Et puis, il y avait si peu d’espoir que jamais le maître verrait sur la scène la réalisation de ses rêves, et il en ressentait si impérieusement le besoin, non pour les autres, mais pour lui-même. « Souvent, dit-il, je riais tout haut, et je m’avouais que je passais mon temps en de fort sottes occupations » (VI, 378). […] » Il se détourne de ce monde, mais pour en chercher et fonder un autre, et Parsifal est la réalisation de ce rêve, de ce but qu’il avait indiqué : « Le but est : l’homme fort et beau ; la Révolution lui donnera la force, l’Art lui donnera la beauté !
Dans ce vaste drame, la vie même est jouée ; les spectateurs sont de la pièce ; ils ne sortent pas d’eux-mêmes, mais, pris à la magie de cet art, s’abandonnent à la belle et facile occasion de poursuivre leur existence quotidienne dans le fictif, dans un lieu sans peines, sans dégradants soucis de soi-même, mais baigné d’une atmosphère de rêve et de brume immense, complexe, obscur, fragmentaire, vaste, noire, et si immédiatement connu d’une vue si proche, que le lecteur s’y perd et s’y trouve comme un passant dans le large miroir des eaux profondes ou stagnent le ciel, le site et lui-même qui reconnaît son ombre dans la leur. […] Son œuvre donne au monde une large représentation et saisit par ce vaste déploiement, par un art qui tend à égaler la grandeur, l’illogisme, l’existence autonome du réel, mis face à face avec lui en une contemplation si proche qu’elle paraît neuve et personnelle, le lecteur, pris d’impérieux attraits, pénètre dans les romans de Tolstoï comme en un monde dont il est, s’émeut de la bonté dont ses personnages sont pleins, s’affole des angoisses dont les attristent les problèmes de la mort et du sens de la vie, et plonge dans l’atmosphère grise de ces livres comme on se perd hors de soi dans un rêve.
L’Arabie, en y comprenant les Hébreux, les Persans et presque tout l’Orient de la zone rapprochée de l’Europe, a la supériorité dans l’imagination ; c’est la race du merveilleux par excellence, la terre des songes, le lit de pavots où l’on rêve éveillé avec le plus de charme et de poésie. […] L’Allemand a la supériorité dans la philosophie spéculative et dans la construction presque indienne de sa langue, faite pour incorporer des rêves ou pour élaborer des idées.
Le rêve nous place précisément dans ces conditions ; car le sommeil, en ralentissant le jeu des fonctions organiques, modifie surtout la surface de communication entre le moi et les choses extérieures. […] Les rêves les plus bizarres, où deux images se recouvrent et nous présentent tout à la fois deux personnes différentes, qui n’en feraient pourtant qu’une, donneront une faible idée de l’interpénétration de nos concepts à l’état de veille.
Interrogé par Voltaire en 1776 sur la valeur de l’opinion énoncée au tome Ier de l’Histoire de l’astronomie, il répondait : « Le rêve de Bailly sur ce peuple ancien qui nous a tout appris, excepté son nom et son existence, me paraît un des plus creux qu’on ait jamais eus ; mais cela est bon à faire des phrases, comme d’autres idées creuses que nous connaissons et qui font dire qu’on est sublime. » D’Alembert aigre, exact et sec, détestait Buffon et n’épargnait point Bailly qu’il considérait alors comme un satellite du grand naturaliste pour les systèmes.
Être à la Cour était le rêve de Sénecé et le vœu le plus cher de son ambition.
Car ses idées à elle ne sont pas, un seul instant, à l’état de rêves et de chimères ; elles prennent forme aussitôt et consistance, et ont, en naissant, de quoi faire leur chemin.
Ces injures, ces invectives se reproduiront sous sa plume, durant plus de vingt ans, contre tous les pouvoirs plus ou moins constitués, contre ceux même qui se ressembleront le moins ; et un jour la république, cet objet final de son rêve, y passera comme les autres.
— Je me pose la question comme un beau rêve, comme un Tu Marcellus eris à ajouter à tant d’autres ; mais c’eût été trop dans une même famille que cette double couronne, que cette régénération du génie à presque un siècle de distance.
Les lumières proprement dites, dans l’idée desquelles entre la pensée du bien public, de l’amélioration de l’homme en société, d’une constitution plus juste, d’une manière de penser plus saine et plus naturelle, ne vinrent que peu à peu, et d’abord à l’état de vœu, de rêve et un peu de chimère.
L’écrivain pittoresque aurait même pu, dans un ou deux chapitres, nous livrer à l’état de rêve ou d’idéal rétrospectif sa reconstruction architecturale et morale, restitution imaginaire, mais devenue par là même plus plausible, puisqu’il n’aurait rien affirmé.
Fiévée, il était à craindre qu’ils n’en sortissent avec des idées préconçues et des systèmes, et que le rêve n’y eût sa bonne part.
C’est à cet instant que Gautier reçut le coup de soleil qui le bronza, et qu’il salua véritablement et d’un amoureux transport cette Espagne tirant sur l’Afrique, sa vague chimère jusque-là et son rêve.
Il goûte particulièrement en celui-ci l’homme de son idée favorite et de son rêve, un réformateur aussi déclaré que possible et qui n’était en rien un révolutionnaire.
Jean-Bon Saint-André, porté et véritablement bombardé à la Convention par un parti longtemps combattu et qui avait comme enlevé sa nomination de vive force en demandant et en obligeant de faire l’élection à haute voix, y arrivait plein d’idées absolues, de rêves de progrès et d’amélioration immédiate.
Rêves d’enfants !
Dans les visites que nous allions faire dans l’après-midi du dimanche à notre aimable et cordial professeur, il nous entretenait souvent de ces idées de réforme, de ces plans d’amélioration pour le sort du grand nombre, de ces rêves de bon et philanthropique gouvernement et de régime sensé, humain, égal pour tous, essentiellement moderne ; le souffle, qui lui était venu, le matin, de cet ancien ami de Joseph II, respirait dans ses paroles et arrivait jusqu’à nous ; il nous communiquait, tout pénétré qu’il était, une véritable inspiration de bienfaisance.
Toutes ses facultés, y compris son imagination grandiose, y trouvaient leur magnifique emploi ; un rêve superbe, une vision charlemanesque le saisit ; il entra tout d’un trait dans une phase nouvelle ; et lorsqu’en 1807, ayant reconnu qu’il n’y avait que la Russie qui pouvait ne pas être irréconciliable, il put se flatter de l’avoir gagnée dans la personne de son jeune empereur, il dut se croire en mesure de tout oser, de tout exécuter dans l’Occident.
Wordsworth, Southey, Coleridge, de démocrates et d’humanitaires illimités, sont devenus tories : de leur plan de pantisocratie et de leurs rêves dithyrambiques dont M.
Au sortir du collège, un chanoine de Soissons lui prête des livres pieux, et le voilà au séminaire ; un officier lui lit une ode de Malherbe, et le voilà poëte ; Pintrel et Maucroix lui conseillent l’antiquité, et le voilà qui rêve Quintilien et raffole de Platon en attendant Baruch.
« Aussi quel soulagement — ajoute-t-il avec un soupir qui remercie —, lorsque je pus clore la série76, par le Docteur Pascal, pour lequel mon bon ami, le Dr Maurice de Fleury, m’a bâti de toutes pièces le rêve de haute conception médicale que je désirais y mettre !
Diderot, Rêve de d’Alembert.
Plus de foi, plus d’espérance, plus de charité, plus de vertu, plus de rêve, plus d’illusions, plus de chimères.
Parfois un homme renonce à la vie plutôt que de laisser périr d’autres hommes, ou plutôt que de ne pas obéir à des commandements moraux ou religieux que la société lui a inculqués, et qui représentent, en lui et pour lui, soit les désirs d’autrui, soit la société, soit la volonté de Dieu, ou quelque rêve d’idéal, quelque obscure loi d’un monde meilleur vaguement entrevu.
Nous avons vu douze générations de penseurs se morfondre sur un problème insoluble, des sculpteurs s’acharner à donner à la pierre la forme de leurs rêves, des peintres incarner dans des corps à peine matériels leur vision intérieure, des poètes courir éperdus dans les régions surnaturelles.
Un des effets bizarres de cette plaisante victoire de Montlhéry, c’est qu’elle enfle tellement le cœur de Charles, que, depuis ce jour-là, se croyant un Alexandre, il ne rêve plus que guerre et conquête (lui qui n’y avait point songé auparavant), et qu’il n’use plus du conseil de personne.
Fauriel était triste et désespéré comme un homme jeune, qui voit pour la première fois se briser son rêve.
J’allais oublier un portrait de l’impératrice Marie-Louise, qui est toute une réhabilitation et une révélation : elle y est peinte touchante, poétique, une Tyrolienne sentimentale, le regard plein de rêves, d’horizons intérieurs et mystérieux.
Hector, le valet du Joueur, dira dans son rêve de fortune : J’aurais un bon carrosse à ressorts bien liants ; De ma rotondité j’emplirais le dedans… Et le fat marquis, s’étalant aussi tout à l’aise, lâchera ce couplet que chacun achève de mémoire, mais que nous ne pouvons nous empêcher de rappeler : Moi, j’aime à pourchasser des beautés mitoyennes ; L’hiver, dans un fauteuil, avec des citoyennes, Les pieds sur les chenets étendus sans façons, Je pousse la fleurette et conte mes raisons… J’ai rendu toute justice et tout hommage à Boileau ; mais ici, dans cette large et copieuse façon de dire, Regnard remontait par-delà Boileau, et dérivait en droite ligne de Régnier.
Heureusement que, dans mon sommeil, je ne rêve pas souvent de ces situations désagréables, autrement j’en viendrais à redouter ce qui fait maintenant mes seules heures de repos… Et tous ceux qu’on lui recommande sont, notez-le bien, « des officiers expérimentés, braves comme leur épée, pleins de courage, de talents et de zèle pour notre cause, en un mot, dit-il, de vrais Césars, dont chacun doit être une acquisition inestimable pour l’Amérique ».
Mais je ferai remarquer que Bernardin de Saint-Pierre, en adoptant ainsi la morale du fabuliste, n’est point, autant qu’on pourrait croire, en contradiction avec lui-même ; car, si Bernardin est optimiste, c’est pour les hommes tels qu’il les rêve, et nullement pour ceux qu’il a rencontrés et connus ; il juge ces derniers avec sévérité bien plus qu’avec indulgence.
J’étais étudiant comme vous, j’avais votre âge, lorsque s’ébauchèrent pour moi, parmi les enthousiasmes et les désenchantements littéraires des vingt ans, les premiers linéaments du rêve familier qu’est pour un poète, la poésie.
L’amour de la spécialité, cette furie de la médiocrité d’un temps qui remplacera incessamment le talent par le métier, l’amour de la spécialité ne nous a pas à ce point brouillé la cervelle que nous ne puissions très bien admettre des livres où l’imagination étend sa couleur inspirée sur les notions exactes de la science et rêve parfois à côté… Entre les savants purs et les poètes ou les écrivains de sentiment et de fantaisie, il y a des écrivains intermédiaires, ayant les deux dons à la fois, dans des degrés différents, qui savent composer des livres moins austères que la science, mais non pas cependant frivoles parce que l’imagination y ajoute son charme.
La société, en effet, commence par chanter ce qu’elle rêve, puis raconte ce qu’elle fait, et enfin se met à peindre ce qu’elle pense… Une observation importante : nous n’avons aucunement prétendu assigner aux trois époques de la poésie un domaine exclusif, mais seulement fixer leur caractère dominant.
« Il veut savoir le mot de toutes les énigmes qu’on se pose sur le tombeau de ceux qui ne sont plus, et qui reviennent si souvent dans le cours de la vie, à l’heure de la douleur, de l’injustice, de la maladie, en présence de la nature, dans l’obscurité des nuits sans sommeil, et jusque dans les rêves.
« Que les faibles se nourrissent des plus nobles rêves. […] La paix sociale est, comme la paix mondiale, un noble rêve. […] qu’un rêve. […] La paix sociale n’est qu’un rêve. […] Mais le rêve déraisonnable de « construire à neuf une vieille maison », comme disait Rivarol, entraînait ces héritiers du passé français à radicalement effacer ce passé.
Les sentiments et les idées auxquels sa politique a essayé de conformer la réalité étaient en lui bien avant 1715, alors qu’ils ne pouvaient être que spéculation, instinct ou rêve. […] Son rêve, caressé longtemps comme une chimère et qu’il faillit réaliser, c’est de « chasser les barbares hors de l’Italie » ; le mot revient sans cesse sous sa plume. […] Il la croit suffisante pour la grande œuvre qu’il rêve, à condition d’être en de bonnes mains. […] Il n’y a que la comtesse démoralisée par l’ennui, au point que le cou blanc d’un enfant la bouleverse, il n’y a que ce polisson de Chérubin, encore gamin et déjà libertin dans son premier rêve d’amour, qui soient réels et vivent avec intensité. […] Lenient : Le Mariage de Figaro n’est pas « le préambule des cahiers de 1789 » : c’en est tout l’opposé : ceux-ci sont le rêve sublime, celui-là la réalité immorale, dans laquelle le rêve se résout.
Sur mer, il eut un rêve singulier. […] Il doit voyager et faire son tour du monde, non pas en rêve, comme un poète, ni même dans sa bibliothèque, comme un savant, mais en réalité, par le bateau à vapeur et par le chemin de fer. […] Je l’ai trouvé appuyé sur ma boutique dans la posture d’un homme qui rêve.
Vingt ans d’insultes sans vengeance et d’humiliations sans relâche, le tumulte intérieur de tant d’espérances nourries, puis écrasées, des rêves violents et magnifiques subitement flétris par la contrainte d’un métier machinal, l’habitude de souffrir et de haïr, la nécessité de cacher sa haine et sa souffrance, la conscience d’une supériorité blessante, l’isolement du génie et de l’orgueil, l’aigreur de la colère amassée et du dédain engorgé, voilà les aiguillons qui l’ont lancé comme un taureau. […] Que les sages et dignes commissaires inspecteurs lui donnent un régiment de dragons et l’envoient en Flandre avec les autres. — En voici un second qui prend gravement les dimensions de son chenil, homme à visions prophétiques et à vue intérieure, qui marche solennellement toujours du même pas, parle beaucoup de la dureté des temps, des taxes et de la prostituée de Babylone, barre le volet de sa cellule exactement à huit heures, et rêve du feu. […] Philosophe contre toute philosophie, il a créé l’épopée réaliste, parodie grave, déduite comme une géométrie, absurde comme un rêve, croyable comme un procès-verbal, attrayante comme un conte, avilissante comme un torchon posé en guise de couronne sur la tête d’un dieu.
Loin de caresser voluptueusement des rêves, ces personnages sont sévères jusqu’au point d’être durs et cruels pour eux-mêmes. […] Ainsi, à peine retrouvé, ce rêve d’amour, si longtemps caressé, doit s’envoler. […] Cette paille, c’est que ces dénouements, où les situations les plus difficiles et les plus cruelles se détendent comme par magie et se dissipent comme un rêve, sont parfois innocemment immoraux. […] On accepte plus difficilement encore que cette passion, une fois mise en branle avec une telle force, puisse soudainement faire volte-face et s’évanouir sans laisser plus de traces qu’un rêve. […] qui donc lui montre la misère pour résultat de sa fierté et le mépris pour fruit de ses rêves ?
Henri Heine, dans son livre charmant des Reisebilder, jette en passant cette jolie esquisse : « Il était encore de très bonne heure quand je quittai Gœttingue, et le savant Eichhorn était certainement encore étendu dans son lit, où il faisait peut-être son rêve ordinaire : qu’il se promenait dans un beau jardin, sur les plates-bandes duquel il ne poussait que de petits papiers blancs chargés de citations, qui brillaient d’un doux éclat au soleil, et dont il cueillait plusieurs çà et là, qu’il transportait laborieusement dans une planche nouvelle, pendant que les rossignols réjouissaient son vieux cœur de leurs accents les plus doux. » Ce jardin vous l’avez reconnu : c’est celui de la philologie. — La philologie aura donc son jour, le samedi, auquel je n’ose convier que les humanistes, ceux qui aiment à étudier les textes de près, et à se promener dans ce beau jardin tout à loisir. […] Matamore Il est vrai que je rêve, et ne saurais résoudre Lequel je dois des deux le premier mettre en poudre, Du grand Sophi de Perse, ou bien du grand Mogor. […] Dans la pièce espagnole, l’expédition contre les Maures, si prompte et si rapide qu’elle soit, doit durer au moins plusieurs jours : on assiste au brillant départ du jeune Rodrigue, déjà illustré par son duel avec le comte de Gormas ; on voit et on entend son courtois entretien avec l’Infante, qui rêve au balcon de son palais d’été ; on a là d’agréables scènes, de jolis motifs, et même un mélange de comique, une pointe de grotesque, ce berger, qui, à la vue des Maures ravageant la plaine, s’enfuit dans la montagne, au plus haut des rochers, et qui, le combat terminé, ayant assisté à la victoire de Rodrigue et à ses grands coups d’épée sur les infidèles, s’écrie : « Par ma foi !
