que ne suis-je assise à l’ombre des forêts ! […] La muse moderne sent que tout dans la création n’est pas humainement beau, que le laid y existe à côté du beau, le difforme près du gracieux, le grotesque au revers du sublime, le mal avec le bien, l’ombre avec la lumière. […] Le fond de cette doctrine était que le poète devait calquer son œuvre sur la nature, et sur la nature complète, avec ses beautés et ses défauts, ses rayons et ses ombres. […] L’Allemagne est le pays des hallucinations de l’intelligence ; l’ombre de ses antiques forêts contemporaines de Tacite obscurcit encore son génie ; elle y a laissé des traînées de vertige et d’obscurité. […] se dresser l’ombre Des jours qui ne sont plus !
Elle mérite de prendre place dans le cortège des ombres chères. […] Houssaye, le fil du labyrinthe qu’il tenait d’une main ferme et qui se dessinait d’un bout à l’autre, parmi tant d’ombres et de détours, sous la fixité de son regard. […] Lamartine a dit de lui-même, de son œuvre, jusqu’en 1830 : Des soupirs pour une ombre et des hymnes pour Dieu. […] Mais mourir à quatre-vingt-dix ans, ce n’est pas quitter la vie, c’est quitter, chose fâcheuse encore, si vous voulez, mais insignifiante, le souvenir qu’on avait de la vie ; c’est lâcher une ombre — et peut-être pour une proie, ce qu’il est toujours permis de croire ou d’espérer. […] Je ne reprocherai à Mlle Bourgain que de n’avoir mis aucune ombre au tableau.
— Vous en parlerez, répéta l’ombre avec l’inflexibilité d’une ombre qui a un système, et vous ferez remarquer que le même mois qui a commencé par ce grand deuil s’est terminé sous l’impression de la mort du sultan. — Mais tout le monde a dit cela, ai-je objecté. — Et auriez-vous par hasard la prétention, reprit l’ombre avec quelque aigreur., d’avoir plus d’esprit que tout le monde ? […] La question de ces chiffons-là a soulevé au Corps législatif des discussions qui ont dû faire tressaillir d’aise l’ombre de Gutenberg. […] Ni la joie ni la douleur ne nous sont encore apparues, mais nous devinons leur approche ; et entre l’ombre que projette l’une et le rayonnement que projette l’autre, nulle erreur n’est possible. […] On ne se figure pas généralement que ce soit là le genre de métamorphose que subissent les humains en passant dans le pays des ombres. […] Il songe aux aventures ténébreuses du cadavre dans l’ombre illimitée.
Car pendant que nous apprenions notre humble métier, à l’ombre féconde et libre de ces dix-huit ans de prospérité, sous le règne bienveillant du meilleur de tous les rois, la révolution de 1848, qui faisait sourdement son chemin, éclatait pareille à l’artifice auquel on a mis le feu, la veille, et qui couve au fond de la mine, emportant, avec toutes sortes de malheureux, le rocher qui la recouvre. — Eh bien ! […] Séparez Don Quichotte de son écuyer, vous n’avez plus qu’un fou inutile qui se perd dans les espaces imaginaires, et qui reste brisé sans que nul le relève, sous l’aile du moulin à vent ; séparez Don Juan de Sganarelle, vous n’avez plus qu’un libertin obscur qui se cache dans l’ombre, qui fait tous ses coups à la sourdine, que rien n’explique et qui s’en va au hasard, apportant aux premières venues, son éternelle proposition de mariage. […] — On a même imprimé, dans ses œuvres, à sa louange, une élégie intitulée L’Ombre de Molière ! […] Louis XIV tend les bras à la coulisse, il embrasse un ombre… alors enfin madame de Montespan triomphe, et le troisième acte est fini. […] — L’amour se croit offensé si le chagrin jette ses ombres sur le cœur qu’il cherche à remplir d’un soleil sans nuages. » Et un peu plus bas ce roi gentilhomme, si plein de tact et de goût, s’oubliait jusqu’à dire à mademoiselle de La Vallière : — « Madame, ai-je mérité le muet reproche de votre chagrin ?
