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163. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — I. Faculté des arts. Premier cours d’études. » pp. 453-488

Les élèves verront les phénomènes, mais ils en ignoreront la raison sans les connaissances préliminaires des deux premières classes. […] — Mais ces raisons ne sont pas toutes les raisons de ce phénomène. […] L’art imite les actions de l’homme, ses discours et les phénomènes de la nature. […] De l’harmonie imitative ou relative aux passions de l’homme et aux phénomènes de la nature, harmonie qui contredit quelquefois l’harmonie de l’oreille et qui la blesse avec succès. […] On a, de temps à autre, des exemples de semblables phénomènes.

164. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

Le théâtre comporte un autre emploi du phénomène bovaryque : le héros, en vue d’un but, simule un personnage qu’il sait distinct de lui-même. […] On a indiqué déjà, à l’occasion de Mme Bovary elle-même, que la comédie fait place au drame sitôt que le phénomène a pour théâtre l’âme d’un personnage pourvu d’une énergie violente. […] IV Avant de clore ces considérations sur le Bovarysme des individus on va seulement retenir trois cas où le phénomène se manifeste avec une grande clarté et où les éléments qui le composent se montrent assemblés selon des proportions très diverses. […] L’enfant joue avec la causalité même : il modifie sans hésiter le déterminisme des phénomènes.

165. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Matter. Swedenborg » pp. 265-280

Matter, qui a écrit une Vie de Saint Martin et un livre sur Fénelon, a voulu nous donner une histoire critique de l’étonnant Suédois, et faire voir clair, s’il le pouvait, dans ce bizarre phénomène, entremêlé de tant de choses contradictoires et incroyables, et qui présente, avec son nom superbe et sonore de Swedenborg, le plus beau tambourin à la Moquerie, — le plus beau tambour à la Gloire ! […] La première publication de ce mystique singulier, qui a depuis si simplement dit des choses si fortes, il l’intitula : « Pensées raisonnables sur Dieu. » Les phénomènes n’étaient rien pour lui, ce qui explique le prosaïsme de ses tableaux d’un autre monde. […] Matter, qui raconte très sérieusement le phénomène et qui l’analyse avec une grande finesse et une grande supériorité, ajoute que jusque-là aucun mortel n’avait été mis dans une condition pareille à celle où se prétendit Swedenborg.

166. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Stéphane Mallarmé), il est également logique et légitime de penser que ces quelques phénomènes, essentiels par la seule raison qu’ils sont mis en jeu, provoquent immédiatement des actions et des réactions, soit des contrastes ; ces contrastes qui sont l’effet le plus appréciable à tous, le plus tangible, sont modifiés par les circonstances, et, si l’on veut se pencher vers le phénomène, étudier spécialement en quoi ce phénomène, connu évidemment et répercuté de tous les états précédents du même phénomène se présente pourtant et toujours avec des aspects de nouveauté, avec des modifications de conscience, on perçoit une infinie diversité. […] Être nous montre l’arrivée de l’écrivain à la conscience exacte d’une littérature soucieuse avant tout du phénomène passionnel ambiant étudié à la clarté d’une conscience, d’un écrivain aussi suffisamment muni pour suivre les oscillations du phénomène et les résumer en de nobles lignes. […] Sans doute Rimbaud était au courant des phénomènes d’audition colorée ; peut-être connaissait-il par sa propre expérience ces phénomènes. […] L’évolution de la littérature n’est pas un phénomène de hasard. Il y a lien et logique entre les phénomènes.

167. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

Par cette combinaison d’impulsions psychiques simples à l’intérieur, de rapports mécaniques à l’extérieur, vous pourrez expliquer les phénomènes plus complexes et les adaptations de la volonté aux circonstances variées. […] Il n’y a point encore là de fin proprement dite, sinon pour un spectateur du dehors, qui traduit le phénomène dans le langage de l’entendement. […] Les meilleures comparaisons seraient celles qu’on tirerait des phénomènes vitaux, de l’assimilation et de la désassimilation, par exemple ; mais les phénomènes de la vie sont, eux aussi, un mécanisme d’une extraordinaire complexité, qui recouvre un fond psychique et ne l’éclaire pour nous qu’imparfaitement. Les phénomènes de conscience étant au sommet de l’échelle dans l’évolution, tout ce qui les précède les annonce, les conditionne, mais ne leur enlève pas leur suprême originalité. […] En réalité, c’est toujours un ensemble de phénomènes mécaniques auxquels répondent en nous des sensations différentes.

168. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres publiées par M. J. Sabbatier. Tome Ier, 1845. » pp. 154-168

Pour qu’en 1845 une telle opinion puisse sérieusement se produire et qu’elle trouve place dans un esprit aussi cultivé que paraît l’être celui de l’éditeur, il ne suffit pas d’une dose d’illusion ordinaire ; c’est un phénomène qui exige une explication plus appropriée ; Victorin Fabre a eu ses dévots, et M. […] Victorin Fabre a laissé un ouvrage inachevé sur les Principes de la société civile ; il en lut à l’Athénée, en 1822, des fragments qui (j’en fus témoin) ne réussirent que très-médiocrement : « Cet ouvrage, s’écrie l’éditeur, est peut-être le plus vaste, le plus gigantesque qui ait jamais été entrepris… Tel qu’il est, il me paraît encore le plus grand monument élevé à la science politique. » Ce sont de telles exagérations enthousiastes qui, jointes aux violences dénigrantes, nous ont donné le courage de dire hautement toute notre pensée sur Victorin Fabre, et d’insister sur le phénomène singulier de son avortement laborieux. La préface de l’éditeur, à la date de 1845, restera elle-même un phénomène littéraire assez curieux en son genre ; elle témoigne de la persistance opiniâtre et du rétrécissement graduel de certaines doctrines depuis longtemps dépassées.

169. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

Ils se réduisent à l’intelligence, comme si l’homme n’était que cela ; ils appellent conscience le sentiment que le principe intelligent a de lui-même, comme si c’était là tout le sentiment dans l’homme ; les phénomènes qui se passent hors de la portée de la conscience ainsi définie sont déclarés extérieurs au moi véritable, étrangers à l’homme réel. […] « Ces phénomènes sont donc exactement pour lui dans la même condition que les phénomènes de la nature extérieure. » — Voilà cependant où leur logique les mène, et ils appellent cela faire de la science, et ne pas faire de l’imagination.

170. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Armand Silvestre »

Armand Silvestre, c’est dans cette ampleur et cette monotonie des images, presque toutes empruntées aux grands phénomènes naturels, qu’il faudrait la voir. […] Armand Silvestre avait ces visions, est-ce qu’il n’était pas, spontanément ou par artifice, dans un état d’esprit aussi approchant que possible de celui des anciens hommes quand, essayant d’exprimer dans leur langue incomplète les phénomènes de la nature, ils créaient sans effort des mythes immortels ? […] Nous avons remarqué que le spectacle des phénomènes naturels lui suggérait les mêmes images amples et vagues qu’aux poètes d’il y a trois mille ans : et voilà maintenant que ses facéties sont aussi celles des primitifs et qu’il se délecte comme eux — et comme les enfants — au comique incongru des basses fonctions corporelles.

171. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre V. L’Analyse et la Physique. »

Le troisième exemple va nous montrer comment nous pouvons apercevoir des analogies mathématiques entre des phénomènes qui n’ont physiquement aucun rapport ni apparent, ni réel, de telle sorte que les lois de l’un de ces phénomènes nous aident à deviner celles de l’autre. […] On comprendra mieux ce paradoxe apparent, en se rappelant dans quelles conditions le nombre s’applique aux phénomènes naturels.

172. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre III, naissance du théâtre »

Blasés par l’habitude héréditaire de longs siècles sur les alternatives régulières qui flétrissent et renouvellent la nature, nous pouvons à peine comprendre les sensations d’une race encore neuve, à la vue des phénomènes que ramène le cours des saisons. […] Il souffrait et il triomphait avec ces phénomènes visibles que son imagination recouvrait d’une figure idéale. […] Sa légende, où tous les revirements de l’existence humaine étaient retracés, exaltait encore les impressions naturelles qui se dégageaient de leurs phénomènes.

173. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre II. Le dix-neuvième siècle »

Il était, certes, aussi injuste de l’employer pour caractériser tout le mouvement littéraire qu’il est inique de l’employer pour qualifier toute la révolution politique ; il y a dans ces deux phénomènes autre chose que 93. […] Chacune de ces années exprime une période, représente un aspect ou réalise un organe du phénomène. 93, tragique, est une de ces années colossales. […] Ce phénomène leur a été reproché comme une trahison.