Dans ces hauteurs brûlantes où la raison se fond comme une cire, le symbole et l’apparition, entrelacés, effacés l’un par l’autre, aboutissent à l’éblouissement mystique, et le poëme tout entier, infernal ou divin, est un rêve qui commence par le cauchemar, pour finir par le ravissement. […] Si l’on examine l’âme moderne, on y rencontre des altérations, des disparates, des maladies, et pour ainsi dire des hypertrophies de sentiments et de facultés dont son art est la contre-épreuve. — Au moyen âge, le développement exagéré de l’homme spirituel et intérieur, la recherche du rêve sublime et tendre, le culte de la douleur, le mépris du corps, conduisent l’imagination et la sensibilité surexcitées jusqu’à la vision et l’adoration séraphiques. […] L’homme n’est plus ce qu’il était, et ce que peut-être il aurait bien fait de rester toujours, un animal de haute espèce, content d’agir et de penser sur la terre qui le nourrit et sous le soleil qui l’éclairé ; mais un prodigieux cerveau » une âme infinie pour qui ses membres ne sont que des appendices et pour qui ses sens ne sont que des serviteurs, insatiable dans ses curiosités et ses ambitions, toujours en quête et en conquête, avec des frémissements et des éclats qui déconcertent sa structure uni maie et ruinent son support corporel, promené en tous les sens jusqu’aux confins du monde réel et dans les profondeurs du monde imaginaire, tantôt enivré, tantôt accablé par l’immensité de ses acquisitions et de son œuvre, acharné après l’impossible ou rabattu dans le métier, lancé dans le rêve douloureux, intense et grandiose comme Beethoven, Heine et le Faust de Gœthe, ou resserré par la compression de sa case sociale et déjeté tout d’un côté par une spécialité et une monomanie comme les personnages de Balzac. […] Quand il la salue au retour, ce n’est point par une convenance poétique, comme Tancréde ; il n’éprouve pas seulement, comme un moderne, le plaisir de retrouver des objets familiers et de rentrer chez soi ; sa plage, ses montagnes, l’enceinte murée qui enclôt son peuple, la voie où des tombeaux gardent les os et les mânes des héros fondateurs, tout ce qui l’entoure est pour lui une sorte de temple. « Àrgos, et vous, dieux indigènes, dit Agamemnon, c’est vous que je dois saluer d’abord, vous qui avez été les auxiliaires de mon retour et de la vengeance que j’ai tirée de la ville de Priam. » Plus on regarde de près, plus on trouve leur sentiment sérieux, leur religion justifiable, leur culte bien fondé ; et ce n’est que plus tard, aux époques de frivolité et de décadence, qu’ils sont devenus idolâtres. « Si nous représentons les dieux sous des figures humaines, disaient-ils, c’est qu’il n’y a pas de forme plus belle. » Mais, par-delà la forme expressive, ils voyaient flotter comme en un rêve les puissances générales qui gouvernent l’âme et l’univers.
Point de subterfuge possible ; adieu l’artifice dialectique qui endort l’attention et qui donne, en rêve, l’illusion d’avancer. […] Le rôle du corps était ainsi de jouer la vie de l’esprit, d’en souligner les articulations motrices, comme fait le chef d’orchestre pour une partition musicale ; le cerveau n’avait pas pour fonction de penser, mais d’empêcher la pensée de se perdre dans le rêve ; c’était l’organe de l’attention à la vie. […] étrange négation de la réalité des corps que celle qui s’exprime par une théorie positive de la nature de la matière, théorie féconde, aussi éloignée que possible d’un idéalisme stérile qui assimilerait la perception au rêve ! […] À vrai dire, le rêve d’une mathématique universelle n’est déjà lui-même qu’une survivance du platonisme. […] Kant a pris pour une réalité ce rêve de quelques philosophes modernes 28 : bien plus, il a cru que toute connaissance scientifique n’était qu’un fragment détaché, ou plutôt une pierre d’attente de la mathématique universelle.
C’est ainsi qu’il construit son Tibur selon le rêve d’une médiocrité dorée ; mais, si vous êtes riche, il travaille sur d’autres frais ; il vous proposera les colonnes, les marbres, les galeries avec dôme de cuivre doré ou terrasses en plomb, tout un ordre de fabriques à la romaine : « Et je veux que tout cela soit éloigné l’un de l’autre dans un grand espace, et joue avec l’eau, le gazon et les plus beaux chênes. » Je ne veux, par ces citations, que rendre le sentiment qui circule dans tout ce qu’a écrit le prince de Ligne sur les jardins.
Ils sont paresseux, mais surtout par délicatesse, pour ne pas profaner par une œuvre incomplète leur rêve de perfection exquise, ou s’ils consentent à laisser tomber une esquisse de leurs mains, c’est avec une négligence sincère qui ne permet pas de les juger.
Les scènes pastorales et les tranquilles retraites, les promenades ombreuses et les sites solitaires, les doux oiseaux s’unissant en concert aux ruisseaux harmonieux, les molles brises, les veilles nocturnes et les rêves de jour sont autant d’enchantements qui, dans un cas comme le vôtre, conspirent contre votre tranquillité, vous amollissent pour faire de vous une proie plus sûre, et entretiennent la flamme qui consume vos forces.
Le monde a changé de tour et de manière de voir ; il est devenu positif, comme on dit : je le répète sans idée de blâme : car, si par positif on entend disposé à tenir compte avant tout des faits, y compris même les intérêts, — disposé à ne pas donner à la théorie le pas sur l’expérience, — disposé à l’étude patiente avant la généralisation empressée et brillante, — disposé au travail et même à la discipline plutôt que tourné à la fougue sonore et au rêve ; si par positif on entend toutes ces choses et d’autres qui peuvent devenir d’essentielles qualités, au milieu de tout ce que laisserait de regrettable l’espèce des qualités et des défauts contraires, il y aurait encore de quoi se raffermir et se consoler.
Tout cela, d’un bout à l’autre, a l’air d’un rêve.
Voilà des rêves.
S’il hésite pourtant à dire qu’il a plus souvent qu’on ne le croit la plume à la main, il se montre bien au naturel et avec la dignité qui lui sied, dans la plénitude de ses pensées et de son rêve : Je ne vous cacherai point que je n’ai ni la santé, ni le génie, ni le goût qu’il faut avoir pour écrire ; que le public n’a point besoin de savoir ce que je pense, et que, si je le disais, ce serait ou sans effet, ou sans aucun avantage.
Lucius est donc malade de la maladie de son temps : à peine a-t-il mis le pied en Thessalie qu’il ne rêve qu’enchantements et que métamorphoses ; les discours qu’il entend de ses compagnons de route, et qu’il se fait répéter le long du chemin, exaltent sa curiosité et lui donnent encore plus de désir que de crainte.
Car, avant de nous le faire accepter, il a fallu pour le Shakespeare comme aujourd’hui pour le Gœthe, comme pour tout ce qui est grand à l’étranger, nous couper les morceaux à l’avance, nous donner petit à petit la becquée ni plus ni moins qu’aux petits oiseaux ; l’image est vraie à la lettre : comptez un peu les allées et venues, les reprises et les temps d’arrêt, les bouchées successives : en prose, La Place, Le Tourneur, Guizot, Benjamin Laroche, François-Victor Hugo ; et en vers, Ducis avec Talma, un rêve, une création à côté ; puis Halévy, une transition, puis les Vigny et les Wailly et les Deschamps, lutteurs fidèles, et Dumas et Meurice avec leur acteur Bouvière, qu’il n’en faut pas séparer, et Jules Lacroix, le dernier de tous, heureux possesseur.
Il eut dans un éclair rapide, au retour de quelque visite à Saint-Germain ou à Versailles, son éblouissement d’une heure, son rêve de continuateur de Richelieu et de Mazarin.
Émile avait sauvé cela de ses premiers rêves, et toutes ses réflexions et ses expériences successives ne firent que l’y confirmer : il avait son système, son plan parfait et son idéal de société future, ce qu’on a pu appeler son coin d’utopie.
… » Il avait retourné la vie ; la réalité pour lui était le rêve.
Mais je demande l’impossible : on voit bien que c’est un rêve.
Dans ce dialogue Lisette parle très bien en paysanne qu’elle est et dans sa gamme ; elle raconte son rêve, sa vision, une vision toute mystique, à la Bunyan.
La correspondance de l’abbé de Vermond n’a rien qui prête à ces illusions rétrospectives, elle rabat du rêve, elle remet les choses au vrai point.
On a vu, on veut voir encore, toujours ; la nuit se fait, on continue à regarder, on croit voir, on rêve.
Alexandre Dumas, il entre presque comme faisait Machiavel en exil, dans la cour auguste des grands hommes de l’antiquité, ou du moins il rêve et s’inspire entre la Bible et Corneille, devant un crucifix.
Nous ne craignons pas ici de soulever avec respect un voile pieux qui est désormais celui du deuil : le voyage d’Italie réalisa tout son rêve, il y vit tout ce qu’il attendait du passé, il trouva plus ; son cœur rencontra celle qui lui était destinée, et son avenir s’enchaîna.
Lui, comme tous les chantres de la jeunesse, de la beauté et de l’amour, il forme un vœu plus doux, il rêve une gloire plus charmante, quelque Françoise de Rimini au fond : Ut tuus in scamno jactetur sæpe libellus, Quem legat expectans sola puella virum96.
J’oserais conjecturer que cette circonstance est demeurée la plus grande affaire de sa vie, et le fond le plus inaltérable de ses rêves.
Entre toutes les scènes si finement assorties et enchaînées, la principale, la plus saillante, celle du milieu, quand, un soir d’été, à Faverange, pendant une conversation de commerce des grains, Édouard aperçoit Mme de Nevers au balcon, le profil détaché sur le bleu du ciel, et dans la vapeur d’un jasmin avec laquelle elle se confond, cette scène de fleurs données, reprises, de pleurs étouffés et de chaste aveu, réalise un rêve adolescent qui se reproduit à chaque génération successive ; il n’y manque rien ; c’est bien dans ce cadre choisi que tout jeune homme invente et désire le premier aveu : sentiment, dessin, langue, il y a là une page adoptée d’avance par des milliers d’imaginations et de cœurs, une page qui, venue au temps de la Princesse de Clèves, en une littérature moins encombrée, aurait certitude d’être immortelle.
Les rêves n’ont pas tant d’uniformité et de concordance dans leurs chimères.
Il ne rêve que prostitution, débauches et orgies de femmes ; il pense que ce sont là les privilèges de la souveraineté, privilèges qui lui assurent pour lui seul la satisfaction de ses caprices et de ses excès, et qui ne laisseront aux autres que la rougeur et l’infamie.
J’étais vivante, mais j’étais comme dans un rêve.
Cette réserve faite, les comédies de Marivaux se déroulent dans une société idéale, dans le pays du rêve : ce sont de délicates hypothèses sur l’âme humaine qu’il explique avec une étonnante sûreté.
Il raconte toutes les formes qu’ont prises dans l’humanité le rêve d’un idéal, la conception de la vie universelle, de ses causes et de ses fins : légendes indiennes, helléniques, bibliques, polynésiennes, scandinaves, celtiques, germaniques, chrétiennes, tous les dieux et toutes les croyances défilent devant nous et se caractérisent avec une étonnante précision.
Une fois les lourds battants feutrés retombés derrière vous, tout est fini, rien de tout cela n’existe plus : vous entrez dans un monde nouveau, dans un lieu de mystère où vous pouvez croire que la vie est un vague et mauvais rêve allégé par des trêves bienfaisantes qui font pressentir le réveil ailleurs ; et vous sortirez avec une douceur dans l’âme et une résignation un peu moins inutile que la révolte. « Venez, vous qui peinez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. » Mais, au lieu de gueux et de claque-patins, des messieurs, qui ont toutes sortes de raisons pour se consoler de vivre, viennent occuper les places d’abonnés, les stalles de velours en face de la chaire.
Qu’une coupe vidée est amère, et qu’un rêve Commencé dans l’ivresse avec terreur s’achève !
C’est le pitre forain excellent à faire la parade, à recevoir les gifles sur une joue trop rouge pour rougir et à espérer courbé les coups de pied au cul : pourquoi faut-il qu’il rêve des élégances du jeune premier et qu’il s’acharne à parler avec une recherche plus comique que ses lazzis ?
J’engage les curieux à relire le passage qui commence par ces mots : « Dites-moi pourquoi, détestant la vie, je redoute la mort… » et qui finit par ces mots : « J’avoue qu’un rêve vaudrait mieux. » Un critique anglais, au moment où les Lettres parurent à Londres, remarquait avec justesse que Mme Du Deffand semble avoir combiné dans la trempe de son esprit quelque chose des qualités des deux nations, le tour d’agrément et la légèreté de l’une avec la hardiesse et le jugement vigoureux de l’autre.
La veille, il était l’homme du règne futur et des prochaines espérances ; aujourd’hui il n’est plus rien, son rêve a croulé, et s’il pouvait l’oublier un seul instant, le monde est là aussitôt pour le lui dire.
Le rêve de ce jour-là, il le réalisa quelques années après dans son séjour aux Charmettes, dans cette promenade du jour de la Saint-Louis, qu’il a décrite comme rien de pareil n’avait été peint jusque-là encore : Tout semblait conspirer, dit-il, au bonheur de cette journée.
Homme d’occasion et de lutte sur un terrain déterminé, habile à profiter du moindre pli, et sachant en définitive autant que personne combien la fortune et l’humeur gouvernent le monde, il était disposé par sa nature d’esprit à considérer les conceptions générales comme des rêves.
On établirait aussi que telles suites de vers libres ne sont que des alexandrins décomposés ; on donnerait comme exemples, sinon comme preuves : Car vois | les marbres d’or aux cannelures fines | Sont riches du soleil qui décline, | versant Avec sa joie la soif des vins | qu’elle mûrit ; | fragment qui dans l’original forme cinq vers de 2, 10, 9, 10, 4 syllabes ; Oui c’est l’orfroi, | ce sont les pourpres constellées | Des rêves orgueilleux comme des nefs | s’inclinent | Ma gloire, à moi, | c’est d’embrasser tes deux genoux | Ramenant vers leur cou | leur tunique défaite, | Protégeant de leurs mains leurs regards aveuglés | Baissent la tête | autour de nous, | silencieux | Tu ris !
l’admirable merveille que ce monceau fourmillant de rêves engendrant le réel !
Parmi les éléments du vers libre, celui-ci existe, il en contient d’autres, et bien d’autres ambitions, car quel est le novateur qui, tout en sachant ses origines (sans cela il ne serait point conscient), ne rêve une totale reconstruction de tout, d’autant que tout critique sérieux se rend compte qu’en ébranlant un pan de la façade artistique on touche à toute la façade sociale ; c’est ce qui explique que, lorsque les revendications d’art se présentent, elles rencontrent d’aussi agressives résistances.
Il les veut si purs, il les rêve si parfaits, qu’il affecte de considérer comme un crime, chez un bourgeois, une action qui serait simplement douteuse si elle avait pour auteur un artisan ou un rustre.
On sent si bien, aux palpitations de sa pensée, qu’il a poursuivi d’une course haletante tous ces rêves et toutes ces espérances !
Mais, qu’il me permette de le lui demander, ces résultats sont-ils ce qu’il attendait, lui, quand, plus jeune et moins savant, il avait l’imagination saisie par un livre dont ridée était pour sa pensée tout à la fois un rêve et une caresse ?
Même l’amour du pouvoir chez le duc de Saint-Simon est un rêve d’artiste.
Il est resté ce qu’il est d’essence : un raffiné, — un convulsé de raffinement, — qui ne prend son parti de rien, qui tord la chose, le mot, le trait, non seulement parce qu’il est une nature d’efforcement, mais parce que son temps est le contraire de tous ses rêves et de toutes ses aspirations !
Malgré la chétivité de ces rêves produits par l’opium ou le haschisch, et qui ne révèlent à l’homme que l’homme, c’est-à-dire ce qu’il sait trop déjà, l’auteur des Paradis a des passages qui emporteront les imaginations rêveuses, lesquelles chevauchent l’expression comme un hippogriffe !
Mais, entre les rêves sanglants de Catilina et les cruautés des Triumvirs, quelle que fut encore la jeunesse de l’idiome et du génie romain, il n’y avait guère de place pour l’enthousiasme du beau et la puissance des arts.
À force de chercher le Seigneur, on trouvait le rêve. […] Pour comble, le fanatisme s’était changé en institution : le sectaire avait noté tous les degrés de la transfiguration intérieure, et réduit en théorie l’envahissement du rêve : il travaillait avec méthode à chasser la raison pour introniser l’extase. […] Tous les fins sentiments, tous les rêves, cet enchantement, cette sereine et sublime lumière qui transfigure en un instant notre misérable monde, cette illusion qui, rassemblant toutes les forces de notre être, nous montre la perfection dans une créature bornée, et le bonheur éternel dans une émotion qui va finir, tout disparaît ; il ne reste chez lui qu’un appétit rassasié et des sens éteints ; le pis, c’est qu’il écrit sans verve et correctement ; l’ardeur animale, la sensualité pittoresque lui manquent ; on retrouve dans ses satires un élève de Boileau. […] Il renverse en six mots l’autorité de cette révélation et de toute autre : « Dire que Dieu a parlé en rêve à un homme, c’est dire simplement qu’il a rêvé que Dieu lui parlait. Dire qu’il a vu une vision ou entendu une voix, c’est dire qu’il a eu un rêve qui tenait du sommeil et de la veille.
Un hommage à Edmond de Goncourt ( les paons blancs réveillés par la Faustin qui rêve …) un hommage à Verlaine ( Verlaine paysage obnubilé de roses …) montrent assez le tribut de gratitude dont M. de Montesquiou se sent tenu envers les figures qui dominent la période. […] En revanche l’œuvre y gagne en solidité architecturale, et la production ancienne de M. de Montesquiou ne manque pas d’une certaine majesté massive, avec ces trois ouvrages carminaux : les Hortensias bleus, les Chauves-Souris, le Parcours du Rêve au Souvenir qui en forment le centre, et que flanquent deux poèmes à la fois intégrants et épisodiques , les Paons consacrés aux pierreries, le Chef des odeurs suaves aux fleurs. […] Cultivant des espèces rares du pléonasme, on redouble par le verbe l’idée qu’exprime le substantif : mon rêve rêvera . […] Mais peut-être qu’à d’autres yeux l’autre côté déploie le rêve et les fleurs de la joie d’un dessin merveilleux. […] Mais allons, Doralice, chassons ces rêves.
Il songe au bonheur qu’il a perdu, à l’avenir qu’il se promettait, et quand le premier trouble de sa douleur s’est apaisé dans les larmes, il ne rêve qu’au moyen de retrouver Manon, de la rappeler, de la reconquérir. […] Tous les secrets de ces deux jeunes cœurs, toutes leurs espérances, toutes leurs ambitions, tous leurs rêves sont racontés avec une délicatesse que nous sommes habitué à ne rencontrer que chez les femmes. […] Noëmi est née pour la paix et le bonheur ; elle est pleine de courage et de raison ; elle s’applique avec une constance infatigable à réaliser le rêve des moralistes, à chercher la joie dans le devoir. […] Ce rêve commencé dans le paradis et achevé dans l’enfer est raconté avec une précision quelquefois effrayante, et qui pourtant ne franchit jamais les limites de l’émotion poétique. […] Cet amour importun dont il voulait se débarrasser le réveille en sursaut au milieu de ses rêves de bonheur et d’indépendance.
