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2426. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre I. Shakespeare — Sa vie »

La rêverie, qui accepte volontiers les songes pour se proposer des énigmes, pouvait se demander à quels hommes avaient appartenu ces tibias de trois toises de haut. […] Le plus vieux était un de ces hommes qui, à un moment donné, sont de trop dans leur pays. […] Un homme chargé d’un fagot, suivi d’un chien et portant une lanterne, signifiait la lune ; sa lanterne figurait son clair. […] De gardeur de chevaux il devint pasteur d’hommes. […] Ces deux hommes ayant condamné Shakespeare, tout fut dit.

2427. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

Nul peuple n’a conçu ce genre de drame, dont l’action est toute morale, qui néglige tous les accidents secondaires de la vie, tous les événements extérieurs, toutes les formes changeantes de l’humanité, pour peindre l’homme en général et surtout l’homme aux prises avec lui-même dans ce grand combat de la passion et de la vertu. […] Dans l’une, l’homme est décrit tel qu’il doit être, dans l’autre tel qu’il est ; mais ni les passions ne sont absentes dans Corneille, ni la vertu dans Racine. […] Des personnages trop près de nous ne se prêtent pas à l’idéal, ce sont des hommes, ce n’est pas l’homme. […] Nisard, c’est del’humanité et non d’un homme en particulier. […] Nisard applique sans remords et sans scrupule à d’aussi grands hommes que lui.

2428. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

Des chefs de parti, des hommes mêlés aux factions de Florence, vainqueurs ou dans l’exil, chantaient les douleurs et les joies d’une passion qu’on pourrait souvent croire imaginaire, tant les expressions en sont discrètes jusqu’à l’obscurité. […] à vous les louanges ; à vous la gloire et les honneurs ; à vous doivent se reporter toutes les actions de grâces, et nul homme n’est digne de vous nommer. […] De ce contraste même entre le poëme et l’homme, entre les contemplations de la pensée religieuse et les épreuves de la vie soufferte, de ce contraste sort le pathétique humain qui se mêle à cet idéal. […] Elle flétrit Te vice, comme elle exaltait la vertu ; elle mit sur les actions des hommes le stigmate de la honte ou la lumière de la gloire, et fit elle-même, dans cette vie, les rétributions pénales qu’elle a décrites pour l’autre. […] La poésie du Dante alla plus loin : tel homme pervers, qu’elle avait désigné, n’osa se tuer, par effroi même des peintures du poëte, mais traîna la vie sous la damnation de ses remords, dans la solitude que lui faisait la juste horreur de ses concitoyens.

2429. (1909) De la poésie scientifique

Et surtout ils usèrent du silence, mais vraiment trop naïvement gros des hommes et des œuvres qu’ils voudraient taire ! […] C’est, d’autre part, par cette double loi, que sont régies la croissance et la décroissance de l’homme. […] … Philosophiquement, l’homme sera donc dans le sens universel en assumant le plus de science, d’où le plus de conscience de lui-même et de l’univers. […] Comme toute connaissance individuelle dépend aussi des connaissances ataviques, l’homme doit gratitude et amour au Passé qui le domine, le pénètre, le hante. […] Et, il se doit à l’Avenir  Donc, il doit tendre, si sa valeur morale est plus grande, à entraîner les autres hommes au partage de sa Connaissance.

2430. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. De la France en 1789 et de la France en 1830 »

