe immense. […] En érudition, ils avaient beaucoup lu les mémoires de notre académie des Inscriptions, et, en littérature, ils renouvelaient souvent des formes oubliées.

144. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIV. Vaublanc. Mémoires et Souvenirs » pp. 311-322

Dernièrement un journal, en rendant compte des Mémoires nouveaux qu’on publie, a raconté vingt traits de courage de Vaublanc qui ne voulait pas mourir, à une époque où l’héroïsme était de se laisser égorger comme des moutons et de se coucher sous la guillotine ; mais il a oublié le bon sens qui, chez Vaublanc, doublait le courage, et en l’oubliant il a, à son tour, mutilé l’homme de ces intéressants mémoires, mutilés ! […] « Si au 10 août, nous dit-il, Bonaparte, le Bonaparte de vendémiaire, avait commandé aux Tuileries, la Révolution n’était plus », et il oublie complètement l’administration du cardinal de Richelieu. […] Mirabeau, le Mirabeau des Mémoires de La Mark (l’autre, nous voudrions l’oublier), celui qui disait : J’emporte en mourant les lambeaux de la monarchie, les emportait-il en effet, et aurait-il, s’il eût vécu, tenu le sublime et imprudent marché, souscrit aux pieds de Marie-Antoinette ?

145. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Crétineau-Joly » pp. 367-380

Parfois même il n’est pas besoin d’une filiation directe ; il suffit du même nom, pour que la mystérieuse et redoutable loi s’accomplisse… Habitué, par l’histoire religieuse qu’il a souvent écrite, aux idées générales et aux conclusions providentielles, Crétineau-Joly devait être nécessairement plus frappé que personne du rôle invariablement funeste qu’a joué dans nos annales tout ce qui porta jadis le nom d’Orléans, et il n’a pas voulu qu’on l’oublie. […] Les derniers d’Orléans auraient fait oublier les premiers, et c’eût été dommage. Quand une race finit par des hommes comme le Régent, Égalité et Louis-Philippe, il est presque naturel qu’on oublie que leurs prédécesseurs furent, comme eux, les Mauvais Génies de la France !

146. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Auguste de Chatillon. À la Grand’Pinte ! »

soit dans la tristesse, voilà, par ce temps d’orgueil qui crie, l’accent profond et surmonté de cette poésie qui n’est pas ivre, même de douleur, quoique la douleur ait été véritablement sa grand’pinte ; tel est le fond de cette poésie qui a parfois peint, à la flamande, les murs du cabaret où la pauvre fille s’est assise et a bu un coup, pour se réconforter un peu et pour oublier cette misère de la vie. […] C’est un sentimental et un sentimental discret, et si discret qu’il oublie de mettre son nom à son épitaphe, car c’est son épitaphe que celle-ci, qui n’est celle de personne dans son recueil, et dans laquelle on rencontre de ces traits, révélation d’une muette destinée : Arrête-toi, passant. […] Ce n’est encore qu’un filet de voix, mais d’une voix à part et qui pourrait devenir quelque chose d’une simplicité bien divine, si le chanteur voulait oublier les solfèges par lesquels son pauvre filet de voix a passé.

147. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXV. Des éloges des gens de lettres et des savants. De quelques auteurs du seizième siècle qui en ont écrit parmi nous. »

N’oublions pas de remarquer que ce Français, si respecté dans toute l’Europe, était assez peu connu en France. […] Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que cet homme qui avait de la douceur dans le caractère, comme de la grâce dans le style, et qui avait été témoin de la Saint-Barthélemi en France, dans des phrases élégantes et harmonieuses, en parle non seulement avec tranquillité, mais avec éloge. […] Des jurisconsultes comme Baudouin, Duaren et Hotman, commentateurs de ces lois romaines, si nécessaires à des peuples barbares qui commençaient à étudier des mots, et n’avaient point de lois ; d’Argentré, d’une des plus anciennes maisons de Bretagne, et auteur d’un excellent ouvrage sur la coutume de sa province ; Tiraqueau, qui eut près de trente enfants, et composa près de trente volumes ; Pierre Pithou, qui défendit contre Rome les libertés de l’église de France, qui devraient être celles de toutes les églises ; Bodin, auteur d’un livre que Montesquieu n’a pas fait oublier ; enfin, Cujas et Dumoulin, tous deux persécutés, et tous deux hommes de génie, dont l’un a saisi dans toute son étendue le véritable esprit des lois de Rome, et l’autre a trouvé un fil dans le labyrinthe immense de nos coutumes barbares.

148. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

Il s’est étonné plus tard que, lorsqu’il fut possible et convenable de reparler en public de la littérature proprement dite, c’est-à-dire à la fin de 1849, quelques critiques et moi-même tout le premier, nous ayons paru oublier cette Révolution de Février si voisine, et que nous ne nous soyons pas mis à cheval sur les grands principes pour combattre à tout bout de champ, dès le lendemain, cette affreuse ennemie déjà en retraite, et presque en déroute. […] Il a de l’esprit de détail, du piquant et du naturel, quand il oublie son grand rôle. […] Quand il cite le vers, Urit enim fulgore suo…, il oublie l’enim : par où je soupçonne qu’il ne scande pas très couramment les vers latins. […] Mais cette jeune fille si pure, si candide, oublie bien vite ce Jules, son ami, presque son fiancé d’hier ; il paraît complètement mis de côté par elle en moins de trois jours. […] Tu le sais, d’Auberive, notre Dauphiné est fier de vous : dans ce temps où tout s’en va, votre race a conservé intact cet honneur, ce vieil et pur honneur qui est le premier des biens… Si jamais tu pouvais l’oublier, je m’en souviendrais pour toi… Quand je regarde ton Emmanuel, si enthousiaste, si beau, si digne de sa sainte mère, je retrouve en lui cette fleur de noblesse que notre siècle ne connaît plus, qui bientôt, peut-être ne sera plus qu’un nom, mais que nous ne devons pas laisser périr, nous qui en sommes les gardiens… Quoi !

149. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

… » Dutens, enfin, qui seul ne serait peut-être pas une autorité suffisante en matière de grâce et de goût, mais qui en est une en fait de sérieux, nous dit : « De toutes les femmes de la Cour les plus distinguées par l’esprit et les agréments, Mme la comtesse de Boufflers était certainement la plus remarquable : aucune n’avait plus d’amis et n’avait eu moins d’ennemis, parce qu’elle unissait à tous les dons de la nature et à la culture de l’esprit une simplicité aimable, des grâces charmantes, une bonté et une sensibilité qui la portaient à s’oublier sans cesse, pour ne s’occuper que des biens ou des maux de tous ceux qui l’entouraient. […] » 35 Le dernier tableau de cette existence mondaine de Mme de Boufflers, nous l’emprunterons encore à Mme du Deffand, malgré la teinte de malveillance qui se mêle toujours à ce qu’elle dit de l’Idole, mais enfin les traits finissent par se radoucir, et ce qu’elle est forcée de lui accorder à son corps défendant a d’autant plus de prix :    « J’avais toujours oublié, écrit-elle à Walpole (4 avril 1780), de parler à l’Idole de la maladie de Beauclerk, et la première fois que je lui en ai parlé fut vendredi dernier que je lui ai appris sa mort ; elle en a été peu touchée, quoiqu’elle ait eu pour lui une petite flamme. Elle a parfaitement oublié l’Altesse pour qui elle voulait qu’on crût qu’elle avait une grande passion ; celle qu’il avait eue pour elle était tellement passée, qu’on prétend qu’il ne la pouvait plus souffrir36 : heureusement il n’avait pas attendu à ses derniers moments pour lui faire du bien ; elle a, dit-on, quatre-vingts ou cent mille livres de rente ; elle en fait bon usage. […] Un jour qu’elle lui parlait très-mal de son mari, Mme de Boufflers l’interrompit en lui disant : « Mais vous oubliez qu’il est mon fils. » — « Ah ! […] Elle ne voit jamais que moi qui s’intéresse, Et n’a pour tout plaisir qu’Auteuil et quelques fleurs, Qui lui font quelquefois oublier ses malheurs.

150. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

En fait de charmantes muses, on n’y rattachait qu’à peine Mme Tastu, on y oubliait trop Mme Valmore. […] A ses heures riantes, ce qui est rare, quand elle oublie un moment sa peine et qu’elle se met à décrire et à conter, il lui arrive le défaut tout contraire à la diffusion éthérée de Lamartine, elle tombe dans le petit, dans l’imperceptible, dans la vignette scintillante : Un tout petit enfant s’en allait à l’école… O mouche, que ton être occupa mon enfance ! […] Répondant avec une belle effusion aux vers de Lamartine, elle a dit, toute noyée, comme Ruth, dans ses pleurs reconnaissants : Je suis l’indigente glaneuse Qui d’un peu d’épis oubliés A paré sa gerbe épineuse, Quand ta charité lumineuse Verse du blé pur à mes pieds. […] L’avenir, nous le croyons, ne l’oubliera pas ; tout d’elle ne sera pas sauvé sans doute ; mais, dans le recueil définitif des Poetæ minores de ce temps-ci, un charmant volume devra contenir sous son nom quelques idylles, quelques romances, beaucoup d’élégies ; toute une gloire modeste et tendre. […] Je déferais sans pouvoir réparer, et je n’ai jamais eu la force de m’arrêter longtemps sur ces espèces de notes des impressions que je voulais oublier, — j’en ai tant d’autres à subir !

151. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Ponsard (je ne prends qu’un point), on a également applaudi quelque chose de calme et d’élevé avant tout ; on a été jusqu’à oublier, jusqu’à méconnaître (et l’auteur a paru l’oublier lui-même un moment)184 les détails et les procédés d’exécution qui rattachent le plus cette œuvre aux innovations modernes, pour y voir une sorte d’hommage rétrospectif à des formes abolles. […] Puis, ce pays-ci, ne l’oublions pas, est très-élastique ; l’opinion, sous sa mobilité, a peut-être ses lois, elle a certainement ses ressorts imprévus. […] Par malheur, il n’admettait à aucun degré l’indépendance de la pensée, et il oubliait que le talent n’est pas un vernis qu’on commande sur la toile à volonté ; il faut que tout le tableau ressorte du même fond. […] Il faudrait souvent s’oublier soi-même et sa part d’illusions d’autrefois ; ne pas en vouloir aux autres d’avoir, en mainte occasion, déçu nos rêves, desquels, après tout, ils ne répondaient pas ; tâcher de les considérer, non plus avec un rayon de soleil dans le regard, non pas tout à fait avec le sourcil trop gris d’un Johnson ; ne jamais substituer l’humeur au coloris ; voir enfin, s’il est possible, les œuvres et les hommes sous le jour où nous les offre ce moment présent, déjà prolongé.

152. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

Cette déclaration préalable pourra paraître bien ambitieuse ; cependant il ne faut pas oublier que M.  […] C’est, pour un parasite, une faute impardonnable et qu’Ernest ne peut oublier. […] Deux ans se passent ; Valérie retrouve celui qu’elle a béni et qu’elle espérait oublier. […] À quoi se réduit ce livre trop applaudi il y a dix-huit ans, et aujourd’hui trop oublié ? […] Michelet l’a trop souvent oublié.

153. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

N’allons pas oublier que la philosophie, en la personne de Descartes, avait fait dans le sexe des conquêtes illustres. […] Il fut très touché alors (quoiqu’il ne le marque pas assez dans ses Confessions) de l’amitié vraie que lui témoigna son ancienne voisine, de la peine naïve qu’elle lui exprima de son absence, de ses craintes que d’autres ne la remplaçassent près de lui et ne fissent oublier les premiers amis : « Hélas ! […] Si un amant quitté pour la dévotion ne doit pas se croire oublié, l’indice est bien plus fort dans les hommes, et, comme cette ressource leur est moins naturelle, il faut qu’un besoin plus puissant les force d’y recourir. […] M. de Margency ne m’a écrit ni fait écrire ; je n’ai de ses nouvelles ni directement ni indirectement ; et quoique nos anciennes liaisons m’aient laissé de l’attachement pour lui, je n’ai eu nul égard à son intérêt dans ce que je viens de vous dire : mais moi, que vous laissâtes lire dans votre cœur, et qui en vis si bien la tendresse et l’honnêteté, moi, qui quelquefois vis couler vos larmes, je n’ai point oublié l’impression qu’elles m’ont faite, et je ne suis pas sans crainte sur celle qu’elles ont pu vous laisser. […] Il est question, dans une lettre de Grimm à Mme d’Épinay, d’un roman « ni bon, ni mauvais », que Mme de Verdelin avait composé dans sa première jeunesse ; mais elle-même paraît l’avoir complètement oublié, et il ne perce pas le plus petit bout d’oreille de la femme auteur dans tout le cours de sa Correspondance avec Jean-Jacques.

154. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Nous n’oublierons jamais l’atmosphère d’enthousiasme pour le génie qu’on respirait alors dans cette Athènes de l’Italie. […] Son dessin suivit la transformation de sa palette ; il oublia le vulgaire et ne chercha plus que l’idéal. […] M. de Lécluse s’est toujours oublié lui-même pour faire valoir les talents de ses rivaux. […] On nage dans la tiède lumière d’un éther méridional, on glisse sur le cristal azuré de cette mer presque toujours aplanie, on boit par tous les pores la brise embaumée, on regarde ce ciel du soir qui n’est que l’avenue voilée des mondes imaginaires où s’abîme l’espérance ; on s’assied, on se groupe, on écoute, on s’étonne, on s’enchante aux chants de ce poète avec ces jeunes hommes et ces jeunes femmes, doucement ivres de poésie et de musique, ces fleurs du climat où l’oranger fleurit ; on s’oublie, on oublie le monde, le jour qui baisse, l’heure qui glisse, les soucis qui poignent, les peines qui attendent. […] Cet amour voilé, superbe, tragique dès le premier moment, le fît rougir de ce premier trouble léger, accidentel, de sa jeunesse pour la jeune fille de Sonnino ; Thérésina fut négligée, oubliée, dédaignée peut-être, et disparut de sa vie : c’est une ingratitude.

155. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Nous trouvons une description très remarquable de cet état chez un jeune homme oublié aujourd’hui : Ymbert Galloix de Genève, mort phtisique à vingt-deux ans (1828). […] — Je l’oublierai si je le puis ! […] De ceux-là on a médit à l’époque où ils vivaient, puis on les a si complètement oubliés que maintenant ils semblent n’avoir point existé ; considérant à notre tour nos médiocrités littéraires, nous en oublions presque les quelques noms qui les effaceront un jour, et nous nous écrions : — Le vers pour le vers et la phrase pour ses bizarreries, signe des temps, signe de décadence ! […] Nous connaissons mieux, par la seule lecture de ses écrits, la personnalité d’un Pascal que la personnalité de tel ou tel qui nous conte par le menu ses faits et gestes, — choses qui s’oublient, — et qui nous retrace ses moindres pensées, ses moindres paroles. […] la nuance seule fiance Le rêve au rêve et la flûte au cor… Paul Verlaine semble oublier que la musique, au moyen, des tonalités, des rythmes et du mouvement, détermine d’une façon marquée et précise, autant que le pourrait faire une couleur et pas seulement une simple nuance, le caractère général du morceau.

156. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre IX : Insuffisance des documents géologiques »

Nous oublions toujours combien la surface de l’Europe est peu de chose comparativement au reste du monde ; nous oublions encore que la corrélation synchronique des divers étages de la même formation n’est pas même bien établie pour toute l’Europe seulement. […] Mais il ne faut pas oublier non plus que A peut avoir été le progéniteur de B et de C, et cependant n’être pas exactement intermédiaire entre eux dans tous ses caractères. […] Nous paraissons oublier à chaque instant quelle est la grandeur du monde, en comparaison de l’étendue bornée des régions dont on a pu jusqu’ici étudier avec soin les formations géologiques. […] Ce qu’il ne faut pas oublier surtout, c’est qu’une très petite partie du monde a été étudiée avec soin. […] Il ne faut pas oublier de tenir compte ici de l’apparition première des continents qui dut changer complétement l’ordre des phénomènes à la surface du globe.

157. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Ses anciens amis sont éloignés, les cours qu’il a fréquentées l’ont oublié ; les Médicis, quoique pleins d’estime pour lui, le regardent avec une certaine déplaisance ; ils craignent même les services d’un citoyen dont le mérite domine de trop haut les autres citoyens. […] Cet homme, j’allais oublier de vous dire son nom, c’est Nicolas Machiavel. […] « Malgré mon âge, qui touche à cinquante ans, écrit-il à Vettori, je vais chaque jour visiter celle qui captive mon cœur ; je ne me laisse ni rebuter par les ardeurs de l’été, ni arrêter par la longueur et les difficultés du chemin, ni effrayer par l’obscurité des nuits. » Tant que dura ce violent amour qui lui faisait tout oublier, même la dignité de son nom, même sa misère, même la décence de son âge, il n’écrivit plus rien que des lettres amoureuses ou que les confidences de son bonheur. […] N’oublions pas cependant que, dans ce temps barbare encore du moyen âge italien, la politique n’était pas une moralité de but et une légitimité des moyens ; la politique n’était qu’une science, et Machiavel voulait surtout se montrer capable : ce n’est que plus tard que la politique, sous la plume de Fénelon, devint une vertu ; sous Bossuet même elle n’était qu’une sainte violence. […] N’oublions pas non plus qu’il fut un patriote, et que dans son admiration pour César Borgia il entre plus de patriotisme que de dépravation.

158. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Oubliez-vous la chanson de Béranger ? […] Oubliez-vous le plus grand de tous, oubliez-vous Lamartine ? […] Et il est tout simple encore que la partie la plus avancée de l’Europe lise avec ravissement des écrits qui lui font oublier un instant son spleen et son scepticisme. […] Ils oublient le in Deo sumus, in Deo vivimus , de S.  […] C’est là le glas funèbre que ne me font pas oublier toutes ces harmonies qui s’élèvent des Arabes ou des Persans, ou des châteaux du Moyen-Âge, ou des cathédrales gothiques.

159. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

Toute forme même est oubliée et jetée au néant. […] L’ex-ministre est oublié ; nul ne sait un mot des discours qu’il prononça jadis ; nul ne connaît plus un seul acte de sa vie parlementaire. […] En Égypte, en Nubie, en Syrie, en Grèce, en Italie, partout enfin, j’ai vu des ruines, j’ai vu des palais et des temples, mais les rois sont morts et les dieux sont oubliés. […] N’oublions pas cette sainte vérité. […] Qu’il oublie le fatras des choses éteintes et qu’il vive avec son temps et pour lui.

160. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Il n’oublia jamais les avis que ce respectable vieillard lui avait donnés et qu’on ne saurait répéter trop souvent : « Empêchez, s’il se peut, lui disait Fontenelle, que vos amis ne vous louent à l’excès ; car le public traite à toute rigueur ceux que leurs partisans servent trop bien. […] M. de Humboldt lui-même, qui a dit en son Cosmos : « Buffon, écrivain grave et élevé, embrassant à la fois le monde planétaire et l’organisme animal, les phénomènes de la lumière et ceux du magnétisme, a été dans ses expériences physiques plus au fond des choses que ne le soupçonnaient ses contemporains » ; M. de Humboldt, en parlant ainsi, avait oublié l’hommage éclairé rendu à Buffon par Vicq d’Azyr, et que le sien propre ne fait que confirmer par des raisons scientifiques nouvelles61. […] Sanchez était naturellement faible, non de cette faiblesse qui se prête aux impressions du vice et qui fait oublier la vertu, mais de celle qui se laisse accabler par le malheur et qui reste sans force au milieu de l’infortune. […] Dans le transport de la fièvre, il ne cessait de parler du Tribunal révolutionnaire ; il croyait voir Bailly, Lavoisier, tous ses amis immolés l’appeler sur l’échafaud : « Ce délire d’un mourant, a dit éloquemment Lémontey, montra au jour ce qu’était alors en France le sommeil des gens de bien. » Vicq d’Azyr est trop oublié, ou du moins, si son nom reste connu, ses ouvrages le sont trop peu.

161. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

J’allais (tant l’art de l’arrangeur est parfait, et tant il a mis d’attention à se dérober), — j’allais oublier d’avertir que le tout est lié par un récit biographique rapide, par des transitions indispensables, par des fils adroits et légers ; que toutes les explications nécessaires au lecteur lui sont agréablement et brièvement données, qu’elles viennent à propos au devant de lui ; que tous les petits faits, toutes les anecdotes qui se rattachent au cercle de Mme Récamier, celles qu’elle aimait à raconter elle-même, nous sont rendues avec ce tour net et dans cette nuance qui était le ton particulier de son salon ; qu’une fine critique, toujours convenable, corrige et relève, par-ci par-là, le trop de douceur dans les portraits. […] Je ne suis pas insensible à voir la France dans un tel état de considération au dehors et de prospérité au dedans, et de penser que la gloire et le bonheur de ma patrie datent de mon entrée au ministère ; mais, si vous m’ôtez cette satisfaction d’un honnête homme, il ne me reste qu’un profond ennui de ma place, de la lassitude de tout, du mépris pour les hommes beaucoup augmenté, et l’envie d’aller mourir loin du bruit, en paix et oublié dans quelque coin du monde : voilà l’effet de l’encens sur moi. […] C’est une belle chose que Rome pour tout oublier, pour mépriser tout et pour mourir. Si sévères que nous puissions être envers celui qui s’est trahi à nous dans toutes ses contradictions morales et ses misères personnelles, n’oublions jamais ce qu’on doit d’admiration à un tel peintre, à celui qui, à ce titre, est et demeure le premier de notre âge : car c’est le même homme exprimant comme on vient de le voir toute la poésie de la Rome catholique, qui a su peindre avec un égal génie et une variété d’imagination toujours sublime la forêt vierge américaine, le désert d’Arabie, et les ruines historiques de Sparte63 !

162. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis de Belloy »

Dans ces jeux de l’érudition et du goût, l’original sans cesse relu, manié et remanié à plaisir, devenait chose familière, facile, non apprise, mais sue de tout temps et comme passée en nous, on ne l’oubliait plus. […] « Je ne m’inquiète pas de la valeur de Térence, me disait à ce sujet un des maîtres qui l’entendent le mieux ; tout ce que je sais, c’est qu’il me plaît infiniment ; je l’oublie, j’y reviens, et chaque fois il me plaît de nouveau. […] Le bon serviteur, s’entendant rappeler tout ce qu’il n’a pas oublié, en est presque formalisé ou légèrement atteint dans. sa sensibilité et sa délicatesse ; c’est quasi un reproche que cette remémoration des bienfaits ; le maître n’a qu’un mot à dire pour être obéi : que ne le dit-il ? […] C’est un de ces mots qui, une fois entendus, ne s’oublient pas et qui font tableau à jamais dans la mémoire.

163. (1890) L’avenir de la science « XII »

Telle religieuse qui vit oubliée au fond de son couvent semble bien perdue pour le tableau vivant de l’humanité. […] L’humanité n’eût point été complète sans la vie monastique ; la vie monastique ne pouvait d’ailleurs être représentée que par un groupe innombrable : donc tous ceux qui sont entrés dans ce groupe, quelque oubliés qu’ils soient, ont eu leur part à la représentation de l’une des formes les plus essentielles de l’humanité. […] Le XVIIIe siècle se résume pour nous en quelques pages exprimant ses tendances générales, son esprit, sa méthode ; tout cela est perdu dans des milliers de livres oubliés et criblés d’erreurs grossières. […] La révolution, qui a transformé la littérature en journaux ou écrits périodiques et fait de toute œuvre d’esprit une œuvre actuelle qui sera oubliée dans quelques jours, nous place tout naturellement à ce point de vue.

164. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre XI. Quelques philosophes »

Oublions ces gravats et pénétrons dans le temple. […] S’il veut désigner par un nom propre l’esprit d’analyse, il se donne le double ridicule de pensera Paul Bourget et d’oublier Remy de Gourmont. […] Par malheur, tout le long du volume, il oublie ces larges déclarations. […] Lorsqu’un des misérables ouvriers dont il nous dit l’effort infinitésimal quitte la loupe et oublie sa minuscule besogne bien « contemporaine » pour regarder un peu autour de lui et penser un peu le monde, M. 

165. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLVIII » pp. 188-192

Le premier est l’auteur de quelques comédies représentées il y a quinze ou vingt ans et déjà fort oubliées. […] Onésime Leroy, auteur de tragédies oubliées en naissant, sinon qu’il est aussi un littérateur assez instruit ?

166. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Racan, et Marie de Jars de Gournai. » pp. 165-171

Elle crut d’abord que c’étoit le premier qui avoit oublié quelque chose à lui dire & qui remontoit. […] Ils n’oublièrent rien pour la rendre non seulement ridicule, mais odieuse au public.

167. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Eugène Chapus »

Quand on a parlé du livre retrouvé de Balzac sur la vie élégante5, comment ne pas penser à un esprit charmant qui a écrit aussi autrefois une Théorie de l’élégance, véritable travail de fée que n’ont point oublié ceux qui aiment toute cette dentelle métaphysique ? […] Maintenant, elle ne l’oubliera plus.

168. (1856) Articles du Figaro (1855-1856) pp. 2-6

Malheureusement, le romantisme oublia à mi-chemin ce qu’il avait si pompeusement fait sonner dans ses programmes et dans ses préfaces. […] Je n’ai pas oublié que M.  […] Elle a même, de plus que la Vénus, de très beaux bras, mais le sculpteur a oublié de lui souffler le génie. […] Mais il n’a garde d’oublier de s’associer à la pensée fondamentale des Chants modernes. […] La nouvelle génération commence à se lasser d’entendre ce Ganéça de la critique ressasser constamment les mêmes formules dans sa pagode oubliée.

169. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

Seroit-ce encore un excès de sévérité, que de reprocher à M. de Voltaire de s'être trop délecté à prodiguer les Portraits ; de n'avoir pas répandu dans ces Portraits assez de variété ; de les dessiner tous de la même maniere ; de les peindre des mêmes couleurs ; de n'y avoir ménagé d'autre contraste que celui des antitheses ; de les terminer constamment par des pointes ou des sentences ; d'oublier ensuite, dans le cours de l'action, l'idée qu'il a donnée de ses Personnages, pour les laisser agir au hasard, sans aucune conformité avec le caractere sous lequel il les annoncés ? […] Il recommande la tolérance, & se peint comme le plus intolérant des Hommes ; il vante le pardon des offenses, & s’est livré à tous ses ressentimens ; il réclame en faveur de l’honnêteté, de la décence, & il a oublié jusqu’aux moindres égards. […] Après avoir donné de bons préceptes, & plus souvent encore de bons exemples, l’amour du Pour & du Contre, une inquiétude continuelle, des idées passageres, assujetties aux dispositions du tempérament, de l’humeur, de la vanité, égarent, embrouillent ses opinions ; lui font oublier qu’il décrédite ses jugemens par les contrariétés les plus palpables, qu’il condamne ce qu’il avoit prescrit, & qu’il rejette les principes qu’il avoit suivis : semblable à ces Tyrans qui renversent les Loix au gré de leurs caprices, & en établissent sans cesse de nouvelles, pour appuyer leur domination. […] Qu’on retranche certains de ses Ouvrages, qui sont d’un style de la derniere classe ; toutes les fois qu’il ne s’oublie pas, il sait éblouir le Lecteur & le disposer, par les charmes d’une diction toujours simple & brillante, à adopter ses idées, à approuver ce qu’il approuve, à condamner ce qu’il condamne. […] Les Jeunes gens apprendront à son école à secouer le joug du devoir, à répéter des blasphêmes, à triompher de leurs déréglemens : les Gens de Lettres, à peu respecter les modeles, à déguiser leurs larcins, à violer les regles, à oublier les bienséances, à se déchirer sans égard : les Nations à abandonner leurs principes, leurs loix, leur caractere, pour se repaître d'idées frivoles, de vûes chimériques, de goûts fantasques & passagers ; à préférer à leur intérêt, à leur gloire, à leur repos, l'attrait du plaisir, les honneurs du persiflage, & les charmes de la constance.

170. (1863) Le réalisme épique dans le roman pp. 840-860

Dans l’épisode de Mme de La Pommeraie, quand le héros se domine assez lui-même pour pardonner le plus odieux des outrages, on oublie les souillures du livre où se rencontre une telle histoire, et un excellent critique, M.  […] Il possède aussi le secret de la composition, quoiqu’il oublie souvent d’en faire usage ; il sait, quand il le veut, lier les épisodes dans la trame serrée du récit ; il a un dessein qu’il déroule, un but qu’il poursuit, et alors même qu’il se perd trop longtemps au détail des choses communes, il a le triste mérite de ne point ignorer où il va. […] J’avoue cependant que je passerais condamnation sur tout cela ; je déclare que je suis tout prêt à oublier les prétentions archéologiques de l’auteur, s’il a su nous donner, même dans ce cadre impossible, quelque chose de la vie humaine et de l’éternelle passion. […] Puisque ce roman n’est qu’une longue suite de tableaux, il est impossible que la richesse du coloriste ne fasse pas oublier en plus d’un endroit l’insignifiance du penseur. […] Au milieu du tumulte et des cruautés de la bataille, il n’oubliera pas un clou de l’armure des éléphants.

171. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

Je demande, à cet effet, que l’on oublie toutes les opinions, toutes les injures, tous les éloges conventionnels, toutes les hypocrisies, la foule des banalités écrites ou proférées autour de cet homme, pour ne se souvenir que de son œuvre et de ses idées, de ce qu’il a dit et pensé véritablement. […]   Qu’avait donc oublié Zola dans son bel enthousiasme d’anti-spiritualisme ? […] Il oublie de voir l’homme tout simplement. […] Si l’avenir, acceptant dans son ensemble l’historien des Rougon-Macquart, devait oublier ses erreurs et s’il ne devait que saluer en lui l’apôtre âpre et fervent de la nature et de la force, nous serions quand même en droit de formuler nos réserves et de rétablir les faits pour l’honneur de cette vérité dont il se réclame à bon droit. […] « Et malgré nos réserves, (dont vous devez, en partie du moins, comprendre la justesse), c’est la sympathie puissante qui l’emporte pour votre œuvre saine et forte, et nous ne sommes pas près d’oublier quelques-unes de vos pages admirables sur les bêtes, sur l’art ; sur la femme, sur l’humanité.

172. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

Il y a en elle une science achevée qui se dissimule, une expérience sans doute amère qui aime à s’oublier. […] Marie, la gentille brune aux dents blanches, aux yeux bleus et clairs, l’habitante du Moustoir, qui tous les dimanches arrivait à l’église du bourg, qui passait des jours entiers au pont Kerlo, avec son amoureux de douze ans, à regarder l’eau qui coule, et les poissons variés, et dans l’air ces nombreuses phalènes dont Nodier sait les mystères ; Marie, qui sauvait la vie à l’alerte demoiselle abattue sur sa main ; qui l’hiver suivant avait les fièvres et grandissait si fort, et mûrissait si vite, qu’après ces six longs mois elle avait oublié les jeux d’enfant et les alertes demoiselles, et les poissons du pont Kerlo, et les distractions à l’office pour son amoureux de douze ans, et qu’elle se mariait avec quelque honnête métayer de l’endroit : cette Marie que le sensible poëte n’a jamais oubliée depuis ; qu’il a revue deux ou trois fois au plus peut-être ; à qui, en dernier lieu, il a acheté à la foire du bourg une bague de cuivre qu’elle porte sans mystère aux yeux de l’époux sans soupçons ; dont l’image, comme une bénédiction secrète, l’a suivi au sein de Paris et du monde ; dont le souvenir et la célébration silencieuse l’ont rafraîchi dans l’amertume ; dont il demandait naguère au conscrit Daniel, dans une élégie qui fait pleurer, une parole, un reflet, un débris, quelque chose qu’elle eût dit ou qu’elle eût touché, une feuille de sa porte, fût-elle sèche déjà : cette Marie belle encore, l’honneur modeste de la vallée inconnue qu’arrosent l’Été et le Laita, ne lira jamais ce livre qu’elle a dicté, et ne saura même jamais qu’il existe, car elle ne connaît que la langue du pays, et d’ailleurs elle ne le croirait pas.

173. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre II. Mme Le Normand »

Oui, un livre, bel et bon, pour le compte de Mme Le Normand, laquelle ajoute à ces pauvres lettres que Mme de Staël a oublié de jeter au feu, une biographie de Mme de Staël que nous y jetterons, nous ! car elle ne nous apprend rien de ce que nous ne savons pas et elle oublie beaucoup de choses que nous savons. […] Et je ne parle pas des faits — des faits oubliés — de la liaison avec Talleyrand, par exemple, des discussions avec Lewis, de l’intimité avec les Grey, et surtout du séjour de Byron à Coppet ; mais y est-elle saisie dans sa nature, surprise à travers les idées reçues, plus ou moins injustes sur elle ?

174. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

Dans cette histoire de la société française, c’est la France qui est oubliée, rien que cela ! […] Des mémoires dont nous avons déjà parlé, les Mémoires de la Baronne d’Oberkirch 15, tant d’autres oubliés dans la chiffonnière de nos grand’mères et de nos tantes, ne laissent sur ce point aucun doute. […] Car, en restant dans le cercle étroit où ils se sont placés et dans lequel ils ont étranglé la conception de leur livre, si vous défalquez de cette société qu’ils évoquent tous ceux qu’ils oublient, et ceux qui se sauvent, et ceux qui se cachent ou se taisent, et ceux qu’on tue, et ceux qui combattent à l’intérieur et aux frontières, vous verrez ce qui vous restera !

175. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Taine » pp. 231-243

Pour trouver un livre digne d’occuper la Critique et les conversations, il faut remonter jusqu’à cette Histoire de la littérature anglaise par Taine, dont la beauté d’exécution n’a cependant pu me faire oublier le vice du système sur lequel elle est appuyée… Eh bien ! […] Mais si la moquerie n’est plus ici, il y a toujours, et plus avivé que jamais, le sentiment littéraire avec toutes ses sagacités et l’écrivain avec toutes ses fantaisies, l’écrivain qui couvre et parfois fait oublier le faux d’un système que je m’obstine à reprocher à M.  […] Taine, qui a oublié sa théorie et a jugé, comme tous les juges, d’après des principes établis dans sa tête, qu’après tout Carlyle était au-dessous de lord Macaulay.

176. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Henri de L’Épinois » pp. 83-97

Il écrit cependant quelque part, en commençant son histoire : « Il n’est pas sans intérêt de montrer comment les circonstances, en manifestant PEUT-ÊTRE un dessein providentiel, ont dégagé dans l’histoire cette souveraineté naissante… » Mais il oublie que la question est plus profonde que cela, et cette parole : Le dessein peut-être providentiel, est une de ces faiblesses qui prouve que chez M. de L’Épinois le penseur catholique est inférieur à l’érudit. […] Et qu’on ne l’oublie pas ! — et le livre de M. de L’Épinois ne permettrait pas, d’ailleurs, de l’oublier, — c’était principalement cette action morale intervenant dans les choses humaines au nom de Dieu, que la Papauté défendait en défendant son gouvernement temporel, comme c’était encore son action morale qu’elle sauvegardait dans son gouvernement spirituel, quand, à force de décrets, de bulles et de conciles, elle sauvegardait la pureté et l’intégrité de la Foi.

177. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Favrot »

II Oui l’être enterrés vivants, — être dévorés par nos morts, — deux perspectives qui écrasent tous les autres intérêts d’un livre comme celui que le docteur Favrot a voulu faire ; deux questions qu’il fallait nécessairement traiter à fond, et d’autant plus à fond que les hommes ont plus de pente à les oublier. Créatures de courte mémoire, qui ne peuvent pas même avoir peur longtemps, et dont les sensations ne sont que des éclairs qui passent, les hommes oublient ces deux questions redoutables, malgré l’impression qu’ils en reçoivent quand on les soulève devant eux. […] d’empêcher les hommes d’oublier, c’est au talent, c’est au cri du talent, à ce cri qui résonne et qui dure toujours quand il a été poussé une fois, qu’il est réservé de faire ce miracle.

178. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. Des oraisons funèbres de Bourdaloue, de La Rue et de Massillon. »

Tel est le fond du tableau que nous présente l’orateur ; il peint en même temps la jeune duchesse de Bourgogne, adorée de la cour, et dont les vertus aimables mêlaient quelque chose de plus tendre aux vertus austères et fortes de son époux ; il la peint frappée comme lui, expirante avec lui, sentant et le trône et la vie, et le monde qui lui échappaient, et répondant à ceux qui l’appelaient princesse : Oui, princesse aujourd’hui, demain rien, et dans deux jours oubliée. […] La politique intéressée craignit de rendre hommage à la vertu, et l’orateur, même au pied des autels, n’osa oublier un instant que l’auteur de Télémaque était exilé. […] Entre deux guerriers pleins d’honneur, l’autorité devint commune. » Et au commencement de cet éloge funèbre, après avoir parlé des honneurs entassés sur la tête d’un seul homme : « Oublions ces titres vains qui ne servent plus qu’à orner la surface d’un tombeau ; ce n’est ni le marbre ni l’airain qui nous font révérer les grands.

179. (1769) Les deux âges du goût et du génie français sous Louis XIV et sous Louis XV pp. -532

Pour cette derniere, lui cria un Moderne, oubliez-la comme tant d’autres. […] On admirait souvent le Philosophe ; mais on oubliait le Théologien. […] L’impétueuse Dumesnil oubliait toute espece d’exemple pour se livrer à son instinct sublime. […] Renaud s’oublie un peu plus long-tems auprès d’Armide. […] On ne doit pas oublier ici le Jephté de l’Abbé Pellegrin.

180. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

La gaieté parle au nom de la colère et n’oublie pas un seul instant sa mission. […] Ces vers ont été écrits à cheval, que la postérité reconnaissante ne l’oublie pas ! […] Oublions cependant la maladresse de la reine, et voyons quelle vengeance médite don Salluste. […] Son mari n’a rien d’humain ; pour l’oublier, elle n’a pas de lutte à soutenir. […] Oubliée de tous, excepté de ses créanciers, et ici nous empruntons les expressions de M. 

181. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

À force de contempler, ils oublient de sentir et de penser. […] Si j’oubliais de le remercier, je serais bien ingrat ; je lui dois une sensation délicieuse. […] Les yeux s’y amusaient si sincèrement qu’ils oubliaient volontiers d’y chercher le contour et le modelé. […] Il ne faut pas oublier, parmi les mérites de M.  […] Carrier m’ont causé un assez vif plaisir pour me faire oublier cette petite impression toute fugitive.

182. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

Les contemporains de Marivaux ont dit de lui à peu près tout ce qu’on en peut dire : si l’on prend la peine de recueillir ce qu’ont écrit à son sujet Voltaire, Grimm, Collé, Marmontel, La Harpe, et surtout d’Alembert dans une excellente notice, on a de quoi se former un jugement précis et d’une entière exactitude : et pourtant il vaut mieux, même au risque de quelque hasard, oublier un moment ces témoignages voisins et concordants, et se donner soi-même l’impression directe d’une lecture à travers Marivaux. […] que Marivaux est le contraire de l’abbé Prévost qui s’oublie et qui court ! […] Tandis qu’elle s’y oublie à gémir, elle y est remarquée par une dame qui a affaire dans le couvent. Quand je dis qu’elle s’y oublie, je me trompe ; car il semble que Marianne, à la façon dont elle se décrit, se soit vue et considérée elle-même à distance comme si elle était une autre. C’est le propre encore de chaque personnage de Marivaux d’être ainsi doublé d’un second lui-même qui le regarde et qui l’analyse : J’étais alors assise, dit-elle, la tête penchée, laissant aller mes bras qui retombaient sur moi, et si absorbée dans mes pensées, que j’en oubliais en quel lieu je me trouvais.

183. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

Son libéralisme toutefois, qui n’est point précisément celui des libéraux français de cette date, qui est plutôt, ne l’oublions pas, le libéralisme d’un aide de camp d’Alexandre, se rattacherait à l’école gouvernementale éclairée et aux principes d’une bonne monarchie administrative. […] La mise en train des premières campagnes, les tâtonnements et les inexpériences, une opinion motivée sur la valeur de ces premiers généraux improvisés de la République, la mesure exacte et proportionnée de ces hommes tour à tour exaltés ou dépréciés, le compte rendu clair et intelligible de leur marche, de leurs essais, de leurs fautes et de leurs bévues, comme aussi de leurs éclairs de perspicacité stratégique et de talent, toutes ces parties sont rendues dans une narration bien distribuée et lumineuse, sans que le côté militaire devienne jamais trop technique, sans que la considération politique et morale des choses soit oubliée ; car ce tacticien éclairé est le premier à reconnaître que « la guerre est un drame passionné et non une science exacte 60. » Rien de tranché d’ailleurs ni d’absolu dans la pensée ni dans l’expression : la modération et un esprit d’équité président. […] Lisez bien ce portrait : sous sa touche flatteuse, il ne dément pas absolument le mot célèbre de Napoléon qu’on ne saurait oublier : C’est un Grec du Bas-Empire. […] La Bruyère même eût été embarrassé de le définir exactement… (Et plus loin, après les entretiens d’Erfurt) : Je crus avoir jeté de la poudre aux yeux de mon rival de gloire et de puissance ; la suite me prouva qu’il avait été aussi fin que moi. » Napoléon, obligé de juger lui-même sa campagne de 1812 et de se condamner, se souvient à propos d’un beau mot de Montesquieu : « Les grandes entreprises lointaines périssent par la grandeur même des préparatifs qu’on fait pour en assurer la réussite. » Un trait fort juste sur Napoléon et qu’ont trop oublié ses détracteurs aussi bien que ses panégyristes, c’est que cette volonté de fer était souvent bien mobile comme celle de tous les joueurs passionnés, et qu’elle remettait souvent ses résolutions ultérieures les plus graves aux chances les plus fortuites. […] Cependant, ne l’oublions pas, il était au service de la Russie.

184. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Et, en effet, on ne s’est pas contenté d’extraits et d’échantillons pour les inédits même ou pour les oubliés, on en a donné des éditions premières ou des rééditions très-augmentées. […] Du Bartas nécessairement n’y est point oublié. […] un siècle tout entier, mettre autant de rapidité à oublier toutes ses origines intellectuelles, toutes les annales, toutes les gloires de sa littérature et de son art. […] En quelques années on oublia trois ou quatre siècles, et, avec cette malheureuse ambition qui est le fait de tous les novateurs, on voulut reconstruire à nouveau toute la littérature française. […] Ne l’oublions pas : un régime nouveau s’était déclaré, un nouveau climat (pour ainsi dire) avait lui et s’était coloré d’une lumière et de reflets venus d’au-delà des monts : on était dans la période de la Renaissance.

185. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

Dépose le limon qu’a soulevé l’orage ; L’abîme est loin encore, il nous faut l’oublier ; Il nous faut les douceurs d’une secrète plage : J’attache ma nacelle au tronc d’un peuplier. […] Dans les beaux jours, tout est bien ; mais on oublie souvent comment cela est venu ; le mot de nature semble exprimer tout ; mais, aux jours mêlés de l’automne, on voit avec reconnaissance et un intérêt qui améliore le cœur, ce qu’il en coûte à l’homme pour rendre la terre riante et féconde. […] Ta carrière n’est point remplie ; Mon sort est toujours dans tes yeux : Attends, et que le Ciel t’oublie Quelque temps encor dans ces lieux ! […] Puisque j’ai remué des feuilles oubliées, j’en tirerai encore un seul passage qui servira à encadrer une autre élégie : la passion qui va saisir le héros en est déjà aux préliminaires ; c’est lui toujours qui raconte : « … Le dimanche, elle recevait volontiers du monde de la ville ; j’y fus invité, par un petit mot de sa main, pour le second dimanche qu’elle y passa : il ne devait y avoir que moi, m’écrivait-elle. […] dis, en ces moments de suave pensée, Lorsqu’au pâle rayon dont elle est caressée L’âme s’épanouit, Comme ces tendres fleurs que le soleil dévore, Que le soir attiédit, et qui n’osent éclore Qu’aux rayons de la nuit ; Quand loin de moi, sans crainte et plus reconnaissante, Tu nourris de soupirs cette amitié naissante Et ce confus amour ; Quand sur un banc de mousse, attendrie et pâlie, Tu tiens encor le livre et que ton œil oublie Qu’il n’est déjà plus jour ; Quand tu vois le passé, tous ces plaisirs factices, Tous ces printemps perdus comparés aux délices Qui germent dans ton cœur ; Combien pour nous aimer nous avons de puissance, Mais que, même aux vrais biens, le mensonge ou l’absence Retranchent le meilleur ; Oh !

186. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

Ce qui n’empêchait pas qu’à la prochaine visite, en ne voulant causer avec M. de Murçay que des moyens de sauver et de ramener l’absent, elle l’oubliait insensiblement tout à fait, pour jouir du charme de cette conversation si attentive et si tendre, si variée dans son prétexte unique, et si doucement conduite. […] Son esprit si juste allait par moments jusqu’à l’exagération sur ce point, et quand il se la représentait, elle, sa chère idole, comme au milieu d’un arsenal et d’une fournaise théologique, et qu’il lui recommandait de ne pas s’y fausser les yeux, elle n’avait qu’un mot à dire pour lui montrer qu’il se grossissait un peu le fantôme, et qu’il oubliait les du Deffand, les Caylus et les Parabère (sans compter lui-même), qui apportaient parfois à cette monotonie de bulles et de conciles un assez agréable rafraîchissement. […] Mais, quoi qu’il en soit de moi en particulier, n’oubliez pas aussi que l’homme a des facultés diverses, et que l’amour le mieux régnant laisse encore à un amant réfléchi le loisir de regarder. […] Oubliez, oubliez seulement.

187. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

Mais, en le disant, j’insiste pour qu’à chaque nouveau départ ils ne soient jamais oubliés. […] Dès les premières pages, quand il nous peint sa famille modeste, unie et heureuse (il était fils, je crois, d’un tailleur), le bon prêtre qui lui apprend le latin, l’abbé Vaissière ; le premier camarade et ami de cœur qu’il se donne pour modèle, le sage Durant ; quand il nous fait connaître de près sa mère, charmante et distinguée d’esprit dans sa condition obscure, son père sensé et d’une tendresse plus sévère, ses tantes, ses sœurs, on croit respirer une odeur de bonnes mœurs et de bons sentiments qui lui resteront, et qu’il ne perdra jamais, même à travers les boudoirs où plus tard il s’oubliera. […] Il est à remarquer comme dans ses récits, de quelque nature qu’ils soient, il n’oublie jamais les détails du manger, le vin de Champagne ou le flacon de vin de Tokai qui animait la fin des plus spirituels repas. Si les soupers de M. de La Popelinière à Passy ou ceux des premiers commis à Versailles lui paraissaient amples, il n’oublie pas qu’il n’en était pas ainsi des plus fins soupers de Mme Geoffrin, et que la bonne chère en était succincte. […] Il s’oublie presque complètement lui-même, et c’est à peine s’il reparaît en deux ou trois endroits.

188. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Voltaire et le président de Brosses, ou Une intrigue académique au XVIIIe siècle. » pp. 105-126

Le président répond à ses propositions point par point, avec exactitude et précision, en homme d’affaires et en y mêlant de l’homme d’esprit ; il touche très bien l’endroit délicat, et qui fait désirer à Voltaire de n’être pas tout entier à la merci de Genève : « Il faut être chez soi… Il ne faut pas être chez les autres… Vous ne sauriez croire combien cette république me fait aimer les monarchies. » À la réponse précise et catégorique du président, Voltaire semble oublier ce qu’il a proposé lui-même ; il recule, il hésite, et substitue comme par négligence d’autres propositions aux premières. […] À côté de cela, Voltaire n’a garde d’oublier quatre mille petits ceps de Bourgogne que le Président doit lui envoyer, et s’il peut même, au lieu de quatre mille auxquels il a droit, en tirer cinq mille, il n’en sera pas fâché : « Pour Dieu ! […] Tout cet éclat passé et non oublié, Voltaire reste donc propriétaire à vie et usufruitier de Tourney, mais il s’en dégoûte bientôt et n’est plus et ne veut plus être que le patriarche de Ferney. […] Il avait pourtant oublié ce qu’un honnête homme oublie si aisément, c’est que l’adversaire peut avoir recours au mensonge et à la calomnie.

189. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

Mais le xviiie  siècle, dans son ambition, ne se contente point de si peu ; Sieyès, dans un de ses rares moments d’épanchement, disait : « La politique est une science que je crois avoir achevée. » Et quant à la morale, plus d’un philosophe du temps eût été plus loin et eût dit : « Je crois l’avoir à la fois achevée et inventée. » Piqué par les reproches du Génie et enhardi par sa présence, le voyageur s’ouvre donc à lui ; il veut savoir « par quels mobiles s’élèvent et s’abaissent les empires ; de quelles causes naissent la prospérité et les malheurs des nations ; sur quels principes enfin doivent s’établir la paix des sociétés et le bonheur des hommes. » Ici les ruines de Palmyre s’oublient : le Génie enlève le voyageur dans les airs, lui montre la terre sous ses pieds, lui déroule l’immensité des lieux et des temps, et commence à sa manière toute une histoire de l’humanité et du principe des choses, de l’origine des sociétés, le tout sous forme abstraite et en style analytique, avec un mélange de versets dans le genre du Coran. […] Tous ces mots que je souligne et des milliers d’autres sont soulignés dans l’original, afin de contracter un sens profond que le lecteur pourrait oublier d’y découvrir. […] On peut remarquer de la coquetterie sans doute et de l’arrangement dans cette rêverie qui n’oublie rien, dans cette lune qui se lève tout exprès entre deux urnes cinéraires ; ce n’est pas du grand art primitif, c’est de l’art moderne selon Canova. […] Il a des paroles de tolérance et d’intelligence universelle qu’il n’a pas toujours pratiquées, et qu’il lui arrivera d’oublier encore : C’est pour ne connaître, dit-il, que soi et les siens qu’on est opiniâtre ; c’est pour n’avoir vu que son clocher qu’on est intolérant, parce que l’opiniâtreté et l’intolérance ne sont que les fruits d’un égoïsme ignorant, et que quand on a vu beaucoup d’hommes, quand on a comparé beaucoup d’opinions, on s’aperçoit que chaque homme a son prix, que chaque opinion a ses raisons, et l’on émousse les angles tranchants d’une vanité neuve pour rouler doucement dans le torrent de la société. […] Dureau de La Malle, un jour qu’il allait se rendre à une séance du Sénat, faisant avec le nouveau possesseur le tour du jardin, il aperçut un vieux râteau qui avait été oublié par mégarde ; il le prit sous son bras et l’emporta.

190. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Stéphane Mallarmé »

Il oublie que nous ne sommes pas, nous, dans le secret des dieux ; voilà tout. […] Ils n’ont rien à oublier avant de lire.

191. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VI » pp. 50-55

Il pardonna, mais n’oublia point. […] N’oublions pas de nommer mademoiselle de Scudéry, du même âge que Julie d’Angennes, 17 ou 18 ans.

192. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 133-139

Il seroit à souhaiter qu'on pût louer le sujet de toutes ses Epigrammes, comme on admire la maniere dont il l'a traité ; mais on ne doit pas oublier qu'il s'est reproché ces écarts ; & en ne considérant ces petites Pieces que du côté de la poésie, qui n'applaudira à la simplicité, à la briéveté, à la justesse & à l'énergie de l'expression, au sel piquant, au tour original, qui le rendent un Auteur presque unique en ce genre, sans excepter Martial, lequel, à beaucoup près, n'est ni aussi précis, ni aussi nerveux, ni aussi agréable que lui ? […] Ne seroit-il pas plus convenable à sa gloire, qu'il s'occupât à faire oublier ses Libelles injurieux contre tant d’Hommes de Lettres respectables, que de s’acharner à se faire un complice du plus grand de nos Poëtes, qui fut toujours très-éloigné des excès auxquels lui-même s’est porté ?

193. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame de La Fayette ; Frédéric Soulié »

Excepté quatre écrivains tout au plus : La Fontaine, La Bruyère, madame de Sévigné et Saint-Simon, tout le monde écrit à peu près du même style au xviie  siècle, et encore madame de Sévigné n’écrit si bien que parce qu’elle oublie d’écrire, et Saint-Simon n’a sa verve du diable que parce qu’il ferme les deux battants de son cabinet à son siècle et s’enferme tête à tête avec la postérité ! […] Mais les grands artistes ne l’oublieront pas, et c’est pour eux encore plus que pour la foule qui le lit qu’une réimpression de ses œuvres était nécessaire.

194. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre I. De la sagesse philosophique que l’on a attribuée à Homère » pp. 252-257

Ainsi Achille reçoit dans sa tente l’infortuné Priam, qui est venu seul pendant la nuit à travers le camp des Grecs, pour racheter le cadavre d’Hector ; il l’admet à sa table, et pour un mot que lui arrache le regret d’avoir perdu un si digne fils, Achille oublie les saintes lois de l’hospitalité, les droits d’une confiance généreuse, le respect dû à l’âge et au malheur ; et dans le transport d’une fureur aveugle, il menace le vieillard de lui arracher la vie. Le même Achille refuse, dans son obstination impie, d’oublier en faveur de sa patrie l’injure d’Agamemnon, et ne secourt enfin les Grecs massacrés indignement par Hector, que pour venger le ressentiment particulier que lui inspire contre Pâris la mort de Patrocle.

195. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

Cet esprit turgescent n’était pas capable de l’effort de s’oublier. […] Mais les éditeurs d’aujourd’hui n’ont pas voulu que les autres vers de Diderot fussent oubliés. […] Les ouvriers de l’Encyclopédie, dont Diderot et d’Alembert furent les premiers par le talent, ne s’oublièrent pas dans la gloire coupable de leurs doctrines. […] Vous n’avez pas oublié M.  […] En France, pendant la Révolution, Diderot fut oublié, en conséquence de cette loi : l’action fait oublier la pensée.

196. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

Sainte-Beuve désignait même le chant du poème, que j’ai oublié), — et du reste le fils de l’ex-conventionnel était capable des deux langues. […] — Vous avez la bonté de m’écrire que jamais vous n’oublierez notre maison. Soyez persuadée que nous n’oublierons jamais la bonne mère et le bon fils qu’elle nous a confié. […] Je ne puis oublier la voix de M.  […] Dans les provinces, ou l’on n’est pas sans cesse distrait d’une idée par de mouvants et changeants spectacles, où un événement lugubre a le temps de marquer et de se graver profondément, il est impossible d’oublier, à des années de distance, ce qu’on a vu quand on y a été témoin d’une époque de terreur. — M. 

197. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — I » pp. 1-17

Après la mort de Louis XIV, Mme de Maintenon, retirée à Saint-Cyr, et vivant dans le passé, lisait le journal manuscrit de Dangeau, et elle en disait à Mme de Caylus : « Je lis avec plaisir le journal de M. de Dangeau : j’y apprends bien des choses dont j’ai été témoin, mais que j’ai oubliées. » Et un autre jour, après avoir marqué le désir d’en faire prendre des extraits sur ce qui la concerne : Remerciez bien M. de Dangeau de la permission qu’il me donnera sur ses mémoires ; ils sont si agréables que j’ai tout lu : vous entendez ce que cela veut dire (cela veut dire qu’il y a des choses qu’on passe de temps en temps). […] Mais en ce qui est du journal, ce qui amusait véritablement Mme de Maintenon (elle le dit et ce devait être, elle flatte peu, même ses amis), ce qui lui rappelait ce qu’elle avait oublié et qui l’obligeait parfois à rectifier quelques-uns de ses souvenirs, n’est-ce donc rien pour nous, et ne devons-nous pas savoir gré à celui qui nous met à même d’avoir comme vécu à notre tour en ce temps-là ? […] On imagine bien que la sublime science du blason n’était pas oubliée dans une éducation destinée à des gentilshommes dont chacun l’aurait inventée, si elle ne l’était pas. […] Et dans ces voyages de Chambord il n’oubliera pas de dire combien il y avait de carrosses, et comment on était placé dans celui du roi et dans les suivants : Voici comme on était placé dans le carrosse du roi en venant : le roi et Mme la Dauphine au derrière, Monseigneur à une portière, Mme de Maintenon à l’autre et dans le devant Mme la princesse de Conti, Mademoiselle, et Mme d’Arpajon. — Dans le second carrosse, etc.

198. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mme de Graffigny, ou Voltaire à Cirey. » pp. 208-225

N’oublions pas qu’en parlant avec tant de reconnaissance de l’hospitalité de Mme du Châtelet, il y contribuait largement lui-même. […] J’allais oublier le seigneur nominal du lieu, le marquis Du Châtelet, qui, lorsqu’il est là, a le plus souvent la goutte et ne gêne guère, si ce n’est qu’il est passablement ennuyeux. […] « Enfin le bon Voltaire, dit-elle, vint à midi ; il parut fâché jusqu’aux larmes de l’état où il me vit ; il me fit de vives excuses ; il me demanda beaucoup de pardons, et j’eus l’occasion de voir toute la sensibilité de son âme. » Depuis cet instant, Voltaire fit tout pour qu’elle oubliât la triste scène dont il était bien honteux. […] Mme de Graffigny, en présentant une jeune Péruvienne, Zilia, brusquement transplantée en France, et en lui faisant faire, au milieu d’un cadre romanesque, la critique de nos mœurs et de nos institutions, comme cela a lieu dans les Lettres persanes, avait trop oublié de tenir compte des raisons de ces mêmes institutions et des causes naturelles de ces inégalités sociales, qui semblent choquer si vivement sa jeune étrangère.

199. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

Il se trouve payé, et au-delà, s’il rencontre quelques fleurs dans ses plates-bandes, quelques fruits oubliés sur ses arbres, un peu d’ombre en été, un chaud rayon en automne. […] Eugène, qui se sent d’ailleurs peu de goût pour la basoche, et qui ne connaît pas son père, nous a dès l’abord tout l’air d’être le fils de quelque grand seigneur qui a oublié de le reconnaître, et qui lui a légué de ses instincts. […] Bientôt, sous le souffle ardent du bonhomme, se réveille une flamme oubliée et qui suffit à rallumer la lampe, ranimée elle-même par un peu d’huile que lui verse une main avare ; la faible clarté remplit à peine un coin obscur de cette masure. — Allons, au travail, mon pauvre Hilaire ! […] J’oubliais presque une certaine Denise, paysanne et boulangère, qui vient à la traverse et qui dit bien des choses « dans le patois fleuri de ses doux yeux ».

200. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

Il y a deux ordres de choses qui existent en même temps ; les unes sont faites par Dieu, car il ne faut pas oublier que Dieu s’est réservé le haut domaine sur la société ; les autres sont faites par l’homme, car il ne faut pas oublier non plus que l’homme est un être libre, et que, si la société lui a été imposée, il est des modifications qui peuvent lui appartenir. […] N’oublions jamais que la société n’étant point un état de choix, l’homme ne consent point à aliéner une partie de sa liberté pour jouir de certaines prérogatives ou de certains biens attachés à la société. […] Pour obéir librement, il faut obéir avec amour ; mais n’oublions point que le consentement des peuples ne peut être qu’un acquiescement tacite, une reconnaissance de ce qui existe, ou plutôt un acquiescement qui résulte de la conformité aux mœurs.

201. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VIII »

Albalat avoue qu’elles sont insignifiantes et que celles de Faydit sont plus oubliées encore. […] Quoi de plus naturel que certaines protestations aient été appréciées et célèbres à une certaine époque, et qu’elles nous paraissent aujourd’hui oubliées et insignifiantes ? […] Nous avons oublié de dire, par exemple, que M. 

202. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IV. Mme Émile de Girardin »

Mais heureusement aussi il y eut, sinon pour l’effacer, au moins pour le faire oublier souvent, la femme d’esprit et la femme poëte. […] Ces hasards de naissance et de destinée, qui sont pour les uns une étoile qui les guide, et pour les autres l’ironique feu-follet qui doit les égarer, durent impressionner profondément cette imagination de poëte, qui n’a pas besoin que les choses prennent la peine de la grandir pour ne pouvoir se mesurer… C’était là, jusqu’au moment des Lettres parisiennes, ce que Mlle Gay et Mme de Girardin avaient oublié. […] Malheureusement elle y rentre parfois, — dans la littérature, — et c’est la seule critique qu’il y ait à faire de ces Lettres parisiennes, dans lesquelles cependant, il faut bien en convenir, elle l’a tant oubliée !

203. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Mathilde de Toscane »

Lui, l’auteur des Nièces de Mazarin, de Madame de Montmorency, et, dans son Louis XVI, de ce portrait de Marie-Antoinette qui seul vaut une biographie, lui qui semble avoir spécialement jusqu’ici l’intelligence et le goût des femmes dans l’histoire, ne pouvait pas, puisqu’il abordait le Moyen Age, oublier une des plus purement grandes qui aient jamais existé… Aussi l’a-t-il peinte comme il sait peindre et nous l’a-t-il donnée. […] Et, quoique rapide, son récit n’a rien oublié. […] Et lui, Renée, lui qui a le goût et le sens, ces deux grands avertissements critiques, ces deux consciences de ce qui fait la force et la beauté littéraires, a-t-il donc pu oublier que, pour écrire l’histoire de Grégoire VII, presque autant que pour la penser, il faut avoir en soi cet absolu que Grégoire avait dans le génie, dans le caractère, dans la foi, et que ceux qui ne l’ont pas dans la pensée ne peuvent s’empêcher d’admirer ?

204. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Chamfort »

Il ne l’oublia point (est-ce que cela s’oublie ?), même quand le monde, trop bon pour lui, l’oubliait.

205. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Louis XIV. Quinze ans de règne »

Ainsi, ne l’oublions pas et mettons-la au premier rang, l’histoire de la Régence, par Lémontey, cet esprit profond dans la finesse comme il y a des esprits fins dans la profondeur. […] nous l’avons dit assez souvent pour qu’on ne puisse plus l’oublier, nous aimons mieux l’histoire creusée que l’histoire étendue, si la superficie qu’elle embrasse doit lui faire perdre de sa profondeur. […] Sous Louis XIV, les questions politiques étaient encore doublées de questions religieuses, et les écrivains d’un temps sans religion comme l’est le nôtre l’oublient trop.

206. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Byron »

Forcé d’étudier Homère, comme la tourbe vulgaire des scholars, il ne l’étudia point, et le peu qu’il apprit là de la langue grecque, il nous a dit dans ses Mémoires qu’il l’oublia. […] Grenier, qu’il est le premier peut-être de tous ceux qui ont parlé de Byron qui ait signalé cette profonde grécité de sa poésie, oubliée par M. Taine et que d’autres ont aussi oubliée, mais qui n’en sera pas moins la caractéristique suprême de ce génie, svelte et idéal au milieu de toutes ses violences, comme la beauté d’un jeune dieu… Certes, oui !

207. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVIII. M. Flourens »

Il n’y a pas que le génie littéraire de Fontenelle, retrouvé au fond de sa fonction, comme une chose oubliée à sa place dans l’intérêt de son successeur. […] Il n’est plus que le Céladon, plus passé que ses aiguillettes, d’anciennes bucoliques oubliées, — un pasteur d’Arcadie, enterré en Académie. […] Flourens dit que Descartes oublie sa méthode en physique.

208. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Matter. Swedenborg » pp. 265-280

Mais lui, l’historien et le critique (et j’ai dit déjà combien je lui trouve de qualités comme historien et comme critique), lui dont la grande mémoire n’a oublié personne parmi les plus obscurs, les plus imperceptibles de ceux-là qui ont parlé en quelque manière que ce soit de Swedenborg, pourquoi donc a-t-il oublié Balzac ? […] Rien n’y est oublié ou omis : ni de tout ce qui se rapporte à la personne de Swedenborg ou à sa doctrine, — laquelle, ne vous y trompez pas !

209. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »

Les Poésies qu’on vient de publier ne sont pas seulement un livre inédit qui a couru peut-être chance d’être oublié, c’est toute une Mme Valmore inédite et inconnue ! […] IV Et s’ils doivent être oubliés, ces vers, pour leur peine de n’avoir pas tout à fait assez oublié les autres, disons pourtant avec justice et avec sympathie ce qu’ils sont, et retardons l’oubli auquel la femme qui ne les a pas publiés s’était peut-être résignée.

210. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Laurent Pichat »

qui lirait, à cette heure, le poète des Réveils, s’il n’y avait que ses idées dans ses vers et si la forme qu’il leur donne ne les faisait pas souvent oublier ? […] La passion s’allume et l’âme repliée Montre un tel désir d’être à jamais oubliée,            Qu’elle veut laisser, dans le pli D’un lac et dans des vers qui serviront de socle, Quelque chose d’étrange et du genre Empédocle,            Un souvenir de son oubli. […] C’est par là qu’il rentre dans la plénitude et la pureté de sa nature, trop longtemps faussée, et qu’on oublie les idées qu’on déteste et que souvent il exprime, pour ne se souvenir que des sentiments qu’on adore !

211. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Chénier, André (1762-1794) »

On continuera à louer en lui ces images vives et brillantes que sa muse a répandues ; toutefois on ne le considérera plus comme notre seul et premier peintre poétique ; on n’oubliera pas que La Fontaine, Racine, Fénelon, et même Boileau, avaient ouvert, bien avant lui, la pure et vraie source des comparaisons et des images, sans jamais tomber dans la prodigalité ; on n’oubliera pas non plus que Chénier vécut dans un siècle descriptif et que ce don de peindre ou même de colorier les objets, qu’il a perfectionné sans doute, a pourtant été celui de plusieurs de ses contemporains.

212. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Gabriel Ferry »

L’intérêt d’une mort prématurée — et même poétique — ne doit pas faire oublier à la Critique impartiale et sévère qu’elle s’adresse à ceux qui survivent, et que la seule question qu’il y ait pour elle n’est jamais qu’une question de littérature. […] L’auteur semble avoir oublié, ou n’avoir jamais su, que le véritable génie dramatique ne procède pas plus par des événements que par des chiffres, et qu’on peut en ajouter beaucoup les uns aux autres sans avoir plus d’imagination pour cela… Comme inventeur, donc, Gabriel Ferry ne nous paraît pas une grande perte.

213. (1870) La science et la conscience « Chapitre IV : La métaphysique »

Le philosophe qui embrasse la Nature entière d’un regard, oublie l’infinie diversité des détails pour ne voir que l’unité de plan révélée par les grandes lois qui la régissent. […] N’est-ce pas oublier l’acte pour l’effet, le devoir pour le bien ? […] C’est toujours parce que ces sciences oublient les enseignements du sens intime. […] Seulement, il ne faut point oublier que les sciences de l’esprit ont leurs conditions et leurs méthodes propres, de même que les sciences de la nature. […] Quoi qu’il arrive, un tel pays n’oubliera point qu’il a fait la révolution de 89 et proclamé les droits de l’homme du haut de la plus grande tribune qui ait jamais été ouverte à la conscience humaine.

214. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

petit pot de fleur oublié sur cette fenêtre ? […] Zola semble oublier que la somme totale des fonctions du mécanisme humain se trouve dans la conscience, non ailleurs, et que le romancier, à l’encontre du sculpteur ou du peintre, aura toujours pour objet d’étude essentiel et presque unique l’état de conscience. […] Dans un paysage, par exemple un petit bois au bord d’une rivière, nous oublierons tout ce qui était accessoire, tout ce que nous avons vu sans le remarquer, tout ce qui n’était pas distinctif et caractéristique, significatif ou suggestif. Nous oublierons même la fatigue que nous pouvions éprouver, si elle était légère, les petites préoccupations de toute sorte, les mille riens qui distrayaient notre attention : tout cela sera emporté, effacé. […] Au dix-huitième siècle, Buffon sans doute sentit quelque chose de la nature : par majestati naturae ; mais la nature n’a pas seulement la majesté et la noblesse, elle a la grâce, et Buffon l’a oublié tout à fait.

215. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

— Et d’ailleurs pourquoi oublie-t-il que, ce Roseau si fier d’être petit, le pied d’un passant va l’écraser ? […] Ils font oublier l’âme absente. […] Il fait oublier la vie qu’il oublie. […] et que proposent-elles, sinon de s’assouvir, de s’abêtir, de se détourner et d’oublier ? […] L’oublier !

216. (1836) Portraits littéraires. Tome I pp. 1-388

N’attendez pas que le poète oublie le vainqueur ou le vaincu ; Dieu merci ! […] Il n’y oublie aucun de ceux qui l’ont secondé de leurs bras et de leur courage, et trouve des paroles affectueuses pour les récompenser. […] était-ce pour oublier l’échec de ses nombreuses candidatures, que M. de Lamartine se décidait à fréter un navire ? […] Et la vie leur est si facile et si bien frayée, qu’elles vous oublient, ô mon Dieu ! […] Il a secouru bien des naufragés qui ont oublié le nom de leur sauveur en touchant le rivage.

217. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Tissot. Poésies érotiques avec une traduction des Baisers de Jean Second. »

Et remarquez que je n’oublie pas ici M. de Lamartine. […] Œuvres de jeunesse pour la plupart, autant que nous en pouvons juger, les pièces qu’il publie n’ont pas un mérite d’art assez éminent pour faire oublier toujours l’uniformité ou même le vide du fond.

218. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VI. Recherche des effets produits par une œuvre littéraire » pp. 76-80

Je n’ai parlé jusqu’ici que des effets littéraires de la littérature : mais elle en a d’autres qu’on ne saurait oublier. […] On n’a pas encore oublié quelle quantité de petits René, quelles contrefaçons de Don Juan les succès de Chateaubriand et de Byron firent éclore au commencement de notre siècle.

219. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre V. Suite des précédents. — Héloïse et Abeilard. »

On en découvre à peine quelques traces dans ce passage, que nous traduisons mot à mot : « Heureuse la vierge sans tache qui oublie le monde, et que le monde oublie !

220. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

En choisissant avec prédilection des noms peu connus ou déjà oubliés, et hors de la grande route battue, nous obéissons donc à ce goût de cœur et de fantaisie qui fait produire à d’autres, plus heureux d’imagination, tant de nouvelles et de romans. […] Je n’ai pas assez oublié ma leçon pour entretenir une Mme R… de moi. […] (j’ai oublié le reste de son nom) devint en deux ou trois jours une autre personne : une personne, je ne comprenais pas alors ce que cela voulait dire ; à présent je le comprends. […] ma chère maman, a dit sa fille, si nous n’en parlons plus, nous pouvons espérer qu’il sera oublié. — Ne vous en flattez pas, mademoiselle, a dit le comte : je crains de ne l’oublier de longtemps.

221. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400

Elle a cette faculté, qui tient à l’énergie du cœur, de ne jamais oublier. […] La famille régnante fut parfaite en ces années pour la fille des Napoléon : la princesse Mathilde ne l’a jamais oublié ; et depuis, dans une circonstance pénible où la politique impériale eut à exercer sur les biens de la maison déchue une de ces mesures d’État, commandées sans doute et nécessaires, elle et la duchesse d’Hamilton, n’écoutant que leurs sentiments particuliers et de leur propre mouvement, s’honorèrent par une démarche dont l’intention doit leur être comptée. […] Elle servit les siens dès son retour ; on aimait à faire réparation aux Napoléon en cette belle personne ; mais elle sut très bien distinguer le degré, le point juste, où la gratitude la mieux sentie pouvait aller ; et en sachant gré des bons offices envers les présents, elle n’avait garde d’oublier ceux qui restaient captifs ou dans l’exil.

222. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

De là, dans les moments résignés et pour toute maxime de sagesse, ces fatales paroles : Oublions, oublions ! […] J’ai besoin, pour me remettre, de m’étourdir avec le poëte au gai tumulte des enfants, à la folle joie de leur innocence, et de m’oublier au sourire charmant du dernier-né.

223. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

C’était, il est vrai, un vieux poëte unique en son genre, et par mille endroits ne ressemblant à nul autre, ni à maître Vincent, ni à maître Clément, ni à maître François ; un vieux poëte, adorateur de Platon, fou de Machiavel, entêté de Boccace, qui chérissait Homère et l’Arioste, oubliait de dîner pour Tite-Live, goûtait Térence en profitant de Tabarin, qu’une ode de Malherbe transportait presque à l’égal de Peau d’Ane, et dont l’admiration vive et mobile, comme celle d’un enfant, embrassait toutes les beautés, s’ouvrait à toutes les impressions, en recevait indifféremment du nord ou du midi, et trouvait place même pour le prophète Baruch, quand Baruch il y avait199. […] N’oublions point, toutefois, que bien des rapports d’inclinations et même de talent le liaient à Chapelle et à Chaulieu ; que, jusqu’au temps de sa conversion, il venait fréquemment deviser et boire sous les marronniers du Temple, à la même table où s’assirent plus tard Jean-Baptiste Rousseau et le jeune Voltaire ; et que ce dernier surtout, vif, brillant, frivole, puisa au sein de cette société joyeuse, où circulait l’esprit des deux Régences, certaines habitudes gauloises de licence, de malice et de gaieté, qui firent de lui, selon le mot de Chaulieu, un successeur de Villon, quoiqu’à dire vrai Voltaire n’eût peut-être jamais lu Villon, et que, pour un convive du Temple, il parlât trop lestement de La Fontaine… 196. […] La Fontaine, qui se laissait dire beaucoup de choses aisément, avait pour lors adopté sur Ronsard l’opinion courante, et un peu oublié ce qu’autrefois le vieux Colletet lui avait dû en raconter.

224. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre IV. L’écrivain (suite) »

Ce petit mot indique un homme qui peut se déprendre de soi-même, s’oublier, se transformer en toute sorte d’êtres, devenir pour un moment les choses les plus diverses. […] Quand on pense à ces vers si gracieux, si aisés, qui lui viennent à propos de tout, qu’il aime tant, à ce doux et léger bruit dont il s’enchante et qui lui fait oublier affaires, famille, conversation, ambition, on le trouve semblable aux cigales de Phèdre. […] Lorsqu’elles naquirent et que le chant parut, il y eut des hommes si transportés de plaisir, qu’en chantant ils oublièrent de manger et de boire, et moururent sans s’en apercevoir.

225. (1895) Histoire de la littérature française « Avant-propos »

Ils n’en seront que mieux préparés, et plus au-dessus de tout examen, s’ils ont pu, en se préparant, oublier qu’ils étaient candidats, et pratiquer la littérature pour elle-même. […] Aller au texte, rejeter la glose et le commentaire, voilà, ne l’oublions pas, par où la Renaissance fut excellente et efficace. […] Je ne pouvais, en aucune partie de ce travail, perdre de vue ni laisser oublier que tous les secours de l’érudition et de la critique, toute l’écriture amassée autour des textes, celle des autres comme la mienne, ont pour fin dernière la lecture personnelle des textes.

226. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre III. L’antinomie dans la vie affective » pp. 71-87

Les intellectualistes oublient que les idées n’ont d’influence que si elles tombent sur un sol favorable ; si elles ont une résonance dans l’organisme, que si elles ne sont pas seulement apprises et comprises, mais senties. Ils oublient que la Raison n’est qu’une moyenne extraite des sensibilités ; quelle leur est par suite postérieure et qu’elle dépend d’elles. Ils oublient encore que la sensibilité déborde les limites de l’intelligence ; qu’il y a une logique des sentiments indépendante de la logique du raisonnement et combien plus puissante !

227. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre V. L’Analyse et la Physique. »

Il faudrait avoir complètement oublié l’histoire de la science pour ne pas se rappeler que le désir de connaître la nature a eu sur le développement des mathématiques l’influence la plus constante et la plus heureuse. […] Si l’on veut me permettre de poursuivre ma comparaison avec les beaux-arts, le mathématicien pur qui oublierait l’existence du monde extérieur, serait semblable à un peintre qui saurait harmonieusement combiner les couleurs et les formes, mais à qui les modèles feraient défaut. […] Le premier exemple que je citerai est tellement ancien qu’on serait tenté de l’oublier ; il n’en est pas moins le plus important de tous.

228. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

Ai-je oublié Matilde Serao ? […] Le plaisant, c’est que Matilde Serao s’oublie assez souvent à croire, elle aussi, à la supériorité de Lucie Altimare, et qu’il lui arrive de la proclamer une figure « grande et haute ». […] La petite Sue n’est pas de force à porter la douleur : elle s’enivre pour oublier, elle s’enivre de foi comme quelques-uns s’enivreraient de gin.

229. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Deshays » pp. 208-217

Quand on l’a vu une fois, on ne l’oublie jamais. […] En revenant de Saint-Martin des Champs, n’oubliez pas de faire un tour à Saint-Gervais, et d’y voir les deux tableaux du Martyre de saint Gervais et de saint Protais ; et quand vous les aurez vus, élevez vos bras vers le ciel, et écriez-vous : Sublime Le Sueur ! […] Ce sont des riens ; mais quand un homme pense à ces riens, il n’oublie pas les grandes choses.

230. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Guizot » pp. 201-215

On l’avait oublié, mais je ne connais pas de pays où le coup de pistolet du succès éveille plus de prétentions qu’en France. […] Guizot, qui a bien d’autres motifs d’être heureux et tranquille, semblait depuis longtemps l’avoir aussi oublié que le public, quand le succès, très vif et très mérité, de François-Victor Hugo a réveillé tout à coup cette antique prétention de traduction et de critique, qu’on croyait morte et qui n’était qu’endormie. […] Guizot a bien indiqué le mariage probablement troublé de Shakespeare, son éloignement et son abandon de sa femme, le silence qu’il a gardé sur elle, le legs presque injurieux qu’il lui fait, en interligne, dans son testament, comme s’il se la rappelait tout à coup comme on se rappelle une chose oubliée ; mais il ne va pas plus loin, il ne presse pas plus fort ce point douloureux, saignant, misérablement humain et toujours le même dans tous ces grands hommes, petits par là, qu’ils s’appellent Byron, Molière ou même Shakespeare !

231. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Les Césars »

… Ainsi, excepté quelques aperçus tout-puissants d’un grand écrivain oublié, de ce Saint-Évremond tué et enterré par Montesquieu en vertu de la loi cruelle qui veut que le génie tue toujours celui qu’il a pillé, excepté la préface si hardie des Études historiques de Chateaubriand et quelques pages profondes, majestueuses et amères de Bonald dans ses Mélanges de littérature, on n’avait rien de jugé, de satisfaisant, rien de conclu sur Rome par la raison moderne, quand le livre de Champagny parut. […] Enfin, comment l’homme d’État, s’il y en avait un en Thiers, aurait-il oublié de conclure que l’homme qui avait relevé, en France, la chose nécessaire, était et devait être tout autre chose qu’un accident ? […] Qu’on ne l’oublie pas, si l’on veut rester ferme dans la réalité humaine, les progrès de l’humanité ne sortent jamais que de l’action et de la réaction réciproque de l’initiative et du commandement de quelques-uns, et du bon sens et de l’obéissance de tous, — en d’autres termes, de l’union sympathique et féconde des gouvernants et des gouvernés.

232. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XI. MM. Mignet et Pichot. Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste. — Charles V, chronique de sa vie intérieure dans le cloître de Yuste » pp. 267-281

Mignet et Amédée Pichot ne sont pour rien, ces deux ouvrages écrits d’un style fort différent, — l’un, avec la tenue froide d’un membre de l’Académie, l’autre, avec l’égoïste flânerie d’un chroniqueur qui aurait dû oublier sa personnalité davantage, — ont cependant pour nous un intérêt très animé et très réel. […] C’est ce qu’on oublie trop quand il s’agit de l’Espagne. […] Certes, quand un peuple a de pareilles légendes sur le plus grand et le plus absolu de ses monarques, on peut demander si, pour en expliquer la vie, il est loisible d’oublier l’action de ce peuple et de s’en tenir aux infiniment petits de l’anecdote et des détails personnels… ?

233. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIII. M. Nicolardot. Ménage et Finances de Voltaire » pp. 297-310

Dans cet essai de son début, il avait replacé la misère humaine, trop souvent oubliée, dans le fond éblouissant de plus d’une grandeur, et justement risqué sur Voltaire une de ces anecdotes cruelles qui firent peut-être sur son propre esprit, altéré de vérité, l’effet des premières gouttes de sang sur la soif du tigre, qu’elles rendent bientôt inextinguible. […] Nicolardot qui n’a pas, lui, au cœur, l’indignation sainte de M. de Maistre, et dans sa main le pinceau de feu de ce coloriste inspiré, ce livre froid, méthodique, dur comme le fait qui s’y entasse en grêle coupante, réconciliera certainement les admirateurs de Voltaire avec le foudroyant portrait des Soirées de Saint-Pétersbourg, car il y a pis pour l’honneur de Voltaire que ce supplice en effigie auquel de Maistre l’a cloué, et ce sont les pages bien autrement impitoyables, où on le retrouve descendu, culbuté de son piédestal dans la vie, dans cette vie d’un moment qui passe et qu’on croit oubliée, cette vie qui tombe comme une escarre de notre immortalité historique, quand nous sommes immortels, et que voici ressuscitée et ramenée tout à coup sous le regard, dans ce qu’elle eut de plus chétif, de plus obscur et de plus honteux ! […] Il est aussi, à sa façon, une forte étude intellectuelle d’un esprit qui, comme les grands palais, quand on les visite, a toujours quelque curieux appartement qu’on oublie.

234. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vacquerie » pp. 73-89

Mais nous, nous pourrions lui donner l’adresse qu’il oublie ; et c’est alors qu’il aurait horreur de sa vérité de hasard et qu’il se replongerait, la tête en bas, dans la vague de ces hautes fantaisies dont il est le Protée fougueux ! […] Nous sommes pour la liberté de cœur. » — « Nous estimons par-dessus tout — dit-il ailleurs — les natures dévouées qui s’oublient dès qu’elles aiment, et qui paieraient de leur honneur et de leur paradis les joies de l’amant. » Parmi toutes les passions que Vacquerie respecte et couronne, il n’y en a qu’une seule qu’il ne comprend pas plus que les passions de la tragédie de Racine : c’est la passion de la décence, de la chasteté et du devoir ! […] Cet homme anti-convenance, ce contempteur des règles, cet indompté, oublie le respect qu’il doit à Hugo, en le surpassant.

235. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVI. Buffon »

Flourens semble avoir oublié la sienne. […] Flourens, il est vrai, n’est pas un savant délivrés ou d’idées pures, c’est un naturaliste, un expérimentateur, c’est-à-dire un esprit incessamment à l’affût du caractère interne ou externe des choses, et, pour cette raison, il ne pouvait guère oublier les caractères de l’homme dans le contemplateur du belvédère de Montbar. […] En effet, il ne venait à Paris que dans quelque occasion solennelle, par exemple, pour prononcer un jour, à l’Académie française, le seul discours de réception que la postérité n’ait pas oublié… et il s’en retournait après, reprendre l’immense travail auquel il avait consacré sa vie.

236. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVII. Saint-Bonnet »

Ou n’a pas oublié sans doute que les prétentions en présence sur cette question de l’enseignement, c’étaient, d’une part, l’innocuité morale, des classiques et leur convenance littéraire, et de l’autre, le danger auquel ils exposent de jeunes esprits qui prennent leurs premiers plis et reçoivent les terribles premières impressions de la vie, — terribles, car ce sont peut-être les seules qui doivent leur rester ! […] à ne voir en bloc qu’un tel résultat, ce serait déjà une chose grande et belle que de l’avoir atteint, et la Critique, qui sait la profondeur et la difficulté des idées simples, ne pourrait oublier de le signaler avec éclat. […] Il y parviendrait presque, si l’on ne s’en rapportait qu’aux faits qu’il cite, si l’on oubliait que ces faits recueillis et morts dans l’histoire sont séparés de leur racine, c’est-à-dire de l’époque à laquelle ils se sont produits, et de l’esprit qui l’animait.

237. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Raymond Brucker. Les Docteurs du jour devant la Famille » pp. 149-165

Oublié comme un glaive accroché dans une panoplie, on peut l’en arracher et s’en servir. […] Il n’était pas, d’ailleurs, de vocation absolue, un romancier, quoiqu’il ait fait aussi des romans, et, entre autres, ces Docteurs du jour, qui ont un cadre romanesque dessiné pour y mettre bien autre chose que des romans, et qui pourtant en contiennent un, si ce n’est deux… Brucker avait d’autres facultés que celles-là avec lesquelles on crée des fictions intéressantes ou charmantes, et ces facultés impérieuses et précises avaient trop soif de vérité pour s’arrêter beaucoup aux beautés du rêve, qui traversèrent cependant son imagination dans la chaleur de sa jeunesse, quand, par exemple, il écrivit en collaboration ce roman des Intimes, oublié, comme s’il l’avait fait seul, malgré les diamants d’esprit qu’y jeta Gozlan et qui ne firent point pâlir les rubis que lui, Brucker, plaça à côté… La gerbe de facultés différentes qu’avait Brucker et qui se nuisaient peut-être les unes aux autres par le fait de leur nombre, avaient, au centre du magnifique bouquet qu’elles formaient, deux fleurs superbes et excessivement rares : la métaphysique, — non pas froide chez lui comme chez les autres métaphysiciens, mais de feu, — et une puissance de formule algébrique qui donnait à ses idées et à son style — même littérairement — une rigueur et une plénitude incomparables. […] … Raymond Brucker, le trop oublié Brucker, — dont les petits lettrés de cet âge disent peut-être, avec des airs curieux et naïfs : « Qu’est-ce que c’est donc que ce Raymond Brucker ? 

238. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « E. Caro »

Fils de l’Université qui n’a pas oublié Stanislas, c’est un normalien et un cousiniste, et, s’il est chrétien, comme je le crois, et comme quelques-uns de ses premiers écrits14 autorisent à le croire, c’est un chrétien qui derrière sa foi a sa métaphysique, comme derrière un salon dans lequel on vit peu, on a un cabinet de travail dans lequel on se tient toujours… À un homme de cette préoccupation philosophique, de cette culture, de ce goût affiné et sûr, Dieu sait l’effet que je dois produire avec mon sens littéraire ardent et violent plutôt que réglé, et mon catholicisme brutal, qui a tout avalé des philosophies qui me grignotaient l’esprit avant que Brucker m’eût ramené à cette religion de mon intelligence et de mon âme ! […] Trop péremptoirement opposé à la pensée hégélienne pour ne pas poursuivre et traquer partout cette pensée qui, si elle est quelque chose, n’est que la théorie du néant dans sa laborieuse et ténébreuse vacuité, Caro, pourtant, ne la voit pas seule rayonner dans les systèmes contemporains : « Kant, — dit-il avec une rancune légitime, — a inspiré la première défiance contre la métaphysique, c’est-à-dire contre les croyances qui dépassent les choses d’expérience. » Il n’oublie donc pas Kant, il n’oublie personne, pas même les poètes, pas même Goethe, pas même Heine, le Turlupin de génie, dans cette histoire des influences qui jouent pour l’heure sur la raison et l’imagination du monde.

239. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « André Chénier »

On n’a oublié ni une rature, ni une surcharge, ni une virgule mise là plutôt qu’ici… On s’est livré au travail le plus minutieux, le plus microscopique, le plus patient, et à force de patience, le plus impatientant ! On aurait pu écrire : « Collationné par le bonhomme Job », et on l’aurait cru… Jamais l’admiration au regard enflammé et à l’enthousiasme aux grandes ailes, n’a mis plus de lunettes et n’est devenue plus cul-de-plomb pour chercher et voir de près les infiniment petits d’un ensemble assez beau pour les faire oublier. […] Il a oublié que le mystère va bien aux poètes, ces dieux, et que toute divinité est mystérieuse.

240. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Hector de Saint-Maur »

Le poète du Dernier Chant a dit, avec un tour triste et gai en même temps, et qui n’est qu’à lui : Quand elle veut, la femme est bien forte, — elle oublie ! […] ici, les femmes ne voudront pas l’oublier. Elles n’oublieront pas la manière dont il a chanté en pleurant sa fille morte, et c’est elles qui commenceront sa gloire.

241. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Raymond Brucker » pp. 27-41

A propos du Maçon, retouché par cet esprit que la religion a retouché aussi jusque dans le fond et le tréfond de son être, il est peut-être curieux et piquant d’esquisser à traits pressés une vie singulière, que les Mémoires du dix-neuvième siècle ne donneront pas, et qu’en bonne conscience l’Histoire littéraire de cette époque ne pourrait décemment oublier. […] Brucker débordait, il en est un, et c’est le plus oublié peut-être, qui s’appelle un Secret et qui en est trop un. […] Ceux-là, même ses ennemis, qui ont assisté, ne fût-ce qu’un jour, à cet enseignement de sept années, ne peuvent l’oublier.

242. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Paul Féval » pp. 145-158

Il n’eût pas écrit davantage Les Parents pauvres de Balzac (cette gloire), lesquels faillirent bien d’être interrompus dans le journal, qui s’était oublié au point de les accepter, et tant il ennuya messieurs les abonnés, ce chef-d’œuvre ! […] Mais on ne sait pas, on a trop oublié avec quel pauvre vestiaire et quelles loques Le Sage et Beaumarchais, en ceci égaux tous les deux, habillèrent une Espagne de leur invention, laquelle, mystification inénarrable ! […] … Il est dans le destin des romans d’aventure d’être vite oubliés.

243. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IV. »

On pourrait plutôt reconnaître dans le langage de ces chants une sorte de piété panthéiste analogue à celle qui, dans des temps plus reculés, et chez des ancêtres oubliés de la race grecque, avait inspiré quelques accents des Védas. […] Sa licence s’oublia, devant son art profond de langage ; on le médita comme Pindare et comme Homère lui-même ; et, dans cette riche série de modèles que le génie grec, à ses âges divers, offrit au goût laborieux des Romains, il fut l’objet de l’émulation des plus habiles. […] Sur le sommet des mâts un nuage s’est arrêté tout droit, signe de la tempête ; puis vient la terreur qui suit un danger subit. » Quelquefois encore, ces restes brisés de la couronne du poëte grec ne sont que des traits rapides et simples, une parole délicate et passionnée, un coup de pinceau qui ne s’oublie pas52 : La jeune fille triomphait, tenant à la main une branche de myrte et une fleur de rosier ; et ses cheveux épars lui couvraient le visage et le col » ; ou bien encore, avec moins de simplicité, cette autre peinture qui rappelle celle de Sapho : « Semblable passion d’amour, pénétrant au cœur, répandit un nuage épais sur les yeux et déroba l’âme attendrie. » Horace, dans sa vive étude des Grecs, avait sans doute gardé bien d’autres souvenirs d’Archiloque ; et quelques-unes de ses odes, son dithyrambe à Bacchus et d’autres, ne doivent être qu’une étude d’art et de goût substituée au tumulte des anciennes orgies, où le poëte de Paros se mêlait, en chantant : « Le cerveau foudroyé par le vin, je sais combien il est beau d’entonner le dithyrambe, mélodie du roi Bacchus. » Archiloque, s’il faisait des hymnes, devait être, ce semble, le poëte lyrique des Furies et non des Dieux.

244. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Mais ce sont là défauts du genre, nécessités des endroits où elle parle, conventions qu’on ne lui permettrait point d’oublier. […] Je n’oublie pas les lieux communs sur le mérite éducateur de la souffrance. […] Et voici qu’elle s’oubliait complètement, qu’elle oubliait complètement l’adoré et qu’elle ne songeait plus, — l’étrange amoureuse ! […] Je trouve, page 12, cette définition souriante « L’oubli est le pardon involontaire. » Mais la page 5 affirme : « Qui oublie a pardonné, qui pardonne va tâcher d’oublier. » Ainsi « le pardon involontaire serait un effort qui succéderait au pardon ! […] Mais j’autorise, de grand cœur, frères et maris à l’oublier, si ça peut leur faire plaisir.

245. (1864) Le roman contemporain

Étaient-ce des livres oubliés que ceux de Balzac, qui étaient dans toutes les mains ; des livres oubliés que ceux d’Eugène Sue, dont la librairie multipliait les éditions, quand la presse périodique les avait déjà répandus dans toute la France ? […] Ceux qui se trouvaient à Paris dans ce temps n’oublieront jamais les spectacles qu’ils ont eus sous les yeux. […] Ne l’a-t-il pas apprise, ou l’a-t-il oubliée ? […] Dumas ait bien peu appris à l’école de la duchesse, ou que celle-ci ait beaucoup oublié à celle de M.  […] Pygmalion a oublié d’animer sa statue, la vie lui manque ; elle ne marche pas, elle pose.

246. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

Cousin ne se soit jamais posé une seule fois cette question : « Qu’aurait gagné, qu’aurait perdu mon propre talent, ce talent que l’on compare tous les jours à celui des écrivains du Grand Siècle, qu’aurait-il gagné ou perdu, cet admirable talent (J’oublie que c’est lui qui parle), si j’avais eu à écrire ou à discourir, ne fût-ce que quelques années, en vue même de Louis XIV, c’est-à-dire de ce bon sens royal calme, sobre et auguste ? […] Le siècle dans lequel tous deux vivaient eut le mérite de faire cette distinction, et d’apprécier chacun sans les opposer l’un à l’autre : et aujourd’hui ceux qui triomphent de cette opposition et qui écrasent si aisément Bourdaloue avec Bossuet, l’homme de talent avec l’homme de génie, parce qu’ils croient se sentir eux-mêmes de la famille des génies, oublient trop que cette éloquence chrétienne était faite pour édifier et pour nourrir encore plus que pour plaire ou pour subjuguer. […] Le propre de Bossuet est d’avoir ainsi du premier coup d’œil toutes les grandes idées qui sont les bornes fixes et les extrémités nécessaires des choses, et qui suppriment les intervalles mobiles où s’oublie et se joue l’éternelle enfance des hommes. Pour qu’il ne soit pas dit que je ne cherche chez lui que les leçons aux grands et aux puissants, dans ce même Sermon sur l’honneur, où il énumère et poursuit les différentes sortes de vanités, il n’oublie pas les hommes de lettres, les poètes, ceux aussi qui, à leur manière, se disputent le renom et l’empire : Ceux-là pensent être les plus raisonnables qui sont vains des dons de l’intelligence, les savants, les gens de littérature, les beaux esprits.

247. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — I » pp. 57-75

On avait échoué, mais, selon moi, en partie seulement ; car il était possible encore, dans l’ensemble confus des poésies oubliées de cette époque, de recueillir à première vue et de faire goûter une certaine quantité de pièces vives, neuves, d’un rythme ferme et varié, d’une couleur charmante, d’une expression imprévue et pourtant bien française. […] Mais dans ces considérations générales où l’on opère sur des siècles et des âges tout entiers, et où la critique parcourt à vol d’oiseau d’immenses espaces, on oublie trop un point essentiel, c’est que le poète vient à une heure précise et à un moment. Or, au moment où s’essaya Ronsard, la tradition du Moyen Âge chez nous était toute dispersée et rompue, sans qu’il eût à s’en mêler ; ces grands poèmes et chansons de geste, qui reparaissent aujourd’hui un à un dans leur vrai texte grâce à un labeur méritoire, étaient tous en manuscrit, enfouis dans les bibliothèques et complètement oubliés ; on n’aurait trouvé personne pour les déchiffrer et les lire. […] Sauf de rares passages dans le ton de ce que je viens de citer, sauf de courts moments où le vieux coursier de guerre se redresse comme au son du clairon, il s’oublie, il se traîne ; il ne donne pas à sa propre manière son perfectionnement graduel, et, après une si fière et tumultueuse entrée, il a une fin lente, inégale et incertaine.

248. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Je n’oublierai pas un point capital : Béranger est mort en communion parfaite avec le régime impérial qu’il n’avait pas appelé, mais qu’il avait certainement préparé ; il n’y porta point d’enthousiasme, mais il eut le bon sens de comprendre où était le salut de la France, et que, de plus, il lui serait ridicule, à lui qui avait tant fait pour entretenir par sesrefrains le culte de Napoléon, de n’en pas accepter les conséquences. […] Paul Boiteau, à qui l’on doit de la reconnaissance pour la peine infinie qu’il a prise à la rassembler, à la mettre en ordre et à l’éclaircir, s’est trop prodigué ; il a oublié que la parfaite bienséance, pour un éditeur, est de se considérer comme une femme de chambre qui ne se montre plus, dès que sa maîtresse est habillée. […] A table, le verre en main, avec ses amis, il oublie sa pauvreté et sa migraine, qu’il va retrouver dès qu’il sera seul : « l’imagination peut tout sur sa frêle machine. » Cependant, même là où il est le plus gai, il n’est jamais un boute-en-train à tout prix comme Désaugiers : «  il a le don de mettre sa gaîté au ton de ceux qui l’entourent et de n’éclater qu’avec ceux qui éclatent, sauf à hâter le moment de l’explosion. » D’ailleurs, ilest bien de la race par tout un côté. […] Il n’en gardait pas copie d’abord, et il semble qu’il y tenait assez peu ; c’est pendant une maladie du peintre Guérin, l’un de ses amis, et en passant les nuits à son chevet, en 1812, qu’il eut l’idée, pour la première fois, de recopier ses anciennes chansons ; il s’en rappela ainsi une quarantaine : il y en eut de perdues et d’oubliées.

249. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

N’oublions pas que les hommes, y compris les femmes, ne sont pas tout d’une pièce, qu’il y a des temps d’émotion générale où une démarche, un mouvement qui ne sera pas entièrement d’accord avec l’ensemble de la ligne suivie, peut paraître la chose la plus naturelle ; et, dans ce cas-ci, le mouvement qui aurait porté Mme de Staël à écrire la lettre en question, serait infiniment honorable, et, par conséquent, digne d’elle. […] Mme de Staël ne pouvait être oubliée ; elle ne le fut pas. […] Venir dire que la locution : « si les Belges prononcent pour les Français », au lieu de : « se prononcent », est d’une personne qui a dû longtemps séjourner en Espagne et qui en a pris le langage jusqu’à oublier le français, est une chicane aussi invraisemblable qu’ingénieusement trouvée. […] N’oubliez pas que Mme de Staël n’avait pas eu tant à se louer des Bourbons en 1814 ; qu’elle n’avait point été admise à parler une seule fois aux princes dans cette année de la première Restauration… Il est téméraire de prétendre dire d’une personne qui vous ressemble si peu, qu’elle a senti exactement d’une façon et non d’une autre, pendant toute la durée de ce rapide et violent orage.

250. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

M. de Chateaubriand, à la tribune des Pairs, eut ce jour-là de nobles paroles, et, cet autre jour, il en eut de malheureuses… » Sur les violences matérielles et les horreurs qui ensanglantèrent le Midi, on est unanime ; mais là encore on essaye de n’en pas trop dire et de limiter l’indignation ; on n’emprunte que discrètement à l’effroi de la tradition populaire qui a survécu et qui subsiste encore ; on craint de paraître donner dans la légende qui grossit les faits et les transfigure : à ce travail honorable, entrepris par de bons esprits qui ont oublié d’être de grands peintres, le courant incendiaire qui traversa alors et dévora toute une partie de la France, se dissipe et s’évapore ; l’atmosphère embrasée du temps ne se traduit point au milieu de ces justes, mais froides analyses ; l’air échappe à travers les mailles du filet, et c’est encore dans les historiens d’une seule pièce, d’une seule et uniforme nuance comme Vaulabelle, dans ce récit ferme, tendu et sombre, où se dresse énergiquement passion contre passion, qu’on reçoit le plus au vif et en toute franchise l’impression et le sentiment des fureurs qui caractérisent le fanatisme royaliste à cette époque. […] Les liens de l’estime et de la confraternité ne peuvent plus exister entre nous et ceux qui professent des principes contraires, et si l’honneur pouvait être solidaire entre des hommes qui exercent la même profession à des distances Considérables, je me hâterais de protester contre un pareil abus, et je vous dirais hautement : L’avocat qui « chargé volontairement. de défendre un guerrier traître et rebelle à son roi, s’oublie jusqu’à justifier l’action en elle-même, qui cite comme un titre de gloire pour l’accusé le nom d’une bataille (celle de Waterloo) où il acheva de se rendre criminel en combattant contre son maître ; qui invoque à son secours le témoignage d’autres rebelles et les excite à rappeler les moyens qu’ils avaient pour forcer leur roi à la clémence ; l’avocat qui, s’entourant de honteux détours, de méprisables subterfuges, d’ignobles entraves, enlève ainsi au prévenu, autant qu’il est en lui, son dernier honneur, celui du courage, cet avocat a perdu son titre à nos yeux : je me sépare à jamais de lui. » On a beau dire que tout moyen est bon à un avocat pour sauver son client, M. de Martignac passait ici toute mesure, et il est difficile d’admettre qu’il n’obéissait pas lui-même, en s’exprimant de la sorte, à un accès de la fièvre politique qui sévissait partout autour de lui. […] » Ces anciennes louanges étaient plus qu’oubliées et réparées, et de tous les ministres il était le plus selon le cœur et les entrailles de la Chambre nouvelle. […] Il la tenait toujours entre ses mains : s’il était content de ce qu’il entendait, il oubliait de prendre sa prise ; sinon, il prisait sans cesse et vidait sa tabatière.

251. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Patru. Éloge d’Olivier Patru, par M. P. Péronne, avocat. (1851.) » pp. 275-293

N’oublions pas l’état de la langue sous Richelieu et le travail qui était en train de s’accomplir. […] Dans la salle fort belle où l’on reçut la princesse, on n’avait oublié qu’une chose, c’était d’y faire mettre ce portrait d’elle qu’elle avait donné à la compagnie et devant lequel, durant son absence, Patru avait juré à la romaine qu’on ferait des sacrifices ; mais, en ce jour d’extraordinaire, la précipitation empêcha d’y songer. […] Il y avait là un vieux fonds d’indépendants qui avaient tâté de la Fronde : J’oubliais à te dire, continue Patru, que le bonhomme de Priézac, aussitôt qu’il sut que la reine délibérait si nous serions debout, s’en vint à moi, comme à un grand frondeur, et me dit ce qui se passait ; et, en me demandant ce que j’étais résolu de faire, ajouta que sa résolution était de sortir, si elle voulait, qu’on fût debout devant elle. […] Les bureaux furent partagés et départagés plusieurs fois… C’est un ennemi de l’Académie qui parle, ne l’oublions pas ; mais il est certain en effet que Patru avait conçu le plan et l’exécution du Dictionnaire tout autrement qu’on ne l’adopta alors ; il aurait voulu appuyer les jugements et définitions sur des citations de bons auteurs.

252. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre V. Le génie et la folie »

L’un oublie les choses visibles, l’autre les choses invisibles ; l’un ne pense qu’à son devoir et oublie son intérêt ; l’autre pense à son intérêt et oublie son devoir. […] Seulement il pensait à des choses qui l’intéressaient vivement, et il en oubliait d’autres qui ne l’intéressaient pas du tout.

253. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IX : M. Jouffroy écrivain »

En vain mon enfance et ses poétiques impressions, ma jeunesse et ses religieux souvenirs, la majesté, l’antiquité, l’autorité de cette foi qu’on m’avait enseignée, toute ma mémoire, toute mon imagination, toute mon âme s’étaient soulevées et révoltées contre cette invasion d’une incrédulité qui les blessait profondément ; mon cœur n’avait pu défendre ma raison… Je n’oublierai jamais la soirée de décembre où le voile qui me dérobait à moi-même ma propre incrédulité fut déchiré. […] Il n’est point allé emprunter une lampe oubliée dans la nécropole philosophique où dorment les systèmes ensevelis, veillés par le poudreux cortège des historiens et des antiquaires. […] On se dissipe, on s’occupe, on oublie, on rit : bonheur léger et passager qu’il faut prendre ou perdre, sans beaucoup le regretter ni l’attendre, et sur lequel il ne faut pas réfléchir. […] S’il savait en théorie que nous en tirons nos idées générales, il l’oubliait en pratique.

254. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

Ce livre, composé d’après une méthode inflexible, écrit avec une éloquence entraînante, rempli de vues supérieures, paré d’images magnifiques et naturelles, n’est connu que des philosophes : l’auteur ne va pas chez les personnes influentes ; voyant qu’il ne se loue point, on ne le loue point ; il a oublié que la gloire se fabrique. […] Je n’oublierai jamais le sourire avec lequel M.  […] Oubliez donc, comme tout à l’heure, l’immense entassement des détails innombrables. […] Au même instant cet esprit se relève ; il oublie sa mortalité et sa petitesse ; il jouit par sympathie de cette infinité qu’il pense, et participe à sa grandeur. » Il était tard ; mes deux amis me renvoyèrent, et j’allai dormir.

255. (1914) Une année de critique

J’oublierai vite l’autre. […] Il faut redire, puisqu’on l’oublie trop souvent, qu’il n’existe pas un passé, défini une fois pour toutes, et fixé dans une froide immobilité. […] C’est que vraiment, dans l’île lointaine, Julien Ochsé a contemplé le visage de sa destinée, et c’est une aventure qui ne s’oublie point. […] Ayez soin seulement de ne point oublier vos exercices suédois. […] Nulle n’est oubliée.

256. (1874) Premiers lundis. Tome I « Dumouriez et la Révolution française, par M. Ledieu. »

Mais il ne fallait pas oublier que les hommes d’une vaste intelligence, s’ils ne se rangent de bonne heure à des principes immuables, ne demeurent pas semblables à eux-mêmes aux diverses époques de leur vie, et qu’il en est de certaines âmes comme de ces rivières d’autant plus limpides qu’on les prend plus loin de leur source. […] M. de Metternich s’essayait dès lors à l’ignoble système de persécution qu’il n’a pas oublié depuis.

257. (1767) Salon de 1767 « Peintures — [autres peintres] » pp. 317-320

J’allais oublier celui-là. à peine laissera-t-il un nom ; et il eût été le premier de tous, s’il eût voulu. […] Et M. le chevalier Pierre que j’avais oublié dans la liste de nos artistes.

258. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

Dans le temps d’ailleurs qu’il publiait ces productions de troisième ordre, productions peu authentiques, où il ne trempait souvent que comme collaborateur et auxquelles il n’attacha jamais son nom, M. de Balzac ne s’en exagérait pas la valeur, et trouvant un jour un de ses récents volumes aux mains d’un ami qui le lisait : « Ne lisez pas cela, lui dit-il ; j’ai bien dans la tête des romans que je crois bons, mais je ne sais quand ils pourront sortir. » Nous avons eu la curiosité de retrouver et de feuilleter la plupart de ces romans oubliés, espérant y saisir quelque trace du brillant écrivain d’aujourd’hui. […] Quoi qu’il en soit, Claës se livre, à partir de ce moment, à la recherche de l’absolu, ce qui veut dire pour lui la transmutation des métaux et le secret de faire de l’or ; il s’y oublie, il s’y acharne ; il tue de chagrin sa femme ; il s’y ruine, ou du moins il s’y ruinerait, si l’imagination du romancier ne venait sans relâche au secours de cette fortune qui se fond dans le creuset, et si la fille aînée de Claës ne réparait à temps chaque désastre, comme une fée qui étend coup sur coup sa baguette d’or. […] Ou elles se mettent simplement, en comprenant que leur charme est tout moral ; ou elles savent faire oublier la disgrâce de leurs proportions par une sorte d’élégance dans les détails qui divertit le regard et occupe l’esprit. » Il est impossible de plus délicatement observer et de mieux dire. […]  — Latouche donc disait un jour de Balzac : « En vérité, je dois avoir bien de la reconnaissance pour Balzac, je serais un ingrat si j’oubliais jamais ce que je lui dois. […] Le bon alchimiste oublie dans son transport que pleurs n’est pas du même genre que larmes.

259. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

Il ne faut jamais oublier, en le jugeant plus tard, cette indifférence fondamentale sur laquelle germèrent, depuis, toutes les passions, toutes les espérances et les irritations politiques, et les plus magnifiques phrases qu’ait jamais produites talent d’écrivain. […] Ouvrez la frénétique brochure De Buonaparte et des Bourbons, et lisez-y ces paroles : Et quel Français aussi pourrait oublier ce qu’il doit au prince régent d’Angleterre, au noble peuple qui a tant contribué à nous affranchir ? […] Les rois en revanche ont eu le caractère bien fait ; ils ont tout souffert et oublié, et le bon Charles X, cette fois, a été comme Socrate. […] Vous l’avez oubliée cette fois par mégarde, même dans vos songes. […] vous ne l’oubliez pas moins, vous la mettez à néant, vous qui avez, pendant près de vingt ans, brigué l’honneur de la conduire !

260. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

» Boutade expressive d’un philosophe parvenu au soir de la vie, et qui trop souvent à son aurore oublia, parmi les longues tresses dénouées, combien courtes pouvaient être les idées de celles à qui leur beauté servait alors de suffisante excuse ! […] Oublierons-nous pour cela la logique expressive des mots : Étrange… Étranger… syllabes qui se superposent exactement. […] Elle lui rappelle sa vraie fonction et sa destinée qu’un instant elle oublia, quand elle prit en main cet emblème viril : la plume de l’écrivain. […] Je n’en veux qu’une preuve, c’est que nous ne les oublions plus, qu’une fois silhouettés par le crayon aigu du dessinateur, qui fait saillir leur mimique expressive, ils reparaissent, à chaque allusion, dans leur réalité de chair. […] Il nous faudra oublier nos habituelles façons de sentir et de penser, si nous voulons atteindre à reconstituer cette exceptionnelle personnalité de notre littérature féminine, Mme Renée Vivien.

261. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

Sa présence me fit oublier toutes mes résolutions, et les premières paroles qu’elle me dit pour sa défense me laissèrent si convaincu que mes soupçons étaient mal fondés, que je lui demandai pardon d’avoir été si crédule. […] Arnolphe, en humiliant Agnès par la dureté de ce discours, oublie qu’Horace la charmait tout à l’heure en lui disant les mots les plus gentils du monde. […] Il songe à inspirer de la crainte, du respect ; il oublie d’inspirer de l’amour ; il veut intimider l’esprit et ne sait pas gagner le cœur. […] On a dit encore que Boileau préférait la prose de Molière à ses vers, et l’on a oublié qu’il l’a loué comme grand poëte dans la satire qu’il lui a adressée. […] Nous verrons plus tard qu’elle n’a oublié aucun des avantages qu’elle prend ici.

262. (1920) Action, n° 2, mars 1920

Mais ce prince, tout amour, rêverie et caprice, oublie que s’il veut toujours de la musique, il est lui-même toute poésie. […] Cela expliquerait qu’il soit oublié par tant de ses disciples d’antan. […] L’immortalité des morts oubliés, oubliés par leurs proches, par l’Etat et par la terre même ! […] Malgré la mécréance, on ne désespère pas : on oublie. […] Ceux d’aujourd’hui ne doivent pas oublier ces trois hommes.

263. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXVII » pp. 306-312

Thiers oublie trop qu’il a pu y avoir de ces âmes et qu’il s’en est rencontré en effet dans l’opposition d’alors. Mais tout le monde l’oublie aujourd’hui.

264. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre Premier »

Tout en regrettant que le français se serve de moins en moins de ses richesses originales, je ne le verrais pas sans plaisir se tourner exclusivement du côté du vocabulaire latin chaque fois qu’il se croit le besoin d’un mot nouveau, s’il voulait bien, à ce prix, oublier qu’il existe des langues étrangères, oublier surtout le chemin du trop fameux Jardin des Racines grecques .

265. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — S’il est plus aisé, de faire une belle action, qu’une belle page. » pp. 539-539

Qu’il oublie tant qu’il lui plaira qu’il parle à des hommes sensés, il n’y a pas grand mal à cela, mais qu’il ne se souvienne jamais qu’il parle à des hommes libres, c’est une inadvertance qui blesse partout et qui est très-dangereuse dans ce pays-ci. […] Mais Mme de Meaux m’attend pour aller au Grand-Val114 ; si j’avais du génie, j’oublierais que je dois être chez elle à neuf heures, mais, hélas !

266. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Verlaine oubliait Louise Labé, la belle cordière de Lyon. […] Je n’oublie point qu’il y eut de la pique entre eux. […] Alors, sans douter plus longtemps du miracle, il oublie sa colère contre Dagobert. […] Je ne sais comment M. van Bever a oublié de citer l’étude de Verlaine, qui est amusante et même judicieuse. […] N’oublie jamais cela.

267. (1923) L’art du théâtre pp. 5-212

Ce sera le moyen d’acquitter en partie ma dette envers ces Français d’outre-mer dont je n’oublierai pas l’accueil. […] N’oublions pas que le théâtre, dans les siècles passés, fut toujours une exception. […] De bons ouvriers sans génie ; on les a déjà oubliés. […] L’une et l’autre oublient que le mot est le noyau germinateur. […] Je n’oublie pas les comédies de René Benjamin, où la poésie de Paris sourit tendrement.

268. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Mon très-cher abbé, lui dis-je, oubliez pour un moment le petit gravier qui picote votre cornée, et écoutez-moi. […] N’oublie pas ce jeune homme que tu vois par le dos proche d’elles, courbé vers le fond, et s’occupant du même travail. […] Si je m’oublie trop et trop longtemps, la terreur est trop forte ; si je ne m’oublie point du tout, si je reste toujours un, elle est trop faible. […] Encore oubliais-je de dire que sur les degrés de l’esplanade il y a des commerçants, des marins occupés à rouler, à porter, agissans, de repos ; et, tout à fait sur la gauche et les derniers degrés, des pêcheurs à leurs filets. […] Oubliez toute la droite de son clair de lune, couvrez-la et ne voyez que les rochers et l’esplanade de la gauche, et vous aurez un beau tableau.

269. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Il a commencé, je pense, voilà une douzaine d’années, en haine des brutalités et des prétentions « naturalistes », par le culte, aujourd’hui peut-être un peu oublié, de Georges Eliot. […] Et certainement j’en oublie. […] Mais, comme je vous l’indiquais, Eliot, sans être oubliée chez nous, n’est pourtant plus, depuis quelques années, un de nos grands soucis. […] Que si Henri Ibsen n’était déjà pas tout entier, quant aux idées, dans George Sand, c’est donc dans le théâtre de Dumas fils  antérieur, ne l’oubliez pas, à celui de l’écrivain norvégien  que nous achèverions de le retrouver. […] Peut-être l’auteur oublie-t-il trop que ces questions, passionnantes quand on les voit débattre par un grand philosophe ou par un grand poète, ne peuvent recevoir, d’une petite bourgeoise ou d’un honnête clergyman qu’une solution médiocre ; et peut-être nous surfait-il l’inquiétude métaphysique de l’humanité moyenne et son aptitude à philosopher.

270. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

Vous pensez bien que je m’intéresse trop sincèrement à notre cher Docteur pour l’oublier. […] Je n’ai point oublié les services que vous m’avez rendus et j’espère que la fortune me mettra bientôt en état de m’acquitter envers vous. […] Je ne saurais oublier les gens avec lesquels j’ai vécu. […] Adieu, mon cher ami, jamais je ne vous oublierai. […] Monsieur et ancien ami, je n’ai point oublié les services que vous m’avez rendus il y a vingt-deux ans.

271. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Les meubles dispersés dans l’asile nocturne, La lampe qui fumait, oubliée au soleil, Étalaient ce désordre, emblème taciturne             D’une nuit sans sommeil. […] De la gloire à ce cœur le calice est amer : Le génie est une âme, on l’oublie ; on l’admire,             Elle saurait aimer. » XIX Sa double célébrité de beauté et de génie croissait avec les saisons : dès qu’elle paraissait dans les théâtres, dans les fêtes, dans les académies, un murmure d’admiration courait dans la foule, tous les yeux se tournaient vers elle pour la contempler. […] Tu consoles les rois quand leur trône succombe, Et du pauvre oublié tu protèges la tombe ! […] Je n’oublierai jamais l’inspiration de son visage et l’émotion de sa voix quand elle nous lisait, le jour, ce qu’elle avait composé la nuit. […] Ces royautés d’esprit, cachées sous les plus humbles costumes, semblaient, devant cette mourante, oublier leurs talents et ne sentir que leur âme.

272. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

Une fois sur le chapitre du pittoresque, songeant surtout aux jardins anglais, Beyle le fait venir d’Angleterre comme les bonnes diligences et les bateaux à vapeur : le pittoresque littéraire, il l’oublie, nous est surtout venu de Suisse et de Rousseau ; mais ce qui est joli et fin littérairement, c’est la remarque qui suit : « La première trace d’attention aux choses de la nature que j’aie trouvée dans les livres qu’on lit, c’est cette rangée de saules sous laquelle se réfugie le duc de Nemours, réduit au désespoir par la belle défense de la princesse de Clèves. » Même en rectifiant et en contredisant ces manières de dire trop exclusives, on arrive à des idées qu’on n’aurait pas eues autrement et en suivant le grand chemin battu des écrivains ordinaires. […] Une de ses grandes théories, et d’après laquelle il a écrit ensuite ses romans, c’est qu’en France l’amour est à peu près inconnu ; l’amour digne de ce nom, comme il l’entend, l’amour-passion et maladie, qui, de sa nature, est quelque chose de tout à fait à part, comme l’est la cristallisation dans le règne minéral (la comparaison est de lui) : mais quand je vois ce que devient sous la plume de Beyle et dans ses récits cet amour-passion chez les êtres qu’il semble nous proposer pour exemple, chez Fabrice quand il est atteint finalement, chez l’abbesse de Castro, chez la princesse Campobasso, chez Mina de Wangel (autre nouvelle de lui), j’en reviens à aimer et à honorer l’amour à la française, mélange d’attrait physique sans doute, mais aussi de goût et d’inclination morale, de galanterie délicate, d’estime, d’enthousiasme, de raison même et d’esprit, un amour où il reste un peu de sens commun, où la société n’est pas oubliée entièrement, où le devoir n’est pas sacrifié à l’aveugle et ignoré. […] Celui-ci a tout simplement parlé de Beyle romancier comme il aurait aimé à ce qu’on parlât de lui-même : mais lui du moins, il avait la faculté de concevoir d’un jet et de faire vivre certains êtres qu’il lançait ensuite dans son monde réel ou fantastique et qu’on n’oubliait plus. […] En continuant littérairement avec originalité et avec une sorte d’invention la postérité française des Chamfort, des Rulhière, de ces hommes d’esprit qu’il rappelle par plus d’un trait ou d’une malice, Beyle avait au fond une droiture et une sûreté dans les rapports intimes qu’il ne faut jamais oublier de reconnaître quand on lui a dit d’ailleurs ses vérités.

273. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

N’oublions pas non plus l’ironie, la malice, une raillerie fine et douce comme elle paraît dans les lettres que j’ai citées. […] Puis on l’avertit que le vin est oublié, et il s’en charge, suspendant les cruchons par les anses au ceinturon de son sabre de parade : un beau manteau rouge couvre et cache le tout. […] Le poète suit les divers degrés de perfectionnement et montre à plaisir la tapisserie dont bientôt on revêtit le bois des sièges dans les anciens jours, tapisserie à l’étroit tissu, richement brodée, « où l’on pouvait voir s’étaler la large pivoine, la rose en fleur tout épanouie, le berger à côté de sa bergère, sans oublier le petit chien et le petit agneau avec leurs yeux noirs tout fixes et tout ronds, et des perroquets tenant une double cerise dans leur bec. » — Tous ces riens sont agréablement déduits et relevés de couleurs, comme le ferait au besoin l’abbé Delille ou comme un spirituel jésuite n’y manquerait pas non plus dans des vers latins. […] Là, sur la levée, se tient fermement enraciné notre bouquet d’ormes favoris, que notre regard au passage n’oublie jamais, et qui servent de rideau à la cabane solitaire du berger ; tandis que loin, à travers et par-delà le courant qui de ses flots, comme d’un verre fondu, incruste la vallée, le terrain en pente recule jusque vers les nuages, déroulant dans sa variété infinie la grâce de ses nombreuses rangées de baies, la tour carrée, la haute flèche d’où le son joyeux de la cloche vient expirer en ondulant jusqu’à l’oreille qui l’écoute, des bosquets, des bruyères, et des villages fumant dans le lointain. — Ces scènes-là doivent être belles qui, vues chaque jour, plaisent chaque jour, et dont la nouveauté survit à l’habitude et au long examen des années.

274. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

J’oubliais Henry Monnier, l’aîné de Gavarni de quelques années et son franc camarade, dont j’ai sous les yeux lettres sur lettres réclamant des costumes pour les rôles de sa femme, et parfois dans un latin macaronique transparent (Indigo vestis mihiuxoris ad proximam operam dramaticam, etc.). […] au milieu d’un paysage d’automne, agreste, hérissé et dépouillé par les premiers froids, un misérable, quelque mendiant irlandais, vêtu en lambeaux, pieds nus, qui considère de derrière une haie, dans quelque verger, un mannequin oublié, un bâton surmonté d’un chapeau et de vieux habits, planté là pour effrayer les oiseaux. […] dans ses Invalides du sentiment, il en a pourtant oublié un, ce me semble, l’invalide content, celui qui ne regrette rien, qui trotte toujours, qui n’a perdu que sa jeunesse et ses écus, et qui serait prêt, si on le lui offrait, à recommencer à l’instant sa ruine. […] Je recommande surtout le bonhomme en bonnet de nuit qui fait une réussite, et cet autre bourgeois, mécanicien amateur, en lunettes, si acharné à tourner qu’il en oublie le boire et le manger.

275. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

» Dans toutes ces scènes qu’elle a commencé à nous décrire, à partir des Horizons prochains, et où la nature occupe le premier plan, mais où les humains ne sont pas oubliés ; dans toutes les courses et promenades qu’elle fait par monts et par vaux, en rayonnant tout à l’entour ; chez toutes ces bonnes gens qu’elle visite, vignerons, bûcherons, vachers, tuiliers et autres, tous les Jacques et les Jean-Pierre des environs, — et la mère Salomé la rebouteuse, — et Marguerite la désespérée, qui craint d’avoir commis le seul péché sans pardon, le péché contre le Saint-Esprit, — et une autre Marguerite, celle à Jean-Pierre, une Baucis sèche et fervente de quatre-vingt-sept ans, — dans toutes ces historiettes à conclusion édifiante, Mme de Gasparin a fait la Légende Dorée du protestantisme, légende très-modernisée, rehaussée et enluminée, à la mode du jour, de couleurs très-réelles, et présentée sous forme de mœurs populaires ; mais le protestantisme y est, il y revient bon gré, mal gré, il ne souffre jamais qu’on le perde de vue, et l’on pourrait intituler cet ensemble de volumes déjà si variés : le protestantisme dans la nature et dans l’art au xixe  siècle. […] S’il est permis de comparer le saint au profane, je dirai que de même, quand Mme de Gasparin s’aperçoit qu’elle s’est trop plongée dans la nature, au sein du grand Pan, ou qu’elle s’est oubliée trop longtemps à écouter le merle et le rouge-gorge, vite elle met le signet de ce côté et elle donne un ton d’orgue biblique. […] Elle prend plus à cœur les beautés de l’exil ; dans cette grande et libre nature qui l’environne, elle se sent à tout moment en plein Éden, elle s’y livre en toute jouissance à des ébats turbulents, innocents ; et quand l’idée du pèlerinage lui revient — un peu tard, — si elle est franche, elle conviendra qu’elle l’avait oublié. […] L’autre chrétienne et pure catholique, l’humble fille du Cayla, avertie par tant de souffrances positives, se sent plus réellement en exil ici-bas, elle ne l’oublie jamais : elle est touchée de la nature, jamais entêtée ni enivrée.

276. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. »

Plus à ses plaisirs qu’à ses devoirs, on le voit d’abord inexact au Parlement et léger de procédé ; attendu à une cérémonie de réception et n’y venant pas, il oublie de s’excuser. […] C’est ici que se place l’influence du marquis de Valfons, quelque temps major général du prince : dans ses Souvenirs publiés et qu’on a lus avec plaisir, il n’a eu garde d’omettre les conseils qu’il avait donnés en toute occasion, et il ne s’est pas oublié ; on y prend une idée fidèle de l’état-major du prince, de son caractère indécis, de sa bienveillance un peu molle, en même temps qu’il y est rendu toute justice à son courage à la tranchée et dans l’action. […] L’avocat Barbier, vrai bourgeois, qui oubliait ce qu’il avait dit auparavant dans son propre Journal, faisait la leçon aux badauds ses compatriotes, et se la faisait à lui-même en ces termes : « (Juillet 1744.) […] Celui-ci, outré, pensait déjà à quitter l’armée, lorsque Valfons, à force d’instances, arracha de lui une lettre adroite et polie, avec demande d’explication au maréchal : il se chargea de la remettre et plaida si bien que le maréchal, dans un fourrage qu’il faisait le lendemain non loin du quartier du prince, rabattit de son côté comme par hasard, et y trouva un dîner servi qui l’attendait et où tout s’oublia.

277. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

Il serait peu généreux en toute autre circonstance de s’en souvenir et de venir rappeler des ouvrages de lui appartenant par leur nuance à la littérature la plus moderne, et qu’il semble avoir si parfaitement oubliés ; mais tout se tient, et il est des contre-coups bizarres à de longues distances. […] Sans doute, en considérant avec détail les maîtres, on aurait pu trouver plus d’une fois que l’imitateur n’avait pas tout rendu, qu’il était resté au-dessous ou pour la concision ou pour une certaine simplicité qui ne se refait pas ; c’est l’inconvénient de tous ceux qui imitent, et Horace, mis en regard des Grecs, aurait à répondre sur ces points non moins que Chénier ; mais tout à côté on aurait retrouvé chez celui-ci les avantages, là où il ne traduit plus à proprement parler, et où seulement il s’inspire ; on aurait rendu surtout justice en pleine connaissance de cause à cet esprit vivant qui respirait en lui, à ce souffle qu’on a pu dire maternel, à cette fleur de gâteau sacré et de miel dont son style est comme pétri, et dont on suivrait presque à la trace, dont on nommerait par leur nom les diverses saveurs originelles ; car, à de certains endroits aussi, ne l’oublions pas, l’aimable butin nous a été livré avant la fusion complète et l’entier achèvement. […] remy, qui préconise uniquement chez les Anciens une certaine ingénuité et simplicité qu’on ne conteste pas, mais qu’il exagère, oublie tout à fait une autre qualité qu’ils n’ont pas moins, le tenuem spiritum, comme l’appelle Horace ; ce qui faisait dire encore à Properce dans une élégie que tout à l’heure nous rappellerons : Exactus tenui pumice versus eat. […] Il n’a pas oublié non plus les bourgeons du sublime palmier d’Aratus qui embrasse les cieux…, et le frais serpolet de Théodoridas dont on couronne les amphores…, et beaucoup d’autres rejetons nés d’hier, parmi lesquels il a semé aussi çà et là les premières violettes matinales de sa propre muse.

278. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

Je n’ai pas aperçu un homme en blouse ou en bourgeron dans cette église où jadis le peuple était chez lui, où il venait oublier sa dure vie, s’enchanter d’une vision de paradis, de belles processions étincelantes de chasubles et de bannières et enveloppées d’encens comme une aurore de pourpre dans une brume d’or. […] C’est bien là qu’on oublie. Femmes du peuple qui peinez tant, voulez-vous oublier la mansarde où il fait froid et où l’on n’a pas toujours du pain, le loyer qui n’est pas payé, le mari qui vous bat quand il est ivre, les enfants morts ou mal portants, toute la douleur de vivre ? […] Messieurs, les braves gens qui raisonnent ainsi oublient une chose qu’il est important de savoir : c’est que cette vie intime, ces redoutables secrets dont ils font tant de cas, sont, pour le prêtre qui en doit prendre connaissance, à leur centième, à leur millième et peut-être à leur dix millième édition, et qu’ainsi ils deviennent non plus la pâture de sa curiosité, mais d’une héroïque patience.

279. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Émile Zola, l’Œuvre. »

Pour documents il n’a (car il s’agit toujours, ne l’oubliez pas, du second empire) que les souvenirs et les impressions de sa jeunesse, des impressions nécessairement incomplètes et effacées ou déformées par le temps. […] Trois ou quatre signes sensibles de ce détachement : le jour de leur mariage (il y a des années qu’ils sont ensemble), il ne songe pas à la traiter en mariée ; il se laisse entraîner chez Irma Bécot ; il fait poser Christine pour son grand tableau et oublie de l’embrasser après la pose. […] « Et ils dirent à Félicien qu’Angélique l’avait oublié, et ils le prièrent de ne plus venir la voir. […] L’auteur ne veut pas nous laisser oublier que, si Angélique est sage, c’est parce qu’elle brode des chasubles et qu’elle vit à l’ombre d’une vieille cathédrale, mais que, dans d’autres conditions, elle eût pu aussi bien être Nana.

280. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

Il se souvenait d’un passage de Montesquieu en parlant ainsi ; mais nous, en lisant ces simples lignes, nous oublions toute allusion secondaire. […] Napoléon l’envisage plutôt comme Volney, en observateur sévère qui n’oublie rien. […] Napoléon n’oublia rien pour les circonvenir, les flatter. […] Et puisque j’en suis à indiquer les bons juges qui ont déjà parlé de Napoléon écrivain, je n’oublierai pas M. 

281. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Discours sur l’histoire de la révolution d’Angleterre, par M. Guizot (1850) » pp. 311-331

Pour en finir donc avec ces précautions qui étaient d’ailleurs indispensables, je ne ferai pas semblant d’oublier que M.  […] Que si l’on passe ensuite de l’étude à la pratique, on est tenté d’oublier dans le présent qu’on a sans cesse à compter avec les passions et les sottises, avec l’inconséquence humaine. […] On ne saurait ici, quand on a un sentiment de citoyen, s’en tenir au simple point de vue littéraire ; car, est-il donc possible de l’oublier ? […] » C’est le même moraliste, contemporain de Cromwell, qui a dit cet autre mot si vrai et qu’oublient trop les historiens systématiques : « La fortune et l’humeur gouvernent le monde. » Entendez par humeur le tempérament et le caractère des hommes, l’entêtement des princes, la complaisance et la présomption des ministres, l’irritation et le dépit des chefs de parti, la disposition turbulente des populations, et dites, vous qui avez passé par les affaires, et qui ne parlez plus sur le devant de la scène, si ce n’est pas là en très grande partie la vérité.

282. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

Directement il l’avait vu très peu, et il nous en avertit : « Je ne le connaissais que de visage, trop jeune quand il fut exilé. » C’était assez toutefois à un tel peintre qu’une simple vue pour saisir et rendre merveilleusement le charme : Ce prélat, dit-il, était un grand homme maigre, bien fait, pâle, avec un grand nez, des yeux dont le feu et l’esprit sortaient comme un torrent, et une physionomie telle que je n’en ai point vu qui y ressemblât, et qui ne se pouvait oublier quand on ne l’aurait vue qu’une fois. […] La veille, il était l’homme du règne futur et des prochaines espérances ; aujourd’hui il n’est plus rien, son rêve a croulé, et s’il pouvait l’oublier un seul instant, le monde est là aussitôt pour le lui dire. […] Pour apprécier comme il convient le Télémaque il n’est que de faire une chose ; oubliez, si vous le pouvez, que vous l’avez trop lu dans votre enfance. J’ai eu l’an dernier ce bonheur ; j’avais comme oublié le Télémaque, et j’ai pu le relire avec la fraîcheur d’une nouveauté.

283. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

Il a tout à fait oublié en ce moment sa sœur la vitrière, à l’acte de mariage de laquelle (31 mars 1764) il se garda bien de signer. […] C’est de sa prison qu’il adressait une certaine Épître à Zélis, qu’on nous donne pour la première en date de ses compositions poétiques ; il finissait en invoquant la nuit pour remède à ses maux et en appelant quelque songe consolateur ; Ô Zélis, tu ne m’entends pas, Mais j’oublierai mon infortune En la pleurant entre tes bras ! […] N’oublions pas qu’une grande partie de l’originalité de ses critiques a péri ; joignons-y toujours la personne même de l’Aristarque qui y faisait commentaire, sa véhémence de geste et de ton, ce qu’il y avait de piquant (et même de choquant) à le voir se retourner sur des amis, des camarades de la veille, du moment qu’il y croyait le bon goût intéressé. […] Il oubliait que dans cette même chaire, environ deux ans auparavant, il avait paru, lui, La Harpe, en bonnet rouge.

284. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Et puis, nous n’oublierons jamais que la statue reste debout dans le fond. […] « Ils vinrent sur la Bidassoa agiter inutilement aux yeux de nos soldats des couleurs oubliées, et, avant d’enterrer ce drapeau qui trompait leurs espérances, ils crurent lui devoir cet honneur d’être encore une fois mitraillés sous lui. » C’est Carrel qui parle de la sorte. […] Mme Courier aurait bien désiré que le passage où se trouvait le mot d’équipée fût modifié et adouci, et elle visita Carrel : « Je vis là pour la première fois Mme Courier, me dit un témoin fidèle, et je n’oublierai jamais ni l’esprit avec lequel elle défendit sa thèse, ni la grâce parfaite de Carrel, maintenant son dire et son jugement. » Nous avançons lentement avec Carrel ; c’est que ce n’est pas un talent littéraire tout simple ni de première venue : c’est un esprit éminent, un caractère supérieur qui s’est tourné par la force des choses aux lettres, à la politique, qui s’y est appliqué avec énergie, avec adresse, et finalement avec triomphe, mais qui était plus fait primitivement, je le crois, pour devenir d’emblée un des généraux remarquables de la République et de l’Empire. […] Et puis, médecins, moralistes, vous tous qui ne faites pas des oraisons funèbres, n’oubliez pas ceci : il avait eu précédemment une maladie de foie assez grave, et il en avait gardé de l’irritabilité.

285. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

On connaît de lui ce mot employé dans une de nos plus belles tragédies : « Ta religion t’a ordonné de m’assassiner ; la mienne m’ordonne de te pardonner et de te plaindre. » Ce mot, dont on se souvient, est fort au-dessus d’une oraison funèbre qu’on oublie. […] On oublia que Marie Stuart, peu de temps après que son mari eût fait tuer son amant sous ses yeux, avait épousé l’assassin même de son mari ; et l’on ne vit que la plus belle femme de son siècle, fille, veuve, mère de roi, et reine elle-même, qui avait péri sous le fer d’un bourreau. […] En effet, qu’on suppose un orateur doué par la nature de cette magie puissante de la parole, qui a tant d’empire sur les âmes et les remue à son gré ; qu’il paraisse aux yeux de la nation assemblée pour rendre les derniers devoirs à Henri IV ; qu’il ait sous ses yeux le corps de ce malheureux prince ; que peut-être, le poignard, instrument du parricide, soit sur le cercueil et exposé à tous les regards ; que l’orateur alors élève sa voix, pour rappeler aux Français tous les malheurs que depuis cent ans leur ont causés leurs divisions et tous les crimes du fanatisme et de la politique mêlés ensemble ; qu’en commençant par la proscription des Vaudois et les arrêts qui firent consumer dans les flammes vingt-deux villages, et égorger ou brûler des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, il leur rappelle ensuite la conspiration d’Amboise, les batailles de Dreux, de Saint-Denis, de Jarnac, de Montcontour, de Coutras ; la nuit de la Saint-Barthélemi, l’assassinat du prince de Condé, l’assassinat de François de Guise, l’assassinat de Henri de Guise et de son frère, l’assassinat de Henri III ; plus de mille combats ou sièges, où toujours le sang français avait coulé par la main des Français ; le fanatisme et la vengeance faisant périr sur les échafauds ou dans les flammes, ceux qui avaient eu le malheur d’échapper à la guerre ; les meurtres, les empoisonnements, les incendies, les massacres de sang-froid, regardés comme des actions permises ou vertueuses ; les enfants qui n’avaient pas encore vu le jour, arrachés des entrailles palpitantes des mères, pour être écrasés ; qu’il termine enfin cet horrible tableau par l’assassinat de Henri IV, dont le corps sanglant est dans ce moment sous leurs yeux ; qu’alors attestant la religion et l’humanité, il conjure les Français de se réunir, de se regarder comme des concitoyens et des frères ; qu’à la vue de tant de malheurs et de crimes, à la vue de tant de sang versé, il les invite à renoncer à cet esprit de rage, à cette horrible démence qui, pendant un siècle, les a dénaturés, et a fait du peuple le plus doux un peuple de tigres ; que lui-même prononçant un serment à haute voix, il appelle tous les Français pour jurer avec lui sur le corps de Henri IV, sur ses blessures et le reste de son sang, que désormais ils seront unis et oublieront les affreuses querelles qui les divisent ; qu’ensuite, s’adressant à Henri IV même, il fasse, pour ainsi dire, amende honorable à son ombre, au nom de toute la France et de son siècle, et même au nom des siècles suivants, pour cet assassinat, prix si différent de celui que méritaient ses vertus ; qu’il lui annonce les hommages de tous les Français qui naîtront un jour ; qu’en finissant il se prosterne sur sa tombe et la baigne de ses larmes : quelle impression croit-on qu’un pareil discours aurait pu faire sur des milliers d’hommes assemblés, et dans un moment où le spectacle seul du corps de ce prince, sans être aidé de l’éloquence de l’orateur, suffisait pour émouvoir et attendrir ? […] Le sujet vous entraîne, et l’on oublie l’orateur pour ne penser qu’au héros.

286. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mémoires de Casanova de Seingalt. Écrits par lui-même. »

Les femmes que Casanova a le plus aimées, et qui l’ont le plus aimé aussi, ne meurent pas, ne menacent pas ; je ne dis point qu’elles l’oublient ni qu’elles se consolent entièrement ; mais elles lui promettent au départ de vivre et de tâcher d’être heureuses dans leur tristesse, de même qu’elles lui font promettre d’être heureux à son tour, et d’aimer encore, et de les oublier. […] je n’en serai pas jalouse ; mais je souffrirai de ne pas lui connaître un cœur tel que le mien. » Et comme ils s’oubliaient dans ces paroles et dans leurs mutuels témoignages, Lucrezia répondit à son ami, qui craignait quelque surprise : « Oh !

287. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Montalembert orateur. » pp. 79-91

Mais, à voir sa jeunesse, sa bonne grâce et son aisance, la netteté élégante et incisive de sa parole et de sa diction, on oubliait naturellement, et les juges étaient les premiers de tous à oublier, qu’on avait affaire à un accusé ; on ne voyait que les commencements d’un orateur. […] La noble Chambre fut près d’oublier un moment sa gravité dans un enthousiasme jusqu’alors sans exemple ; toutes les arrière-pensées, d’ordinaire prudentes et voilées, reconnaissant tout d’un coup leur expression éclatante, se révélèrent.

288. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

Qu’on ne l’oublie pas, le socialisme, le vrai, a pour but l’élévation des masses à la dignité civique, et pour préoccupation principale, par conséquent, l’élaboration morale et intellectuelle. […] Un jour, dans le trop bel été de 1829, un critique aujourd’hui oublié, à tort, car il n’était pas sans quelque talent, M.  […] Les chefs-d’œuvre recommandés par le manuel au baccalauréat, les compliments en vers et en prose, les tragédies plafonnant au-dessus de la tête d’un roi quelconque, l’inspiration en habit de cérémonie, les perruques-soleils faisant loi en poésie, les Arts poétiques qui oublient La Fontaine et pour qui Molière est un peut-être, les Planât châtrant les Corneille, les langues bégueules, la pensée entre quatre murs, bornée par Quintilien, Longin, Boileau et La Harpe ; tout cela, quoique l’enseignement officiel et public en soit saturé et rempli, tout cela est du passé.

289. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. de Lacretelle » pp. 341-357

Henri de Lacretelle, en nous parlant beaucoup trop des amis de Lamartine, cette pâle constellation de médiocrités comme les hommes supérieurs en voient toujours rouler autour d’eux dans la vie, et l’esprit moderne n’oublie pas sa réclame, qui est le genre d’esprit de ce gros utilitaire ! […] On se dit qu’on en aura toujours bien pour huit jours du Lamartine, de ce poète oublié et dépassé par MM. les Parnassiens, qui se donnent des airs presque méprisants avec lui ; — de ce spiritualiste qui ne peut plus convenir à d’augustes descendants de singes, qui se vantent, comme des Tufières, de leur race ; — de ce sentimental enfin qui eut la faiblesse d’avoir une âme, quand la poésie actuelle, cette rimeuse à vide, a pour force de n’en mettre nulle part. […] Oublié depuis 1872, ce livre qui se remet en position et en étalage de librairie sur le piédestal de la statue de Mâcon, y restera, jusqu’à ce qu’il disparaisse.

290. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VIII. Du mysticisme et de Saint-Martin »

La Critique ne saurait l’oublier. […] Le chef influent de cette secte était le fameux Nicolaï, le libraire prussien, assez oublié à présent, qui tenait l’opinion, la critique et la littérature sous la triple fourche de la Gazette littéraire d’Iéna, du Journal de Berlin et du Muséum Allemand. […] Il a oublié que, pour l’homme, l’abîme le plus terrible n’est pas celui qu’il a sous les pieds, mais celui qu’il a sur la tête, et que l’âme, comme le corps, meurt aussi bien de trop monter que de trop descendre.

291. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « L’Abbé Prévost et Alexandre Dumas fils » pp. 287-303

Il y avait même, oubliée et digne de l’être, une vieille pièce intitulée Manon Lescaut, et on l’a remise à la scène, on l’a recampée, ô Rocambole ! […] Charlotte Corday, l’ange exterminateur de Marat ; l’octogénaire abbesse de Montmorency, montant majestueusement ses quatre-vingts ans à la guillotine et y bénissant, avant de mourir, sa jeune porte-croix, qui va y mourir avec elle ; et les héroïques vivandières de l’Empire, la firent oublier, cette intéressante Manon ! […] Un historien ne s’oublie pas, ne s’efface pas, ne s’abolit pas, ne disparaît pas dans les faits de son histoire, comme le fameux habit du chevalier de Gramont dans les sables mouvants.

292. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Marie Desylles » pp. 323-339

Mais le caprice de cet être troublé et ambulatoire ne dura que le temps de bouleverser et de blesser la femme qui lui avait tout donné, et qui ne pouvait plus lui offrir qu’un martyre accepté par elle avec des furies de résignation entremêlées des furies du souvenir et du regret qui la rendent sublime dans quelques lettres, — selon moi les plus belles du recueil, — et d’autant plus sublime qu’il ne faut pas oublier, pour mieux comprendre sa sublimité, que Réa Delcroix est une femme de ce malheureux xixe  siècle, où l’on n’a plus que le Dieu qu’on se fait dans sa tête, quand on en a un ! Il ne faut pas oublier que, digne d’être chrétienne par son âme, en réalité elle ne l’était pas, et qu’elle se trouvait pourtant sinon la force, au moins assez d’amour pour se sacrifier à ce qu’elle ne croyait pas, et peut-être à ce qu’elle méprisait ! […] » On y trouvera, semés à profusion dans ces lettres, des mots qu’on n’oublie plus une fois qu’on les a vus écrits, — de ces mots tracés dans la séparation et qui ont la chaleur ou la fraîcheur des lèvres absentes : « Je suis veuve de toi — dit Réa — à tous les moments de ma vie ! 

293. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « I » pp. 1-8

Il oublie ce qu’il a été, lui prêtre, et parle comme ferait Voltaire ou Jean-Jacques. […] C'était bien la peine de faire tant de fracas et de prendre les choses par un si grand tour et de tant tonner contre la philosophie éclectique, laquelle, au pis, n’est qu’un déisme et spiritualisme de cette sorte. — Quant au talent lui-même, il y en a certes, mais moins que ne croient les bonnes gens qui ont oublié Raynal, et qui ne savent pas qu’il n’est pas très-difficile avec une certaine énergie de plume de faire de ces peintures qui sont partout, en leur rendant quelque puissance d’ensemble.

294. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Note »

D’ailleurs, j’avais fort étudié Rancé de longue main pour mon Port-Royal, et j’en pris occasion de dire de lui bien des choses que M. de Chateaubriand affaibli avait oubliées ou méconnues. […] Je vous demande mille pardons d’avoir oublié de vous la remettre : j’étais dans la distraction du plaisir de causer avec vous.

295. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Une âme en péril »

Il ne sait pas avec quelle rapidité nous oublions. […] Ne permettez pas que je l’oublie jamais, et sauvez-moi du péché d’orgueil.

296. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Retté, Adolphe (1863-1930) »

Le flamboiement de l’alcool brûlait dans ces ténèbres ; il y avait déjà, je ne veux pas l’oublier, des pages délicieuses ou ravagées de sauvages passions et qui donnaient le goût de grands rêves nocturnes, dans les brumes de sa flottante Thulé. […] Il a oublié Paris.

297. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « I »

Or l’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et aussi que tous aient oublié bien des choses. Aucun citoyen français ne sait s’il est Burgonde, Alain, Taïfale, Visigoth ; tout citoyen français doit avoir oublié la Saint-Barthélemy, les massacres du Midi au XIIIe siècle.

298. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le voltairianisme contemporain »

les admirateurs de Voltaire ne sont, après tout, rien de plus que les exécuteurs de son testament de putréfaction, et c’est ce qu’il ne faut pas oublier quand ils parlent si haut de leurs admirations littéraires. […] — leur défaille contre ce monstre de fausse lumière, à qui rien n’a défailli contre Dieu, et qui fit oublier une fois dans toute sa vie au grand de Maistre, monté ce jour-là à la hauteur d’un courroux de prophète, que le mépris est la colère du gentilhomme.

299. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paria Korigan » pp. 341-349

En tant que si la femme qui a inventé… ou raconté ces histoires charmantes n’y mettait pas son nom, son véritable nom, elle pouvait oublier d’en mettre un. […] Et si un tel livre, qui à toute page fait oublier qu’il en est un, n’est au fond qu’un bouquet d’histoires recueillies dans le pays de cette Luçotte, qui est, par le langage, un chef-d’œuvre de vieille paysanne bas-bretonne, il faut féliciter sincèrement la femme qui les a réunies de tous les bonheurs de sa mémoire, et d’avoir gardé si fidèlement l’âme de son pays dans son âme.

300. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Préface » pp. -

Cousin, cette pie voleuse philosophique ; — il parlait apparemment de la sienne prise à Descartes, à Reid, à Hegel, et il oubliait ces grands théologiens qui ne désossaient pas la leur de l’idée de Dieu, — non, ce n’est pas la philosophie, mais c’est le Roman qui est d’hier dans l’histoire littéraire. […] Seulement, n’oublions pas non plus, nous autres Français, que soixante-seize ans après Don Quichotte paraissait La Princesse de Clèves, bien avant que l’Angleterre, cette terre du Roman qui, en moins de deux siècles, est allée de Richardson à Walter Scott, n’eût publié les chefs-d’œuvre de Daniel Defoë et Clarisse ; Clarisse, qui est le Roman même, dans la plus splendide netteté de sa notion !

301. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

Je me lève par exemple pour ouvrir la fenêtre, et voici qu’à peine debout j’oublie ce que j’avais à faire je demeure immobile. — Rien de plus simple, dira-t-on vous avez associé deux idées, celle d’un but à atteindre et celle d’un mouvement à accomplir : l’une des idées s’est évanouie, et, seule, la représentation du mouvement demeure. […] Il ne faut pas oublier en effet que cette figure, véritable dédoublement de notre activité psychique dans l’espace, est purement symbolique, et, comme telle, ne pourra être construite que si l’on se place dans l’hypothèse d’une délibération achevée et d’une résolution prise. […] C’est ce que défenseurs et adversaires du libre arbitre oublient également — les premiers quand ils affirment et les autres quand ils nient la possibilité d’agir autrement qu’on a fait. […] Mais nous oublions alors que les états de conscience sont des progrès, et non pas des choses ; que si nous les désignons chacun par un seul mot, c’est pour la commodité du langage ; qu’ils vivent, et que, vivant, ils changent sans cesse ; que, par conséquent, on ne saurait en retrancher quelque moment sans les appauvrir de quelque impression et en modifier ainsi la qualité. […] Ce serait oublier que les éléments psychologiques, même les plus simples, ont leur personnalité et leur vie propre, pour peu qu’ils soient profonds ; ils deviennent sans cesse, et le même sentiment, par cela seul qu’il se répète, est un sentiment nouveau.

302. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Cette description, savante et précise dans ses moindres détails, semble d’abord n’avoir d’autre but qu’elle-même ; vous la croiriez faite uniquement pour montrer le talent du peintre, qui, certainement, s’y oublie. […] Même le souvenir, pour lui, se revêt trop du prosaïsme de l’action journalière ; il oublie que le souvenir rend aux choses, en les résumant et les condensant, en quelque sorte, tout le prix qu’elles perdaient par le fractionnement quotidien. […] En tant que phénomène « sociologique », le succès de ces vers funambulesques, présentés comme une « philosophie » par ceux qui trouvent que Victor Hugo n’a pas d’idées, serait inquiétant pour l’avenir de notre pays, si les Français n’étaient aussi prompts à oublier ce qu’ils ont applaudi que les enfants à oublier la parade de la foire devant laquelle ils ont battu des mains. […] J’oublias que je conte une histoire ; Mais en parlant de moi, lecteur, je fais l’aveu, Je parle d’Olivier qui me ressemble un peu. […] Richepin a trop oublié ce qu’il avait écrit lui-même : Assez !

303. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

Si vous voulez sérieusement devenir un grand poète théâtral, vous en êtes le maître ; mais ne faites plus de tragédie, faites le drame ; oubliez l’art français, grec ou latin, et n’écoutez que la nature. […] Monsieur », me dit-elle, « je vous demande pardon si je vous ai affligé ; oubliez ce que j’ai dit. […] Il fallait confondre leur nom avec tous ces bienfaits et toutes ces gloires de la paix qui attachent un peuple à ses princes par le bien-être, et qui lui font oublier, dans la sérénité d’un règne pacifique, les éblouissements d’une dictature de héros. […] Non, je ne vous veux pas contraindre à l’oublier. […] Ces hérésiarques ne veulent que l’émotion, ils oublient que l’émotion par le laid s’appelle tout simplement l’horreur.

304. (1774) Correspondance générale

Oubliez ce que je vous en dis et soyez sûr que je ne vous en parlerai plus. […] Ne m’oubliez pas auprès de M.  […] Non, je n’ai jamais oublié la promesse que je vous ai faite. […] Pardonnez-moi, madame ; j’oubliais que j’ai été témoin aussi de votre habileté à cet égard. […] Ne me laissez pas oublier de M. le comte de Munich.

305. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

Zola a été dépassé d’un coup, et l’on a presque oublié Balzac. […] Comme la morte de Savigny fut vite oubliée ! […] Enfin il faut avoir le courage de le dire : Chateaubriand a oublié parce que c’est l’essence de l’amour d’oublier. […] Il faudrait, en un mot, pour bien écrire, oublier que l’on écrit. […] Salammbô a fait oublier le Roman de la Momie.

306. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

LXIV Chateaubriand crut, comme un enfant, que le poëme épique pouvait renaître et conquérir un renom impérissable à son auteur, pourvu qu’il eût un grand talent ; il oublia du même coup le fond qui était la foi, et la forme qui était le vers, forme idéale et parfaite du langage humain. […] Le public ravi y fut un moment trompé ; il crut que la religion chrétienne avait produit son fruit littéraire, et que l’homme du christianisme allait faire oublier l’Homère de l’Olympe, mais cette séduction du talent ne fut pas longue ; on reconnut bientôt que l’enfer sans terreur et le paradis sans espérance n’étaient que des parodies sans réalité des enfers et du paradis païens, mille fois moins intéressants que ceux de Virgile et d’Homère, car ils étaient sans foi ; cela ressemblait à tous ces enfers et à tous ces cieux dont les peintres modernes barbouillaient les dômes des églises en imitant ridiculement Michel Ange, et où la perfection des contours ne produisait pas même l’illusion de la réalité. […] Le poëme épique littéraire pouvait peut-être prolonger un moment l’illusion de son existence par quelque chef-d’œuvre de langue, que les hommes, comme les Romains du temps d’Auguste, liraient comme ils lurent Virgile, sans croire à ses miracles, mais en croyant à son génie ; mais, pour cela, il fallait que l’ouvrage fût écrit en vers, et en vers tellement inimitables que la perfection de la forme fît oublier l’imperfection du sujet. […] L’homme est homme, il pardonne, mais il n’oublie pas. […] On ne peut l’oublier, il perdit les Bourbons, mais il les illustra.

307. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur de Latouche. » pp. 474-502

N’oublions pas que Latouche avait vingt ans en 1805 : on ne saurait s’étonner que son adolescence et sa première jeunesse, passées sous le Directoire et le Consulat, aient souffert des études si négligées de cette époque. […] Il a eu tout le temps depuis d’oublier sa tragédie et de faire sa fortune dans le commerce. […] Ces fleurs se nomment en allemand Wergiss mein nicht, Ne m’oubliez pas ! […] Il souffrait beaucoup, ci oyez-le, et ne l’oubliez jamais. […] Puis il s’irritait d’oublier qu’elle est périssable.

308. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Michelet » pp. 167-205

Que Montaigne doutât, il veut bien l’innocenter de son doute, mais Pascal, il le trouve coupable du sien, et il oublie Byron, qui écrivait : « Le doute est le nec plus ultra de la foi humaine », et Chateaubriand, qui ne doutait pas, et qui n’est probablement resté chrétien que par le sentiment de l’honneur, traitant de gentilhomme à Dieu ! […] Il l’oublie. […] Il avait donc oublié cela, lui, le moraliste aux petites entrailles ? […] Il n’y a pas dans ce Cours une idée de plus que celles qui circulent dans l’Histoire de France des dernières années ; car, il ne faut pas l’oublier, il y a deux temps dans l’esprit de Michelet : le temps où toujours magicien, du talent le plus adorable et le plus exécrable tour à tour, il écrit l’Histoire avec la magie de la vérité, et le temps où il l’invente avec la magie du mensonge… Or, s’il n’y a pas dans ce Cours un Michelet nouveau, il y a un Michelet intégral et concentré. […] — des théâtres du Moyen Âge, qui exaltaient l’amour des choses saintes et resserraient l’union du peuple dans la communauté d’une même foi, et il n’a oublié qu’une seule chose : c’est que le théâtre, au Moyen Âge, avec ses Mystères et ses Légendes, n’était que la conséquence d’un état de sentiments et de mœurs qu’aujourd’hui il faudrait créer pour sauver la France et pour laquelle ni lui, Michelet, ni personne parmi ceux qui se targuent de la régénérer, n’apporte un moyen de salut nouveau, absolu, infaillible, et dont la Libre Pensée puisse dire : « Ceci est à moi, car je l’ai trouvé ! 

309. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXI. »

Ne l’oublions pas, toutefois : si l’Italie elle-même avait alors porté ses pensées plus haut, Pétrarque était digne de lui servir d’interprète. […] On n’avait pas oublié le débordement de la conquête turque sous Mahomet II, et comment de Constantinople le sultan menaçait déjà Rome quand la mort l’arrêta. […] Ne l’oublions jamais ; supplions la science et la poésie, tout ce qui reste d’organes à la raison publique de le redire sans cesse : ces beaux climats de l’Ionie, ces deux rives du Bosphore, cette ceinture asiatique de l’Europe, n’attendent pour revivre que le souffle et les arts du monde chrétien. […] La Fontaine eût-il mieux dit que ces vers du poête orgueilleux trébuché de si haut  : Quand le bœuf est, au soir, du labeur deslié, Il met près de son joug le travail oublié, Et dort sans aucun soin, jusqu’à tant que l’aurore Le réveille, au malin, pour travailler encore ; Mais nous, pauvres chétifs, soit de jour, soit de nuit, Tousjours quelque tristesse épineuse nous suit. […] Ces tons élevés et purs, rencontrés par Malherbe, allaient susciter d’autres accents pareils ; Racan, Maynard et d’autres oubliés aujourd’hui trouvaient çà et là, dans quelques vers, la douceur et la majesté du mode lyrique, et cette mélodie, cette voix émue de l’âme solitaire, qui, moins naturelle au dix-septième siècle que l’éloquence du drame, devait cependant s’y mêler, pour jeter parfois sur cette éloquence d’admirables éclairs.

310. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Le sage n’oublie point surtout que s’il est un respect extérieur que les talents doivent aux titres, il en est un autre plus réel que les titres doivent aux talents. […] Parmi les grands seigneurs les plus affables, il en est peu qui se dépouillent avec les gens de lettres de leur grandeur vraie ou prétendue jusqu’au point de l’oublier tout-à-fait. […] Mais ce que les grands ne doivent point oublier quand ils veulent faire du bien aux lettres, c’est que la considération personnelle est la récompense la plus réelle des talents, celle qui met le prix à toutes les autres ou même qui en tient lieu. […] Ce n’est point à votre naissance que je rends hommage, ce serait mettre vos ancêtres à votre place, et oublier que j’écris à un philosophe. […] Moins j’ai cherché les bienfaiteurs, moins je dois oublier ceux qui ont voulu être les miens ; et les grâces dont sa majesté m’a honoré, toujours présentes à mon cœur, me rappelleront sans cesse ce que je dois au ministre qui me les a obtenues.

311. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

, lesquels faillirent bien d’être interrompus dans le journal qui s’était oublié au point de les accepter, et tant il ennuya messieurs les abonnés, ce chef-d’œuvre ! […] … Il est dans le destin des romans d’aventures d’être vite oubliés. […] et sans la tendre admiration de Paul Féval, et peut-être sa reconnaissance d’âme sauvée, Brucker courait probablement la chance d’être aujourd’hui tout à fait oublié. […] … Ils ne la dédaignaient pas ; ils l’oubliaient. […] Seulement, des servantes qu’elles étaient pour lui, il en fit les servantes du Dieu, qu’il n’avait jamais nié, mais qu’il avait oublié parfois.

312. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

En même temps, André Chénier touche à un défaut trop réel chez Malherbe, la stérilité d’invention et d’idées : Au lieu, dit-il, de cet insupportable amas de fastidieuse galanterie dont il assassine cette pauvre reine, un poète fécond et véritablement lyrique, en parlant à une princesse du nom de Médicis, n’aurait pas oublié de s’étendre sur les louanges de cette famille illustre qui a ressuscité les lettres et les arts en Italie, et de là en Europe. […] Tranchant, exclusif, grondeur, bourru même, avare ou du moins positif, cynique parfois, n’oublions jamais le bon sens qui se mêle à ses saillies et qu’il observe toujours jusque dans ses accès d’enthousiasme et d’orgueil. […] Racan était doué d’une naïveté charmante et d’une élévation naturelle : mais distrait, paresseux, modeste à l’excès, privé trop tôt des conseils de Malherbe et abandonné à son instinct, il vécut au hasard, s’oublia volontiers aux champs, et n’eut que des accidents de génie dont j’ai noté les meilleurs. […] Tout au contraire de Racan, il se tourmente et se consume autant que l’autre se distrayait aisément et s’oubliait : « Je suis venu trop tôt ou trop tard au monde, s’écriait-il ; tout autre siècle que celui-ci eût rougi de me laisser vieillir dans le village. » Sa plus grande crainte est de passer pour gascon et pour avoir des gasconismes dans son langage ; il est le premier à demander grâce et à s’excuser de ses rudesses ; mais, si on le prend au mot et qu’on paraisse lui en trouver en effet, il prétend aussitôt qu’il n’en a pas, et il met au défi toute l’Académie pour la politesse de la diction et l’exactitude.

313. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Ce sont deux jeunes militaires, ne l’oublions pas ; ils parlent de tout, même de femmes. […] Toutefois, sur cette protestation de son peu d’étude et de lecture, Mirabeau n’est pas dupe et n’est crédule qu’à demi : « Vous ne lisez point, me dites-vous, et vous me citez tous les mots remarquables de nos maîtres ; cela me rappelle Montaigne qui soutient partout qu’il craint d’oublier son nom tant il a peu de mémoire, et nous cite dans son livre toutes les sentences des anciens. » — S’il convie son ami à s’ouvrir à lui, il lui donne largement l’exemple et ne se fait pas faute de se déclarer. […] Il voit son ami s’oublier à Bordeaux depuis un an, attaché par quelques liaisons qu’il appelle chaque fois des passions éternelles. […] avez-vous oublié qu’il est un pays où vous trouveriez les mêmes plaisirs avec plus de variété, sans quitter le soin de votre fortune, ni celui de cultiver votre esprit, et sans séparer, comme vous faites, les objets de vos passions ?

314. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Dominique de Bray (c’est son nom complet) est un noble qui, par sa simplicité, oublie et fait oublier qu’il l’est. […] Fromentin en analyse finement les progrès : « L’absence, dit-il, a des effets singuliers… L’absence unit et désunit, elle rapproche aussi bien qu’elle divise, elle fait se souvenir, elle fait oublier ; elle relâche certains liens très solides, elle les tend et les éprouve au point de les briser ; il y a des liaisons soi-disant indestructibles dans lesquelles elle fait d’irrémédiables avaries ; elle accumule des mondes d’indifférence sur des promesses de souvenirs éternels. […] Il y a là une certaine journée d’avril, un jeudi (car n’oublions pas qu’il est encore au collège), qui est toute une révélation de tendresse et une explosion continuelle d’émotions délicieuses.

315. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Je vous avoue que je ne me consolerai jamais de voir tout ce que je vois, faute de crédit. » Voilà ce qu’il ne faut jamais oublier quand on juge Catinat sur ces dernières campagnes de Piémont en 1694, 1695. […] Je me recueillerai et me soutiendrai de toutes mes forces pour rendre mes services utiles dans les opérations de guerre auxquelles on se prépare, et je n’oublierai rien pour effacer la mauvaise satisfaction que Sa Majesté a témoignée de mes services pendant cette campagne. […] Il avait de l’esprit, un grand sens, une réflexion mûre ; il n’oublia jamais le peu qu’il était. […] Toutes les fois qu’une vertu morale éclate dans les camps, un désintéressement parfait, une abnégation simple — et, par exemple, ce qu’on a vu de nos jours, un général en chef remplacé et servant avec dévouement, avec joie, sous son successeur ; — toutes les fois que le guerrier, heureux ou malheureux, pensera plus à son pays qu’à lui-même et qu’il s’oubliera en servant, on dit et l’on dira par une appellation bien méritée et toute française : C’est du Catinat 86.

316. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

On se familiarise aisément avec le malheureux ; et il se trouve sans cesse dans la dure nécessité de se rappeler sa dignité d’homme, s’il ne veut que les autres l’oublient. […] Que celui que le chagrin mine s’enfonce dans les forêts ; qu’il erre sous leur voûte mobile ; qu’il gravisse la colline, d’où l’on découvre d’un côté de riches campagnes, de l’autre le soleil levant sur des mers étincelantes, dont le vert changeant se glace de cramoisi et de feu ; sa douleur ne tiendra point contre un pareil spectacle : non qu’il oublie ceux qu’il aima, car alors ses maux seraient préférables ; mais leur souvenir se fondra avec le calme des bois et des cieux : il gardera sa douceur et ne perdra que son amertume. […] Quant à madame de Chateaubriand, déjà oubliée depuis plusieurs années, il l’avait entrevue à Paris et l’avait de nouveau négligée. […] L’écrivain oublia trop vite l’infériorité du diplomate.

317. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIe entretien. Sur la poésie »

et quand la contemplation extatique de l’être des êtres lui fait oublier le monde des temps pour le monde de l’éternité, enfin quand, dans ses heures de loisir ici-bas, il se détache sur l’aile de son imagination du monde réel pour s’égarer dans le monde idéal, comme un vaisseau qui laisse jouer le vent dans sa voilure et qui dérive insensiblement du rivage sur la grande mer, quand il se donne l’ineffable et dangereuse volupté des songes aux yeux ouverts, ces berceurs de l’homme éveillé, alors les impressions de l’instrument humain sont si fortes, si inusitées, si profondes, si pieuses, si infinies dans leurs vibrations, si rêveuses, si extatiques, si supérieures à ses impressions ordinaires, que l’homme cherche naturellement pour les exprimer un langage plus pénétrant, plus harmonieux, plus sensible, plus imagé, plus crié, plus chanté que sa langue habituelle ; et qu’il invente le vers, ce chant de l’âme, comme la musique invente la mélodie, ce chant de l’oreille, comme la peinture invente la couleur, ce chant des yeux, comme la sculpture invente les contours, ce chant des formes ; car chaque art chante pour un de nos sens, quand l’enthousiasme, qui n’est que l’émotion de sa suprême puissance, saisit l’artiste. […] Je ne t’oublierai pas, ô île consacrée par les visions du disciple bien-aimé, heureuse Pathmos ! […] « Monsieur l’abbé, lui dit-il un jour, en se plaignant de son peu d’empressement à lui complaire, vous voulez être oublié, vous le serez. » VI Fénelon fut oublié, en effet, dans la distribution des faveurs de l’Église.

318. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Si nos lecteurs n’ont pas tout à fait oublié un charmant Portrait, que nous avons cité autrefois, d’une grande dame du xviie  siècle, se dépeignant elle-même, la marquise de Courcelles4, ils peuvent se représenter les deux tons et les deux siècles dans leur parfaite opposition : d’un côté, la grâce fine, délicieuse et légère ; de l’autre, des traits plus fermes, plus dessinés, nullement méprisables, et un tour de grâce auquel il ne manque qu’une certaine négligence aisée et naturelle. […] Il oubliait quelquefois ce nom même de Marianne, et ne savait plus comment la nommer en lui écrivant ; elle avait besoin de le lui rappeler. […] J’ai oublié pendant ce temps Mme de La Tour, et peu s’en faut qu’à son passage à Paris, Rousseau ne l’ait oubliée lui-même.

319. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

Le cerveau fut tout chez lui, et la nature, qui avait doublement doué son généreux oncle, oublia ici totalement le cœur. […] Je m’acquitte de l’amour que je vous dois, mais je déclare en même temps que je m’en acquitte. » Chez Fontenelle, ne l’oublions pas, il y a le Normand encore qui se trahit et perce à travers le galant, l’homme positif qui sait le taux des choses et qui vise au solide. […] Le grand esprit de Fontenelle les a plus tard recouverts et fait oublier. — Non pas. […] Ces exemples rares, et tous deux étrangers, semblent mériter qu’on ne les oublie pas.

320. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Comment ose-t-on se flatter de dévoiler ces mystères sans autre guide que son imagination, et comment fait-on pour oublier que l’effet est le seul moyen de connaître la cause ? […] Buffon savait peu la botanique : « J’ai la vue courte, disait-il ; j’ai appris trois fois la botanique, et je l’ai oubliée de même : si j’avais eu de bons yeux, tous les pas que j’aurais faits m’auraient retracé mes connaissances en ce genre. » Il semblait que, taillé en grand par la nature, il lui coûtât de se baisser pour étudier les petites choses : le cèdre du Liban, il le contemplait volontiers, mais l’hysope lui paraissait trop petite. […] Ainsi, parlant de la fauvette babillarde, de cet oiseau au caractère craintif et si prompt à s’effrayer, il dira : Mais l’instant du péril passé, tout est oublié, et le moment d’après notre fauvette reprend sa gaieté, ses mouvements et son chant. […] Le Président était presque aveugle, et il était si vif que, la plupart du temps, il oubliait ce qu’il voulait dicter, en sorte qu’il était obligé de se resserrer dans le moindre espace possible. » C’est ainsi qu’il expliquait ce qu’il paraît y avoir parfois d’écourté dans le langage de Montesquieu.

321. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Notice historique sur M. Raynouard, par M. Walckenaer. » pp. 1-22

Il était de Brignoles, n’oublions jamais cela en le jugeant. […] Jeune, dans les intervalles de son métier d’homme de loi, il faisait en français des vers un peu comme en faisait en latin le chancelier de L’Hôpital (lesquels vers, en général, ne sont pas trop bons ni très poétiques) ; et, à propos de L’Hôpital, il n’avait garde d’oublier le passage où l’illustre chancelier, dans le récit de son voyage à Nice, a célébré le territoire de Brignoles et surtout les excellentes prunes « dont la renommée est répandue dans le monde entier ». […] Napoléon, qui se connaissait en héros et qui savait l’étoffe dont ils sont faits, insiste sur ce point que le héros d’une tragédie ne doit pas l’être de pied en cap, qu’il doit, pour intéresser, rester un homme ; et ici, sans s’en douter et en croyait n’être que classique, Napoléon se rapproche du point de vue de Shakespeare, chez qui il y a des hommes toujours, et point de héros : L’auteur, dit-il, paraît surtout avoir oublié une maxime classique, établie sur une véritable connaissance du cœur humain : c’est que le héros d’une tragédie, pour intéresser, ne doit être ni tout à fait coupable ni tout à fait innocent. […] Fauriel, Raynouard, rendant compte d’une publication de ce jeune érudit dans le Journal des savants (août et septembre 1833), disait, en terminant : Mais dans ces recherches, dans ces discussions auxquelles de jeunes littérateurs sont pareillement appelés à se livrer avec nous tous vétérans des études, n’oublions jamais, ni les uns ni les autres, qu’il s’agit de discuter et non de disputer.

322. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

Il oublia ce qu’avaient su et ce qu’avaient eu à faire Richelieu ou Louis XIV au début. […] Machiavel, au contraire (ne l’oublions pas dans la comparaison des deux génies), vivait dans un temps et dans un pays où il y avait par jour, pour les individus comme pour les cités, plus de trente manières d’être détruit et de périr. […] Buffon, si opposé à cette manière d’écrire, l’expliquait chez Montesquieu par le physique ; « Le président, disait-il, était presque aveugle, et il était si vif, que la plupart du temps il oubliait ce qu’il voulait dicter, en sorte qu’il était obligé de se resserrer dans le moindre espace possible. » Montesquieu est convenu lui-même qu’en causant, s’il sentait qu’il était écouté, il lui semblait dès lors que toute la question s’évanouissait devant lui. […] Dans L’Esprit des lois, Montesquieu paraît trop oublier que les hommes, les Français restent tels qu’il les a vus et peints dans les Lettres persanes, et, bien qu’il parle continuellement, et avec une conviction vertueuse, de gouvernement modéré, il ne se dit pas assez tout bas que cette modération n’est pas de ces qualités qui se transplantent.

323. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Les bons ouvrages, selon lui, ne doivent point être connus par extraits, mais doivent être lus : « Les mauvais ouvrages n’ont d’autre besoin que d’être oubliés. […] En ouvrant aujourd’hui les volumes de Grimm, n’oublions pas que ses feuilles ont été primitivement écrites pour des étrangers. […] Cependant le monde ne va ni plus ni moins, et l’influence des opinions les plus hardies est équivalente à zéro. » Grimm se trompe ; en attribuant toute la morale publique aux institutions et à la législation d’un peuple, il oublie que, dans les intervalles de relâchement, les livres ont grande influence. […] Au milieu de ces conversations où elle s’oubliait, elle se levait tout à coup et disait gaiement qu’il fallait vaquer au gagne-pain : elle appelait ainsi les affaires et le métier de roi.

324. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

Necker, en rentrant dans la politique, conserve toute son honnêteté et sa pudeur première, mais il retrouve sa susceptibilité, sa « fière raison », son « cœur orgueilleux » (c’est lui qui les nomme ainsi), ce dédain qu’il oublie aisément dans une méditation solitaire et tranquille, mais qui se réveille en présence des hommes. […] Je ne vous oublierai point, vous qui m’avez fait jouir pendant un moment des délices d’un siècle, vous mes seuls bienfaiteurs ! […] Necker était oublié. […] Dans cet écrit publié par lui et destiné à la combattre, il énumérait tous les titres qu’il avait à la reconnaissance de la nation, et n’oubliait pas d’y ajouter les comptes d’argent.

325. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre X. »

Par une singularité dont il n’existe pas d’exemple ailleurs, les premiers poëtes tragiques, Phrynicus, Eschyle, Sophocle, eurent pour successeurs immédiats au théâtre leurs fils, oubliés de l’avenir, mais plusieurs fois couronnés par les contemporains. […] Cicéron, si jaloux de rendre en iambes latins des monologues de Sophocle, pouvait-il oublier le poëte grec qui aurait uni à l’enthousiasme de l’ode la puissance du drame tragique ? […] N’oublions pas ce qu’atteste l’histoire : ces jeux de force, de vaillance et d’agilité, ces quatre grandes écoles d’Olympie, de Delphes, de l’Isthme et de Némée préparaient et inspiraient la race des vainqueurs de l’Asie. […] Eschyle, plus heureux, faisait plus encore : il avait contribué de son bras à la victoire qu’il célébrait ; et plus tard, dans l’épitaphe qu’il s’était faite, il oubliait ses poëmes immortels, pour ne se souvenir que de ses services guerriers : « Ci-gît Eschyle, fils d’Euphorion, Athénien mort dans la fertile contrée de Géla.

326. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

En regard du côté brillant, il laisse voir le côté sacrifié, qu’on serait tenté d’oublier ou de faire moindre qu’il ne fut réellement. […] Je vous prie en grâce de me faire savoir vos projets, je n’oublierai pas l’affaire de M… — Adieu. […] Vous savez pourtant que vous occupez bien souvent mes pensées, et, s’il était possible de vous oublier, vous nous faites donner de vos nouvelles par la Renommée. […] Mais vous, mais vous, ne m’oubliez jamais, car je vous aime jusqu’au fond de l’âme, et c’est de moi dont je douterais et non pas de vous, si vous étiez mal pour moi. — Tout ce qui m’entoure vous aime et vous admire. […] — Je vous attends ce soir jusqu’à dix heures. — Il faut absolument que je parle avec vous. — Vous n’oubliez pas que vous dînez chez moi samedi.

327. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXIX » pp. 117-125

On se souvient encore et l’on raconte que, dans son zèle pour la christianisation au moins apparente et officielle de l’Université, Cousin avait, il y a quelques années, rédigé, — oui, rédigé de sa propre et belle plume un catéchisme : cet édifiant catéchisme était achevé, imprimé déjà et allait se lancer dans tous les rayons de la sphère universitaire, quand on s’est aperçu tout d’un coup avec effroi qu’on n’y avait oublié que d’y parler d’une chose, d’une seule petite chose assez essentielle chez les catholiques : quoi donc ? […] — Aujourd’hui que les questions et les passions politiques trop flagrantes sont apaisées, qu’il y a lieu à des débats plus théoriques et de principes, que le sac de l’archevêché est oublié, et que le clergé, en reparaissant, n’a plus peur de se faire lapider dans les rues, il ose extrêmement : il ose d’autant plus qu’une portion notable s’est ralliée à la dynastie de Juillet, et qu’en réclamant ce qu’il croit son droit, il le demande de plus presque au nom des services rendus.

328. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale. »

Les parents adoptent donc, presque toujours par calcul autant que par inclination, cette sorte de dignité qui se voile ; ils veulent être jugés par ce qu’ils cachent, ils veulent qu’on se rappelle leurs droits à l’instant même où ils consentent à les oublier ; mais ce prestige, comme tous, ne peut faire effet que pendant un temps. […] L’éducation, sans doute, influe beaucoup sur l’esprit et le caractère, mais il est plus aisé d’inspirer à son élève ses opinions que ses volontés ; le moi de votre enfant se compose de vos leçons, des livres que vous lui avez donnés, des personnes dont vous l’avez entouré, mais quoique vous puissiez reconnaître partout vos traces, vos ordres n’ont plus le même empire ; vous avez formé un homme, mais ce qu’il a pris de vous est devenu lui, et sert autant que ses propres réflexions à composer son indépendance : enfin, les générations successives étant souvent appelées par la durée de la vie de l’homme à exister simultanément, les pères et les enfants, dans la réciprocité de sentiments qu’ils veulent les uns des autres, oublient presque toujours de quel différent point de vue ils considèrent le monde ; la glace, qui renverse les objets qu’elle présente, les dénature moins que l’âge qui les place dans l’avenir ou dans le passé.

329. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Kahn, Gustave (1859-1936) »

Le poète doit, après avoir su, oublier, « être comme un ignorant pourvu d’excellents appareils pour clicher tout ce qui se passera en lui ». […] Edmond Pilon On oublie trop communément que M. 

330. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mallarmé, Stéphane (1842-1898) »

Achille Delaroche Pour la première fois depuis Racine (on n’oublie pas André Chénier, Vigny, Baudelaire, qui le furent par hasard), le poète se révéla maître, non héraut servile de l’inspiration, la dominant, la dirigeant à son gré vers le but assigné. […] Je ne l’oublie pas.

331. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre X. Zola embêté par les jeunes » pp. 136-144

Émile Zola le reproche de stagnation, sans oublier le caractère de son grand œuvre. […] Dans les seules lettres françaises, ils s’appellent Charles Sorel, Furetière, Saint-Évremond, Le Sage, Restif, Laclos, Balzac, Flaubert, et ceux que j’oublie.

332. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Laurent Tailhade à l’hôpital » pp. 168-177

Il lui arrive quelquefois d’oublier un nom en route, le temps d’une édition nouvelle. […] Pour François Coppée, il ne faut pas oublier qu’il a découvert Albert Samain et Pierre Louÿs.

333. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 33, de la poësie du stile dans laquelle les mots sont regardez en tant que les signes de nos idées, que c’est la poësie du stile qui fait la destinée des poëmes » pp. 275-287

C’est ainsi qu’un homme aimable en présence fait oublier ses défauts et quelquefois ses vices durant les momens où l’on est seduit par les charmes de sa conversation. Il réussit même souvent à nous les faire oublier dans la définition generale de son caractere.

334. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 30, objection tirée des bons ouvrages que le public a paru désapprouver, comme des mauvais qu’il a loüez, et réponse à cette objection » pp. 409-421

Aussi dès que le temps de la nouveauté s’est écoulé, dès que la conjoncture qui soutenoit la piece est passée, le public oublie pleinement ces farces, et les comédiens qui les ont joüées ne s’en souviennent plus, ce qui prouve, olim cùm stetit nova, … etc. . […] La Phedre de Pradon, que le public méprise tant aujourd’hui, et pour dire encore plus, qu’il a si parfaitement oubliée, eut d’abord un succès égal à celui de la Phedre de Racine.

335. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Wallon »

n’oublions jamais que nous sommes des cuistres !  […] nous ne l’oublierons pas.

336. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XV. De Tacite. D’un éloge qu’il prononça étant consul ; de son éloge historique d’Agricola. »

Les recherches des délateurs nous ont ôté jusqu’à la liberté de parler et d’entendre, et nous eussions perdu le souvenir même avec la voix, s’il était aussi facile à l’homme d’oublier que de se taire44. » Il se représente ensuite, au sortir du règne de Domitien, comme échappé aux chaînes et à la mort, survivant aux autres, et, pour ainsi dire, à lui-même, privé de quinze ans de sa vie, qui se sont écoulés dans l’inaction et le silence, mais voulant du moins employer les restes d’un talent faible et d’une voix presque éteinte, à transmettre à la postérité et l’esclavage passé, et la félicité présente de Rome. « En attendant, dit-il, je consacre ce livre en l’honneur d’Agricola mon beau-père ; et dans ce projet ma tendresse pour lui me servira ou d’excuse, ou d’éloge45. » Alors il parcourt les différentes époques de la vie de son héros, peignant partout comme il sait peindre, et montrant un grand homme à la cour d’un tyran, coupable par ses services même, forcé de remercier son maître de ses injustices, et obligé d’employer plus d’art pour faire oublier sa gloire, qu’il n’en avait fallu pour conquérir des provinces et vaincre des armées.

337. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIIe entretien. Revue littéraire de l’année 1861 en France. M. de Marcellus (1re partie) » pp. 333-411

Je remarquai, avant tout, ses vêtements d’homme asiatiques, dont l’adoption, l’avouerai-je, ne me parut pas ridicule ; bientôt même mes yeux et mon esprit s’y habituèrent au point d’oublier le sexe de mon hôte, et ce n’était pas l’habit seul qui prêtait à l’illusion. […] Je n’oublierai de longtemps ce repas offert par une Anglaise à un Français sur un pic du Liban. […] Je l’ai fait conduire dans le désert, vers la ville qu’il dit avoir découverte ; il me doit bien des facilités apportées à son voyage, et il s’en est montré peu reconnaissant ; mais je sais oublier les ingrats. J’ai bien oublié un voyageur plus célèbre, qui porte le même nom, et qui fut l’ami de mon oncle. […] Elle quitta l’Angleterre et l’Europe, et les oublia dédaigneusement.

338. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

Il allait, entouré de terreur, de poésie et de toute puissance… il tombe, il est oublié, il est mort ! […] un genre de comédie que nous avons oublié et qui était si bien nommé par les rhéteurs latins. […] En le voyant, on oubliait le genre homo. […] Ainsi il eut bientôt oublié son mariage forcé et cette pauvre Gillette qui l’aimait tant. […] C’est ainsi qu’un homme de beaucoup d’esprit, notre contemporain, M. de Vaulabelle, avec quelques vers d’une comédie oubliée de M. de Boissy, a composé une agréable petite comédie, oubliée à son tour : L’Ami de la maison.

339. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mélanges de critique religieuse, par M. Edmond Scherer » pp. 53-66

Lamennais, en prédisant un tel renouvellement social, a l’air de s’oublier, il ne s’oublie pas ; car il est le précurseur, le saint Jean-Baptiste, ou le saint Jean évangéliste de cette révélation nouvelle, il est la trompette éclatante, et pour qui ne hait rien tant que le silence, c’est là un rôle assez grand. […] Le retrouvant au printemps de 1846, il avait oublié quelques critiques de moi un peu vives, et me les avait pardonnées ; il me parut aimable, gai, comme il l’était volontiers dans ses bonnes heures, fécond de vues et jeune d’esprit ; et entre autres choses, il me dit ces propres paroles qui étaient une manière d’apologie en réponse à des objections qu’il devinait au-dedans de moi et que je me gardais bien d’exprimer ; je ne donne d’ailleurs l’apologie que pour ce qu’elle vaut : « J’ai reçu de la Providence, me disait-il, une faculté heureuse dont je la remercie, la faculté de me passionner toujours pour ce que je crois la vérité, pour ce qui me paraît tel actuellement.

340. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre III. Des idées générales et de la substitution à plusieurs degrés » pp. 55-71

. — Pour remédier à cet inconvénient, nous négligeons le groupe qui correspond au mot ; nous ne donnons plus d’attention qu’au mot substitut ; après avoir vu ensemble quatre objets, nous les oublions pour ne plus songer qu’au mot quatre, et nous pouvons les oublier, parce que plus tard, revenant sur le mot et appuyant dessus, nous les reverrons intérieurement, sans méprise ni confusion. […] Nous avons oublié le mot qui est toute la substance de notre opération ; nous l’avons traité en accessoire, et nous avons considéré l’opération, moins ce qu’elle contient ; reste le vide. — Cette erreur de conscience est très fréquente et dérive d’une loi générale.

341. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode. » pp. 317-337

. — Et j’allais oublier le Gaulois notre ancêtre, le bon esclave ou gladiateur gaulois que l’auteur ne manque pas de fourrer dans un coin de son drame, et à qui il prête un rôle honorable pour flatter notre patriotisme. […] — Pour mourir », répond Blandine. — Et là-dessus, le gouverneur étant entré et Épagathus s’étant lui-même dénoncé comme chrétien, Æmilia et Attale se dénoncent librement à leur tour ; et Blandine, qu’on oubliait dans son coin, vient tendre les mains aux chaînes en disant : « Et moi ?  […] Ils ont soif de souffrir (n’oubliez pas de quelles souffrances inouïes, démesurées et prolongées il s’agit ici).

342. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Au lieu d’un avocat qui veut nous donner à croire ce qu’il ne croit pas, ou d’un rhéteur qui, dans la cause de la vérité, n’oublie pas les affaires de son esprit, c’est un prêtre qui n’a que la foi du troupeau, un docteur qui a conservé la docilité du disciple. […] Que dans des sermons où le dogme a presque honte de se montrer, où la morale est excessive et la composition artificielle, où le prédicateur n’oublie pas qu’il parle devant des admirateurs de Fontenelle et de Lamotte, la langue ait fléchi, qui s’en étonnerait ? […] C’est la physionomie de l’homme, et il ne faut pas oublier que cet homme fut un des meilleurs et des plus doux de son temps. […] Mais peut-être faut-il oublier ces différences, et savoir se placer au-dessus des scrupules du goût, pour porter un juste jugement sur ce magnifique recueil de nos sermonnaires, monument unique dans l’histoire des lettres, sans modèle comme sans égal chez les autres nations chrétiennes. […] Il serait même bon, pour rester juste envers le disciple, d’oublier le maître.

343. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Eux, les seuls maintenant qui croient à la Famille, ont oublié que c’est manquer à la mémoire de ses pères que d’en répudier l’héritage. […] Les horripilés de la Saint-Barthélemy, qui ne parlent que des droits du peuple et de la sainteté des constitutions, oublient que le Peuple et la Royauté s’entendaient en 1572, et qu’il y avait encore de l’unité dans cette France que le protestantisme allait diviser. […] Il oubliait qu’il n’est permis à personne d’être magnanime aux dépens de l’histoire, et que la vérité est La seule chose que l’homme, qui n’est grand que par le sacrifice, ne puisse sacrifier. […] En Angleterre, on avait bien Boswell sur Johnson, — un homme qui n’oublie rien, mais à quel prix ?  […] Est-ce que dans le musée de cet antiquaire porte-tiare, qui oubliait la chrétienté en regardant le Laocoon, la Louve de bronze ne se trouvait pas ?

344. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

Il l’oubliera totalement pendant douze ans. […] Mais Peltier, distrait, l’oublie. […] Je voudrais n’être pas né, ou être à jamais oublié. […] Dieu sait si j’en oublie ! […] (Il parlait tout à l’heure de « grands périls », mais il l’a oublié.)

345. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

Par dédain pour les qualités tempérées qui suffisent aux conditions d’une société vieillie, il disait : « Mêlez un peu d’orgueil qui empêche d’oublier ce qu’on se doit, de sensibilité qui empêche d’oublier ce qu’on doit aux autres, et vous ferez de la vertu dans les temps modernes. » Mais pour les anciens, tout en sachant en quoi nous les surpassons, il les montre bien supérieurs en énergie, en déploiement de facultés de tout genre : forcés par la forme de leur gouvernement de s’occuper de la chose publique d’en remplir presque indifféremment tous les emplois de paix et de guerre, de s’y rendre propres et de s’y tenir prêts à tout instant, de parler devant des multitudes vives, spirituelles, mobiles et passionnées : Quelle devait être, dit-il, l’explosion des talents animés, stimulés par d’aussi puissants motifs ! […] N’oublions pas que le prince de Ligne lui-même se croyait frustré dans ses légitimes espérances ; il aurait voulu commander un jour en chef, succéder aux Lacy et aux Laudon, s’illustrer dans une carrière sérieuse ; comme M. de Meilhan, il revenait en idée sur le passé et le considérait avec un sentiment caché de désappointement et d’amertume. […] Il y avait tout à côté des réparations cependant et des hommages : « Celui, disait-il, qui a été aimé d’une femme sensible, douce, spirituelle et douée de sens actifs, a goûté ce que la vie peut offrir de plus délicieux. » Il avait dit encore (car M. de Meilhan n’oublie jamais ce qui est des sens) : « Un quart d’heure d’un commerce intime entre deux personnes d’un sexe différent, et qui ont, je ne dis pas de l’amour, mais du goût l’une pour l’autre, établit une confiance, un abandon, un tendre intérêt que la plus vive amitié ne fait pas éprouver après dix ans de durée. » Tout cela aurait dû lui faire trouver grâce, d’autant plus qu’il flattait les hommes moins encore que les femmes : « La femme, remarquait-il, est bien moins personnelle que l’homme, elle parle moins d’elle que de son amant : l’homme parle plus de lui que de son amour, et plus de son amour que de sa maîtresse. » — (Dans l’édition de 1789, l’auteur, en corrigeant, a supprimé çà et là quelques jolis traits.)

346. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — III » pp. 81-102

Votre Majesté était maîtresse de l’empire ; il est inutile d’en parler : la prudence, la circonspection à laquelle on a été accoutumé dans la dernière guerre d’Allemagne (celle d’avant la paix de Riswick), a fait oublier la véritable guerre à plusieurs. […] Je les avais divisées en trois parts : la première servait à payer l’armée, qui ne coûta rien au roi cette année (1707) ; avec la seconde, je retirai les billets de subsistance qu’on avait donnés l’année dernière aux officiers, faute d’argent, et j’en envoyai une grosse liasse au ministre des finances ; je destinai la troisième à engraisser mon veau (son château de Vaux) : c’est ainsi que je l’écrivis au roi, qui eut la bonté de me répondre qu’il approuvait cette destination, et qu’il y aurait pourvu lui-même si je l’avais oublié. […] Villars avait pour maxime que « sitôt qu’on cesse d’être sur la défensive, il faut se mettre sur l’offensive. » Il se remit donc en campagne activement, et, réuni au maréchal de Marcin, il eut à opérer dans les mois suivants sur le Rhin et sur la Lauter, en face du prince Louis de Bade ; mais il eut la prudence de ne compromettre en rien le succès glorieux qu’il avait obtenu : Leurs généraux, écrivait-il au roi parlant des ennemis, sont persuadés que je ne perdrai pas la première occasion de les combattre : je n’oublierai aucune démonstration pour les confirmer dans cette opinion. […] En Italie, il lui faudrait tout d’abord entrer dans un système de guerre qu’il n’a pas conçu et qui n’est pas le sien : Présentement M. le duc de Vendôme a fait toutes ses dispositions, lesquelles je crois être très sages ; mais, quelque respect que j’aie pour ses projets, chacun a sa manière de faire la guerre, et j’avoue que la mienne n’a jamais été de vouloir tenir par des lignes vingt lieues de pays… Encore une fois, monsieur, si quelque chose allait mal en Italie, j’y volerais… Il n’y a qu’à conserver ; et si Sa Majesté, qui m’a dit autrefois elle-même et avec bonté les défauts qu’elle me connaissait, a bien voulu les oublier dans cette occasion, il est de ma fidélité de les représenter.

347. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

On ne le prend plus au pied de la lettre pour ce qu’il a été et pour ce qu’il est en tant qu’auteur : on le prend comme un de ces individus collectifs, le dernier venu et, en quelque sorte, le dernier mot d’une génération de satiriques oubliés, leur héritier le plus en vue et chef à son tour d’une postérité nouvelle, faisant lien et tradition entre Rutebeuf et Rabelais. […] La littérature est le lieu le plus fait pour admettre les circonstances atténuantes. — On a les noms de quelques-uns des garnements, ses compagnons et sujets, qu’il n’a eu garde d’oublier dans l’un ou l’autre de ses testaments. […] Le fond du Grand Testament, ce sont les plaintes, les regrets, les remords et les confessions qui remplissent le préambule et la plus grande partie du codicille, et par où le poète répand comme par autant de blessures tout le sang de son cœur ; ce sont, avec les leçons saisissantes que le poète y donne, çà et là, au commencement et à la fin, les véritables legs de Villon à la postérité ; c’est là le vrai testament de son âme et de son génie, celui qu’elle a accepté religieusement et qu’elle n’oubliera pas, tant qu’il y aura une langue française. […] Plus tard enfin, banni de Paris, lorsque, chevauchant sans croix ni pile par tous les chemins de France et de Navarre, il promenait son exil et sa misère d’une frontière à l’autre, méditant déjà dans sa tête et dans son cœur les confessions et les plaintes douloureuses du Grand Testament, l’arbre et le buisson de la route ne lui avaient-ils donc jamais parlé et fait oublier un instant ses douleurs, comme ils devaient un jour, plus d’une fois, calmer celles de Jean-Jacques vagabond ?

348. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

N’oublions pas la femme du peuple, la femme des halles alors si caractérisée, le genre poissard. […] Quand Mme de Boufflers chantait plus tard ce couplet, elle s’arrêtait au dernier vers et disait : J’ai oublié le reste. […] Les chroniqueurs eux-mêmes, tout occupés de l’ouverture de l’Assemblée des notables, oublient d’enregistrer sa mort. […] Mme de Souza, l’auteur délicat d’Eugène de Rothelin, nous a très-bien rendu, dans cette jolie production, une Mme de Luxembourg un peu adoucie sous les traits de la maréchale d’Estouteville6, et elle n’a pas oublié, auprès d’elle, le charmant contraste de la duchesse de Lauzun, devenue dans le roman Mme de Rieux.

349. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Dehèque, qui tient à l’Antiquité par toutes sortes d’affinités et de liens, — et je n’ai garde en parlant ainsi d’oublier M.  […] oui ; il n’y a plus de parc de Monceaux ; ceux qui y allaient autrefois par faveur, et deux à deux, ne peuvent plus s’y oublier. […] Celui même qui trouvera à redire qu’on donne trop sera le premier à s’apercevoir si vous oubliez quelque chose. « Comment, dans les notices de la fin, me fait remarquer le même correspondant, comment a-t-on omis une des plus importantes notices, celle de Paul le Silentiaire (celle de Philétas manque aussi) ? Et comment a-t-on oublié de traduire le grand Préambule qu’Agatbias avait mis en tête de son Anthologie ?

350. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. (suite et fin.) »

On ferait ressortir, d’après les simples faits et dates relatés dans ce Journal, les inexactitudes matérielles des autres récits ; on n’oublierait pas d’y joindre la lettre écrite par Jean-Bon à sa femme, qui était à Montauban et qui partageait avec ardeur ses sentiments patriotiques. […] Soumis à des vexations et des avanies journalières, il eut tout le temps de rapprendre l’humanité, la justice, s’il avait pu précédemment les oublier. […] Je ne réponds point toutefois qu’il soit allé jusqu’au bout dans cet examen de conscience, car rien ne l’indique, et le cœur humain est bizarre et peu logique en soi ; il a des habiletés et des adresses sans pareilles pour oublier ou pour sembler ignorer ce qui l’importune. […] La maladie de ce digne magistrat affecte on ne peut pas plus péniblement tous ses administrés, qui le chérissent comme un père et oublient un moment leurs propres malheurs dans la crainte de perdre un préfet qui s’est tout entier consacré au bonheur du département… » Jean-Bon Saint-André rendit le dernier soupir le 10 décembre 1813.

351. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

Montaigne a oublié de le faire. […] On n’y oublierait pas surtout Dagobert, le bon Dagobert, qui a laissé une réputation débonnaire et assez ridicule, et qui fut peut-être un grand roi, énergique, le quasi-Charlemagne de sa race, mort à la fleur de l’âge et dans la vigueur de ses hauts projets4. […] La ponctualité matérielle même (il ne faudrait pas l’oublier) est une partie, non-seulement de la solidité, mais aussi de l’élégance en ces sortes d’ouvrages. […] M. de Saint-Priest possède à un haut degré les qualités littéraires : il en faisait déjà preuve dans sa jeunesse, et, quoiqu’il l’ait sans doute oublié lui-même aujourd’hui, d’autres que l’inexorable Quérard se souviennent encore de gracieux essais par lesquels il préludait avec aisance et goût dans la mêlée, alors si vive.

352. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

Quand on sait tant et qu’on réfléchit tant, on ne s’oublie plus, on ne sort plus jamais hors de soi : c’est toujours soi-même qu’on regarde, puisque tout ce qu’on observe, on le rattache involontairement à une conception générale du monde et que cette conception est en nous. […] Et, en parlant ainsi, je n’oublie pas qu’elle est ma servante et la vôtre : elle ne l’oubliera pas davantage. […] Étoiles qui avez lui sur la tête légère ou pesante de tous mes ancêtres oubliés, c’est à votre clarté que je sens s’éveiller en moi un regret douloureux.

353. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Si Français qu’il fût et qu’il voulût être, il ne cessa jamais d’être Italien, d’être Napolitain, ce qu’il ne faut jamais oublier en le jugeant ; il avait le génie propre du cru, le facétieux, le plaisant, le goût de la parodie. […] Que l’on soit à La Chevrette chez Mme d’Épinay, au Grand-Val chez le baron d’Holbach, si l’on se sent un peu triste et si le jour baisse, si la conversation languit, si la pluie tombe, l’abbé Galiani entre, et avec le gentil abbé la gaieté, l’imagination, l’esprit, la folie, tout ce qui fait oublier les peines de la vie. — L’abbé est inépuisable de mots et de traits plaisants, ajoute Diderot ; c’est un trésor dans les jours pluvieux. […] On oublia même les vignes pour ne parler que de froment et de seigle… Les blés et tout ce qui se rapporte à ce commerce étaient donc très à la mode durant le séjour de l’abbé Galiani en France. […] Galiani n’avait pas attendu l’éveil et le coup de tocsin de la Révolution française pour se méfier des hommes d’État optimistes et rationalistes, de ces honnêtes gens comme on en a vu sous Louis XVI et depuis, qui oublient trop les vraies, les réelles et toujours périlleuses conditions de toute société politique : Croyez-moi, disait-il, ne craignez pas les fripons, ni les méchants, tôt ou tard ils se démasquent : craignez l’honnête homme trompé ; il est de bonne foi avec lui-même ; il veut le bien, et tout le monde s’y fie ; mais malheureusement il se trompe sur les moyens de le procurer aux hommes.

354. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

Évidemment Bonneval se trompait de date : il se croyait encore au temps de ses aïeux, sous la Ligue et sous la Fronde ; il oubliait que Louvois était venu, que la qualité et la bravoure ne dispensaient plus d’être exact et d’obéir, et que le régime de l’égalité s’appliquait désormais même à la guerre. […] Il s’y distingue, mais il y oublie trop celle qui le suit de ses vœux, de ses inquiétudes, et qui, au milieu de tous les torts dont elle est l’objet, reste glorieuse de son nom et fière de sa gloire : Mon inquiétude augmente chaque jour, en même temps que votre inexactitude, lui écrit-elle (25 juillet 1717), et je suis aussi constante à me tourmenter que vous l’êtes à me négliger. […] Elle ne reçoit des nouvelles que de ricochet et par les Français qui servent dans l’armée impériale ; elle s’en plaint avec douceur, avec timidité, comme quelqu’un qui se sent à peine des droits : Je suis bien heureuse que les Français qui sont dans votre armée n’aient point encore oublié leur patrie, car sans leur secours, malgré le peu de disposition que j’ai de vous croire coupable, je serais toujours dans des alarmes que votre situation ne fait que trop naître. […] N’oubliez pas, je vous conjure, votre pauvre petite femme, et songez que je suis, ainsi que j’ai déjà dit, dans un état qui mérite votre compassion.

355. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

Mais il ne faut pas oublier que l’ouïe et la vue rendent pour nous sensibles, dans les vibrations mêmes de l’air et de la lumière, les changements apportés à la direction et à l’amplitude de ces vibrations par les corps qu’elles ont rencontrés ; lorsque ces corps sont agités par des ondes nerveuses, celles-ci, arrivent Jusqu’à nous, portées pour ainsi dire par les ondes lumineuses ou sonores. […] Un exercice purement abstrait de l’intelligence, sans un éveil correspondant du désir et de toutes les forces de l’être, n’eût pu aussi bien faire oublier à Pascal un mal de dents. […] N’oublions pas d’ailleurs que, pour être absolument inexpressive, une sensation devrait être isolée, détachée dans l’esprit ; il n’en est pas une de ce genre, et la cuisine même peut acquérir par association quelque valeur représentative : une salade appétissante est un petit coin de jardin sur la table et comme un résumé de la vie des champs ; l’huître dégustée nous apporte une goutte d’eau de l’Océan, une parcelle de la vie de la mer. […] Aussi l’artiste est-il rarement oublié : par nous dans la contemplation de l’œuvre d’art.

356. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Loutherbourg » pp. 258-274

L’artiste semble s’être proposé à peu près le même local et les mêmes objets à éclairer de toutes les lumières différentes qu’il s’agit de distinguer avec du blanc, du brun et du bleu ; il n’a oublié que le feu. […] Au reste, n’oubliez pas que je ne garantis ni mes descriptions, ni mon jugement sur rien ; mes descriptions, parce qu’il n’y a aucune mémoire sous le ciel qui puisse emporter fidellement autant de compositions diverses ; mon jugement, parce que je ne suis ni artiste, ni même amateur. […] Chacun a sa manière de voir, de penser, de sentir ; je ne priserai la mienne que quand elle se trouvera conforme à la vôtre, et cela bien dit une fois, je continue mon chemin sans me soucier du reste, après avoir murmuré tout bas à l’oreille de l’ami Loutherbourg : votre femme est jolie ; on le lui disait avant qu’elle vous appartînt, qu’on continue à le lui dire depuis qu’elle est à vous, à la bonne heure, si cela vous convient autant qu’à elle ; mais faites en sorte qu’on puisse oublier sans conséquence sur son lit ou le vôtre, son chapeau, son épée ou sa canne à pomme d’or. Madame Vassé et tant d’autres moitiés d’artistes que je nommerais bien ont aussi des lits, mais on y retrouve tout ce qu’on y oublie.

