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55. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIX. Cause et loi essentielles des variations du gout littéraire » pp. 484-497

On pourrait montrer que les siècles s’enchaînent et s’engrènent entre eux en s’opposant l’un à l’autre. […] Bref le siècle est troublé, audacieux, révolutionnaire et les dernières vibrations des secousses qu’il a provoquées se prolongent jusqu’au milieu du siècle suivant. […] Mais ces contrastes de siècle à siècle peuvent paraître vagues, sujets à caution, d’une vérité qui n’est pas assez rigoureuse. […] En notre siècle le romantisme a été une débauche d’imagination ; l’école du bon sens qui se lève contre lui met le holà aux chevauchées de la fantaisie. […] En notre siècle, l’école réaliste semble, au premier abord, avoir été en complète opposition avec l’école romantique.

56. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Mercier » pp. 1-6

Réimpressions d’œuvres contemporaines, réimpressions d’un autre siècle, partout ce signe de la stérilité. […] Mercier n’est ni de cette portée, ni de ce style, ni de cette époque ; mais, tel qu’il est, c’est un La Bruyère de bas-étage, comme le xviiie  siècle lui-même est un siècle descendu. […] Évidemment son siècle, tel que Mercier le représente, n’était pas digne d’avoir un peintre ou un moraliste plus grands que lui. […] Une époque qui aurait vécu plus que ce siècle, glacial et forcené tout ensemble, qui niait tout et qui croyait que nier tout c’était vivre, aurait eu un peintre doué de ce don merveilleux de la vie. […] Le siècle se sentait… Eh bien, ce moment de vie trouva son peintre, doué du don de la vie dans des proportions plus grandes que la vie réelle.

57. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVII. De l’éloquence au temps de Dioclétien. Des orateurs des Gaules. Panégyriques en l’honneur de Maximien et de Constance Chlore. »

La poésie, l’éloquence et les arts parurent un peu se ranimer ; mais le gouvernement avait corrompu le génie ; et il y a encore plus loin, pour les lettres, du siècle de Constantin à celui de Trajan, que de celui de Trajan à celui d’Auguste. […] Cette révolution s’était faite lentement et par degrés dans l’espace de trois siècles, et il était impossible qu’elle n’arrivât point. […] Il est facile d’examiner l’effet que cet esprit général dut, au bout de trois siècles, produire sur la poésie, l’éloquence et le goût. […] L’histoire ramène souvent les mêmes actions et la même audace dans des hommes et des siècles différents. […] Le genre humain semble en avoir perdu la trace, et il faut des révolutions et des siècles pour l’y ramener.

58. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre premier. Table chronologique, ou préparation des matières. que doit mettre en œuvre la science nouvelle » pp. 5-23

Quelques jésuites ont vanté l’antiquité de Confucius, et ont prétendu avoir lu des livres imprimés avant Jésus-Christ ; mais d’autres auteurs mieux informés ne placent Confucius que cinq cents ans avant notre ère, et assurent que les Chinois n’ont trouvé l’imprimerie que deux siècles avant les Européens. […] C’est trois siècles avant l’époque adoptée par les chronologistes ; mais ont-ils le droit de s’en étonner, eux qui varient de quatre cent soixante ans sur le temps où vécut Homère, l’auteur le plus voisin de ces événements. […] L’histoire grecque, dont il est le principal flambeau, nous a laissés dans l’incertitude sur son siècle et sur sa patrie. […] Pythagore qui vient ensuite, est, selon Tite-Live, contemporain de Servius Tullius ; on voit s’il a pu enseigner la science des choses divines à Numa qui vivait près de deux siècles auparavant. […] Nous y plaçons Hésiode, Hérodote et Hippocrate. — Les chronologistes déclarent sans hésiter qu’Hésiode vivait trente ans avant Homère, quoiqu’ils diffèrent de quatre siècles et demi sur le temps où il faut placer l’auteur de l’Iliade.

59. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Il a pensé avec les Bénédictins, et par des raisons que j’ose dire plus profondes, que l’histoire littéraire de la France ne se pouvait circonscrire aux siècles où l’on a commencé d’écrire en français. […] Ampère nous offre avec les siècles littéraires proprement dits, et combien, même en pleine étude des temps gallo-romains, il vise au cœur des époques toutes françaises. […] Lorsqu’on en est au 1er siècle de l’Église, un discours préliminaire encore sur l’état des lettres en ce siècle précède la série particulière des écrivains ; même ordre pour les âges suivants. […] Tous les écrivains y ont leur place, parce qu’ils ont été des écrivains : ainsi l’on fait revivre, quinze ou seize siècles après leur mort, bien des auteurs qui étaient peut-être morts de leur vivant. […] Ce rayon rapide qui se reflète et correspond parfois, comme un fanal, d’un siècle à l’autre, leur eût paru une dissipation profane.

60. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre X. Des Romains ; de leurs éloges, du temps de la république ; de Cicéron. »

Or les Romains des premiers siècles, vivant parmi les charrues et les armes, ne pouvaient acquérir un grand nombre d’idées, ni créer les signés qui les représentent. […] Sur deux ou trois cents orateurs qui en divers temps parlèrent à Rome, à peine y en eut-il un ou deux par siècle qui pût passer pour éloquent ; peu même eurent le mérite de parler avec pureté leur langue. […] Trois siècles après, un empereur10 plaça son image dans un temple domestique, et l’honora à côté des dieux. Pendant sa vie, il s’attacha moins sans doute à louer les grands hommes qu’à les imiter ; cependant il célébra presque tous les hommes fameux de son siècle, à commencer par lui. […] Tel était l’esprit de ces gouvernements et de ces siècles.

61. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXI. De Thémiste, orateur de Constantinople, et des panégyriques qu’il composa en l’honneur de six empereurs. »

Ils passent à travers leur siècle, sans rien emprunter de sa couleur. […] Le prince est, pour ainsi dire, forcé par son siècle ; la voix publique lui sert de loi ; d’ailleurs il s’honore lui-même, et alors il n’y a presque que de l’orgueil à être juste. […] Tels étaient encore dans ces siècles, qui pourtant ne sont pas l’époque la plus brillante dans l’histoire de l’esprit humain, le respect et l’enthousiasme des princes pour les vrais philosophes. […] Prince, s’écrie l’orateur, puisqu’il a rejeté la clémence du tyran, il a droit à la tienne. » Il l’invite à conserver les semences et les restes épars des connaissances et des lettres : « Ce sont elles qui font la gloire d’un siècle et d’un empire ; c’est donc à elles qu’il faut confier le souvenir immortel de ton nom. » Alors il lui fait observer que tant qu’il y aura des hommes sur la terre, il y en aura qui cultiveront la philosophie et les arts ; ce sont eux qui font la renommée : ils se transmettent de siècle en siècle les noms de leurs bienfaiteurs, et ces bienfaiteurs sont immortels comme leur reconnaissance. […] Ainsi, les hommes célèbres de ce siècle le seront dans les siècles suivants ; on parlera d’eux comme nous parlons de ceux qui les ont précédés ; leur gloire même n’étant plus exposée à l’envie en deviendra plus pure ; car il vient un temps où les ennemis et les rivaux ne sont plus.

62. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Il s’occupa peu de politique, et la laissa à Montesquieu, à Jean-Jacques et à Raynal ; mais en philosophie il fut en quelque sorte l’âme et l’organe du siècle, le théoricien dirigeant par excellence. Jean-Jacques était spiritualiste, et par moments une espèce de calviniste socinien : il niait les arts, les sciences, l’industrie, la perfectibilité, et par toutes ces faces heurtait son siècle plutôt qu’il ne le réfléchissait. […] il ne se faisait pas faute alors, le bon siècle, d’ôter sa perruque, comme l’abbé Galiani, et de la suspendre au dos d’un fauteuil. […] Elle ne fut pas une pyramide de granit à base immobile ; elle n’eut rien de ces harmonieuses et pures constructions de l’art, qui montent avec lenteur à travers des siècles fervents vers un Dieu adoré et béni. […] quel exemplaire sentiment de l’antique dans ce siècle irrévérent !

63. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le marquis de la Fare, ou un paresseux. » pp. 389-408

Ainsi finit au comble de sa gloire, dit-il, non seulement le plus grand homme de guerre de ce siècle et de plusieurs autres, mais aussi le plus homme de bien et le meilleur citoyen ; et, pour moi, j’avouerai que, de tous les hommes que j’ai connus, c’est celui qui m’a paru approcher le plus de la perfection. […] Selon lui, si les hommes pris en détail dans leur conduite et leur caractère diffèrent entre eux, les siècles pris dans leur ensemble ne diffèrent pas moins les uns des autres ; la plupart des hommes qui y vivent, qui y sont plongés et qui en respirent l’air général, y contractent certaines habitudes, certaine trempe ou teinte à laquelle échappent seuls quelques philosophes, gens plus propres à la contemplation qu’à l’action et à critiquer le monde qu’à le corriger : Il serait à souhaiter cependant que dans chaque siècle il y eût des observateurs désintéressés des manières de faire de leur temps, de leurs changements et de leurs causes ; car on aurait par la une expérience de tous les siècles, dont les hommes d’un esprit supérieur pourraient profiter. […] Ce fut le siècle des grandes vertus et des grands vices, des grandes actions et des grands crimes. […] La Fare a un malheur, il n’est pas assez de son siècle, lequel fut un grand siècle ; il n’en aime ni l’esprit, ni le courant général, ni la direction : il n’en voit que les excès et les inconvénients. […] Saint-Simon a son but, sa consolation toute prête ; il sera l’historiographe caché et acharné du siècle ; il en est l’observateur enflammé, vigilant et infatigable.

64. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. L’Histoire »

Cinq ouvrages, dont trois relèvent d’autres genres, c’est peu pour trois siècles de production intense. […] On sentit vivement ce manque au commencement de notre siècle ; « Existe-t-il, demandait A. […] Ses deux grands ouvrages, la Démocratie en Amérique (1835-39), l’Ancien Régime et la Révolution (1850), sont vraiment en notre siècle les chefs-d’œuvre de la philosophie historique. […] Il eut cette force de sympathie qui seule atteint et ressuscite l’âme des siècles lointains. […] Ce style de Michelet, âpre, saccadé, violent, ou bien délicat, pénétrant, tendre, en fait un des deux ou trois écrivains supérieurs de notre siècle.

65. (1876) Du patriotisme littéraire pp. 1-25

Or, le devoir de ceux qui possèdent la tradition nationale est de s’opposer à la décadence d’un sentiment vital entre tous, car l’amour de la patrie ne se borne pas à la tutelle du sol : il doit encore comprendre le zèle intelligent, l’orgueil raisonné de ces chefs-d’œuvre qui, de siècle en siècle, ont fait resplendir la pensée française comme une flamme sur les hauteurs. […] Aucune à coup sûr, et ce qui est vrai du dix-neuvième siècle l’est à plus forte raison des trois siècles classiques. […] Nous avons donc à nous près de quatre siècles de précellence poétique contre deux siècles appartenant à l’Italie, un à l’Angleterre, un demi-siècle à l’Allemagne. […] En effet, au siècle des Pascal et des Corneille, tous les peuples tenaient leurs yeux attachés sur la France ; ils contemplaient Versailles où triomphaient Molière et Racine, comme on contemple le soleil. […] Le culte du Beau parut décliner au dix-huitième siècle : ce fut au Vrai que se consacra surtout l’effort des intelligences qui firent ce siècle si grand.

66. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VII. La littérature française et les étrangers »

C’est, d’un bout à l’autre du siècle un chassé-croisé d’influences entre la France et l’Angleterre. […] Nous entamons peu l’Angleterre : cependant Hume et Gibbon relèvent de nos philosophes, dont l’influence se fera sentir surtout en ce siècle sur le positivisme anglais. […] Le théâtre Michel à Saint-Pétersbourg est dans l’Europe actuelle le dernier vestige des mœurs de l’autre siècle. Les deux plus grands souverains du siècle, Frédéric II et Catherine II, se distinguèrent par leur goût pour les productions de l’esprit français. […] Jamais dans un autre siècle on n’a eu à compter tant d’étrangers parmi les plus exquis de nos écrivains.

67. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVIII. Caractère essentiel de l’œuvre de Jésus. »

On comprend de la sorte comment, par une destinée exceptionnelle, le christianisme pur se présente encore, au bout de dix-huit siècles, avec le caractère d’une religion universelle et éternelle. […] Montrer que la religion fondée par Jésus a été la conséquence naturelle de ce qui avait précédé, ce n’est pas en diminuer l’excellence ; c’est prouver qu’elle a eu sa raison d’être, qu’elle fut légitime, c’est-à-dire conforme aux instincts et aux besoins du cœur en un siècle donné. […] On est de son siècle et de sa race, même quand on réagit contre son siècle et sa race. […] Ce que les beaux siècles de la Grèce furent pour les arts et les lettres profanes, le siècle de Jésus le fut pour la religion. […] Son culte se rajeunira sans cesse ; sa légende provoquera des larmes sans fin ; ses souffrances attendriront les meilleurs cœurs ; tous les siècles proclameront qu’entre les fils des hommes, il n’en est pas né de plus grand que Jésus.

68. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre II. Le dix-neuvième siècle »

La France a porté ce siècle, et ce siècle porte l’Europe. […] Le plus grand de ces commencements est une démocratie, les États-Unis, éclosion aidée par la France dès le siècle dernier. […] La Révolution a clos un siècle et commencé l’autre. […] Le Lucrèce qu’il faut à ce siècle en travail doit contenir Caton. […] L’étape ne se fournit point, les conséquences sont longues à venir, une génération est en retard, la besogne du siècle languit.

69. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 201-216

Ils avaient l’aptitude historique… Mais ils aimaient peut-être trop le siècle qu’ils ont raconté. […] Après les guerres de l’Empire, le xixe  siècle, qui s’ennuyait, a eu naturellement le goût d’un siècle qui s’amusait. […] La plume s’est abattue enfin une fois sans ivresse sur le siècle, brillamment scélérat, dont nous sommes sortis. Le fils de Don Juan s’est assez mûri et froidi pour juger son père… Il n’est pas, en effet, de siècle plus scélérat parmi tous les siècles. […] Seulement, la frivolité française ne change pas la nature de son crime pour l’abominable siècle qui a corrompu le cœur d’un roi avant de couper le cou à un autre.

70. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1824 »

Avant d’examiner en quoi cette littérature est propre à notre siècle, on demande en quoi elle peut avoir mérité ou encouru une désignation exceptionnelle. […] Il faut en convenir, un mouvement vaste et profond travaille intérieurement la littérature de ce siècle. […] Les écrivains des autres peuples et des autres temps, même les admirables poëtes du grand siècle, ont trop souvent oublié, dans l’exécution, le principe de vérité dont ils vivifiaient leur composition. […] Et remarquons, en passant, que, si la littérature du grand siècle de Louis le Grand eût invoqué le christianisme au lieu d’adorer les dieux païens, si ses poëtes eussent été ce qu’étaient ceux des temps primitifs, des prêtres chantant les grandes choses de leur religion et de leur patrie, le triomphe des doctrines sophistiques du dernier siècle eût été beaucoup plus difficile, peut-être même impossible. […] Aussi les philosophes parvinrent-ils, en moins d’un siècle, à chasser des cœurs une religion qui n’était pas dans les esprits.

71. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre I. Le quatorzième siècle (1328-1420) »

Sous la scolastique écrasante, l’humanisme va se réveiller, précisément au xiv° siècle. […] Le siècle, évidemment, n’est pas poétique. […] La foncière immoralité du siècle n’en ressort que mieux dans l’incroyable inconscience de son récit. […] L’esprit positif du siècle apparaît ici, dans l’honneur que rend Froissart à tous ceux qui savent gagner ; c’est le règne de l’argent qui commence. […] La royauté même, dans la seconde partie du siècle, se mit avec ces petites gens.

72. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

La littérature a commencé lorsque l’esprit des Romains était déjà formé par plusieurs siècles, dans lesquels les principes philosophiques avaient été mis en pratique. […] Les Romains avaient sur les Grecs une avance de quelques siècles, dans la carrière de l’esprit humain. […] Cinq siècles avant cette époque, Numa avait écrit sur la philosophie, et cent cinquante ans après Numa, Pythagore avait été reçu bourgeois de Rome. […] Sextus Papyrius, Sextus Cœlius, Granius Flaccus, etc., ont écrit sur ce sujet dans les troisième, quatrième et cinquième siècles de la république. […] Au moment où il a écrit l’Art poétique, les plus fameux poètes du siècle d’Auguste existaient ; et il paraît que l’Énéide même était déjà connue.

73. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre I. Composition de l’esprit révolutionnaire, premier élément, l’acquis scientifique. »

Autour de cette vérité capitale se rangent comme compléments ou prolongements presque toutes les découvertes du siècle : — Dans les mathématiques pures, le calcul de l’infini inventé en même temps par Leibnitz et Newton, la mécanique ramenée par d’Alembert à un seul théorème, et cet ensemble magnifique de théories qui, élaborées par les Bernoulli, par Euler, Clairaut, d’Alembert, Taylor, Maclaurin, s’achèvent à la fin du siècle aux mains de Monge, de Lagrange et de Laplace327. […] C’est cette vaste provision de vérités certaines ou probables, démontrées ou pressenties, qui a donné à l’esprit du siècle l’aliment, la substance et le ressort. […] Quelles myriades de siècles entre le premier refroidissement et les commencements de la vie336 ! […] Que de siècles pour atteindre à ce premier langage ! […] Le sauvage, « le Brasilien est un animal qui n’a pas encore atteint le complément de son espèce ; c’est une chenille enfermée dans sa fève et qui ne sera papillon que dans quelques siècles ».

74. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

Les siècles en ce genre sont héritiers des siècles ; les générations partent du point où se sont arrêtées les générations précédentes, et les penseurs philosophes forment à travers les temps une chaîne d’idées que n’interrompt point la mort ; il n’en est pas de même de la poésie, elle peut atteindre du premier jet à un certain genre de beautés qui ne seront point surpassées, et tandis que dans les sciences progressives le dernier pas est le plus étonnant de tous, la puissance de l’imagination est d’autant plus vive que l’exercice de cette puissance est plus nouveau. […] Homère, quelque grand qu’il soit, n’est point un homme au-dessus de tous les autres hommes, ni seul au milieu de son siècle, et de plusieurs siècles supérieurs au sien. […] On accordait, dans l’héroïsme antique, une grande estime à la force du corps ; la valeur se composait beaucoup moins de vertu morale que de puissance physique ; la délicatesse du point d’honneur, le respect pour la faiblesse, sont les idées plus nobles des siècles suivants. […] Nos grands écrivains ont mis dans leurs vers les richesses de notre siècle ; mais toutes les formes de la poésie, tout ce qui constitue l’essence de cet art, nous l’empruntons de la littérature antique, parce qu’il est impossible, je le répète, de dépasser une certaine borne dans les arts, même dans le premier de tous, la poésie. […] On ne saurait nier que la législation d’un peuple ne soit toute-puissante sur ses goûts, sur ses talents et sur ses habitudes, puisque Lacédémone a existé à côté d’Athènes, dans le même siècle, sous le même climat, avec des dogmes religieux à peu près semblables, et cependant avec des mœurs si différentes.

75. (1915) La philosophie française « I »

* *   * Si toutes les tendances de la philosophie moderne coexistent chez Descartes, c’est le rationalisme qui prédomine, comme il devait dominer la pensée des siècles suivants. […] Mais l’esprit humain ne renonce pas facilement à ce dont il a fait sa nourriture pendant bien des siècles. […] C’est dire que la France a fourni à la science et à la philosophie, au XVIIIe siècle, le grand principe d’explication du monde organisé, comme, au siècle précédent, avec Descartes, elle leur avait apporté le plan d’explication de la nature inorganique. […] D’une manière générale, les penseurs français du XVIIIe siècle ont fourni les éléments de certaines théories de la nature qui devaient se constituer au siècle suivant. […] Dès le début du siècle, la France ont un grand métaphysicien, le plus grand qu’elle eût produit depuis Descartes et Malebranche : Maine de Biran 26.

76. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

La Convention, en quinze mois, avait dépopularisé les deux siècles de la littérature française. […] Il n’a que trop bien accompli ce rôle ; il a ajourné l’esprit humain de trois siècles. […] Il n’y aurait qu’une de ces individualités, comme M. de Chateaubriand et madame de Staël, dans un pays et dans un siècle, qu’on dirait avec raison : Le siècle est grand ! […] Est-ce là de l’indigence dans un quart de siècle ? […] Il n’y a pas beaucoup de têtes plus au-dessus de la foule et de la banalité dans un siècle.

77. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Bruyère »

Tout le rayon du siècle est tombé juste sur chaque page du livre, et le visage de l’homme qui le tenait ouvert à la main s’est dérobé. […] La pensée du difficile, du mûr et du parfait l’occupe visiblement, et atteste avec gravité, dans chacune de ses paroles, l’heure solennelle du siècle où il écrit. […] La Bruyère, que lexviiie  siècle était ainsi lent à apprécier, avait avec ce siècle plus d’un point de ressemblance qu’il faut suivre de plus près encore. […] Mais non… ; La Bruyère en est encore pleinement, de son siècle incomparable, en ce qu’au milieu de tout ce travail contenu de nouveauté et de rajeunissement, il ne manque jamais, au fond, d’un certain goût Simple. […] Une pensée inévitable naît, de ce rapprochement : Quand La Bruyère et le duc de Saint-Simon causaient ensemble à Versailles dans l’embrasure d’une croisée, lequel des deux était le peintre de son siècle ?

78. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre I. Vue générale »

Un courant de libre positivisme, de naturalisme antichrétien traverse bien le siècle, visible dans les œuvres de deux grands écrivains et dans certains cercles mondains. […] L’Église ne comptera pas parmi les forces intellectuelles du siècle. […] Mais il n’y eut pas de rupture entre les deux siècles. […] Elle n’a pas la patience d’interroger la réalité : elle se met au-dessus de l’observation ; et la solide psychologie qui avait fait la gloire du siècle précédent disparaît. […] De là la prépondérance de la science en ce siècle, et la passion avec laquelle il s’y attache.

79. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Du Deffand »

elle avait été faite d’un métal solide ; car elle dura presque un siècle, en soupant, avec l’appétit d’un cormoran, tous les soirs. […] Et cependant, à toutes les époques de cette existence brillante et qui aurait dû être heureuse, le cri de l’ennui que, seule dans tout son siècle, elle a poussé, elle le jeta partout autour d’elle et avec une vibration dont, un siècle plus tard, Chateaubriand, qui avait vu la Révolution française, n’a pas dépassé l’intensité. […] On le donne et on le reçoit. » On n’en finirait pas de citer ces plaintes incessantes contre cet ennemi des autres et d’elle-même qui la tient et l’opprime, cette heureuse d’un siècle si amusant et si amusé ! […] M. de Saint-Aulaire, qui est un homme d’esprit pénétrant, dans sa Notice, et un chrétien… peut-être un peu archéologique, — un chrétien qui le serait peut-être un peu moins si le grand siècle de Louis XIV ne l’avait pas été, — M. de Saint-Aulaire a bien vu le vide de cette raison phraseuse qui parle de la nature sans se douter de Dieu et qui n’a pas deux sous de sensibilité réelle pour se faire pardonner cette abominable raison ! […] Elle a beau être frivole comme tout ce siècle écervelé, où les hommes comme Montesquieu et Voltaire ont dans le génie quelque chose d’ineffablement étourdi qu’on n’avait jamais vu avant eux, le bon sens gaulois, carré, indéfectible, se retrouve, à chaque instant, en Madame Du Deffand, sous cette poussière parfumée de la frivolité qui la poudre.

80. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

La philosophie et la théologie restent ainsi hors de notre prise ; et pendant trois siècles, les plus féconds du moyen âge, l’histoire de la littérature française ne représente que très insuffisamment le mouvement des idées. […] Le vilain n’écrit guère, et l’on n’écrit guère pour lui : deux voix en somme firent à travers les siècles le grand concert de la littérature française, celle de la bourgeoisie et celle de l’aristocratie, se répondant, se mêlant, se recouvrant en mille façons, toujours distinctes et reconnaissables à leur timbre singulier, qui ne s’efface même pas dans l’uniformité ecclésiastique. […] Puis pendant des siècles, une à une, les provinces qui entreront dans l’unité nationale recevront la langue de France, et mêleront à son esprit leur génie original : ce sera la rude et rêveuse Bretagne, réinfusant dans notre littérature la mélancolie celtique, ce sera l’inflexible et raisonneuse Auvergne, Lyon, la cité mystique et passionnée sous la superficielle agitation des intérêts positifs ; ce sera tout ce Midi, si varié et si riche, ici plus romain, là marqué encore du passage des Arabes ou des Maures, là conservant, sous toutes les alluvions dont l’histoire l’a successivement recouvert, sa couche primitive de population ibérique, la Provence chaude et vibrante, toute grâce ou toute flamme, la Gascogne pétillante de vivacité, légère et fine, et, moins séducteur entre ces deux terres aimables, le Languedoc violent et fort, le pays de France pourtant où peut-être les sons et les formes sont le mieux sentis en leur spéciale beauté. […] Enfin l’esprit français, de siècle en siècle, revêt des formes ou reçoit des éléments nouveaux. […] La décadence des principes qui avaient fait la force et la grandeur de l’âme féodale, les victoires de l’intérêt sur l’honneur, de la ruse sur la force, de la sagesse pratique sur la folie idéaliste, l’infiltration de la science cléricale dans le monde laïque, moins sévèrement enfermé dans l’abstraction, moins étroitement contenu par l’orthodoxie théologique, l’essor du bon sens bourgeois et de la logique disputeuse, l’éveil de la curiosité, de la critique, du doute, et la diffusion d’un esprit grossièrement négatif et matérialiste, tout cela, dans ce xive et ce XVc siècle qui sont moins le moyen âge que la décomposition du moyen âge, fait naître et fleurir toute sorte de genres, narratifs, didactiques, satiriques, prose ou vers, contes, farces, allégories.

81. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre I. Querelle des Anciens et des Modernes »

Mais le progrès du rationalisme ne pouvait être longtemps enrayé, et nous assistons à la fin du siècle à la destruction de l’idéal classique : c’est à cette crise que l’on donne le nom de querelle des anciens et des modernes 446. […] Tout cela ne réfutait ni le Siècle ni les Parallèles. […] Au fond, Boileau était dans une fausse position : il était très « moderne » lui-même, et la façon dont il a habillé son Longin à la française montre la puissance qu’a sur lui le moyen goût de son siècle. […] Boileau le sentait : car lorsqu’on l’eut réconcilié avec Perrault, il lui écrivit en 1700 une lettre excellente, où, reprenant à son compte la thèse de son adversaire en la limitant, il égalait le xviie  siècle non pas à toute l’antiquité, mais à n’importe quel siècle de l’antiquité. […] De plus, la notion de l’honnête homme, que la société demandait à chacun de réaliser en soi, a rendu dans le cours du siècle l’instruction plus légère, plus superficielle : on a imposé à l’homme du monde de n’afficher aucune compétence spéciale, et on a fini par l’amener à n’avoir en effet aucune sorte de compétence.

82. (1890) L’avenir de la science « IV » p. 141

Le malheur est que la frivolité générale les condamne à former un monde à part et que l’aristocratie du siècle, qui est celle de la richesse, ait généralement perdu le sens idéal de la vie. […] le bon temps que le siècle de fer ! […] En conclura-t-on que ce dernier siècle fut mieux partagé sous le rapport de l’activité intellectuelle ? […] Le siècle présent n’apparaît jamais qu’à travers un nuage de poussière soulevé par le tumulte de la vie réelle ; on a peine à distinguer dans ce tourbillon les formes belles et pures de l’idéal. […] Le siècle paraît n’obéir qu’à deux mobiles, l’intérêt et la peur.

83. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

Notre poésie versifiée n’a reçu sa perfection que dans un siècle de politesse extrême : il en a été de même chez les Romains. […] On a vu, une seule fois, deux siècles littéraires sur le même sol : ainsi l’Italie a son Virgile et son Tasse ; mais c’est dans deux langues différentes. Il est possible que nous soyons destinés à présenter un spectacle tout nouveau, celui de deux siècles littéraires sur le même sol et dans la même langue. Alors aussi, et par suite du mouvement général de l’Europe, cette Italie, si une d’esprit et de mœurs, produira un troisième siècle littéraire dont il n’est pas facile d’apercevoir encore les éléments épars. […] Notre littérature du siècle de Louis XIV a cessé d’être l’expression de la société ; elle commence donc à être déjà pour nous, en quelque sorte, comme nous l’avons dit, une littérature ancienne, de l’archéologie.

84. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

. — La Légende des siècles. […] Nous l’arracherons donc pour un moment au siècle qui l’a gâté et auquel il rend sa corruption. […] … Le poète de La Légende des siècles a-t-il rompu avec le coupable rêveur des Contemplations ? […] Aujourd’hui, dans cette traversée des siècles, pendant laquelle il a brûlé les plus beaux endroits en ne s’y arrêtant pas, M.  […] Aujourd’hui, ce que nous estimons le moins dans La Légende des siècles est peut-être ce que lui, M. 

85. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIX. Panégyriques ou éloges composés par l’empereur Julien. »

Adrien, poète, peintre, architecte et historien, passa encore pour le premier orateur de son siècle. […] Chaque siècle a le sien. […] S’il ne trouve pas un homme, dans son siècle, digne de lui commander, il va demander un maître aux siècles passés : il lui dit, règne sur moi : et aussitôt se prosterne et se courbe aux pieds de sa statue. […] Julien paya, comme les autres, ce tribut au goût de son siècle, et dans ce panégyrique surtout. […] Cette femme, une des plus belles de son siècle, aima les sciences, non par ostentation, mais par goût.

86. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Quant à ce qui est des poètes de la seconde moitié du siècle et qui forment ce qu’on a appelé la Pléiade, c’est d’aujourd’hui seulement que, grâce à M.  […] On a dans l’intervalle le chemin parcouru en deux siècles et demi, l’étendue de la conquête. […] un siècle tout entier, mettre autant de rapidité à oublier toutes ses origines intellectuelles, toutes les annales, toutes les gloires de sa littérature et de son art. […] En quelques années on oublia trois ou quatre siècles, et, avec cette malheureuse ambition qui est le fait de tous les novateurs, on voulut reconstruire à nouveau toute la littérature française. […] Que s’était-il passé, encore une fois, dans notre littérature depuis deux siècles ?

87. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Ainsi, pour prendre l’exemple le plus rapproché de nous, le Dix-Huitième Siècle est, bien plus qu’on ne le croit, en germe dans la poésie du Dix-Septième. […] Le poète et le siècle ne sont donc pas si tristes que vous les faites. […] Voyez, le siècle débute par le Génie du Christianisme ; et à la suite de ce livre naît toute une génération d’auteurs qui vivent de son inspiration. […] Ne croyez pas cependant que le mouvement et l’inspiration du Dix-Huitième Siècle ne soient pas profondément entrés dans leur sein. […] C’est ainsi que, sous l’impulsion même de la Philosophie du Dix-Huitième Siècle, mais en réaction apparente contre elle, des âmes malades de philosophie sont revenues au Christianisme.

88. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Chaque siècle a sa physionomie particulière, son caractère distinctif, son génie propre. Le solitaire de la vallée aura-t-il été doué d’intelligence pour saisir les traits principaux du siècle où nous vivons ? […] Le siècle se refuse à une doctrine imposée : les croyances sociales non seulement sont toutes ébranlées, mais ont péri ; il ne reste plus d’autre tradition que celle des mœurs, antique héritage de nos premiers aïeux. […] Le siècle sourit dédaigneusement à ce mot mystère, à cette locution quelque chose de mystérieux. […] Aussi avons-nous vu de nos jours l’infortuné Louis XVI, digne héritier d’un instinct si élevé, se mettre le premier à la tête de son siècle, pour le diriger.

89. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre XI. Le Guerrier. — Définition du beau idéal. »

Les siècles héroïques sont favorables à la poésie, parce qu’ils ont cette vieillesse et cette incertitude de tradition que demandent les Muses, naturellement un peu menteuses. […] Or, l’esprit des siècles héroïques se forme du mélange d’un état civil encore grossier, et d’un état religieux porté à son plus haut point d’influence. […] Le siècle d’Homère s’éloignait déjà de ces premiers temps. […] C’est ce qui fait la beauté des temps chevaleresques, et ce qui leur donne la supériorité, tant sur les siècles héroïques que sur les siècles tout à fait modernes.

90. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

C’est pour cela que les dogmes varient selon les siècles et selon les races. […] Chacun sait que cette science est le plus grand effort et la plus grande œuvre du siècle. […] La sympathie, ignorée de Hume, a révélé les changements de l’âme, et Michelet, Thierry, Sainte-Beuve et tant d’autres ont écrit la psychologie des races, des individus, des siècles et des nations. […] On releva Descartes, et le public apprit avec joie que toutes les grandes vérités philosophiques avaient été prouvées pour la première fois par un compatriote. — Mais Descartes était mort depuis deux siècles, et deux siècles sont beaucoup ; on aurait voulu quelque chose de plus moderne, de plus approprié aux sciences nouvelles, de plus frappant, de plus grandiose, de plus attrayant. […] Toutes ces raisons semblent annoncer qu’on énumérera longtemps encore les trois facultés, la première, la seconde et la troisième, et que, jusqu’à la fin du siècle, pour expliquer l’idée de l’infini, on dira qu’elle vient de la raison, faculté de l’infini.

91. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Boileau1 Depuis plus d’un siècle que Boileau est mort, de longues et continuelles querelles se sont élevées à son sujet. […] Sans doute ces aptitudes singulières, ces facultés merveilleuses reçues en naissant se coordonnent toujours tôt ou tard avec le siècle dans lequel elles sont jetées et en subissent dès inflexions durables. […] Le drame mis à part, on peut considérer Malherbe et Boileau comme les auteurs officiels et en titre du mouvement poétique qui se produisit durant les deux derniers siècles, aux sommités et à la surface de la société française. […] Au reste, ces incertitudes et ces inconséquences étaient inévitables en un siècle épisodique, sous un règne en quelque sorte accidentel, et qui ne plongeait profondément ni dans le passé ni dans l’avenir. […] Il eût été trop dur d’appliquer à lui seul des observations qui tombent sur tout son siècle, mais auxquelles il a nécessairement grande part en qualité de poëte critique et de législateur littéraire.