A ceux qui, séduits par des ressemblances extérieures, ne voyaient dans notre révolution de 1830 que le pendant de celle de 1688, et n’en prétendaient guère tirer plus de conséquences, nous avons tâché de prouver que ces ressemblances assez piquantes ne jouaient qu’à la surface, n’apparaissaient que dans les hommes ou dans les mouvements des partis, mais qu’au fond les différences politiques étaient considérables. […] Le malheur est que cette fausse vue, cette erreur d’observation et de jugement, combinée chez beaucoup d’hommes publics avec les intérêts et l’amour-propre, peut avoir pour conséquences pratiques d’entraver le libre et prompt développement des principes émis en lumière en juillet. […] Si ce n’était pas l’état de la société en 1830 ; si après ce qui s’est passé durant ces trois jours fameux et tout ce qui en est sorti, il y avait encore dans le pays les mêmes éléments de passions et de désordres qu’aux deux époques précédentes, je craindrais fort que la méthode politique de nos trembleurs ne nous sauvât pas plus que la méthode expectante en médecine ne sauve un homme jeune et vigoureux qui a le délire au cerveau. […] Mais c’est ce que ne comprennent pas les hommes de transition, les hommes de restauration mitigée, qui dans les Chambres et dans les Conseils pèsent encore sur nous ; gens qui font les capables et les prudents ; sans physionomie, sans caractère décidé, à courte vue, égoïstes au fond, qui, la main sur le cœur, n’ont de sympathie réelle ni avec la Révolution de 89, ni avec celle de 1830 ; qui ne fléchiraient pas le genou devant nos grands vieillards politiques, et ne céderaient pas non plus un pouce de terrain à notre virile et patriotique jeunesse.

2431. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « L’exposition Bodinier »

Bodinier connaît les hommes. […]     On hésite entre trois ou quatre images du grand homme. […] Et les hommes ? […] Maubant (nº 304), couronnée de plus de lauriers qu’il n’en faut pour la cuisine d’une famille pendant toute une année, et de lauriers attachés par un ruban rose aussi large que les rubans de nourrice ; il est évident que cette tête d’un homme qui joue l’empereur Auguste et que transfigure une si noble tâche, n’a presque plus rien de commun avec M.  […] Même quand l’artiste qui pourtraicturait les comédiens a prétendu peindre ou crayonner leur tête à eux, leur tête d’homme et de chrétien, il a eu beau faire, il s’est souvenu de tel ou tel de leurs masques publics, et c’est cela qu’il a reproduit, peut-être à son insu.

2432. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Quimper »

Le monde nous écoute volontiers, quand nous lui parlons de ses intérêts généraux ; car nous avons le don de la sympathie, cette intuition, cette illusion si l’on veut, qui, dans tout homme, je dirai presque dans tout être conscient, nous fait toucher une vie sœur de la nôtre, dans toute fleur nous montre un sourire, dans l’univers entier nous fait voir un grand acte d’amour. […] Nous sommes très religieux ; jamais nous n’admettrons qu’il n’y ait pas une loi de l’honnêteté, que la destinée de l’homme soit sans rapport avec l’idéal. […] Ce brave homme a eu vraiment une idée de génie. […] Je ne suis pas un homme de lettres ; je suis un homme du peuple ; je suis l’aboutissant de longues files obscures de paysans et de marins.

2433. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1851 » pp. 1-9

, et apprendre à la France et au monde les noms de deux hommes de lettres de plus : Edmond et Jules de Goncourt. […] » Et des rêves, et des châteaux en Espagne, et la tentation de se croire presque des grands hommes armés par le critique des Débats du plat de sa plume, et l’attente, penchés sur nos illusions, d’une avalanche d’article dans tous les journaux. […] Tout petit il visait à l’homme. […] » Au sortir de chez lui, il nous vient en chemin l’idée de faire pour le Théâtre-Français une revue de l’année dans une conversation, au coin d’une cheminée, entre un homme et une femme de la société, pendant la dernière heure du vieil an. […] Nous pénétrons dans une tanière d’homme de lettres à la Balzac, où ça sent la mauvaise encre et la chaude odeur d’un lit qui n’est pas encore fait.

2434. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Milton, et Saumaise. » pp. 253-264

Il ne fit depuis qu’entretenir ce beau feu par tout ce qui nourrit & fortifie l’esprit des hommes, la lecture, la réflexion, les voyages, l’habitude d’écrire. Il étoit sçavant, comme s’il ne lui suffisoit pas d’être homme de génie. […] Milton, quoi qu’on en dise, est toujours Milton, un génie supérieur à tous ses critiques, l’homme le plus fait pour aggrandir les idées des autres hommes. […] Après l’avoir comblé de biens & d’honneurs, après l’avoir magnifiquement vengé des rigueurs de la fortune, qui le réduisoit à l’indigence, Auguste voulut qu’il se mariât, pour conserver des rejettons d’un grand homme.