On avait leur cime, on jouissait de leur ombre, on recevait les fruits tombés des altiers rameaux ; mais l’arbre sacré était de l’autre côté du mur, dans un verger plus ou moins inconnu, et dont la superstition pouvait faire un Éden privilégié. […] Au nom de cette classe intermédiaire, de plus en plus nombreuse, qui flotte entre les admirateurs aveugles et les admirés déifiés, qui n’est plus le vulgaire idolâtre et qui ne prétendra jamais au rang des demi-dieux, qui devra pourtant accorder sa juste estime et son admiration à qui méritera de la ravir, on est tenté de redemander quelques-uns de ces beaux et purs grands hommes dont les actes ou les œuvres sont comme la fleur du sommet de l’arbre humain, comme l’ombre bienfaisante qui s’en épanche, comme le sue mûri qui en découle.
Il développa fantastiquement les contretemps, les disgrâces de sa vie, les succès aussi et les prospérités : dans toute la première partie des Mémoires, une disposition artistique fait alterner la lumière et l’ombre, l’éclat du présent et la tristesse du passé. […] Je ne puis que rappeler ici les canards sauvages, le cou tendu et l’aile sifflante, s’abattant tout d’un coup sur quelque étang, lorsque la vapeur du soir enveloppe la vallée — le jour bleuâtre et velouté de la lune descendant dans les intervalles des arbres, et ce gémissement de la hulotte qui avec la chute de quelques feuilles ou le passage d’un veut subit remplit seul le silence nocturne— les premiers reflets du jour glaçant de rose les ailes noires et lustrées des corbeaux de l’Acropole — ces Arabes accroupis autour d’un l’eu dont les reflets colorent leurs visages, tandis que quelques têtes de chameaux s’avançaient au-dessus de la troupe et se dessinaient dans l’ombre 664.
Bourde, plus loin, s’inquiète de nouveau de la pureté de la langue, et évoque les ombres des vieux grammairiens et de Littré. […] Laissez-moi voir encore entre les feuillets jaunis glisser leurs ombres aimables.
Notre langue ne souffre point ces ombres qui se placent entre notre pensée et nous ; c’est le premier devoir de l’écrivain de s’en défier ou plutôt de les chasser courageusement, comme Énée dissipait les ombres avec son épée.
On prenait l’ombre pour la chose : illusion féconde, à la veille d’une grande époque littéraire ; illusion fâcheuse le lendemain. […] Tous les mauvais ministres, tous les vilains traits des gens de cour servaient d’ombre au portrait du cardinal.
Dans l’ombre, on aperçoit le fleuve, au fond, et les rochers. […] Dans son roman L’ombre s’étend sur la montagne (1907), Rod s’inspire de l’amour de Wagner et de Mathilde pour décrire la passion du violoniste Franz Lysel pour une femme aimée.
Là, le mortel combat de l’esprit erroné de l’Apparence contre l’esprit tout véridique de la Réalité ; ce qu’on dit lumière, jour et vie, contre tout le nommé ombre et nuit et mort ; l’illusoire univers de nos habituelles créations, contre celui miraculeux de la pensée. […] Car Amfortas, c’est Parsifal visionnaire d’une vie concupiscente ; Klingsor, c’est encore la vision, en Parsifal, d’une vie autrement vécue ; et Kundry, les Filles, ce n’est rien que des visions de Parsifal ; les chevaliers, toutes ces ombres, les images de sa voyance : vie de l’âme religieuse et charnelle.
L’Art joue dans son système un rôle important : « L’Art, dit-il, a connaissance de la véritable essence du monde, des idées (I, 217)… Il résout, mais d’une façon différente de la philosophie, le problème de l’existence… Dans les œuvres d’art toute sagesse est contenue, mais virtuellement ou implicitement (II, 461, 463)… » Et dans la Musique plus spécialement : « Les autres arts ne nous montrent que l’ombre, la Musique nous révèle l’essence des choses… La Musique est l’image de la Volonté elle-même (1, 303, 310)… Aucun autre art n’exerce sur l’homme une action aussi immédiate, aussi profonde, car nul ne nous fait pénétrer aussi profondément dans l’essence même du monde (Fragments, 373)… etc. » Ce sont là les propres pensées de Wagner avant qu’il ne connût Schopenhauer. […] Jullien, des illustrations à un ouvrage documentaire ; mais d’originaux poëmes, où les harmonieuses joueries des pâles ombres et de lascives blancheurs évoquent, sans même le secours de souvenirs musicaux, une tristesse languide, quelque mystérieuse horreur, ou bien la calme gaîté d’une âme rajeunie.
