/ 1701
173. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Conclusion »

Même nous avons refusé de ramener cette immatérialité sui generis qui les caractérise à celle, déjà complexe pourtant, des phénomènes psychologiques ; à plus forte raison nous sommes-nous interdit de la résorber, à la suite de l’école italienne, dans les propriétés générales de la matière organisée86. […] Car elle n’a de raison d’être que si elle a pour matière un ordre de faits que n’étudient pas les autres sciences.

174. (1912) L’art de lire « Chapitre VII. Les mauvais auteurs »

Le métier qu’a fait Boileau ne se justifie que quand il s’agit d’un mauvais auteur qui jouit de la faveur générale, et par conséquent d’une funeste erreur publique à rectifier ; mais attaquer Pinchène et Bonnecorse, c’est s’accuser soi-même ; car c’est avouer qu’on les a lus, et qui vous forçait à les lire si ce n’est le désir d’y trouver matière à des épigrammes ? […] Et il semble ne lire que pour renouveler la matière épuisée de ses épigrammes.

175. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Parmi les saints, il ne pratique guère que les mystiques, et ne s’autorise, dans leurs livres, que des doctrines que la sainteté des auteurs ou l’obscurité de la matière a protégées contre les suspicions de l’Église établie. […] Bossuet s’était occupé, lui aussi, des matières politiques ; mais on sait avec quelle admirable mesure. […] Ce devait être la matière de règlements ultérieurs, compris dans son plan sous ce titre : Lois somptuaires pour toutes les conditions : car comment faire des lois somptuaires sans toucher aux habits ? […] Bossuet a un autre avantage en tout ce qui regarde cette matière si délicate de la direction : il s’y borne à des prescriptions générales et sommaires, à ce qu’un esprit d’une capacité ordinaire peut oublier ou ne pas voir. […] Le duc de Bourgogne était devenu théologien, témoin le mémoire qu’il avait écrit sur ces matières, et que fit publier Louis XIV après sa mort, pour démentir le bruit, répandu par les jansénistes, que le dauphin était bien disposé pour eux.

176. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

Le corps, composé de matières, n’est pas libre ; l’âme est coupable parce qu’elle est libre. » Quel traité de Fénelon ou de Nicole traite de morale en termes plus chrétiens ? […] D’autres eussent voulu savoir ce que je crois précisément sur chaque matière. […] Quand j’aurai joint à ces deux livres, selon mon dessein, un traité du Destin, n’aurai-je pas épuisé la matière ? […] On conçoit que, de tous les hommes qui écrivirent jamais sur de pareilles matières, Cicéron fut à la fois le plus compétent, le plus éloquent et le plus moral. […] » Qu’on s’étonne et qu’on se scandalise après cela de ce que les écrivains modernes mêlent le souvenir de leur pays aux plus graves matières de leurs écrits !

177. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

Il nous dit : La matière existe. […] Ou il faut nier tous nos sens et nous suicider mentalement nous-même, ou il faut confesser que la matière existe. Mais il existe autre chose que la matière ; cela est d’un autre ordre d’évidence, mais cela est tout aussi évident. […] Une destinée sur la terre, qui commence à sa naissance et qui finit à sa dernière respiration, à sa petite place sur ce petit atome en mouvement qu’on appelle le globe, destinée toute correspondante à cette matière dont nos sens, empruntés pour quelques jours à la terre, sont formés. […] Sans ce monde de l’esprit superposé au monde de la matière, l’imagination ou la piété de l’homme n’est pas satisfaite.

178. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — I. Faculté des arts. Premier cours d’études. » pp. 453-488

C’est à ces modèles que l’enfant comparera dans la suite tous ceux qu’on lui fera, et dont il aura à apprécier la force ou la faiblesse, en quelque matière que ce soit. […] En quelque matière que ce soit, si l’on a porté la conviction jusqu’à un certain point, on s’écrie : Cela est démontré géométriquement. […] La science des probabilités a lieu jusque dans les matières de législation. […] J’ai traité la matière des belles-lettres avec un peu plus d’étendue que les autres parce que c’est la mienne et que je la connais mieux. […] Le feu, toujours entretenu, devait produire une circulation incessante de la matière en expérience.

179. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

Ce qu’après une pareille entrée en matière l’imagination était impatiente de connaître, c’était le poète d’Eureka et du Corbeau, et il n’est pas dans ces Histoires ! […] On ne trouve que de la matière malade, anormale, désaccordée. […] À la matière morte il demande mieux qu’elle, à ses lois qu’il borne une espèce de magie noire ou blanche qui les expliquent. […] Edgar Poe applique ce quelque chose qu’on peut nommer l’impatience dans la curiosité, le procédé du travail en matière d’horlogerie. […] Edgar Poe, ce génie du rêve, n’était assurément pas fait pour la terre épaisse de la brutale réalité, de l’industrie prospère et de la matière triomphante.

180. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. (Suite et fin.) »

« Pour moi, disait Vaugelas, je révère la vénérable Antiquité et les sentiments des doctes ; mais, d’autre part, je ne puis que je ne me rende à cette raison invincible, qui veut que chaque langue soit maîtresse chez soi, surtout dans un empire florissant et une monarchie prédominante et auguste comme est celle de France. » Vaugelas, bien d’accord en cela avec lui-même, pensait que « la plus grande de toutes les erreurs, en matière d’écrire, était de croire, comme faisaient plusieurs, qu’il ne faut pas écrire comme l’on parle. » Il est vrai que cette maxime d’écrire comme l’on parle doit être entendue sainement, selon lui, et moyennant quelque explication délicate. […] Il était systématiquement sceptique, sauf dans les matières de foi qu’il réservait par prudence et pour la forme, refusant la certitude à l’esprit humain par toute autre voie. […] Il les dirait presque avec la même matière ; mais de quelle manière différente, de quel tour, et avec quelle vivacité de plus ! […] D’abord il semble que la matière, non-seulement n’est pas fort importante, mais qu’elle est tout à fait inutile et indigne d’un homme de votre âge, de votre condition, et, ce qui est plus considérable, de votre vertu et de votre esprit… » Et Godeau, faisant l’agréable, continue sur ce ton pendant une douzaine de pages, comme s’il avait pris à tâche de résumer toutes les objections des La Mothe-Le-Vayer et autres, et de rassembler tout ce qu’on avait pu adresser de critiques justes ou injustes à Vaugelas sur le peu de raison et de philosophie de sa méthode, sur le peu de solidité et de gravité de son livre ; puis, tout à la fin de la douzième ou treizième page, tournant court tout à coup et comme pirouettant sur le talon, il ajoute : « Mais, Monsieur, c’est assez me jouer et parler contre mes sentiments. […] Chacun connaît Génin, qui n’a même eu qu’en ces sortes de matières grammaticales tout son mérite et son agrément.

181. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

Est-il vrai que le jour même de son arrivée, ayant suivi la foule qui allait assister à une thèse sur la botanique médicale, son mécontentement de la médiocrité des tenants se manifesta par des mouvements si expressifs et si étranges, qu’il fut invité par le doyen à entrer dans l’enceinte et à donner son avis, et que prenant la parole, après s’être excusé de son audace, il traita de la matière avec tant d’esprit et de savoir, qu’il fut dispensé des épreuves du baccalauréat ? […] Ensuite, la variété du génie grec, son enjouement dans les matières sérieuses, sa hardiesse spéculative, sa netteté et sa précision dans les sciences, s’ajustaient mieux à l’esprit de Rabelais que la sévérité du latin, outre que le latin était la langue de la discipline et des interdictions. […] Hippocrate et Galien l’intéressaient à la matière, et lui persuadaient peut-être qu’il n’y a rien au-delà. […] Tant de savoir dans des ordres d’idées si divers, tant de langues mêlées ensemble, tout cet amalgame de l’ancien et du moderne, de la matière et de l’esprit, de l’universel et du particulier, produisit dans cette tête vaste et active une sorte de fermentation d’où naquit cet ouvrage extraordinaire, dans lequel l’érudition est une ivresse, et le génie une débauche d’esprit. […] Qu’est-ce autre chose que cet esprit français déjà antique, dont nous avons vu les traits dans Jean de Meung, dans les Fabliaux, dans Villon, et, au commencement de ce siècle, dans Marot ; esprit vivace comme le sol, qui recevra la forte éducation de l’antiquité sans perdre de son naturel et de son air gaulois, et qui se perfectionnera avec les mœurs, son objet et sa matière ?

182. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Mais il faut bien avouer qu’ici la matière ouverte à ses censures n’est que trop abondante. […] Il importe, en effet, que la matière employée se prête à une extrême dilatation. […] Ils poussent à la colonne, allongent, étendent autant que la matière est flexible, et n’y mettant pas d’amour-propre d’auteur, ne se relisent presque jamais. […] Decourcelle, Maël, Georges Pradel, Pierre Salles et tutti quanti, qui doivent être — au moins, je me l’imagine ainsi — des mieux informés en pareilles matières. […] Et maintenant, mon cher Confrère, j’estime que, en cette matière, les théories sont sans valeur et que, seul, l’effort individuel peut être efficace.

183. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Les réflexions qu’elle m’a suggérées seront la matière de cet écrit. […] Or, dans les matières de goût et de belles-lettres, elle ne consiste que dans une espèce d’estime, toujours un peu arbitraire, sinon dans la totalité, du moins dans une certaine portion que la négligence, les passions, ou le caprice se donnent la liberté de resserrer ou d’étendre. […] Je ne quitterai point cette matière sans faire aussi quelques réflexions sur les causes de l’empressement que nous affectons pour les étrangers. […] Essayons d’envisager cette importante matière sous un point de vue philosophique. […] Que de choses il y aurait à dire sur cette importante matière !

184. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Une petite guerre sur la tombe de Voitture, (pour faire suite à l’article précédent) » pp. 210-230

Dès que sa goutte était passée, son cerveau lui paraissait, dit-on, plus dégagé qu’auparavant, son imagination plus nette et plus pure ; il se sentait alors plus en train d’étudier, et singulièrement démangé de l’envie de produire et de mettre en œuvre toutes les belles matières qu’il avait amassées. […] Costar qui en est l’auteur, il me sembla qu’en pareille matière je n’avais rien vu de si bien écrit, de si judicieux, de si élégant, ni de si fleuri. […] Il y en avait, selon lui, de tout à fait frivoles où l’on ne trouvait que des mots et un vide complet de matière et de fond. […] Girac exposait le procédé de l’archidiacre qui avait eu l’air de se piquer, au nom de tous les amis de Voiture, d’une dissertation ignorée qu’il avait été le premier à divulguer et à faire connaître : « Avouez le vrai, lui disait Girac, c’est que vous aviez besoin de matière pour exercer votre bel esprit, fût-ce aux dépens de vos meilleurs amis, et pour ne pas perdre tant de bons mots que vous gardiez dans vos recueils. » Observant la méthode que lui avait tracée Costar, Girac repassait en revue la plupart des assertions de l’adversaire ; il revenait par conséquent sur les défauts de Voiture et insistait particulièrement sur le peu de solidité de ce bel esprit en matière de science.

185. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Ce père, simple artisan, était, au dire de son fils, un homme de grand sens et d’un esprit solide, bon juge en toute matière d’intérêt privé ou général qui demandait de la prudence. […] Il aimait les disputes sur ces matières et y aiguisait sa subtilité dialectique ; mais il s’efforça peu à peu de s’en corriger. […] Dans la première partie de sa vie, bien qu’il paraisse plein d’inventions et un grand promoteur en toute matière d’utilité publique, Franklin ne l’est jamais que dans la mesure immédiate qui est applicable ; il ne sort point du cadre ; il est avant tout pratique. […] Quant aux apologues et aux contes, c’était une forme habituelle chez Franklin ; tout lui fournissait matière ou prétexte.

186. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre I. La demi-relativité »

Seuls, des signaux lancés à travers l’éther répondent à cette exigence : toute transmission par la matière pondérable dépend de l’état de cette matière et des mille circonstances qui le modifient à chaque instant. […] Voilà du moins pour ce qui concerne la matière pondérable, celle que j’entraîne avec moi dans le mouvement de mon système : des changements profonds se sont accomplis dans les relations temporelles et spatiales que ses parties entretiennent entre elles, mais je ne m’en aperçois pas et je n’ai pas à m’en apercevoir. […] Quittons en effet la matière pondérable.

187. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « [Addenda] »

Les modernes sont moins indulgents, et l’on flétrit aujourd’hui d’un nom très peu littéraire ces frauduleux pastiches en matière historique, qui, une fois mis en circulation, et quand ils rencontrent leur homme, atteignent souvent à une valeur vénale fort élevée. […] Il ne m’a été répondu à cette question que très vaguement : « Vous vous êtes étonné que je ne donnasse pas telle ou telle lettre donnée déjà par M. d’Hunolstein ; mais il faut être prudent en semblable matière avec notre législation.

188. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre III. Buffon »

Buffon n’est à l’aise que dans les grandes vues d’ensemble, les hypothèses sur la structure du monde, sur l’organisation graduelle et les transformations successives de la matière inanimée ou vivante. […] Il lui suffit qu’il y ait eu à un moment donné de la matière : quels changements relient à l’état actuel le plus ancien état où puissent remonter l’observation et l’hypothèse, voilà l’objet des recherches de Buffon.

189. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre VI. Suite des Moralistes. »

Les métaphysiciens parlent de cette pensée abstraite, qui n’a aucune propriété de la matière, qui touche à tout sans se déplacer, qui vit d’elle-même, qui ne peut périr, parce qu’elle est indivisible, et qui prouve péremptoirement l’immortalité de l’âme : cette définition de la pensée semble avoir été suggérée aux métaphysiciens par les écrits de Pascal. […] Si Dieu ne lui a pas permis d’exécuter son dessein, c’est qu’apparemment il n’est pas bon que certains doutes sur la foi soient éclaircis, afin qu’il reste matière à ces tentations et à ces épreuves, qui font les saints et les martyrs.

190. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

Si, à cause de cette hypothèse, que l’homme est composé de matière et d’esprit, on se refuse à admettre qu’il soit tout entier le produit du milieu où il respire (aussi bien la matière, ce semble, ne saurait produire l’esprit), du moins on ne peut contester que l’homme prend toujours quelque chose du milieu dans lequel il vit. […] Il vit dans une religion défaillante une matière à poésie : témoignage irrespectueux, au fond, et compromettant. […] Ainsi, la coloration rosée des Bourguignons tient à la couleur de leur vin ; c’est le thé qui jaunit l’épiderme du Chinois ; la matière colorante de la bière est aussi celle des teints du Nord, à la Rubens et à la Jordaens ; celle du maïs allume la peau rouge de l’Américain. […] Boissons, matière nutritive extraite des aliments, médicaments, tout passe par le sang, pour être incorporé à l’organisme ou agir sur lui d’une façon ou d’une autre. […] La critique naturelle n’exclut ni la psychologie, ni la morale, — à moins qu’on ne prétende que l’âme et la raison sont hors de la nature, comme si la nature n’était que matière !

191. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « L’abbé Prevost et les bénédictins. »

On pourroit faire revivre les Provinciales : il est injuste que les Jésuites en fournissent toujours la matière, et vous jugeriez si je réussis dans ce style-là. […] Il rappelle aux supérieurs de la Congrégation leur faiblesse dans l’affaire de la Constitution Unigenitus : « Vous avez reçu si respectueusement la Constitution, que je ne saurois douter que vous ne receviez de même un bref qui vient de la même source. » Il ne craint pas de montrer le bout de l’escopette, de laisser entrevoir au besoin, si on l’y force, toute une série de Provinciales nouvelles, déjà en embuscade, et prêtes à faire feu sur les rangs de la Congrégation : « Il est injuste, dit-il, que les Jésuites en fournissent toujours la matière. » Prevost a du faible pour les Jésuites, quoiqu’il les ait deux fois quittés. […] Il a de l’esprit infiniment, et surtout cet esprit de développement si nécessaire dans les matières métaphysiques.