2435. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence du barreau. » pp. 193-204

Son livre étoit le fruit d’un travail immense, d’une connoissance profonde des hommes & du barreau. […] Cet homme donna le ton à ses confrères. […] Ce champ est assez vaste pour occuper un homme tout entier : ceux même qui l’ont cultivé toute leur vie ont peine à s’y reconnoître. […] Il n’y a point d’invectives qu’il ne mît dans la bouche de ces grands hommes. […] On a vu un homme de qualité, qui, pénétré de la noblesse de sa profession, signoit, le marquis de ***, avocat.

2436. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Alaux. La Religion progressive » pp. 391-400

« Tout le mal de la vie — disait Pascal — vient de ce que l’homme ne sait pas rester assis dans une chambre. » Eh bien, peut-être ils seront cet homme-là ! […] L’auteur d’un livre si singulièrement nommé : La Religion progressive, doit être bien plus fort comme postillon que celui qui intitulerait le sien, par exemple : « Religion du Progrès », car la religion du Progrès pourrait être quelque chose de fixe et d’absolu, que la pensée de l’homme ne traverserait pas comme une cour d’auberge et pour se remettre incontinent, après y avoir relayé, le cul sur la selle ; tandis que la Religion progressive, c’est tout autre chose : c’est une religion qui va toujours, et qui postillonne, à son tour, comme les philosophes, sur le chemin sans bout de l’humanité ! […] Il oppose l’homme au gouvernement, et la justice, qui n’est pas de ce monde dans son absolu, à l’ordre, qui peut l’être et doit l’être pour que les sociétés valent quelque chose… Certes ! […] Déclaration solennelle, dont nous aimons à prendre acte et qui équivaut à celle-ci : c’est qu’après la religion catholique, de l’aveu même de la philosophie, il n’y a plus de religion possible pour les hommes, et que toutes les têtes des philosophes se mettraient-elles, bout à bout, les unes sur les autres, et feraient-elles toute une pyramide de cerveaux, elles ne parviendraient pas à en construire péniblement la queue d’une seule, en dehors de cette circonférence du catholicisme qui étreint l’Univers et la Pensée !

2437. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Le Nôtre, qui était le premier homme du monde dans son art, n’a jamais observé dans ses jardins une symétrie plus parfaite ni plus admirable que celle qu’Homère a observée dans sa poésie. […] La Motte est sceptique ; c’est un esprit froid, fin, sagace, qui pratique la maxime de Fontenelle et se défendrait de l’enthousiasme s’il pouvait en être susceptible ; il n’a rien à faire de son loisir et de son esprit qu’à l’appliquer indifféremment à toutes sortes de sujets auxquels il s’amuse : « Hors quelques vérités, pense-t-il, dont l’évidence frappe également tous les hommes, tout le reste a diverses faces qu’un homme d’esprit sait exposer comme il lui plaît ; et il peut toujours montrer les choses d’un côté favorable au jugement qu’il veut qu’on en porte. » Il se flatte que la dispute présente est du nombre de celles qui se prêtent à plus d’une solution ; il affecte de la considérer comme plus frivole qu’elle n’est, qu’elle ne peut le paraître à ceux en qui la raison se rejoint au sentiment et qui mettent de leur âme dans ces choses de goût. […] Dès l’abord, il avait défini cet esprit de philosophie comme il l’entendait, « une supériorité de raison qui nous fait rapporter chaque chose à ses principes propres et naturels, indépendamment de l’opinion qu’en ont eue les autres hommes ». […] La Motte, en s’exprimant ainsi, parlait comme un homme froid et d’esprit dégagé, qui n’a pas la chaleur d’une conviction, et qu’un sentiment vif ne tourmente pas. […] Pour elle, qui se mêle à ces illustres ombres, elle est accueillie aussi par les femmes célèbres dont la renommée peut faire envie aux plus grands hommes ; mais, jusqu’en cette demeure dernière et parmi ces naturelles compagnes, « ce n’est ni Sapho ni la docte Corinne qui lui plaisent le plus, c’est plutôt Andromaque et Pénélope ».