Six lignes de marronniers, et sous l’ombre sans gaieté de leurs feuilles larges, quatre rangées de bancs de pierre. […] À gauche une grande avenue, et sur les bancs qui touchent à l’avenue et qui sont sur le bord du soleil, des têtes à l’ombre, et des dos ronds faisant le gros dos, que la chaleur réchauffe, que l’ensoleillement frictionne.
Les mauvaises pensées, dans une cervelle de jeune fille, noircissent la transparence de leur regard, comme de l’ombre d’un nuage dans une vague. […] Mercredi, 8 août Des femmes de la campagne portant des enfants avec de musculeux hanchements, marchent le long de la rivière, dans l’ombre des grands arbres.
Le sort annoncé par les astres, les pressentiments, les songes, les présages, ces ombres de l’avenir qui planent autour de nous, souvent non moins funèbres que les ombres du passé, sont de tous les pays, de tous les temps, de toutes les croyances.
Qu’apercevons-nous quand nous la remarquons, sinon la pensée elle-même, mais la pensée vêtue, enveloppée d’une ombre de parole, ombre légère, insaisissable, qui fait corps avec elle et ne peut en être séparée ?
Solitude, où je trouve une douceur secrète, Lieux que j’aimai toujours, ne pourrai-je jamais Loin du monde et du bruit goûter l’ombre et le frais ? […] Nos noms unis perceront l’ombre noire ; Vous régnerez longtemps dans la mémoire Après avoir régné jusques ici Dans les esprits, dans les cœurs même aussi… Philis, vous seriez la première, Vous auriez eu mon âme tout entière, Si de mes vœux j’eusse pu présumer.
Il y a plus : dans l’admiration d’école qu’on avait pour Homère et Virgile, la gloire du premier offusquait le second et le jetait dans l’ombre ; car il faut être le premier en France pour être quelque chose. […] En lisant Virgile, on voit ou l’on croit voir Homère mourir sur le calvaire de Troie dont il a raconté les écroulements, et ressusciter, adolescent, ombre élyséenne et prophétique, pour préluder à la splendeur de Rome en se transfigurant à son berceau !
Dans Alexandrie cependant, le passage et le marché du monde, au bord de cette Égypte dont les monuments projetaient leur ombre mystérieuse sur les arts transplantés de la Grèce, parmi ces influences du monde oriental aboutissant de toutes parts à la ville nouvelle, entre ces ferments de culte divers qui s’amassaient dans cette cité cosmopolite, il semble que plus d’une inspiration devait s’offrir à la pensée de l’écrivain et du poëte. […] Jusqu’à cette idée moins haute des bénédictions temporelles à joindre aux biens de l’âme, et accordées par le Dieu tout-puissant lorsqu’on les lui demande en même temps que la vertu, tout semble ici reproduit du charnel et du divin, des ombres et des clartés de la loi mosaïque, telle que la comprenait une grande partie de ses adorateurs, et telle que tous les Juifs de Palestine, de Syrie et d’Égypte, actifs, industrieux, navigateurs, commerçants, guerriers même, devaient la propager par leur exemple et leur succès.
Après l’intérieur de la ferme et le bal champêtre qu’un critique très-spirituel, dans la Revue des deux Mondes, a comparés à quelque tableau malicieux et tendre de Wilkie, on a, au retour, cette nature si fleurie et si odorante, sur laquelle la nuit jette ses ombres grandioses et que la lune éclaire avec beauté ; on a, dans ces solitudes suaves, un chant mélodieux de jeune homme qui arrive tout d’abord au cœur d’une amazone égarée comme Herminie.
Quel autre encore aurait songé à s’introduire dans l’ombre au sabbat de minuit, pour y psalmodier en chœur et y danser en ronde avec les démons ?
La mission, l’œuvre de l’art aujourd’hui, c’est vraiment l’épopée humaine ; c’est de traduire sous mille formes, et dans le drame, et dans l’ode, et dans le roman, et dans l’élégie, — oui, même dans l’élégie redevenue solennelle et primitive au milieu de ses propres et personnelles émotions, — c’est de réfléchir et de rayonner sans cesse en mille couleurs le sentiment de l’humanité progressive, de la retrouver telle déjà, dans sa lenteur, au fond des spectacles philosophiques du passé, de l’atteindre et de la suivre à travers les âges, de l’encadrer avec ses passions dans une nature harmonique et animée, de lui donner pour dôme un ciel souverain, vaste, intelligent, où la lumière s’aperçoive toujours dans les intervalles des ombres.