192. (1936) Réflexions sur la littérature « 1. Une thèse sur le symbolisme » pp. 7-17

Son évolution poétique, des Poèmes saturniens jusqu’à l’instrument faussé et à la voix disloquée de ses derniers recueils, eût pourtant fourni matière à une étude intéressante. […] Le symbolisme a vécu sur une matière de sentiment et de pensée qui est presque toute dans Baudelaire. […] Si la poésie née du symbolisme donne les fruits que nous devons en attendre encore, si un théâtre de poésie neuve forme l’oreille du public, si les essais critiques qui se poursuivent actuellement sur l’essence et le rythme du vers français continuent eux aussi à assurer et à affiner le sens poétique, jamais plus riche matière n’aura été offerte à l’exercice du goût conscient et aux délicatesses de l’analyse.

193. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

La nuit, c’est l’ignorance, le mal, la matière, tout ce qui voile Dieu, tout ce qui semble en dehors de Dieu et contre Dieu, tout ce qui en paraît la négation. […] Au bas, c’est ce mystère le plus grand de tous : la matière, la « chose », Cet océan où l’être insondable repose. […] La mort, la douleur, le vice, le mal, la bestialité, la matière, la « grande ombre » sans bornes, « l’ombre athée », tout cela ne parle plus aux nerfs, mais à la pensée, qui cherche à pénétrer l’abîme et qui n’en a plus peur. […] L’idée, pour lui, pénètre la matière et en constitue la raison d’être… Son Dieu est l’abîme des gnostiques. » Cette interprétation ne fait pas honneur à l’exégèse de Renan. […] On sait que l’ombre, pour Hugo, c’est toujours la matière, sphère du mal, devant laquelle la pensée de l’homme se fait « sombre » elle-même.

194. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

L’amour était un des ressorts de toutes les comédies ; il n’en était jamais le fond et la matière. […] L’âme pour lui est matière pensante, faculté donnée à la matière humaine pour se conduire, comme elle en a d’autres pour se développer et se soutenir. — Mais survit-elle à la matière qui se dissout ? […] Eh non, puisqu’elle n’est qu’une faculté d’une matière essentiellement périssable. […] L’histoire est le domaine et la matière de la volonté de quelques-uns. […] Chaque grande idée générale qui traverse le monde donne seulement matière à ce besoin impérieux de l’espèce.

195. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre premier. La perception extérieure et les idées dont se compose l’idée de corps » pp. 69-122

Mes sensations présentes sont généralement de peu d’importance et, de plus, fugitives ; au contraire, les possibilités sont permanentes, ce qui est le caractère par lequel notre notion de la matière ou de la substance se distingue principalement de notre notion de la sensation. — Ces possibilités, qui, avec une condition de plus, deviennent des certitudes30, ont besoin d’un nom spécial qui les distingue des possibilités pures, vagues, dont l’expérience n’a pas déterminé les conditions et sur lesquelles nous ne pouvons compter. […] Et comme ceci arrive tour à tour pour chacune d’elles, le groupe dans son ensemble se présente à l’esprit comme permanent et fait contraste non seulement avec le caractère temporaire de ma présence corporelle en cet endroit, mais encore avec le caractère temporaire de chacune des sensations qui composent le groupe ; en d’autres termes, il se présente à l’esprit comme une sorte de substratum permanent sous une série d’expériences ou manifestations temporaires, ce qui est un autre caractère essentiel par lequel notre idée de la substance ou matière se distingue de notre idée de la sensation. […] L’ensemble des sensations comme possibles forme ainsi un arrière-fond permanent à une quelconque ou à plusieurs des sensations qui, à un moment donné, sont actuelles, et les possibilités sont conçues comme étant, par rapport aux sensations actuelles, dans la relation d’une cause à ses effets, ou d’une étoffe aux figures qui sont peintes dessus, ou d’une racine à sa tige, à ses feuilles et à ses fleurs, ou d’un substratum à ce qui est étendu dessus, ou, en langage transcendantal, d’une matière à sa forme. […] « La matière peut donc être définie une Possibilité permanente de sensation… Nous croyons que nous percevons un quelque chose étroitement lié à nos sensations, mais différent de celles que nous éprouvons en cet instant particulier, et distinct des sensations en général, parce qu’il est permanent et toujours le même, pendant que celles-ci sont fugitives, variables et se déplacent l’une l’autre. […] Mais, comme la loi qui prédit cet événement sous telles conditions est générale et, partant, permanente, l’une et l’autre apparaissent comme permanentes et se trouvent ainsi érigées en substances, ce qui les oppose aux événements passagers et les classe à part. — À présent, sous le nom de forces, les possibilités permanentes se ramènent sans difficulté à ce que nous nommons matière et corps ; nous ne répugnons pas à admettre que le monde dans lequel nous sommes plongés soit un système de forces ; du moins telle est la conception des plus profonds physiciens.