2438. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

Il faut tout dire, et je ne suis pas de ceux qui ne savent donner que des éloges sans ombre : à l’École et parmi ses condisciples, il était plus admiré pour ses talents et son esprit que goûté pour son caractère ; l’homme aimable, que le monde développa depuis, n’était pas fait encore. […] a-t-il été l’homme des à-propos ? […] Sainte-Beuve n’est pas homme à oublier cependant, dans la ferveur d’une réaction, que parmi les idées nouvelles il y en avait de très raisonnables. […] Veuillot, l’homme au crayon moqueur, a très-bien saisi (n’en déplaise à ceux qui ne voient qu’un côté) la physionomie, la pétulance, le petillement, le geste et toute la mimique de l’adversaire. […] On y sent, sous l’écrivain, le père de famille spirituel, sensé, pressé d’instruire, ne perdant ni une occasion ni une minute pour former agréablement ces petits êtres qui vont être des hommes.

2439. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Journal de la santé du roi Louis XIV »

Le Roi est l’homme que les érudits auraient choisi pour bibliothécaire de la ville de Versailles s’ils avaient été consultés ; toutes ses publications sont consacrées à repeupler de ses souvenirs cette belle résidence un peu déserte. […] Je l’ai entendu de mes oreilles : tant ce ministre, d’ailleurs excellent homme, mais archi-monarchique d’esprit et d’affiche, tenait mordicus pour ce qu’il croyait de l’honneur de Louis XV ! […] On a beau être roi, on est homme, on est jeune homme et sujet à tous les maux et à toutes les disgrâces des jeunes fils d’Adam. […] Il est homme et faible, vulnérable par tous les endroits. […] Chez Louis XIV, si l’homme en réalité était si souvent malade, le roi parut toujours bien portant.

2440. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Le maréchal y alla avec 2,000 hommes, « par ordre du roi qui lui avait mandé d’aller faire une algarade aux Espagnols. » Louis XIV ne disait sans doute pas le mot en plaisantant, mais on va voir qu’en dehors de lui le sourire-se mêlait déjà à la chose. […] Vingt hommes auraient pu nous empêcher de passer. […] Foucault pourtant se permet encore, çà et là, de bien étranges choses ; il soutient la réputation terrible qu’il s’est faite, et, si quelquefois il critique en paroles, il n’est jamais homme à adoucir dans l’exécution les ordres qu’il reçoit. […] L’œil, le sourcil, le nez, tout le haut du visage, annoncent l’homme ferme, net et résolu. […] C’était un homme très-curieux d’antiques, de médailles, de bronzes, de livres et de toutes sortes de raretés qu’il avait déterrées partout.

2441. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Patru. Éloge d’Olivier Patru, par M. P. Péronne, avocat. (1851.) » pp. 275-293

Il est bon de temps en temps de repasser et de se redire ce que signifient ces gloires consacrées : il n’est jamais sans intérêt de ressaisir et de se représenter au naturel l’homme autrefois célèbre qui n’est plus resté pour nous qu’à l’état de nom et d’image. […] Tous les contemporains s’accordent à dire qu’il n’était pas homme de grand travail : « Il travaille peu parce qu’il veut trop bien faire », disait Chapelain. […] Voici maintenant le Patru homme d’esprit dans son déshabillé et dans toute sa vivacité. […] Le caractère de l’homme se retrouvait pourtant et se maintenait jusque dans le repentir. […] Il avait de ces qualités qui de près constituent le critique et l’arbitre, et qui confèrent l’autorité en ce qu’on y sent la personne présente et l’homme.

2442. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Montesquieu a voulu autant qu’homme de son temps une société nouvelle, si nouvelle même que l’on peut encore désirer une partie de ce qu’il rêvait. […] L’homme à qui nous devons en quelque sorte un nouveau sentiment n’a-t-il pas fait un bien grand don à l’espèce humaine ? […] Qui sera assez éclairé pour faire ce partage avec assurance et ne rien laisser à l’honneur de ce pauvre grand homme dans cette lutte misérable avec lui-même ? […] Une si puissante action ne peut s’expliquer que par un grand génie, génie auquel ont manqué la sérénité, la pureté, le naturel, mais qui ne doit pas être classé au dernier rang des grands hommes. […] On imite les hommes de génie en inventant comme eux.