Elle s’inquiète et s’émeut de tout ce qui est faux ; elle rêve probablement des pays et des êtres inconnus ; elle n’a que le goût des voyages et non celui de la peinture, et se demande en quelles terres habitent les personnages tatoués et coloriés qui l’intéressent. […] L’idéal, répondent les fantaisistes, les rêves, les folles chimères, le style papillotant, l’art à facettes, voilà le beau ! […] Je me suis senti un dégoût profond pour les Hamlet, les Océanides, les Saint Augustin, les Apothéoses, les Cimbres, les Idylles, les Fille de Tintoret, les Françoise de Rimini, les Pilori, les Rêve de Bonheur, que sais-je. […] Avec la raison on observe, on analyse, on synthétise, on discute, avec l’imagination on rêve ; il faut être froid et calme pour raisonner, l’imagination ne se manifeste qu’après une excitation quelconque. […] Il est tourmenté par une foule de rêves personnels qu’il est obligé d’écrire pour se soulager.
Tout héros de cet avatar en arrive promptement à se retirer loin de la foule dans la tour d’ivoire ou d’ébène où il lui est loisible davantage de se livrer à son rêve. […] On esquissera des rêves derniers, on bâtira des icaries imaginaires et l’on fera bien. […] Il ne présentera pas du rêve, mais du vrai, de la vie meilleure et réalisée et pour parvenir à nous y faire adhérer, il devra faire que cette vie s’adapte à nous, ainsi qu’au milieu où nous sommes.
Ou bien il s’est assis à mon chevet, et je l’ai oublié comme un rêve. Comme un rêve », répétai-je tristement. […] À quoi rêves-tu ?
LA DÉTRESSE DES NIBELUNGEN LE RÊVE DE KRIEMHILT « Il croissait en Burgondie une jeune fille si belle, qu’en nul pays il ne s’en pouvait rencontrer qui la surpassât en beauté. […] « Lorsqu’elle dit son rêve à sa mère Uote, celle-ci ne put l’expliquer à la douce jeune fille autrement qu’ainsi : « Le faucon que tu élevais est un noble époux, que tu dois bientôt perdre, si Dieu ne te le conserve. […] « C’était ce même faucon qu’elle avait vu dans son rêve et dont sa mère lui avait dit la signification.
Il ne rêve que théâtre. […] Quelle gentille société que celle qui adorait de tels rêves et qui faisait le plus formidable succès du siècle à la comédie qui lui en donnait la plus pure représentation ! […] Et Bérénice veut être douce, et elle est cruelle malgré soi, parce qu’elle aime l’autre et qu’elle croit toucher à son rêve… En vain Phénice, une fine camériste, lui dit : « À votre place, madame, j’aurais retenu ce garçon : car enfin, qui sait ? […] Titus, c’est bien le roi, jeune, et idéalisé selon son propre rêve. […] Quand Phèdre nomme son aïeul le Soleil, quand Aricie nomme son aïeule la Terre, nous nous rappelons soudain nos lointaines origines, et que la Terre et le Soleil sont en effet, nos aïeux, que nous tenons à Cybèle par le fond, mystérieux de notre être, et que nos passions ne sont en somme que la transformation dernière de forces naturelles et fatales et comme leur affleurement d’une minute à la surface de ce monde de phénomènes… Les tragédies classiques sont charmantes parce qu’elles sont infiniment suggestives de souvenirs et de rêves… Neuvième conférence.
Mais cette douce émotion passe comme un beau rêve, comme un bel air de musique, comme un bel effet de lumière, comme tout ce qui est bien, comme tout ce qui, nous touchant vivement, ne doit par cela même durer qu’un instant. » Certes de telles pages, négligemment jetées et venues comme d’elles-mêmes dans une brochure plutôt politique, attestent mieux que tout ce qu’on pourrait dire un coin de nature d’artiste bien mobile et bien franche (genuine), ouverte à toutes les impressions, et digne, à certains moments, de tout comprendre et de tout sentir. […] Bien des choses se sont passées depuis, bien des espérances et des rêves ont été déçus, bien de nobles croyances ont pu être flétries ; eh bien !
O Lune gracieuse, un an déjà s’achève Qu’ici, je m’en souviens, dans ces lieux où je rêve, Sur ces mêmes coteaux je venais, plein d’ennui, Te contempler ; et toi, belle comme aujourd’hui, Tu baignais de tes flots la forêt tout entière. […] Peut-être que d’abord le regard s’épouvante Du désert d’alentour où l’amie est absente ; Peut-être que l’amant n’a plus devant les yeux Qu’un monde inhabitable et qu’un jour odieux, S’il n’atteint l’objet seul, l’idéal de son rêve : Mais, déjà pressentant l’orage qui s’élève, L’orage de son cœur, il tend les bras au port, Avant que le désir ne rugisse plus fort.
Il rêve la bibliothèque publique et universelle avec la même persistance et la même chaleur que Diderot a pu mettre à l’Encyclopédie ; il se consume à l’édifier par toutes sortes de travaux et de voyages ; il n’aime la gloire que sous cette forme, mais c’est à ses yeux une belle gloire aussi, et, au moment où il semble l’avoir atteinte, il échoue, ou du moins il peut croire qu’il a échoué. […] Ç’allait être un beau jour pour lui, le plus beau jour de sa vie, que celui où la publicité de cet établissement unique eût été complète245 ; déjà la porte particulière à l’usage des savants était pratiquée sur la rue ; déjà l’inscription latine destinée à figurer au-dessus, et qui devait dire à tous les passants (aux passants qui savaient le latin) d’entrer librement, se gravait sur le marbre noir en lettres d’or ; Naudé touchait à l’accomplissement du rêve et du labeur de toute sa vie.
En vérité, ces rêves d’unité italienne ou germanique ne ressembleraient-ils pas à des trahisons, s’ils n’étaient pas les inepties du patriotisme ? […] Les rêves des publicistes d’aujourd’hui ne trouvent pas d’accès dans ces deux têtes d’hommes d’État, l’une tout expérimentale, l’autre toute militaire.
C’est un drame entièrement imaginaire et fantastique, qui pourrait aussi bien se jouer entre des ombres dans la lune, qu’entre des chrétiens et des musulmans dans la Palestine ; un rêve, en un mot, au lieu d’une réalité. Mais un rêve chanté en vers immortels, mais un roman tissu et raconté avec une telle prodigalité d’imagination, de piété, d’héroïsme, de tendresse, que le lecteur, oubliant les temps, les lieux, les mœurs, en suit du cœur les touchantes aventures avec autant d’intérêt que si c’était une histoire ; mais des scènes qui rachètent par le pathétique des situations et des sentiments l’inconséquence et l’étrangeté de la conception ; mais un charme comparable à l’enchantement de son Armide, charme qui découle de chaque strophe, qui vous enivre de mélodie comme le pavot d’Orient de ses visions, et qui vous livre sans résistance aux ravissantes rêveries de cet opium poétique ; mais un style surtout coloré de telles images, et chantant avec de telles harmonies, qu’on s’éblouit de sa splendeur, et qu’on se laisse volontairement bercer de sa musique, comme au roulis d’une gondole vénitienne pendant une nuit d’illumination à travers les façades de palais de la ville des merveilles.
On aurait en vain parlé raison à ce public, on aurait en vain représenté à cet enthousiasme socialiste que la société ne doit à personne, et surtout à un enfant de dix-huit ans comme Chatterton, que le prix réel de ses services, et non le prix auquel il évalue ses rêves ; qu’il n’y a rien d’humiliant dans un emploi servile bien rétribué, quand cet emploi, qui est celui des dix-neuf vingtièmes de la population, est honorable ; que le cri de haine contre la société étayée ainsi est le cri d’un fou qui veut avoir raison contre la nature des choses, et que le suicide à dix-huit ans par impatience est l’acte d’un frénétique. […] Ses rêves d’or lui permettaient toutes les illusions de la bienfaisance.
Mais on est tiré de ce rêve de solitude par l’heure qui vient à sonner à la tour, ou par le cri des paons du parc, ou par les tambours ou les clairons qui retentissent à la caserne. […] En s’habillant, Goethe me raconta un rêve de sa nuit.
. — Dans un de ses rêves il dit : « Voyez… voyez cette belle tête de femme… avec ses boucles noires… un coloris splendide… sur un fond noir… » À un autre moment, voyant sur le sol une feuille de papier, il demanda : « Pourquoi laisse-t-on par terre une lettre de Schiller ? […] Fénelon était aussi politique, mais moins pratique ; il transportait ses rêves dans la réalité ; son chef-d’œuvre n’est qu’une utopie ; il n’a rien à comparer à Goethe.
Coppée a recommencé si souvent ; il y est revenu avec une si évidente complaisance qu’il faut bien qu’il y ait mis son coeur et qu’il ait trouvé, dans ces peintures en vers de la vie, des mœurs, des souffrances et des mérites des « humbles », — et non point des « humbles » pittoresques : bergers, pêcheurs, vagabonds, gueux de Richepin, mais des « humbles » incolores : épiciers, employés, vieilles filles une autre douceur, plus intime, plus humaine, que celle d’accomplir des séries de tours de force En somme, Coppée, dans ses Humbles, a presque créé un genre ; il a presque réalisé un rêve de Sainte-Beuve. Toutefois il se pourrait qu’en dépit du rêve de Sainte-Beuve ce genre restât un peu hybride et douteux.
Ils jouent, entourant Socrate, le seul jeu qui les séduise, la discussion, la recherche d’hypothèses, l’enfantement ininterrompu de nobles rêves logiques. […] Il adopta volontiers pour sujet l’émotion produite, dans une âme étrangement pensive, par la création et la contemplation de rêves philosophiques.
De Quincey dit quelque part, dans ses Rêves d’un mangeur d’opium, « qu’il lui apparaît des édifices et des paysages, dont les proportions sont si vastes que l’œil du corps n’est pas apte à les recevoir. […] Dans la description de ses songes causés par l’opium, « alors que la mer lui apparaissait pavée d’innombrables figures, suppliantes, courroucées, désespérées, surgissant par myriades, par générations, par siècles, — alors qu’une architecture imaginaire se présentait à lui avec une vivacité et un éclat insupportable, ayant la faculté de grandir et de reproduire à l’infini », alors donc que les impressions mentales étaient extrêmement nombreuses et très distinctes, de Quincey nous dit qu’il lui a quelquefois semblé « avoir vécu 70 ou 100 ans dans une seule nuit » ; bien plus, « qu’il a eu alors des sentiments qui lui paraissaient avoir duré mille ans, ou plutôt un laps de temps qui excédait les limites de toute expérience humaine. » N’arrive-t-il pas, pendant un assoupissement de quelques minutes, de faire des rêves qui paraissent durer un temps considérable ?
Dimanche 23 mars Ce jeune souverain allemand, ce névrosé mystique, ce passionné des drames religioso-guerriers de Wagner, cet endosseur en rêve de la blanche armure de Parsifal, avec ses nuits sans sommeil, son activité maladive, la fièvre de son cerveau, m’apparaît comme un souverain bien inquiétant dans l’avenir. […] Jeudi 24 juillet Après une longue conversation, la tête penchée sur ses pieds dans leurs bottines de feutre, Daudet laisse échapper : « Dire que toutes les nuits, je rêve que je marche… que je marche sur des plages, où les gens me disent : « Comme vous marchez bien sur les cailloux… » Et le réveil… Ah !
Il a rempli l’Univers de ses armes, de sa politique, de sa philosophie et de ses modes nouvelles, de ses comédies et de ses pompons, de sa politique et de ses bons mots ; il a régné au théâtre et dans le salon ; dans la chaire et sur les champs de bataille ; il a vaincu par ses solitaires, autant que par ses capitaines ; la langue universelle il l’a trouvée, plus habile en ceci que Leibnitz qui cherchait à réaliser ce beau rêve, et qui le cherchait, comme si les oreilles n’eussent pas été faites pour entendre ! […] Comme aussi je reconnais à certains signes ineffaçables, l’antiquaire acharné dont les filles à peine vêtues se refusent un tour de lit et du linge blanc. — Celui-ci est toujours le premier homme du monde pour les papillons ; celui-là rêve, la veille, par où et comment il pourra se faire remarquer le jour suivant.
Puisque le grand projet d’une république protestante avait été écrasé par Richelieu, ils allaient borner à la vie individuelle et familiale leur rêve de justice sociale. […] Brunetière lui-même, le chantre attitré de Bossuet, est contraint à cet aveu : « … De n’avoir point senti ce qu’il y avait de force ou de vertu morale dans le protestantisme, d’avoir sacrifié, si je puis ainsi dire, au rêve d’une unité toute extérieure, purement apparente et décorative, la plus substantielle des réalités, voilà ce que l’on ne saurait trop reprocher à Louis XIV…88 » Alors que les protestants, poursuivis l’épée dans les reins, s’enfuient par toutes les frontières, pour échapper au sort commun, Louis XIV écrit en Hollande et en Angleterre « qu’il n’y à point de persécution, que les protestants émigrent par caprice d’une imagination blessée 89. » La Maintenon spécule sur les terrains que les persécutés étaient contraints, pour s’enfuir plus vite, de vendre à vil prix.
C’est un beau rêve qu’il serait dangereux de continuer, mais qu’il sera peut-être possible de reprendre un jour avec de meilleurs acteurs et des plans militaires mieux combinés… Plus j’ai été chargé immédiatement de cette grande alliance, plus on doit m’en croire quand je conseille la paix.
C’est l’Homère de Mme Dacier que lisait Mme Roland, jeune fille, avant les rêves de la vie publique, et dans sa studieuse retraite.
Il a vingt-quatre ans, il écrit à Mme de Bernières, sa grande amie d’alors ; il fait des rêves de retraite délicieuse avec elle dans sa maison de La Rivière-Bourdet, et dès ce temps-là il s’occupe de sa fortune avec M. de Bernières, qui paraît avoir eu le goût des spéculations et des entreprises : Pour moi, madame, qui ne sais point de compagnie plus aimable que la vôtre et qui la préfère même à celle des Indes, quoique j’y aie une bonne partie de mon bien, je vous assure que je songe bien plutôt au plaisir d’aller vivre avec vous à votre campagne, que je ne suis occupé du succès de l’affaire que nous entreprenons.
Mais pour exécuter de tels rêves il faut être plus que général d’armée, il faut être soi-même un souverain ; et alors le contrepoids manquant, et si l’on s’associe aux Charles XII, gare les aventures !
Il compte fort en dernier lieu, pour réaliser ce beau rêve, sur le fidèle Bachelier, valet de chambre du roi, et introducteur de Mme de Mailly, la première maîtresse : ce parti d’alcôve et d’antichambre lui paraît pour le quart d’heure, et tant qu’il en espère son avancement, le plus patriotique et le plus honorable : « En effet, tout l’autre parti radote ou trompe, et celui-ci est seul ferme, solide, dans les vrais intérêts de la couronne et plein d’amour pour la personne du roi. » D’Argenson, qui se laisse appuyer par Bachelier, appelle cela être dans l’intrigue passivement.
. » Et avec cette antithèse de bon ange et de mauvais génie, avec cette métaphore qu’il paraît prendre tout à fait au pied de la lettre, le magistrat brise le rêve de bonheur des deux jeunes gens ; et la jeune fille, acceptant à l’instant cette solution extrême et s’y résignant, ne pense plus qu’à aller au plus vite chercher son père, qui vit retiré depuis des années dans une terre en Dauphiné, et qu’elle se reproche d’avoir méconnu jusque-là dans son ingratitude, comme si, ignorant tout, elle était en rien coupable.
Visiter l’Angleterre pour elle, c’était abdiquer tout le passé de son rôle de reine, et en sacrifier désormais jusqu’au rêve et à la gloriole ; c’était reconnaître les faits accomplis et couronnés.
C’est ainsi encore qu’en plein désert, durant une nuit caniculaire, il dira : « L’heure était si belle, la nuit si tranquille, un si calmant éclat descendait des étoiles, il y avait tant de bien-être à se sentir vivre et penser dans un tel accord de sensations et de rêves, que je ne me rappelle pas avoir été plus satisfait de ma vie… » Un si calmant éclat, voilà encore un effet moral qui devient une nuance pittoresque, et la beauté du son, sa largeur, s’y joint pour compléter l’impression.
Dans l’auteur espagnol, on a une expédition de terre, le brillant départ de Rodrigue, son courtois et galant entretien avec l’infante qui rêve au balcon de son palais d’été, de jolies scènes, de jolis motifs ; on a même un léger grotesque, ce berger qui, à la vue des Maures ravageant la plaine, s’enfuit dans la montagne, au plus haut des rochers, et qui, le combat terminé, ayant assisté à la victoire de Rodrigue et aux grands coups d’épée dont il pourfend les infidèles, s’écrie : « Par ma foi !
Il ne s’inspire que de sa propre inaction ; il rêve et languit sur place.
Du moment en effet qu’il s’agissait de fonder, non pas une poésie dans le xixe siècle, mais la poésie du xixe siècle lui-même ; du moment qu’on s’était mis en marche, non pour jeter quelque part une colonie furtive, mais pour faire une révolution réelle dans l’art, la pensée dramatique avait toute raison de prévaloir ; l’épreuve décisive était et elle est encore dans cette arène ; quiconque ne l’y met pas désespère plus ou moins de cette aimantation poétique du siècle en masse, qui a été le rêve des avant-dernières années.
Il faudrait souvent s’oublier soi-même et sa part d’illusions d’autrefois ; ne pas en vouloir aux autres d’avoir, en mainte occasion, déçu nos rêves, desquels, après tout, ils ne répondaient pas ; tâcher de les considérer, non plus avec un rayon de soleil dans le regard, non pas tout à fait avec le sourcil trop gris d’un Johnson ; ne jamais substituer l’humeur au coloris ; voir enfin, s’il est possible, les œuvres et les hommes sous le jour où nous les offre ce moment présent, déjà prolongé.
Je dis que cela est touchant, parce que cela est désintéressé ; et c’est l’honneur éternel des lettres, de ce que les Anciens appelaient studia, d’entretenir en ceux qui les aiment de ces piétés qu’on appellera, si l’on veut, des manies : les hommes qui ne visent qu’au présent et à user à leur profit des circonstances sont incapables, je l’avoue, de telles illusions, qui supposent le rêve d’immortalité, et c’est pourquoi, avec toute sorte de considération pour ces hommes utiles, je préfère les autres.
Elle ne se figure donc pas le moins du monde un avenir riant de vie champêtre, de domination amoureuse et de bergerie dans ces belles prairies à foin, partagées par un ruisseau qu’elle a sous les yeux, ou dans quelque rocher ténébreux de la vallée de Villar, qui n’est qu’à deux pas : elle ne rêve pas son Ernest à ses côtés pour la vie.