196. (1898) Introduction aux études historiques pp. 17-281

., ont pris la peine d’exposer, dans des opuscules spéciaux, leurs pensées sur la matière. […] Mais, en ces matières, lorsqu’on est concis et clair, on paraît souvent superficiel. […] La précipitation est, en ces matières, une source d’erreurs sans nombre. […] Quel est donc, en ces matières, le criterium de l’utilité ? […] Et, par conséquent, quels principes doivent diriger le choix des matières et des procédés ?

197. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Non ; car il règne sur les termes synonymes matière, fond, substance, une équivoque qui contribue beaucoup à éterniser le débat. […] En outre, si ces images valent elles-mêmes quelque chose, leur valeur ne consiste pas uniquement dans la forme qu’elles représentent ; il faut qu’une matière plus ou moins précieuse y ait aussi sa part, et la matière les rend fragiles. […] L’esprit n’a pas d’autre matière à façonner que le langage ; il fut un temps où les poèmes n’étaient pas même écrits et où la mémoire suffisait pour les conserver. […] Mais l’esprit de bataille et d’aventure est toujours de saison et partout il trouve une matière pour s’exercer. […] Matière d’érudition !

198. (1930) Physiologie de la critique pp. 7-243

Si vous n’aidez pas à naître, à se manifester toute la riche matière du présent, ce présent risquera de sécher en partie dans sa graine. […] D’abord, en matière d’éloquence et de théâtre, la critique n’a plus le droit de faire un tri. […] À partir de ce jour se pose la question du moderne, celle dont nous disputons aujourd’hui tout aussi bien en matière d’enseignement qu’en matière d’art. […] Ce qui fait matière proprement critique, c’est l’explication de l’œuvre d’art. […] Mais, d’autre part, en matière littéraire le jugement à lui seul ne fonde rien.

199. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

Mais, quelque frivole que vous paraisse la matière, vous y trouverez cependant, en l’examinant bien, un symptôme déplorable. […] Je suis, à moi tout seul, toute la matière. » Mais je lui réponds : « Caput mortuum, tais-toi ! […] plus la matière est, en apparence, positive et solide, et plus la besogne de l’imagination est subtile et laborieuse. […] Si La Bruyère eût été privé d’imagination, aurait-il pu composer ses Caractères, dont cependant la matière, si évidente, s’offrait si complaisamment à lui ? […] Ici, plus qu’en toute autre matière, le beau s’imprime dans la mémoire d’une manière indélébile.

200. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — I. » pp. 88-109

La matière médicale était devenue un cloaque d’abus, et il fallait purger cette officine d’Augias. […] On tenta et on opéra alors une simplification analogue dans la médecine ; on poursuivit la scolastique dans la pharmacopée et la matière médicale. […] Mais, en même temps, Gui Patin n’était pas d’avis qu’on traduisît Hippocrate : « Si j’avais du crédit, je l’empêcherais. » Il craignait que cela ne fournît texte et matière à faire habiller les charlatans et les singes du métier. […] Mais Renaudot n’était pas facile à émouvoir sur ce point ; il croyait à l’utilité de ses diverses innovations et de ses établissements, à celle de sa Gazette entre autres, et il s’en faisait gloire : Mon introduction des Gazettes en France, écrivait-il en 1641, contre lesquelles l’ignorance et l’orgueil, vos qualités inséparables, vous font user de plus de mépris, est une des inventions de laquelle j’aurais plus de sujet de me glorifier si j’étais capable de quelque vanité… ; et ma modestie est désormais plus empêchée à récuser l’applaudissement presque universel de ceux qui s’étonnent que mon style ait pu suffire à tant écrire à tout le monde déjà par l’espace de dix ans, le plus souvent du soir au matin, et des matières si différentes et si épineuses comme est l’histoire de ce qui se passe au même temps que je l’écris, que je n’ai été autrefois en peine de me défendre du blâme auquel toutes les nouveautés sont sujettes.

201. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

Voici que maintenant paraît une littérature bourgeoise : non moins ancienne en sa matière, et parfois plus ancienne, que la littérature aristocratique, elle prend forme plus tardivement, parce qu’il fallait que la bourgeoisie prît de l’importance et s’enrichit, pour que les trouvères trouvassent honneur et profit à rimer les contes qui la divertissaient. […] d’où en vient la matière ? […] Mais ils prenaient surtout leur matière à la tradition orale du peuple, et c’est de là que vient la meilleure partie des poèmes de Renart. […] Œuvre bourgeoise, on devine ce que lui fournira la matière de la parodie : la noblesse et l’Église.

202. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVIII. Formule générale et tableau d’une époque » pp. 463-482

En matière religieuse, la littérature est soumise à l’Eglise catholique. […] Cependant sous cette immobilité voulue, sous ce règne paisible de l’ordre et de la discipline, contre lesquels Molière et La Fontaine sont à peu près les seuls à regimber parfois, le mouvement de la vie continue quand même ; la monarchie de droit divin est à son apogée ; mais l’apogée est toujours voisin du déclin ; l’Eglise catholique, son alliée, a infligé une cruelle défaite à ses adversaires ; mais toutes deux, par l’excès même de leur tyrannie, provoquent le réveil de l’esprit de liberté ; en matière littéraire aussi, quoique le joug y soit moins lourd à porter, l’époque suivante verra déjà des essais, tout au moins des velléités d’émancipation. […] D’une part, très chrétiennement, il distingue de façon radicale la substance pensante et la substance étendue, l’esprit et la matière. […] Je reviens donc à ce qui est encore matière à science dans le vaste domaine que je suis bien près d’avoir achevé de parcourir.

203. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Huet, évêque d’Avranches, par M. Christian Bartholmèss. (1850.) » pp. 163-186

Bartholmèss est un écrivain non seulement très instruit, mais élégant, facile, spirituel, qui traite des matières et des personnages philosophiques sans effort, sans ennui, et qui sait même y répandre de l’intérêt, un certain coloris animé et comme affectueux. […] Chapelain, le Chapelain tant moqué de Boileau, tant estimé de Huet, et qui était, somme toute, et sur bien des matières, un sensé et savant homme11, écrivait sérieusement à ce même Huet, à propos d’une ode et d’une épître latines de celui-ci : « C’est dommage que notre cour ne soit aussi fine dans la bonne latinité que celle d’Auguste, vous y tiendriez la place d’Horace, non seulement pour le génie lyrique, mais encore pour l’épistolaire !  […] Il en exceptait les détails de l’histoire, c’est une matière sans bornes ; mais, à cela près, il y mettait absolument toutes les sciences, tous les beaux-arts. […] Pourtant, il est certainement l’un de ces hommes à propos de qui il serait permis, à certains jours, de s’adresser cette question : « Qui peut dire et savoir ce qu’arrive à penser, sur toute matière religieuse et sociale, un homme de plus de quarante ans, prudent, et qui vit dans un siècle et dans une société où tout fait une loi de cette prudence ? 

204. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

Mlle Madeleine de Scudéry était bien autrement sensée que son frère ; la part de la Normandie, si j’ose dire, était bien plus apparente en elle : elle raisonne, elle discute, elle plaide en matière d’esprit comme le plus habile procureur et chicaneur. […] Tout apprendre, tout savoir, depuis les propriétés des simples et la confection des confitures, jusqu’à l’anatomie du cœur humain, être de bonne heure sur le pied d’une perfection et d’une merveille, tirer de tout ce qui passe dans la société matière à roman, à portrait, à dissertation morale, à compliment et à leçon, unir un fonds de pédantisme à une extrême finesse d’observation et à un parfait usage du monde, ce sont des traits qui leur sont assez communs à toutes les deux ; les différences pourtant ne sont pas moins essentielles à noter. […] Sa conclusion, qu’elle ne donne encore qu’avec réserve (car en telle matière qui touche la diversité des esprits, il ne saurait y avoir de loi universelle), sa conclusion, dis-je, est qu’en demandant plus de savoir aux femmes qu’elles n’en ont, elle ne veut pourtant jamais qu’elles agissent ni qu’elles parlent en savantes : Je veux donc bien qu’on puisse dire d’une personne de mon sexe qu’elle sait cent choses dont elle ne se vante pas, qu’elle a l’esprit fort éclairé, qu’elle connaît finement les beaux ouvrages, qu’elle parle bien, qu’elle écrit juste et qu’elle sait le monde ; mais je ne veux pas qu’on puisse dire d’elle : C’est une femme savante ; car ces deux caractères sont si différents, qu’ils ne se ressemblent même point. […] Elle est l’écho fidèle de l’hôtel de Condé en telle matière, comme en matière de goût elle était l’écho de l’hôtel Rambouillet, M. 

205. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Plan, d’une université, pour, le gouvernement de Russie » pp. 433-452

Pour satisfaire aux ordres de Sa Majesté et répondre aussi bien que je le pouvais à la confiance dont elle m’honore, j’ai commencé par m’instruire de ce que les hommes les plus éclairés de ma nation ont, autrefois ou récemment, publié sur cette matière. […] il ne saurait que répondre à cette question, qui embarrasserait peut-être le maître ; que, sous le nom de métaphysique, on agite sur la durée, l’espace, l’être en général, la possibilité, l’essence, l’existence, la distinction des deux substances, des thèses aussi frivoles qu’épineuses, les premiers éléments du scepticisme et du fanatisme, le germe de la malheureuse facilité de répondre à tout, et de la confiance plus malheureuse encore qu’on a répondu à des difficultés formidables avec quelques mots indéfinis et indéfinissables sans les trouver vides de sens ; que, sous le nom de physique, on s’épuise en disputes sur les éléments de la matière et les systèmes du monde ; pas un mot d’histoire naturelle, pas un mot de bonne chimie, très-peu de choses sur le mouvement et la chute des corps ; très-peu d’expériences, moins encore d’anatomie, rien de géographie. […] C’est les disposer tous à devenir avec le temps des hommes profonds : à moins qu’on ne soit mal né et doué de cette prétention impertinente qui brise le propos de l’homme, instruit ; qui se jette à tort et à travers sur toute sorte de matière ; qui dit : Vous parlez géométrie ? […] Je cède bien ridiculement à l’usage, et il faut que je sois étrangement subjugué par la routine pour supprimer l’école de l’agriculture et du commerce, les deux objets les plus importants de la société, l’art qui donne le pain, le vin, les aliments, qui fournit la matière première à toute industrie, à la consommation, aux échanges de citoyen à citoyen et aux échanges de société à société.

206. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres mises en ordre par M. J. Sabbatier. (Tome II, 1844.) » pp. 144-153

Il est fâcheux toutefois que des conditions qui se rapportent à des détails matériels, et qui touchent un peu à l’idolâtrie, l’aient emporté sur l’ordre véritable, sur les convenances naturelles ; on aurait peut-être dû (s’il est permis de blâmer l’excès du scrupule en telle matière) ne pas sacrifier l’esprit du livre à la lettre de l’exécution. […] Quand il conversait, ses souvenirs se reportaient involontairement à l’époque brillante à laquelle l’aiguille de sa montre, en quelque sorte, s’était arrêtée ; même en s’adressant au jeune homme d’hier, il lui échappait de dire, comme entrée en matière, avec un clin d’œil d’allusion : « C’était en 1811 ; M.

/ 1701