/ 2639
362. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Tout signe analogue au genre est inégalement analogue aux individus qui composent le genre ; les représentant inégalement, il représente mal le genre tout entier. […] L’idée générale, une fois formée, peut s’accroître par l’adjonction de faits nouveaux ; elle peut croître ou décroître en intensité selon la fréquence des remémorations et le degré de l’attention ; mais, si elle meurt, elle meurt tout entière, elle ne saurait être décomposée. […] Non seulement c’est fort peu de chose, mais encore rien n’y est distinct ; rarement une image particulière, bien vague, bien effacée, se détache un peu sur cette trame grise et incolore, qui est pourtant l’élément capital de notre existence intérieure, qui est notre pensée, le principe de nos actions, l’inspiration de notre vie tout entière. […] Mais le lapsus est toujours isolé dans la phrase de l’homme éveillé, tandis que, pendant le sommeil, la série entière des paroles est incohérente ; on pourrait dire que la parole du dormeur présente le lapsus à l’état continu. […] Outre son premier et principal objet, qui seul est observable et ne l’est pas tout entier, la psychologie a donc un second objet, qui peut être défini : la condition du premier objet, en tant qu’elle peut être exprimée dans les mêmes termes que lui.

363. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Elle a été tout entière occupée par l’étude, l’enseignement, les joies de la famille. […] Il s’y consacra tout entier en 1868 et 1869 et l’ouvrage parut en janvier 1870. […] Il se voue tout entier au travail et à l’amitié. […] Dans sa vie entière ont retenti les échos de cette passion de sa jeunesse. […] Je donne en entier ce passage curieux, dont M. 

364. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

les belles chevauchées que celles faites avec la nature entière ! […] Et voulez-vous mon opinion entière ? […] Ce qu’ils dévorent reste tout entier dans leur estomac ; vous pouvez retirer les morceaux. […] Zola soit naturellement incapable de rendre des idées avec une entière exactitude. […] Tout entier, le Voreux venait de couler à l’abîme.

365. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

Son Faustus, il est vrai, n’arrive pas tout d’abord à cet entier dépouillement de sa plus grossière humanité. […] Mais c’est précisément ce que Vinet a le mieux connu, ce qu’il a le mieux mis en lumière, et c’est ce qui fait l’entière originalité de sa critique. […] S’il y en a dans la bande entière cinq ou six de vraiment sincères, je n’ignore pas, hélas ! […] Mais le naturalisme ne périra pas pour cela tout entier. […] et la substance des Pouranas a-t-elle passé tout entière, comme le dit M. 

366. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [III] »

Dans cette série enchaînée de sonnets si inférieurs à leur modèle toscan, et qui n’en ont guère que les défauts, je ne sais si on trouverait à en détacher un seul digne en entier d’être cité : c’est docte et dur. […] Dans un des sonnets suivants, il appliquera à Rome tout entière en décadence ce que Lucain avait dit du seul grand Pompée sur son déclin : Qualis frugifero quercus sublimis in agro… Qui a vu quelquefois un grand chêne asséché… Le sonnet de Du Bellay ne soutient pas trop mal la comparaison avec le latin. […] En ces meilleurs passages, il faut bien cependant reconnaître que le sentiment et l’intention sont fort supérieurs à l’exécution et au style ; rarement le sonnet tout entier répond au vœu du poète et du lecteur. […] Je ne voudrais plus y joindre, pour nous donner l’entier spectacle de l’âme et des dispositions intérieures du pauvre et triste poète, dans les derniers mois de sa vie, qu’une autre lettre française de lui adressée à un ami (le même Morel probablement), sur la mort du feu roi et le département de Madame de Savoie. […] Quand on le considère de près comme nous venons de le faire, il justifie, somme toute, sa réputation, si même il ne la dépasse pas : il est digne de la conserver entière.

367. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

Quoique d’ordinaire le temps affaiblisse et entame nos impressions les plus fortes, celles-ci reparaissent entières et intenses, sans avoir perdu une seule parcelle de leur détail, ni un seul degré de leur vivacité. […] En effet, si maintenant je retourne en arrière jusqu’à mon arrivée à l’auberge, je revois le vieux chêne à vingt pas de la maison, deux ou trois troncs abattus et une douzaine de polissons qui vaguent ou dorment sous la tiédeur du soleil du soir ; ainsi, en évoquant le point de jonction, c’est-à-dire le commencement de l’image, j’ai fourni à l’image le moyen de renaître tout entière. — C’est qu’à vrai dire il n’y a pas de sensation isolée et séparée ; une sensation est un état qui commence en continuant les précédents et finit en se perdant dans les suivants ; c’est par une coupure arbitraire et pour la commodité du langage que nous la mettons ainsi à part ; son commencement est la terminaison d’une autre, et sa terminaison le commencement d’une autre. […] La forme du bassin, les accidents de la température, les diverses qualités de l’eau, parfois même les secousses du sol y contribuent encore, et divers exemples authentiques montrent tantôt des couches profondes ramenées tout d’un coup et tout entières à la surface, tantôt des couches superficielles plongées tout d’un coup et tout entières à fond. […] La mémoire était restaurée tout entière quand il mourut.

368. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Lui modeste, tout entier aux choses, indifférent à l’effet, il a été (je suis obligé d’emprunter à la physiologie une image), il a été comme un organe profond intermédiaire entre des systèmes d’esprits différents. […] Ici on n’a rien à redouter d’un semblable prestige ; c’est le fond même, c’est la chose toute pure qu’on étudiera, et la valeur, la qualité de ce rare et fin esprit en ressortira non exagérée, mais bien entière. […] Il faut revenir par eux à lui, pour le connaître tout entier. […] L’historien aime à déborder son cadre ; cette histoire du Midi est, à vrai dire, l’histoire générale de la Gaule entière durant cinq siècles. […] La qualité nourrissante leur restait en entier.

369. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Devenu l’un des domestiques, comme on disait, du cardinal de Bagni, adopté dans la famille, il se consacra tout entier à ses devoirs envers le noble patron, à l’agrément libéral et studieux de cette société romaine qui savait l’apprécier à sa valeur. […] Mais, à travers ses relations resserrées avec ses amis de France, Naudé, tout occupé de former la bibliothèque du cardinal Mazarin, s’absentait encore pour de longs et nombreux voyages en Flandre, en Suisse, en Italie de nouveau, en Allemagne, rapportant de chaque tournée des milliers de volumes et des voitures tout entières. […] Naudé en racheta pour sa part tous les livres de médecine, et il paraît qu’il y eut des prête-noms du cardinal qui en sauvèrent d’autres séries tout entières. […] Courier, avec son fameux pâté sur le manuscrit de Longus, sut ce que c’est que d’avoir affaire à des pédants antiquaires et chambellans ; Naudé, si prudent, si modéré, apprit bientôt à ses dépens ce que c’est que d’avoir affaire à des pédants, de plus théologiens, surtout à un Ordre tout entier et à des moines. […] Naudé entrait dans une boutique de libraire et demandait le prix, non pas de tel ou tel volume, mais des masses entières et des piles qu’il voyait entassées devant lui.

370. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Nous traduisons entière cette préface où, très clairement, sont expliquées les dispositions et les intentions de Wagner. […] La seule biographie n’est elle pas le Roman, qui, avec le secours des documents certains, reconstruit, entière et plus réelle, la Vie ? […] D’ailleurs, ces différences, encore, s’atténuent, si nous lisons les deux livres avec l’intelligence entière de leur sens véritable. […] En une toujours plus libre délice, les Filles nagent autour du rocher : l’entier flot vibre en un clair brillement d’or. […] Cette année, l’Anneau du Nibelung a été joué, en entier et sans coupures, les 8, 9, 11 et 13 septembre.

371. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

Pour mon regard, j’honorerai toujours la grandeur en lui et en autrui, mais je ferai plus de cas d’un grain de bonté que d’un monde entier de grandeur. […] Sully y était loué, même de ce qu’il n’avait pas fait, et, par exemple, de s’être dépouillé de ses charges avec un entier désintéressement, d’avoir refusé, lors de sa retraite, le prix de sa démission de gouverneur de la Bastille et de surintendant des finances : « Il semblait, dit Thomas, que ce fût le prix dont on voulait payer sa retraite. […] Le titre des Mémoires était singulièrement emphatique, allégorique et symbolique ; le voici en son entier : Mémoires des sages et royales économies d’État, domestiques, politiques et militaires de Henri le Grand, l’exemplaire des rois, le prince des vertus, des armes et des lois, et le père en effet de ses peuples françois ; Et des servitudes utiles, obéissances convenables et administrations loyales de Maximilian de Béthune, l’un des plus confidents familiers et utiles soldats et serviteurs du grand Mars des François ; Dédiés à la France, à tous les bons soldats et tous peuples françois. […] Le chapitre vie des Mémoires a cela de remarquable qu’il est copié sur un ancien recueil écrit tout entier, disent les secrétaires, de la main de Sully et qui doit être de sa composition même.

372. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin »

Je passai une heure entière couché près de la source à regarder ce pays pâle, ce soleil pâle, à écouter ce vent si doux et si triste. […] Il aime, dit-il, en arrivant dans une ville arabe, à choisir, pour bien voir, le point de vue le plus élevé, le pied d’une tour, ce qu’on appellerait en Grèce l’acropole ; et là, montant dès le matin, il passe en contemplation et en rêverie des heures entières. […] Mais le sommet, en quelque sorte, du livre, le point culminant, c’est la station du peintre sur la hauteur, au pied de la tour de l’Est : l’aspect grandiose du pays, dans sa sévérité majestueuse et toute-puissante, y est exprimé en des traits qui se transmettent et qu’on n’oublie plus ; le génie du climat y apparaît, s’y révèle tout entier et s’y fait comprendre. […] A cette heure-là, le pays tout entier est rose, d’un rose vif, avec des fonds fleur de pêcher ; la ville est criblée de points d’ombre, et quelques petits marabouts blancs, répandus sur la lisière des palmiers, brillent assez gaiement dans cette morne campagne qui semble, pendant un court moment de fraîcheur, sourire au soleil levant.

373. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Je n’analyserai pas davantage et avec plus de détail ce roman du genre intime, et dont le charme est tout entier dans le développement et les nuances. […] Ici, et dans toutes les scènes déchirantes, et incomplètes de solution, qui remplissent la dernière partie du récit jusqu’à l’entière rupture, j’oserai me permettre une critique. Le lecteur n’est point satisfait ; la situation si bien amenée, si bien poussée jusqu’au bord extrême du précipice, n’est point vidée avec une entière franchise et n’aboutit pas. Le roman n’est pas entièrement d’accord avec la vérité humaine, avec l’entière vérité telle que les grands peintres de la passion l’ont de tout temps conçue.

374. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid(suite et fin.)  »

Il s’ouvre avec la matinée ; l’on est dans la maison de Chimène ; elle apprend la victoire que Rodrigue vient de remporter durant la nuit sur les Maures, débarqués et rembarqués presque aussitôt : « Leur abord fut bien prompt, leur fuite encor plus prompte, Trois heures de combat laissent à nos guerriers Une victoire entière et deux rois prisonniers. » Trois heures de combat… Toujours la montre en main ! […] On a ce magnifique récit de l’expédition nocturne et de la victoire : « Nous partîmes cinq cents, mais, par un prompt renfort, Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port… » Narration épique admirable, due tout entière à Corneille, et par laquelle il compense et paye largement toutes ses invraisemblances. […] Cette scène est la seule des grandes scènes du Cid qui n’ait pas d’analogue dans Guillem de Castro et qui appartienne tout entière à Corneille. […] Les érudits les plus estimables ont un autre souci, celui de la vérité entière ; je les en loue et les en admire.

375. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

Si la justice, à ce moment, était tout entière d’un seul côté, l’ardeur se montrait égale dans les deux camps. […] Cet édit avait pour objet de régler l’entière évacuation du pays, l’ordre et la marche des détachements ; les exilés avaient dix jours pour vendre leurs biens ; ils devaient déposer les armes sur l’heure, et démolir tous leurs temples de leurs propres mains avant leur départ. […] Cette vérité qu’il a aimée et pratiquée lui tourne à bien et à honneur dans presque tous les cas : là où elle lui est, par exception, défavorable et dure, il est juste qu’il la subisse tout entière. […] J’omets l’entier détail de ces négociations, où l’on voit Catinat toujours un peu en retard sur sa Cour, et plus disposé à restreindre qu’à étendre le sens ou la lettre de ses instructions : c’était sa nature d’esprit.

376. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

Mais l’originalité individuelle de La Mennais s’y marque de bonne heure tout entière, et quand on a vu s’accomplir toute la destinée de l’homme, ce tableau du commencement, publié le dernier, devient comme une justification frappante et un abrégé vivant qui contenait toute la suite. […] Je suis devant vous comme un effroyable néant de tout bien : il ne me reste qu’une timide et mourante espérance, et c’est encore, Seigneur, un de vos dons… « La cause première de tous mes maux n’est pas, à beaucoup près, récente : j’en portais depuis plusieurs mois le germe dans cette mélancolie aride et sombre, dans ce noir dégoût de la vie, qui, s’emparant de mon âme peu à peu, finit par la remplir tout entière. […] Ils méritent d’être donnés en entier et sont le plus éloquent commentaire de ce qu’a raconté de ce Concile national M. d’Haussonville au tome iv de l’Église romaine sous le premier Empire « (La Chesnaie, 1811.) — Gratien arrive et me remet tes paquets. — Comme la Providence se joue des passions humaines et de la puissance de ces hommes qu’on appelle grands ! Il s’en est rencontré un qui a fait ployer sous lui le monde entier, et voilà que quelques pauvres évêques, en disant seulement : Je ne puis, brisent ce pouvoir qui prétendait tout briser et triomphent du triomphateur au milieu de sa capitale et dans le siège même de son orgueilleuse puissance !

377. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

Mais un poète ou un sculpteur traduisant le mythe de Prométhée, en ferait aisément une œuvre symbolique ; car Prométhée dérobant le feu, Prométhée enchaîné, peut s’exprimer tout entier par sa seule attitude. […] En outre, comme presque toujours l’importance du concept moral est exagéré à l’entier détriment du concept plastique, l’œuvre perd toute vie en même temps qu’est rompu l’équilibre d’où elle devait surgir. […] Nous le voyons parfois en certains recueils de vers : l’ordonnance, parfaite pour chacune des parties, fait défaut au livre entier qui, collection de symboles, donne pourtant malgré tout l’impression d’une allégorie. […] Souvent quelques vers directs après des strophes aux opulentes visions, ailleurs une pièce entière conçue sans nulle plastique et, apparue telle qu’elle s’illumine entre les symboles qui l’entourent, c’est alors comme au bout d’une longue route dans la forêt, le brusque tournant découvrant un village au soleil.

378. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

On y voit Napoléon hésiter jusqu’au dernier moment, changer d’avis, ne s’ouvrir tout entier à personne, ne découvrir que des coins de vérité à ses plus intimes agents, vouloir être éclairé et sembler en même temps le craindre. […] Mais la nation aussi restait derrière eux, et à cette nouvelle soudaine, par une sorte de commotion électrique, l’Espagne tout entière se leva. […] La sentence prononcée fut la dégradation, et un décret impérial ordonna que trois exemplaires manuscrits de la procédure tout entière seraient déposés, l’un au Sénat, l’autre au Dépôt de la guerre, le troisième aux Archives de la Haute Cour impériale. […] Dans le style, l’écrivain n’a nulle part flatté le goût du temps pour les effets et pour la couleur, et on pourrait même trouver qu’il en a tenu trop peu de compte quelquefois ; mais c’est une satisfaction bien rare pour les esprits sérieux et judicieux que celle de lire une suite de volumes si aisés et si pleins, sortis tout entiers du sein du sujet et nous le livrant avec abondance, d’une simplicité de ton presque familière, ou jamais ne se rencontre une difficulté dans la pensée, un choc dans l’expression, et où l’on assiste si commodément au spectacle des plus grandes choses.

379. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Si j’osais pourtant hasarder un jugement d’ensemble, je dirais que son ambition n’y eut jamais satisfaction entière, et que les distinctions brillantes dont son existence publique fut remplie couvraient, au fond, bien des vœux trompés et le déchet de bien des espérances. […] Plaisir ou étude, il veut que chaque chose qu’on fait, on la fasse bien, on la fasse tout entière et en son temps, sans se laisser distraire par une autre : Quand vous lisez Horace, faites attention à la justesse de ses pensées, à l’élégance de sa diction et à la beauté de sa poésie, et ne songez pas au De homine et cive de Pufendorf, et, pendant que vous lisez Pufendorf, ne pensez point à Mme de Saint-Germain ; ni à Pufendorf quand vous parlez à Mme de Saint-Germain. […] La nature humaine est la même dans le monde entier ; mais ses opérations sont tellement variées par l’éducation et par l’habitude, que nous devons la voir sous tous ses costumes pour lier connaissance avec elle jusqu’à l’intimité. […] Mais ce que je vous conseille de faire, c’est de ne jamais attaquer des corps entiers, quels qu’ils soient.

380. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

Cette médiocrité dans tous les genres est la suite d’une curiosité effrénée et d’une fortune si modique, qu’il ne m’a jamais été permis de me livrer tout entier à une seule branche de la connaissance humaine. […] Voilà l’homme qui n’était tout entier lui-même que lorsqu’il s’animait et s’échauffait, ce qui lui arrivait si aisément. […] Diderot est le roi et le dieu de ces demi-poètes qui deviennent et paraissent tout entiers poètes dans la critique : ils n’ont besoin pour cela que d’un point d’appui extérieur et d’une excitation. […] C’est dans sa correspondance avec cette amie, Mlle Volland, c’est dans ses Salons écrits pour Grimm, qu’on trouverait ses pages les plus délicieuses, les franches et promptes esquisses où il revit tout entier.

381. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Mais on est moins en retard que jamais pour venir parler d’un homme avec qui la vogue, la popularité ou l’esprit de parti n’ont plus rien à faire, et qui est entré tout entier dans le domaine historique, ainsi que l’époque qu’il représente et qui est de même accomplie. […] Ainsi, pour revenir à l’occasion et au point de départ de ces considérations, La Fayette, venu en tête de la Révolution française, est mort en même temps qu’elle a fini, et sa vie tout entière la mesure. […] Il la sacrifia dans certains cas à ce qu’il crut de son devoir et de ses serments (ce qui est très-méritoire)  ; mais, par une sorte d’illusion propre aux amants, il ne crut jamais la sacrifier tout entière ni la perdre sans retour ; il mourut bien moins en la regrettant qu’en la croyant posséder encore. […] Durant la matinée entière et jusque très-avant dans l’après-midi, sous un prétexte ou sous un autre, il avait tenu bon, faisant la sourde oreille aux menaces comme aux exhortations. […] Sans craindre d’abonder moi-même, je veux citer en entier la belle lettre de janvier 1808, à M. de Maubourg, sur la mort de madame de La Fayette.

382. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

Tout bavard qu’il fût, comme Diderot, il aurait avalé ore profundo Diderot tout entier, mais pour nous le rendre. […] Aujourd’hui la voici tout entière. […] Ce premier volume de la collection future des Garnier est comme une introduction à l’ouvrage entier, et l’ouvrage entier nous passera plus tard par les mains. […] Quand vous lui avez donné le bout du doigt, il vous dévide tout entier. […] — à l’Encyclopédie on revoyait ses articles, on les corrigeait, on en supprimait des morceaux entiers, et il ne s’en aperçut jamais.

383. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat. (suite et fin) »

Chose étonnante que toute cette première période de la carrière oratoire de Bossuet ait été éclipsée tout entière et comme éteinte aux yeux de la postérité par l’éclat de la seconde période, et que des historiens de Bossuet eux-mêmes, tels que M. de Bausset, se soient figuré qu’elle avait été peu comprise, peu appréciée par les contemporains de la jeunesse du grand orateur ! […] Il se dévoua tout entier à l’instruction de ses diocésains, prêchant fréquemment dans sa cathédrale, où j’ai été étonné d’apprendre que son peuple finit par négliger de l’entendre, soit que son admirable talent eût diminué, ou que l’habitude trop répétée en eût affaibli l’impression ; soit, ce qui est plus probable, que Bossuet ayant pris celle des considérations les plus élevées, et traitant des matières au-dessus de la portée du vulgaire, ses auditeurs fussent dans le cas de lui adresser le reproche que faisait à saint Chrysostome une bonne femme d’Antioche : Père, nom t’admirons, mais nous ne te comprenons pas.

384. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « APPENDICE. — M. DE VIGNY, page 67. » pp. -542

La France entière regretta Cinq-Mars ; sa jeunesse, sa bonne mine, son ambition si naturelle à cet âge et dans cette position, l’amour caché qu’on lui supposait pour une grande princesse (Marie de Gonzague), et qui conviait son cœur à de vastes desseins, tout répandait sur lui un charme que relevait encore l’atrocité du vieux prêtre moribond. […] Son roman entier est calculé comme une partie d’échecs : je n’en veux pour échantillon que cette soirée littéraire chez Marion Delorme, où, par une combinaison plus laborieuse encore qu’ingénieuse, il fait jouter ensemble Milton, Corneille, Descartes, Molière et les académiciens du temps.

385. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. Ve et VIe volumes. »

Et d’abord, il est incontestable, qu’en général, l’instant qui suit dépend beaucoup de celui qui précède ; que pour qui saurait bien l’un, l’autre ne serait plus guère un mystère ; et qu’un être auquel serait accordée la connaissance pleine et entière du présent n’aurait pas grand effort à faire pour y voir immédiatement et comme par intuition l’avenir. […] Que si cependant, par suite de certaines circonstances, l’homme ou plutôt la majorité des hommes qui forment une société vient à se prendre d’une passion unique et violente ; si cette société, comme il arrive en temps de révolution, en proie à une idée fixe, s’obstine à ce qu’elle prévaille, et, irritée des obstacles, n’y répond que par une volonté d’une énergie croissante, n’est-il pas évident alors que l’historien peut et doit tenir compte de cette disposition morale, désormais ordonnatrice toute-puissante des événements, la mêler à chaque ligne de ses récits, et les pénétrer, les vivifier tout entiers de cette force des choses, qui n’est après tout que la force des hommes ?

386. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre premier. Des signes en général et de la substitution » pp. 25-32

La lettre algébrique ne remplace pas le chiffre arithmétique tout entier avec sa quantité précise, mais seulement sa fonction et son rôle dans l’équation où il doit entrer. Le chiffre arithmétique ne remplace point la chose entière avec toutes ses qualités et caractères, mais seulement sa quantité et son nombre.

387. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Contre une légende »

Et, d’autre part, vous pouvez constater que cet esprit est celui de son œuvre entière et que, dans les trente volumes qui la composent, il n’y a pas une seule idée d’importance qui ne soit au moins en germe dans ce livre qu’il appelle plaisamment « son vieux pourana ». […] Non seulement l’humanité occidentale, mais toute la planète, mais le système solaire, mais l’univers entier a été de plus en plus présent à ses méditations et presque à chacune de ses démarches.

388. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre II. Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité »

L’esprit s’élève-t-il au-dessus de cette conception contradictoire, il ne trouve un terme et un but à la vie phénoménale que dans la cessation de celle-ci, dans sa résorption en un état d’unité absolue hors de la conscience de soi-même : c’est à quoi aboutissent tous les efforts logiques du souci religieux ou métaphysique, le Boudhisme avec une entière sincérité, le Brahmanisme et le Déisme avec la confusion en Dieu assignée comme but au perfectionnement individuel. […] À savoir écrit d’avance le texte entier du drame, à savoir qu’aucun effort n’y peut rien changer, à savoir qu’ils ne sont rien de plus que des acteurs, les hommesse désintéresseraient de leur jeu, de leurs paroles et de leurs mimiques ; ils ressembleraient à ces cabotins, qui récitent pour la salle des tirades pathétiques, tandis qu’ils murmurent quelque gaudriole à l’oreille de l’actrice qui leur donne la réplique.

389. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

Mais les esprits essentiellement critiques et moralistes n’ont le plus souvent besoin ni de grands mécomptes ni de désabusements directs pour arriver à leur plein exercice et à leur entier développement ; ils sont moralistes en un clin d’œil, par instinct, par faculté décidée, non par lassitude ni par retour. […] Les deux volumes, intitulés Conseils de Morale, ont été presque en entier formés de pages extraites çà et là dans ses articles, de débuts piquants et originaux de feuilletons à propos de quelque comédie du temps oubliée ; mais on a laissé en dehors ses jugements sur les auteurs. […] Le mordant se fait jour encore par places, par points, comme quand il s’agit de l’oncle de Revey, qui, en se mettant à son whist, prétend qu’on est toujours élevé ; mais le fond est en entier sérieux, ce qui n’empêche pas la finesse de bien des traits de s’y détacher. […] Du milieu de tant de déclamations vaines, où figurent pourtant çà et là quelques difficultés considérables et des griefs réels, le livre de Mme Guizot, qui embrasse l’éducation tout entière, celle de l’homme comme celle de la femme, offre une sorte de transaction probe et mâle entre les idées anciennes et le progrès nouveau. […] Je lis dans un morceau d’elle (17 juillet 1810) : Notre flambeau s’allume au feu du sentiment, a dit le poëte de la Métromanie, et je crois bien qu’on peut en effet regarder la sensibilité comme l’aliment de la poésie ; mais c’est lorsqu’elle n’est pas employée à autre chose, et que, tout entière au service du poëte, elle sert à éveiller son imagination, non à l’absorber.

390. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 5-79

La France persiste, et veut sagement se retirer dans sa neutralité envers le reste de l’Italie après ses victoires : l’Angleterre change à l’instant de langage et de diplomatie, prend la place abandonnée par la France, et pousse le Piémont, la France, l’Italie entière aux extrémités où nous marchons, pour ne point nous laisser le pas, même dans l’anarchie du continent. […] La jalousie de l’Angleterre aurait incendié de toutes ses torches les escadres françaises à Brest et à Toulon et les escadres russes de Cronstadt et de Sébastopol ; l’Allemagne tout entière, à l’exception peut-être de la Prusse, toujours prête à conniver avec tous les périls de l’Allemagne, se serait levée en masse pour défendre le Danube, la Turquie décapitée, l’Adriatique et l’Italie contre la ligue des Russes et des Français. […] Et moi, j’ose vous dire : L’Europe entière, pendant trente ans de guerre sur terre et sur mer, ne suffirait pas à les remplir. […] Comment se ferait-il que les Églises chrétiennes, les monastères chrétiens, couvrissent la Turquie entière de ces témoignages éclatants de la tolérance des Turcs, depuis le mont Sinaï jusqu’au fond de l’Égypte, depuis le fond de l’Égypte jusqu’au mont Liban, tout crénelé de couvents, depuis le mont Liban jusqu’au mont Athos et à ses trois cents couvents et à sa population exclusive de moines ? […] On a vu, à la guerre de Crimée, que l’Europe entière avait l’instinct unanime du danger de livrer l’empire ottoman aux Russes.

391. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

« Les preuves de la spiritualité de l’âme ne peuvent se trouver dans l’empire des sens, le monde visible est abandonné à cet empire ; mais le monde invisible ne saurait y être soumis ; et si l’on n’admet pas des idées spontanées, si la pensée et le sentiment dépendent en entier des sensations, comment l’âme, dans une telle servitude, serait-elle immatérielle ? […] Si chacun de nous veut examiner attentivement la trame de sa propre vie, il y verra deux tissus parfaitement distincts : l’un, qui semble en entier soumis aux causes et aux effets surnaturels ; l’autre, dont la tendance tout à fait mystérieuse, ne se comprend qu’avec le temps. […] Un intérêt intime se mêlait alors en elle à l’anxiété publique ; quelques jours auparavant son âme était tout entière à des soins de famille, à l’union la plus digne préparée pour sa fille, à la pensée du jeune homme de si noble nom et de si grandes espérances que sa fille et elle avaient choisi, et maintenant c’était des apprêts d’une fuite nouvelle, l’attente d’un nouvel ébranlement de l’Europe, d’une ruine publique où pouvait s’abîmer tout bonheur privé, qui de toutes parts obsédaient cette âme active, que les incertitudes ordinaires de la vie suffisaient à troubler parfois jusqu’à la souffrance. […] Ses griffes ont déjà reparu tout entières avant qu’il ait bondi jusqu’à nous. […] Le siècle entier porta ce deuil de famille ; elle n’eut ni les funérailles populaires de Mirabeau, ni les funérailles littéraires de Voltaire, mais elle eut les pieuses funérailles de fille, d’épouse, de mère, sous les chênes de Coppet, au pied du cercueil de son père, sur les bords de ce lac, en face de ces Alpes, où sa mémoire se confond à jamais avec celle de J.

392. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VIII : Hybridité »

Deux observateurs consciencieux, Kœlreuter et Gærtner, ont consacré leur vie presque entière à l’étude de cette importante question, et il est impossible de lire les divers mémoires ou traités qu’ils ont publiés à ce sujet, sans acquérir la conviction profonde que le plus généralement les croisements entre espèces sont jusqu’à un certain point frappés de stérilité. […] Blyth et du capitaine Hutton, que des troupeaux entiers de ces Oies hybrides existent en diverses provinces de ce pays ; et, comme on les garde pour leur produit, dans des endroits où ni l’une ni l’autre des espèces mères n’existent, il faut nécessairement qu’elles soient très fécondes. […] Dans l’un et l’autre cas, la tendance à la stérilité semble jusqu’à certain point en connexion avec les affinités systématiques ; car des groupes entiers d’animaux ou de plantes deviennent impuissants à se reproduire sous les mêmes conditions de vie contre nature, comme des groupes entiers d’espèces ont une disposition innée à produire des hybrides stériles. […] La nature, au contraire, agit avec uniformité et lenteur pendant de longues périodes, sur l’organisation tout entière, et de toutes les façons possibles pour le propre avantage de chaque être ; elle peut ainsi, directement, ou, ce qui est plus probable, indirectement, en vertu des lois de corrélation de croissance, modifier le système reproducteur de quelques-uns des descendants d’une espèce. […] Quant à la stérilité des hybrides dont les organes reproducteurs sont plus ou moins atrophiés, et chez lesquels l’organisation tout entière a été troublée par le mélange de deux organismes spécifiquement distincts, elle semble en rapport étroit avec la stérilité qui affecte très fréquemment les espèces de race pure, quand leurs conditions de vie naturelles ont été troublées.

393. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

L’usage de converser entre eux leur facilite le commerce indispensable de l’enseignement ; et la nation entière s’enrichit progressivement par l’échange commun que tous ses citoyens se font des acquisitions de leur esprit particulier. […] L’excellence de son cœur se joignait à l’excellence de son esprit ; et l’examen de sa vie entière confirme la vérité du principe que je développai dans mes précédentes séances. […] L’Athmonien y va de tout cœur, et se suspend tout entier à la corde ; mais ils ne tirent pas tous avec un zèle égal. […] La Grèce entière est une libre et noble famille dont tous les membres se surveillent dans leurs emplois divers, et se rendent mutuellement leur compte les uns aux autres, pour la conservation du bien et des droits de chacun. […] Certes on ne réformera pas l’espèce humaine entière, mais la maligne censure de Thalie polira les mœurs d’un grand nombre de personnes, et les sauvera des dangers de leur brutal aveuglement.

394. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

Il fait marner sa terre, et compte que de quinze ans entiers il ne sera obligé de la fumer. […] Et, d’autre part, il faut assembler cette multitude de causes pour le composer tout entier. […] C’est un paysage disposé de manière à être aperçu entier à chaque détour. […] Le poème de Renaud est bâti tout entier sur ces deux idées capitales. […] Il y a tel personnage, Néron par exemple, que cet art et ce tact du monde ont tout entier transformé.

395. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — II. (Suite.) » pp. 147-161

Parlant des honnêtes gens, des gens bien intentionnés et sincères qui se trouvèrent d’abord jetés de part et d’autre dans les deux camps : Et c’est ainsi que Dieu travaille, a dit lui-même le président Jeannin, quand il veut nous châtier sans nous perdre, quand il ne veut pas que la guerre finisse par le feu, le sang, la désolation générale, la ruine entière et le changement d’un État. […] Sully lui attribue ainsi qu’à Villeroi une part directe dans le rétablissement des Jésuites en France (1604) ; il suppose que ces deux conseillers, Jeannin et Villeroi, malgré leur entière conversion monarchique, avaient encore dans l’esprit quelque reste du vieux levain, « quelque diminutif de semence espagnolique et ligueuse dans la fantaisie », et qu’ils étaient portés à favoriser ce qui tenait à leur ancien parti. […] Sur cet avis, à quelque prix que ce fût, il voulut faire voile, et s’en alla sur le port, où la bonne fortune lui présenta le vice-amiral de Zélande, qui avait ordre de le passer avec trois vaisseaux de guerre qu’il avait laissés à la rade… Il partit, continue Saumaise, quelque résistance que lui fît l’amiral, et fûmes trois jours entiers les voiles abattues et pliées, à n’aller que par marée, quelquefois à la bouline et toujours avec travail ; cependant notre bon vieillard, quelque malade qu’il fût, ne se voulut coucher et dit qu’un homme de bien ne passait point la mer dans un lit.

/ 2639