Il y soigne sa santé, il y traite ses amis Rapin, Bourdaloue, Bouhonrs ; il y joue aux quilles ; il y cause, après boire, nouvelles de cour, Académie, abbé Cotin, Charpentier ou Perrault, comme Nicole causait théologie sous les admirables ombrages de Port-Royal ; il écrit à Racine de vouloir bien le rappeler au souvenir du roi et de madame de Maintenon ; il lui annonce qu’il compose une ode, qu’il y hasarde des choses fort neuves, jusqu’à parler de la plume blanche que le roi a sur son chapeau ; les jours de verve, il rêve et récite aux échos de ses bois cette terrible Ode sur la prise de Namùr.
Mais Bertrand, à ce métier du rêve, n’avait guère appris à se trouver capable d’un assujettissement régulier.
Ils n’ont pas l’instrument intérieur qui divise et discerne ; ils pensent par blocs ; le fait et le rêve leur apparaissent ensemble et conjoints en un seul corps Au moment où l’on élit les députés, le bruit court en Provence742 « que le meilleur des rois veut que tout soit égal, qu’il n’y ait plus ni évêques, ni seigneurs, ni dîmes, ni droits seigneuriaux, qu’il n’y ait plus de titres ni de distinctions, plus de droits de chasse ni de pêche ; … que le peuple va être déchargé de tout impôt, que les deux premiers ordres supporteront seuls les charges de l’État ».
Un esprit sérieux, pratique, sensé, bourgeois, a pris possession de la littérature, et, comme dans l’ordre politique et religieux, il ne rêve plus de subversions ni de reconstructions totales.
Il remonte, pour nous instruire, jusqu’à l’origine des sociétés ; et, suivant sa fantaisie, il nous développe une sorte de mythe à la façon de Platon, qui est comme le rêve d’une intelligence raisonnable et optimiste.
Bourget finit par atteindre tout au fond des âmes qu’il étudie, c’est toujours (quelque forme qu’il revête et de quelques nuances qu’il s’enrichisse en affleurant à la surface) le sentiment de la nécessité des choses — ou de la disproportion entre l’idéal et la réalité, entre notre rêve et notre destinée.
L’ordre du possible, qui touche de près à celui du rêve, n’est pas l’ordre des faits.
— Des paroles s’y mêlent, folles et décousues, comme celles qu’on crie dans l’épouvante d’un rêve accablant : — « L’araignée m’enveloppe !
Parcourons le champ de bataille : les rêves abattus, les illusions mortes, les sentiments blessés et atteints au cœur nous arrêteront à chaque pas.
Il y avait dans cette pensée, même si ferme, une certaine hauteur où commençait l’éblouissement et le rêve.
Souvent tu présides aux pensées qui viennent animer mes rêves avant le sommeil.
Chaque femme d’esprit et de sensibilité, à son exemple, tenait registre de ses impressions, de ses souvenirs, de ses rêves ; elle écrivait en petit ses Confessions, fussent-elles les plus innocentes du monde.
Sur le meilleur pied à la Cour, voyant son élève chéri, le petit Charles IX, devenu roi dès l’âge de onze ans, et ne cessant jusqu’à la fin de le considérer comme le plus gentil et le plus doux des princes ( natura mitissimus erat ) ; également estimé et honoré de son autre élève Henri III, grand aumônier de France sous tous deux, bientôt évêque d’Auxerre, Amyot avait réalisé le plus beau rêve d’un savant et d’un lettré au xvie siècle.
. — La démocratie meurt d’elle-même ; la nation est affectionnée à ses rois. » C’est surtout aux émigrés, on le sent, qu’il parle ainsi ; et, tandis que les partis se nourrissaient de leurs illusions et de leurs rêves, les Jacobins seuls marchaient constamment au but : « Les Jacobins seuls formaient une faction, les autres partis n’étaient que des cabales. » Et il montre en quoi consiste cette faction, son organisation intérieure, son affiliation par toute la France, ses moyens prompts, redoutables, agissant à la fois sur toutes les mauvaises passions du cœur humain.
Il ne paraît point d’abord sous le charme ni des lieux, ni des gens ; les souvenirs d’enfance lui reviennent et lui font plaisir, mais le rêve passe vite et le positif l’occupe.
Michaud un proscrit, et le rendit pour un temps à la poésie, aux affections douces, au rêve.
Dans le fameux épisode des Troglodytes, Montesquieu y donne à sa manière son rêve de Salente.
Là-dessus Mme d’Épinay s’anime ; elle rêve ; en y songeant, elle a trouvé pour Rousseau ce qu’il désire avant tout, une chaumière et les bois.
Aussi n’aboutissonsnous plus du tout, comme chez Pierre Loti, à la mélancolie vague et oisive du rêveur qui laisse courir son rêve devant ses regards : c’est la différence profonde du pur artiste et du savant.
Tourguénef nous emmène à Bade, dans les salons de l’aristocratie russe, ou qu’il nous fasse entendre les paroles mystiques du nain Caciane, au fond d’une forêt du gouvernement de Kalouga, ou que ce soit la vie infiniment triste et monotone d’un propriétaire végétant seul au milieu des boues de son bien qu’il nous montre, immédiatement, de plain-pied, nous pénétrons dans le cercle de ces existences lointaines ; comme séduits par une incantation, nous prenons notre part à d’autres souffrances et à d’autres passions que les nôtres, jusqu’à ce que le rayon de nos émotions et de notre expérience comprenne toute une époque et toute une terre, où nous emporte une illusion aussi complète et aussi impérieuse qu’un rêve.
l’homme heureux enfin et vainqueur de la destinée, qui a mis la main sur son rêve et qui caresse sa chimère, qui maintenant n’est plus une chimère !
La malheureuse jeune fille, entichée de rêves de grandeur, est fascinée par ce déploiement de forces militaires.
— Science de la vie, pénétration psychologique, invention, humour, détails de la réalité, la passion, le style, le dialogue, le fait et le rêve, la poésie et l’action, il y a mille moyens d’intéresser le lecteur et de s’emparer de lui. — La puissance du romancier ne consiste pas uniquement à lui arracher des larmes ; il s’agit moins de le faire pleurer que de le faire songer. […] Couchée sur un lit de sable et de mousse, elle tient le livre des livres ; une lueur mystérieuse transparaît à travers ses paupières, un insaisissable sourire effleure ses lèvres : elle pressent ou se souvient, elle pense et elle rêve. […] Sous les marronniers en fleur du Luxembourg, elle rêve de Bérangère, elle demande Bérangère à tous les échos d’alentour ; comme en ses plus beaux jours du parterre, elle rappelle sa bien-aimée : — Bérangère for ever ! […] — Dans ce Noukahiva du drame où l’a déportée sa destinée, elle rêve du paradis où fleurissent les citronniers et le wergissmeinnicht immortels. — Mimi est une sœur de Mignon, ou plutôt la Mignon de Goethe n’était qu’un pressentiment de mademoiselle Thuillier.
Et tels étaient, pour une bonne part de leurs conceptions, de leurs rêves et de leurs espérances, les révolutionnaires parfaitement rétrogrades de 1788. […] Mais l’homme qui a sans doute le plus entièrement réalisé le rêve de l’humaniste, c’est Joachim du Bellay. […] La philosophie se réduit pour l’Encyclopédiste à l’histoire de la philosophie, c’est-à-dire, dans son esprit, à la revue des rêves, chimères, visions et billevesées de l’humanité. […] C’est un homme né pour Rousseau, lequel fut si antihistorique qu’il fut préhistorique, non seulement dans ses rêves, mais dans ses démonstrations politiques. […] Il est certain que dans ces conditions, et même dans des conditions plus modestes, il serait resté pacifique ; que le règne de domination universelle, ou même le rêve d’une Europe partagée en trois, France, Russie, Grande-Bretagne, était désormais bien loin de son esprit.
On rêve toujours ce que l’on n’a pas. […] Pascal rêve et tremble dans sa cellule ; Bossuet, du haut de la chaire, fait son office de prédicateur ; mais avec quel accent superbe, quel ton fier et hautain ! […] Un sentiment de puissance physique et intellectuelle élève son audace au niveau de son ambition, lui fait concevoir les projets les plus gigantesques ; projets, du reste, aussi facilement abandonnés que conçus ; transforme ses désirs, les rêves de son imagination, en convictions délirantes… Pauvre, souffreteux, inconnu, il vit dans une perpétuelle attente de richesses, de santé, de réputation, d’honneurs. […] Le fardeau de la vie présente est allégé, peut-être par le rêve indistinct d’une autre vie réparatrice. […] La tristesse du ciel ou son inclémence favorise le sérieux de la pensée : le sentiment se recueille et s’accroît dans ces prairies tranquilles ; il s’approfondit et s’élève sur ces plages où l’Océan avec sa rumeur monotone berce les rêves infinis.
. — Une quatrième forme, le scepticisme qui comprend tout, qui se métamorphose tour à tour en chacun, et qui conçoit la pensée humaine comme le rêve de tout et comme créant l’objet de son rêve (Montaigne, Hume)… CXCI (Du temps que j’étais bibliothécaire). — À la Mazarine, j’ai sous les yeux deux sortes d’objets qui me font continuellement l’effet d’un memento mori : cette multitude de livres morts et qu’on ne lit plus, vrai cimetière qui nous attend ; et cet énorme globe terrestre où l’Europe et la France font une mine si chétive en regard de ces immenses espaces de l’Afrique et de l’Asie, et de cette bien plus immense étendue d’eau qui couvre presque tout un hémisphère. […] dans nos petites monades intérieures, nous réfléchissons à souhait selon nos vœux, selon nos rêves, selon nos raisonnements les plus chers, des perspectives infinies : elles n’ont de réalité qu’en nous, elles s’évanouissent avec nous.
Il était, comme Mallarmé l’a écrit de Villiers de l’Isle-Adam, un de ces hommes au « rêve habitué », mais il savait sortir du rêve avec une aimable et une peu condescendante courtoisie. […] Des rêves hallucinés et morbides de la douloureuse période qu’il venait de traverser, Emile Verhaeren portait les traces sur son visage, d’une maigreur énergique, d’une nervosité inquiète, aux traits rudes, à la longue moustache, tombante, mais il n’y avait rien de souffreteux chez cet homme qui avait souffert et qui donnait malgré tout une impression de force et de ressort.
Ce que rêve et ce qu’ambitionne au fond chaque jeunesse, ce n’est pas un niveau commun qui fasse limite, « c’est une carrière ouverte à l’émulation de tous les talents pour atteindre à toutes les supériorités ».
Dans l’amitié raisonnable la plus délicate, on se contenterait, après un mauvais rêve, d’envoyer de grand matin savoir des nouvelles de son ami.
… Vous direz que je rêve de distinguer tout cela… » On suit tous les accents, on voit tous les petits gestes.
Ils font ensemble leur dernier rêve d’imagination ; « Si j’étais roi, vous seriez Premier ministre !
Il était en 89 à Strasbourg, dans un petit monde mystique comme cette ville en a eu à diverses époques ; il voyait tous les jours celle qu’il appelle sa meilleure amie, Mme Boechlin ; il formait le projet de se réunir encore plus entièrement à elle en logeant dans la même maison ; il venait même de réaliser ce projet depuis deux mois, en 1791 ; il allait entamer la lecture de Jacob Boehm et suivait tout un roman idéal, tout un rêve de vie intérieure accomplie, lorsqu’une maladie de son père l’appela à Amboise et le rejeta dans la réalité : Au bout de deux mois (de cette réunion dans un même logement), il fallut, dit-il, quitter mon paradis pour aller soigner mon père.
Il a pu naître sur les bords de l’Oise ; il n’y a certainement pas grandi : autrement, à défaut de son cœur, ses yeux en eussent gardé le souvenir, et ses rêves au moins lui eussent plus d’une fois rapporté le parfum des herbes et des fleurs de la rive natale.
… » La popularité, c’était là son rêve, sa passion dirigeante ; et, selon la belle remarque de Pope, notre passion maîtresse (the ruling passion) persévère, se grave et s’enfonce au cœur en vieillissant ; elle est la dernière à mourir en nous, et revient encore voltiger sur nos lèvres dans le dernier soupir.
. ; enfin un rêve des Mille et une Nuits.
Pour Balzac, la personnalité individuelle n’existait pas, qu’elle se marquait trop ; elle était assommante ; il ne valait quelque chose que quand il s’était fait autrui, un des personnages de ses créations ou de ses rêves.
Est-ce que vous croyez que la connaissance de la vie, des voyages, des romans en Pologne, des chimères et des rêves de Bernardin de Saint-Pierre, est inutile à l’intelligence complète de son pur chef-d’œuvre, et à son explication satisfaisante sur tous les points ?
M. de Saint-Joseph, qui avait lu le Gonzalve de Florian, compare les rêves de ses jeunes années à la réalité qui, même en en rabattant, lui paraît encore belle.
Une rupture entre la Russie et la France était l’événement qui pouvait l’affecter le plus ; car une entente entre la France et la Russie a été jusqu’à la fin le plus caressé de ses vœux et de ses rêves.
Et, toutefois, pour sortir de la magnifique vision où il s’était étalé et reposé, Victor Hugo n’attendit pas la révolution qui a soufflé sur tant de rêves.
que de rêves déçus !
Sans doute, dans le monde réel, il n’y a pas tant de millions ni tant de beaux colonels que cela ; mais cette comédie est l’idéal pas trop invraisemblable, le roman à hauteur d’appui de toute notre vie de balcon, d’entresol, de comptoir ; toute la classe moyenne et assez distinguée de la société ne rêve rien de mieux.
L’écrivain nous y raconte ce qu’il appelle son château en Espagne, son rêve à la façon d’Horace, de Jean-Jacques et de Bernardin de Saint-Pierre : une maisonnette couverte en tuiles, avec la façade blanche et les contrevents verts, la source auprès, et au-dessus le bois de quelques arpents, et paulum silvæ.
N’y eut-il pas d’autres projets plus spécieux, plus vagues, les rêves grandioses de première jeunesse, ce que les aurores boréales ou la fée Morgane nous peignent dans des mirages trop tôt évanouis167 ?
Jeune, on rêve la gloire littéraire sous une forme plus brillante, plus idéale, plus poétique ; on tente l’arène lyrique ou la scène, on se propose tout bas ce qui donne le triomphe au Capitole et le vrai laurier.
En un mot, ses mœurs et ses rêves d’idéal étaient assez au rebours de ses autres opinions, et, comme on aurait dit plus tard, de ses principes.
Pour la plupart des hommes de la période précédente, les rêves éblouissants allaient s’évanouir ; les rivages d’Utopie et d’Atlantide s’enfuyaient à l’horizon : les voyages en Crimée étaient terminés.
Dans ce jardin et dans cette cour où mon âme est née, il y a plus de mes pensées et de mes rêves, éclos et enracinés dans le sol et dans le ciment rongé des murs, qu’il n’y a de brins de mousse sur les lattes de pierre brute qui tapissent les vieux toits.
Ces deux hommes excellents, le roi avec le sénéchal, en face de Perceval et de Galaad, c’est le possible et le réel en face de la chimère et du rêve.
Demandez-lui son rêve de bonheur : il tient tout entier dans la Facile existence d’un château des bords de Loire.
Il rêve à ce qu’il doit faire.
Dans le galant des deux époques, il y a, outre de l’esprit, du respect pour la femme et pour le rêve de l’amour ; dans les confidences bourgeoises des élégiaques du dix-huitième siècle, il n’y a que les malhonnêtes indiscrétions du plaisir qui se donne l’air de la passion.
Car le travail use la force nerveuse dans des proportions extraordinaires ; il retire cette force à la réflexion, à la méditation, aux rêves, aux soucis, à l’amour et à la haine, il place toujours devant les yeux un but minime et accorde des satisfactions faciles et régulières.
Sans ce lest, qui sait s’il ne quitterait pas terre, séduit par le mirage de quelque scholastique nouvelle, ou s’il ne désespérerait pas en croyant qu’il n’a fait qu’un rêve ?
« À ces correspondants timorés et pour que de leurs Intellects, où jamais le Rêve n’outrecuide, soient, itérativement, les syndérèses amorties, nous indiquons volontiers les Sources — que bénédictes soient leurs Eaux — d’où proflua jusqu’à nos réservoirs, ce Fleuve de Lyrisme et de Véracité.
Un peu plus tard, le Club de l’Entresol rassemble un certain nombre de réformateurs en chambre qui donnent là carrière à leurs rêves et même à leurs utopies.
Là je trouvais mes rêves d’enfance, mes fantaisies de jeunesse réalisés dans une manière délicieuse.
Mais c’est à sa solitude d’Aunay que Huet aimait surtout à revenir et à se retrouver ; c’est là qu’il jouit véritablement de la vie, telle qu’il l’entend et qu’il la rêve, une vie partagée entre son cabinet, la culture de son jardin et la promenade.
M. de Broglie eut en ces années (1828-1829) un véritable rêve d’homme de bien, de philosophe élevé qui croit à Dieu, à la vérité idéale et suprême, à la vérité et à l’ordre ici-bas, à la perfectibilité de l’esprit humain, à la sagesse et au progrès de son propre temps, au triomphe graduel et ménagé de la raison dans toutes les branches de la société et de la science, dans l’ensemble de la civilisation même : « N’en déplaise aux détracteurs officieux de notre temps et de notre pays, écrivait-il en 1828, tout va bien, chaque jour les saines idées gagnent du terrain ; l’esprit public se forme et se propage à vue d’œil. » Il s’agissait, dans ce cas, d’une simple pétition sur les juges auditeurs ; mais on sent la satisfaction généreuse qui déborde du cœur d’un homme de bien.
Mais, ô nuit charmante, o vere beata nox, pour mille jeunes recluses, bernardines, bénédictines, visitandines, quand elles vont être visitées… Voilà Camille qui commence à se révéler avec ses goûts de saturnales, sa république de Cocagne comme il la rêve, cette république qu’il a presque inaugurée, le 12 juillet, en plein Palais-Royal, et qui dans son imagination s’en ressentira toujours.
… j’ai dépassé les rêves de ta haine !
» Le souffle poétique, ce qui est rare chez Mirabeau, semble avoir passé en cet endroit, et en cet autre encore : « Si vous me redonnez la liberté, même restreinte, que je vous demande, la prison m’aura rendu sage ; car le Temps, qui court sur ma tête d’un pied bien moins léger que sur celle des autres hommes, m’a éveillé de mes rêves. » Ailleurs, parlant non plus à son père, mais de son père, il dira par un genre d’image qui rappelle les précédentes : « Il a commencé par vouloir m’asservir, et, ne pouvant y réussir, il a mieux aimé me briser que de me laisser croître auprès de lui, de peur que je n’élevasse ma tête tandis que les années baissent la sienne. » On a refusé l’imagination proprement dite à Mirabeau ; il a certainement l’imagination oratoire, celle qui consiste à évoquer les grands noms historiques, les figures et les groupes célèbres, et à les mettre en scène dans la perspective du moment : mais, dans les passages que je viens de citer, il montre qu’il n’était pas dénué de cette autre imagination plus légère, et qui se sent de la poésie.