174. (1908) Après le naturalisme

Le phénomène est plus compliqué que cela et peut-être ne le démêlons-nous pas très bien. […] Oui, la Littérature constitue le phénomène suprême, indispensable par excellence. […] Un phénomène d’ordre spécial se produit parmi l’animé. […] Phénomènes dans l’humanité, certes, mais non encore résultats. […] On en suit les phénomènes exacts.

175. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Cependant c’est un échantillon de la beauté universelle ; mais il faut, pour qu’il soit compris, que le critique, le spectateur opère en lui-même une transformation qui tient du mystère, et que, par un phénomène de la volonté agissant sur l’imagination, il apprenne de lui-même à participer au milieu qui a donné naissance à cette floraison insolite. […] Que dirait, qu’écrirait, — je le répète, — en face de phénomènes insolites, un de ces modernes professeurs-jurés d’esthétique, comme les appelle Henri Heine, ce charmant esprit, qui serait un génie s’il se tournait plus souvent vers le divin ? […] Le pauvre homme est tellement américanisé par ses philosophes zoocrates et industriels qu’il a perdu la notion des différences qui caractérisent les phénomènes du monde physique et du monde moral, du naturel et du surnaturel. […] C’est dans de tels phénomènes que la célèbre et orageuse formule de Pierre Leroux trouve sa véritable application. […] Ce singulier phénomène tient à la puissance du coloriste, à l’accord parfait des tons, et à l’harmonie (préétablie dans le cerveau du peintre) entre la couleur et le sujet.

176. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

Réfléchissez cependant quel phénomène d’inter-psychologie une lettre représente. […] C’est là le phénomène que Stendhal a nettement vu. […] Il correspond pourtant à un phénomène très réel. […] Ce principe enveloppait cette affirmation qu’elle doit, si les objets sont différents, changer ses méthodes, étudier les phénomènes psychologiques du point de vue psychologique, les phénomènes biologiques du point de vue biologique, les phénomènes physico-chimiques du point de vue physico-chimique. […] Ce faisant, il supprime l’objet même qu’il se propose d’étudier, comme Taine, si passionnément épris de psychologie, supprimait les phénomènes moraux en les ramenant à des phénomènes physiologiques, et ceux-ci aux phénomènes physico-chimiques.

177. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Je veux dire qu’il cherche à annexer trop de phénomènes à son explication. […] Mais elle commettait l’erreur, qu’a bien soulignée Bergson, de passer outre à la différence de qualité des phénomènes. […] Rien de ce qui surviendra en lui ne lui apparaîtra jamais autrement que comme un phénomène physique. […] C’est surtout l’esprit dans lequel Proust attaque ces phénomènes qui l’apparente aux grands noms que je viens de citer. […] Dada est un phénomène d’obéissance, l’œuvre de Proust un phénomène de révolte.

178. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre premier. Les fonctions des centres nerveux » pp. 239-315

Ces cris peuvent-ils être considérés comme des phénomènes réflexes ?  […] La vue n’est donc pas abolie ; il y a là un phénomène tout à fait analogue à celui que nous ayons constaté chez le rat privé de ses lobes cérébraux, lorsque nous déterminions un sursaut brusque au moyen de certains bruits produits d’une façon soudaine. […] Tel est le cas des phénomènes réflexes, l’un des plus instructifs que présente la physiologie. […] Rien, il me semble, ne démontre mieux que cette expérience, et l’absence réelle de perception, et l’absence de tout phénomène intellectuel, et l’absence de la volonté. […] Vulpian, 681 : « C’est une notion d’une importance physiologique capitale, qu’il y a dans toutes sensation complète deux phénomènes tout à fait distincts, si distincts qu’ils ont pour sièges deux parties différentes du système nerveux.

179. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Tout phénomène fait partie d’un groupe : donc, pour comprendre ce phénomène, c’est ce groupe qu’il faut reconstruire par la pensée. […] Mais incessamment aussi ces phénomènes s’écroulent, et incessamment une inexplicable force située au cœur du monde les renouvelle, qui manifeste sa puissance par un éternel développement de ces phénomènes caducs. […] Il est ainsi des phénomènes initiaux, des génératrices, c’est le terme même de M.  […] Comprenez-les, vous comprendrez tous les phénomènes secondaires. […] Taine a vu profondément qu’un phénomène de conscience, une idée, par exemple, est la cause d’une série d’autres phénomènes de conscience, quelle que soit d’ailleurs la modification physiologique correspondante.

180. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre I. De l’évolution de la vie. Mécanisme et finalité »

Des phénomènes de destruction organique l’accompagnent d’ailleurs, sans aucun doute. […] Ici le calcul a prise, tout au plus, sur certains phénomènes de destruction organique. […] Ainsi pour la vie et pour les phénomènes physico-chimiques en lesquels on prétendrait la résoudre. L’analyse découvrira sans doute dans les processus de création organique un nombre croissant de phénomènes physico-chimiques. […] Ils ont surtout affaire, en effet, aux phénomènes qui se répètent sans cesse dans l’être vivant, comme dans une cornue.

181. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

Il a eu l’enseignement primaire des nuées, du firmament, des météores, des fleurs, des bêtes, des forêts, des saisons, des phénomènes. […] Aussi, modification immédiate dans le phénomène humain. […] Elle a la volonté, la précision, l’enthousiasme, l’attention profonde, la pénétration, la finesse, la force, la patience d’enchaînement, le guet permanent du phénomène, l’ardeur du progrès, et jusqu’à des accès de bravoure. […] Il n’y a de phénomènes vus que du point culminant ; et, vue du point culminant, la poésie est immanente.

182. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre IV. L’unification des sociétés »

* ** La rareté des sociétés unifiées est dès lors manifeste : États et nations sont loin d’être des phénomènes aussi universels que les sociétés mêmes. […] Déjà nous ne prétendons pas que l’ensemble des différentes formes sociales que nous discernons constitue la cause unique du phénomène que nous voulons expliquer : a fortiori ne le dirons-nous pas d’une de ces formes prise à part. […] Mais ce sont là des phénomènes assez récents et qui n’ont pas encore eu le temps de produire sur les masses leur effet psychologique. — Toute l’histoire de la Russie, jusqu’à nos jours, explique suffisamment pourquoi, malgré la centralisation, elle devait longtemps rester réfractaire à l’égalitarisme occidental. […] C’est donc qu’un de ces phénomènes n’exclut pas forcément l’autre.

183. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre IV. Cause immédiate d’une œuvre littéraire. L’auteur. Moyens de le connaître » pp. 57-67

Convaincus que rien n’arrive sans raison d’être, nous ne sommes pas satisfaits, quand nous avons établi la réalité et même l’importance relative de certains phénomènes ; nous nous demandons forcément de quelles causes inconnues ils sont le produit. […] Toutefois, il faut avouer qu’on n’accroît guère de la sorte la somme de ses connaissances, qu’on n’explique pas encore les phénomènes dont il s’agit de trouver la raison d’être. […] Si l’on ne fait aucune nouvelle conquête sur l’inconnu, on organise du moins son savoir ; on opère des groupements qui clarifient et simplifient la réalité ; on établit un lien entre des phénomènes d’apparence disparate ; on découvre les trois ou quatre forces internes dont l’œuvre étudiée n’est que la projection extérieure ; on peut en mesurer approximativement la puissance proportionnelle, on arrive à renfermer dans une formule plus ou moins complexe la constitution mentale d’un individu Cette nouvelle synthèse, à laquelle une méthode rigoureuse donnera une précision croissante, n’est certes pas à dédaigner.

184. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

Le monde objectif tout entier sort ainsi du fait confus de la sensation, enfanté par ce labeur d’artiste et de poète qui transforme en couleurs, en sons, en odeurs, en résistances et en contacts ce phénomène indistinct et solitaire. […] D’un point de vue plus positif, elles se montrent encore le moyen inflexible par lequel le contenu de toute connaissance apparaît nécessairement indéterminé, inconsistant et instable, en proie à la possibilité d’une dissociation indéfinie, le principe de causalité contraignant l’esprit, à l’occasion de tout phénomène quel qu’il soit, à remonter sans répit de cause en cause, sans lui permettre de toucher jamais une origine première, les lois de l’espace et du temps secondant, par leur élasticité sans limites, la tâche de la causalité pour égarer l’esprit, donnant naissance à ces antinomies qui nous avertissent du caractère fictif de toute connaissance et aboutissent à nous présenter l’univers, ainsi qu’on s’est efforcé de le montrer au deuxième chapitre du livre précédemment invoqué1 comme un système d’illusionnisme. […] Les vérités n’ont par elles-mêmes aucune réalité objective, mais elles sont des moyens de créer des réalités, c’est-à-dire des phénomènes, mœurs, sentiments, actes, états de connaissance.

185. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Introduction. Du bas-bleuisme contemporain »

Quand on en trouve un, comme Mlle Scudéry, par exemple, on s’arrête surpris de ce vilain phénomène dans le pays de la Légèreté et de la Grâce. […] Le phénomène de la servante-maîtresse, si commun chez les vieux galants ; chez les dons Juans les plus superbes, les plus durs à la femme dans leur jeunesse, lorsque l’âge les a suffisamment attendris, peut se produire aussi chez les nations, et il semble que nous y touchions, à ce phénomène.

186. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre II. De la métaphysique poétique » pp. 108-124

Alors sans doute un petit nombre de géants dispersés dans les bois, vers le sommet des montagnes, furent épouvantés par ce phénomène dont ils ignoraient la cause, levèrent les yeux, et remarquèrent le ciel pour la première fois. Or, comme en pareille circonstance, il est dans la nature de l’esprit humain d’attribuer au phénomène qui le frappe, ce qu’il trouve en lui-même, ces premiers hommes, dont toute l’existence était alors dans l’énergie des forces corporelles, et qui exprimaient la violence extrême de leurs passions par des murmures et des hurlements, se figurèrent le ciel comme un grand corps animé, et l’appelèrent Jupiter43. […] Ce caractère est toujours le même dans le vulgaire ; voient-ils une comète, un parélie, ou tout autre phénomène céleste, ils s’inquiètent et demandent ce qu’il signifie (axiome 39).

187. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

La première, la plus saillante, la plus intéressante des deux, le Scarabée d’or, a ces touches extraordinaires qui annoncent et, promettent ce phénomène intellectuel qu’on appelle le génie fantastique, plus rare que tout autre genre de génie. […] Edgar Poe est un poète pathologique qui peut exprimer des phénomènes très particuliers à l’organisation humaine, mais les sentiments qui sont la substance invisible, le mérite de l’homme ou son crime, son bonheur ou son infortune, et qui vibrent dans l’humanité depuis Priam aux pieds d’Achille jusqu’à la dernière des mères qui sanglote et qui veille auprès d’un berceau, depuis l’amour criminel de Phèdre jusqu’au pieux amour de Pauline, ne vibrent pas dans son génie. […] Assurément, cela est remarquable ; car dans ces jeux avec les nombres, dans ces combinaisons inouïes qui nous font l’effet d’un redoutable phénomène, il y a une prodigieuse faculté. […] L’Edgar Poe de Morella, de Ligeia et du Corbeau, offrit, dans le pays le plus goulu de phénomènes, le spectacle phénoménal du génie mathématique de la déduction la plus voulue et de la combinaison la plus acharnée qui ait peut-être jamais existé dans cette créature divine, parce qu’elle est spontanée, qu’on appelle un poète, et il le poussa, ce génie de la recherche et de la déduction, jusqu’aux recroquevillements du logogriphe et aux énormes charades de quelques-uns de ses Contes. […] Mais ce vigoureux et singulier bicéphale de génie ne fut pas, malgré tout cela, un phénomène assez monstrueux pour l’appétit gargantuesque de ces mangeurs et de ces avaleurs de phénomènes dont il voulait enlever les applaudissements, et il rata, de son vivant, comme phénomène.

188. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

Devoir du commandement adouci par l’amour dans le père, pour que l’ordre, qui ne peut se fonder sans hiérarchie, du moment que les volontés peuvent se heurter entre des êtres nécessairement inégaux, pour que cet ordre, disons-nous, se fonde sur une autorité et sur une subordination incontestées ; autorité et subordination qui sont un phénomène social, nullement physique, mais tout moral. […] Ce ne sont ni les despotes, ni les aristocrates, ni les démocrates, qui ont créé le divin phénomène de la société politique ; ce ne sont ni les dynasties, ni les théocraties, ni les autocraties, ni les démocraties, qui peuvent sanctifier en elles le titre au commandement humain, divin, aristocratique ou populaire, à la souveraineté, à l’organisation, à la conservation, au perfectionnement de la société politique. […] C’est la civilisation des sens, beau phénomène, mais phénomène court comme le temps, borné comme l’espace, fini comme la poussière organisée, périssable comme la mort. […] Car il croit que Dieu n’a pas borné à ces phénomènes d’agglomération, de révolution, de progrès matériel, de décadence, de dissolution et de disparition, les destinées de cette noble catégorie d’êtres appelés hommes ; que ces êtres ne sont pas bornés dans tous leurs développements par la tombe ; mais que le vrai contrat social, celui dont l’âme de l’humanité est l’élément, celui dont la vertu est le mobile, celui dont le devoir est la législation, celui dont Dieu lui-même est le souverain, le spectateur et la récompense, que ce contrat social, interrompu ici à chaque génération par la mort, ne se résilie pas dans la poussière de ce globe.

189. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

On va donc faire sa part dès à présent à ce bénéfice, qui résulte parfois de ce phénomène de suggestion, au risque de détruire quelque peu l’ordonnance de cette étude, selon laquelle on ne devrait traiter ici strictement que de la pathologie du Bovarysme. […] Mais cette obligation ne constitue pas à vrai dire un fait de Bovarysme : le Bovarysme est un phénomène psychologique ; il n’apparaît qu’avec l’adhésion du vaincu aux manières d’être du vainqueur, qu’avec l’admiration pour le vainqueur ; c’est alors seulement que, de son plein gré, le vaincu, dédaignant sa coutume héréditaire, se conçoit selon le modèle de la coutume étrangère ; c’est alors seulement que le groupe auquel il appartient, s’étant conçu différent de lui-même, disparaît comme entité sociale distincte pour se fondre dans le groupe victorieux. […] Dans le premier cas, le groupe social n’admet l’idée que partiellement et n’accepte ses conséquences que jusqu’à une certaine limite au-delà de laquelle il ne lui rend plus qu’un culte nominal, se bornant à inscrire son nom sur des phénomènes différents engendrés par son activité propre. […] On a l’explication de ce phénomène ironique, si l’on remarque que le pessimisme chrétien, négateur de la vie, a collaboré pour fonder cette société moderne avec un faisceau de forces beaucoup plus puissantes et qui le contredisaient, avec toutes les forces de la vie : l’égoïsme individuel, l’amour des biens immédiats, la passion de dominer, de posséder les meilleures choses, toute la frénésie qui fixe des buts à l’activité et développe l’énergie par la concurrence. […] La science ayant expliqué par une causalité naturelle nombre de phénomènes qui avaient trouvé jusque-là dans la croyance une interprétation fabuleuse, l’autorité de la croyance s’en est trouvée amoindrie.

190. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

.), d’autre part, des phénomènes d’induction psychologique aboutissant à des idées et à des sentiments de nature plus complexe (sympathie pour les personnages représentés, intérêt, pitié, indignation, etc.), en un mot, tous les sentiments sociaux. Ces phénomènes d’induction sont ce qui rend l’art expressif de la vie. […] L’art du savant, de l’historien, et aussi de l’artiste, c’est de découvrir les faits significatifs, expressifs d’une loi ; ceux qui dans la masse confuse des phénomènes constituent des points de repère et peuvent être reliés par une ligne, former un dessin, une figure, un système. […] Par sa puissance à briser les associations banales et communes, qui pour les autres hommes enserrent les phénomènes dans une quantité de moules tout faits, il ressemble à l’enfant qui commence la vie et qui éprouve la stupéfaction vague de l’existence fraîche éclose.

191. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Le nihilisme dans Terres vierges est traité en phénomène social, sans plaidoyers et sans polémique, et ainsi, étant véritablement un romancier réaliste que ne trouble dans ses observations aucune thèse, qui ne s’applique qu’à recréer dans ses livres des hommes aussi vivants, individualises, différenciés que dans la vie réelle, Tourguénef formule dans ses livres de véritables observations psychologiques, étudie de véritables cas, avec une impartialité et une profondeur qui surprennent. […] Tout n’est que fumée et vapeur, pensait-il, tout paraît perpétuellement changer, une image remplace l’autre, les phénomènes, succèdent aux phénomènes mais en réalité tout reste la même chose ; tout se précipite tout se dépêche d’aller on ne sait où, et tout s’évanouit sans laisser de trace, sans avoir rien atteint ; le vent a soufflé d’ailleurs, tout se jette du côté opposé, et là recommence sans relâche le même jeu fiévreux et stérile. » Ailleurs ces passages attristés ne manquent pas, et même dans les pages les plus souriantes, on voit que la plume est tenue par un homme qui connaît la vanité d’énormément de choses, qui s’en afflige, qui s’en persuade et ne peut cependant se résigner à la vanité de son propre être. […] Les généralisateurs, se haussant à la notion de race et de substance, dépassant l’individuel et l’actuel, aperçoivent dans l’écoulement infini des phénomènes, dans l’incessante suite des avortements et des échecs, la parcelle de succès, qui, positif et acquis, grossit la somme des biens.

192. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre II. Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité »

Désintéressé des buts illusoires que s’obstine à convoiter une entité imaginaire, il est donc plus aisé de s’attacher, ainsi qu’on a résolu de le faire ici, aux phénomènes qui, parmi l’écoulement des individus, demeurent à travers la durée sur la scène du monde, à ces fins que réalise le désir humain détourné des objets chimériques pour lesquels il se consume : la vie de l’Espèce et la Connaissance. […] On peut imaginer qu’il y a en tout individu particulier, fragment dans l’univers phénoménal de cette entité métaphysique antérieure au phénomène, quelque vague ressouvenir d’avoir été le propre impresario et le propre artisan de sa destinée.

193. (1867) Le cerveau et la pensée « Avant-propos »

En est-il de même en physique, lorsqu’on a découvert la vraie cause d’un phénomène ? […] Sans prendre à la lettre cette hypothèse, qui n’est après tout qu’une comparaison, nous pouvons nous en servir comme d’un moyen commode de représenter les phénomènes observés.

194. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Pour Lamartine, un phénomène du même ordre se dessina en 1820, quand parurent les Premières Méditations. […] Dès 1827, dans la préface de Cromwell, Victor Hugo avait déjà observé d’une façon assez rudimentaire ce phénomène de l’art. […] On ne s’émeut pas plus en leur présence que devant une énigme indéchiffrable, et, par un phénomène de transposition bizarre, on objective sa propre froideur pour la leur attribuer. […] Pas un détail qui n’ait subi un contrôle sévère ; pas une idée dont on ne cite l’auteur ; pas un phénomène dont on ne fournisse l’explication : en revanche, l’imagination et la fantaisie proscrites avec rigueur. […] Ce n’est pas un phénomène rare que l’engouement de sociétés très mûres pour les œuvres des civilisations très rudimentaires, et notre siècle seul fournirait de ce fait d’innombrables exemples.

195. (1915) La philosophie française « I »

Ce n’est pas à dire qu’il n’y eût ou déjà, particulièrement en France, en Angleterre et en Écosse, des psychologues pénétrants ; mais l’observation intérieure, laissée à elle même et réduite à l’étude des phénomènes normaux, avait difficilement accès à certaines régions de l’esprit, notamment au « subconscient ». À la méthode habituelle d’observation intérieure le XIXe siècle en a adjoint deux autres : d’un côté, l’ensemble des procédés de mensuration dont on fait usage dans les laboratoires, et, d’autre part, la méthode qu’on pourrait appeler clinique, celle qui consiste à recueillir des observations de malades et même à provoquer des phénomènes morbides (intoxication, hypnotisme, etc.). […] Il a montré que la connaissance que nous avons de nous-même, en particulier dans le sentiment de l’effort, est une connaissance privilégiée, qui dépasse le pur « phénomène » et qui atteint la réalité « en soi », — cette réalité que Kant déclarait inaccessible à nos spéculations.

196. (1884) Articles. Revue des deux mondes

A descendre à de telles précisions, on risque fort de méconnaître les différences profondes, essentielles, qui distinguent les phénomènes physiologiques des phénomènes moraux et sociaux. […] Qui dit loi suppose un rapport constant, nécessaire, entre deux phénomènes, dont l’un est considéré comme antécédent ou condition essentielle de l’autre. […] Non, car la loi ainsi comprise s’impose avec une absolue nécessité aux phénomènes qu’elle gouverne. […] Il avait ingénieusement expliqué le phénomène de la respiration, cherché les causes de la différence des sexes, de la stérilité relative des mulets, de la chute des dents, il est le père de nombre d’observations, vraies ou fausses, accueillies et reproduites de confiance par toute l’antiquité. […] Identifier l’âme avec la vie, c’est rapprocher, sans les confondre, les animaux de l’homme, et par là même être prêt à accorder toute l’importance qu’ils méritent aux phénomènes psychiques qui se manifestent à tous les degrés divers de l’échelle animale.

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