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589. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

Chacune des périodes de temps, chacune des révolutions d’état et de mœurs qui constituent le siècle, depuis Louis XV jusqu’à Napoléon, a été étudiée par nous, selon notre conscience et selon nos forces. […] Ce ne seront plus seulement les actes officiels des peuples, les symptômes publics et extérieurs d’un état ou d’un système social, les guerres, les combats, les traités de paix, qui occuperont et rempliront cette histoire. […] Il rappellera comment, par les exigences de leur toute-puissance, par les lâchetés et les agenouillements qu’elles obtinrent autour d’elles d’une petite partie de cette noblesse, ces trois femmes anéantirent dans la monarchie des Bourbons ce que Montesquieu appelle si justement le ressort des monarchies : l’honneur ; comment elles ruinèrent cette base d’un état qui est le gage du lendemain d’une société : l’aristocratie ; comment elles firent que la noblesse de France, celle qui les approchait aussi bien que celle qui mourait sur les champs de bataille, et celle qui donnait à la province l’exemple des vertus domestiques, enveloppée tout entière dans les calomnies, les accusations et les mépris de l’opinion publique, arriva comme la royauté, désarmée et découronnée, à la révolution de 1789. […] Ces trois volumes sont restés à l’état de projets.

590. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre II. Shakespeare — Son œuvre. Les points culminants »

Mercure, ami de tout le monde, vient lui donner des conseils de lendemain de coups d’état. […] Savoir que le roi était un assassin, c’était un crime d’état. […] Tout maladif qu’il est, Hamlet exprime un état permanent de l’homme. […] On lui ôterait sa famille, son pays, son spectre, et toute l’aventure d’Elseneur, que, même à l’état de type inoccupé, il resterait étrangement terrible.

591. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

Quant à moi, j’y saisis l’expression la plus complète, la plus précise et la plus raffinée de cet état spécial a quelques-uns de nos jeunes artistes, que je qualifierais de terreur du réel ou d’onanisme mental. […] J’avais pris la défense de la vie comprise à la façon païenne, c’est-à-dire large et féconde, contre les mystiques et les in-sensuels de tout ordre, qui dirigent tous leurs efforts vers son anéantissement ; mais je ne traitais pas, à proprement parler, la question des rapports de la vie sexuelle et de la vie cérébrale, question qui aurait exigé une démonstration scientifique, et qui demeurait englobée, à l’état embryonnaire, dans la généralité de ma thèse. […] Harmoniser la vie intérieure et la vie extérieure, pénétrer les rapports de l’ensemble et du « soi », tel doit être notre devoir, si nous voulons parvenir à un état vraiment digne d’être vécu. […] Grabowsky entend par des « sens en repos », l’état de perpétuelle excitation qu’engendre l’abstinence, et par un « esprit libre », le cerveau que titille incessamment besoin sexuel !

592. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Revue encyclopédique. Publiée par MM. H. Carnot et P. Leroux »

Un des traits les plus caractéristiques de l’état social en France, depuis la chute de la Restauration, c’est assurément la quantité de systèmes généraux et de plans de réforme universelle qui apparaissent de toutes parts et qui promettent chacun leur remède aux souffrances évidentes de l’humanité. […] Reynaud, on a eu tort de tant décrier les formes représentatives ; elles sont précieuses à conserver : c’est un cadre où toutes les idées avancées de réforme peuvent s’introduire ; il ne s’agit que de faire concorder ce cadre dans ses divisions et compartiments avec l’état vrai de la société.

593. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVIII. Pourquoi la nation française était-elle la nation de l’Europe qui avait le plus de grâce, de goût et de gaieté » pp. 366-378

En Allemagne, de longues guerres et la fédération des états prolongeaient l’esprit féodal, et n’offraient point de centre où toutes les lumières et tous les intérêts pussent se réunir. […] Les hommes qui composent ces premières classes, disposant de toutes les faveurs de l’état, exercent nécessairement un grand empire sur l’opinion publique ; car à l’exception de quelques circonstances très rares, la puissance est de bon goût, le crédit a de la grâce, et les heureux sont aimés.

594. (1897) La crise littéraire et le naturisme (article de La Plume) pp. 206-208

Et cependant l’état spirituel de la masse est resté stationnaire. […] * *   * Avec une pareille compréhension de la Beauté, il est aisé de se rendre compte de la singulière aversion que nous inspira l’état présent des lettres vers les premières heures de nos débuts.

595. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre IV Le Bovarysme des collectivités : sa forme imitative »

C’est ce que fut cette appellation de citoyen dont on fit un terme égalitaire : une conception politique qui devait aboutir à substituer, plus fortement que ne l’avait fait le pouvoir royal, l’état à la cité, était mal venue à relever ce titre de citoyen, d’origine si particulariste, inventé naguère pour consacrer une distinction et un privilège. […] Remy de Gourmont 8, l’invasion des mots grecs : introduits par les savants qui ne font état que de leur valeur significative, n’ayant pas été accommodés et mis au point par le gosier et l’oreille populaire, ces mots ne parviennent pas à se fondre dans la substance sonore du langage ; ils y résonnent comme do fausses notes.

596. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mon mot sur l’architecture » pp. 70-76

Eh bien, mon ami, comptez que les temples et les chaumières et les dieux resteront dans cet état misérable jusqu’à ce qu’il arrive quelque grande calamité publique, une guerre, une famine, une peste, un vœu public, en conséquence duquel vous voyiez un arc de triomphe élevé au vainqueur, une grande fabrique de pierre consacrée au dieu. […] Dans les ordres inférieurs il faut choisir l’individu le plus rare, ou celui qui représente le mieux son état, et se soumettre ensuite à toutes les altérations qui le caractérisent.

597. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 14, comment il se peut faire que les causes physiques aïent part à la destinée des siecles illustres. Du pouvoir de l’air sur le corps humain » pp. 237-251

Elle suffit pour changer l’état d’une maladie ou d’une blessure. […] Vida qui étoit poëte, avoit éprouvé lui-même plusieurs fois ces momens où le travail d’imagination devient ingrat, et il les attribuë à l’action de l’air sur notre machine ; on peut dire en effet que notre esprit marque l’état présent de l’air avec une exactitude approchante de celle des barometres et des thermometres.

598. (1897) L’empirisme rationaliste de Taine et les sciences morales

En tout cas, dès le xviie  siècle, Hobbes la constitua à l’état de système. […] Car la psychologie expérimentale, dont il a été le principal initiateur en France, repose précisément sur cet axiome que la conscience n’est pas une réalité aussi simple et aussi facile à connaître que le supposait l’école introspectionniste ; qu’elle ne se réduit pas à un petit groupe d’idées claires et d’états distincts dont la formule est facile à trouver ; mais qu’elle a, au contraire, des dessous profonds et obscurs et où, pourtant, il n’est pas impossible de faire progressivement descendre la lumière de la raison.

599. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Première partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées religieuses » pp. 315-325

Les cieux seront pliés et emportés comme la tente d’un berger , que la parole divine subsistera toujours : ils seront réduits à l’état d’un manteau usé , que la parole éternelle sera encore la parole éternelle. […] Laissez, au contraire, le Pape, qui est le souverain pontife de la parole, saisir dans toute son étendue le gouvernement spirituel de la chrétienté ; que le prêtre soit en même temps citoyen de l’état et sujet du chef de l’Église ; et que le chrétien exerce ses droits politiques ou remplisse ses devoirs religieux, sans que ces deux sortes d’actes aient aucune liaison entre eux.

600. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

Ne l’attendez pas d’un peuple chez qui domine l’intérêt : la gloire est la monnaie des états, mais la gloire ne représente rien où l’or représente tout. […] Dans cet état il leur faut un appui.

601. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre I. Les personnages »

Ayant réduit les autres à l’état de mannequins, il est obligé d’être mannequin lui-même. […] Les conditions font les caractères, car le caractère n’est que l’ensemble des sentiments habituels, lesquels naissent de notre état journalier. […] L’homme disparaît, la machine reste ; chacun prend les défauts de son état, et de ces travers combines naît la société humaine. […] Il me faut une grâce d’état spéciale, et je cours risque d’être un des personnages de mon auteur. […] Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence L’état de notre conscience.

602. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Leur rôle est de défendre les états d’âme en faveur ; ils sont les conservateurs du régime actuel ; ils opposent perpétuellement hier à demain. […] Et pareille éducation nous met vis-à-vis des autres peuples, dans un état lamentable d’infériorité. […] Dans quel état de dégénérescence sommes-nous tombés. […] Est-il utile d’insister sur leurs états d’âme ? […] Leurs vices et leur dégradation sont la conséquence de l’état actuel de la société, et le seul fait qu’ils vivent largement leur confère un caractère de beauté.

603. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite et fin.) »

C’est le samedi 3 mars 1838 que, nonobstant un état de santé des plus précaires, et sans tenir compte des observations de son médecin, il vint lire cet Éloge de Reinhard dans une séance dite ordinaire, mais qui fut extraordinaire en effet. […] Dès le mardi 15 mai (1838), M. de Talleyrand était dans un état désespéré. […] Il est vrai que Sieyès s’était éteint dans une sorte d’obscurité, qu’il était avant tout philosophe, et, par l’esprit du moins, demeuré fidèle à ce grand tiers état du sein duquel il était sorti et dont il avait été l’annonciateur. […] Ces communications sont restées à l’état de notes et de dossier : ce sont des matériaux dont l’éditeur ne se croit pas le droit de faire usage, à l’aide d’une rédaction qui trouverait place dans un volume même des Nouveaux Lundis. […] Troplong, bien près de sa fin alors lui-même (il est mort le 1er mars suivant), et qui ne se contentait pas de répondre par renvoi d’une simple carte aux lettres polies par lesquelles un collègue s’excusait, pour des raisons de santé trop justifiées, de ne pouvoir assister aux séances du Sénat : « (Palais du Petit-Luxembourg, le 3 février 1869.) — Mon cher collègue, je regrette bien d’apprendre par votre bonne lettre que l’état de votre santé nous prive de votre présence et vous retient chez vous.

604. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Que l’on considère les partitions des diverses ouvertures : chaque instrument, toujours, intervient lorsqu’est à traduire tel état de l’esprit. […] Il a vu que deux musiques étaient possibles ; l’une personnelle, traduisant, dans le minutieux détail, les émotions d’une âme individuelle ; l’autre exprimant les émotions générales, totales, d’une masse humaine, la résultante d’états multiples, mais surgis en des âmes pareilles de foule. […] Ainsi les œuvres orchestrales de Beethoven, au contraire des sonates et quatuors, expriment toujours des états très généraux, revivent l’âme de foules, non d’individus choisis. […] Entre les deux musiques, dont l’une exprime et analyse les émotions d’un individu, dont l’autre recrée les émotions collectives de masses humaines, Offenbach a, constamment, choisi la seconde : les personnages de ses opérettes n’ont point de nature propre : les plaies mélodies par eux débitées ne traduisent nullement des états d’âme personnels. […] Franz Liszt meurt à Bayreuth le 31 juillet 1886, après avoir assisté, malgré son état de santé à Tristan et Parsifal.

605. (1904) En méthode à l’œuvre

À intégralement s’aimer et se savoir, qui selon l’Ellipse va, la Matière ne parviendra : et de l’amorphe état de ne se pas savoir ne pouvant se toute extraire, éternelle et illimitée se transmue au Plus et au Mieux, vers le plus de son être, — Savoir étant Être. […] De quel double-mouvement essentiel de la Matière, de toute éternité s’assurent les innumérées transmutations, et la conservation d’Énergie : puisque de la condensation au point où les internes et multiples mouvements d’attractions s’alentissent, et des états nouveaux qui en résultent renaissent les explosives Forces, qui dilatent et remettent en activité* D’autre part, du même principe s’entend le phénomène d’amassement concentré et pesant des vitalités, suivi de délivrance, — d’où dépend la volition à deux pôles Mâle et Femelle, qui engendre, perpétue et améliore l’Espèce : en un troisième mouvement de l’unité-trinaire. […] Mais, si elliptiquement elle meut, elle sort éternellement de son état potentiel : elle évolue selon le mouvement de double et équipollente excentricité, éternellement vers une Droite — qui est le signe de l’Équilibre-stable. […] L’exception imprudemment dite, un temps, pathologique, de percevoir en même temps que de son une sensation de couleur, — peut-être vient-elle à se généraliser et à l’état normal des individus. […] Donc, étant donné le dessein d’exprimer émotions, sentiments et idées s’apparentant à tel ordre d’idées génératrices : pour d’Autres, souhaitons que, aussi spontanément que pour nous-même (qui ainsi exprimons la genèse même de notre manière-d’être pensante et poétique), les Idées à l’état naissant de modes sonores instrumentalement distingués en tons des timbres, immédiatement se produisent en les mots et les groupes de mots au sens idéographique précis, — mais où, phonétiquement et en rapport exact, de leurs valeurs idéales et suggérantes et augmentés de leurs appropriés compléments de lettres-consonnes, les sons essentiels des Voyelles mènent les dominantes du Rythme.