Un jour pourtant (elle venait d’avoir trente-cinq ans), elle laisse échapper comme une plainte légère : J’ai bien de la peine, écrit-elle à une amie, à m’habituer à tous changements ; l’âge, qui vient si lentement en apparence, m’a surprise précisément par cette marche sans bruit ; je crois être dans un monde nouveau, et je ne sais si l’instant de ma jeunesse fut un songe, ou si c’est à présent que le rêve commence.
Mais il est des moments où elle s’aperçoit de son illusion, et que son cœur fait trop de chemin ; car, après tout, elle le connaît à peine ; elle anticipe sur les temps pour l’aimer ; dix jours de connaissance dans la vie, et puis c’est tout ; le reste n’a été qu’un rêve : Un cœur comme le mien est un meuble bien inutile pour l’agrément de la vie, et bien à charge dans toutes ces circonstances.
Ce fut longtemps son rêve et finalement son regret ; il y revenait en idée dans les derniers temps, à travers les courts et sombres intervalles de réflexion que lui laissaient ses luttes de presse de plus en plus désespérées ; c’était à une telle œuvre qu’il aurait aimé à attacher la gloire de son nom.
Ce prince léger, au sortir de Bordeaux, voit en passant l’armée de M. de Candale, qui la lui montre rangée en bataille, et le voilà qui ne rêve plus, au lieu du chapeau de cardinal, que la gloire d’être généralissime.
C’est la pêche à la truite, et depuis que je pêche, dans mes rêves, je suis toujours couché au bord de l’eau, et, de l’eau montent à moi des formes étranges et terrifiantes d’immenses truites fantastiques.
La mise en jeu fréquente de tout un groupe de sentiments par un spectacle fictif, par des idées irréelles, par des causes qui ne peuvent pousser ces sentiments jusqu’à fade ou à la volition, affaiblit très probablement, par la désuétude de cette transition, la tendance des émotions réelles à se transformer de la sorte ; et les sentiments esthétiques étant dénués, à proprement parler, de souffrance, étant agréables et pouvant être provoqués à volonté quand on a appris à en jouir, on ne désire plus en ressentir d’autres ; le rêve dispense de faction.
Quelques poètes seuls ont quelquefois réclamé pour toutes les fantaisies de leur imagination cette sorte de droit divin, mais personne ne leur a donné raison ; c’était d’ailleurs dans le royaume des chimères et des rêves.
Après avoir vaincu, le symbolisme devait connaître la défaite : « Une nouvelle génération qui vient, rêve à son tour un art à sa convenance et à l’empreinte de son esprit.
Mon rêve est d’avoir un jour la direction de ce musée, — pour avoir la jouissance du cloître : il n’y a que ce moyen ; on a impitoyablement refusé de me louer une arcade.
— le livre qu’on publie sous le nom de Philarète Chasles n’est pas du tout celui qu’on avait annoncé et qui, depuis qu’on en avait parlé, était le rêve et l’espoir et la caresse de ma pensée.
Avant de mourir, il appliquait sa volonté, toujours opiniâtre, à noter sous une forme plastique la succession des rêves et des cauchemars, avec la précision d’un sténographe qui écrit le discours d’un orateur.
Et ce seraient les pensées de ce mystère, les rêves de cette ombre, qui seules mériteraient le titre d’idées sociales ?
Là commence une époque nouvelle pour l’Espagne, malgré bien des espérances avortées, bien de monotones retours des mêmes violences interrompant les mêmes rêves de liberté ou les mêmes abus de pouvoir.
Amour, rêves, sentiments, conversations, tout s’exprime dans ce livre en clichés ironiques, en moquerie sourde et féroce. […] Faire quelque chose avec peu de chose fut toujours le rêve des grands artistes. « Toute l’invention, dit Racine (préface de Bérénice), consiste à faire quelque chose avec rien. » « Ce que je voudrais, disait Flaubert, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force intense de son style, comme la terre, sans être soutenue, se tient en l’air. » Goncourt, dans la préface de Chérie, déclarait « qu’il voulait du roman sans péripéties, sans intrigues, sans bas amusement »… Le conseil n’est pas bon pour les débutants. […] Toujours, l’étrange et le lointain aura eu un attrait ; on se sera raconté avec émerveillement des récits fabuleux sur les joyaux, les royaumes, les capitales de rêve des pays inconnus. […] Je prends au hasard quelques phrases d’un simple critique courriériste : « Dans ce roman de mœurs parisiennes et sentimentales, l’auteur évoque de jolis croquis du Paris qui s’amuse, et de délicates silhouettes de femmes un peu folles, aimées et même adorées avec un élégant et conciliant scepticisme. » Ou encore : « Cet ouvrage, grand travail d’érudition, ironiquement et spirituellement écrit, aura certainement beaucoup de lecteurs. » Ou encore : « Livre étrange, d’allure mystérieuse, où une créature énigmatique traîne sa passion et ses rêves dans les lassitudes de la vie parisienne… » Ou encore : « M. […] Il n’a peut-être pas tout à fait réalisé son rêve.
Là, je le vois, guidant l’obus aux bonds rapides ; Là, massacrant le peuple au nom des régicides ; Là, soldat, aux tribuns arrachant leurs pouvoirs ; Là, consul jeune et lier, amaigri par des veilles, Que des rêves d’empire emplissaient de merveilles, Pâle sous ses longs cheveux noirs. […] Quasimodo et la Esmeralda, le Monstre et l’Ange, sont les deux créations originales du poète, ses personnages de prédilection ; et, dans tous deux, il a mis tout ce qu’il y a d’amour et de misère humaine, afin que son rêve finît comme tous les rêves, par le désenchantement et la tristesse. […] C’est là encore un de nos rêves, le plus vif peut-être, le plus impatiemment souffert. […] Ce n’est pas du manque de sujet ; car, pour lui, tout est un sujet ; le sourire d’un enfant, un rêve, un nuage découpé par le vent en arrêtes argentées, un souvenir d’enfance, un pauvre qui s’assied, mourant de faim, sur les marches de la maison où l’on danse ; un voyageur qui revient de loin ; un bruit dans la montagne, que sais-je ? […] Il fait contre la peine de mort, le plus exploité des lieux communs du moment, un livre bizarre, mais çà et là éloquent, le Dernier Jour d’un condamné, rêve d’une imagination qui se suppose condamnée à mort, et qui met des couleurs à la place des sentiments, des souffrances de tête à la place de souffrances réelles, et toute une métaphysique en images à la place d’une forte et saignante analyse de cette révolte de la nature contre l’idée de la destruction.
Il raconte avec la plus amusante péripétie de dialogue la lutte inégale entre le fait et le rêve, entre le héros et le logicien. […] Thiers daigne faire de la constitution de Sieyès est pleine de sens politique et d’expérience anticipée, mais elle est un peu trop étendue ; on n’analyse pas le néant, on souffle sur le rêve, et tout est dit.
Cicéron ne rêve jamais : il pense. […] Cicéron était convaincu, comme César et comme Sénèque, que la superstition était incorrigible dans le peuple, et qu’il fallait se contenter de penser à part du vulgaire, sans lui contester ses dieux, ses élysées et ses enfers, peuplés de ses fables, de ses traditions et de ses rêves.
Le spectacle était si consternant, que je me sauvais, en courant, du Gymnase, où j’oubliais par ce froid mon paletot, et le froid que j’éprouvais dans mon rêve, me réveillait. […] Aujourd’hui, il me reste comme un souvenir de rêve de cette visite : le Flammarion avec sa tête de saint Jean-Baptiste, qu’offre dans un plat d’argent, la peinture italienne à Hérodiade, le monsieur qui a découvert la dernière planète, à la chevelure qui pourrait servir d’enseigne à la pommade du Lion, un jeune homme bancroche, qui nous est présenté par Flammarion, comme l’humain de toute la terre ayant la vue la plus longue.
L’idéal et le possible sont le domaine des rêves les plus multiformes. […] Ce dernier a moins à faire pour créer, car les images fantastiques peuvent nous charmer par des rencontres de hasard comme dans les rêves, tandis que, pour qui ne sort pas du réel, la poésie et la beauté ne sauraient guère être une rencontre heureuse, mais sont une découverte poursuivie de propos délibéré, une organisation savante des données confuses de l’expérience, quelque chose de nouveau aperçu là où tous avaient regardé.
Je trouve très beau que l’artiste vive dans son rêve. Je trouve très beau à notre Balzac, rencontré, pendant les trois jours de juin sur les ponts où il pleuvait des balles, par un ami qui lui reprochait de n’être pas préoccupé des malheurs publics et de la Révolution, de répondre comme il répondit : « Mon cher, je fais en ce moment une chose plus difficile qu’une révolution, c’est le mariage de M. de Vandenesse avec mademoiselle de Mort-sauf », Seulement, pour revenir à Gœthe, son rêve, à lui, ne fut jamais une absorption.
Il appelle de tous ses vœux, en finissant, la restauration de Victor-Amé et s’élève avec passion, avec ironie déjà, contre les ambitieux voisins qui tant de fois, et au commencement du xviie siècle et depuis lors, ont troublé cet heureux pays : « Rejetez loin de vous ces théories absurdes qu’on vous envoie de France comme des vérités éternelles et qui ne sont que les rêves funestes d’une vanité immorale. […] L’auteur du mémoire, témoin oculaire, en signale les hideuses particularités qui ne sont qu’une variante de ce qui se passait alors universellement ; on emprisonne les hommes d’une part, les femmes de l’autre ; on sépare les mères et les enfants ; on sépare les époux : « C’était, disait le représentant Albitte, pour satisfaire à la décence. « La cruauté dans le cours de cette Révolution a souvent eu, s’écrie l’auteur, la fantaisie de plaisanter : on croit voir rire l’Enfer : il est moins effrayant quand il hurle. » Le règlement des prisons destinées à enfermer les suspects les accuse d’un crime tout nouveau, d’être coalisés de VOLONTÉ avec les ennemis de la république ; sur quoi l’auteur ajoute : « Caligula ne punissait que les rêves, il oublia les désirs ! […] M. de Maistre nous dira que, lui, il ne rêve pas, qu’il y a possession pour son idée, qu’il y a le fait subsistant et reconnu ; mais ce fait lui-même est une question.
De là ce singulier rêve, que l’on a admiré dans la Vie de Jésus, d’une résurrection possible de toutes les consciences dans une conscience finale, terminaison étrange de cette cosmogonie arbitraire, dénouement fantastique de cette merveilleuse féerie que l’univers joue devant nous, et dont nous sommes nous-mêmes les spectateurs et les acteurs. […] Vacherot : « Votre idéal divin est un rêve ; c’est un fantôme qui n’a pas de corps, c’est une abstraction dont rien ne me garantit la solidité. » Je ne lui dirai pas cependant : « Vous êtes un athée », non-seulement par politesse, mais encore par équité. […] Que l’homme agisse en vue de l’idéal (cet idéal ne fût-il qu’un rêve), je le comprends encore, car enfin l’homme conçoit cet idéal, et je sais qu’une pensée peut déterminer une action ; mais que cette notion, qui n’est qu’un produit de l’esprit humain, puisse être un stimulant, une raison d’agir pour une nature aveugle, et cela avant même que l’esprit humain ait apparu dans le monde, c’est là un ensemble d’impossibilités que l’on peut bien admettre, quand on a un système et qu’on y tient, mais qu’un esprit froid et désintéressé ne peut accepter.
Il y avait, vers cette époque, dans le pays, une petite société dite de Chambarans, telle sans doute que les jeunes gens en forment d’ordinaire dans leur vue anticipée du monde et dans leurs rêves d’utopie première : « C’est là, lui écrivait après des années l’un des membres de cette petite coterie, c’est là que je sus vous apprécier et que vous m’apprîtes à lire les Ruines de Volney. […] Je risquerai de vous parler beaucoup de Montesquieu ; car dans un gîte on rêve, et vous m’y avez encouragé. […] Si l’architecture et les plans de villa dignes de Palladio semblaient parfois usurper un peu magnifiquement sur ses rêves, l’agriculture et ses charmes innocents remplissaient plus à souhait et plus sûrement ses loisirs. […] Quand je songe à ces deux pièces isolées qui se tiennent debout là-bas comme deux belles colonnes, et qui semblaient nous prêter d’avance le portique de l’édifice, à charge pour nous de le poursuivre, j’ai peine à ne pas rougir de ce que, sous nos yeux, ce rêve de théâtre est devenu.
C’est que, toutes les fois qu’on voit le rêve de la perfection philosophique s’emparer des esprits, et produire tant de controverses, les empires sont menacés des plus terribles fléaux. […] Si ces philosophes se contentaient de jouir de leurs idées avec la conviction solitaire d’une méditation contemplative (on sent bien que ces mots sont à madame de Staël) ; s’ils ne voulaient point appeler les passions de la multitude au soutien de leurs systèmes, rien ne serait plus innocent que tous ces jeux de l’esprit, que tous ces rêves de l’avenir dont les âmes les plus arides et les plus désabusées ont besoin, même quand elles ne croient plus rien. […] La mélancolie rêve beaucoup, et parle peu. […] Ne rêve-t-on pas délicieusement à la voix de ce rossignol qui chante les beaux jours, non loin des vieillards qui regardent un tombeau ?
Ne possédant pas de jardin, il achète des fleurs et rêve qu’il les a cueillies. […] Il n’y a de livres que ceux où un écrivain s’est raconté lui-même en racontant les mœurs de ses contemporains, leurs rêves, leurs vanités, leurs amours et leurs folies. […] Lui, dont l’ironie écrite n’est dupe d’aucune parade sociale, d’aucun masque, d’aucun rêve, il se laisse prendre aux faux talents (Sand) et aux fausses amours (Colet) ; il se roule dans la sentimentalité poétique ou bien hurle contré les bourgeois des injures stupides. […] Le désaccord est moindre entre la peinture et la poésie, du moins une certaine poésie descriptive et même les paysages de passion et de rêve. […] — pour fixer la forme imprévue d’un songe, la vue dans l’ombre d’un vase dont le col monte pour figurer le rêve d’une chimère accroupie : car on mettait les fleurs les plus belles ou les plus douces dans des pots décorés, « genre anglais », par les sauvages de quelque Birmingham et empreints de cette laideur bête et cossue chère aux Anglo-Saxons.
Avant d’aborder l’examen de ces paradis qui veulent être réels et matériels, Tout bonheur que la main n’atteint pas n’est qu’un rêve, M. […] Qui veut goûter au bonheur, si ce mot n’est pas un rêve, doit s’y prendre dès cette vie, l’autre n’étant qu’une chimère, lucrative pour le seul clergé. […] Ainsi je rêve, en ces derniers jours de décembre, à la vie qui n’est rien, puisqu’elle meurt sans cesse, et qui est tout, puisqu’elle renaît sans cesse. […] Si nous acceptions avec bravoure la mort de nos rêves, en même temps que la mort de notre corps ? […] Mais, par un reste de logique, cette immoralité que nous dénigrons, nous en faisons l’unique objet de nos rêves, de nos désirs, de nos discours, de nos actes de nos méditations, de nos dissertations, de notre art et de notre science.
Bonaparte n’a pas été seulement funeste à la France par lui-même ; mais encore par tous ceux qui, dans tous les domaines, se sont efforcés de l’imiter et de faire, de leur action, la sœur de leur rêve, révolutionnaire ou libéral. […] Quand, saoulé de ses propres ordures, il voulut faire quelque chose de décent, de lyrique et de chaste, il écrivit ce pastiche de Hugo, le Rêve, avec des amoureux qui ont l’air de sortir d’une maison de correction, et un bleu et un rose, censés « mystiques », produits visiblement par la distillation d’un engrais. […] Il ne s’agit pas seulement, quand nous ouvrons l’auteur préféré, de nous distraire de la vie courante et de nous émouvoir par la fiction et le rêve ; nous désirons encore respirer mieux et plus largement, sentir couler dans nos veines un sang plus vif et plus chaud. […] Si les mouches avaient une philosophie, elle serait vraisemblablement très analogue au pragmatisme, étant donnée leur vision à facettes ; et il est fort amusant de constater qu’une philosophie, qui prétend s’étayer avant tout sur les faits (sur la poussière mobile du fait le mieux constaté et le plus patent) donne, comme aucune autre, la sensation d’une série morcelée de rêves enfantins. […] L’homme rêve toujours, même éveillé, et son rêve a la couleur de son milieu.
Bertrand, je pense, n’en doute pas, lui qui, après tant d’autres, rapproche Salammbô de madame Bovary, le zaïmph ravi de l’adultère rouennais, et cite le mot connu : « Elle resta mélancolique devant son rêve accompli. » Flaubert se nommait lui-même l’aumônier des Dames de la Désillusion. […] Carrère écrit de Rome et prend un peu son rêve latin pour une réalité. […] * * * Voici trois critiques enfin, trois autres critiques, auxquels trois livres nous fourniraient occasion de rêver, si ce rêve ne devait paraître inquiétant et frivole aux meilleurs esprits. […] Voici Henri de Régnier, voué dès lors à une belle destinée d’évêque, élégant et habile, ayant au doigt l’améthyste authentique de la poésie purifiée, plus lumineux que charnel et à qui le roman est venu à souhait ouvrir les voies du siècle ; Louÿs, cardinal de la Renaissance, Bembo qui rêve à César Borgia ; Souza, l’argumentateur et le théologien de l’église poétique ; Vielé-Griffin, qui occupe l’harmonium intime les jours de semaine ; Valéry, qui tient, en principe, les grandes orgues aux jours de fête, qui les tiendra, disaient les sceptiques, à Pâques ou à la Trinité, laissant à sa place, en le plus authentique mallarmisme, une absence d’organiste.
Le romantique a la nostalgie, comme Hamlet ; il cherche ce qu’il n’a pas, et jusque par-delà les nuages ; il rêve, il vit dans les songes.
C’était le temps, il est vrai, où la philanthropie dans toute sa confiance et son ingénuité se donnait carrière, où le sentiment exalté d’humanité qu’aucun échec n’avait encore averti se passait toutes ses espérances et tous ses rêves, où des zélés en venaient jusqu’à proposer de créer des espions du mérite et de la vertu pour dénoncer les beaux génies inconnus et modestes, pour découvrir les belles actions cachées, avec la même vigilance et la même adresse qu’on met à découvrir les mauvaises.