357. (1891) Lettres de Marie Bashkirtseff

Je ne l’ai vue qu’une fois, je ne l’ai vue qu’une heure… je ne l’oublierai jamais. […] N’oubliez pas mes recommandations touchant les meubles. […] J’espère que vous n’avez pas cru que je vous oubliais ou vous négligeais. […] Et n’oubliez pas, chère mère, tout ce que j’ai écrit dans les lettres précédentes. […] Mais monsieur… Allons, j’allais oublier que c’est fini nous deux.

358. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Mais quelle profane méthode de revenir aux vertus oubliées ! […] Il a oublié de choisir parmi les représentations diverses que son imagination s’est créées de la personne de don Quichotte. […] On ne peut la voir agir sans l’aimer, et l’oublier est impossible. […] J’oubliais cependant que je ne dois tracer de lui aucun portrait. […] Nous nous oublions nous-mêmes en quelque sorte, nous oublions les jours à mesure qu’ils se succèdent, nous oublions les causes à mesure que les conséquences se déroulent.

359. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Réception du père Lacordaire » pp. 122-129

Cela tenait à des nuances oubliées, à des convenances évanouies. […] Ils ne tiennent compte que des différences qui les choquent, et oublient trop cette grande cause commune et qui, sauf des nuances, après tant d’échecs et de mécomptes, devrait être la nôtre à tous, la cause d’une société forte et d’une France glorieuse.

360. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Appendice. — Post-scriptum sur Alfred de Vigny. (Se rapporte à l’article précédent, pages 398-451.) »

M. de Vigny voulait bien m’écrire à la date du 14 mars 1828 : « Eh bien, Monsieur, puisque vous êtes de ceux qui se rappellent les Poèmes que le public oublie si parfaitement, je veux faire un grand acte d’humilité en vous les offrant. […] Je suis presque avec vous tous, bientôt j’y serai mieux encore. » Et il m’écrivait le 7 mai 1829 : « Adieu, mon ami, si vous n’avez pas embrassé mon Victor sur les deux joues, j’irai vous chercher querelle. » Je n’ai nullement dessein de publier les lettres de M. de Vigny toutes remplies de compliments et d’éloges pour moi : mais, puisqu’il niait en 4 835 le droit et la légitimité de ma méthode critique, je me contenterai de lui opposer ce passage d’une de ses lettres, du 29 décembre  1829 (je venais d’écrire dans la Revue de Paris un premier article sur Racine) : « Je suis distrait, et outre cela il m’arrive presque toujours d’être en présence de mes amis ce qu’est un amant devant sa maîtresse, si aise de la voir qu’il oublie tout ce qu’il avait à lui dire.

361. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « AUGUSTE BARBIER, Il Pianto, poëme, 2e édition » pp. 235-242

Ne l’oublions pas : si l’Italie a pour elle sa beauté, le don inné des arts et le génie impérissable de sa race, nous ne sommes pas déshérités non plus, nous avons l’action, le foyer ardent et les lumières. […] Il s’est tu, il s’est laissé oublier ; puis, après quelque vingt ans et plus, on a vu paraître sous le nom d’Auguste Barbier, dans la Revue Française et ailleurs, de petits vers hésitants, faiblets, puérils, gentillets, florianesques et tout à fait naïfs : c’était à jurer que ce n’était ni du même poëte ni du même homme.

362. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — I »

Accablée de dettes elle-même, « en vérité, disait-elle encore, je croirais voler sur l’autel si je recevais du roi d’Espagne. » Qu’on ne l’accuse pourtant pas d’être meilleure Espagnole que Française ; elle vous répondra « qu’elle n’oublie pas sa nation, mais qu’elle a horreur de la voir avilir ; elle aime la France, mais comme une bonne mère fait de sa fille, qui ne la flatte pas sur ses défauts. » Aussi, tout en s’apitoyant de fort bonne grâce sur ce pauvre M. de Villeroy et sur ce bon M.  […] Elle servit utilement Louis XIV, elle servit courageusement et loyalement Philippe ; dès qu’on put s’en passer, on la chassa, on l’oublia ; mais il ne faut pas la flétrir, et si le blâme doit retomber sur quelqu’un, que ce soit plutôt sur ces rois qui la payèrent de tant d’ingratitude.

363. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Feuilles d’automne » (1831) »

C’est l’écho de ces pensées, souvent inexprimables, qu’éveillent confusément dans notre esprit les mille objets de la création qui souffrent ou qui languissent autour de nous, une fleur qui s’en va, une étoile qui tombe, un soleil qui se couche, une église sans toit, une rue pleine d’herbe ; ou l’arrivée imprévue d’un ami de collège presque oublié, quoique toujours aimé dans un repli obscur du cœur ; ou la contemplation de ces hommes à volonté forte qui brisent le destin ou se font briser par lui ; ou le passage d’un de ces êtres faibles qui ignorent l’avenir, tantôt un enfant, tantôt un roi. […] Il répétera en outre ici ce qu’il a déjà dit ailleurs8 et ce qu’il ne se lassera jamais de dire et de prouver : que, quelle que soit sa partialité passionnée pour les peuples dans l’immense querelle qui s’agite au dix-neuvième siècle entre eux et les rois, jamais il n’oubliera quelles ont été les opinions, les crédulités, et même les erreurs de sa première jeunesse.

364. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XV. Des ouvrages sur les différentes parties de la Philosophie. » pp. 333-345

N’oublions pas pour la gloire du beau sexe les Institutions physiques de Mme. du Chatelet, en deux volumes in-4°. : ouvrage qui étonne par l’immensité des calculs, & par les connoissances de la femme ïllustre qui les a faits. […] L’Astronomie est une partie de la Physique trop intéressante pour être oubliée.

365. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Tout ce que j’ai compris de ma vie du clair-obscur » pp. 26-33

Incorrections de dessin, manques d’expression, pauvreté de caractères, vices d’ordonnance, on oublie tout ; on demeure extasié, surpris, enchaîné, enchanté. […] L’art et l’artiste sont oubliés.

366. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Gabrille d’Estrées et Henri IV »

Il est bien souvent obligé de plonger sa main dans le sang et dans la pourriture, mais, comme l’anatomiste, il ne doit pas oublier que c’est sur une table de marbre qu’il opère, marbre lui-même par l’impartialité ! […] Bon, il la tue de désespoir, puis il l’oublie ; grand, il meurt du coup de couteau qu’une politique qui allait de l’abjuration à l’Édit de Nantes aiguisa sur les deux tranchants ; et il trouve sa gloire dans des projets de gloire, l’intention — et c’est la première fois en histoire — étant réputée pour le fait !

367. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Edmond About » pp. 63-72

Et qu’on n’oublie pas qu’il ne peut y avoir ici qu’une question de forme littéraire ! […] … Écrit d’une plume souple et souvent agréable, le livre d’About, ce livre qui sent son écrivain, malgré quelques opinions d’épicier superbe qui y font tache et qu’on n’y voudrait pas, sera cependant oublié… plus facilement qu’il n’a été fait.

368. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Proudhon et Couture »

Le prince Louis-Napoléon, l’homme du 2 décembre, démentant son coup d’État pour introduire en Europe la révolution qu’il a vaincue, est une de ces conceptions ineffables digne d’être mise à côté de l’espoir de ces légitimistes qui croyaient bonnement qu’un Bonaparte s’oublierait jusqu’à singer Monk. […] Héritier de la révolution française, mais avec le bénéfice d’inventaire qui lui fit rejeter et ses erreurs et ses horreurs, Bonaparte reprit le problème où l’avaient laissé les Valois, et nous ajoutons Richelieu, sous les Bourbons, parce que Couture l’oublie.

369. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

On oublia Carteaux et sa désinvolture d’écuyer de cirque. […] J’espère que, quand tu viendras, tout sera oublié. […] Il ne faut pas nous oublier, maman. […] Mais il n’a rien oublié. […] N’oubliez pas le district d’Ivate, fertile en moissons de riz.

370. (1837) Lettres sur les écrivains français pp. -167

Karr n’était pas l’original que vous savez déjà, médaille, diplôme et certificat seraient enfouis et oubliés dans un tiroir. […] Gozlan, mais je l’oubliai bientôt pour M.  […] Et pourtant son nom de poète fit bien vite oublier son nom dramatique. […] Jal oubliait sa chère marine, et ses oracles se changeaient de Vasco de Gaina et de Colomb, en Murillo et en del Sarto. […] J’y reprendrai quelques-uns des noms cités, sur le compte desquels j’aurai oublié quelque chose, ou appris des particularités nouvelles.

371. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite et fin.) »

J’avoue que je ne redoute pas ceux de vos compatriotes, pourvu qu’ils n’oublient point qu’il n’existe en Allemagne aucun individu à qui j’aie volontairement nui, et qu’il s’y trouve plus d’une tête couronnée à qui je n’ai pas laissé d’être utile, du moins autant que je l’ai pu. […] « Mme de Dino, qui, pendant les quatre ans qu’elle a passés en Angleterre, a complété la croissance dont son esprit supérieur était susceptible, et qui la place au premier rang des personnes les plus distinguées, n’oublie que ce qui ne vaut pas la peine qu’on s’en souvienne : elle est flattée que son souvenir corresponde à celui qu’elle a toujours gardé de vous, et elle me charge de vous le dire. […] Et puis, n’oublions pas que c’est à l’Académie des sciences morales et politiques que M. de Talleyrand, à son retour en Europe et rentrant en scène, avait voulu débuter en l’an V par des mémoires fort appréciés : c’est par cette même Académie que, quarante ans après, il voulait finir. […] Vous me rapprenez Paris, que j’avais complètement oublié. […] » — Ne nous lassons jamais de remettre sous nos yeux les deux faces de la vérité, surtout quand la plus agréable pourrait faire oublier la plus essentielle.

372. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

J’ai nommé Victorin Fabre, et cet écrivain honorable, qui s’annonçait avec tant de promesses, que tant de bons juges désignaient sans hésiter à la gloire, et qui s’est éteint tout entier oublié, mérite bien un mot de moi. […] Son jeune rival, qui depuis ce temps avait beaucoup vu et entendu, et qui s’était renouvelé sur bien des points, me fait, par rapport à lui retardataire et laissé sur le chemin, le même effet que le glorieux René dépassant de mille stades Oberman immobile et oublié. […] Il y loue, il y distingue Marmontel et La Harpe, en homme qui au début les égale en ne leur ressemblant pas, et qui doit les faire oublier. […] ne touchez pas, » s’écria-t-il, « aux armes de Roland. » Après quelque intervalle, quelque refroidissement peut-être, dû à la politique, à la première rencontre, en entendant de nouveau des accents de cette prose cadencée dont parla si bien Fontanes, tout est oublié, tout se ravive ; l’admiration refleurit plus jeune. […] Villemain, semblent briller d’une nuance radoucie de son talent, je ne veux pourtant pas oublier ici un maître bien goûté de ceux qui l’approchent, et qui soutient une partie du difficile héritage.

373. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

Ces vers donc, ces rêves inachevés, ces soupirs exhalés çà et là dans la solitude, le long des grandes routes, au sein des îles d’Italie, au milieu des nuits de l’Atlantique ; ces vagues plaintes de première jeunesse, qui, s’il avait vécu, auraient à jamais sommeillé dans son portefeuille avec quelque fleur séchée, quelque billet dont l’encre a jauni, quelques-uns de ces mystères qu’on n’oublie pas et qu’on ne dit pas ; ces essais un peu pâles et indécis où sont pourtant épars tous les traits de son âme, nous les publions comme ce qui reste d’un homme jeune, mort au début, frappé à la poitrine eu un moment immortel, et qui, cher de tout temps à tous ceux qui l’ont connu, ne saurait désormais demeurer indifférent à la patrie. […] Ceux qui viennent en Italie pour refaire leur santé doivent porter leurs projets de sagesse ailleurs75. » Mais le golfe, la mer, les îles, c’était bien là pour lui le pays enchanté où l’on demeure et où l’on oublie. […] … Je n’ai pour vous ni ressentiment ni pardon, et j’ai déjà oublié vos paroles. » « Ghérard s’approcha vivement d’elle : — « Hélène, lui dit-il en cherchant à s’emparer de sa main : pour un mot dont je me repens… » — « Laissez-moi, lui dit-elle en retirant sa main : faudra-t-il que je m’enfuie, et ne vous suffit-il pas d’une injure ?  […] « Elle alla s’asseoir à quelques pas de lui, et l’heureux Ghérard, pour dissiper le trouble qu’il avait causé, commença à l’entretenir de ses projets pour le lendemain, auxquels il voulait l’associer. — « Ghérard, lui dit-elle après un long silence, ces folies d’aujourd’hui, oubliez-les, je vous en prie, et n’abusez pas d’un moment… » — « Ah ! dit Ghérard, que le Ciel me punisse si jamais je l’oublie !

374. (1892) Boileau « Chapitre I. L’homme » pp. 5-43

N’oublions pas cette origine et cette parenté : Despréaux, noble homme, ayant des armes, ne payait pas la taille, et il pouvait lui importer d’être reconnu par d’Hozier ; mais notre Despréaux, celui qui a fait les Satires et l’Art poétique, est tout bourgeois de race et d’âme, bourgeois comme les auteurs de la Ménippée, bourgeois comme La Bruyère et comme M. de Voltaire. […] On trouvait au fond des pots les idées hardies ou plaisantes ; d’insolentes facéties, comme le Chapelain décoiffé, et la Métamorphose de la perruque de Chapelain en astre, naissaient comme d’elles-mêmes après boire ; et si l’on examinait souvent quelque point de doctrine, la raison d’un usage ou d’une règle, si ce fut vraisemblablement dans ces conversations autour de la table que nos écrivains prirent conscience de leur rôle, et que Boileau exerça sur leur génie une sorte de direction salutaire par la droiture de son sens critique, il ne faut pas oublier que ces bons compagnons faisaient une besogne sérieuse très peu sérieusement, sans morgue dogmatique, sans tapage et sans pose, n’ayant l’air de songer et ne songeant en effet qu’à se divertir. […] Pradon ne nous en dit pas plus, avec plus d’aigreur, quand dans de mauvais vers oubliés, il représente « les Messieurs du Sublime », une longue rapière au côté, importunant les généraux, moqués des soldats, notant sur leur carnet des termes de l’argot militaire, ici jetés par leur cheval dans un noir bourbier, là tirant de longues lunettes pour regarder l’ennemi de très loin. […] Despréaux, avec une adresse perfide, se fait prier et supplier par un Père Jésuite de lui nommer l’unique moderne qui surpasse à son gré les anciens ; à ce nom de Pascal, si malignement retenu et brusquement lâché, stupeur du bon Père, qui gratifie d’une épithète injurieuse l’auteur des Provinciales ; là-dessus, voilà notre poète hors de lui, qui oublie son artificieuse ironie, et s’emballe à fond, criant, trépignant, et courant d’un bout de la chambre à l’autre, sans plus vouloir approcher d’un homme capable de trouver Pascal faux : cette merveilleuse page, dont je ne puis reproduire la couleur et la vie, donne la sensation de l’homme même : c’est bien lui, avec sa malice railleuse et sa sincérité passionnée, et toujours prenant trop au sérieux les idées pour s’en jouer avec la grâce indifférente de l’homme du monde, qui sacrifie sans hésiter n’importe quelle opinion à la moindre des bienséances. […] Les querelles littéraires n’avaient jamais eu d’influence sur son humeur, ni de contre-coup sur sa vie ; l’affaire de Phèdre et les menaces du duc de Nevers n’avaient été qu’un incident vite oublié ; il s’était réconcilié avec Quinault, avec Boursault, avec Perrault, sans effort, et de bon cœur, n’ayant jamais été l’ennemi que des idées, et non des personnes.

375. (1857) Cours familier de littérature. III « XVe entretien. Épisode » pp. 161-239

Depuis qu’en ces lieux le temps m’oublia seule, La terre m’apparaît vieille comme une aïeule Qui pleure ses enfants sous ses robes de deuil. […] Vives glaneuses de novembre, Les grives, sur la grappe en deuil, Ont oublié ces beaux grains d’ambre Qu’enfant nous convoitions de l’œil. […] Toi qui fis la mémoire, est-ce pour qu’on oublie ? […] Pendant que l’âme oubliait l’heure Si courte dans cette saison, L’ombre de la chère demeure S’allongeait sur le froid gazon ; Mais de cette ombre sur la mousse L’impression funèbre et douce Me consolait d’y pleurer seul, Il me semblait qu’une main d’ange De mon berceau prenait un lange Pour m’en faire un sacré linceul ! […] Je viens ici pour tout oublier pendant quelques jours à ce beau soleil, que le sang et les larmes des peuples ne ternissent pas.

376. (1833) De la littérature dramatique. Lettre à M. Victor Hugo pp. 5-47

Il n’y a jamais cherché la fortune, mais il y poursuivait une renommée pure, légitime : douce chimère qui nous fait oublier l’absence de la richesse, et berce, par l’espoir de n’être pas tout à fait oublié, les derniers ans de notre laborieuse existence ! […] Ils ont complètement oublié que la scène française n’avait acquis sa réputation que par le choix éclairé des ouvrages qui se recommandaient d’eux-mêmes par la pureté du style, l’énergie de la pensée, le naturel du dialogue et par des effets dramatiques ingénieusement amenés. […] Vous possédez, Monsieur, un genre de talent qui, si vous vouliez abandonner vos fausses idées, pourrait faire oublier bientôt toutes vos erreurs. […] Un autre romantique, piètre auteur d’une tragédie oubliée, s’écriait dans son orgueil, qu’il ne signerait pas Mérope.

377. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

Son cercueil d’enfant aurait été plus vaste que son cercueil de vieillard ; mais la place littéraire de l’homme, que sera-t-elle, quand la postérité, pour laquelle il n’est pas d’enfance et qui ne se soucie que des hommes faits, aura oublié en le lisant l’enfant célèbre et trop gâté pour n’avoir pas un peu noué l’homme ? […] Et quoique Villemain, le révolutionnaire mitigé, l’homme du Juste Milieu en tout, même en littérature, n’approuve pas complètement toutes les audaces de Fox, de ce sanguin au sang bouillant et pourpré ; quoiqu’il trouve de mauvais goût peut-être tous ces déboutonnements du gilet jaune du whig, enivré de démocratie comme il l’était souvent de porto gingembré, il préfère Fox cependant avec ses débraillements démocratiques à des hommes bien plus grands que lui, aux deux Pitt, par exemple, et à Burke, qu’il a oubliés dans son histoire, et il nous l’a donné (le croirait-on ?) […] Quoi qu’il en soit, il reste à savoir pourquoi l’auteur de La Tribune moderne a oublié Mirabeau. […] Le Villemain qui a oublié Mirabeau et Foy, dans un livre sur la tribune moderne, est toujours le même Villemain qui en critique littéraire a oublié Rabelais, — « le père et la mère tout à la fois de la langue française », a dit Chateaubriand, — et daté du commencement du xviie  siècle le premier livre écrit en français !

378. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

Dans la légende de ce Moyen Age dont Hugo, qui a l’ambition d’être le poète historique, c’est-à-dire impersonnel, ne connaît guères que la moitié, ces choses que j’avais signalées comme oubliées dans les premiers volumes de La Légende des Siècles sont également oubliées dans les secondes. […] Seulement, on a oublié la seule chose définitivement acquise, ou plutôt définitivement conquise par Hugo, le seul grand progrès fait par le poète malgré l’immobilité ou le rabâchage de sa pensée, je veux dire l’art des vers arrivé probablement à sa perfection,, la souveraineté absolue de l’instrumentiste sur son instrument, — et cet oubli de la Critique, c’est moi qui veux le réparer ! […] Car l’Énormité, voilà l’écueil de Victor Hugo… L’écueil, pour les poètes comme pour les rois, vient de trop de puissance… Dans cette double pièce de vers intitulée Le Cheval qui commence et finit ce volume, d’une composition si peu surveillée qu’on y trouve une pièce qu’on dirait oubliée de La Légende des Siècles, — un Souvenirs des vieilles guerres ; dans cette pièce de vers où le poète, pour faire du neuf à bon marché, a démarqué le linge de Boileau (procédé peu fier pour le chef de l’école romantique) et appelé Pégase un cheval au lieu de l’appeler bravement cheval, Hugo, enchaîné à ce mot d’énorme comme le coupable à l’idée de son crime, adresse à Pégase ce vers singulier : Ta fonction, c’est d’être énorme ! […] Et moi-même, qui, comme critique, dans l’affadissante universelle inondation des mêmes choses, ai pris le parti de ne plus parler du talent que j’ai caractérisé une bonne fois s’il ne renouvelle pas sa manière, je ne parlerais point de ce poème du Pape dans lequel, comme manière, Hugo est toujours le même Hugo connu depuis cinquante ans, — le même Archevêque, comme disait plaisamment feu Cousin… mais dont il oubliait de dire le diocèse, qui est le diocèse de Grenade.

379. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Zola qui nous décrira cette nouvelle chose, avec cette plume qui n’oublie rien. […] C’est ainsi, par exemple, que s’il peint un lapin de clapier, il n’oublie pas « l’urine qui jaunit les pattes de derrière », et que s’il fait saigner un cochon, il montre coquettement Désirée, rouge de plaisir, tapant sur le ventre ballonné de ce cochon pendant qu’on l’égorge. […] Zola, ce ne sont que détails pareils, subtils et dégoûtants, saillant, avec un raffinement ordurier, même sur le fond de fumier et de fiente où il pose triomphalement sa favorite Désirée, — laquelle, du reste, n’est là que pour justifier ces manières de peindre et peut-être aussi pour lancer le mot de la fin de ce livre immonde, — aussi bien sous les roses de son Paradou que sur le fumier de sa basse-cour… Ce mot de la fin, je me garderai bien de l’oublier, parce qu’il donne en une fois l’idée de l’abjection intégrale du livre de M.  […] Je ne veux lui rappeler que ce qu’il oublie, c’est que l’emploi des matières ignobles abaisse l’art et le rend impossible. […] Il a oublié son Balzac, lui qui l’imitait trop !

380. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Il a oublié que partout où le sentiment baisse, le paganisme, qui n’est pas de l’histoire et de l’archéologie, mais bel et bien de la nature humaine éternelle, le paganisme remontait ! […] L’occasion avait vingt fois dû naître, pour elle, qui l’outrageait et qui l’oubliait, de s’en réclamer, et les scènes que l’intervention du mari amène avaient dû être pressenties et gâter déjà leur bonheur. […] On lui avait bien, dans le temps, reproché d’aimer à ressusciter des morts oubliés, et j’avoue même que, sur ce point, il avait fait de vrais miracles ; mais il n’avait été jusque-là que simple thaumaturge. […] Tous ces types, qu’on a vu grandioses dans des œuvres qu’il est impossible d’oublier, sont ici descendus, ravalés, brutaux, vulgaires, et d’un commun d’autant plus abominable qu’il est vrai. […] Elle est suivie par la description de la maison de la grand’mère de Catherine, où rien n’est oublié, ni le chat, ni le perroquet, ni même les mites du perroquet.

381. (1884) La légende du Parnasse contemporain

Qu’ils soient oubliés ! […] En ce moment, il avait oublié son ambition, sa croix. […] Je ne sais si Léon Cladel l’a oublié, mais je m’en souviens, — vaguement, à vrai dire. […] On vit dans une harmonie idéale où tout s’oublie délicieusement. […] Ici, j’oublie ce qui se passa.

382. (1895) Les confessions littéraires : le vers libre et les poètes. Figaro pp. 101-162

… Mais que celui-là n’oublie pas que M.  […] » Au surplus, on oublie qu’avant que d’être lu, le poème doit être chanté. […] peut-être ne m’oublierait-on pas, tout au moins à cause de cela. […] L’Orient et le Septentrion n’en ont pas moins imposé à nos imaginations des cosmogonies et des fables qu’il n’est plus en notre pouvoir d’oublier. […] Autour de l’axe de la phrase musicale, les variations se développent comme une suite d’attitudes du même être ; aussi le musicien ne nous laisse-t-il pas oublier la phrase.

383. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

Mais, du moins, n’oublions point nos gloires d’hier, si nous voulons voir demain fleurir des gloires inconnues. […] Mieux que cela : tandis que les théâtres français oubliaient de célébrer le centenaire de Molière, des étrangers, — des Allemands pour ainsi dire, — fêtaient, à Vienne, le souvenir de celui qu’on oubliait ici. […] Pendant ce temps, nous recherchions, dans nos notes et nos souvenirs, des détails sur cette mort qu’on oubliait ici et qu’on saluait là-bas. […] Il est juste de reconnaître qu’ils n’ont pas toujours oublié cette date à la fois glorieuse et triste. […] C’est une admirable toile, d’une remarquable intensité de vie, et qu’on n’oublie pas dès qu’on l’a vue.

384. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

Elle se disait que c’était bien mal à elle et bien coupable d’avoir oublié des paroles prononcées par Marius. […] L’auteur n’oublie personne. […] Ces penseurs oublient d’aimer. […] « D’ailleurs, qu’on ne l’oublie pas, les intérêts sont là, peu amis de l’idéal et du sentimental. […] Effacez l’enseigne du sang, et chantez Cosette, cette idylle, la plus accomplie de la langue, qui fait oublier la tragédie !

385. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Il était, à vingt ans de distance, aussi mort et aussi oublié que le passé lui-même. […] Un tel être pouvait à tous les instants oublier son Créateur ; Dieu l’a rappelé à lui par les lois de la religion. Un tel être pouvait à tous les instants s’oublier lui-même ; les philosophes l’ont averti par les lois de la morale. Fait pour vivre dans la société, il y pouvait oublier les autres ; les législateurs l’ont rendu à ses devoirs par les lois politiques et civiles. […] » Et il oublie que la république romaine, qu’il exalte, a cessé de vivre le jour où elle a cessé de conquérir !

386. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Il n’appartient qu’au grand art de l’histoire de faire faire ce progrès aux langues ; or, n’oublions pas, malgré la faveur de mode dont jouissent les monuments de notre vieille langue, que les chroniques de Froissart ne sont pas de l’histoire. […] L’honneur d’avoir entrevu pour la première fois le véritable caractère de l’histoire pourrait appartenir à une femme très-célèbre au commencement du xive  siècle, aujourd’hui oubliée, Christine de Pisan. […] Ceux qui ont manqué de génie ont mérité d’être oubliés. […] On remarque ce même caractère dans toute une école de chroniqueurs, non moins oubliés que Christine, et qui fleurirent à la cour des ducs de Bourgogne. […] Je ne me plains donc pas de la triste fin qu’ont eue George Chastelain, l’auteur de ce beau portrait, et Christine de Pisan, la première qui eut l’honneur de s’aider de l’antiquité, et la première oubliée.

387. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

Je suis coupable de l’avoir oublié. Et comment ai-je pu oublier aussi qu’aucun homme n’aie droit de mépriser les hommes ? […] Mais Dieu sait tout, mais Dieu n’oublie rien, mais Dieu est juste, mais Dieu venge et répare. […] Vous oubliez les badauds, qui sont toujours la majorité. […] Pourquoi, de ces deux héros, l’un est-il si illustre, l’autre profondément oublié et obscur ?

388. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Tel qu’il est pourtant, il intéresse, il attache vivement par ses récits, même lorsqu’on sait qu’il est de sa nature plus enclin à s’y surfaire qu’à s’y oublier. […] Lorsque les Commentaires de Montluc furent imprimés pour la première fois quinze ans après sa mort, en 1592, l’éditeur les fit précéder d’une dédicace « À la noblesse de Gascogne » qui est en des termes dignes de son objet : Messieurs, comme il se voit de certaines contrées qui produisent aucuns fruits en abondance, lesquels viennent rarement ailleurs, il semble aussi que votre Gascogne porte ordinairement un nombre infini de grands et valeureux capitaines, comme un fruit qui lui est propre et naturel ; et que les autres provinces, en comparaison d’elle, en demeurent comme stériles… C’est votre Gascogne, messieurs, qui est un magasin de soldats, la pépinière des armées, la fleur et le choix de la plus belliqueuse noblesse de la terre, et l’essaim de tant de braves guerriers… Sans faire tort aux autres provinces et sans accepter ces injurieuses préférences de l’une à l’autre, il est un caractère constant et qui frappe dans les talents comme dans les courages de cette généreuse contrée, et l’on ne saurait oublier, en lisant Montluc, que cette patrie de Montesquieu et de Montaigne, comme aussi de tant d’orateurs fameux, fut celle encore, en une époque chère à la nôtre, de ces autres miracles de bravoure, Lannes et Murat. Montluc a oublié de nous dire la date et le lieu précis de sa naissance ; il dut naître dans les premières années du xvie  siècle et vers 1503.

389. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

Je ne reviendrai pas sur ce qui vient d’être si bien dit, et dit de telle manière, avec tant de pénétration d’analyse, tant de bonheur d’expression et de vigueur d’accent, que l’étude semble faite : j’allais oublier que mon devancier, en me comblant, m’a interdit à son égard l’éloge. […] Le poète oublie un peu ses émigrants, qui n’étaient que le prétexte, et on les oublie avec lui.

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