2443. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

On me traitait comme un grand garçon, comme un petit homme. […] J’y connus des hommes fort distingués, dont M.  […] Son père, homme inflexible, avait de la tendresse pour l’oncle de M.  […] Ils avaient vu un homme sur les toits qui avançait prudemment la tête, et qui avait l’air d’être armé d’un fusil. […] Pasquier sans l’opposer à la morgue pédante de certains hommes d’État parvenus du jour.

2444. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

Quand nous concevons tel homme vivant, Pierre, Paul, ou nous-mêmes, quelle idée y a-t-il en nous, et de quels éléments se compose cette idée ? […] Outre ces pouvoirs communs à tous les hommes, chacun de nous découvre en lui-même, par une expérience semblable, les pouvoirs particuliers qui lui sont propres. […] Ils font ainsi contraste avec les événements qui sont transitoires, et ils semblent la portion essentielle de l’homme. […] « En 1541, à Padoue, dit Wier, un homme qui se croyait changé en loup courait la campagne, attaquant et mettant à mort ceux qu’il rencontrait. […] Leuret cite des hommes qui se croyaient changés en femmes et des femmes en hommes. — Un soldat dont la peau était insensible se croyait mort depuis la bataille d’Austerlitz, où il avait été blessé.

2445. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Et la vie de cet homme ne fut pas moins belle que son œuvre. […] Mais, encore une fois, s’il est nécessaire d’être homme et mieux homme qu’un autre pour être un créateur, cela ne suffit pas. […] Laquelle des deux survivra dans la mémoire des hommes ? […] L’homme écarta les herbes marines. […] homme digne d’envie !

2446. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mars 1886. »

Comme vous, je pense que l’éternité enveloppe l’homme et que nous ne devrions plus nous occuper que de l’œuvre. […] Tous les hommes de bon sens sont de cet avis, qui est également le vôtre et le mien. […] Il se peut qu’à l’intérieur de l’Opéra-Comique tout se passe bien entre hommes d’un jugement sain et impartial. […] Le moment viendra où les hommes seront assez intelligents pour respecter l’art, alors même que l’artiste qui l’a créé ne peut avoir leur sympathie. […] Grand-Carteret : toujours la distinction de l’homme et de l’œuvre.

2447. (1914) Boulevard et coulisses

Dans la carrière d’un homme de lettres, elle n’était pas encore à l’étalage, on la laissait dans l’arrière-boutique. […] Il y avait dans chaque cercle un homme que l’on appelait le commandant. […] Cet homme était Victor Koning et dirigeait le théâtre du Gymnase. […] Que de débuts variés d’hommes de lettres il y eut à cette époque-là ! […] Nous aimions à flétrir les hommes politiques et, en général, l’ensemble de la société.

2448. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Lorsque l’on sait à quel esprit sain, ferme, vigoureux, on a affaire en Ramond, lorsqu’on a pu apprécier ses qualités sûres comme savant, comme observateur, lorsqu’on voit Laplace avoir assez de confiance en lui pour adopter et enregistrer dans la Mécanique céleste la réforme numérique dont était susceptible le coefficient d’une de ses formules, on se demande quelle sorte d’intérêt et de zèle celui qu’on a connu en ces dernières années le moins mystique des hommes pouvait apporter dans cette intimité de chaque jour avec Cagliostro. […] J’avais déjà épuisé le peu de force que se trouve l’homme qui veut contempler la nature dans son immensité, lorsque je considérai mon étroite station ; lorsque je vis que sur cet âpre rocher tout n’est pas débris, et que les feuillets hérissés du dur schiste qui le composent protègent de la verdure et des fleurs contre la froidure et les ouragans de cette haute région. […] Mais veut-on sous le pinceau du voyageur un paysage tout simple, animé de figures, avec un sentiment à la fois actuel et biblique, avec un reflet moral de l’homme au milieu de la plus réelle nature ? […] Naïve image de l’homme qui accomplit le premier pacte que sa race ait fait avec la terre ! […] Depuis Homère jusqu’à Milton, jusqu’au Tasse, jusqu’à Voltaire, je ne crois pas que le génie de l’épopée ait enfanté un poème qui ait paru dans un temps où l’on n’eût autre chose à faire que de le lire ; et beaucoup de difficultés doivent se réunir contre cette œuvre de l’esprit qui acquiert à son auteur la plus grande gloire dont l’homme soit susceptible.