Les circonstances récentes ont fait apparaître dans notre Parlement, en matière d’affaires étrangères, deux partis extrêmes, également dangereux : l’un qui rêve de conquêtes et aime la guerre, soit pour elle-même, soit pour les révolutions qu’elle peut faire naître ; l’autre qui a pour la paix un amour que je ne craindrai pas d’appeler déshonnête, car il a pour unique principe non l’intérêt public, mais le goût du bien-être matériel et la mollesse du cœur.
Jamais la lecture de Diderot ne le mit en larmes et ne se lia dans sa jeune tête avec des rêves de vertu ; jamais les préceptes de d’Alembert sur la bienfaisance ne remplacèrent pour son cœur avide de charité l’Épître divine de saint Paul ; Brissot, Roland, les Girondins, ne lui parlèrent à aucune époque comme des frères aînés et des martyrs.
Nous tâcherons de l’analyser avec quelque détail, et, même dans nos plus grandes sévérités de jugement, de marquer l’attention qu’on doit à un écrivain actif, infatigable, toujours en effort et en rêve de progrès, qui nous a charmé mainte fois, et dont nous saluons volontiers en bien des points la supériorité naturelle.
Elle n’en eut que le regret et le rêve.
» L’idéal de l’abbé Prévost, son rêve dès sa jeunesse, le modèle de félicité vertueuse qu’il se proposait et qu’ajournèrent longtemps pour lui des erreurs trop vives, c’était un mélange d’étude et de monde, de religion et d’honnête plaisir, dont il s’est plu en beaucoup d’occasions à flatter le tableau.
Je trouve sur la même liste Jean-Jacques Rousseau pour ses Confessions, une œuvre de courage, où se mêle sans doute une veine de folie ou de misanthropie bizarre, mais production à jamais chère à la classe moyenne et au peuple, dont elle a osé représenter pour la première fois les misères, les durs commencements, les mœurs habituelles, les désirs et les rêves de bonheur, les joies simples, les promenades au sein de la nature, sans en séparer jamais l’espérance en Dieu ; car, à celui-là, vous ne lui refuserez pas, je le pense, de croire en Dieu, d’y croire à sa manière, qui.à l’heure qu’il est, est celle de bien des gens.
La poésie proprement dite, celle qui tient du rêve et de la vision, ne saurait naître.
On y verra tout le détail d’un de ces beaux rêves.
Robespierre ne la maintint que par le glaive ; Platon, que par des rêves qui trompent les hommes en les séduisant ; l’un est un bourreau, l’autre un sophiste ; ni l’un ni l’autre ne fut un homme d’État.
En même temps que l’image de cette vie plus « confortable », plus raffinée, plus luxueuse, dont ils sentaient le besoin, les hommes de la fin du xiie siècle trouvaient dans les romans de Chrétien les deux principes qui, selon l’idée au moins de leurs esprits et selon leur rêve intime, devaient être les principes directeurs de la vie aristocratique, l’honneur et l’amour : l’honneur, qui fait que l’individu consacre toutes ses énergies à décorer l’image qu’il offre de lui-même au public, l’amour qui, dépouillé de sa sauvage et anti-sociale exaltation, sera dominé, dirigé, employé par l’honneur de l’homme et la vanité de la femme.
Mon rêve eût été d’avoir une épaule mouillée et l’autre à sec.
Alors causer comme entre gens, pour qui le charme fut de se réunir, notre dessein, me séduirait ; pardon d’un retard à m’y complaire : j’accuse l’ombre sérieuse qui fond, des nuits de votre ville où règne la désuétude de tout excepté de penser, vers cette salle particulièrement sonore au rêve.
Le critique que je rêve et que j’attends ne sera pas une réincarnation de Sainte-Beuve, mais il sera comme lui, un créateur de valeurs — dût-il renverser les valeurs actuelles.
Rien de plus gracieux que cette figure de jeune fille passionnée et candide, intelligente et crédule, fière et timide, vivant au milieu des rêves de son imagination.
Un de ces enfants perdus, Lamettrie, justifiait l’athéisme, définissait le remords une faiblesse d’éducation, faisait sortir l’homme du limon de la terre comme un végétal, qualifiait le vol de vice, le vice et la vertu d’effets du sang ; donnait à la vie pour but suprême le bonheur par les sens, par l’opium, le rêve ou la folie, et pour fin le néant.
Il est de son siècle, tout en le combattant ; il ne sait pas voir les bornes de la raison, et il s’y trompe d’autant plus souvent, qu’il donne à sa raison l’étendue de son imagination, et qu’il croit raisonner encore quand il rêve.
La grande Mademoiselle, qui n’a pas encore rencontré Lauzun, craint aussi de se donner un maître sous le nom de mari, et quand elle rêve de transformer les dames et les officiers de sa cour en bergers et en bergères vivant aux champs et gardant des moutons enrubannés, elle entend que le mariage soit interdit dans cette société idéale.
Elle l’a aimé ; elle l’aime sans doute encore ; car elle rêve de lui, elle a peur de le revoir, et elle souffre, elle pleure même de ne pouvoir plus être sienne.
La vue d’un vieillard cassé par l’âge, d’un malade rongé par la lèpre ou desséché par la fièvre, d’un mort porté dans son cercueil, le plonge dans un abîme de réflexions et de rêves.
Elle semblait l’avoir distingué ; mais sa mère rêve de mettre un blason quelconque sur le fond d’or qu’elle croit encore posséder ; elle a résolu que sa fille épouserait le jeune baron de Ratisboulois, fils du préfet, — l’état administratif dirait sous-préfet— de la ville du Havre.
Oui, sans doute ; car, dans le fond de son cœur, elle était des nôtres ; elle protégeait les lettres autant qu’elle le pouvait : voilà un beau rêve de fini !
Il s’élève derrière nous une génération impatiente de tous les jougs, ennemie de tous les rois ; elle rêve la République, et est incapable, par ses mœurs, des vertus républicaines.
Remarquez, messieurs, qu’hier encore vous traitiez cette abolition d’utopie, de théorie, de rêve, de folie, de poésie.
Il aperçoit bien quelques écoles utopiques qui rêvent l’égalité des biens ; mais il ne voit là que le rêve de quelques individus, et non un fait social de quelque importance.
La vapeur dirigée, les machines substituées aux bras, la vitesse des transports dépassant les rêves de l’imagination ; le fluide bruyant qui nous menaçait dans la foudre, devenu le docile messager de nos besoins et de nos caprices ; la lumière, rivale du pinceau, fixant sur le papier les images les plus fugitives ; toutes les forces de la nature venant l’une après l’autre, comme des géants domptés, s’asservir sous la main d’un enfant ; voilà les prodiges dont notre siècle a été et doit être le fortuné témoin.
Au milieu de son sommeil, qui est traversé de rêves bizarres et terribles, les dieux finissent par s’apitoyer.
Dans ces âmes repose un rêve, un type de société auquel je ne crois pas, mais que j’aime en tant qu’il fait leur consolation et qu’il est leur ciel au-dessus des tranchées.
l’homme, rêve d’une ombre6 !
Ne voyez-vous pas, nous dit-il, qu’Hamlet c’est tout ce que Shakespeare pense, rêve, imagine lui-même et qu’il met dans la bouche d’un personnage qu’il a exprès créé assez vague et inconsistant pour lui faire dire n’importe quoi ? […] Bérénice rêve, très angoissée. […] ce doux rêve est passé Qu’un plus riche, qui te possède, Soit heureux où nous l’étions tant. […] C’était son rêve éternel réalisé en miniature. […] Tout ce théâtre du dix-septième siècle est mort et on ne lui conserve un semblant de vie que grâce à de larges et inintelligentes subventions. » Examinez-moi un peu le style poétique de ce Racine : « Quel poète, ayant le culte de son art, n’aimerait mieux être condamné à se promener dans le Jardin des supplices que de consentir à incarner son rêve en des vers comme ceux-ci : Vous voyez de quel œil et comme indifférente J’ai reçu de ma mort la nouvelle sanglante.
Les rêves de mes rêves ne vous sont point cachés. […] Le rêve de mes nuits sans sommeil, l’image de mes nuits de fièvre. […] Rêve des jeunes ans, qu’êtes-vous devenu ? […] il est si secrètement sûr que c’est plus qu’une prière et plus qu’un vœu, (je ne dis pas seulement plus qu’un propos et plus qu’un rêve), (ce qui est hors de cause, car ce serait si grossier et si mince et si impie), que c’est un engagement, que c’est une promesse, que c’est déjà fait ; que c’est une réalité ; la saisie de la main d’une réalité éternelle ; que son martyre est déjà une chose entendue ; qu’il a un crédit ouvert, un crédit mystique ; (à peine) anticipé ; que son sang est disponible ; qu’il va commencer d’en user ; Tout votre sang est peu pour un bonheur si doux ! […] Un rêve.
L’idéal est un rêve, une illusion, une hallucination du cerveau ; il ne donne pas de phénomènes appréciables, donc, il ne fournit pas de matière à la science. » « En tant qu’organisme, car nous ne sommes que des organismes, nous avons des fonctions, et cette préoccupation constante domine dans tous nos sentiments, dans tous nos actes. […] Non, l’idéal n’est pas un rêve, il a sa réalité, il a des manifestations sublimes.
» Cette grave et stricte poésie s’anime heureusement, par places, d’un sentiment humain, qui repose de l’aspect de tant de justes orbites et répand une piété toute virgilienne à travers les sphères : Tandis que je me pends en ces rêves profonds, Peut-être un habitant de Vénus, de Mercure, De ce globe voisin qui blanchit l’ombre obscure, Se livre à des transports aussi doux que les miens. […] Je rêve souvent à vos correspondances avec les anciens peuples de la Grèce, et même avec leurs prêtres, avec leurs papas ; car, en habile homme, vous avez soin de ne pas vous brouiller avec les opinions religieuses. […] Il ne pouvait s’empêcher pourtant de trouver, à travers son admiration, que, dans le potentat de génie, perçait toujours au fond le soldat qui trône, et il en revenait par comparaison dans son cœur à ses rêves de Louis XIV et du bon Henri, au souvenir de ces vieux rois qu’il disait formés d’un sang généreux et doux.
Elles produisent sur moi l’effet de cet idiome grec, dont les sons charmaient le malheureux Philoctète dans son désert. » Son âme, son imagination étaient montées dans le tous-les-jours à un très haut ton ; ses lettres, sa conversation étaient d’un pittoresque inépuisable : il y versait son âme en images continuelles ; il poétisait tout à coup : « L’air de ce globe n’est pas bon ; ce soleil-ci n’est pas le véritable, je m’attends à mieux. » Quelquefois un peu de singularité, un geste grandiose qui faisait sourire, quand lui-même il était en robe de chambre et en bonnet de coton : « J’habite dans la lune, je crache sur la terre. » « Je rêve en ermite et en pauvre ermite, mes pieds appuyés sur mes vieux chenets du temps du roi Dagobert et du bon évêque saint Éloi. » Puis à côté de ces airs antiques, le plus souvent des nuances toutes fraîches et charmantes.
C’était pour moi comme une conversation que j’aurais suivie en me promenant dans un jardin, de l’autre côté de la haie ou de la charmille : il ne m’en arrivait que quelques mots qui me suffisaient et qui, dans leur incomplet, prêtaient d’autant mieux au rêve.
En avançant dans la vie, je me suis dit bien souvent que celui qui, dans sa jeunesse, à l’âge des nobles ambitions et de la belle ardeur, avait formé les plus hauts projets et conçu les plus magnifiques espérances, si, tout compte fait et toutes illusions dissipées, il se trouvait n’être déçu que de la moitié ou des trois quarts de son rêve, celui-là ne devait pas s’estimer encore trop mal partagé et n’avait pas trop à se plaindre du sort : c’est le cas de Du Bellay, qui, même en échouant et jusque dans le naufrage de la grande Armada littéraire dont il s’était fait le porte-voix et la trompette, a sauvé personnellement toute une part encore enviable de bon renom et de poésie.
. — Sensations perverties, conceptions délirantes, ce seraient là pour un médecin des symptômes d’aliénation mentale ; et nous ne sommes encore qu’aux premiers mois de 1789 Dans des têtes si excitables et tellement surexcitées, la magie souveraine des mots va créer des fantômes, les uns hideux, l’aristocrate et le tyran, les autres adorables, l’ami du peuple et le patriote incorruptible, figures démesurées et forgées par le rêve, mais qui prendront la place des figures réelles et que l’halluciné va combler de ses hommages ou poursuivre de ses fureurs.
De là, le mécompte de tous ces rêves pour refaire le passé sans éléments, au lieu d’améliorer le présent avec ses éléments propres.
Il adorait ce vague déclamateur d’illusions qui recevait ses rêves comme des révélations célestes.
Il est difficile d’expliquer comment, avec un goût si décidé pour la plus fidèle représentation des hommes et de la nature, les spectateurs romantiques accueillent néanmoins tous les rêves de l’imagination, pourvu qu’ils soient extrêmement bizarres et n’aient aucune teinte classique.
N’en rions pas trop : Chénier et Musset, qui sont des poètes, et que la suave mélodie des noms antiques a jetés plus d’une fois dans des rêves peuplés de visions charmantes, comprendraient ce que dit Boileau des « noms heureux » qui semblent nés pour les vers.
Le plus rêveur en apparence des poètes de ce temps-là ne rêve jamais.
Saint-Simon rêve le rétablissement de la noblesse, mais sans l’espérer.
L’idéal qu’ils incarnent ne fût-il qu’un rêve irréalisable — ce dont il est impossible de juger — sa valeur esthétique s’élève parfois au-dessus de la société réelle qui le nie, qui l’étouffe et qu’il embellit.
Dissiper le brouillard qui, aux yeux de l’ignorant, enveloppe le monde de la pensée comme celui de la nature, substituer aux imaginations fantastiques du rêve primitif les vues claires de l’âge scientifique, telle est la fin commune vers laquelle convergent si puissamment ces deux ordres de recherches.
Mon rêve serait d’être logé, nourri, vêtu, chauffé, sans que j’eusse à y penser, par quelqu’un qui me prendrait à l’entreprise et me laisserait toute ma liberté.
Alors, ce drame : l’âme livrée primitivement à la mensongère tromperie de l’Apparence, et niant l’amour ; puis, cette heure (l’heure possible parmi les pâles existences banalement dévouées aux vies mauvaises, dans le croupissement des animalités, sous l’aveuglement de l’être faux), l’heure (suprême) où le rêve, vague emportement de la pensée, hors le monde habituel te prend, âme, et t’enveloppe de ténèbres majeures et te donne cette vision du Vrai, donc ce choix, — l’heure, extraordinaire, (l’heure du Breuvage) où l’âme songe tout à coup qu’il est une autre vie, qu’elle peut vivre, qu’elle vivra ; dès lors, la lutte ; et le bien heureux moment où, âme, libre tu t’en iras, âme libre, libre du monde faux, éclosant dans le plein ciel de ton monde authentique, ô joyeuse de ton libre amour !
Etre assez mal-adroit pour réduire le mérite de Voiture à quatre pages, celui de Lafontaine à trente Fables ; n’accorder à Rousseau que trois ou quatre Odes & quelques Epigrammes ; reprocher à Corneille les défauts de son Siecle, & lui donner le nom de Déclamateur ; qualifier les Tragédies de Racine, d'Idylles en Dialogues bien écrits & bien rimés ; traiter celles de Crébillon, de Rêves d’Energumene & de lieux communs ampoulés ; accuser Boileau de n’avoir jamais su parler au cœur ni à l’imagination ; Fénélon, d’avoir écrit d’une maniere foible ; Bossuet, d’avoir fait des Déclamations capables d’amuser des enfans ; Montesquieu, de n’avoir su qu’aiguiser des Epigrammes & accumuler de fausses citations ; s’efforcer enfin de dépouiller tous nos Grands Hommes de la gloire qui leur appartient, pour en revêtir des Pygmées que cette gloire écrase : n’est-ce pas, d’un côté, ressembler à cet Empereur, qui, pour avilir le Sénat, fit partager à son cheval les honneurs consulaires ?
Cependant on n’est pas du Midi impunément, et un coup d’œil positif et pratique, prompt à saisir les occasions, ne laisse pas de se mêler chez Sieyès à ce qui, chez un philosophe du Nord, deviendrait aisément du rêve.
Pour qu’elle puisse évoluer, il faut que l’originalité individuelle puisse se faire jour ; or, pour que celle de l’idéaliste qui rêve de dépasser son siècle puisse se manifester, il faut que celle du criminel, qui est au-dessous de son temps, soit possible.
Couple littéraire sans analogue dans la poésie du monde, car la Bible est l’esprit de Dieu et les poèmes de l’Orient ne sont guère que de l’opium fumé qui rêve et se tord au soleil, Homère et Virgile sont l’Adam et l’Ève de la poésie telle que l’homme, en possession de toutes ses puissances, la conçoit et la réalise.
« Encore quelques mots sur Mme de Longueville (nous dit-il en finissant son histoire de Mme de Hautefort), et nous aurons dit adieu à ces rêves de notre loisir que caressa notre jeunesse et qui nous ont accompagné jusqu’au terme de notre âge mûr. » C’est à faire trembler !
Son tort n’est pas de raisonner mal, mais de raisonner à côté de la réalité, en dehors de la réalité, comme un homme qui rêve.
Par là s’expliquent certaines critiques que les hommes d’action adressent parfois à cette idée : « Conception de théoriciens qui n’ont pas vécu, rêve d’umbratiles !
Ses nuits ne sont pas troublées par des rêves ambitieux ; elle ne souhaite pas pour son front des parures étincelantes, mais chaque matin, en se résignant à la journée qui commence, elle demande à Dieu si l’avenir ne sera pas meilleur. […] Combien de projets couvés, comme des trésors, avec inquiétude, dédaignés avant l’accomplissement, voués au mépris comme des rêves insensés, déchirent par lambeaux la trame du caractère ! […] Horace a toute la confiance de la jeunesse, il est bien fait de sa personne, amoureux de la toilette, empressé aux galantes aventures ; arrivé à Paris depuis quelques jours, il a hâte de réaliser les rêves qu’il a bâtis dans sa crédule imagination. […] Delavigne, don Juan d’Autriche est amoureux d’une jeune fille dont il ne connaît ni le vrai nom, ni la famille ; il ne rêve qu’au moyen de la voir, de lui parler, de passer à ses genoux des heures enivrées ; il trompe la surveillance de son gouverneur, il gagne les gardiens chargés d’épier ses démarches, s’échappe à la dérobée, et ne conçoit pas une plus digne ambition que d’épouser sa maîtresse. […] Dans quelque sens qu’ils marchent, leurs pas sont assurés de toucher le but ; car ils n’ont pas d’autre dessein en tête, d’autre espérance au cœur, que de finir après avoir duré, de s’endormir après la veille, d’oublier dans un sommeil sans rêves les fatigues du jour.
