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717. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire de la Grèce, par M. Grote »

Léo Joubert, en avaient donné depuis longtemps, dans nos principales Revues, des analyses qui avaient mis en goût tous les bons esprits. […] A quoi bon, quand même on le pourrait, aller mettre sur le chantier un vaisseau de haut bord, lorsqu’on est dans l’enfance de la navigation ? […] Un de nos généraux, disciple à la fois de Xénophon et de Virgile, M. de Fezensac, a une mémoire telle qu’il récitait au bivouac en Russie, aux officiers de son régiment, un sermon de Massillon qu’il avait retenu dès l’enfance ; et comme il racontait un jour l’anecdote dans un salon, on lui demanda s’il pourrait le réciter encore ; il assura qu’il le savait toujours par cœur : on alla immédiatement chercher le volume de Massillon dans la bibliothèque, et le guerrier lettré se mit à réciter cette prose harmonieuse, mais un peu flottante, sans faire une faute. […] La colère d’Achille, qui est annoncée au début comme en devant faire le sujet, semble oubliée et mise de côté après le IIe livre ; elle n’est rappelée qu’à peine et comme par acquit de conscience dans les livres suivants ; elle ne se représente sérieusement à l’esprit que dans le courant du VIIIe et ne reparaît sous les yeux qu’au IXe, pour s’éclipser de nouveau dans le chant suivant, et elle ne reprend d’une manière ininterrompue qu’à partir du XIe livre jusqu’à la fin. […] Il est heureux pour lui qu’il sache tant de choses ; car, du train dont il y va, un fonds médiocre serait épuisé en une demi-heure. » — Qu’on mette en regard ce profil de Villoison avec la figure de Wolf, le maître éminent, le grand professeur, dont chaque parole porte et pénètre, et qui dispose d’une érudition « toujours vraie, sobre et forte », ainsi que l’a définie M. 

718. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Le Directoire, par l’affaire d’Amérique, mit ce côté véreux de Talleyrand dans tout son jour. […] Que dirait-il d’un autre s’il s’était laissé mettre dans cet état ?  […] Ce n’est certes pas nous qui le blâmerons jamais d’avoir mis des conditions de régime moderne au rétablissement des Bourbons et d’avoir stipulé des garanties. […] On raconte (et je mets le mot tel quel, sans autre explication) que quand le comte Pozzo di Borgo entra chez M. de Talleyrand, celui-ci se faisait friser : « Général, lui dit-il, à quoi pensiez-vous donc de vous faire ainsi attendre ? […] Pour cela je ramasse une nouvelle, dont je ne mets qu’un fragment dans mon billet, ajoutant que je demandais la permission de venir achever de vive voix ce qui ne pouvait se confier au papier.

719. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Henry Rabusson »

Henry Rabusson nous dit de celui de ses personnages qu’il aime peut-être le plus et où je pense qu’il a mis le plus de lui-même : « Maxime avait contre lui d’être un homme du monde et de peindre des hommes du monde — ce qui est pourtant plus intéressant que de peindre des ivrognes. […] Le plus bel effort de la civilisation la plus raffinée, c’est de mettre les sexes aux prises dans les conditions les plus propres à rendre la lutte charmante ; c’est de multiplier, de nuancer et de prolonger les bagatelles à demi innocentes et tout le jeu préliminaire de l’amour, afin de sauver les oisifs de l’ennui. […] Puis elle le mit à la porte, après qu’il lui eût embrassé les mains et ce qu’il pouvait attraper des bras avec une ferveur et un entrain auprès desquels la dévotion malpropre des pèlerins baiseurs de reliques n’est positivement qu’un… Je m’arrête. […] On ne saurait douter qu’il n’ait mis dans le Roman d’un fataliste sa propre philosophie. […] A les entendre, nul n’eût supposé que cette femme allait se mettre hors la loi, que tous deux allaient se mettre hors l’honneur  Que pèsent, à ces heures-là, les systèmes complets de morale à l’usage des esprits philosophiques ?

720. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre V »

Si on le prie de s’asseoir, il se met à peine sur le bord d’un siège. […] Il ajoutait à cette mise en scène quelques danseuses en jupes courtes, sablant les articles des journalistes avec du champagne. […] L’un des trois écrivains qu’il met en scène est un honnête homme, mais la finance n’obtient pas cette circonstance atténuante, et le spectre de M.  […] On comprend cet amour subit, on comprend moins la conversion foudroyante qu’opère en lui l’homélie qu’il vient de mettre au net pour son sot patron. […] Il n’y a que des sycophantes et des hypocrites dans le monde mis en scène par M. 

721. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

Il émane de leurs écrits comme un parfum qui prévient et s’insinue ; la physionomie de l’homme parle d’abord pour l’auteur ; il semble que le regard et le sourire s’en mêlent, et, en les approchant, le cœur se met de la partie sans demander un compte bien exact à la raison. […] Je ne répondrais même pas qu’on n’ait point surfait quelquefois ces deux renommées diversement aimables, mais non pas dissemblables dans des ordres si différents, et qu’on n’ait point mis à les louer de cette exagération et de cette déclamation qui leur étaient si antipathiques à eux-mêmes. […] Dans le peu qu’on nous donne ici de ses conseils à Mme de Maintenon, il sait mettre le doigt sur les défauts essentiels, sur cet amour-propre qui veut tout prendre sur soi, sur cet esclavage de la considération, cette ambition de paraître parfaite aux yeux des gens de bien, enfin tout ce qui constituait au fond cette nature prudente et glorieuse. […] Et il entre dans le détail de l’accident : une roue de moulin qui se met tout à coup à tourner au bord d’un pont sans garde-fous, un des chevaux de côté qui s’effraie, qui se précipite, et le reste. — Jusqu’à la fin, malgré ses tristesses intérieures, et quoique son cœur fût resté toujours malade depuis la perte qu’il avait faite de son élève chéri, Fénelon savait sourire, et sans trop d’effort. […] Il unit en lui ces deux esprits, ou plutôt il les possède et les contient chacun dans sa sphère, sans combat, sans lutte, sans les mettre aux prises, sans que rien vienne avertir du désaccord, et c’est un grand charme.

722. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand. (Berlin, 1846-1850.) » pp. 144-164

Doué d’un esprit supérieur, d’un caractère et d’une volonté à l’unisson de son esprit, Frédéric s’est mis au militaire comme il s’est mis à bien d’autres choses, et il n’a pas tardé à y exceller, à en posséder, à en perfectionner dans sa main les instruments et les moyens, bien que ce ne fût peut-être pas d’abord chez lui la vocation d’un génie propre et qu’il n’y fût pas d’abord comme dans son élément. […] La Prusse n’était arrivée véritablement à compter pour quelque chose dans le monde et à mettre, comme il dit, son grain dans la balance politique de l’Europe, que du temps du Grand Électeur, contemporain des beaux jours de Louis XIV. […] Il se dit encore, et il nous dit avec franchise, que Frédéric Ier (son grand-père), en érigeant la Prusse en royaume, avait, par cette vaine grandeur, mis un germe d’ambition dans sa postérité, qui devait fructifier tôt ou tard. […] Il conduisait et soignait énergiquement les hommes qui étaient confiés à sa garde ; il mettait son honneur et sa dignité dans ce devoir : mais il ne le fondait pas plus haut. […] Mais, même l’intérêt du souverain mis de côté, il répugne de voir un grand homme se salir à des plaisanteries de ce genre contre des objets respectables aux yeux du grand nombre ; c’était jusqu’à un certain point violer cette tolérance hospitalière dont il se faisait gloire, que de mépriser ainsi tout haut ce qu’il prétendait accueillir et tolérer.

723. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

M. de Breteuil avait été nommé en 1760 ministre plénipotentiaire en Russie ; Rulhière l’y suivit ; il assista de près à la révolution qui, en 1762, précipita Pierre III et mit Catherine II sur le trône. […] Catherine II et ses admirateurs furent alarmés ; on mit tout en œuvre auprès de Rulhière pour qu’il supprimât sa relation, ou pour qu’il l’altérât : il résista à toutes les offres avec une honorable fermeté. […] S’il céda, dans un cas unique, à une première indiscrétion, il mit tous ses soins à réparer insensiblement l’impression qu’elle avait pu faire et à n’en pas commettre une seconde. […] Rulhière se met à lire à haute voix les lettres de Rousseau, et à chaque instant il s’interrompait, il se parlait à lui-même en approuvant, en disant : « Bon ! […] L’édition en fut confiée à Daunou, qui s’en acquitta avec le soin et le scrupule qu’il mettait à tous ses travaux et à tous ses devoirs.

724. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Charles Perrault. (Les Contes des fées, édition illustrée.) » pp. 255-274

Perrault, excité par son camarade Beaurain, se met à traduire en vers burlesques le sixième livre de l’Énéide (le plus admiré de tous, celui qui nous peint la descente d’Énée aux enfers). […] Son autre frère le médecin, depuis célèbre architecte, se mit aussi du jeu et fit de beaux dessins à l’encre de Chine pour illustrer le manuscrit. […] Colbert entrait dans son cabinet, on le voyait se mettre au travail avec un air content et en se frottant les mains de joie, mais que depuis il ne se mettait guère sur son siège pour travailler qu’avec un air chagrin et même en soupirant. […] Et sans plus de réponse, je me borne à citer l’aimable anecdote suivante qui nous montre au vrai le caractère sincère et ingénu de Perrault, et je laisse l’impression s’en faire d’elle-même sur le lecteur : Quand le jardin des Tuileries fut achevé de replanter, et mis dans l’état où vous le voyez : « Allons aux Tuileries, me dit M.  […] Il est bien certain que pour la matière de ces contes, de même que pour Peau d’Âne qu’il a mise en vers, Perrault a dû puiser dans un fonds de tradition populaire, et qu’il n’a fait que fixer par écrit ce que, de temps immémorial, toutes les mères-grands ont raconté.

725. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1873 » pp. 74-101

On se met à table. […] Il se met à parler. […] Mardi 19 août Le docteur Robin nous racontait, ce soir, que le hasard l’ayant mis à même de rendre service à des Japonais, rencontrés en Italie, il les retrouva à Vienne. […] Là, se mettait à courir un danseur comique, dont chacune des poses devenait derrière lui, un arbre gardant le dessin ridicule et contorsionné du danseur. […] Mais voilà les Russes qui se mettent de la partie.

726. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Saint-Bonnet » pp. 1-28

C’est, sous son nom abstrait, mis bravement à la tête du livre pour faire tête de Méduse aux sots et les empêcher d’y toucher, — car les sots de moins dans un débat en rendent facile la conclusion, — une thèse vieille comme l’Église elle-même. […] Ils auraient voulu que l’auteur mît en balles légères et plus mortelles le globe de pensées qui n’est pas un boulet de canon, et qui se meut sous sa main presque avec l’harmonie d’une sphère céleste ! […] Caro ne parlera jamais, — doit être mis à part de tous les autres livres qui ont jamais touché à ce sujet. […] En d’autres termes, Saint-Bonnet est cérébralement une force métaphysique mise au service de l’idée chrétienne, opérant dans l’immensité de ses triples dimensions. […] Mais le penseur qui l’y a mis l’en tire, et avec quelle puissance !!

727. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre X : M. Jouffroy psychologue »

Toutes ces vérités ont été mises par M.  […] « Le moi sensible s’épanouit, se dilate, se met au large, puis se porte hors de soi et se répand vers l’objet qui l’affecte agréablement, puis enfin tend à ramener cet objet vers lui, à se l’assimiler, pour ainsi dire. » Je n’entends plus du tout. […] Est-ce que le moi peut « se dilater, se mettre au large, se répandre vers l’objet ?  […] Jouffroy met en lui l’âme, le moi, la substance, c’est par abus du style littéraire ; que toutes les métaphores par lesquelles on l’exprime désignent simplement la prépondérance habituelle de la tendance qui le constitue. […] Seulement, nous ne les mettons pas au même endroit que vous.

728. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

Et Baudelaire met à l’horizon de la ville et de la vie parisiennes les mêmes lignes de nostalgie. […] Fromentin met à leur place avec scrupule ces deux éléments qui l’intéressent également. […] Bien au contraire elle le met en valeur. […] Ces moyens, Fromentin les met dans une lumière parfaite. […] Fromentin veut qu’il mène au suicide, et il nous suffit qu’en effet il y mène parfois : aussi bien s’agit-il moins de réaliser le type d’Olivier d’Orsel que de mettre une « valeur » à côté de Dominique, de mettre Dominique en valeur.

729. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre III. L’écrivain »

Il pose sur son prie-Dieu le saint Augustin qu’on lui a mis dans la main, tire furtivement un Rabelais de sa poche, fait signe à ses voisins Chaulieu et le grand prieur, et chuchote tout bas avec eux quelque drôlerie. […] C’est railler les gens que de leur mettre sur le dos une peau de bête, d’autant mieux qu’on frappe sur ce dos en ayant l’air de frapper sur le dos d’autrui. […] Quand Grandville, pour illustrer La Fontaine, a mis sous nos yeux les bêtes en habits d’hommes, il a tout gâté ; il n’a fait qu’entasser un carnaval vulgaire, propre à faire rire des provinciaux et des épiciers. […] Le cerf met au rang des dieux la reine qui avait jadis « étranglé sa femme et son fils » et la célèbre en poëte officiel. […] Il veut qu’on suive « ses leçons », qu’on mette à profit cette vie éphémère.

730. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 12, des masques des comédiens de l’antiquité » pp. 185-210

Ils plaçoient donc après la définition de chaque personnage, telle qu’on a coutume de la mettre à la tête des pieces de théatre et sous le titre de dramatis persone, un dessein de ce masque. […] Les compositeurs de déclamation, c’est Quintilien qui parle, lors qu’ils mettent une piece au théatre, sçavent tirer des masques mêmes le pathetique. […] Demetrius, l’un de ces comédiens, lequel Juvenal met au nombre des meilleurs acteurs de son temps, et qui avoit un son de voix fort agréable, s’étoit attaché à joüer des rolles de divinitez, des femmes de dignité, des peres indulgens et des amoureux. […] C’est qu’en repercutant la voix, elle n’altere point la clarté du son, au lieu que le bruissement de l’airain met toujours un peu de confusion dans les sons qu’il renvoïe. […] Vitruve se plaint que de son temps les romains négligeassent de placer de ces echaea dans leurs théatres, à l’imitation des grecs, qui étoient soigneux d’en mettre dans les leurs.

731. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Buloz »

Il a été profondément déplacé là où il s’est mis. […] On y parlait, au début, de Platon et des siens, et le pauvre rédacteur, épris d’antiquité, disait élégamment : « Lorsque les brises de la mer Égée parfumaient l’atmosphère de l’Attique, quelques hommes, préoccupés de l’éternel mystère, venaient, dans les jardins d’Acadème, se suspendre aux lèvres de Platon, etc. » Buloz prit peur de cette phrase comme de la plus audacieuse hardiesse, et de sa patte dictatoriale et effarée il supprima le tout et mit à sa place ; « Il y eut aussi dans la Grèce des sociétés savantes. » Une autre fois, dans une étude sur la mystique chrétienne, on disait : « L’amour de la vérité cherche celle-ci dans les solitudes intérieures de l’âme » ; mais Buloz, qui ne connaît pas les solitudes intérieures de l’âme, traduisit d’autorité : « Les esprits curieux fuient les embarras des villes », qu’il connaît ! V Telle pourtant s’exerce, sans échouer jamais, depuis trente ans, la capacité littéraire de Buloz, de cet homme à la fois obscur et célèbre, que j’ai appelé une puissance, une puissance qui aurait pu être bienfaisante et féconde, et qui n’a été que malfaisante et stérile… Ne vous demandez pas quels sont les talents qu’il a distingués et formés, mis en évidence et en lumière, à qui on l’ait vu prêter généreusement l’épaule ou la main ! […] Louis-Philippe, qui était spirituel, le mit là peut-être pour adoucir ses mœurs. […] Aujourd’hui, François Buloz n’est plus que le propriétaire de sa Revue, mais il sait la mettre au service des petites oppositions parlementaires et académiques du moment.

732. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

Et ce n’est pas non plus toute la différence à mettre entre sainte Térèse et Pascal. […] La sainteté ne se met à part de rien dans les créatures. […] Elle devint, cette fille coquette, innocemment coquette, qui aimait le monde et les propos du monde, elle devint une épouse ardemment chaste et tendrement austère de Notre-Seigneur Jésus-Christ, une carmélite incomparable, qui, ne trouvant pas son ordre assez sévère, le réforma et le mit pieds nus. […] À certaines places de ce récit merveilleux où le surnaturel a complètement remplacé la nature, on voit surgir du fond de cette Contemplative, éperdue et perdue dans son Dieu, une raison plus forte que toutes ces flammes, qui met la main sur le cœur qui palpite et dit à ce cœur : « N’es-tu pas ta proie à toi-même ? […] elle était encore la femme puissamment rassise dans la raison telle que les hommes conçoivent la raison quand l’Extase, qui enlève l’esprit au ciel et ce corps de boue volatilisé dans les airs, la lâchait et la mettait par terre.

733. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Vie de la Révérende Mère Térèse de St-Augustin, Madame Louise de France »

Si c’avait été la vie de quelque irrévérente et scandaleuse cabotine, on en aurait eu pour quinze grands jours de jérémiades dans les journaux sur le malheur d’avoir une cabotine de moins dans Paris, et les plumes les plus célèbres auraient mis leur honneur à faire queue de paon à sa mémoire. […] Elle n’a pas mis son nom à son livre et elle n’avait pas de nom à y mettre. […] « Madame Louise part — dit-il — quand madame Dubarry arrive… » C’est cette portière de la Révolution qui met à la porte de Versailles la fille de Louis XV, laquelle tire son voile de nonne sur ses yeux comme devant le soleil, pour ne plus voir cette éblouissante coquine. […] Il la met à pied, comme un postillon dont on serait mécontent, cette équestre dont il dit, éperdu comme un poète, cet homme rassis : « Voyez-la courir par les bois !  […] Elle trouvait que le baiser mis là par son père avait quelque chose de trop humain encore, et elle ne voulut pas, en expirant à la même place, adoucir l’horreur de sa fin !

734. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les poëtes français. Recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française »

il s’est mis à en parler en vers et comme s’il n’avait jamais fait que cela toute sa vie. […] « Si l’âme est ardente, dit-il, la bête est paresseuse à l’excès. — Dieu, nous dit-il encore, m’a fait mon petit nid au bord du Rhône, sur une balme plantée d’arbres maladifs, mais d’où je vois le Mont-Blanc et les Alpes, et où m’arrivent les bruits de Paris. » Ces bruits lui suffisent ; je crois qu’il n’a jamais mis les pieds dans la grande ville. […] Eh bien, ce tour de force, le magicien Soulary l’accomplit, et il vous met en quatorze vers symétriquement contournés et strangulés des mondes de pensées, de passions et de boutades ; le tout dans une stricte et parfaite mesure. Il a comparé très joliment cette opération difficile de mettre dans un sonnet un peu plus qu’il ne peut tenir, et sans pourtant le faire craquer, à cette difficulté de toilette bien connue des dames et qui consiste à passer une robe juste et collante. […] Il nous le dit lui-même en de bien jolis vers : voyant qu’on ne voulait pas du vin qu’il offrait et qu’il tirait de sa vigne, il l’a mis et couché bien cacheté au fond du cellier : que si dans trente ans on le découvre, on accordera peut-être à la vieille bouteille ce qu’on a refusé à la neuve : de mon clairet, dit-il, on fera du mâcon.

735. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Hommes et dieux, études d’histoire et de littérature, par M. Paul De Saint-Victor. »

Je ne blâme point, croyez-le bien, ceux qui, ouvriers consciencieux et journaliers de la presse, ont pris le parti plus simple de mettre en volumes le plus tôt possible ce qu’ils distribuent de jugements et d’analyses sur tout sujet, de ramasser et de lier après chaque moisson leurs gerbes : on laisse ensuite au lecteur le soin de choisir entre ces improvisations d’un mérite ou d’un agrément nécessairement inégal, et d’en prendre ou d’en laisser. […] il m’est arrivé souvent de désirer, en le lisant, que M. de Saint-Victor suivît cet exemple et n’y mît pas plus de façons. […] Il excelle, à propos des nouveautés qui passent, à se tailler un sujet à part dans une étoffe souvent vulgaire qu’il rehausse aussitôt, à en détacher et à y découper pour son compte un personnage historique, une grande figure, un type, et il s’y applique, il s’y déploie avec sa vigueur d’expression, sa couleur éblouissante, avec son instruction et sa vaste lecture toujours neuve, originale, inventive et heureuse d’allusion et d’à-propos, qui n’a rien de banal ni d’usé dans ses citations, et qui même, lorsqu’elle sort d’un coffre antique, a la splendeur d’une étoffe d’Orient. « Quand je lis Saint-Victor, je mets des lunettes bleues », disait Lamartine. […] Il tient en tout à observer les degrés ; il ordonne volontiers la littérature et l’art comme Raphaël ordonne l’École d’Athènes, et comme Ingres son plafond ; chaque génie, chaque talent y est à son plan et selon sa mesure ; Gil Blas n’y est pas mis de niveau avec le Don Quichotte : rien de plus vrai ni de mieux senti ; mais il n’y a pas seulement des degrés, il y a des exclusions, il y a des anathèmes : c’était à peu près inévitable. […] Le volume qu’il vient de publier est comme une magnifique ouverture ; il y a mis d’avance un échantillon et un bouquet des belles choses qui se trouveront développées dans la suite ; qu’il poursuive donc, qu’il nous donne résolûment le recueil de ses meilleurs articles dans les diverses branches de critique où son beau talent se signale depuis tant d’années.

736. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

Indiana n’est pas seulement un livre de vogue ; son succès n’est pas en grande partie dû à une surprise longtemps ménagée, à une complaisante duperie du public, à l’appât d’un nom gonflé de faveur, aux amorces habiles d’un titre bizarre ou mystérieux, promené, six mois à l’avance, de l’élégant catalogue en vélin aux couvertures beurre frais des nouveaux chefs-d’œuvre : la veille du jour où Indiana a paru, personne ne s’en inquiétait par le monde ; d’insinuantes annonces n’avaient pas encore prévenu les amateurs de se hâter pour avoir, les premiers, un jugement à mettre en circulation ; la seconde édition n’était probablement pas toute satinée et brochée avant la première ; bref, Indiana a fait son premier pas naïvement, simplement, sous un nom d’auteur peu connu jusqu’ici et suspect même d’en cacher un autre moins connu encore. […] Les deux romans ont en outre cela de commun, d’obéir à une tendance philosophique, de viser à une moralité analogue, plus explicite et tout en dehors chez Mme de Staël, plus sous-entendue et laissée à la sagacité du lecteur dans Indiana ; les divagations métaphysiques à la mode, du temps de Mme de Staël, et dont elle ne s’est pas fait faute dans Delphine, sont remplacées de préférence, dans le roman de 1832, par les hors d’œuvre pittoresques, les descriptions d’intérieur et de boiseries de salon, si à la mode aujourd’hui, et auxquelles l’auteur d’Indiana s’est laissé quelquefois aller un peu complaisamment, mais qui sont après tout assez de mise dans le roman domestique. […] puis sa flamme rapide, son naïf et irrésistible abandon, son attache soudaine et forcenée ; le caractère de Raymon surtout, ce caractère décevant, mis au jour et dévoilé en détail dans son misérable égoïsme, comme jamais homme, fût-il un Raymon, n’eût pu s’en rendre compte et ne l’eût osé dire ; une certaine amertume, une ironie mal déguisée contre la morale sociale et les iniquités de l’opinion, qui laisse entrevoir qu’on n’y a pas échappé ; tout,  selon nous, dans cette production déchirante, justifie le soupçon qui a circulé, et en fait une lecture doublement romanesque, et par l’intérêt du récit en lui-même, et par je ne sais quelle identité mystérieuse et vivante que derrière ce récit le lecteur invinciblement suppose.  […] La belle Noun a fait sensation dans le pays, dans les bals champêtres du village voisin ; un jeune monsieur des environs, M. de Ramière, l’a vue, s’est mis en avant, a fait arriver ses aveux brûlants à ce cœur inflammable et crédule ; depuis ce jour, Noun est sa conquête ; il lui a sacrifié un voyage à Paris qu’il devait faire ; il la vient visiter de nuit, par-dessus les murs du parc, au risque de se casser le cou : il va venir ce soir-là même ; mais le factotum, ancien sergent, a prévenu le colonel que des voleurs de charbon s’introduisent depuis plusieurs nuits, qu’on a saisi des traces, et qu’il est prudent de surveiller. […] Le succès d’Indiana va mettre son auteur à une rude épreuve ; nous voudrions qu’il y prît garde ; les libraires, les éditeurs de livres et de journaux doivent déjà l’investir et lui demander nouvelles et romans coup sur coup, sans relâche.

737. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rostand, Edmond (1868-1918) »

Francisque Sarcey Telle est La Princesse lointaine, dont le premier et le dernier acte ont plu par le pittoresque de la mise en scène, dont le second et le troisième ont fatigué par leur longueur et leur subtilité. […] Charles Morice annonça (en 1888) une Littérature de tout à l’heure qui a mis dix ans à ne pas venir. […] La pièce abonde en morceaux de bravoure, en motifs spirituellement traités, en tirades brillantés ; mais tout y est en scène ; nous avons mis la main sur un auteur dramatique, sur un homme qui a le don. […] C’est l’Évangile mis en vers par un poète de cours d’amour, par un troubadour du temps de la reine Jeanne. […] Et quelle langue si allègrement française, comme d’un Regnard qui eût mis en alexandrins la prose de Marivaux !

738. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre III. L’analyse externe d’une œuvre littéraire » pp. 48-55

Elle doit porter sur les idées, les sentiments, les tendances des personnages mis en scène ; elle est en ce sens interne ; mais, comme ces personnages sont ou bien créés de toutes pièces par l’auteur ou en tout cas interprétés et en une certaine mesure formés ou déformés par lui, comme ils servent de la sorte à exprimer la nature même et les conceptions particulières de l’auteur, l’analyse est en ce sens-là externe. […] Chemin faisant, on n’oubliera point de relever les particularités orthographiques, les majuscules mises à certains mots ; les habitudes personnelles de ponctuation, les formes qui dérogent à l’usage où à la tradition. […] Quels faits met-il en vedette, quels autres laisse-t-il dans l’ombre ? […] On peut, pourvu qu’on y mette l’attention nécessaire, relever avec autant d’exactitude les diverses qualités d’un style que les propriétés d’un métal. […] Il reste, pour en finir avec cette longue dissection, à réunir et à mettre en regard dans une espèce de tableau les résultats acquis.

739. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Préface. de. la premiere édition. » pp. 1-22

Les Esprits qui ne jugent que par des impulsions étrangeres, qui n’estiment que sur parole, qui se laissent entraîner par la multitude, les ont regardés jusqu’à présent comme des Lumieres, des Génies, des Bienfaiteurs ; nous, qui les avons lus, connus & approfondis, nous les mettons à leur place, & faisons disparoître les trophées que l’inconsidération & la surprise avoient érigés en leur honneur. […] Ce sont des Philosophes qui ont mis Lucain au dessus de Virgile, Despréaux au dessous de Quinault, la Motte à côté de Rousseau, Voltaire au dessus de Corneille & de Racine, Perrault, Boindin & Terrasson au dessus de tous les Ecrivains du siecle dernier. […] Il seroit facile de donner plus d’étendue à ce tableau, mais tous les travers philosophiques & littéraires seront suffisamment mis au jour dans le cours de l’Ouvrage que nous publions.   Si nous nous étions aveuglés sur les suites de cette entreprise, nous aurions oublié ce que l’expérience nous a mis cent fois sous les yeux. […] Nous connoissons personnellement peu des Auteurs auxquels nous donnons des éloges, nous en connoissons encore moins de ceux que nous avons censurés : le Public décidera lui-même, si nous mettons quelque différence dans notre maniere de nous expliquer sur les uns & sur les autres, sur les vivans ou sur les morts.

740. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 151-168

Il avoit ses raisons sans doute : Despréaux est en possession de la cime du Parnasse, d’où il donne encore des Loix, que les bons esprits n’oublieront jamais ; & il ne falloit rien moins qu’une Confédération, pour le chasser de son domaine & mettre à sa place le Chef de ces petits Conjurés. […] Et quoi de plus ridicule, que de reprocher à un Poëte satirique, didactique ou héroï-comique, de n’en avoir pas mis dans ses Ouvrages ? […] Juvenal & Perse en ont-ils mis dans leurs Satires ? […] Si on ose nous répéter encore qu’il manquoit de sentiment, nous dirons qu’il aima mieux le mettre dans ses actions que dans ses Ouvrages, & qu’il n’en est que plus estimable. […] Le Glorieux peut être mis à côté des bonnes Pieces de Moliere.

741. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Eugène Talbot » pp. 315-326

Seulement, il n’aurait traduit Hérodote qu’à la condition de mettre à ses pieds la langue de son temps et de se servir de cette langue du seizième siècle, qu’il savait parler de par la force de l’esprit gaulois qui était en lui, tandis qu’au seizième siècle, sans exception, tous pouvaient, sans être des La Fontaine, traduire avec succès l’historien grec, comme Pa fait Amyot en divers passages et Pierre Saliat intégralement. […] Laissons-lui dire qu’avant Descartes et Pascal la langue française n’était pas fixée, comme si la langue fluviale de Rabelais ne valait pas le petit bassin d’eau filtrée sur lequel Racine mettait à îlot et faisait manœuvrer les petites galères d’ivoire de ses tragédies… Pascal, qui est un des fïxeurs de la langue française, pour parler l’incroyable jargon des pédants traditionnels et officiels, Pascal lui-même imite Montaigne, et c’est en réunissant la langue de Montaigne à son âme à lui, à cette âme si épouvantablement passionnée, qu’il fut ce miracle… ou ce monstre, qu’on appelle Pascal ! […] Quel est celui qui, oyant : Dieu a mis cela en ma pensée et Dieu l’a mis entre mes mains ! […] Dans ce temps de critique pointilleuse où l’histoire, cette riche draperie, s’effiloche sous le travail des ronge-mailles qui fendent en quatre chaque fil dont elle est faite, ce sera une originalité et un contraste qui auront leur ragoût, que cette vieille et toujours jeune histoire d’Hérodote contrastant, par le respect des traditions et le sentiment des choses divines, avec nos histoires contemporaines, qui mettent Dieu sous la remise et qui sont, elles, si jeunes et cependant si vieilles déjà !

742. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Francis Wey » pp. 229-241

Du moins, il n’y est pas assez et comme il eût fallu l’y mettre, car il fallait l’y mettre beaucoup ! […] et non pas étrangère, et dans un livre très amusant, et svelte à étonner, sur la langue et la littérature françaises, il mit des idées sous des mots, comme tant d’autres ne mettent que des mots sur des idées. […] Je l’aime, cet auteur, quoique je ne pense pas toujours comme lui, et j’aime son livre pour les choses nouvelles et vraies qu’il y a mises, et quoiqu’il y ait quelques erreurs.

743. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIV. Vaublanc. Mémoires et Souvenirs » pp. 311-322

Ce sont les Premiers de l’Histoire, ce sont les génies, les grands hommes, les indiscutables grands hommes, ceux qui ont mis, sur les affaires de ce monde, une main dont l’empreinte est restée. […] Enfin, sous la Restauration, il ne fut pas mis à la ration ordinaire des ingratitudes : on le fit ministre de l’intérieur et ministre d’État. […] Pour qu’il soit dans la nature d’un homme, il faut combiner la réalité du point de vue que l’on embrasse et la force de volonté que l’on met à l’embrasser. […] III Et c’est pour cela précisément qu’il aurait été un homme politique de premier ordre et d’une efficacité réelle, si les circonstances l’avaient mis à sa place, qui n’était pas, croyez-le bien ! […] Il n’avait pas l’étendue d’esprit et la puissance abstraite qu’il faut à un grand historien pour juger la Révolution française ; mais les hommes vraiment faits pour gouverner, pour mettre la main à cette pâte qu’on appelle le gouvernement, les ont-ils ?

744. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le docteur Revelière » pp. 381-394

Il n’avait à se venger de rien devant la postérité… Il dédaigna même de tendre son livre à ses contemporains comme une sébile dans laquelle ils pussent mettre leur sou de gloire. […] Dans son énorme livre, dont l’énormité est une raison de plus ajoutée à tant d’autres pour ne pas être lu par les superficiels de cet âge d’ignorance frivole ; dans ce livre qui est tout à la fois une histoire et une théorie, il a mis en présence la Monarchie et la Révolution comme elles n’y avaient, je crois, été mises jamais, du moins avec cette largeur de vue historique, cette prodigieuse abondance de détails, cette implacable impartialité… Beau, mais désespérant spectacle ! […] Il n’y avait que des Frances flottantes, qui se déchiraient, qui se mettaient en pièces à chaque règne… Mais à partir de Hugues Capet, la Monarchie, la vraie Monarchie est instituée. […] En déterminant ainsi l’origine de la Monarchie française, il la met dans l’Histoire et pas plus haut qu’elle.

745. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Chastel, Doisy, Mézières »

En 1849, quand la Révolution, pour un instant souveraine, tenait presque dans les idées une aussi grande place que dans le gouvernement, l’Académie française mit au concours la question de l’influence de la charité chrétienne sur le monde romain. […] Avisée comme un vieux diplomate et prudente comme un vieux médecin, l’Académie ne se compromettait point par un démenti direct donné aux idées contemporaines qu’elle eût fait affoler davantage, et elle n’en mettait pas moins tout doucement les compresses de glace de l’Histoire sur la tête de la Philosophie, pour la guérir de la fièvre cérébrale qui la dévorait. […] Encore une fois, tel fut alors le mérite de l’Académie, et nous voulons le reconnaître, car il y a un autre mérite que nous lui aurions souhaité et qui lui manqua… Après cet éclair de bon sens, rare à l’époque où il brilla, et qui lui fit mettre au concours une question historique dont elle discernait très bien la portée, elle retomba bientôt sous la paralysie des préjugés ambiants et l’empire de cette philosophie dont elle repoussait les dernières conséquences, il est vrai, mais dont elle acceptait les premières, comme si la roue de l’inflexible logique, une fois en branle, s’arrêtait ! […] Chastel passe de cette merveilleuse histoire, qui met toutes les notions du progrès en arrière de nous et non pas en avant, aux applications contemporaines, et c’est alors que le rationaliste moderne, ce double-fond du protestant, commence de montrer cette longue oreille que la dépouille lumineuse de ces lions de sainteté et de doctrine, les Chrysostôme, les Basile, les Pacôme, ne saurait entièrement cacher. […] Chastel dans les généralités historiques qui ne touchent pas le sol embrasé, le sol volcanisé que nous sentons frémir sous nos pieds… Lui, le catholique, qui n’a pas de liaison d’idées avec l’ennemi, qui ne met point, plus ou moins, sa main dans la sienne, est discret, agressif, incompatible avec les doctrines socialistes contemporaines, et il ajoute souvent un trait à tous ceux qui les ont percées de toutes parts.

746. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gérard de Nerval  »

Cela met du romanesque dans une gloire qui n’est elle-même qu’un roman. […] Gérard de Nerval, le rêveur, put se mettre, dans la réalité toujours, à la chasse de son rêve, ce qui n’est permis qu’aux heureux. […] Il y a du roman, des voyages, presque de l’histoire, de la biographie, de la critique, de la correspondance… C’est assez de sujets et d’espace pour mettre beaucoup de talent, si véritablement on en a. […] Tout ce qui est de regard et de récit dans ce Voyage d’Orient est à étonner de bon sens, de bonne humeur et de bon ton, toutes choses rares dans l’école romantique ; et s’il s’y rencontre des parties inférieures, ce sont les pages que l’auteur a voulu faire poétiques, comme la légende de la Reine de Saba, qu’il prétend avoir entendu raconter par un conteur de café, en Egypte, et que, pour cette raison, je ne mettrai point à sa charge. […] Si vous les mettez à côté l’un de l’autre, certainement Gérard de Nerval ne va pas à l’épaule de Custine ; mais, enfin, il a, pour sa part, des qualités de voyageur, et les qualités les plus inattendues, celles-là qu’on n’aurait jamais soupçonnées dans ce rêveur.

747. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice Bouchor »

Ce n’est encore qu’une étincelle, mais elle peut devenir un incendie, et, un jour, mettre tout à feu dans les imaginations et dans les cœurs ! […] Mettons qu’il soit athée dans sa vie, — mettons ! […] Avant ce poème, nous connaissions, parmi les poètes, des sceptiques, ramassés dans les plaisanteries de Voltaire et que ces plaisanteries ne persuadaient pas, comme le pauvre Alfred de Musset, par exemple, trempé aussi trop avant dans le baptême pour être perméable aux eaux de ce Styx de l’impiété qui met un calus sur les âmes ! […] Maurice Bouchor a pu mettre le pied sur le tombeau de Faust, mais que ce soit pour s’élancer plus haut, — dans quelque conception hardie et nouvelle, qui nous prouve qu’il a poitrine d’aigle et qu’il peut respirer à l’aise dans un éther où personne n’a encore respiré !

748. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Auguste de Chatillon. À la Grand’Pinte ! »

Théophile Gautier, dans une préface, mettre la main, — une main presque protectrice, — sur l’épaule du poète inconnu encore, comme si c’était l’un des siens ; et au contraire, M. de Châtillon est un Intime, et sous les descriptions dont il se surcharge, un Idéaliste, un Immatériel ! C’est un sentimental et un sentimental discret, et si discret qu’il oublie de mettre son nom à son épitaphe, car c’est son épitaphe que celle-ci, qui n’est celle de personne dans son recueil, et dans laquelle on rencontre de ces traits, révélation d’une muette destinée : Arrête-toi, passant. […] Jusqu’ici ce n’est que du comique ; seulement c’est du comique avec des nuances délicieuses d’humour contenue : mais voici le vrai Châtillon, voici la Bonté qui met les larmes aux yeux à l’Ironie : Du moins, je ne perds pas courage. […] Et c’est difficile, car c’est le poids du siècle, et le génie seul est assez robuste pour pouvoir rejeter ce fardeau… Dans tout poète, il y a deux choses : ce que Dieu y a mis et ce que le monde, dont nous faisons partie, y ajoute. […] méconnaît tout à coup le génie de l’Églogue, et ne fait plus que la bucolique utilitaire et bourgeoise des civilisations progressives qui mettent la ville à la campagne.

749. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Viviane mit un doigt sur sa bouche. […] C’est dans la bouche de ce Ciacco que notre poëte met une première satire de ses concitoyens à laquelle il reviendra. […] Cela est beau ; mais pourtant, mettre Caton dans le purgatoire, c’est y mettre en quelque sorte l’apologie du suicide, ce qui n’est guère catholique. […] Dante met cette théorie dans la bouche de Charles Martel. […] Et il oublie de mettre, dans l’astre de Jupiter, son prêtre fervent, Julien ?

750. (1874) Premiers lundis. Tome I « M.A. Thiers : Histoire de la Révolution française Ve et VIe volumes — I »

« Il fallait à la fois, dit l’historien, mettre la population debout, la pourvoir d’armes, et fournir, par une nouvelle mesure financière, à la dépense de ce grand déplacement ; il fallait mettre en rapport le papier-monnaie avec le prix des subsistances et des denrées ; il fallait disposer les armées, les généraux, convenablement à chaque théâtre de la guerre, et enfin satisfaire la colère révolutionnaire par de grandes et terribles exécutions. » De là, d’abord, la levée en masse, la mise en disponibilité de la population entière, et cet inépuisable fond d’armée nationale, dans laquelle se recrutaient les autres ; armée majestueuse, solennelle, échelonnée par rang d’âge et mise en ordre de bataille par générations.

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