2449. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — II » pp. 263-279

Bossuet eut pour ami particulier durant toute sa vie, pour auxiliaire affectionné et constant dans toutes les questions de doctrine, de foi, de morale et de discipline de l’Église, un homme bien digne en tout de cette relation étroite et de cette intimité : l’abbé Fleury fut ce premier lieutenant modeste, ce véritable second de Bossuet et comme son abbé de Langeron. […] Un homme de large et vive conception, montrant un jour à quelqu’un sa bibliothèque, qu’il avait fort belle, arrivé devant les écrivains ecclésiastiques du règne de Louis XIV, s’écria : « Fleury à côté de Bossuet ; et pourtant quelle distance ! […] Bossuet était tout à fait exempt de ce léger paganisme littéraire auquel continuait de sacrifier le talent de Fénelon dans sa grâce restée adolescente ; il n’était pas homme, même au sortir d’une lecture de L’Odyssée, à s’asseoir en souriant dans la grotte des nymphes. […] Il y a bien des années, et avant qu’une critique investigatrice eût rassemblé autour de cette figure de Bossuet tous les éclaircissements et toutes les lumières, un écrivain de beaucoup d’esprit, s’essayant à définir le grand évêque gallican, disait : « Bossuet, après tout, était un conseiller d’État. » Si par là on ne voulait dire autre chose, sinon qu’il y avait en Bossuet un homme politique, un homme capable d’entrer dans le ménagement des personnes et la considération des circonstances, on avait raison ; mais si l’on prétendait aller plus loin, toucher au fond de sa nature et infirmer l’idée fondamentale du prêtre, on se tromperait : car au fond de cette nature, telle qu’elle ressort aujourd’hui de tous les témoignages et qu’elle nous apparaît dans une continuité manifeste, il y a avant tout et après tout un croyant. […] — Encore une fois, Bossuet ressort de cette lecture et de l’épreuve suprême de ces intimes documents avec des traces de faiblesse sans doute et d’infirmité humaine ; je ne sais si ceux qui se dressent dans l’esprit d’illustres statues qui ressemblent trop souvent à des idoles, trouveront qu’il ait grandi à leurs yeux ; mais cet homme, qui a eu tant de grandeur dans le talent, s’y montre avec bien de la bonté morale et de la piété vraie dans le cœur ; que faut-il davantage ?

2450. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis de Belloy »

Pour la littérature ancienne et latine particulièrement, une traduction en vers, faite avec soin et élégance, était jugée une conquête définitive, une œuvre considérable et de toute une vie, qui, menée à bonne fin et imprimée, conduisait tout droit son homme à l’Académie française. […] Bignan, qui, voué de bonne heure au culte d’Homère, s’adonna toute sa vie à une traduction en vers de l’œuvre homérique et ne cessa de l’améliorer, homme instruit, versificateur élégant, n’eut jamais le prix de son travail : il était né quinze ans trop tard. J’ai vécu de bien des vies littéraires ; et j’ai passé de douces heures d’entretien avec des hommes instruits de plus d’une école : il me semblait que j’étais de la leur, tant que je causais avec eux. […] Parmi ceux qui ne sont pas purement indifférents, chacun aujourd’hui prétend s’y connaître : pour peu qu’on ait fait un brin d’études classiques, on ne consent pas à passer pour un homme qui en sait moins que le traducteur et qui se laisse guider par lui ; on l’arrête à chaque pas, on juge, on tranche. […] Le marquis de Belloy est un de ces hommes d’esprit qui, dans l’ancienne société et au xviiie  siècle, aurait été poète et homme de lettres, tout comme il l’est de nos jours ; il a eu de bonne heure le signe et la vocation.

