/ 2928
535. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les Zutistes » pp. 19-27

Leur avantage était d’être enracinés de fortes lectures, au moment même où l’on proclamait que le génie supplée à tout, et qu’à voyager dans les livres, l’écrivain risque de perdre son originalité. […] Louis Marsolleau, les Baisers perdus (Lemerre).

536. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre Premier »

Leur nombre croissant pourrait faire craindre que le français fût en train de perdre son pouvoir d’assimilation, jadis si fort, si impérieux ; il n’en est rien, mais la demi-instruction, si malheureusement répandue, oppose à cette vieille force l’inertie de plusieurs sophismes. […] Voici quelques exemples de doublets que je n’emprunte pas à l’opuscule de Brachet, quoiqu’ils s’y trouvent certainement : Latin Vieux Français Français moderne Latin Monasterium Moutier Monastère Ministerium Métier Ministère Paradisus Parvis Paradis Hospitale Hôtel Hôpital Augurium Heur Augure Unionem Oignon Union3 Crypta Grotte Crypte Decima Dîme Décime Articulum Orteil Article Navigare Nager Naviguer   Souvent, le sens s’étant perdu de la fécondité naturelle du français, un savant en quête d’un qualificatif, d’un dérivé est remonté au mot latin au lieu d’interroger le mot français : Natalis Noël Natalité Ostrea Huître Ostréiculture Ranuncula Grenouille Renonculacées4 Oxalia Oseille Oxalique Medulla Moëlle Médullaire5 Auricula Oreille Auriculaire Gracile Grêle Gracilité Dies dominica Dimanche Dominical Pediculum Pou Pédiculaire Pneuma Neume Pneumatique On doit avoir l’impression rien qu’à parcourir ces deux listes très écourtées, que si les mots de la seconde colonne sont français, ceux de la troisième ne le sont pas, ou très peu ; ils ne sont pas davantage latins, puisque jamais en aucun pays ils n’ont été prononcés tels que le dictionnaire nous les offre aujourd’hui.

537. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Pourtant elles ont perdu leurs vives couleurs. […] Perdez-vous plus que moi en perdant la vie ? […] Un moment les états-majors des alliés se crurent perdus. […] L’éducation en France a perdu de sa force et de sa fermeté. […] Peine perdue !

538. (1788) Les entretiens du Jardin des Thuileries de Paris pp. 2-212

Ainsi Milton trouva moins que rien de son Paradis perdu. […] Elle courut à toute jambe, en criant tout est perdu. […] On s’y perd dans la fange. […] Alte-là, dis-je, les calembourgs vont venir, & nous voilà perdus. […] C’est une tête exactement perdue.

539. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre I. Les personnages »

Tout est perdu s’ils soupçonnent qu’on les flatte. […] S’il a perdu sa queue, il voudra se donner des compagnons. […] L’artisan, dans son étroite échoppe, attaché à son métier machinal, occupé tout le jour par sa pensée d’un écu, perd le sens du beau, l’aisance d’esprit, la hardiesse des désirs, et son âme se rapetisse avec ses pensées. […] Adieu je perds mon temps ; laissez-moi travailler. […] Et moi je vais perdre un fils.

540. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1895 » pp. 297-383

» phrase qui avait manqué de lui faire perdre sa place. […] Et quand cette grand’mère le faisait appeler, il restait très longtemps dans le lointain du parc, avant de se rendre à l’appel, laissant son vrai nom se perdre, s’évaporer, dans son retard à y répondre. Vendredi 8 février À un dîner chez Fasquelle, je cause avec Zola de son roman de Rome, dans les notes énormes duquel il s’avoue un peu perdu, déclarant que pour ce livre, il ne se sent pas la bravoure de ses autres bouquins. […] Une queue interminable, et une entrée si mal organisée, qu’au bout de quarante minutes sur l’escalier, Scholl perd courage et abandonne le banquet. […] Et la conversation sur ce monde, amène Daudet à rappeler la blague de Castagnary, disant un jour plaisamment à Vallès : « Je te joue contre ce que tu voudras, dix-sept mots de ton répertoire, comme : travailleur, miséreux, pognon, etc., etc., que tu ne pourras plus employer… et tu sais, si tu perds, tu n’es plus fichu d’écrire ! 

541. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — II. (Suite.) » pp. 155-174

Mais, pendant l’expédition, survint une dépêche de la Cour, par laquelle Joyeuse apprenait que le vent avait tourné et que Henri III refaisait la guerre au roi de Navarre et à ceux de son bord : s’adressant à Rosny qui était présent quand le paquet arriva, il lui dit en riant qu’il espérait bien que cela ne changerait rien à son projet, et qu’il ne serait pas assez fou pour s’embarquer avec le roi de Navarre et perdre de gaieté de cœur sa belle terre de Rosny. […] Henri, dès qu’il l’aperçut, lui ordonna de mettre ses arquebusiers à pied afin qu’ils servissent d’éclaireurs et d’enfants perdus ; il le plaça, lui, avec sa compagnie de gens d’armes à son aile droite, et, l’emmenant un moment sur la ligne : « Tenez avec moi, dit-il, car je vous veux montrer toute la disposition des deux armées, afin de vous instruire à votre métier. » Rosny, même à la guerre, n’est qu’un élève de Henri IV. […] répliqua Rosny, vous parlez comme des gens qui ont perdu la bataille. » — « Est-ce tout ce que vous en savez ? […] Oui, nous l’avons perdue, et si sommes trois qui ne nous saurions retirer, car nos chevaux sont comme morts. » Voilà donc Rosny vainqueur à l’improviste, et même faisant des prisonniers.

542. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

Mézeray, nous racontant la Saint-Barthélemy et le contrecoup de cette nuit sanglante dans les provinces, me fait l’effet d’un historien qui raconterait les massacres de Septembre après en avoir recueilli toutes les circonstances dans les auteurs originaux et de la bouche de quelques témoins survivants : un historien qui déroulerait aujourd’hui, comme il le fait, la longue traînée de forfaits qui s’alluma à ce signal dans les provinces, la bande de massacreurs en bonnets rouges à Bordeaux, les massacres des prisons à Rouen en dépit du gouverneur, « si bien qu’il y fut assommé, tué ou étranglé six ou sept cents personnes qu’ils appelaient par rôle les uns après les autres », les scènes de Lyon qui surpassèrent tout le reste en horreur, arquebusades, noyades dans le Rhône, le tout par le commandement de Pierre d’Auxerre, homme perdu de débauche, arrivé tout exprès de Paris, le Collot d’Herbois de ce temps-là ; — un historien qui écrirait, de nos jours, ces mêmes pages de Mézeray, paraîtrait avoir voulu faire des allusions aux personnages et aux événements de la Révolution française : et c’est en cela que le récit de Mézeray me paraît préférable à tous autres et d’un intérêt inappréciable, en ce que l’historien, encore à portée de ces temps, a résumé dans son propre courant tous les narrateurs originaux du xvie  siècle, et qu’en nous rendant naïvement les faits et les impressions qu’ils excitent, il nous en fait sentir l’expérience toute vive, sans soupçon de complication ni de mélange. […] S’il les avait réellement faits comme on l’a admis pendant longtemps, sa réputation n’aurait certes pas à y gagner, et il y a lieu de craindre que la Fronde en le dissipant, en le livrant sans réserve à ses instincts d’opposition et de satire, ne lui ait fait perdre l’habitude plus grave et plus contenue qui sied à l’historien. […] Tout Frondeur qu’il avait été, Mézeray perdit à la mort de Mazarin. […] Elle n’a d’autre intérêt que de bien fixer l’état de Mézeray sous Mazarin : il n’avait pas alors cette pension de 4 000 livres qu’il eut et qu’il perdit plus tard, et que, par une confusion intéressée, dans le but de la rendre plus inviolable, il aimait à faire remonter jusqu’au temps de Mazarin.

543. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Tout le monde connaît sa silhouette, son profil découpé qui est en tête des Mémoires, et où il est représenté triturant sa prise de tabac, ce corps volumineux et rond porté sur deux jambes fluettes, ce petit visage comme perdu entre un front haut et un menton à double étage, ce petit nez presque effacé par la proéminence des joues. […] Mais pendant ce séjour de près de cinq ans à Lausanne, il contracta des habitudes intellectuelles qui furent décisives pour sa carrière littéraire et qu’il ne perdra plus. […] Il se rompit à écrire correctement tant en français qu’en latin, et, en acquérant une égale facilité à s’exprimer en diverses langues, il perdit moins une originalité d’expression pour laquelle il semblait peu fait, qu’il n’acquit l’élégance, la lumière et la clarté qui deviendront ses mérites habituels. […] Au milieu de son visage, pas plus gros que le poing, la racine de son nez s’enfonçait dans le crâne plus profondément que celle du nez d’un Kalmouck, et ses yeux très vifs, mais très petits, se perdaient dans les mêmes profondeurs.

544. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — I. » pp. 495-512

On jeta la sonde ; on sentit la terre ; on se crut perdu ; le roi, pieds nus, en simple cotte et tout échevelé, était déjà sur le pont, les bras en croix devant le Saint-Sacrement86, comme celui qui croyait bien périrk. […] Au matin, on fit descendre à l’eau quatre plongeurs, qui rapportèrent chacun séparément ce qu’ils avaient vu : la nef, au frotter du sablon, avait bien perdu quatre toises de sa quille. […] Depuis ce moment, le navire vogue et perd de vue la fatale montagne ; on arrive sans encombre en Chypre, où était le rendez-vous. […] Meyer accorde d’ailleurs, en terminant, cet éloge à l’édition de M. de Wailly : « Tous ceux qui s’intéressent au développement des études romanes accueilleront avec reconnaissance l’œuvre nouvelle de M. de Wailly, car sans parler du progrès notable qu’elle fait faire au texte de Joinville et à son interprétation, c’est la première tentative qui ait été faite afin de mettre un ouvrage du Moyen Âge français à la portée du grand public sans que la science y ait rien perdu. » Mais on entrevoit que ce c’est qu’un « progrès » encore.

545. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

Et dans le même ouvrage, à un autre endroit, parlant des gens à la mode et montrant l’inconvénient de cette prétention pour les diverses conditions du magistrat, du militaire, il ajoutait : « L’homme de lettres, qui, par des ouvrages travaillés, aurait pu instruire son siècle et faire passer son nom à la postérité, néglige ses talents et les perd, faute de les cultiver : il aurait été compté parmi les hommes illustres, il reste un homme d’esprit de société. » Ces deux passages rapprochés renferment toute la destinée de Duclos comme homme d’esprit et comme écrivain. […] En parlant ainsi, Duclos songeait surtout à la probité et à l’honneur qu’il aurait pu perdre dans les mauvaises compagnies qu’il fréquenta ; il oubliait ou ne comptait pour rien la pudeur, qu’il n’eut jamais. […] Le défaut de Duclos, dans ce monde élégant qui en souffrait quelquefois, est très finement noté par M. de Forcalquier : Ce qui lui manque de politesse, dit-il, fait voir combien elle est nécessaire avec les plus grandes qualités : car son expression est si rapide et quelquefois si dépourvue de grâce qu’il perd, avec les gens médiocres qui l’écoutent, ce qu’il gagne avec les gens d’esprit qui l’entendent. […] L’Histoire de la baronne de Luz, qui parut en 1740, et Les Confessions du comte de…, publiées l’année suivante, eurent beaucoup de succès ; ces ouvrages ont perdu tout agrément aujourd’hui.

546. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le marquis de la Fare, ou un paresseux. » pp. 389-408

Tandis que celui-ci, gai, riant, plein de verve et sous ses airs d’Anacréon, semble avoir rempli sa destinée naturelle, La Fare fait plutôt l’effet d’avoir manqué la sienne ; on voit dans son exemple de riches facultés qui se perdent, et des talents distingués qui s’altèrent et s’abîment faute d’emploi ; on est involontairement attristé. […] … Et il regrettait les jours plutôt perdus que passés loin d’elle. […] C’est une rude gageure que de se dire : « Je passerai une grande partie de ma vie dans une époque sans en être, sans la servir comme elle veut être servie, et j’attendrai que l’heure propice et plus d’accord avec mon humeur soit revenue. » La Fare fît peut-être à certain moment cette gageure, mais il la perdit. […] Si vous l’aimez, vous reviendrez incessamment voir s’il n’y a pas moyen d’y mettre quelque ordre : entre vous et moi, je le crois totalement perdu.

547. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Une Réception Académique en 1694, d’après Dangeau (tome V) » pp. 333-350

Il y avait dans cette fin de discours des choses d’ailleurs assez honorables sur les impôts, sur la paix dont l’orateur exprimait le vœu ; mais il s’y perdait de plus en plus dans des phrases qui, dès qu’elles n’amusaient plus, allaient donner de l’ennui. […] Le confrère que nous avons perdu ne devait rien à la fortune : riche dans toutes les parties qui font un véritable homme de lettres, il n’avait aucun de ces titres éclatants qui relèvent son successeur : son esprit aisé et pénétrant, etc. […] Puis ne perdons rien du jeu de scène : pendant que l’un pique, joue et enfonce, l’autre, qui se croit loué, se rengorge et jouit ; et l’auditoire, — cet auditoire qui se compose de la fleur de la ville et de la Cour, de témoins de la qualité des Hamilton, des Coulanges et des Caylus, saisit chaque nuance, achève chaque intention, et la redouble en applaudissant63. […] Le roi, nous apprend Saint-Simon, eut d’abord la pensée d’exiler l’abbé de Caumartin dans une abbaye qu’il avait en Bretagne, et s’il ne le fit pas, il ne perdit jamais le souvenir de cette faute.

548. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « II » pp. 21-38

Que deviendrait-on si on perd son temps à dire : Nous avons perdu Pondichéry, les billets royaux perdent soixante pour cent, etc. ? […] Quant aux notes, je ferai observer que le curé Meslier (tome i, page 349) était curé d’Étrépigni et de But, et qu’il ne s’agit point là de lord Bute ; que, si le Pollion de Thieriot (tome i, page 65) est en effet M. de la Popelinière, ce Pollion, à deux pages de là (p. 63), n’est probablement pas le duc de Richelieu ; que, si le marquis d’Argenson perdit le portefeuille des affaires étrangères, ce ne fut point purement et simplement, comme on l’affirme (tome i, page 263), parce qu’il avait des sentiments généreux et de la probité, mais aussi parce qu’il était utopiste et secrétaire d’État de la république de Platon ; qu’il est douteux que l’ami qui servait de lien entre Diderot et Voltaire (tome ii, page 519) fût Thieriot, et qu’il est bien plus vraisemblable que c’était Damilaville ; que, si l’on prodigue le contre-seing Belle-lsle (tome ii, page 370) pour faire arriver les lettres franc de port, ce ne sont pas messieurs de Laporte qui en seront mécontents, mais plutôt messieurs de la Poste, etc., etc.

549. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance inédite de Mme du Deffand, précédée d’une notice, par M. le marquis de Sainte-Aulaire. » pp. 218-237

Celle qui y gagnerait le moins serait encore Mme du Deffand ; cependant, tout considéré, elle n’y perd pas, et, selon la remarque de l’ingénieux éditeur, elle s’y montre mieux encore peut-être que dans la correspondance avec Walpole, telle que les plus bienveillants aimaient à la voir, « plus sensible qu’affectueuse, et plus découragée qu’incapable d’aimer les autres ou soi-même ». […] L’attitude de Mme de Choiseul était d’accord avec la vérité : elle resta bien sincèrement, bien tendrement éprise de l’homme dont elle était glorieuse, dont elle disait que ce n’était pas seulement le meilleur des hommes, que « c’était le plus grand que le siècle eût produit », et de qui elle écrivait un jour avec une ingénuité charmante : « Il me semble qu’il commence à n’être plus honteux de moi, et c’est déjà un grand point de ne plus blesser l’amour-propre des gens dont on veut être aimé. » Elle eut fort à s’applaudir de l’exil de Chanteloup et fut seule peut-être à en savourer pleinement les brillantes douceurs ; elle y voyait surtout le moyen de garder plus près d’elle l’objet de son culte, et, sinon de le reconquérir tout entier, du moins de le posséder, de le tenir sous sa main, de ne le plus perdre de vue un seul jour. […] Je connais si bien le prix de ce que je possède, que je donnerais ma vie pour ne pas le perdre. […] Je suis quelquefois animée, mais c’est pour un moment : ce moment passé, tout ce qui m’avait animée est effacé au point d’en perdre le souvenir.

550. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Les frères Le Nain, peintres sous Louis XIII, par M. Champfleury »

Walferdin, à ses moments perdus, n’est pas plus enamouré du leste et galant Fragonard, — que M.  […] Auparavant, et plus on se rapprochait de l’époque de Henri IV, plus on était simple, naturel et voisin de la bonhomie : les arts eux-mêmes, qui avaient perdu de la délicatesse des Valois, marquaient de la probité et de la gravité, en attendant de retrouver mieux. […] Si l’histoire de la Révolution française était perdue, on la retrouverait en partie rien que par les assiettes, par ce qui s’y voit peint et figuré. […] Il te faut encore, et c’est là le plus beau triomphe, il te faut, tout en étant observée et respectée, je ne sais quoi qui t’accomplisse et qui t’achève, qui te rectifie sans te fausser, qui t’élève sans te faire perdre terre, qui te donne tout l’esprit que tu peux avoir sans cesser un moment de paraître naturelle, qui te laisse reconnaissable à tous, mais plus lumineuse que dans l’ordinaire de la vie, plus adorable et plus belle, — ce qu’on appelle l’idéal enfin.

551. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

Quels que soient donc les motifs qui aient déterminé Gavarni à mener à Londres le genre de vie assez singulier qu’il y observa ; que ç’ait été pur dégoût du trop d’aristocratie, attrait vif pour une nature populaire qui se déployait devant lui et se laissait lire à livre ouvert dans sa franchise ; que peut-être aussi cette réserve ait tenu au soupçon qu’il eut dès son arrivée, qu’on cherchait à exploiter son nom et sa présence, il ne perdit point son temps dans cette période de recueillement et de retraite durant laquelle il ne cessa de produire et de méditer. […] Que n’essaya-t-il point à Londres dans ces longues heures dont aucune n’était perdue pour le travail ? […] Si elles perdent un peu, le dessin gagne et s’en dispenserait aisément. […] dans ses Invalides du sentiment, il en a pourtant oublié un, ce me semble, l’invalide content, celui qui ne regrette rien, qui trotte toujours, qui n’a perdu que sa jeunesse et ses écus, et qui serait prêt, si on le lui offrait, à recommencer à l’instant sa ruine.

552. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

Son cousin Bussy, son maître Ménage, le prince de Conti, frère du grand Condé, le surintendant Fouquet, perdirent leurs soupirs auprès d’elle ; mais elle demeura inviolablement fidèle à ce dernier dans sa disgrâce ; et quand elle raconte le procès du surintendant à M. de Pomponne, il faut voir avec quel attendrissement elle parle de notre cher malheureux ! […] De plus, en même temps que le désordre et la brutalité ont perdu en scandale, la décence et le bel-esprit ont gagné en simplicité. […] M. de Saint-Surin, dans ses estimables travaux sur Mme de Sévigné, n’a perdu aucune occasion de l’opposer à Mme de Staël et de lui donner l’avantage sur cette femme célèbre. […] Quand une fois le siècle d’analyse a passé sur la langue et l’a travaillée, découpée à son usage, le charme indéfinissable est perdu ; c’est à vouloir alors y revenir qu’il y a réellement de l’artifice.

553. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « CHRISTEL » pp. 515-533

Fille simple, généreuse, capable de tous les devoirs et de tous les sacrifices, elle avait un fonds de distinction originelle, plus d’une goutte de sang des nobles aïeux de sa mère, qui se mêlait, sans s’y perdre, à toutes les franchises d’une nature ingénue et aux justes notions d’une éducation saine. […] Toutes deux suivaient à pas lents la grande route, à cet endroit, fort agréable, d’où la vue s’étend sur des champs arrosés et coupés comme de plusieurs petites rivières, et, par delà encore, Sur ce pays si vert, en tout sens déroulé, Où se perd en forêts l’horizon ondulé. […] La mère, qui, dès le commencement, n’avait rien perdu de ce trouble, s’arrachant précipitamment de son siège, où la clouait jusque-là la douleur, et essayant de soulever la défaillante : « Oh ! […] Ce ne fut pas pour longtemps, et, avant la fin du prochain automne, elle avait rejoint, sous les premières feuilles tombantes du cimetière, l’unique trésor qu’elle avait perdu.

554. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 193-236

Fior d’Aliza (suite) Chapitre IX (suite) CCLI J’entrai dans le préau et je courus dans la loge d’Hyeronimo ; le père Hilario y était déjà, il était venu lui annoncer que tout espoir de grâce était perdu par l’absence du prince qui voulait chasser le faisan en Bohême, et que le jour de la mort était fixé à trois jours de là pour le condamné ; il recevait sa dernière confession et la promesse de lui apporter le sacrement du mariage et le sacrement de l’eucharistie avec celui de l’extrême-onction, la veille de sa mort. […] Mais nous sommes dans un monde où rien n’est perdu, n’est-ce pas, ma tante ? […] Ne perdons pas une minute de ce ciel ensemble, qui sait si nous le retrouverons jamais ! […] … Nous la perdîmes de vue en un clin d’œil, et je restai seul avec les vieillards.

555. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Désir de ne rien laisser perdre, sans doute, et inconscience vaniteuse, et manie du document. […] Dès lors qu’il consentait à délibérer, il était perdu. […] Vous méprisez notre « paganisme philosophique » qui, oubliant le centre unique de notre âme, se perd dans la divergence inexpliquée des rayons et ne sait, grotesque collectionneur, que classer et étiqueter « les phénomènes de la volonté, de l’amour, de la mémoire ». […] Bergeret, et j’y ai perdu des énergies précieuses.

556. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre V »

Augier perd déjà de sa vérité. […] J’aime moins Vernouilhet rapportant à la marquise cent mille francs qu’elle a perdus dans sa débâcle et l’amenant, grâce à ce beau trait, à demander pour lui la main de Clémence, qui est sa filleule. […] Puis, à l’idée de perdre la parole, s’il le laisse partir, il se résigne subitement. […] Fernande a assisté, en silence, à ce pénible débat ; elle entend Maxime témoigner loyalement contre lui-même en confessant sa naissance ; elle apprécie le généreux sacrifice qu’il va faire de son amour à son père Au moment où Maxime, qui croit tout perdu, pleure et sanglote, la tête dans ses mains, la jeune fille s’approche de lui et pose sur son front un chaste baiser.

557. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

Puis, quand il a poussé à bout ses calculs d’ingénieur et de politique ; quand la population, dans ses diverses races, est tenue en échec ; quand il a régularisé l’inondation et organisé le désert, que tous les puits sont occupés, que pas un pied cube d’eau n’est perdu, alors seulement il lâche bride à son imagination ; il se retrace le beau idéal d’une Égypte bien gouvernée : Mais que serait ce beau pays, après cinquante ans de prospérité et de bon gouvernement ? […] Mille écluses maîtriseraient et distribueraient l’inondation sur toutes les parties du territoire ; les huit ou dix milliards de toises cubes d’eau qui se perdent chaque année dans la mer seraient réparties dans toutes les parties basses du désert… Et il continue de la sorte, sur une base géométrique, de donner cours à un enthousiasme sévère. […] À peine débarqué, Napoléon se porte sur Alexandrie et donne l’assaut avec seulement une poignée de son monde, et sans attendre son canon : « C’est un principe de guerre, dit-il, que lorsqu’on peut se servir de la foudre, il la faut préférer au canon. » Il oppose ce principe à d’autres généraux qui, en pareil cas, ont perdu plusieurs jours, et ont manqué l’occasion pour vouloir trop bien s’y préparer. […] « Vous perdez un de vos soldats les plus dévoués, dit-il au général en chef ; un jour, vous regretterez de ne pas mourir comme moi au champ des braves. » En ajoutant de sa main cette parole, le captif de Sainte-Hélène faisait évidemment un retour sur lui-même ; il semblait dire que le colonel avait prophétisé, et que, pour lui, l’heure du regret de survivre était venue.

558. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. Le Chateaubriand romanesque et amoureux. » pp. 143-162

Y dussiez-vous perdre un peu comme chrétien, comme croisé et comme personnage de montre, vous y gagneriez, ô poète, comme homme, et vous nous toucheriez. […] Il se demande ce qu’il serait devenu s’il avait épousé la jeune Anglaise, s’il était devenu un gentleman chasseur : « Mon pays aurait-il beaucoup perdu à ma disparition ?  […] En même temps qu’il dit à Céluta qu’il ne l’aime pas, qu’il ne l’a jamais aimée et qu’elle ne l’a jamais connu, il a la prétention de ne vouloir jamais être oublié d’elle, de ne pouvoir jamais être remplacé : « Oui, Céluta, si vous me perdez, vous resterez veuve : qui pourrait vous environner de cette flamme que je porte avec moi, même en n’aimant pas ?  […] Il la plaint naïvement de n’être pas venue : « Oui, vous avez perdu une partie de votre gloire en me quittant (c’est-à-dire en ne venant pas) ; il fallait m’aimer, ne fût-ce que par amour de votre talent et intérêt de votre renommée. » Voilà, du moins, qui est sincère.

559. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le président de Brosses. Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836. » pp. 85-104

Son bon sens vif et pétulant se revêtait de ces formes frappantes et gaies qui avaient tout leur prix dans la conversation, et qui ne perdaient pas tout sur le papier. […] Il n’y a point d’étoffe là-dedans. » En architecture, en sculpture, il est contre le contourné, qui était alors à la mode : Les Italiens nous reprochent qu’en France, dans les choses de mode, nous redonnons dans le goût gothique ; que nos cheminées, nos boîtes d’or, nos pièces de vaisselle d’argent sont contournées et recontournées, comme si nous avions perdu l’usage du rond et du carré ; que nos ornements deviennent du dernier baroque : cela est vrai. […] Qui a su mieux peindre les situations, enchaîner les événements, perdre et retrouver d’une façon plus naturelle un si grand nombre de personnages, et, par une transition de deux vers, remettre son lecteur au fait de la suite d’une longue histoire racontée dans les chants précédents ? […] une petite tête gaie, ironique et satyresque, perdue dans l’immensité d’une forêt de cheveux qui l’offusque ; et cette forêt descendant à droite et à gauche, qui va s’emparer des trois quarts du reste de la petite figure ?

560. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

… Le poète bucolique de Marie, devenant le poète lyrique de La Fleur d’or, de cette fleur qui veut être encore le genêt des landes abandonnées, mais qui ne l’est plus, Brizeux perdit le naturel de sa manière, et en le perdant il perdit tout, car il n’avait que cela. […] Il y perd l’accent du pays. […] La Nationalité poétique de Brizeux n’est pas intense, et l’on en est d’autant plus frappé que tout le long de ses poèmes il ne cesse de s’exhaler en regrets sur le compte de cette Nationalité compromise ou perdue.

561. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — II. (Fin.) » pp. 330-342

Un fait demeure bien constant : L’Hôpital dans un premier moment avait incliné du côté des réformés au point de se rallier à eux et de leur donner même des gages ; ses édits subséquents de tolérance s’expliquent mieux de la sorte, et, quand on veut suivre ce grand magistrat dans sa carrière publique, il y a une borne extrême au point de départ qu’il ne faut pas perdre de vue et qui nous est indiquée par d’Aubigné. […] Et il lui conseille de ne point se soucier de ceux qui menacent de changer de parti si lui-même il ne change sur l’heure de religion : Gardez-vous bien de juger ces gens-là sectateurs de la royauté pour appui du royaume, ils n’en sont ni fauteurs ni auteurs… Quand votre conscience ne vous dicterait point la réponse qu’il leur faut, respectez les pensées des têtes qui ont gardé la vôtre jusques ici ; appuyez-vous, après Dieu, sur ces épaules fermes, et non sur ces roseaux tremblants à tous vents ; gardez cette partie saine à vous, et dedans le reste perdez ce qui ne se peut conserver. […] D’Aubigné était de cette race cassante qui ne se refuse jamais un coup de langue, et qui pour un bon mot va perdre vingt amis ou compromettre une utile carrière.

562. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. »

Il n’est pas moins délicat d’en réunir à la fois plusieurs dans une même couronne ; car il en est des beaux esprits comme des belles : la louange partagée perd à leurs yeux le meilleur de son prix : L’or se peut partager, mais non pas la louange. […] Je ne ferai que passer aussi devant vous, couple conjugal qui unissez vos deux voix31 ; qui, après avoir perdu un enfant, votre unique amour, l’avez pleuré dans un long sanglot, et qui, cette fois, inconsolés encore, mais dans un deuil apaisé, avez songé à lui en composant des chants gradués pour les divers âges, continuant ainsi en idée, d’une manière touchante, à vous occuper, dans la personne des autres, de celui qui n’a pas assez vécu pour vous. […] Mais, encore une fois, on risque de se perdre un peu dans cette quantité d’étoiles, et il n’est pas sȗr, avec la meilleure volonté du monde, de prendre le rôle de démonstrateur.

563. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « M. Viguier »

Cet homme rare, qui n’était bien connu que de ses amis, a rendu dans sa vie de grands services aux Lettres, mais des services qu’il se plaisait en quelque sorte à ensevelir : il aimait à perdre ses travaux dans la renommée de ses amis. […] J’en serais pourtant fâché, et je ne voudrais pas, avec ce faux air de cosmopolite, perdre la sympathie des amis de mon village et de mon voisinage, auxquels je pense sans cesse et que je reviendrai voir à temps, j’espère, avant les glaces de l’âge infirme et solitaire ; mais laissez-moi courir ma dernière course. » Cette course dernière ne venait jamais. […] Mes vieilles oreilles un peu dures ne perdent pas une syllabe de votre débit, dont le mouvement vif et naturel captive l’attention du public sans la fatiguer un seul instant… « Quant à votre coquin de Voltaire, vous l’avez très-joliment prêché ; je vous dirais, comme les Italiens, salvo il vero, — c’est-à-dire réserve faite de tous les contraires inhérents à l’exercice des grandes facultés, des ambitions et des activités prodigieuses.

564. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre II. La mesure du temps. »

Pour qu’un ensemble de sensations soit devenu un souvenir susceptible d’être classé dans le temps, il faut qu’il ait cessé d’être actuel, que nous ayons perdu le sens de son infinie complexité, sans quoi il serait resté actuel. […] Ce n’est que quand ils auront ainsi perdu toute vie que nous pourrons classer nos souvenirs dans le temps, comme un botaniste range dans son herbier les fleurs desséchées. […] Pour ne pas nous perdre dans cette infinie complexité, faisons une hypothèse plus simple ; considérons trois astres, par exemple, le Soleil, Jupiter et Saturne ; mais, pour plus de simplicité, regardons-les comme réduits à des points matériels et isolés du reste du monde.

565. (1890) L’avenir de la science « Préface »

Je tenais trop à ne tien perdre. […] Si je m’étais arrêté à faire disparaître d’innombrables incorrections, à modifier une foule de pensées qui me semblent maintenant exprimées d’une façon exagérée, ou qui ont perdu leur justesse 14, j’aurais été amené à composer un nouveau livre ; or le cadre de mon vieil ouvrage n’est nullement celui que je choisirais aujourd’hui. […] Et songez qu’aucune vérité ne se perd, qu’aucune erreur ne se fonde.

566. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Cours de littérature dramatique, par M. Saint-Marc Girardin. (2 vol.) Essais de littérature et de morale, par le même. (2 vol.) » pp. 7-19

Les pages qu’écrit le journaliste s’envolent ; les paroles que distribue durant des années le professeur courent le risqueb de se perdre. […] Il empruntera ses paroles à Fénelon, qu’il aime tant à citer ; il dira que ce n’est nullement la poésie lyrique en elle-même qu’il condamne, mais l’abus qu’on en fait, et le luxe d’images où elle se perd : Un auteur qui a trop d’esprit, et qui en veut toujours avoir, disait Fénelon, lasse et épuise le mien : je n’en veux point avoir tant. […] J’arriverais donc, comme il aime à le faire, aux modernes du jour, aux contemporains, à nous-mêmes, et je dirais : La critique semble, au premier coup d’œil, avoir fait beaucoup de progrès, en avoir fait autant que l’art en a fait peu ; elle semble avoir gagné ce que l’autre a perdu.

567. (1901) La poésie et l’empirisme (L’Ermitage) pp. 245-260

Mais le temps vient où vieillit le poète ; il a perdu la fraîcheur d’âme indispensable au créateur. […] Car celui-là naquit poète, apte au lyrisme, prompt comme aucun à généralises ; il fut perdu par un principe. […] Le Parnasse perdit le sceptre de la poésie.

568. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Léon XIII et le Vatican »

Il a beaucoup vécu en Italie, et son esprit a dû s’y italianiser, sans rien perdre de toutes ses qualités françaises… C’est un latin, — comme la France fut une nation latine. […] Si jamais homme a fait un éclatant contraste avec son époque, c’est incontestablement Léon XIII, et comme on ne domine les hommes qu’en faisant contraste avec eux, ce sera peut-être, si tout n’est pas perdu dans les choses humaines, la raison qui les lui fera dominer ! […] Humainement, historiquement, pour ceux-là qui regardent toutes choses à travers l’Histoire, l’Église peut être perdue dans le temps ; mais si elle l’est, elle est vengée !

/ 2928