Tel est par exemple le cas du sommeil, du rêve. […] Le rêve. […] Ainsi se produit le rêve. […] Si la volonté ne dort pas entièrement, ni le sommeil ni le rêve ne sont entiers. […] Le rêve et la folie ont pour cause l’affinité naturelle de nos idées.
Une femme rêve et Chateaubriand conjecture qu’elle a un rendez-vous pour le soir avec un gros jeune homme blond qui fume sa pipe . […] Vous êtes une nature d’artiste, mais vous ignorez la réalité, vous êtes trop dans le rêve. […] … L’aile de mes plus beaux rêves a frémi sous ce toit qui m’abrite de nouveau. […] C’est que la défaite inattendue, voilée comme une trahison, avait fondu sur les rêves généreux de la patrie. […] La mer qui entoure la verte Corcyre est charmante ; elle est molle et tendre comme cette Parthénope qui berça les rêves de Virgile.
Elle était elle-même d’une beauté candide et pure, comme le rêve d’un philosophe sur le berceau d’un enfant ; la mélancolie de sa bouche et la fraîcheur de ses joues imprimaient les grâces de l’innocence sur le sérieux de ses pensées. […] Tout cela était un rêve pour un enfant de douze ans, qui était depuis longtemps entre les mains de gens durs, avec lesquels il avait souffert ; et il était dangereux et triste qu’avec les favorables dispositions qu’il avait pour le théâtre, il restât en de si mauvaises mains.
Le sommeil et les rêves, note g, p. 455 (4e éd.), en note. […] Alfred Maury (1817-1892), Le Sommeil et les rêves : études psychologiques sur ces phénomènes et les divers états qui s’y rattachent, suivies de recherches sur le développement de l’instinct et de l’intelligence dans leurs rapports avec le phénomène du sommeil (Paris, Didier, 1861).
David vieilli, rêve sur son trône au soleil couchant. […] Aucun ne lui plaît complètement, mais il s’inspire d’eux, surtout il s’applique à réaliser ce qui lui semble utile ; il fait quelques réformes, institue dans ses ateliers des caisses de secours mutuels, mais ces modifications secondaires ne lui suffisent pas, il rêve l’établissement de relations nouvelles et plus justes entre le capital et le travail, le plan du familistère se forme et se développe. […] De là les regrets du poète se plaignant que le meilleur de sa poésie demeure en lui-même, l’opposition continuelle du rêve et de la réalité, de l’idéal et du réel. […] Aucun esprit ne doit pouvoir pousser à bout ses idées, parce que personne n’a au degré suffisant ni toutes les connaissances qui pourraient lui être utiles, ni toutes les habitudes, toutes les routines, tout le métier qui lui seraient nécessaires pour donner au développement de son invention la forme parfaite qu’il rêve.
Certes, sous le rapport du goût, si l’on compare ces inventions aux beaux rêves de la poétique Italie, notre Midi paraît encore bien grossier. […] S’il est dans le moyen âge un souvenir gracieux, s’il est un beau rêve de la pensée humaine, une espèce d’épopée à laquelle tout le monde travaille à la fois, qui se renouvelle et s’étend sans cesse, c’est l’histoire de la chevalerie. […] Ainsi, quelque grand événement, quelque spectacle extraordinaire avait agité les imaginations humaines, pour les porter à ce rêve de la chevalerie, qui devint la pensée commune, dans une partie de l’Europe. […] Les dogmes du christianisme une fois déposés dans les esprits, l’imagination ne s’était pas arrêtée ; on se racontait les rêves des légendes, les terreurs de la piété.
Il dresse, dans sa pensée, un théâtre bien plus magnifique cent fois que les plus beaux théâtres de l’univers, et ainsi isolé du monde réel, il monte à son gré ces chefs-d’œuvre qu’il n’a jamais vus bien joués que dans ses rêves, — Tartuffe, — Le Misanthrope, — Le Malade imaginaire, — Le Bourgeois gentilhomme. […] Monrose ne vit plus ; il rêve… De grâce et par pitié ne le réveillez pas ! […] Dans ces lieux témoins de tant de rêves, où tant de rêves ont abouti, est mort à son tour entouré des soins les plus tendres, Étienne Becquet, mon cher confrère ; il avait à peine trente-six ans, il avait, lui aussi, gardé tout son esprit, il venait d’entrer dans la grande fortune de son père ; il m’avait précédé dans cette œuvre futile qui ne vous demande guère que votre vie entière, — il est mort, sous ce toit bienveillant, en murmurant une ode d’Horace, en guise de prière suprême. […] — À ces âmes en peine il accordait tous ses soins, se croyant trop payé et trop récompensé s’il avait retrouvé une lueur sous cette cendre éteinte, une pensée en cette âme blessée à mort, un rêve logique dans cet esprit abandonné à tout le dévergondage de la fantaisie ! […] Il a donné la douche à des rhétoriques ; il a condamné des écoles à la diète ; il a mis la camisole de force à des chefs de secte ; il savait le côté faible et le côté fort de ces intelligences avortées, et que rien ne mène à la folie aussi vite, et par un sentier plus frayé que la vanité des poètes, l’ambition des prosateurs, l’envie et la haine des comédiens, et le souffle du parterre et le mépris du lecteur ; ajoutez l’indifférence, la pitié et l’insensibilité du public, et tant et tant de causes qui pèsent incessamment sur ces têtes malades ; ces fièvres, ces spasmes, ces délires, ces rêves !
Mais si les prophètes n’ont pas annoncé le Christ, en ce cas Spinosa dit vrai, il n’y a pas eu de peuple « élu de Dieu » ; — et avec leur inspiration qui cesse d’être divine, c’est la Providence, puisque c’est Dieu lui-même qui se retire du monde, loin des affaires humaines, loin de la créature, dans la catégorie de l’idéal, disons : dans la région du rêve. […] C’est d’abord que la plupart des questions qu’elle agite, si peut-être elles ne sont pas précisément oiseuses, sont situées par leur nature trop au-dessus de la vie pratique, dans la région de l’abstraction et du rêve. […] On serait donc en droit, si l’on le voulait, d’ordonner toute l’histoire littéraire du xviie siècle par rapport à cette idée de « progrès », dont les horizons, encore étroits, dans les Dialogues de Perrault, s’agrandissent insensiblement, pour finir par s’étendre comme en perspectives illimitées dans le rêve de Condorcet ; et nous verrons bientôt qu’en effet c’est à peine si deux ou trois autres idées, pendant cent ans, ont partagé avec elle, sans la contrarier d’ailleurs, ou plutôt en l’aidant, le gouvernement des esprits. […] Mais, de n’avoir pas senti ce qu’il y avait de force ou de vertu morale dans le protestantisme : d’avoir sacrifié, si je puis ainsi dire, au rêve d’une unité tout extérieure, purement apparente et décorative, la plus substantielle des réalités : de n’avoir pas compris que tout ce que l’on entreprenait contre le protestantisme, on l’accomplissait au profit du « déisme » comme disait Bayle, ou du « libertinage » : voilà qui est plus grave, — et voilà ce que l’on ne saurait trop reprocher à la mémoire de Louis XIV !
Je ne le plaindrai point d’avoir tant dépensé pour si peu, je l’envierai plutôt : il a joui de lui-même pendant de longues heures, il a pratiqué le précepte du sage : Cache ta vie ; il a fait d’une toute petite santé un long et ingénieux usage ; il a souri dans la solitude à d’innocentes pensées et s’est égaré à loisir dans les sentiers qu’il préférait ; enfin, lettré par vocation et qui n’était que cela, il a réalisé, selon ses forces et dans sa mesure, un rêve pacifique et doux103.
Alors tu coules dans ses veines et tu lui donnes une jeunesse magique ; tu ramènes sur ses paupières brûlantes un sommeil pur, et tu fais descendre tout l’Olympe à sa rencontre dans des rêves célestes.
Jouffroy, où le pâtre intervient souvent, datent de cette rencontre ; c’est ce qui lui a fait dire dans son émouvant discours sur la Destinée humaine : « Le pâtre rêve comme nous à cette infinie création dont il n’est qu’un fragment ; il se sent comme nous perdu dans cette chaîne d’êtres dont les extrémités lui échappent ; entre lui et les animaux qu’il garde, il lui arrive aussi de chercher le rapport ; il lui arrive de se demander si, de même qu’il est supérieur à eux, il n’y aurait pas d’autres êtres supérieurs à lui…, et de son propre droit, de l’autorité de son intelligence qu’on qualifie d’infirme et de bornée, il a l’audace de poser au Créateur cette haute et mélancolique question : Pourquoi m’as-tu fait ?
Cécina, à qui Vitellius doit l’empire, sort de Rome avec une armée pour aller combattre Mucien et Vespasien en Dalmatie ; mais Cécina, tout en embrassant Vitellius avant son départ, médite ou rêve déjà sa défection.
Consalvi, jeune encore, avait le délire de la musique, cette langue sans parole qui vient du ciel et qui exprime sans mots ce que l’âme rêve et ce qui est le plus inexprimable aux langues humaines ; la musique, langue des anges, quand elle avait touché son âme, y restait à jamais comme le souvenir d’un autre monde, comme une apparition à l’âme d’un sens supérieur aux sens d’ici-bas.
« Peut-être, alors, verrons-nous ce rêve sans corps, que vous appelez Dieu !
C’est ce que je fis, monsieur, jusqu’à ce qu’un bruit singulier, que je n’avais jamais entendu auparavant, montât du bas de la cour de la prison jusqu’à la meurtrière qui me servait de fenêtre, et que ce bruit me fît me dresser sur mes pieds, comme en sursaut, quand on se réveille d’un mauvais rêve.
Les scènes de ces drames innocents étaient les matériaux sur lesquels mon imagination brodait ses plus doux rêves.
Fénelon, son disciple et son martyr, chante une philosophie plus humaine ; c’est le poëte des chimères, le genre humain ne subsisterait pas un jour sous les lois qu’il rêve de lui donner.
Être artiste, c’est-à-dire faire de belles phrases sonores et creuses, tel était son rêve.
Chapelle militaire : Rêves (Traenme) 25 Janvier.
Brünnhilde ma forte, dors couchée en les ruissellement du rouge sonore, dors en la très haute paix des divins embrasements, sommeille, calme, sommeille, bonne : Brünnhilde, espère à Lui : Héros viendra, le réveilleur, Noble viendra, vainqueur des Dieux, superbe et roi … sur le roc transfulguré, ô Brünnhilde, en l’indubitable attente, sommeille, dors, bien aimée, parmi la jubilante flamme : je te sens, et je te pense, et, dans les majestueux gais épanouissements du feu, avec toi je rêve aux Crépuscules futurs, ô dormeuse des divinités passées … » Revue de Bayreuth (Bayreuther Blaetter) Analyse du numéro IX Hans von Wolzogen : Notes sur les œuvres Posthumes de Wagner, avec le fragment complet « le féminin dans l’humain ».
Quelque douce brise de jouerie, l’émoi d’un léger rêve consolant.
Que de rêves immenses mêlés à la fumée qui en sort !
— et j’ai fait cette fois de l’imagination dans du rêve mêlé à du souvenir.
Le rêve de M.
Ou bien le monde extérieur n’existe pas, n’est qu’une illusion de nos sens, un rêve qu’on ferait les yeux ouverts, une projection des lois de notre intelligence à travers l’espace ou le temps ; — et c’est la première solution.
Il y a un passage (dans le Voyage en Limousin) de La Fontaine où il parle de son sommeil « bigarré de rêves » et qui n’est jamais très profond.
des mélancolies de lunes éteintes : deux, très secs, étaient dans leur plein ; le troisième, dans son deuxième quartier, coulait, se vidait d’une crème blanche, étalée en lac, ravageant les minces planchettes, à l’aide desquelles on avait vainement essayé de le contenir… « … Un romantour, vêtu de son papier d’argent, donnait le rêve d’une barre de nougat, d’un fromage sucré, égaré parmi ces fermentations âcres.
Avant 1820, son rêve de grande poésie ne consistait pas dans les Méditations, mais dans un poème épique de Clovis, l’Africa de ce Pétrarque.
ou le rêve de ce type poétique, éclos sous le ciel sombre de la rêveuse Allemagne, attendait-il pour se réaliser l’organisation exceptionnelle de cette blonde enfant du Nord ? […] Maître Favilla Si, en effet, dans ce conte à dormir debout de Maître Favilla, la critique a cru voir passer un rêve, une vision d’Hoffmann, c’est que, renouvelant la méprise du paysan gaulois dont parle Proudhon dans son dernier livre, elle a pris ses houseaux pour ses jambes. […] Un jour ou l’autre, lorsque échoira le terme de ce rôle exceptionnel, qui n’est ni dans la réalité humaine ni dans les conditions normales du théâtre il faudra bien que Rouvière s’éveille de son rêve de gloire.
Enfin vient la vieillesse, où la société abdique la pensée sous l’empire de laquelle elle s’est élevée et a vécu : elle se rit des rêves de son enfance, des idées de son âge mûr ; elle se rit de l’enfer et du paradis ! […] L’art, c’est-à-dire le sentiment, ne voyant autour de lui que cette décomposition du corps social, tombe dans le spleen et dans l’athéisme, ou revient aux conceptions du passé, et produit mille monstres semblables aux rêves du malade que la fièvre dévore dans une crise terrible… qui va le sauver.
« Ne m’accusez point de vous abuser par quelque heureux mensonge inventé à l’honneur de l’espèce humaine, L’imagination ne fait pas de tels rêves. […] Quant à la foule de ces jeunes gens qui se sont si ardemment nourris de vains rêves de gloire, le plus grand nombre est mort et à la fleur de l’âge. […] Mais c’est particulièrement lorsqu’il conçut et acheva le premier de ces ouvrages, de 1795 à 1800, qu’il poursuivit avec le plus de ferveur et d’énergie la réforme de son art, rêve de toute sa vie. […] Aussi, après la chute de Robespierre, lorsque David, jeté en prison, eut achevé son triste rêve, revint-il de toutes les illusions qu’il s’était faites sur la politique et même sur son art.
On se rappelle, dans les Mémoires de Silvio Pellico, le touchant roman ébauché avec cette Madeleine repentie, dont il n’entend que la voix et les cantiques à travers le mur ; mais le roman reste, pour ainsi dire, dans l’air, à l’état de fil de la Vierge, et flotte en pur rêve.
C’est un point lumineux dans ce demi-jour des premières années où tout est confondu, plaisirs, espérances, regrets, et où les souvenirs sont brouillés et incertains, parce qu’aucune pensée ne les a gravés dans la mémoire ; amour charmant qui ne sait pas ce qu’il veut, qui se prend aux yeux bleus d’une fille comme le papillon aux roses du jardin par un instinct de nature, par une attraction dont il ne sait point les causes et dont il n’entrevoit pas la portée ; innocent besoin d’aimer, qui plus tard se changera en un désir intéressé de plaire et de se voir aimé ; passion douce et sans violence, rêve en l’air ; première épreuve d’une sensibilité qui se développera plus tard ou qui plutôt s’éteindra dans des passions plus sérieuses ; petite inquiétude de cœur qui tourmente souvent un jeune écolier, un de ces enfants aux joues roses que vous croyez si insouciant, mais qui déjà éprouve des agitations inconnues, qui étouffe, qui languit, qui se sent monter au front des rougeurs auxquelles la conscience n’a point part. » — La grâce facile où se jouera si souvent la plume de Charles Labitte se dessine déjà dans cette page délicate où je n’ai pas changé un mot.
D’autres genres plus amples, plus majestueux, plus sévères, occupèrent la scène et éclipsèrent cette poésie qui va s’inspirer plus librement à l’écart, au gré de la fantaisie et du rêve.
Alors s’éveillent en nous mille rêves charmants que la solitude nourrit et qui seraient détruits à l’instant par la présence des visages humains.
. — Tantôt enfin les conditions sociales ont imprimé leur marque, comme il y a dix-huit siècles par le christianisme, et vingt-cinq siècles par le bouddhisme, lorsque autour de la Méditerranée comme dans l’Hindoustan, les suites extrêmes de la conquête et de l’organisation aryenne amenèrent l’oppression intolérable, l’écrasement de l’individu, le désespoir complet, la malédiction jetée sur le monde, avec le développement de la métaphysique et du rêve, et que l’homme dans ce cachot de misères, sentant son cœur se fondre, conçut l’abnégation, la charité, l’amour tendre, la douceur, l’humilité, la fraternité humaine, là-bas dans l’idée du néant universel, ici sous la paternité de Dieu. — Que l’on regarde autour de soi les instincts régulateurs et les facultés implantées dans une race, bref le tour d’esprit d’après lequel aujourd’hui elle pense et elle agit ; on y découvrira le plus souvent l’œuvre de quelqu’une de ces situations prolongées, de ces circonstances enveloppantes, de ces persistantes et gigantesques pressions exercées sur un amas d’hommes qui, un à un, et tous ensemble, de génération en génération, n’ont pas cessé d’être ployés et façonnés par leur effort : en Espagne, une croisade de huit siècles contre les Musulmans, prolongée encore au-delà et jusqu’à l’épuisement de la nation par l’expulsion des Maures, par la spoliation des juifs, par l’établissement de l’inquisition, par les guerres catholiques ; en Angleterre, un établissement politique de huit siècles qui maintient l’homme debout et respectueux, dans l’indépendance et l’obéissance, et l’accoutume à lutter en corps sous l’autorité de la loi ; en France, une organisation latine qui, imposée d’abord à des barbares dociles, puis brisée dans la démolition universelle, se reforme d’elle-même sous la conspiration latente de l’instinct national, se développe sous des rois héréditaires, et finit par une sorte de république égalitaire, centralisée, administrative, sous des dynasties exposées à des révolutions.
Le génie rêve un ordre de choses où les rangs seraient assignés par la nature et la vertu.
Les révélateurs, les poètes et les sages ont roulé éternellement cette pensée dans leur âme, et l’ont perpétuellement montrée dans leur ciel, dans leurs rêves ou dans leurs lois, comme la perspective de l’humanité.
Rêve de Dieu exécuté par les hommes.