2451. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

En réalité, l’homme qui aima, après 1810, la femme célébrée sous le nom d’Elvire, avait au moins vingt-cinq ans ; il était plus près de trente que de vingt. […] On ne saurait donc s’étonner si, en lisant ces pages, à côté de touches charmantes et de pensées toutes faites pour émouvoir, on en rencontre beaucoup d’autres artificielles, et si l’on n’y sent pas tout l’homme. […] Je ne sais rien de moins intéressant qu’un homme qui se mire et qui s’adonise. […] Caton, César, Démosthène, Tasse, Shakespeare, Job et tutti quanti, tout cela en un seul homme, à la bonne heure ! […] … Je n’étais plus un homme, j’étais un hymne vivant, criant, chantant, priant, invoquant, remerciant, adorant, débordant, etc., etc. 

2452. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le cardinal de Retz. (Mémoires, édition Champollion.) » pp. 238-254

À l’une de ces avances, vraies ou fausses, qui lui furent faites, il répondit « qu’il était très incapable du ministère pour toutes sortes de raisons, et qu’il n’était pas même de la dignité de la reine d’y élever un homme encore tout chaud et tout fumant, pour ainsi parler, de la faction ». […] C’est ici que les vices de l’homme doivent entrer en ligne, car ils y trouvaient leur compte. […] Tel est, chez les hommes de l’esprit le plus supérieur, le malheur des vices ; ils éteignent les bonnes inspirations à leur source et les empêchent de naître. […] C’est plaisir d’opposer ce noble témoignage d’un homme d’esprit si estimable comme contrepoids aux imputations sans mesure de Gui Joly. […] Il mourut le 24 août 1678, tendrement regretté d’elle et loué dans des termes qui sont la plus belle oraison funèbre, laissant l’idée de l’homme le plus aimable et du commerce le plus aisé, et d’un délicieux et parfait ami.

2453. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVIe Entretien. Marie Stuart (reine d’Écosse) »

Homme d’autant plus redoutable à la reine que sa vertu était, pour ainsi dire, la conscience du crime. […] Vive image de sa mission parmi les hommes auxquels il devait distribuer la parole, ce pain de vie ! […] Elisabeth, fille de Henri VIII, moins femme qu’homme d’État, n’était pas de caractère à laisser périmer ce droit de médiation. […] La légèreté de la reine écarta, par complaisance pour un musicien, le seul homme d’État de l’Écosse, pour laisser gouverner le caprice. […] L’homme que Marie Stuart commençait à aimer était Bothwell.

2454. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre II, grandeur et décadence de Bacchus. »

Les hommes à demi sauvages de la forêt et de la montagne sont ses compagnons favoris. […] Nos hommes veilleront sur celui-ci. […] Son étonnante fortune vînt, en partie, de cette double nature : l’homme vit en lui un homme déifié, et l’en aima davantage. […] Iacchos, c’était l’homme y buvant la vie. […] Mais, de temps en temps, ils se souviennent qu’ils ont été autrefois des hommes.

2455. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guillaumet, Édouard »

Guillaumet, Édouard [Bibliographie] La Chanson de l’Homme (1887). […] Victor-Émile Michelet Je dirai la chanson de l’Homme ! […] Et fut écrite cette Chanson de l’Homme, de tons variés.

2456. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Béranger, Pierre-Jean de (1780-1857) »

Sainte-Beuve Les relations de Béranger dans les dix dernières années avec Chateaubriand, avec Lamennais et même avec Lamartine ont été célèbres ; elles sont piquantes quand on songe au point d’où sont partis ces trois hommes. […] Il faut rendre à Béranger cette justice, qu’il n’a pas, le premier, recherché ces hommes réputés d’abord plus sérieux que lui, qui ne le sont pas, et à aucun desquels il ne le cède par l’esprit. […] C’était, dit-on, un homme sobre, d’un jugement rare, plein de bons conseils, buvant peu et beaucoup plus prévoyant qu’il ne voudrait le faire croire dans ses chansons. […] L’homme était bon, généreux, honnête.

