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622. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XIV » pp. 58-60

Il eût dû être autre le lendemain de Lucrèce et sous le coup de l’enthousiasme même ; il l’eût dirigé en le partageant ; c’est de cette façon empressée que je conçois le mieux le rôle de la critique marchant, comme Minerve, en avant ou à côté de Télémaque. Mais enfin, cela ne s’étant pas fait, et après plus d’un mois, il n’y avait plus qu’à dresser un bilan définitif, à réagir un peu contre tout ce qui s’était dit de trop, et l’article satisfait généralement à ces conditions d’un rapport et d’un résumé final dans la situation très-complexe où se trouvait le critique, engagé qu’il était déjà par les antécédents de la Revue et par ses propres opinions.

623. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 337-339

Les Preuves de la Religion, ainsi que l’Examen des faits qui servent de fondement au Christianisme, seront toujours, aux yeux d’un Critique plus impartial, la réfutation de cet absurde badinage. […] Auroit-il traité d’Ecolier impudent, qui, mourant de honte & de faim, se fit Satirique pour avoir du pain **, un Critique estimable qui n’eût eu d’autre tort que d’éclairer la Littérature & de venger le bon goût ?

624. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

J’ai dit l’effet que produit de loin et historiquement l’ensemble de cette guerre ; mais, si on l’examine en détail et au point de vue stratégique, les observations et les critiques s’élèvent en foule. […] Ses relations « critiques et dogmatiques » sont des plus intéressantes ; il a fait l’histoire critique de quelques-unes des campagnes de son temps en s’appliquant à juger les opérations selon les principes de l’art et « à mettre en lumière les rapports des événements avec ces principes ». […] Formé à la grande école des Condé, des Turenne, des Créqui, des Luxembourg, il expose, analyse et critique avec beaucoup de précision les quatre premières campagnes de Catinat (1690, 91, 92 et 93) ; il discute les deux batailles de Staffarde et de La Marsaille, et fait sa part exacte à chacun des combattants. Aucun sentiment étranger à la pure raison et à l’amour de son art ne perce dans ces critiques du précurseur de Saint-Cyr et de Jomini. […] On ne désire dans ce livre ni plus de travail, ni plus de recherches, ni plus de mouvement, ni plus d’intérêt : on y voudrait seulement un peu plus de critique à l’égard des adversaires.

625. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [III] »

Dans cette bataille d’Eylau, après le moment critique passé, mais avant l’arrivée de Ney sur la fin de l’action, Napoléon, rentré dans la ville, hésitait sur ce qu’il ferait le lendemain. […] L’année 1811 fut pour Jomini une année d’étude et de travail : il avait à poursuivre sa Relation critique des Campagnes des Français depuis 1792. […] Mon cousin, … répondez au général Jomini qu’il est absurde de dire qu’on n’a pas de pain quand on a 500 quintaux de farine par jour ; qu’au lieu de se plaindre il faut se lever à quatre heures du matin, aller soi-même aux moulins, à la manutention, et faire faire 30,000 rations de pain par jour ; mais que, s’il dort et s’il pleure, il n’aura rien ; qu’il doit bien savoir que l’Empereur, qui avait beaucoup d’occupations, n’allait pas moins tous les jours visiter lui-même les manutentions ; que je ne vois pas pourquoi il critique le gouvernement lituanien pour avoir mis tous les prisonniers dans un seul régiment ; que cela dénote un esprit de critique qui ne peut que nuire à la marche des affaires, tandis que dans sa position il doit encourager ce gouvernement et l’aider, etc… » L’esprit de critique ! […] Il va y avoir de grandes choses à faire ; Jomini a senti se rallumer tout son zèle : et c’est pourtant cette année 1813 qui va être pour lui l’année critique, l’année fatale !

626. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Bien qu’un poëte ne soit pas nécessairement un critique, que mille éléments suspects animent les jugements littéraires qu’il laisse tomber d’un ton d’oracle, et qu’on ne doive pas lui en demander un compte trop scrupuleux, pourtant la préface en vers de M. de Musset renferme, entre autres opinions contestables, un rapprochement entre Mérimée et Calderon, qui m’a semblé dépasser toutes les bornes de la licence poétique en pareille matière : L’un, comme Calderon et comme Mérimée, Incruste un plomb brûlant sur la réalité, etc. […] Pour nous, critique, chargé d’enregistrer à temps ces choses nouvelles, nous tâcherons de n’y jamais manquer, et nous gardant, s’il se peut, de la précipitation enthousiaste qui prophétise inconsidérément des splendeurs par trop nébuleuses, nous ne serons pas des derniers à signaler les vraies apparitions dignes du regard. […] Rotrou fit de même devant Corneille. — A plus forte raison la critique le doit-elle faire à l’égard des œuvres de prix qui se succèdent. […] Sans croyance aux doctrines générales du passé, sans confiance aux vagues pressentiments d’avenir ni aux inductions d’une critique conjecturale, s’il abordait des actes et des passions tenant par leur milieu à une époque organique, il les verrait mal et les peindrait incomplétement. […] De nos jours, quand il a abordé certaines parties du règne de Napoléon, ç’a été la critique et l’ironie qui ont prévalu ; il nous a peint des lieutenants de la vieille armée espions, de jeunes fils de famille bonapartistes grossiers ; et sa sublime Prise d’une Redoute n’est que le côté lugubre de la gloire militaire : il n’a pas embrassé, dans les peintures détachées qu’il en a données, l’harmonie de ce grand règne.

627. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Ne prenant son Éloge d’Amyot distingué par l’Académie que comme un discours préliminaire, il a composé un livre tout plein de recherches et de dissertations sur les divers ouvrages d’Amyot, sur sa langue, sur sa vie ; il y discute tous les points qui ont prêté à la controverse et à la critique ; il s’applique à les éclaircir à l’avantage de son auteur, avec zèle, érudition et curiosité. […] Examinant ses traductions en elles-mêmes, des érudits et des critiques exacts y ont relevé des fautes, des inadvertances, des infidélités de divers genres. […] Rollin de même a été critiqué en toute sévérité par Gibert, par l’abbé Bellanger, et ces critiques rigoureux ont presque partout raison contre lui, ce qui n’empêche pas Montesquieu d’avoir eu raison à son tour dans sa louange mémorable. […] La confusion de Plutarque et d’Amyot a été continuelle, et, malgré tout ce qu’ont pu faire quelques critiques, cette association n’a pu se rompre. […] Un critique de nos jours que j’aime à citer comme le plus fin et le plus délicat des esprits, M. 

628. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

A ce point de vue, qui n’est guère celui de la critique classique d’autrefois, les grands écrivains de la France perdent en quelque sorte leur individualité ; ils ne sont que les moments différents de l’évolution de l’idée : ils en expriment les diverses étapes. […] Cette pensée fondamentale de l’auteur donne à son livre une grande force et une grande unité ; on peut trouver sans doute que cette manière abstraite de juger les œuvres et les écrivains conviendrait mieux à un métaphysicien qu’à un critique. […] Donnons quelques exemples de cette double critique, d’un côté large, éclairée, vraiment philosophique, de l’autre trop restreinte et trop circonspecte, trop jalouse de maintenir au détriment du libre génie, la règle et l’autorité. […] Nisard dira-t-il, comme l’ancienne critique classique, que ce soit là le chef-d’œuvre de Boileau ? […] Comment, vous critiques, qui regrettez sans cesse dans notre littérature l’élément gaulois et populaire, comment n’avez-vous pas vu que ce poëte est de race gauloise, de race populaire, que c’est là le Parisien, mais le Parisien à l’âge mûr, frère de Molière et de la Fontaine, quoique au-dessous.

629. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

Loin de moi la pensée de critiquer leur critique pour le plaisir de faire de la critique à mon tour. […] Pour ma part, quand je repasse dans ma mémoire les résultats de l’admirable enquête poursuivie inlassablement par vous pendant plus de trente ans, quand je pense aux précautions que vous avez prises pour éviter l’erreur, quand je vois comment, dans la plupart des cas que vous avez retenus, le récit de l’hallucination avait été fait à une ou plusieurs personnes, souvent même noté par écrit, avant que l’hallucination eût été reconnue véridique, quand je tiens compte du nombre énorme des faits et surtout de leur ressemblance entre eux, de leur air de famille, de la concordance de tant de témoignages indépendants les uns des autres, tous analysés, contrôlés, soumis à la critique — je suis porté à croire à la télépathie de même que je crois, par exemple, à la défaite de l’Invincible Armada. […] Je ne reproduirai pas ici la critique à laquelle j’ai soumis jadis la théorie courante des aphasies — critique qui parut alors paradoxale, qui s’attaquait en effet à un dogme scientifique, mais que le progrès de l’anatomie pathologique est venu confirmer (vous connaissez les travaux du Pr Pierre Marie et de ses élèves). […] Toutefois, ne disposant pour le moment que de cette méthode historique ou critique, elle n’eût pu vaincre le scepticisme de ceux qui l’auraient mise en demeure — puisqu’elle croyait à l’existence de ces bateaux miraculeux — d’en construire un et de le faire marcher.

630. (1913) Les livres du Temps. Première série pp. -406

La critique n’est-elle que la ménagère de la Littérature ? […] Le critique s’affranchit de cet égoïsme. […] Tel est le véritable état critique. […] La critique n’aura guère été pour M.  […] Un critique universitaire, M. 

631. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres publiées par M. J. Sabbatier. Tome Ier, 1845. » pp. 154-168

Sabbatier parle de Ginguené en de très-bons termes que nous ne contesterons pas ; Ginguené était un littérateur de grand mérite, plus instruit que La Harpe, bonne plume, bon critique, mais non point d’un goût exquis, comme M. […] Sabbatier, qui ne veut voir partout qu’esprit de coterie et d’envie contre son héros, ne peut concevoir non plus que des critiques, gens d’esprit, tels que MM. Auger et de Feletz, aient essayé, à certain jour, d’effleurer de leur plume un écrivain qui ne leur paraissait ni aussi neuf ni aussi pur qu’à d’autres ; le biographe en prend occasion de s’exprimer sur le compte de ces deux critiques, l’un strictement judicieux et l’autre agréable, d’une façon qui ne se ressent en rien assurément du goût ni de l’aménité littéraire. […] L’éditeur répète à chaque page de sa Notice qu’il n’y a plus ni critique, ni indépendance de jugement en France ; il aurait trop lieu de le croire, si de pareilles énormités littéraires passaient tout à fait inaperçues.

632. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

Irons-nous donc, à l’exemple de certains critiques, ranger La Fontaine parmi ces deux ou trois antiquaires de son temps, et mettre le bonhomme tout juste entre Ménage et La Monnoye, lesquels, comme on sait, tournaient si galamment les vers grecs et les offraient aux dames en guise de madrigaux ? […] Un critique éclairé du Journal des Débats, séduit par quelques traits de vague ressemblance, et cédant aussi à cette influence secrète qu’exerce le paradoxe sur les meilleurs esprits, estime que La Fontaine doit beaucoup « et à nos contes, et à nos poëmes, et à nos proverbes, depuis le Roman de Renart, dont on ne me persuadera jamais qu’il n’ait pas eu connaissance, jusqu’aux farces de ce Tabarin qu’il cite si plaisamment dans une de ses fables. » Quant aux farces de Tabarin, quant à nos contes, à nos poëmes imprimés, je pourrais tomber d’accord avec le savant critique ; mais le Roman de Renart, alors manuscrit et inconnu, où le bonhomme l’eût-il été déterrer ? […] Il y eut un moment où les deux Colletet père et fils, et la belle-mère de celui-ci, la belle-maman, comme il disait, se faisaient à qui mieux mieux en madrigaux les honneurs du Parnasse : ce qui devait prêter assez matière aux rieurs du temps (Mémoires de Critique et de Littérature, par d’Artigny, tome VI).

633. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

Vitet, l’un des écrivains qui ont le plus contribué comme critiques à l’organisation et au développement des idées nouvelles dans la sphère des arts, un de ceux qui avaient le plus travaillé à mettre en valeur la forme dramatique de l’histoire et à la dégager des voiles de l’antique Melpomène ; homme politique des plus distingués, il se trouvait en présence d’un homme d’État chargé de le recevoir sur un terrain purement littéraire. […] Il a rassemblé et distribué ses remarques critiques par considérations générales, il les a laissées planer en quelque sorte. Dans son morceau sur l’influence méridionale, sur la sonorité harmonieuse et un peu vaine de la langue et de la mélopée des troubadours, dans les hautes questions qu’il a posées sur les conditions d’une véritable et vivante épopée, dans sa définition brillante et presque flatteuse du peintre exclusif et du coloriste, il s’est montré un juge supérieur jusqu’au sein du panégyrique, et en même temps la plus religieuse amitié n’a pas eu un moment à se plaindre ; car s’il a eu le soin de maintenir et comme de suspendre ses critiques à l’état de théorie, il a mis le nom à chacun de ses éloges. […] Ce qui l’a distingué de bonne heure, ç’a été le talent de généraliser et de peindre les idées critiques ; il y met dans l’expression du feu, de la lumière, et une verve d’élégante abondance.

634. (1874) Premiers lundis. Tome I « Alexandre Duval de l’Académie Française : Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock »

Mais quoique la critique en pareil cas ne soit nullement tenue de susciter le génie d’un trait de plume et de l’exhiber à l’heure précise, quoique ce soit là l’affaire du génie lui-même, et de Dieu qui l’a fait naître, on ne serait pas embarrassé, si on l’osait, de compter d’avance et de nommer par leur nom un bon nombre des soutiens et des ornements de cet art nouveau ; tant l’œuvre a déjà mûri dans l’ombre, et tant les choses sont préparées. […] Il s’est surpassé à notre égard, et nous lui savons gré de la distinction, « Il ne faut pas, dit-il, se laisser imposer par le ton rogue et quelquefois brutal de certains critiques. […] Cet intervalle de près de deux ans est marqué, dans l’œuvre du critique : 1° par la publication en 1828 de son premier livre, en prose, Tableau historique et critique de la Poésie française et du Théâtre français au xvie  siècle ; 2° en 1829, par l’apparition de son premier volume de vers, Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme.

635. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Des scènes vraies, habiles, du comique de situation, des détails fins et de jolis mots en abondance, des endroits mêmes d’un pathétique assez naturel, tout cela monté à merveille et joué avec ensemble, remplit délicieusement deux heures de soirée, et ne laisse pas jour à la critique qui s’endort sur une agréable impression. […] Un homme de cœur et de savoir, informé d’une supercherie infâme, qu’un Corps savant couronne par la main d’un prétendu géographe, se récrie dans une indignation généreuse ; mû d’un sentiment désintéressé, patriotique, il ose dire ce qu’il a vu, ce qu’il a connu ; il compromet son repos, il s’expose à un assassinat, et par là-dessus il encourt le blâme de ces honnêtes compilateurs, copistes sans critique et sans coup-d’œil, qui jugent avant tout qu’il a été un peu loin. […] Maurize une critique hardie, ingénieuse, de l’ordre social actuel, critique où M. 

636. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Anatole France, le Lys rouge »

Il est vraiment, lui, un philosophe, un critique, un observateur et un descripteur sagace de ses propres mouvements. […] Ils parlent sans doute avec élégance : mais, en somme, ils ont peu d’idées ; ce ne sont point des critiques ; leur culture philosophique est médiocre, et nulle part il n’apparaît qu’ils aient lu Darwin, Stendhal, Hartmann et Anatole France… Bref, la dualité de Jacques Dechartre me déconcerte. […]     De même que ces mondains ont des fureurs de satyresse et de faune ; de même que ce faune et cette satyresse ont des esprits ingénieusement et constamment critiques, ainsi ces païens enragés ont des sensibilités et des mélancolies toutes pieuses. […] Nous sommes un peu redevables de cette évolution au plus impérieux de nos critiques : c’est M. 

637. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XX. Mme Gustave Haller »

si on réussit, on l’ôtera, ce masque, et on jouira de sa petite gloire, à visage découvert… Or, comme en attendant cet heureux jour, on l’avait levé pour la Critique qu’il faut séduire, et qui n’étant pas une Lucrèce, mais une femme des plus galantes, avait fait à l’auteur du Bluet force articles favorables et madrigalesques, la personne mystérieuse qui signe Gustave Haller, avait, enchantée, levé un bout de masque aussi du côté du public. […] Quand il parut, c’est ainsi que je le traitai, en n’en parlant pas, je le traitai comme une chose légère et manquée… manquée par une femme, jolie peut-être, et qui, si elle est jolie, n’a pas besoin d’être bas-bleu… Je laissai les galantins de la Critique se ruer aux compliments, selon leur usage, dès que la moindre femme écrit la moindre chose ; et elle, je la laissai aussi faire sa compote de tous leurs compliments, entassés à la fin de son volume. […] Elle ouvre boutique de littérature, et volontairement elle se place sous la coupe de la Critique, de celle-là qui n’est pas galante, et qui pourrait bien couper… II Vertu. […] La Critique s’est sentie émue jusqu’aux larmes devant ce dessin de Carpeaux, et ce dessin, indigne de lui, a été une des causes du succès du livre, demandé passionnément, je le sais, dans les cabinets de lecture.

638. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

Mais, en fin de compte, tout livre, quel qu’il soit, donne après tout l’esprit d’un homme dans le plus pur de sa substance, à quelque chose qu’il l’ait appliqué, et c’est par l’esprit et la forme qu’il imprime toujours et forcément à la pensée que ce livre appartient à la critique générale telle qu’on s’efforce d’en faire ici… En critique, il ne s’agit jamais que de prendre la mesure d’un homme, et les livres ne servent guères qu’à cela. […] Il y a même de très grands écrivains, de très grands artistes, qui emploient leur talent et leur art à fausser l’histoire et à faire d’elle la servante ou d’un système ou d’un parti ; par cela seul se déshonorant de ce qu’ils l’ont déshonorée… Michelet est de ceux-là, par exemple, et la critique peut pleurer sur lui, parce qu’elle sait tout ce qu’en le perdant la vérité y a perdu. […] Aussi, même en dehors de ce qui est l’instruction et la discussion, en ces Études où il est plus particulièrement un critique de guerre dans l’antiquité et surtout dans les temps modernes, il a laissé des pages où le penseur a fait équation avec l’écrivain.

639. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes et la société au temps d’Auguste » pp. 293-307

Il a publié des Poésies, des essais de critique et d’histoire, des traductions de l’allemand, et toujours dans la Revue des Deux-Mondes, cette crypte obscure où l’on a froid… L’Allemagne et la Revue des Deux-Mondes, quelle combinaison ! […] Dans l’Antiquité, en effet, comme l’a très bien remarqué l’auteur des Femmes au temps d’Auguste, il n’y a pas de critique historique. […] Ces élégants ou fastueux traîneurs de robes et de toges, ces dandys à la ceinture lâche, qui comprenaient probablement l’histoire comme Blaze de Bury, étaient trop artistes, trop préoccupés de l’effet esthétique dans leurs œuvres, pour se perdre en ces chicanes minutieuses où s’usent des milliers d’yeux et d’esprits modernes… La Critique historique, telle que l’esprit moderne la conçoit et l’exige, était inconnue au temps de Tacite et de Suétone, qui se tirent de toute chose douteuse avec un mot ou deux : Rumor ou ut referunt, dits de très haut, et passent… Esprits superbes, qui n’insistent pas, qui ne s’attachent pas à un texte. […] Quand l’écrivain serait lourd, gauche, maladroit, sans style et sans manière ; quand il serait bête comme Dangeau, par exemple, ni sa lourdeur, ni sa gaucherie, ni sa maladresse, ni même sa bêtise n’invalideraient l’autorité du renseignement qu’il apporte, si ce renseignement résiste à l’examen et aux expériences de la Critique.

640. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Michelet » pp. 259-274

L’homme, puissant d’un talent qui touchait au génie, faisait un si grand mal alors que la Critique n’avait pas à s’attendrir sur son compte et ne pouvait songer à autre chose qu’à frapper implacablement sur les erreurs ou les songes de ce corrupteur de l’Histoire ; car le mensonge fut souvent le caractère de ses erreurs. […] Ce que je n’ai pas dit quand il combattait contre nous, je puis le dire maintenant, pour que la justice de la Critique soit complète. […] Bien avant ce livre, du reste, et avant moi, en 1862, un écrivain catholique, que les hommes du monde appelleraient « un voyant » en matière humaine et littéraire, et les esprits religieux « un mystique » de surnaturelle pénétration, Ernest Hello, avait montré, dans un très beau et très touchant travail de critique, que Michelet était chrétien dans la racine même de son être, et comment le christianisme naturel qu’il avait tout fait pour s’arracher de l’âme aurait, s’il l’y avait laissé, donné à son talent toute la beauté de sa destinée. […] Il eut cette effroyable logique qu’on appelle l’impénitence finale, et ce sera sa damnation aussi devant la Critique.

641. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVI. Buffon »

Là, on trouve une critique de Buffon pleine de verve, de mouvement, de sagacité et de science, — une critique faite par un amour qui a déchiré son bandeau, mais qui n’en est pas moins de l’amour encore. […] Assurément, nous ne croyons pas que jamais il sorte de cette critique de l’amour qui est la sienne quand il s’agit de Buffon, et qu’il puisse entrer dans cette impartialité froide qui est la vraie température de toute critique ; mais rendons-lui justice, et convenons que pour lui l’enfant de Buffon, le cartésien comme Buffon, l’homme incessamment occupé à brosser comme un diamant la gloire de Buffon, pour qu’elle brille davantage, il a cependant dans le regard une fermeté qui étonne quand il le porte sur son maître.

642. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVIII. Lacordaire »

Lacordaire vient d’entrer à l’Académie, la Critique littéraire doit se trouver heureuse d’avoir un livre du nouvel académicien à examiner. […] Jésus-Christ pour elle… Ici, avant d’aller plus loin, la Critique a besoin de s’excuser sur le langage que le livre du R.  […] La Critique qui n’a point, elle, la main sacerdotale du Père Lacordaire, tremble quand il s’agit de toucher à cette chose immense et divine, l’âme de N. […] nulle part, ni dans sa Vie de saint Dominique, ni dans ses Mélanges, les défauts en question n’ont été d’une plus triste évidence que dans le livre de Sainte Marie-Madeleine, et j’en veux donner un exemple par plusieurs citations, plus convaincantes que toutes les critiques.

643. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

Cette plume est grave, orthodoxe, renseignée, pleine de droiture, très au courant des obligations de l’histoire et de l’historien, que celui qui s’en sert a exposées avec netteté dans une introduction fort bien faite, mais où il a un peu trop insisté peut-être sur les critiques dont son premier livre a été l’objet. […] Si ce qu’ils ont écrit est vrai et beau, la critique se brisera ou s’usera sur ce marbre. […] J’admets pourtant une exception à cette règle, que j’ose poser comme absolue : c’est quand la réponse aux critiques, cessant d’être personnelle, implique l’idée du livre même et la creuse ou l’éclaire plus profondément en le défendant. […] L’abbé Christophe n’a point ajouté à la défense et aux justifications commencées par des historiens et des critiques qui vont plus loin que lui dans leurs investigations.

644. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Raymond Brucker » pp. 27-41

L’individualité de l’auteur s’y révélant bien moins que dans la publication d’un ouvrage, jusque-là inédit, les réimpressions sont des espèces de renseignements sur l’esprit public que le libraire suit toujours plus qu’il ne le précède… Mais quand, de plus, elles sont une rénovation de l’œuvre déjà publiée, quand l’auteur y apparaît derrière le libraire, quand, riche du bénéfice des années, l’écrivain change le caractère d’un livre qu’il juge et condamne, du haut des acquisitions de sa pensée, les réimpressions prennent alors une importance que la Critique est obligée de signaler. […] Écrit sur le peuple et pour le peuple, ce roman ne saurait passer inaperçu aux yeux d’une Critique qui aime à trouver la moralité et le bonheur du peuple dans toutes les préoccupations du Pouvoir. […] Tous deux, ils ont écrit des romans, des dissertations, des œuvres de théâtre, de la critique, du dogme et des prospectus pour des marchands de foin. […] Brucker alluma dans sa tête ce système, asphyxiant pour les imaginations vives, le Fouriérisme, et c’est ainsi que le suicide de sa vie, il ne l’accomplit que sur sa raison… C’est dans cette orageuse période de sa jeunesse qu’il écrivit avec un talent haletant et convulsé le livre intitulé Mensonge, où la Critique put remarquer un effrayant chapitre intitulé Le Fond des âmes, enlevé dans l’amère et ironique manière d’Henri Heine, un des plus grands poètes qui aient paru depuis Byron, mais une fleur de poésie mortelle aux âmes qu’elle touche, comme le laurier-rose, dont elle a les suavités de teinte et les poisons.

645. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Edmond About » pp. 91-105

Edmond About n’avaient que leur propre valeur intrinsèque, la Critique en dirait deux mots à peine : ce serait tout et ce serait assez. […] About a beaucoup dans un ordre d’idées différent, oiseaux moqueurs du même plumage et du même sifflet ; et la Critique, en général, eut pour lui, comme pour ces messieurs, les bontés un peu compromettantes pour tout le monde, que les vieilles femmes qui ne furent pas bégueules ont parfois pour les lycéens. Et le Public s’y prit aussi, et plus franchement que la Critique. […] Avec deux ou trois conseils, il tiendrait son genre, — l’annonce illustrée, — et la Critique, en les lui donnant, devrait surtout l’empocher de retourner à cette vieille littérature qui a la bonté de s’occuper, en retardataire, des développements et des problèmes du cœur humain.

646. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

Un critique mordant (je le sais, moi ! […] … Le plus souvent les lectures des critiques se font sous la dictée du bruit public, et ce devrait être le contraire. Les critiques devraient dicter le bruit public. […] C’est toujours le mot si comique de madame de Staël, de madame de Staël avec laquelle pourtant l’Autorité avait le droit de se montrer plus sévère que la Critique n’a le droit de se montrer distraite avec Gravillon : « Si vous avez des enfants, monsieur, — disait-elle en riant au colonel de gendarmerie qui la reconduisait à la frontière de Suisse, — apprenez-leur ce que le talent rapporte et dégoûtez-les d’en avoir ! 

647. (1888) Portraits de maîtres

Elle arbore pour devise : « Comprendre et toujours comprendre. » Elle se résume dans cette formule : « Abandonner la petite et facile critique des défauts pour la grande et féconde critique des beautés. » C’est à partir de ce moment que le Critique nous est apparu sous sa forme actuelle, singulièrement agrandie. […] La riposte, les représailles sont de droit pour la critique. […] On a pu se demander comment Sainte-Beuve était devenu critique et seulement critique de poètes en vue et en pleine lutte. La cause de la poésie romantique à gagner a fait de Sainte-Beuve un critique de combat ; la cause gagnée, il est devenu critique de profession mais de vocation aussi ; car le critique était en germe dans ses poèmes de réflexion et d’analyse. […] Ce sont des accidents dont la critique ne peut tenir compte.

648. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat. (suite et fin) »

La restitution de Bossuet grand sermonnaire, et l’un des plus célèbres, le plus célèbre même, dans les chaires de Paris avant Bourdaloue, est assez considérable en soi ; c’est une assez belle conquête de la critique historique : qu’elle sache s’en contenter et se tenir pour satisfaite sans trop exiger. […] Si la critique, trop choquée de ces phrases bizarres, eût harcelé un homme aussi ardent que l’évêque de Meaux, croit-on qu’elle l’eût corrigé ? […] Chateaubriand, dans ce jugement, d’ailleurs si bien exprimé, a trop pensé d’abord à lui, selon son usage, et aux critiques qu’on avait faites d’Atala ; et aussi il n’a pas assez regardé les sermons de Bossuet en eux-mêmes, tels qu’on les avait dans les éditions d’alors, très suffisantes.

649. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 39-51

elles ont été relevées par des Critiques très-propres à lui faire sentir la nécessité de traduire une seconde fois son Auteur, ou à le dégoûter pour jamais de la traduction. […] Linguet est un plat Ecrivain, un homme ignorant, étranger à la Littérature, un Ecolier qui n’a aucun principe de critiques ; qu’il s’y justifie, comme il pourra, de s’être revêtu des dépouilles de cet Ecolier ennemi, après avoir causé sa disgrace. […] S’il se plaint que nous avons renchéri sur notre premiere critique, qu’il se souvienne que le but de cet Ouvrage est de tendre à la perfection ; & s’il nous accusoit de contradiction à son sujet, qu’il apprenne que se corriger n’est pas se contredire, & qu’en fait de jugemens littéraires, comme en matiere de testamens, les derniers sont toujours les meilleurs.

650. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1851 » pp. 1-9

Clairville et Dumanoir : — un feuilleton où Janin nous fouettait avec de l’ironie, nous pardonnait avec de l’estime et de la critique sérieuse ; un feuilleton présentant au public notre jeunesse avec un serrement de main et l’excuse bienveillante de ses témérités. […] » Et des rêves, et des châteaux en Espagne, et la tentation de se croire presque des grands hommes armés par le critique des Débats du plat de sa plume, et l’attente, penchés sur nos illusions, d’une avalanche d’article dans tous les journaux. […] Le critique, très aimablement, nous promet de nous lire le soir et de faire son rapport le lendemain.

651. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — De la langue Latine. » pp. 147-158

Quelque critique sévère que le censeur de Cicéron fit de ses ouvrages, il sentoit, & faisoit appercevoir, mieux que personne, les beautés dont ils sont remplis. […] Malgré les critiques terribles qui se sont toujours élevées contre le stile décousu & manièré, il n’est point encore passé de mode. […] On y a couvert tout récemment les deux partis de ridicule dans un ouvrage imprimé à Venise en 1740, in-8°., sous ce titre* : Observations critiques concernant la langue latine, moderne, par le seigneur Paul Zambaldi, gentilhomme de la ville de Feltre.

652. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 24, objection contre la solidité des jugemens du public, et réponse à cette objection » pp. 354-365

Notre siecle est trop éclairé, et, si l’on veut, trop philosophe pour lui faire croire qu’il lui faille apprendre des critiques ce qu’il doit penser d’un ouvrage composé pour toucher, quand on peut lire cet ouvrage, et quand le monde est rempli de gens qui l’ont lû. […] C’est aux ouvrages à se défendre eux-mêmes contre de pareilles critiques, et ce qu’un auteur peut dire pour excuser les endroits foibles de son poëme, n’a pas plus d’effet qu’en ont les éloges étudiez que ses amis peuvent donner aux beaux endroits. […] En effet tous les raisonnemens des critiques ne sçauroient persuader qu’un ouvrage plaise lorsqu’on sent qu’il ne plaît pas, comme ils ne peuvent jamais faire accroire que l’ouvrage qui interesse, n’interesse pas.

653. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Léon Bloy »

Si les préfaces signifient quelque chose, c’est quand elles sont les prévisions de la Critique en faveur des obscurs, qu’elle distingue dans leur obscurité et qu’elle doit aimer à faire monter dans la lumière. […] Or, Léon Bloy est précisément un de ces obscurs que la Critique a pour devoir de pousser aux astres, s’ils ont la force d’y monter. […] Il n’a pas fait qu’un livre sur un livre, comme tout critique en a le droit ou se l’arroge.

654. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre second » pp. 200-409

Quintilien n’est franc ni dans sa critique, ni dans son éloge ; on y sent de la gêne. […] Le critique de Sénèque ne sera pas l’approbateur de Tacite, et tant pis pour lui. […] Vous qui l’accusez, c’est à vous qu’il demande conseil dans cette conjoncture critique. […] Avant que de répondre aux critiques, j’ai cru devoir consulter des hommes sages, et voici ce qu’ils m’ont dit. […] 21° Et puis voilà le même grand homme, Voltaire, traité d’Idole à la mode par les mêmes critiques.

655. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gille, Philippe (1831-1901) »

. — Les Mercredis d’un critique (1895). — Causeries du mercredi (1896). — Ceux qu’on lit (1897) ; un assez grand nombre de pièces de théâtre. […] Publiciste et critique littéraire, la tournure légère et gauloise de son esprit ne semblait pas révéler en lui le véritable poète qu’il est.

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