Rien ne sert en effet de noter exactement tout le détail d’un événement, si l’on n’en a en soi-même une représentation imaginaire, où toutes les circonstances se groupent autour du fait principal, étagées selon leur importance, par plans successifs, plus ou moins noyés d’ombre ou baignés de lumière.
Vuillard, et je cite volontiers le plus plein d’avenir de ces jeunes talents, a dépassé en hardiesse et en réussite le problème des artistes sincères : « Ne faire que ce qu’on voit. » Il n’y a pas une ombre, pas un reflet, pas une teinte de chic.
La vision de l’artiste est une lumière qui, projetée sur les réalités, les fait émerger de l’ombre.
Ce n’était pas un loup, ce n’en était que l’ombre.
qui navrent le cœur de ceux-là qui ne voudraient pas mépriser Louis XVI, que dire et que penser de ce roi de Sardaigne qui a le bonheur d’avoir pour serviteur un Joseph de Maistre, un Mirabeau sans scories, qui n’a, lui, ni dans l’intelligence, ni dans la conscience, ni dans la conduite, l’ombre d’une seule de ces taches dont Mirabeau était constellé, et qui n’écoutait pas cet homme fidèle, au génie toujours prêt pour son service, ou qui le méconnaissait après l’avoir invoqué !
Voyez comme La Bruyère lui-même, un grand esprit pourtant, bien au-dessus des apparences, a traité cette profonde figure de Guillaume d’Orange, qui finit par devenir poétique à force de soucis et d’ombres redoublées sur son front souffrant !
Gilbert, dans son édition de Vauvenargues, a parfaitement mis en lumière ces points, très peu aperçus jusqu’ici, qui auraient été les causes de rupture entre Vauvenargues et Voltaire, et c’est ici que la publication qu’il a faite éclaire pleinement un Vauvenargues trop laissé dans l’ombre, et nous révèle, en l’auteur des Pensées et maximes, une moralité qui n’était pas du tout la philosophique et la païenne que Voltaire lui avait bâtie comme une pyramide de Rhodope.
que les érudits fleurissaient à l’ombre des bibliothèques, sous ces couches de poussière savante, qui sont la terre végétale de ces sortes de fleurs.
Gilbert, dans son édition de Vauvenargues, a parfaitement mis en lumière ces points, très peu aperçus jusqu’ici, qui auraient été les causes de rupture entre Vauvenargues et Voltaire, et c’est ici que la publication qu’il a faite éclaire pleinement un Vauvenargues, trop laissé dans l’ombre, et nous révèle en l’auteur des Pensées et Maximes une moralité qui n’était pas du tout la philosophique et la païenne que Voltaire lui avait bâtie comme une pyramide de Rhodope.
Ayant que de ses deux moitiés Ce vers que je commence ait atteint la dernière, Peut-être, en ces murs effrayés, Le messager de mort, noir recruteur des ombres, Remplira de mon nom les longs corridors sombres… ………………………………… …………………………………
Si nous en croyons les dépositions curieuses et terribles de l’histoire d’Alaux, Soulouque, ce vieil enfant, car il avait plus de soixante ans quand il fut élevé à la présidence de la République d’Haïti ; Soulouque, « ce formidable poltron qui voit dans toute ombre un fantôme et dans tout silence un guet-apens », cet être absurde, fanatique, dévoré par des superstitions de sauvage, méfiant, fanfaron, cruel, mais apathique après que le sang, dont il a des soifs vraiment physiques, est versé ; Soulouque, ou, pour l’appeler du nom d’empereur qu’il s’est donné dans une farce officielle qu’aucun gouvernement n’a eu d’intérêt à empêcher, Faustin, est très au niveau, si ce n’est très au-dessous, du premier Cafre venu qui va s’éteindre sur la Côte d’Ivoire.
J’ai entendu quelquefois comparer Ferdinand Fabre à Gustave Flaubert, qu’on pourrait appeler « le descriptif laborieux » ; car il décrit jusqu’aux nervures des feuilles et aux angles des ombres qui s’évaporent.