606. (1891) Esquisses contemporaines

L’humanité tout entière n’est qu’un éclair dans la durée de la planète, et la planète peut retourner à l’état gazeux sans que le soleil s’en ressente seulement une seconde. […] C’est l’état dominical, peut-être l’état d’outre-tombe… Les choses se résorbent dans leur principe ; les souvenirs multipliés redeviennent le souvenir ; l’âme n’est plus qu’âme et ne se sent plus dans sa séparation… Elle ne s’approprie plus rien, elle ne se sent point de vide. […] Il faut enfin se maintenir dans un état de neutralité parfaite. […] Bourget est de ces gens pour lesquels toute appropriation scientifique se résout en états intérieurs. […] Dans cet état la critique est livrée aux caprices des petits écrivains qui n’ont d’autres régies que leurs sympathies et leurs antipathies.

607. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

L’état de décadence dans lequel se trouve aujourd’hui l’Académie royale de Musique est le résultat nécessaire de cet entêtement. […] Quel terrible spectacle que celui d’un état dont on assassine le chef sous le prétexte de la liberté, et qui tombé dans les horreurs de l’anarchie et du brigandage ! […] Faisons également des vœux pour que la société n’enfante point de monstres tels que Cinna, point de ces jeunes enragés, de ces amants frénétiques, prêts a faire tomber, pour plaire à leur maîtresse, la tête la plus chère et la plus précieuse à l’état. […] Nos plus grands malheurs sont venus de l’ambition des gens de lettres, qui, pour faire les hommes d’importance, se sont jetés dans la morale et dans la politique, et se sont fait un jeu de ruiner la société et l’état, pour se donner un relief de philosophie. […] Les troubles de la fronde donnaient un nouveau prix à ces intérêts d’état, à ces tableaux politiques étalés dans les tragédies de Corneille ; la nation, depuis, amollie par le luxe, au sein de la sécurité et des plaisirs, préféra des passions efféminées.

608. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

Le 1er mai au soir, d’après le bulletin des médecins, la fièvre s’était un peu calmée, le catarrhe avait diminué, mais l’état d’affaissement des forces était toujours alarmant. […] L’état imparfait des sciences auxiliaires dans lesquelles il devait puiser ne pouvait pas répondre à la grandeur de l’entreprise. […] « Considérons en premier lieu cette matière cosmique répartie dans le ciel sous des formes plus ou moins déterminées, et dans tous les états possibles d’agrégation. […] En vain la pensée se plongerait dans la méditation du problème de cette première origine ; l’homme est si étroitement lié à son espèce et au temps, que l’on ne saurait concevoir un être humain venant au monde sans une famille déjà existante…… Cette question donc ne pouvant être résolue ni par la voie du raisonnement ni par celle de l’expérience, faut-il penser que l’état primitif, tel que nous le décrit une prétendue tradition, est réellement historique, ou bien que l’espèce humaine, dès son principe, couvrit la terre en forme de peuplades ? […] Toutes sont également faites pour la liberté, pour cette liberté qui, dans un état de société peu avancé, n’appartient qu’à l’individu ; mais qui, chez les nations appelées à la jouissance de véritables institutions politiques, est le droit de la communauté tout entière.

609. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

Jenin, ancien colonel de gendarmerie, retiré à Virieu-le-Grand, dans une solitude champêtre, où il élevait de beaux étalons, dans ses prés et hautes herbes, pour se rappeler son état, et les vendre aux inspecteurs des haras de l’empire. […] … XI Il faut connaître la bonhomie de la société des petites villes de Savoie pour se rendre compte de l’état de l’âme de Xavier de Maistre à la cité d’Aoste. […] Elle dévoue sa jeunesse à l’état militaire, puis revient vieillir paisiblement chez soi. […] Il est singulier qu’appelé par mon état à voir beaucoup de jeunes filles, je ne me rappelle pas d’en avoir vu à Chambéry une seule qui ne fût pas charmante. […] J’entendis ses cris, et je rentrai dans ma tour plus mort que vif ; mes genoux tremblants ne pouvaient me soutenir : je me jetai sur mon lit dans un état impossible à décrire.

610. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

» Cette bonté du cœur est identique à l’état de Sainteté, et tous les deux sont ce que le philosophe nomme la Négation de la Volonté. […] Ces mots désignent donc un état positif de l’âme, état de satisfaction pleine et profonde. À proprement parler, on ne peut appliquer à un tel état le mot de Négation, qu’autant que l’homme ressent encore puissamment des influences autres et inférieures, et qu’il est obligé de combattre le désir et de terrasser le mal ; en soi, cet état est celui de la félicité absolue, c’est-à-dire le plus positif imaginable. […] Barrès note l’état présent des jeunes esprits.

611. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre X : De la succession géologique des êtres organisés »

Le Cheval, depuis que les Espagnols l’ont importé dans l’Amérique du Sud, s’y est naturalisé à l’état sauvage ; il s’est multiplié dans toute la contrée avec une vitesse de propagation sans pareille ; je devais donc me demander quel pouvait avoir été la cause de son extinction première sous des conditions de vie en apparence si favorables. […] Un certain état d’isolement, revenant à de longs intervalles, pourrait aussi leur être avantageux, ainsi que nous l’avons déjà vu autre part. […] D’autre côté, et bien contrairement à ce que nous venons de voir dans la Nouvelle-Zélande, à peine un seul habitant de l’hémisphère austral s’est naturalisé à l’état sauvage dans une contrée quelconque de l’Europe ; de sorte que, si toutes les productions de la Nouvelle-Zélande étaient laissées libres de se multiplier en Angleterre, il est au moins douteux qu’un nombre considérable d’entre elles puissent jamais s’emparer de stations aujourd’hui occupées par nos plantes ou nos animaux indigènes. […] L’embryon demeure ainsi comme une sorte de portrait, conservé par la nature, de l’état ancien et moins modifié de chaque animal. […] Mais, longtemps avant cette époque, le monde a peut-être présenté un aspect tout différent ; les continents primitifs, formés de couches de sédiment plus anciennes que toutes celles que nous connaissons, peuvent être aujourd’hui passés à l’état métamorphique, ou peuvent dormir au fond des océans qui les recouvriront à jamais.

612. (1927) Approximations. Deuxième série

Avec Les Profondeurs de la mer, le romancier décrit des états sentimentaux évolués mais aussi « l’élément sableux dans l’être humain », dans les passions comme dans l’indifférence. […] Comme il est bien vu que seul un bruit matériel soit capable de tirer Julien de cet état ! […] Le mauvais état de ses yeux le força de renoncer à la peinture, mais pendant son séjour en Italie il eut l’occasion d’étudier Ruskin ». […] « Cet état dans lequel le faisceau de notre être semble se dénouer… qui nous met dans l’âme une sorte de délire naturelel », voilà bien avant tout l’état que, plus que quiconque peut-être aujourd’hui, Jaloux excelle à traduire ; naguère déjà je le signalais ailleurs comme l’aspect le plus particulier de son talent. […] Cependant parmi tant d’ouvrages nés de l’état de guerre, et que seul cet état pouvait justifier, je ne serais pas surpris que celui-ci fût un des rares qui survécussent.

613. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

qui sait s’il ne faut pas que plusieurs efforts concourent en même temps à l’agrandir ; si cet état violent n’est pas indispensable pour que les grandes combinaisons s’opèrent ? […] Il semblait avoir à l’avance décrit et prédit son état moral, lorsqu’en mars 1784, dans l’Éloge de Sanchez, médecin de la cour en Russie sous Ivan et devenu victime des révolutions de palais, il avait dit : M.  […] En d’autres temps Vicq d’Azyr avait montré plus d’un genre de courage : il avait fait preuve du courage du médecin en combattant hardiment l’épizootie de 1774 et en se plongeant, pour les purger, dans les foyers d’infection ; il avait fait preuve de courage civil lors de la fondation de la Société royale, en tenant tête de si bonne grâce aux attaques et aux assauts de la Faculté irritée : mais ici, dans un état social sans garanties et où toutes les passions sauvages étaient déchaînées, il se trouva faible et sans défense devant un nouveau genre de périls.

614. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

De nos jours les choses vont vite : on passe immédiatement à l’état de type. […] L’avantage qu’il y a à passer à l’état de type, c’est que quand vous n’avez pas tout ce qu’il faut pour remplir la condition, on vous le prête ; on vous donne le coup de pouce en beau et l’on vous achève. […] On critique, on chicane les individus, les talents à l’état simple et privé ; on ne chicane pas les types.

615. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

Barrière, publie un choix fait avec goût parmi les nombreux Mémoires du xviiie  siècle, depuis la Régence jusqu’au Directoire ; c’est une heureuse idée, et qui permettra de revoir au naturel une époque déjà passée pour plusieurs à l’état de roman. […] Je le vis, et je remarquai combien, dans cet état, ce qui nous est inutile nous devient indifférent. » Lemontey255 croit apercevoir dans ces quelques mots une révélation qui échappe ; c’est être bien fin. […] Comme tous les vrais médecins, elle sait bien mieux l’état véritable du malade que les moyens d’y remédier ; elle n’y peut opposer que des palliatifs, et elle-même alors elle le dirigeait vers l’ambition : « J’avois bien espéré, lui écrivait-elle, du temps et de l’absence ; mais il semble qu’ils n’ont rien produit, et que infinie le mai est empiré.

616. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

Dans cette recherche, la conscience, qui est notre principal instrument, ne suffit pas à l’état ordinaire ; elle ne suffit pas plus dans les recherches de psychologie que l’œil nu dans les recherches d’optique. […] Plus précisément encore, si l’on considère la force en général et dans ses deux états, le premier dans lequel elle est en exercice et se dépense, par exemple lorsqu’elle fait remonter une masse pesante, le second dans lequel elle reste disponible et ne se dépense pas, par exemple lorsque la masse pesante est immobile au terme de sa course, on découvre que toutes les diminutions ou tous les accroissements que la force reçoit sous l’une de ces deux formes sont exactement compensés par les accroissements ou par les diminutions qu’elle reçoit en même temps sous l’autre forme, partant que la somme de la force disponible et de la force en exercice, en d’autres termes, l’énergie, comme on l’appelle aujourd’hui, est dans la nature une quantité constante. […] L’écrit finit toujours par une signature, celle d’une personne morte, et porte l’empreinte de pensées intimes, d’un arrière-fond mental que l’auteur ne voudrait pas divulguer. — Certainement on constate ici un dédoublement du moi, la présence simultanée de deux séries d’idées parallèles et indépendantes, de deux centres d’action, ou, si l’on veut, de deux personnes morales juxtaposées dans le même cerveau, chacune à son œuvre et chacune à une œuvre différente, l’une sur la scène et l’autre dans la coulisse, la seconde aussi complète que la première, puisque, seule et hors des regards de l’autre, elle construit des idées suivies et aligne des phrases liées auxquelles l’autre n’a point de part. — En général, tout état singulier de l’intelligence doit être le sujet d’une monographie ; car il faut voir l’horloge dérangée pour distinguer les contrepoids et les rouages que nous ne remarquons pas dans l’horloge qui va bien.

617. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre III. Le cerveau chez l’homme »

Affaissé enfin, le cerveau revient eu quelque sorte à l’état d’où il est parti. […] Il en concluait que l’absence de phosphore dans l’encéphale réduit l’homme à l’état de la brute, qu’un grand excès irrite le système nerveux et le plonge dans ce délire épouvantable que nous appelons la folie, enfin qu’une proportion moyenne rétablit l’équilibre et produit cette harmonie admirable qui n’est autre chose que « l’âme des spiritualistes. » À cette théorie, on a opposé que la cervelle des poissons, qui ne passent pas pour de très grands penseurs, contient beaucoup de phosphore. […] En admettant (ce qui du reste ne peut être contesté) que certaines races ont moins d’aptitude que d’autres à la civilisation, et restent dans un état très inférieur, on ne peut nier que dans ces races elles-mêmes tel ou tel individu ne soit capable de s’élever au niveau moyen des autres races, et quelquefois même à un rang très distingué.

618. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre I : Rapports de cette science avec l’histoire »

Ce qui nous trompe ici, c’est que les sciences les plus autorisées, les sciences physiques et chimiques (je laisse les mathématiques, qui ont pour objet l’absolu), ne s’occupent que du présent de l’univers ; elles dirigent leurs recherches sur les propriétés que manifeste actuellement la matière, et on est porté à croire, sans y avoir beaucoup réfléchi, que ces propriétés ont toujours existé et sont inhérentes à la substance où nous les découvrons, quoique cela ne soit pas évident, puisqu’il pourrait se faire qu’elles ne fussent que des états acquis à une époque inconnue. Cependant rien non plus ne paraît autoriser une telle hypothèse, et on n’y songerait même pas, si d’autres faits empruntés à d’autres sciences ne donnaient à penser que la nature n’a pas toujours été dans un même état, et qu’elle a eu aussi ses vicissitudes et ses évolutions. […] Sans doute les systèmes philosophiques ont en grande partie leurs causes dans l’état général de la civilisation et des mœurs.

619. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre douzième. »

C’est ici que La Fontaine abandonne son auteur pour approprier la morale de ce conte à l’âge et à l’état du prince auquel il est adressé ; mais l’auteur italien n’en use pas ainsi : il poursuit son projet ; et quand Ulysse, pour amener ses gens à l’état d’hommes, leur parle de belles actions et de gloire, voici ce que l’un d’eux lui répond : « Vraiment nous voilà bien. […] Mais sa vanité Lui coûta quatre dents, etc… L’avantage aussi que La Fontaine a trouvé en introduisant ici un acteur de plus qu’en l’autre, c’est de faire débiter la morale par le renard, au lieu que, dans l’autre fable, le loup se la débite à lui-même, malgré le mauvais état de sa mâchoire.

620. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Cet état si nouveau dans la société sera soumis à un examen attentif ; et si nous ne pouvons l’expliquer, il aura toujours été utile de le faire remarquer, pour que désormais il entre comme élément de calcul dans toutes les théories politiques. […] Au reste, l’impossibilité où est l’usurpation de pouvoir se consolider, et il n’est question ici que de cela, prouve en faveur des doctrines anciennes contre les doctrines nouvelles ; car l’utilité toute seule ne pourrait pas opérer les prodiges que l’on attend, et qui sont, en effet, nécessaires pour la stabilité des états. […] Ceux dont les opinions de sentiment ne sont pas en harmonie avec l’état actuel de la société, et qui les immolent avec une résignation loyale et courageuse sur l’autel de la réconciliation, font un sacrifice dont on doit leur tenir compte.

621. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIII. Des éloges ou panégyriques adressés à Louis XIV. Jugement sur ce prince. »

Il ne prévit point assez que dans la constitution économique des états, de longues victoires ressemblent presque à des défaites ; que tout ce qui est violent, s’use par sa violence même ; que de grandes puissances, unies pour résister, doivent à proportion s’affaiblir beaucoup moins qu’une grande puissance armée pour attaquer ; que les grands hommes qui, à la tête de ses armées, étaient fiers de le servir, devaient, par leur exemple, faire naître d’autres grands hommes pour le combattre ; que toutes les fois qu’on fait de grands efforts, il ne peut y avoir de succès que ceux qui sont rapides, parce que les moyens extrêmes tendent toujours à s’affaiblir. […] Comme on craignait sans cesse, il fallut sans cesse être en état de combattre. […] Si on cherche à travers tant d’éclat quel fut le bonheur des citoyens, on conviendra que les peuples, comme les hommes, ne peuvent être heureux que dans un état de calme, et loin des grands efforts que supposent de grands besoins.

622. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Les âmes nobles, en se comparant aux âmes viles de tous les états, se sont mises à leur place. […] Là, tous les états et tous les rangs trouveraient des modèles. […] Si donc, en célébrant les grands hommes, vous voulez être mis au rang des orateurs, il faut avoir parcouru une surface étendue de connaissances ; il faut avoir étudié et dans les livres et dans votre propre pensée, quelles sont les fonctions d’un général, d’un législateur, d’un ministre, d’un prince ; quelles sont les qualités qui constituent ou un grand philosophe ou un grand poète ; quels sont les intérêts et la situation politique des peuples ; le caractère ou les lumières des siècles ; l’état des arts, des sciences, des lois, du gouvernement ; leur objet et leurs principes ; les révolutions qu’ils ont éprouvées dans chaque pays ; les pas qui ont été faits dans chaque carrière ; les idées ou opposées ou semblables de plusieurs grands hommes ; ce qui n’est que système, et ce qui a été confirmé par l’expérience et le succès ; enfin tout ce qui manque à la perfection de ces grands objets, qui embrassent le plan et le système universel de la société.

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