/ 2928
792. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

C’est positif, son estomac s’est fondu, et son individu est comme allongé, étiré, et ce qui est parfaitement curieux surtout, c’est que le fin modelage de sa figure passée, perdu dans la pleine et grosse face de ces dernières années, s’est retrouvé, et que, vraiment, il recommence à ressembler à son portrait de Manet. […] Une opération faite au cousin Montegut à Saint-Jean-de-Dieu, à la suite de laquelle on a cru le perdre, a fait tout remettre. […] Oui, tout ce monde, devant ces lithographies avant la lettre, devant cette merveilleuse « Comédie humaine » au crayon, réalisée avec un procédé, à l’heure actuelle complètement perdu, tout ce monde semble avoir une taie sur l’œil. […] Les gens perdus dans le brouillard, se retrouvent autour des tables du souper offert par Daudet, sur lesquelles se dressent quatre faisans, au merveilleux plumage, que m’a envoyés la comtesse Greffulhe « à cause de leurs nuances japonaises ». […] On n’a pas le sentiment d’une bataille absolument perdue, et moi j’oublie l’échec de la soirée, devant la satisfaction d’avoir vu finir la pièce.

793. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre IV. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire. » pp. 87-211

En un mot, chaque nation se trouvoit dans son recueil, dont nous n’avons que quinze livres avec quelques fragmens ; il s’en est perdu vingt-cinq. […] Toutes ces précautions n’ont pas empêché qu’il ne s’en soit perdu une grande partie. […] Son tempérament le rendoit plus propre à donner un coloris vigoureux à la satyre, qu’à se perdre dans les fadeurs du Panégyrique. […] qu’on ait eu tort ou raison dans de petits faits qui sont perdus pour elle. […] Mais le détail en est immense ;” & c’est dans cette immensité que l’auteur s’est perdu.

794. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

Le jeune érudit, sans se perdre dans de vagues considérations, et tout en se laissant guider par une pensée jusqu’à un certain point philosophique, expose et démêle, moyennant des textes précis qui témoignent d’une immense lecture, les divers préjugés des Anciens sur les Dieux, les oracles, la magie, les songes, etc., etc. […] … » Et apostrophant ici les rochers, les arbres et la mer, le poëte leur redemande le récit de cette mort invincible, de cette chute triomphante, et il refait hardiment le chant perdu de Simonide. […] Ce petit traité fait songer à celui de Cicéron sur la Gloire, qu’on a perdu ; il en est la réfutation subsistante. — Sous le titre des Dits mémorables de Philippe Ottonieri, Leopardi nous donne son propre portrait en Socrate, ses propres maximes pratiques ; c’est là encore qu’on sent à chaque mot un Ancien né trop tard et dépaysé. […] Vers 1830, la santé de Leopardi, âgé seulement de trente-deux ans, était tellement perdue qu’elle ne lui permettait que de rares instants d’application. […] J’ai tout perdu ; je suis un tronc qui sent et qui pâtit.

795. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

“Vous allez perdre, lui dit Lannes, celui qui fut votre meilleur ami et votre fidèle compagnon d’armes. […] En écoutant les discours tenus devant lui, il put se convaincre que ces deux journées avaient produit une forte impression, et que quelques-uns de ses lieutenants étaient partisans de la résolution de repasser tout de suite, non seulement le petit bras, afin de se retirer dans l’île de Lobau, mais aussi le grand bras, afin de se réunir le plus tôt possible au reste de l’armée, au risque de perdre tous les canons, tous les chevaux de l’artillerie et de la cavalerie, douze ou quinze mille blessés, enfin l’honneur des armes. […] Le cœur humain ne perd jamais ses droits dans l’histoire : quand l’intérêt descend de la tête dans le cœur, l’historien mêle heureusement quelques larmes de femmes à tout ce sang qui n’excite qu’une pitié abstraite dans l’âme des lecteurs. […] Napoléon y perd une à une les renommées de ses lieutenants, ses finances et ses armées. […] Surprendre la nation dans cette résipiscence salutaire et progressive pour la ramener par la violence au despotisme militaire en lui faisant gagner quelques batailles, mais en lui faisant perdre tout le terrain gagné par la raison publique, est-ce là un acte qu’un historien libéral doive amnistier et glorifier en conscience ?

796. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

malheureux que je suis, dit-il dans cette lettre à Scipion Gonzague ; moi qui ai été assez prédestiné pour écrire, outre deux poèmes épiques du ton le plus héroïque, quatre tragédies, et tant d’ouvrages en prose pour le charme ou pour l’utilité du genre humain ; moi qui me flattais de terminer ma vie dans une nuée de gloire, j’ai perdu toute perspective d’honneur et de renommée ! […] ce qui m’inspira confiance et ce qui me perdit ! […] « Malade de corps, égaré d’esprit, le cœur oppressé, la mémoire perdue, les amis devenus indifférents, la fortune obstinément adverse, au milieu de tant de causes de désespoir j’espère au moins que vous vivez encore pour me recevoir une seconde fois en habit de mendiant, car je ne puis me présenter dans aucun autre ! […] « Cependant la belle Herminie est emportée par son cheval dans l’épaisseur d’une antique forêt : sans sentiment et presque sans vie, ses mains tremblantes laissent flotter ses guides : le coursier fuit et se précipite par mille sentiers, par mille détours ; enfin les chrétiens la perdent de vue et leur poursuite est inutile. […] Je pleurai les loisirs de cette vie simple et paisible ; je soupirai après le repos que j’avais perdu ; je dis enfin : Adieu, grandeur !

797. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Que dehors, dans le fort, on ne cannonne plus, pour que rien ne soit perdu de la mélodie ! […] Jésus, encore, vous en félicite, mais il vous parle ensuite de votre bonheur pratique et terrestre ; et vous pouvez suivre sa doctrine sans perdre vos métaphysiques illusions. […] Nous devons nous accoupler à la femme dans l’union décisive, indissoluble, afin que nous perdions à jamais le désir de la femme. […] Si vous êtes utile au prochain, dit Tolstoï, le prochain respectera et protégera votre vie : il vous nourrira malade, pour ne perdre point le travail de vos mains. […] Mais l’heure est venue où, sous le poids d’une lassitude, nous avons perdu la science de notre pouvoir.

798. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

Virgile l’avait très-présente à la pensée, et lui doit beaucoup ; elle ne le cède en rien à Didon (si même elle ne la surpasse point) pour tout le premier acte de la passion, et ce n’est que dans le traînant de la terminaison, et par le prolongement d’une destinée dont on sait trop la suite odieuse, qu’elle perd de ses avantages. […] Son camarade, tout auprès, assis sur ses talons, se tenait en silence, les yeux baissés à terre ; il n’avait plus que deux osselets qu’il jetait machinalement l’un après l’autre : les éclats de rire du gagnant l’irritaient ; et, ayant bientôt perdu ce dernier reste, il s’en alla tout confus, les mains vides, sans s’apercevoir de l’approche de Vénus. » Celle-ci n’eut pas de peine à décider l’enfant à ce qu’elle voulut, moyennant promesse d’un jouet plus beau, de celui même qu’on avait fabriqué en Crète pour Jupiter enfant. […] La naïveté populaire a pourtant gardé quelque chose de cette franchise primitive, et l’on me cite ce mot familier à nos populations du Midi : aimer à en perdre les ongles 110. […] Virgile aussi a montré, en un des plus beaux passages du ive livre, l’impuissance des devins ; c’est quand Didon perd sa peine à consulter les oracles des Dieux et à interroger les entrailles des victimes : Heu vatum ignaræ mentes ! […] Un germe de cette idée se trouverait dans la ive pythique de Pindare (vers 388), lorsque Vénus y apprend au fils d’Éson l’art des enchantements, « pour qu’il fasse perdre à Médée le respect de ses parents et que l’aimable Grèce ravisse ce cœur brûlant dans un tourbillon de séduction. » 113.

799. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre II. Les sensations totales de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher et leurs éléments » pp. 189-236

. — Certaines personnes n’ont pas la sensation du rouge81 ; d’autres n’ont pas celle du vert82 ; en prenant de la santonine, on perd pour plusieurs heures la sensation du violet. […] Au lit, ils les perdent pour ainsi dire et sont obligés d’aller à leur recherche, ne sachant plus où ils sont. […] Très souvent, les malades qui ont perdu les sensations de douleur conservent les sensations de contact. Très rarement, les malades, qui ont perdu les sensations de contact gardent encore celles de douleur102. […] On voit les sujets perdre d’un côté, à droite par exemple, la capacité d’éprouver les sensations du toucher, de la douleur, du froid, du chaud, du chatouillement, et conserver de ce même côté non seulement la capacité de mouvoir leur membre, mais encore celle de le diriger exactement et d’apprécier tous les degrés de la contraction musculaire ; du côté gauche, c’est l’inverse.

800. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

« Enfin, si je manque à la parole que j’avais donnée à mes amis, ils doivent me le pardonner : c’est l’effet de cette variation attachée à l’esprit humain, dont personne n’est exempt, excepté ces hommes parfaits qui ne perdent pas de vue le souverain bien. […] Que serait devenu cet enfant s’il avait eu le malheur de me perdre ?  […] Comparez ce que vous perdez avec ce que vous allez retrouver en Bohême !  […] La peste, à son retour de Paris, le chassa de Milan ; il se retira à Padoue dans un de ses canonicats ; il y perdit son fils Jean par la peste ; il y maria sa fille Françoise à un gentilhomme de Padoue nommé Brossano. […] combien de fois, en embrassant votre bien-aimée, en jasant avec elle, en écoutant ses petits propos, le souvenir de ce que j’ai perdu m’a fait verser des larmes, que je cachais tant que je pouvais !

801. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CIXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (1re partie) » pp. 5-79

Cette même année, j’eus la douleur de perdre la duchesse d’Albany, nièce du cardinal duc d’York, qui m’avait toujours comblé de bontés et de gracieusetés. […] Tous mes amis m’engagèrent à ne pas perdre un moment et à la demander. […] Cette position empêchait qu’on ne s’aperçût de son côté faible : il avait à peu près perdu l’usage des jambes, et il ne pouvait marcher que soutenu par deux bras robustes. […] Pie VI avait perdu l’usage des jambes, et son corps n’était qu’une plaie. […] À la fin, et après trois mois d’inaction, le conclave sent qu’il perd l’Église.

802. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

On éprouve alors comme une convalescence de l’âme, qui n’est ni le trouble de l’adolescence, ni la paix de l’âge mur, ni la pleine santé, ni la maladie ; état mixte, et, pour ainsi dire, neutre et passif, pendant lequel les blessures de l’âme se cicatrisent pour nous laisser vivre de nouveau, malgré tout le sang que nous avons perdu. […] Il croyait de son devoir de les favoriser de toute sa complicité, pensant ainsi contribuer au salut d’une âme qui serait perdue, si le mariage ne la sauvait pas. […] Fuyant de vague en vague, Harold, avec tristesse, Voit sous les flots brillants la rive qui s’abaisse ; Bientôt son œil confond l’océan et les cieux ; Et ces borda immortels, disparus à ses yeux, Semblant s’évanouir en de vagues nuages, Comme un nom qui se perd dans le lointain des âges. […] Mes yeux désenchantés te perdent pour jamais ! […] Le genre même de l’ouvrage peut rendre raison d’une pareille dissemblance : ce cinquième chant est, en effet, une continuation de l’œuvre d’un autre poète, œuvre où cet autre poète célébrait son propre caractère et ses impressions les plus intimes ; sorte de composition où l’auteur doit, plus que tout autre, se dépouiller de lui-même et se perdre dans sa fiction.

803. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Mais ne va plus, au moins, te perdre dans les nues, A travers tes forêts, tes cimes inconnues Où dans l’air libre et pour les aigles font leur nid, Où l’on fuit les tyrans jusque dans l’infini, Ou la liberté gronde avec les avalanches… En pareille circonstance, il y a toujours une littérature française hors de France, une littérature de proscrits. […] Bref, le style gagne alors en vigueur, en simplicité, en rapidité, autant qu’il perd en noblesse, en élégance, en sentiment de la mesure. […] La langue est modifiée du même coup dans sa grammaire ; la rigidité de certaines règles s’adoucit comme le sens de certaines finesses se perd ; et l’orthographe à son tour tend à se simplifier. […] Mais on peut se demander si la littérature française, devenue presque exclusivement littérature parisienne, n’a pas perdu en profondeur et en variété, en fraîcheur et en naïveté surtout. […] Mais quand elle perd le caractère sacré de défense du foyer, quand elle se corrompt et se dégrade en devenant un moyen de conquête, un instrument d’ambition et d’injustice aux mains d’un homme, d’un groupe avide ou d’une caste militaire, elle exerce sur la littérature une action stérilisante.

804. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

— J’ai fait allusion aux tendances de réversion à d’anciens caractères perdus. […] Si l’on pouvait démontrer que nos variétés domestiques manifestent une forte tendance de réversion ; si elles perdaient leurs caractères acquis, lors même qu’elles restent soumises aux mêmes influences, pendant qu’elles sont maintenues en nombre considérable et que les croisements peuvent arrêter, par le mélange des variétés, toute légère déviation de leur structure ; alors j’accorderais que nous ne pouvons rien induire de nos variétés domestiques aux espèces à l’état de nature. […] D’ailleurs, dès qu’on essaye d’estimer la valeur des différences de structure qui distinguent nos races domestiques de la même espèce, on se perd aussitôt dans le doute si elles sont descendues d’une ou plusieurs espèces mères. […] Quant aux animaux domestiques des peuples sauvages, il ne faut pas perdre de vue qu’ils ont presque toujours à pourvoir eux-mêmes à leur propre nourriture, au moins pendant certaines saisons. […] Aussitôt qu’elle est pleinement reconnue, et ses progrès constatés, la sélection inconsciente tend à en augmenter lentement les traits caractéristiques, quels qu’ils soient, mais sans doute avec une puissance variable, selon que la race nouvelle acquiert ou perd la vogue, et peut-être encore en certains districts plus qu’en d’autres, selon le degré de civilisation de leurs habitants.

805. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

Et si rien n’est obtenu aux termes de ce délai, on ne mène pas une amitié plus avant, nul n’admet de perdre son temps. Les autres siècles ont cru que ce temps-là, perdu, était le seul gagné. […] On n’a pas perdu le goût des livres ; les romanciers ont perdu, par leur propre faute, des raffinés que décourageaient définitivement des œuvres sans art et sans métier. […] Je ne crois pas, d’autre part, que le goût de la lecture soit aussi perdu que vous le dites.

806. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

Ayant perdu dans son enfance une femme qui lui témoignait quelque affection, il passa de longues nuits couché sur cette tombe, et eut le temps, pendant ces lamentables veilles, de méditer les hideurs de la putréfaction, et de concevoir l’idée, fréquente dans ses contes, de la persistance du sentiment après la mort. […] L’on no devine pas, en lisant le Chat noir, que l’auteur se voyait perdu par l’alcool, et l’émotion du Corbeau, qui est factice, ne diffère pas de celle d’Ulalume composé sur le même sujet en mémoire de Virginie Poe. […] Son habileté à intéresser par des procédés de style, des âmes factices, des séries d’événements cauteleusement rapprochés, des suggestions et des surprises, perdrait vite tout ascendant, si le conteur n’avait tenu compte par instinct d’une loi de psychologie que l’école allemande a formulé presque mathématiquement et dont on peut saisir l’effet dans la diminution de plaisir à la répétition d’un morceau bissé, dans la lecture de moins en moins fructueuse d’un roman parcouru de suite. […] Cet élément, qui se compose chez lui d’un peu d’impossible uni à beaucoup d’improbable, est inséré dans l’œuvre avec un soin infini, au moment où le lecteur a le plus perdu de son sang-froid et se trouve prêt à ne plus discerner le réel de l’irréel. […] Dans Lénore, dans Ulalume, se lève la plainte pour une amante perdue, la soudaine angoisse d’un inconsolé, qui vient à passer, par une nuit scintillante d’automne, devant le seuil du caveau clos depuis un an sur une dépouille chère.

807. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Il perdrait tout, sa gloire et sa fortune étrange, Si ce fleuve, un seul jour, lui refusait sa fange. […] Sa jeunesse avait mûri sans rien perdre de sa fraîcheur ; et de plus, par une exception que méritait son caractère, en acquérant beaucoup d’éclat, elle n’avait pas perdu une amitié. […] J’y trouvai un jeune écrivain, d’âme sensible et de main magistrale, qui ne rougit ni d’aimer ni d’admirer, Paulin de Limayrac ; une femme qui a perdu son sexe dans la mêlée du génie comme les héroïnes du Tasse, madame Sand. […] Nous abrégeâmes la visite, dans la crainte de la fatiguer ; nous nous retirâmes un à un, sans bruit, comme des amis discrets qui emportent une bonne espérance, et qui craindraient de la perdre en se la confiant.

808. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Balzac » pp. 17-61

… À la vérité, la Critique n’ignorait pas qu’un tel ouvrage, diamant perdu et rapporté à un écrin immense, n’y ajouterait guères qu’une étincelle ; mais ce qu’elle tenait à indiquer, c’est que ce livre inaugurerait peut-être dans la littérature française du xixe  siècle un genre particulier de littérature, qui a son nom depuis longtemps en Angleterre (littérature fashionable ou de high life), et qui, n’existant pas en France, y débute, grâce à Balzac, par un chef-d’œuvre. […] Le volume est élégant, mignon, dandy, parfaitement digne d’être acheté par les princes de la Bohême, s’ils payaient jamais quelque chose, et s’il y avait encore des princes dans la Bohême, qui, depuis la mort de Balzac, l’incomparable historien, a perdu son ancienne aristocratie. […] Ce fut vingt ans après la mort de Milton qu’un matin Addison découvrit que le Paradis perdu pourrait bien être un poème de talent et un honneur pour l’Angleterre. […] Cependant, la Divine Comédie, le Paradis perdu, et Goetz de Berlichingen, avaient été écrits dans la langue qui les avait vus naître, tandis que Balzac, en ses Contes, espèce de Josué littéraire, a fait reculer le soleil de la langue de trois siècles. […] Je sais, et Balzac le savait aussi, ce qui sépare l’auteur des Contes drolatiques de l’énorme Modèle et du Maître dont il a essayé une fois de retrouver quelques-uns des secrets perdus.

809. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

De là deux choses ordinaires : La renommée croit dans sa marche ; elle perd sa force pour ce qu’on voit de près (fama crescit eundo ; minuit præsentia famam). […] La civilisation marcha d’un pas plus réglé chez les Romains ; ils perdirent entièrement de vue leur histoire divine ; aussi l’âge des dieux, pour parler comme les Égyptiens (Voy. […] Les habitudes originaires, particulièrement celle de l’indépendance naturelle, ne se perdent point tout d’un coup, mais par degrés et à force de temps. […] C’est un caractère des hommes courageux de ne point laisser perdre par négligence ce qu’ils ont acquis par leur courage, mais de ne céder qu’à la nécessité ou à l’intérêt, et cela peu à peu, et le moins qu’ils peuvent. […] Le même axiome nous démontre que les descendants des fils de Noé durent se perdre et se disperser dans leurs courses vagabondes, comme les bêtes sauvages, soit pour échapper aux animaux farouches qui peuplaient la vaste forêt dont la terre était couverte ; soit en poursuivant les femmes rebelles à leurs désirs, soit en cherchant l’eau et la pâture.

810. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — II. (Fin.) » pp. 110-133

Il n’en veut qu’un peu plus au Mazarin pour sa belle maison des champs à Cormeilles près Argenteuil, qui a été pillée ; il y a perdu d’un coup de filet deux mille écus, et il compte bien que tôt ou tard le ministre impopulaire paiera pour ce méfait dont il a été cause et pour tant d’autres. […] Indépendamment des deux procès qu’il plaida lui-même contre les apothicaires et contre Renaudot, et qu’il gagna, il en eut un troisième au sujet de l’antimoine, qu’il perdit (novembre 1653) ; cela le refroidit un peu. […] Gui Patin aurait pu, comme un autre, y mettre les armes de sa famille, car elle en avait, et il ne perd pas cette occasion de nous les décrire ; mais il a mieux aimé y mettre son portrait. […] Néanmoins je vous dirai que mes larmes n’ont pas été à cause de lui tout seul, quelque homme de mérite qu’il soit, mais pour le malheur commun de tout le monde qui perd beaucoup à sa mort.

811. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

Roederer, qui sent volontiers de la même manière que Sieyès dans les moments décisifs, n’a pas comme lui l’invention ni la puissance de formule, il n’a que beaucoup d’esprit, de sens, une pensée énergique et diverse ; mais il y joint une plume facile, ingénieuse, et ne perd jamais de vue la pratique ; c’est un Sieyès en monnaie et en circulation, communicatif, qui a, chaque jour au réveil, une idée, une observation neuve sur n’importe quel sujet, politique, moral, littéraire, grammatical, et qui, à l’instant même, a autant besoin de dire ce qu’il pense que Sieyès avait toujours envie de le taire. Pour le bien connaître enfin, Roederer, à la fois pratique et un peu paradoxal, ayant son grain d’humeur, mais obéissant à son mouvement d’idées, fut pendant des années un précepteur actif du public, et, dans cette voie ouverte par la Constituante, admettant tous les correctifs de l’expérience, prompt à les indiquer, il ne craignit pas, en se multipliant de la sorte, de perdre quelquefois en autorité personnelle, pourvu qu’il fût utile à la raison de tous : il ne cessa d’écrire, de conseiller, de dire son avis à chaque nouvelle phase de la Révolution et pendant chaque intervalle, et toujours avec un grand tact des événements et des situations54. […] Il était alors à Puteaux près de Neuilly, et obligé de perdre une partie de son temps sur les grands chemins : Malgré ma servitude privée, disait-il en finissant, je souhaite, mon cher ami, que vous soyez bientôt aussi libre que moi ; que vous puissiez aussi regarder la Seine couler comme je le fais et vais le faire plus que jamais de mes fenêtres ; enfin que nous puissions grommeler ensemble sur toute l’espèce humaine qui heureusement n’est pas toute la nature, et réaliser une bonne fois à nous deux la grande faction des insociables dont la France a été tant tourmentée depuis deux ans. […] Quand il s’agit de nommer des consuls définitifs et qu’on eut arrêté le premier choix de Cambacérès, Roederer, qui pouvait avoir des espérances pour la troisième place, dut les perdre lorsqu’un jour Bonaparte, en le voyant entrer, lui dit comme pour répondre à sa pensée : « Citoyen Roederer, vous avez des ennemis. » — « Je les ai bien mérités, répondit-il, et je m’en félicite. » Et il fut, l’instant d’après, le plus vif à recommander à la désignation du premier consul le nom considéré de Lebrun59.

812. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

On se perd dans le labyrinthe tortueux de cette intrigue à main armée. […] Arrivé à cette hauteur, il eut les visées les plus longues et les plus vastes ; il ne songeait à rien moins qu’à la conquête de toute la partie de l’Espagne encore possédée par les Maures : « Un Rodrigue a perdu cette péninsule, disait-il, un autre Rodrigue la recouvrera. » Mais sa carrière était trop avancée pour de semblables desseins. […] Elle a perdu un père qui la protégeait ; on ne peut le lui rendre ; eh bien ! […] Cette résolution, mon Rodrigue, montre-la à la vengeance de mon honneur, lequel est perdu s’il ne se recouvre par toi et ne triomphe. » « Il lui conta son injure et lui donna sa bénédiction et l’épée avec laquelle il tua le comte, et commença ses exploits63. » Nous voilà dans le monde des Romances, qui est postérieur à celui du Poème, et surtout de la Chronique.

813. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

Si mes craintes se réalisent, mon parti est pris, et je quitte la France en secouant la poussière de mes pieds. » Dès l’entrée du jeu, il est près de perdre patience, et l’on n’est pas à la fin du premier acte qu’il menace déjà de sortir. […] Sans lui, je me serais perdu vraisemblablement. […] Écoutez-moi, je ne le perdrai pas de vue un instant, et nos respectables dames auront soin de sa délicate santé. » Mais le ton change : la teinte va se rembrunir. […] Béranger (c’était là son faible) ne perdait aucune occasion de se donner le beau rôle, le rôle du sage, et il passait même toutes les limites du sans-gêne lorsque, rentrant chez lui après une visite à La Mennais, il disait à qui voulait l’entendre : « Je viens de voir ce vieux grigou… » On aurait du reste à citer de pareils propos de Béranger sur tous ses amis, Thiers, Mignet, Cousin, etc.

814. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

On perdit du temps50. […] C’était le plus hasardeux des plans, une parodie et une singerie des principes de la grande guerre : cette bataille de Leipsick, qu’on voulait livrer deux mois trop tôt à un ennemi tenant l’Elbe, disposant de toutes ses forces et pouvant lui-même couper les Alliés de leur ligne de retraite sur la Bohême, les exposait à des chances terribles, à une véritable catastrophe, s’ils la perdaient. […] En un mot, je me rappelai la célèbre réponse de Scanderbeg au sultan, qui lui avait demandé son sabre (« Dites à votre maître qu’en lui envoyant le glaive je ne lui ai pas envoyé le bras ») ; fiction ingénieuse et applicable à tous les militaires qui se trouveront dans le cas de donner leurs idées sur des opérations qu’ils ne dirigeront pas. » Après la bataille perdue et quand on se décida à la retraite, lorsque, dans la soirée du 27, Jomini vit l’ordre apporté par Toll, — « le brouillon encore tout trempé de pluie56 », — qui réglait cette retraite jusque derrière l’Éger en quatre ou cinq colonnes, « chacune d’elles ayant son itinéraire tracé pour plusieurs jours, comme une feuille de route, par étapes, qu’on exécuterait en pleine paix, sans s’inquiéter de ce qui arriverait aux autres colonnes » ; à la vue de cette disposition burlesque », il n’y put tenir : toute sa bile de censeur éclairé et de critique militaire en fut émue, comme l’eût été celle de Boileau à la vue de quelque énormité de Chapelain ; et il s’écria sans crainte d’être entendu : « Quand on fait la guerre comme ça, il vaut mieux s’aller coucher. » L’ambassadeur anglais, lord Cathcart, présent, crut devoir le prendre à part pour lui conseiller de ménager davantage l’amour-propre de ses nouveaux camarades. […] Le maréchal Ney était le type de ce que l’on pouvait désirer de plus parfait en ce genre. » C’est qu’en effet, dans ce rôle de général d’arrière-garde, on ne perd pas de vue l’ennemi un seul instant.

815. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

D’autres auraient pu croire qu’il suffisait, en commençant, d’exposer la situation du royaume, l’état de l’administration, le système des lois politiques, civiles et pénales, au moment où saint Louis arriva au trône ; l’Académie n’en demandait pas davantage ; mais l’esprit du jeune écrivain était plus exigeant : de bonne heure attentif à remonter aux causes, à suivre les conséquences, à ne jamais perdre de vue l’enchaînement, il se dit que l’influence et la gloire de saint Louis consistaient surtout dans l’abaissement et la subordination du régime féodal, et il rechercha dès lors quel était ce gouvernement féodal dans ses origines et ses principes, comment il s’était établi, accru, et par quels degrés, ayant atteint son plus grand développement, il approchait du terme marqué pour sa décadence. […] Il est surtout une époque bien mémorable de son règne, celle qui précède la paix de Nimègue (1672-1678), dans laquelle Louis XIV ne partage avec personne le mérite d’avoir conduit sa politique extérieure : il avait perdu son habile conseiller M.de Lionne, en 1671 ; M.de Pomponne, qui lui succédait, homme aimable, plume excellente, le charme des sociétés de mesdames de Sévigné et de Coulanges, n’était pas en tout, à beaucoup près, un remplaçant de M.de Lionne, ni du même ordre politique ; il manquait de fertilité et d’invention. […] Antonio Perez, secrétaire d’État, favori brillant, complice de son maître dans l’exécution des plus secrets et des plus redoutables desseins, devint à un certain moment son rival en amour, et se perdit par ses dérèglements et ses imprudences. […] Les Aragonais, qui prirent parti pour l’opprimé et qui le soutinrent, ainsi que leur droit de justice souveraine, par une révolte à main armée, y perdirent leurs institutions et les dernières garanties de leur indépendance.

816. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

Ce qui les a perdus, c’est le tous-les-jours. […] Il considéra de bonne heure sa vie, même de poëte, comme une partie perdue, et, tournant le dos à l’avenir comme au grand ennemi, il ne s’occupa qu’à piller tout le premier le butin. […] Elle n’est qu’en chagrins fertile : Et quand tu vieillis tu la perds. […] Disons seulement qu’elle fut fidèle aux souvenirs et aux admirations de sa jeunesse, à l’ancienne et galante cour, comme elle l’appelait ; elle remontait ainsi en idée jusqu’aux Bellegarde et aux Bassompierre : tout ce qui survenait de nouveau, même à Versailles, lui paraissait peu poli ; elle ne s’y mêlait que malgré elle, et se croyait au moment de perdre les seuls derniers auditeurs auxquels volontiers elle s’adressait : Que ferez-vous alors ?

817. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Avant d’aller plus loin l’on demanderait, peut-être, une définition du bonheur ; le bonheur, tel qu’on le souhaite, est la réunion de tous les contraires, c’est pour les individus, l’espoir sans la crainte, l’activité sans l’inquiétude, la gloire sans la calomnie, l’amour sans l’inconstance, l’imagination qui embellirait à nos yeux ce qu’on possède, et flétrirait le souvenir de ce qu’on aurait perdu ; enfin, l’inverse de la nature morale, le bien de tous les états, de tous les talents, de tous les plaisirs, séparé du mal qui les accompagne ; le bonheur des nations serait aussi de concilier ensemble la liberté des républiques et le calme des monarchies, l’émulation des talents et le silence des factions, l’esprit militaire au-dehors et le respect des lois au-dedans : le bonheur, tel que l’homme le conçoit, c’est ce qui est impossible en tout genre ; et le bonheur, tel qu’on peut l’obtenir, le bonheur sur lequel la réflexion et la volonté de l’homme peuvent agir, ne s’acquiert que par l’étude de tous les moyens les plus sûrs pour éviter les grandes peines. […] Si les nations étaient en paix au-dehors et au-dedans, les arts, les connaissances, les découvertes en divers genres feraient chaque jour de nouveaux progrès, et la philosophie ne perdrait pas en deux ans de guerre civile, ce qu’elle avait acquis pendant des siècles tranquilles. […] À l’instant, où pour suivre la comparaison, l’un des deux lutteurs perd un moment l’avantage, il terrasse l’autre qui se venge en le renversant à son tour. […] Le public aussi, dont on avait éprouvé la faveur, perd toute son indulgence ; il aime les succès qu’il prévoit, il devient l’adversaire de ceux dont il est lui-même la cause ; ce qu’il a dit, il l’attaque ; ce qu’il encourageait, il veut le détruire : cette injustice de l’opinion fait souffrir aussi de mille manières en un jour.

818. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Le premier qui parla de Montesquieu dans l’assemblée constituante le mit sous la protection du mot, vrai ou faux, de Voltaire : « Le genre humain avait perdu ses titres, Montesquieu les lui a rendus. » Une statue lui fut décrétée. […] En tout cas, il en restera la plus parfaite expression, et s’il arrive jamais que les principes de la science sociale se perdent dans quelque catastrophe universelle, nos enfants pourront les rapprendre dans ce livre immortel, le legs le plus précieux que le dix-huitième siècle ait fait à la France, le plus grand service que la France ait rendu à la société moderne. […] L’œuvre du dix-septième siècle a été soumise à plus d’une révision, et je ne sache pas d’écrivain qui n’y ait perdu, gagné, ou reperdu quelque chose ; ces retours n’ont rien ôté à la fortune des moralistes, et peut-être l’ont-ils accrue. […] C’est une occasion perdue pour la France et pour l’esprit humain, et on le regrette, surtout en nos temps où les révolutions ont accoutumé de plus en plus les peuples à ne voir dans l’autorité qu’une dictature, et dans les gouvernements que des expédients.

819. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

S’il y a en lui des parties d’un grand esprit, c’est pour la géométrie, où, de l’avis des bons juges, il a excellé, où il se serait élevé plus haut s’il eût donné à la science tout le temps qu’il a perdu dans les lettres, pour n’être pas même parmi les premiers du second rang. […] Il avait rendu à notre pays l’émotion littéraire dont la faculté même semblait perdue parmi tant d’autres ruines. […] En perdant la mélancolie de René, il perdrait cette paix qui s’y mêle à la fin, et ce repos au terme de la lutte, plus doux que celui du vieux soldat qui se délasse des fatigues des longues guerres au foyer du pays natal. […] Dans cette compétition violente, qu’on appelle la vie politique, où il s’agit avant tout de n’être pas battu et d’avoir le dernier applaudissement, fût-ce celui d’une émeute, il perdit de ses grandes qualités sans acquérir celles de ses rivaux.

820. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre X. La littérature et la vie de famille » pp. 251-271

Dans Berte aux grands piés, l’héroïne du poème est victime d’une odieuse trahison ; pendant qu’une serve prend sa place d’épouse auprès du roi Pépin, on la perd dans une forêt. […] Elle préside des débats sur des questions graves comme celles-ci : — Vaut-il mieux perdre sa dame par son mariage avec un autre ou par la mort ? […] Les chefs des Frondeurs s’appellent souvent de noms empruntés à des héros de roman ; La Rochefoucauld, blessé, en danger d’être aveugle, fait hommage de ses souffrances à Mme de Longueville par ces deux vers. qu’il emprunte, en les remaniant, à une tragédie : Faisant la guerre au roi, j’ai perdu les deux yeux ; Mais pour un tel objet je l’aurais faite aux Dieux. […] L’antique sévérité, où il y avait à la fois de la rudesse et de la morgue, s’est quelque peu relâchée ; les parents sont devenus plus jaloux d’affection que de vénération ; en un mot, dans la famille comme dans la société, le principe d’autorité commence à perdre de sa force.

821. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre Premier »

Hippolyte n’a rien perdu de sa grâce aimable et décente. […] Augier semblait s’être retiré de la poésie dans cette maison de santé littéraire qui s’appelait l’école du bon sens, et il faut dire que son vers l’avait suivi dans sa retraite ; il avait perdu sa fleur, sa fraîcheur, sa légèreté juvénile, il économisait ses rimes, il épargnait ses métaphores. […] Il faut épier les personnages dans ce drame et ne pas perdre un seul de leurs signes, de leurs gestes, de leurs tressaillements. […] Tout n’est pas perdu cependant, et de Pienne rassure de son mieux la sœur éplorée.

822. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

Il vient perdre sa journée avec nous. […] J’avais perdu le sentiment de la verticalité… Vous concevez, ce n’était pas drôle. » Mais le médecin l’a rassuré : ce n’était que rhumatismal. […] * * * — Dans les troubles de l’art, à la fin des vieux siècles, quand les nobles doctrines sont mourantes, et que l’art se trouve entre une tradition perdue et quelque chose qui va naître, il apparaît des décadents libres, charmants, prodigieux, des aventuriers de la ligne et de la couleur qui risquent tout, et apportent en leurs imaginations, avec une corruption suave, une délicieuse témérité. […] Au milieu du désordre des houppes, des pots de cold-cream, des cartons à serrer les fausses nattes, dans la lumière fumeuse et sentant la mauvaise huile de deux quinquets de cuivre à globes de lampe, assise sur un tabouret de piano, recouvert de maroquin gris perle, Lia, qui a l’air d’un petit séraphin gothique de maître primitif, et dont le corps grêle est perdu dans les grands plis d’une robe de chambre brune, aux compliments qu’on lui fait sur le talent qu’elle a su déployer, aux reproches qu’on lui adresse d’avoir été trop vite, Lia, la tête soulevée au-dessus de l’affaissement de tout son corps, répète d’un air à la fois hébété et tendre : « Ah !

823. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Fils de Phalanor, et toi aussi, comme un coq guerroyant au logis, tu voyais au coin du foyer domestique se perdre, feuille flétrie, la gloire de tes pieds rapides, si une sédition meurtrière ne t’eut chassé de Gnosse, ta patrie. […] Eh bien, c’est dans l’éloge funèbre de ce bon gentilhomme que, mettant à la place de l’individu, qui n’est rien, la grandeur et la misère de l’humanité, Bossuet se complaît à dire : « Toutes les rivières ont cela de commun qu’elles viennent d’une commune origine, que, dans le progrès de leur course, elles routent leurs flots en bas par une chute continuelle, et qu’elles vont perdre leurs noms, avec leurs eaux, dans le sein immense de l’Océan, où l’on ne distingue plus le Rhin ni le Danube7 d’avec les rivières les plus inconnues. […] Ses hymnes à Jupiter, ses paeans ou hymnes à Apollon et à Diane, ses dithyrambes, ses hymnes à Cérès et au dieu Pan, ses prosodies ou chants de procession, ses enthronismes ou chants d’inauguration sacerdotale, ses hymnes pour les vierges, ses hyporchèmes ou chants mêlés aux danses religieuses, ses élégies funèbres, toute sa liturgie poétique enfin s’est perdue dès longtemps, sans doute dans la ruine même de l’ancien culte ; et il ne s’en est conservé que d’imperceptibles fragments. […] Mais c’est surtout par la croyance à l’âme immortelle et à l’avenir des méchants et des justes, que ce caractère du poëte se montre, soit dans les trop rares fragments de ses cantiques perdus, soit même dans les odes consacrées aux jeux athlétiques, où il ramène un sentiment, dont son cœur surabonde.

824. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

Les révolutions sont des moyens périlleux de se régénérer et de se redonner des idées, de la vivacité, du nerf ; on perd souvent à ces tours de force et à ces convulsions bien autant qu’on y gagne, et ce n’est qu’après un long temps qu’on peut démêler avec quelque justesse les semences nouvelles qui ont réellement levé, et ce qui a pris racine avec vigueur au milieu des déchirements et des décombres. […] Il est le moraliste qui nous a le mieux décrit et présenté le Français de son temps, le Français déjà formé avant 89 et ne pouvant que souffrir et perdre après cette date, qui sépare deux régimes par un abîme. […] Les grands hommes n’ont jamais vécu dans les cercles de la bonne compagnie ; ils y paraissent, mais les entraves dont elle accable l’homme supérieur l’en écartent : il vit en famille, avec sa maîtresse (voilà la marque et le petit signe libertin du xviiie  siècle, qui se mêle à tout), avec des amis particuliers ; il cherche la confiance, et il n’a pas besoin des petits succès de la société pour s’assurer de sa valeur… Ce qui ne peint pas moins M. de Meilhan que son moment de société, c’est que dans ce regret général qu’il exprime de voir les caractères s’effacer de la sorte, il trouve moyen de songer même à la disparition prochaine des grands fats et des Alcibiades qui vont chaque jour en diminuant ; il le dit d’ailleurs d’une manière piquante : Il est des genres dans la société qui se perdent ; c’est ainsi que certains poissons, après avoir longtemps abondé sur les côtes, disparaissent pour des siècles.

825. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — II » pp. 76-92

J’y perds ; vous y perdez encore plus que moi. Le blâme, la froideur, la pâleur et l’effroi Et la peur d’une mère ont perdu votre empire… Mais je n’oserais trancher la question, et, comme M. 

/ 2928