2457. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VIII. La Fille. — Iphigénie. »

N’est-ce pas pour racheter Zaïre qu’il a été attaché à une croix, qu’il a supporté l’insulte, les dédains et les injustices des hommes, qu’il a bu jusqu’à la lie le calice d’amertume ? […] Conduisez le peuple au théâtre : ce ne sont pas des hommes sous le chaume, et des représentations de sa propre indigence qu’il lui faut : il vous demande des grands sur la pourpre ; son oreille veut être remplie de noms éclatants, et son œil occupé du malheur de rois. La morale, la curiosité, la noblesse de l’art, la pureté du goût, et peut-être la nature envieuse de l’homme, obligent donc de prendre les acteurs de la tragédie dans une condition élevée. […] Ainsi les Muses, qui haïssent le genre médiocre et tempéré, doivent s’accommoder infiniment d’une religion qui montre toujours ses personnages au-dessus ou au-dessous de l’homme.

2458. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XVI. Le Paradis. »

Il est de la nature de l’homme de ne sympathiser qu’avec les choses qui ont des rapports avec lui, et qui le saisissent par un certain côté, tel, par exemple, que le malheur. […] Mais voulez-vous du merveilleux plus sublime, contemplez la vie et les douleurs du Christ, et souvenez-vous que votre Dieu s’est appelé le Fils de l’Homme ! […] Ici finissent les relations directes du christianisme et des muses, puisque nous avons achevé de l’envisager poétiquement dans ses rapports avec les hommes, et dans ses rapports avec les êtres surnaturels. […] Milton a saisi cette idée, lorsqu’il représente les anges consternés à la nouvelle de la chute de l’homme ; et Fénélon donne le même mouvement de pitié aux ombres heureuses.

2459. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre III. Massillon. »

Lisez, par exemple, cette peinture du pécheur mourant : « Enfin, au milieu de ses tristes efforts, ses yeux se fixent, ses traits changent, son visage se défigure, sa bouche livide s’entrouvre d’elle-même, tout son esprit frémit ; et, par ce dernier effort, son âme s’arrache avec regret de ce corps de boue, et se trouve seule au pied du tribunal redoutable193. » À ce tableau de l’homme impie dans la mort, joignez celui des choses du monde dans le néant. […] si tout meurt avec nous, les soins du nom et de la postérité sont donc frivoles ; l’honneur qu’on rend à la mémoire des hommes illustres, une erreur puérile, puisqu’il est ridicule d’honorer ce qui n’est plus ; la religion des tombeaux, une illusion vulgaire ; les cendres de nos pères et de nos amis, une vile poussière qu’il faut jeter au vent, et qui n’appartient à personne ; les dernières intentions des mourants, si sacrées parmi les peuples les plus barbares, le dernier son d’une machine qui se dissout ; et, pour tout dire en un mot, si tout meurt avec nous, les lois sont donc une servitude insensée ; les rois et les souverains, des fantômes que la faiblesse des peuples a élevés ; la justice, une usurpation sur la liberté des hommes ; la loi des mariages, un vain scrupule ; la pudeur, un préjugé ; l’honneur et la probité, des chimères ; les incestes, les parricides, les perfidies noires, des jeux de la nature, et des noms que la politique des législateurs a inventés. […] Convenez de leurs maximes, et l’univers entier retombe dans un affreux chaos ; et tout est confondu sur la terre ; et toutes les idées du vice et de la vertu sont renversées ; et les lois les plus inviolables de la société s’évanouissent ; et la discipline des mœurs périt ; et le gouvernement des États et des Empires n’a plus de règle ; et toute l’harmonie des corps politiques s’écroule ; et le genre humain n’est plus qu’un assemblage d’insensés, de barbares, de fourbes, de dénaturés, qui n’ont plus d’autres lois que la force, plus d’autre frein que leurs passions et la crainte de l’autorité, plus d’autre lien que l’irréligion et l’indépendance, plus d’autres dieux qu’eux-mêmes : voilà le monde des impies ; et si ce plan de république vous plaît, formez, si vous le pouvez, une société de ces hommes monstrueux : tout ce qui nous reste à vous dire, c’est que vous êtes dignes d’y occuper une place. » Que l’on compare Cicéron à Massillon, Bossuet à Démosthène, et l’on trouvera toujours entre leur éloquence les différences que nous avons indiquées ; dans les orateurs chrétiens, un ordre d’idées plus général, une connaissance du cœur humain plus profonde, une chaîne de raisonnements plus claire, enfin une éloquence religieuse et triste, ignorée de l’antiquité.

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