Elles en expriment les rêves avec la vie, l’idéal avec la réalité, comme la fiction du théâtre de Scribe est le plus fidèle portrait qu’on puisse trouver de la bourgeoisie française aux environs de 1840.
Ni les hommes ni les œuvres ne manquent : mais, si la matière est riche pour l’historien ou pour le philologue, elle est pauvre pour le critique, qui s’arrête seulement aux œuvres littéraires, c’est-à-dire aux idées, sentiments, expériences, rêves que l’art a revêtus d’éternité.
la fade sentimentalité qui encore aujourd’hui partage les applaudissements avec la grosse ordure dans nos cafés-concerts, d’innocentes mièvreries émanées de la haute littérature allégorique, et qui une fois sur vingt échappent à la puérilité, une fois sur cent atteignent l’exquise délicatesse : avec cette poésie de rêve, la réalité sans voiles, dans toute sa brutalité, dérision du mariage et de la famille, âpre désir des jouissances grossières, filles qui partent avec les gens d’armes, soudards avides de pillage, accourant comme des bêtes de proie aux provinces où il y a guerre : en somme, le plus complet nihilisme moral adouci par les tons chauds d’une verve robuste.
Durant deux mois à peu près, je fus protestant ; je ne pouvais me résoudre à quitter tout à fait la grande tradition religieuse dont j’avais vécu jusque-là ; je rêvais des réformes futures, où la philosophie du christianisme, dégagée de toute scorie superstitieuse, et conservant néanmoins son efficacité morale (là était mon rêve), resterait la grande école de l’humanité et son guide vers l’avenir.
L’art n’ayant pas encore idéalisé les Érynnies, comme il fit plus tard, Eschyle les évoqua dans la laideur surhumaine que leur prêtaient les mythes primitifs, et telles que l’imagination populaire les voyait en rêve.
Artiste en demi-solde, grognard sans chevrons de l’armée de l’art, il ne lui reste plus qu’à fumer sa pipe au pied de la colonne Trajane, en ruminant ses vieux rêves.
Victor Hugo a non seulement composé un grand nombre de magnifiques odes, mais on peut dire qu’il a créé l’ode moderne ; cette ode, d’où il a banni les faux ornements, les froides exclamations, l’enthousiasme symétrique, et où il fait entrer, comme dans un moule sonore, tous les secrets du cœur, tous les rêves de l’imagination, et toutes les sublimités de la philosophie.
Dans sa Tentation de saint Antoine, il fait partout ce que les enfants font sur les murs, et cela lui est d’autant plus facile que, son mur, c’est l’imagination de saint Antoine, et que sur ce mur-là il peut peindre tout ce qu’il veut : il est dans le rêve, le cauchemar, l’hallucination, la folie !
Armand Silvestre est surtout une musique ; comme la musique, elle est perceptible aux sens et à l’âme plutôt qu’à l’entendement ; on dirait que cet artiste s’est trompé sur l’espèce d’instrument que la nature avait préparé pour lui : il semblait fait pour noter ses sensations et ses rêves dans la langue de Schumann, et M. […] Le liège soudain fait un plongeon trompeur, La ligne saute. — Avec un hoquet de vapeur Passe un joyeux bateau tout pavoisé d’ombrelles ; Et, tandis que les flots apaisent leurs querelles, L’homme, un instant tiré de son rêve engourdi. […] Le xixe siècle avait fait ce beau rêve : remplacer la lutte armée des nations les unes contre les autres par leur concours pacifique dans l’œuvre du progrès. […] Victor est sa maison, Hugo est son « garni. » C’est lui que je venais habiter, à vrai dire, Et mon rêve eût été de louer en garni Une scène au cinquième étage d’Hernani. […] Et spéculation, qui ne désigne plus guère que les opérations de Bourse, après s’être appliqué aux plus sublimes contemplations de la philosophie ; comme un tel changement fait toucher du doigt les progrès de la sagesse d’un peuple qui a substitué à tous les anciens rêves le culte du solide !
Sa catholicité s’était assise dans les temples du paganisme : les superstitions exaltaient ses rêves mystiques, le commerce l’entraînait aux incursions sur les rives orientales ; elle voyait au même lieu, derrière elle, les tonnerres de Jupiter, et devant elle les foudres du Vatican ; placée entre les idoles et les saints, poussée par la dévotion et la volupté, se ressouvenant encore des nombreux assauts des barbares, qui la punirent tant de fois de sa domination longtemps universelle, éblouie du luxe et des plaisirs des fêtes durant les trêves que lui accordaient les prétentions de l’empire germanique et les rivalités guerroyantes des princes qui la divisaient, elle dut inspirer comme elle le fit le Dante, l’Arioste, et le Tasse, qui rassemblèrent, chacun dans leur genre, la réunion de ses diverses qualités distinctives, et reproduisirent toutes les empreintes de leur âge. […] La nature perce dès le commencement de la narration : voyez-vous cet irascible prélat, qui, tourmenté d’un mauvais rêve, « Querelle, en se levant, et laquais et servante, « Et d’un juste courroux ranimant sa vigueur, « Même avant le dîner parle d’aller au chœur ? […] Les conformités de ces livres de diverses croyances n’ont point échappé à l’esprit perçant du Dante, qui dans ses descriptions, dans ses fables, dans ses figures, dans ses comparaisons, semble s’être fait obstinément un système d’associer les images que nous appelons sacrées à celles qui sont profanes pour nous, soit qu’il ait voulu témoigner qu’il ne partageait pas les superstitions de son temps gothique, et qu’il protestât contre elles, en signalant une foi très indifférente à toutes les visions, soit qu’il ait jugé que les ornements mythologiques étaient seuls capables d’égayer les rêves de l’Apocalypse et la tristesse des inventions chrétiennes. […] On eût souhaité que son génie eût fait intervenir plus souvent des fictions aussi heureuses que le rêve dans lequel Bourbon voit apparaître saint Louis son aïeul, au sein d’un olympe où les astres roulent assujettis à la loi newtonienne.
Si contradictoire que cela puisse paraître, le seul point fixe en certaines âmes de femmes, c’est la nostalgie, le mal de ce pays qu’un rêve de jeune fille a vu éclore un jour, tel un verger en fleurs, où elle a évoqué, projeté le double et indiscernable visage de l’Amour et de l’Avenir et vers lequel, comme vers un passé encore proche par ses mirages mais à jamais interdit, les femmes lancent plus tard de sourds appels qui, de l’homme, demeurent toujours inentendus ou incompris. […] Elle le connaît sans profondeur, et si vainement, qu’elle se prend quelquefois à le ranger au rang de ses rêves ; elle doute du soleil… Infatuée de ses fabrications éphémères, elle se croit capable d’une infinité de réalités différentes ; elle imagine qu’il existe d’autres mondes, mais vous la rappelez à vous-même, comme l’ancre fait le navire… Mon intelligence mieux inspirée ne cessera, cher corps, de vous appeler à soi désormais ; ni vous, je l’espère, de la fournir de vos présences, de vos instances, de vos attaches locales. […] C’est pourquoi je tairai aujourd’hui tous les rêves qu’au-delà de lui-même Le Désert de l’amour fait lever en moi — pour relire le dernier écrit de Mauriac, le bel et émouvant hommage qu’il a consacré à notre ami. […] ce n’est point là ces éclatantes fleurs qu’il rêvait ; elles tombent ; et, de nouveau il reprend avec une morne obstination son même rêve, sa même obscure recherche.
De là tant de petits employés qui sont des poètes et qui lisent leurs vers en famille et à leurs amis, en se disant qu’il ne leur a manqué que quelque loisir et une petite fortune indépendante pour être des Lamartine ; qui ont un système politique et toute une sociologie et qui gémissent de l’obscurité où ce système reste enseveli avec eux ; qui font des romans et des pièces de théâtre et poursuivent toute leur vie le rêve d’être imprimés ou d’être joués ; du reste, ponctuels à leur bureau, sinon zélés, et acceptant en maugréant, mais relativement avec patience, la vie terne que l’injuste destin leur a faite. […] C’était, à peu près, le rêve de Jean-Jacques Rousseau réalisé. […] Un peuple qui tout entier penserait exactement la même chose — rêve de nos démocrates autoritaires et unitaires — c’est qu’il ne penserait pas du tout, ce qui peut-être n’est pas très sain. […] La France se sent nation de second rang, ne rêve plus d’aucune conquête, ne se sent plus appelée par les peuples asservis, ou ne peut pas raisonnablement s’imaginer qu’elle soit appelée par eux ; et quant au principe des nationalités, quelque idéaliste qu’elle soit, il lui a été trop terriblement funeste pour qu’elle ne l’ait pas quelque peu écarté de son cœur. […] Et ce sera, réalisé, le rêve du doux Edgar Quinet, qui n’a jamais rien vu autre chose en politique et dans toute l’histoire moderne que le catholicisme à exterminer par tous les mêmes moyens que le christianisme vainqueur avait employés pour exterminer la religion païenne ; et cette politique est d’une grande simplicité, encore qu’elle ne soit pas évangélique.
Un Marsyas imagina en rêve qu’il coupait la gorge à Denys. Il eut, sans doute, le tort de raconter son rêve ; car Denys en fut instruit. […] Il est dans l’article Gouvernement du Dictionnaire philosophique.En voici les lignes essentielles : « De cet établissement, en comparaison duquel la République de Platon n’est qu’un rêve ridicule, et qui semblerait inventé par Locke, par Newton, par Halley ou par Archimède, il est né des abus affreux et qui font frémir la nature humaine… Le fanatisme absurde s’était introduit dans ce grand édifice comme un feu dévorant qui consume un beau bâtiment qui n’est que de bois. […] Son rêve, c’est un roi absolu fondant la liberté dans ses Etats. […] C’est les Etats-Unis d’Europe, une fédération de toutes les grandes puissances par la désarmement ; ou la conquête de tous les Etats d’Europe, à en excepter si l’on veut les petits, par une grande puissance qui imposerait la « paix romaine » et pourrait, au bout d’un temps assez court, après avoir désarmé tout le monde, se désarmer elle-même. — Le premier est le rêve d’un certain nombre de philanthropes qui comptent sur la persuasion ; le second était peut-être celui de Napoléon Ier
Mais, surtout, c’est une rafraîchissante occupation d’été que la lecture de ces drames où la nature étend les grandes ombres pacifiques de ses ramures et le demi-sommeil éternel de ses grands rêves. […] Son dernier mot est encore un roman qu’elle rêve. […] Ce rêve aboutira-t-il ? […] Le poète rêve encore. […] Si je la rêve ainsi, c’est que je ne songe plus au théâtre.
Molière Études générales Influence de Molière sur le monde civilisé. (Écrit pendant le siège de Paris) C’était le 15 janvier l’anniversaire de la naissance de Molière, et la Comédie-Française a tenu à la fêter cette année comme les autres ; elle a voulu que rien, pas même le bruit des bombes qui tombaient à cette même heure sur Paris, ne vînt interrompre cette pieuse tradition. Elle a donc ouvert son théâtre pour ce grand jour, et elle a bravement mis sur son affiche Le Dépit amoureux et Amphitryon, et, pour terminer le spectacle, un à-propos en vers de M. Gondinet. Disons tout de suite que cette pièce de poésie, qui était plutôt une imprécation contre les Allemands qu’un éloge du maître, a fait un effet immense.
Il marche agilement vers l’issue, sans s’attarder aux rêves du cœur, ou devant les richesses du paysage. […] Il a songé « qu’il était dans un désert, — il ne put jamais savoir en quel endroit, — et comme il regardait en l’air, — du côté du soleil, — il vit une tour sur une hauteur, — royalement bâtie, — une profonde vallée au-dessous, — et là-dedans un donjon, — avec de profonds fossés noirs, — et terribles à voir. » Puis, entre les deux, une grande plaine remplie de monde, « d’hommes de toutes sortes, — pauvres et riches, — travaillant et s’agitent, — comme le veut le monde ; — quelques-uns à la charrue — labouraient avec un grand effort, — pour ensemencer et planter, — et peinaient durement, — gagnant ce que des prodigues venaient détruire et engloutir164. » Lugubre peinture du monde, pareille aux rêves formidables qui reviennent si souvent chez Albert Durer et chez Luther ; les premiers réformateurs sont persuadés que la terre est livrée au mal, que le diable y a son empire et ses officiers, que l’Antechrist, assis sur le trône de Rome, étale les pompes ecclésiastiques pour séduire les âmes et les précipiter dans le feu de l’enfer.
» — « Vous y pensez trop. » — « Ici, ici, le poids est ici, bloc de plomb pendant le jour ; et la nuit, pendant mes courts assoupissements fiévreux, c’est la sorcière qui chevauche mes rêves. » — Enfin, voici de nouveau des armes et des hommes, et une aurore d’espérance. « Combattrons-nous ? […] Lorsqu’il se croit trahi, il s’abandonne et ne sait plus que mourir. « Que César arpente seul ce monde ; je suis las de mon rôle. — Ma torche est finie, et le monde est devant moi — comme un noir désert à l’approche de la nuit. — Je veux me coucher, ne pas vaguer davantage736. » De pareils vers font penser aux lugubres rêves d’Othello, de Macbeth, d’Hamlet lui-même ; par-dessus le monceau des tirades ronflantes et des personnages en carton peint, il semble que le poëte soit allé toucher l’ancien drame, pour en rapporter le frémissement.
Avant que Zola niât le libre arbitre et proclamât le pessimisme, le vide et le néant de l’existence, Schopenhauer et Hartmann lièrent la volonté humaine à la roue de fer de la fatalité et déclarèrent que le monde est un rêve creux, ou plutôt un ennui. […] Je ne crois pas que ce soit de la prose que la symphonie descriptive, que le poème paradisiaque qui fait un tiers de la Faute de l’abbé Mouret, et où le même burin ferme qui grava dans le métal le style canaille des Halles et des Faubourgs de Paris, sculpta les formes splendides de la riche végétation qui croît dans cette serre vue en rêve, s’y multiplie et en brise les barrières en embaumant l’air. […] Il fait preuve d’une imagination, allemande par les rêves, et espagnole par la prestesse et la vivacité.
Rendons-nous-en bien compte en effet : il y avait quelque chose de contradictoire dans le rêve d’André Chénier. […] Les contemporains de Diderot, il faut bien le savoir, n’ont pu lire ni sa Religieuse, ni son Neveu de Rameau, ni le Supplément au voyage de Bougainville, ni le Rêve de D’Alembert, ni ses Salons ; et s’ils ne les ont pas connus, comment pourrions-nous parler de l’effet que ces écrits ont produits ? […] 3º Philosophie. — Essai sur le mérite et la vertu, 1745 ; — Pensées philosophiques, 1746 ; — Lettre sur les aveugles, 1749 ; — Lettre sur les sourds et muets, 1751 ; — Apologie de l’abbé de Prades, 1752 [la troisième partie seulement] ; — Pensées sur l’interprétation de la nature, 1754 ; — Supplément au voyage de Bougainville, 1796 ; — Le Rêve de D’Alembert, 1830 ; — La Promenade du sceptique, 1830.
Ce héros, qui a si peu de passion, légèrement bizarre comme un original de La Bruyère, et qui rêve une nuit si plaisamment qu’il va en épouser quatre, devient tendre à la fin, quand il éclate en pleurs aux pieds d’Henriette93.
Mlle Anne-Geneviève de Bourbon, fille d’une mère bien belle155, et dont la beauté, si fort convoitée par Henri IV, avait failli susciter aussi bien des guerres, parut très-jeune à la cour, et y apporta, près de Mme la Princesse, encore hautement brillante, « les premiers charmes de cet angélique visage qui depuis a eu tant d’éclat, et dont l’éclat a été suivi de tant d’événements fâcheux et de souffrances salutaires156. » Ses plus tendres pensées pourtant furent à la dévotion ; sa fin ne fit que réaliser et ressaisir les rêves mystiques de son enfance.
Dans tout le discours du colon : « Je passe donc mes jours loin des hommes, etc. », il a tracé son portrait idéal et son rêve de fin de vie heureuse.
Cette contagion a possédé Platon, les premiers économistes populaires, affamés de l’école néo-chrétienne, les sectaires musulmans de la Caramanie et de la Perse, les anabaptistes allemands, ivres de sang et de rêves, et enfin les philosophes prolétaires de nos jours, insensés de misère, vivant du travail industriel, et demandant l’extinction du capital pour multiplier le revenu, l’anéantissement du travail pour multiplier le salaire, et l’égalité du salaire pour égaliser l’oisiveté avec le travail !
Son imagination ne le trompait pas dans ce doux rêve ; il y aurait retrouvé tout cela s’il avait pu se retrouver lui-même.
À son retour, il rêve une gloire poétique, mais il ne se trouve dans l’esprit ni poésie ni langue ; il se décide à suppléer à la poésie, qui lui manque totalement, par cette espèce de jargon pédestre qu’on fait passer pour du génie devant les parterres ; il va chercher une langue presque morte en Étrurie.
— Mais venez voir, s’écrie tout bas Aglaé, voilà le cabinet de charmille entremêlé de sureau que le vent de ses premiers rêves agite encore, et voilà le tronc de chêne tortueux qui lui servait d’appui quand il commençait à écrire ses vers. — Nous accourûmes et nous entrâmes toutes recueillies sous l’ombre obscure du cabinet.
N’est-ce pas un rêve ?
Darnley, dévoré à la fois de honte et de jalousie, supportait tout comme un enfant qui rêve la vengeance, mais qui n’a pas la force de l’accomplir.
Les rêves de constitutions chimériques et contradictoires de ce philosophe génevois lui semblaient, avec raison, aussi creux et aussi impratiques que ceux de Platon et de Fénelon.
Il s’agit de montrer que l’homme est un composé de grandeur et de bassesse : la grandeur, ce sont les aspirations, le rêve, l’illusion ; la bassesse, c’est la réalité, et toutes les réalités, sentiments, croyances, institutions, coutumes, arts, toute la vie morale, politique et sociale de l’homme.
Seulement en temps ordinaire les idées simples rôdent comme des fantômes de rêve.
Mais l’habitude funeste des mêmes créations nous a fait perdre la conscience joyeuse de notre pouvoir créateur ; nous avons cru réels ces rêves que nous enfantions, et ce moi personnel, limité par les choses, soumis à elles, que nous avions conçu.
Dans ces années 1849-50, où il voyait comme en un rêve ce qu’il devait réaliser si miraculeusement en 1876 et 1882, il expose dans ses écrits sa théorie de la mimique.
Et toute sa splendeur a moins d’être qu’un rêve.