92. (1881) Le roman expérimental

Un grand poète lyrique s’écriait dernièrement que notre siècle était le siècle des prophètes. […] Cette formule est celle du siècle tout entier. […] C’est un nouveau siècle littéraire qui s’ouvre. […] La formule naturaliste va être à notre siècle ce que la formule classique a été aux siècles passés. […] Si le dix-septième siècle est resté le siècle du théâtre, le dix-neuvième siècle sera le siècle du roman.

93. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Œuvres littéraires de M. Villemain (« Collection Didier », 10 vol.), Œuvres littéraires de M. Cousin (3 vol.) » pp. 108-120

On y passe plus d’une fois en Angleterre, ou, mieux, on ne cesse pas de l’embrasser d’un même regard parallèlement avec la France, et de suivre l’histoire de la littérature et de l’éloquence anglaise durant tout le siècle, depuis Bolingbroke jusqu’à M.  […] Le tableau de l’éloquence chrétienne et de l’église durant les premiers siècles nous transporte dans un monde bien différent. […] Cette révolution, en deux mots, est celle-ci : Le siècle de Louis XIV est déjà bien loin de nous ; pourtant, jusqu’en des temps très rapprochés, les écrivains corrects, ceux qui aspiraient au titre de classiques, se flattaient non seulement de le rappeler, mais de le continuer. […] Nul mieux que lui n’avait mission, en effet, pour s’éprendre de la langue du Grand Siècle et pour la revendiquer comme sienne : il est certainement, de tous les écrivains de nos jours, celui qui en renouvelle le mieux les formes, et qui semble sous sa plume en ressusciter le plus naturellement la grandeur. […] En un mot, la confection et la constitution de la prose française depuis deux siècles est mise dans tout son jour.

94. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 1. Éléments et développement de la langue. »

Nous n’avons ici qu’à nous représenter les principaux moments d’une évolution qui dura neuf siècles. […] On n’aperçoit pas où en était le latin populaire quand la Gaule le reçut, ni ce qu’en firent ces bouches et ces esprits de Celtes pendant les siècles de la domination romaine : on ne peut mesurer à quel point les habitudes intimes et comme l’âme de la langue celtique s’insinuèrent dans le latin gallo-romain. […] Le provençal resta le parler du peuple : mais la littérature provençale périt, pour ne ressusciter qu’après plusieurs siècles, et sans jamais reprendre son ancienne vigueur. […] Elle s’établit au Canada et poussa de si profondes racines, qu’après un siècle et plus de domination anglaise, elle s’est maintenue dans sa pureté et dans sa dignité, apte même à la production littéraire. […] Mais il faudra des siècles pour mener à bien cette conquête qui ne sera vraiment achevée qu’au siècle de Louis XIV.

95. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Alaux. La Religion progressive » pp. 391-400

même dans ce siècle de chemin de fer et de vélocipèdes, où l’on prend le mouvement pour la pensée, et où toute notion paraît suspecte si elle n’est pas timbrée de l’idée de progrès, du progrès que l’on met partout ! […] Il a bien la manie de son siècle, il a bien la livrée de son siècle, de ce siècle qui a défini la civilisation : « une spirale, qui avance encore quand elle a l’air de reculer ». Il a bien les logomachies de son siècle. […] D’un autre côté, en tant qu’invention, que système religieux, — et un système religieux est loin d’être une religion encore, — la Religion progressive, — même à nos yeux, à nous, catholiques, qui, comme ce grand siècle marcheur, ne cherchons pas la vérité sur toutes les routes, parce que nous savons où elle se tient, immobile et rayonnante !

96. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre III. De la comédie grecque » pp. 113-119

Mais cette délicatesse de goût, cette philosophie supérieure, que Molière a montrée dans ses comédies, il faut des siècles pour y amener l’esprit humain ; et quand un génie égal à celui de Molière eût vécu dans Athènes, il n’aurait pu deviner la bonne comédie. On se demande cependant avec étonnement, en lisant les comédies d’Aristophane, comment il se peut qu’on ait applaudi de semblables pièces dans le siècle de Périclès, comment il se peut que les Grecs aient montré tant de goût dans les beaux-arts, et une grossièreté si rebutante dans les plaisanteries. […] Ces portraits des hommes vivants, ces épigrammes sur les faits contemporains, sont des plaisanteries de famille et des succès d’un jour, qui doivent ennuyer les nations et les siècles ; le mérite de tels ouvrages peut disparaître même d’une année à l’autre. […] Les comédies de Ménandre et les caractères de Théophraste ont fait faire des progrès, l’un dans la décence théâtrale, l’autre dans l’observation du cœur humain ; parce que ces deux écrivains avaient sur Aristophane l’avantage d’un siècle de plus ; mais, en général, les auteurs se laissent aisément séduire dans les démocraties, par l’irrésistible attrait des applaudissements populaires. […] Démosthène, dans le siècle suivant, ne put arracher les Athéniens à leurs spectacles, à leurs occupations frivoles, pour les occuper de Philippe.

97. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Giraud, Albert (1848-1910) »

. — Hors du siècle (1888). — Sous la Couronne ; Devant le Sphinx (1894). — Héros et Pierrots (1898). […] Henri Vandeputte Sous la Couronne et Devant le Sphinx sont bien la continuation de Hors du siècle, en passant par les œuvres intermédiaires. Après cette clameur : « La haine de ce siècle aux enfants qui naîtront », aveu juvénile de son orgueil blessé et désormais misanthrope, le poète a marché vers les Bergames chimériques et clair, de lunées, et s’est reposé en le triomphe accalmi des dernières fêtes. Là, son cœur semblait avoir trouvé une demeure digne où reposer… Mais non, le poète s’est remis en route vers le bonheur, toujours hors de ce siècle. […] L’âme qui bat dans le Scribe, c’est celle qui bat dans Hors du siècle.

98. (1772) Éloge de Racine pp. -

Il ne fut pas apprécié par son siècle, et il n’y a pas longtemps qu’il l’est par le nôtre. […] Un homme a ajouté aux travaux d’un homme ; un siècle a ajouté aux lumières d’un siècle ; et c’est ainsi qu’en joignant et perpétuant leurs efforts, les générations qui se reproduisent sans cesse ont balancé la faiblesse de notre nature, et que l’homme, qui n’a qu’un moment d’existence, a jeté dans l’étendue des âges la chaîne de ses connaissances et de ses travaux, qui doit atteindre aux bornes de la durée. […] Racine était dès lors trop au dessus de son siècle et de ses juges. […] Quant au mérite personnel, la différence des époques peut le rapprocher malgré la différence des ouvrages ; et si l’imagination veut s’amuser à chercher des titres de préférence pour l’un ou pour l’autre, que l’on examine lequel vaut le mieux d’avoir été le premier génie qui ait brillé après la longue nuit des siècles barbares, ou d’avoir été le plus beau génie du siècle le plus éclairé de tous les siècles. […] Joignez-vous aux disciples du bon siècle pour arrêter le torrent : encouragez l’étude des anciens, qui seule peut conserver parmi vous le feu sacré prêt à s’éteindre.

99. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Mystères. » pp. 35-37

Ces sortes de spectacles parurent si beaux dans ces siècles ignorants, que l’on en fit les principaux ornements des réceptions des princes, quand ils entraient dans les villes ; et comme on chantait noël, noël, au lieu des cris de vive le roi, on représentait dans les rues la Samaritaine, le Mauvais Riche, la Conception de la sainte Vierge, la Passion de Jésus-Christ, et plusieurs autres mystères, pour les entrées des rois. […] Il aurait fallu un siècle plus éclairé pour leur conserver leur dignité ; et dans un siècle éclairé, on ne les aurait pas choisis. […] Alors naquit la comédie profane, qui, livrée à elle-même et au goût peu délicat de la nation, tomba, sous Henri III, dans une licence effrénée, et ne prit le masque honnête qu’au commencement du siècle de Louis XIV.

100. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre II. Attardés et égarés »

Plus les œuvres se multiplient, plus elles se dérèglent, et l’on dirait que la jeunesse féconde du siècle sème indifféremment la vie dans toutes les formes que le hasard lui présente. […] Tous ces réduits et ces ruelles, où les Précieuses tiennent conversation, se multiplient dans la première moitié du siècle. […] Mais jusqu’à la fin du siècle, en somme, la force et la fougue seront sensibles sous la politesse. […] Mais quand il ne s’agit pas d’amour, il cause souvent, en prose ou en vers, avec un esprit net et vif, d’un style léger et piquant, dont l’allure fait penser à Voltaire : son Épître au prince de Condé revenant d’Allemagne sort du goût précieux, et réalise déjà l’urbanité de la fin du siècle ou du siècle suivant. […] En même temps, l’instinct du siècle se précisait : on voulait du vrai.

101. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

La faiblesse qui pèche est digne de compassion : l’orgueil qui attaque la vérité n’inspire aucun sentiment doux. » Le fils de saint Dominique se révèle ici avec une étrange menace de sévérité et de dureté qui, heureusement, s’est trompée de siècle. […] Les Païens eux-mêmes, tels que Platon, Plutarque, Cicéron et beaucoup d’autres, sont mille fois préférables à la plupart de nos écrivains modernes ; c’étaient des gens religieux, pénétrés de respect pour la tradition… Depuis trois ou quatre siècles, la littérature est dans un état de rébellion contre la vérité. » Ainsi voilà trois siècles littéraires rayés d’autorité, et, ce qui est plaisant, rayés au nom de la tradition même. […] L’humanité pendant des siècles fit naufrage, et elle eut besoin d’efforts inouïs avant de se remettre à flot. Il y a trois ou quatre siècles précisément et pas plus, que ce recommencement de marche et de progrès s’est fait avec suite par la Renaissance. […] Lacordaire, on le voit bien, même dans les morceaux les plus soignés et où il est le plus classique, n’est pas impunément du siècle de Michelet.

102. (1890) L’avenir de la science « XXI »

De tous les siècles, le XVIe est sans doute celui où l’esprit humain a déployé le plus d’énergie et d’activité en tous sens : c’est le siècle créateur par excellence. […] Quel siècle que celui de Luther et de Raphaël, de Michel-Ange et de l’Arioste, de Montaigne et d’Érasme, de Galilée et de Copernic, de Cardan et de Vanini ! […] ce siècle admirable, où se constitue définitivement l’esprit moderne, est le siècle de la lutte de tous contre tous : luttes religieuses, luttes politiques, luttes littéraires, luttes scientifiques. […] Dante aurait-il composé au sein d’un studieux loisir ces chants, les plus originaux d’une période de dix siècles ? […] Quand l’humanité sera arrivée à son état rationnel, mais alors seulement, les révolutions paraîtront détestables, et on devra plaindre le siècle qui en aura eu besoin.

103. (1903) Le problème de l’avenir latin

De siècle en siècle, ses conquêtes s’étaient élargies avec une incoercible rapidité. […] Qu’importe cette paternité vieille de vingt siècles, cette ancestralité quasi-légendaire ? […] Le venin des siècles s’est accumulé là. […] C’est là l’étrange et malheureuse situation à laquelle leur conduite de siècle en siècle les a réduits. […] Un fait décisif s’est accompli au cours des siècles derniers.

104. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

Quoi qu’il en soit, il demeure constant que la corruption de ce siècle et de cette cour l’avait atteint au cœur : la nature de son esprit s’en ressentit. […] On y voit des princes ornés de riches colliers, endormis depuis des siècles dans de magnifiques palais. […] Dès les premières pages, il nous rend bien le caractère général de cette époque, ce qu’il a appelé le « caractère sexagénaire » du siècle. […] Tout le monde, en fait d’esprit, semble avoir dans ce siècle le nécessaire, mais il y a peu de grandes fortunes. […] ce déluge, qu’il invoque après dix ou douze générations, il est déjà sur sa tête ; trente-six mois de tempête et de lutte suffiront pour abîmer une monarchie de plusieurs siècles.

105. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Ceux-ci, après les beaux âges de leur littérature, après Cicéron et Virgile, eurent leurs classiques à leur tour, et ils devinrent presque exclusivement ceux des siècles qui succédèrent. […] Boileau vengeait et soutenait avec colère les anciens contre Perrault qui préconisait les modernes, c’est-à-dire Corneille, Molière, Pascal, et les hommes éminents de son siècle, y compris Boileau l’un des premiers. […] La meilleure définition est l’exemple : depuis que la France posséda son siècle de Louis XIV et qu’elle put le considérer un peu à distance, elle sut ce que c’était qu’être classique, mieux que par tous les raisonnements. […] Toutefois, avec Molière et La Fontaine parmi nos classiques du Grand Siècle, c’est assez pour que rien de légitime ne puisse être refusé à ceux qui oseront et qui sauront. […] Le moins classique après lui semblait La Fontaine : et voyez après deux siècles ce qui, pour tous deux, en est advenu.

106. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXII. »

Ce fut celle de Gray, parvenu à une gloire éminente, dans le siècle dernier, avec de rares et courts essais de poésie, et célèbre encore de nos jours, après le grand éclat de poésie moderne qui lui a succédé et qui semblait devoir l’ensevelir. […] Dans un siècle d’innovation philosophique et d’ambition active, il ne vécut que pour la perfection de l’art, la curiosité de l’étude et la paix solitaire du cœur. […] Dans un siècle de scepticisme, il était religieux ; dans un siècle d’orgueil et de bruit, modeste et retiré. […] Est-il besoin de dire ce qu’une telle vie, dans le siècle des grandes prétentions et des petites choses, dut nourrir de feu poétique et de verve originale au cœur du poëte anglais ? […] Et vous, siècles encore à naître, ne venez pas en foule obséder mon âme !

107. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Quand le poète est aussi médiocre que son pays, son peuple, son époque, ces poésies sont entraînées dans le courant ou dans l’égout des siècles avec la foule qui les goûte. […] Nous n’avons rien dit de si cru, de si injuste ; mais continuons la citation du Siècle. […] Le Dante eut ce tort ; il crut que les siècles, infatués par la beauté de ses vers, prendraient parti contre on ne sait quels ennemis qui battaient alors le pavé de Florence. […] » (Siècle, numéro du 20 décembre 1856.) […] En cela nous ne partagions pas ses illusions ; c’est la raison qui fait le jour dans les siècles, ce n’est pas la crédulité.

108. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Les quatre moments religieux au XIXe siècle, (suite et fin.) »

Aussi l’impopularité du Clergé vers 1827 était-elle au comble ; ce siècle qui, à son aurore, avait applaudi et tressailli de joie à la restauration du culte, en était revenu à la haine du prêtre ; l’insulte s’attachait à l’habit90. […] Ailleurs ils éveillèrent de la curiosité, et rencontrèrent sympathie même, chez quelques esprits libéraux et indépendants, qui n’avaient pas renoncé à la pensée religieuse première, retrouvée par le siècle en son berceau. […] Certains corps religieux ont eu, de tout temps, l’art d’élever et de captiver les jeunes esprits : ils ne négligent rien pour cela, ni les méthodes nouvelles, ni les études variées, ni même l’agrément et les grâces : tout est bon pour prendre les enfants du siècle. […] Mais voilà que les progrès mêmes du siècle et ses facilités matérielles nuisent à cette indépendance si désirable sur quelques points, et qui avait toujours existé dans l’ancienne Église de France. […] — Enfin, troisième courant, je vois d’autres élèves moins lettrés, tout pratiques et positifs, dressés au bon sens et aux applications utiles, sortir des écoles du commerce et de l’industrie pour vaquer à toutes les professions usuelles du siècle.

109. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VII. De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins » pp. 176-187

De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins Après le siècle de Louis XIV, et pendant le siècle de Louis XV, la philosophie a fait de grands progrès, sans que la poésie ni le goût littéraire se soient perfectionnés. […] L’opinion qui domine est un centre avec lequel les individus conservent toujours de certains rapports ; et l’esprit général du siècle, s’il ne change pas le caractère, modifie les formes que l’on choisit pour le montrer. […] Les écrivains du temps des empereurs, malgré les affreuses circonstances contre lesquelles ils avaient à lutter, sont supérieurs, comme philosophes, aux écrivains du siècle d’Auguste. […] Mais en avançant dans la littérature, on se blase sur les jouissances de l’imagination, l’esprit devient plus avide d’idées abstraites, la pensée se généralise, les rapports des hommes entre eux se multiplient avec les siècles, la variété des circonstances fait naître et découvrir des combinaisons nouvelles, des aperçus plus profonds ; la réflexion mérite du temps. […] Si l’on en excepte les années de la terreur en France, l’atrocité n’est pas dans la nature des mœurs européennes de ce siècle.

110. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VII. D’Isocrate et de ses éloges. »

Il paraît que le premier qui travailla dans ce genre fut Isocrate ; cet orateur, comme on sait, eut la plus grande réputation dans son siècle ; il était digne d’avoir des talents, car il eut des vertus. […] Au siècle de César et d’Auguste, plusieurs Romains célèbres ne goûtaient point du tout les ouvrages d’Isocrate, et sûrement Brutus était de ce nombre ; au siècle de Trajan, Plutarque le peignait comme un orateur faible et un citoyen inutile, qui passait sa vie à arranger des mots et compasser froidement des périodes ; au siècle de Louis XIV, Fénelon le traitait encore plus mal ; Isocrate, selon lui, n’est qu’un déclamateur oisif qui se tourmente pour des sons, avide de petites grâces et de faux ornements, plein de mollesse dans son style, sans philosophie et sans force dans ses idées. […] Cette manière de chercher de petits rapports qui étonnent l’esprit sans l’éclairer, n’a dû être approuvée dans aucun siècle. […] Les passions seules raniment tout ; les passions traversent les siècles et se communiquent, après des milliers d’années, sans s’affaiblir ; l’homme a besoin d’orages ; il veut être agité : c’est pour cela que Démosthène a encore des admirateurs, et qu’Isocrate n’en a plus.

111. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXV. De Paul Jove, et de ses éloges. »

Mais, dans le même siècle, il y eut un écrivain qui publia des éloges d’un genre tout différent, et qui par là mérite d’être distingué ; c’est Paul Jove : il était Italien et Milanais. […] Il aima passionnément les lettres, écrivit l’histoire de son siècle en latin, fut admiré pour le style, peu renommé pour la vérité, plut aux uns, déplut aux autres, et fut accusé tour à tour de flatterie et de satire ; sort presque inévitable de tous ceux qui ont l’ambition et le courage d’écrire de leur vivant ce qui ne peut être écrit avec sûreté que cent ans après. Nous avons de lui, outre son histoire, sept livres d’éloges, consacrés aux hommes les plus célèbres dans le gouvernement ou dans la guerre, et un autre livre très considérable sur les gens de lettres et les savants du quatorzième, quinzième et seizième siècles. […] Enfin, ils ont le mérite de présenter une grande variété d’hommes, quelques-uns grands, et presque tous fameux, de tous les pays, de toutes les religions, de tous les rangs et de tous les siècles. […] Partout les intérêts religieux se mêlaient aux intérêts politiques et les crimes aux grandes actions ; tel était l’esprit de ce temps ; et parmi ces dangers, ces espérances, ces craintes, il dut naître une foule d’âmes extraordinaires dans tous les rangs, qui se développèrent, pour ainsi dire, avec leur siècle, et qui en reçurent le mouvement, ou qui donnèrent le leur.

112. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

Le onzième siècle avait vu s’accomplir une grande révolution dans tout le système de l’Europe. […] Il n’en était pas de même aux onzième et douzième siècles. […] Cette douce occupation dura plus d’un siècle. […] On les trouve répandus dès le huitième siècle. […] Ainsi, en deux siècles, comme l’a très bien montré M. 

113. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre VI. Architecture. — Hôtel des Invalides. »

On en voit un exemple remarquable dans l’hôtel des Invalides et dans l’École militaire : on dirait que le premier a fait monter ses voûtes dans le ciel, à la voix du siècle religieux, et que le second s’est abaissé vers la terre, à la parole du siècle athée. […] La rouille des siècles qui commence à le couvrir, lui donne de nobles rapports avec ces vétérans, ruines animées, qui se promènent sous ses vieux portiques. […] Le siècle de Louis XIV est peut-être le seul qui ait bien connu ces convenances morales, et qui ait toujours fait dans les arts ce qu’il fallait faire, rien de moins, rien de plus.

114. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La révocation de l’Édit de Nantes »

S’il est un siècle qui doive juger superficiellement la politique de Louis XIV, c’est le xixe . […] Nous le comprendrions comme nous comprenons le siècle d’Auguste, de Périclès, de Charlemagne, et autant du moins qu’il est possible à l’homme de comprendre ce qui n’est plus. […] Et, en effet, pour Charles Weiss, comme pour le siècle dont il est le fils, le mal produit par la révocation de l’Édit de Nantes a été le plus grand mal qui puisse arriver à un gouvernement ou à un peuple ; et savez-vous pourquoi ? […] Mais, pour eux, il y avait une question plus haute que la question de ce dommage : c’était la question posée et reposée depuis des siècles, cette question de l’unité dans l’État, qui n’a perdu de son importance que depuis que les gouvernements se sont affaiblis. […] Au lieu de pénétrer la pensée politique qui se cache sous cette dure mesure de la révocation de l’Édit de Nantes, il a été plus tôt fait et bien plus facile de redire de Louis XIV, tombé sous la quenouille de madame de Maintenon, les lieux communs que débite, depuis plus d’un siècle, cette haïsseuse de tout pouvoir : la Philosophie.

115. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Vauvenargues » pp. 185-198

Quand on place Vauvenargues à côté de Pascal, La Rochefoucauld et La Bruyère, — ce La Bruyère qu’il a contrefait bien plus qu’il ne l’a imité, — on le trouve aussi petit que l’est son siècle à côté du siècle de Louis XIV. […] C’est la moralité du gentilhomme, de l’homme de qualité, élevé probablement par une mère chrétienne, qui a gardé en lui la première impression des leçons de sa mère, ce qui l’a empêché, dans un siècle de philosophie et malgré les entortillantes flatteries de Voltaire, d’être nettement un philosophe. […] Il sourit amèrement quand il parle à son ami Mirabeau « de traîner son esponton dans la crotte », et il n’a pas l’air de comprendre que cela, qui le dégoûte, le préserve de traîner son âme, plus avant que son esponton, dans les fanges brillantes de son siècle ! […] Vauvenargues, s’il avait vécu à Paris de 1824 à 1840, eût compté dans la légion de ces jeunes graves cravatés de noir : « l’espoir du siècle », comme disait Stendhal, qui s’en moquait. […] Son nom restera dans l’histoire des lettres, car il est dans la correspondance du diable d’homme qui tient son siècle dans sa main, comme Charlemagne tenait son globe ; mais on s’étonnera des mérites que Voltaire a mis sous ce nom.

116. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XV. Vauvenargues »

Quand on place Vauvenargues à côté de Pascal, La Rochefoucauld et La Bruyère, — ce La Bruyère qu’il a contrefait bien plus qu’il ne l’a imité, — on le trouve aussi petit que l’est son siècle, à côté du siècle de Louis XIV. […] C’est la moralité du gentilhomme, de l’homme de qualité, élevé probablement par une mère chrétienne, qui a gardé en lui la première impression des leçons de sa mère, ce qui l’a empêché, dans un siècle de philosophie et malgré les entortillantes flatteries de Voltaire, d’être nettement un philosophe. […] Il sourit amèrement quand il parle à son ami Mirabeau « de traîner son esponton dans la crotte », et il n’a pas l’air de comprendre que cela, qui le dégoûte, le préserve de traîner son âme, plus avant que son esponton, dans les fanges brillantes de son siècle ! […] Vauvenargues, s’il avait vécu à Paris de 1824 à 1840, eût compté dans la légion de ces jeunes gravés, cravatés de noir, « l’espoir du siècle », comme disait Stendhal, qui s’en moquait. […] Son nom restera dans l’histoire des lettres, car il est dans la correspondance du diable d’homme qui tient son siècle dans sa main, comme Charlemagne tenait son globe, mais on s’étonnera des mérites que Voltaire a mis sous ce nom.

117. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XII. »

Mais les mœurs poétiques de la Grèce, sa passion des lettres et de l’éloquence, la variété croissante de son génie, durèrent plus d’un siècle après lui. […] Ami des philosophes pythagoriciens et des arts de la Sicile, attiré par un despote corrompu à cette cour de Syracuse où, un siècle auparavant, Pindare avait été l’hôte favori d’un roi généreux, Platon aimait les hautes pensées et la majesté religieuse du grand lyrique thébain. […] Lorsque, pour prélude de son entreprise sur l’Asie, en souvenir de l’ancienne défection de Thèbes et contre sa résistance nouvelle, il vint, avant de passer l’Hellespont, écraser cette malheureuse ville comme une victime expiatoire, et que, dans sa fureur, semblable aux Thraces demi-barbares qui remplissaient son armée, il fit tuer la garnison et rasa de fond en comble les murailles et les maisons, il ne se borna pas à épargner, comme on l’a vulgairement répété, cette maison de Pindare dont Pausanias, quatre siècles plus tard, notait les ruines saintes encore. […] Deux choses à remarquer, cependant : le siècle d’Alexandre, si l’on peut appeler ainsi la course de dix ans du jeune héros, et les fondations d’empires qui, jetées sur son passage, s’achevèrent après lui, le siècle d’Alexandre fut bien loin d’atteindre, dans l’ordre des arts et du génie, à la gloire du siècle de Périclès, ou plutôt d’Athènes, dans sa période la plus étendue, de la naissance d’Eschyle à la mort de Platon. […] Un vers isolé dans quelque commentaire nous atteste ‘qu’il avait composé des hymnes aux dieux ; et les siècles, à travers tant de ruines, ont conservé son hymne à la Vertu, souvenir de reconnaissance à la mémoire de son ami, l’eunuque Hermias, gouverneur d’une ville d’Asie.

118. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

C’est en notre siècle surtout qu’elle s’est exercée. Pas n’est besoin d’être savant pour savoir quels progrès immenses les sciences physiques et naturelles ont accomplis à la fin du siècle dernier. […] Si notre siècle n’a pas réalisé toutes ces espérances, il n’a certes pas été indigne de ce prodigieux essor. […] L’histoire ne saurait citer aucun autre siècle qui ait avancé aussi vite dans cette voie. […] Dites, est-ce que l’effort héroïque, l’endurance, l’ascension lente du futur roi de la terre vers le bien-être, la lumière, la puissance, la justice ne sont pas cent fois plus émouvants, plus poétiques que les fables trop docilement répétées de siècle en siècle ?

119. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

Il est alors plus jeune, plus mêlé aux choses du siècle, moins rêveur, moins hanté par saint Doctrové, et assurément les élèves de l’École des chartes ne le traiteront jamais comme ils traitent l’exquis Silvestre en se promenant sous les ombrages du Luxembourg. […] Elle a sans doute hâté notre croissance, mais aussi peut-être l’a-t-elle fait dévier pendant un siècle et plus. […] Ces cathédrales gothiques qui semblaient barbares aux lettrés du XVIIc siècle et qui, pour Fénelon, manquaient de mesure et de noblesse, elles nous éblouissent, elles nous charment, elles nous touchent. […] Nous concevons peut-être mieux l’âme du moyen âge, mais nous en sommes encore plus loin que les écrivains des siècles classiques. […] — Les hommes de la première moitié de ce siècle croyaient à une mission providentielle de la France dans le monde, comme les hommes du temps des croisades.

120. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Walckenaer. » pp. 165-181

Walckenaer a rendus à la littérature et à tous les lecteurs amis du Grand Siècle par ses biographies si riches et si abondantes. […] Cette infidélité de ton, il l’aura en toute circonstance lorsqu’il parlera du Grand Siècle, et malgré sa familiarité si réelle avec les principaux comme avec les moindres personnages de ce beau temps. […] Fontanes lui-même, qui revenait avec une simplicité relative au Grand Siècle, Fontanes avait ses scrupules, et n’aurait pas tout permis en matière de citations. […] Walckenaer comme biographe du Grand Siècle, c’est de n’avoir point paru soupçonner ces questions-là, et de ne les avoir point laissées se poser et se résoudre aux yeux du lecteur par l’art heureux des citations mêmes. […] C’est ainsi que cette saveur du siècle d’Auguste échappe au moment où l’on était le plus avide et le plus près de la ressaisir.

121. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Ses phases se succèdent dans le même ordre que les différentes étapes du siècle. […] C’est à peu de chose près l’idéal de Montesquieu, le premier en date des théoriciens du siècle. […] Il y a bien quelques inconvénients à reculer ainsi de deux siècles et demi. […] Tel est le rôle qu’ont joué, dans les deux siècles qui ont précédé le nôtre, les réfugiés protestants, et dans notre siècle, et dans notre siècle, après chacune de nos révolutions, les bannis de la monarchie, de l’Empire, de la République, tous ces essaims jetés et dispersés sur la surface du monde par le peuple qui exile le plus, sans doute parce qu’il est celui qui émigre le moins. […] Sans qu’il soit besoin d’insister davantage, on voit comment, par leur tendance essentielle, les deux écoles qui ont régné tour à tour en notre siècle, sont d’accord avec la tendance dominante du siècle entier, celle qui emporte la société française et même la société européenne vers la démocratie.

122. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Sénecé ou un poète agréable. » pp. 280-297

Je m’explique : quoique venant à une date déjà avancée du siècle, et de manière à avoir vingt ans lorsque Racine et Boileau faisaient leur glorieux début, il n’en reçut point l’influence directe, précise et comme soudaine ; il ne rompit point avec le goût antérieur, il ne s’aperçut point qu’un goût nouveau, ou plutôt qu’une réforme neuve et en accord avec le vrai goût ancien, s’inaugurait, et qu’on entrait décidément dans une grande et florissante époque qui tranchait par bien des caractères avec la précédente. […] Quand je dis que Sénecé ne porte pas dans son talent ni dans son esprit la marque précise et le cachet du siècle de Louis XIV, je désire bien faire entendre en quoi cela est vrai ; car il a de ce siècle la politesse, l’élégance facile et une langue pure ; mais il n’en a pas le procédé de composition, ni les jugements ni certaines qualités non moins essentielles que la pureté et l’élégance. […] Le groupe des voyageurs qui accompagne Lully la recherche du bon goût se compose de Clément Marot, de Catulle, de Virgile, et de tous les auteurs du temps passé et des siècles récents. […] Disons qu’un homme qui en 1688, vivant à côté de La Bruyère, invente de telles choses et les publie, n’est pas un auteur du grand siècle ; sa littérature, ingénieuse d’ailleurs, est une littérature d’avant et d’après. […] En somme, il n’a pas trop à se plaindre de son sort, même comme poète, puisque après plus d’un siècle on le réimprime en y ajoutant de l’inédit, et que la postérité (car c’est bien ainsi que nous nous appelons par rapport à lui) s’occupe, ne fût-ce qu’un instant, de sa mémoire.

123. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

Racine, quoi qu’en dise son biographe filial M. de La Roque, n’est pas en avant de son siècle et n’a pas les horizons très-étendus. […] Il n’était pas au niveau d’un siècle où Duclos disait : « Mon talent à moi, c’est l’esprit. » De l’esprit argent comptant et à tout instant, voilà ce que la société demandait alors avant tout et ce que Racine fils avait moins que personne à lui donner. […] — Je me pose la question comme un beau rêve, comme un Tu Marcellus eris à ajouter à tant d’autres ; mais c’eût été trop dans une même famille que cette double couronne, que cette régénération du génie à presque un siècle de distance. […] Il est des saisons plus ou moins fécondes pour l’esprit humain, des siècles plus ou moins heureux par des conjonctions d’astres et des apparitions inespérées, mais ne proclamons jamais que le Messie est venu en littérature et qu’il n’y a plus personne à attendre ; au lieu de nous asseoir pour toujours, faisons notre Pâque debout comme les Hébreux et le bâton à la main. […] Après le siècle du génie et du goût, on a eu le siècle de l’esprit et de la philosophie ; après le siècle de l’Encyclopédie, aboutissant à la plus terrible des Révolutions qui a remis les fondements de la société à nu, on a le siècle de la critique historique, du passé admirablement compris sous toutes ses formes, de l’art réfléchi et intelligent : voilà les vraies successions, les vraies suites, les grandes routes et les larges voies.

124. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVII. Rapports d’une littérature avec les littératures étrangères et avec son propre passé » pp. 444-461

Il est parfois d’une netteté qui ne permet aucune supposition d’influence s’exerçant d’un pays ou d’un siècle à un autre. […] Il faut dater de ce temps-là le commencement de ce cosmopolitisme que la suppression des distances par la vapeur et l’électricité a si prodigieusement accru durant le siècle qui finit. […] On verra aussi tout à coup quelque auteur, ignoré ou dédaigné durant des siècles, obtenir une vogue éclatante. […] Il semble que, dans les derniers siècles, les principaux peuples de l’Europe occidentale se soient partagé plus encore que disputé l’honneur d’exercer une sorte de suprématie intellectuelle. […] Tantôt, grâce à eux, des mots si vieux, si vieux qu’ils en sont redevenus jeunes, reprennent une vigueur imprévue ; au commencement de notre siècle, le français d’Amyot reparaît dans certaines pages de Paul-Louis Courier, surtout dans sa traduction d’Hérodote.

125. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXVIII » pp. 266-276

Le vent du siècle est à Napoléon, et la plume de Thiers, comme sa parole, est celle qui voltige le mieux au vent du siècle. — Le Voltaire de ce temps-ci, c’est un peu M. […] Cousin, en terminant, conclut : « Selon nous, Pascal est l’exagération de Port-Royal comme Port-Royal est l’exagération de l’esprit religieux du xviie  siècle… » Puis il montre le xviiie  siècle réagissant en sens tout opposé : « Aujourd’hui, dit-il, le xixe  siècle a devant lui la dévotion sublime mais outrée du xviie  siècle, et la philosophie libre mais impie du xviiie  ; et il cherche encore sa route entre ces deux siècles… Son caractère distinctif qui déjà44 commence à paraître, consiste précisément à fuir toutes les extrémités qui jusqu’ici ont séduit et entraîné l’esprit français… Est-il donc impossible de s’arrêter sur la pente des systèmes et de concilier tout ce qui est vrai et tout ce qui est bien ? […] L'éclectisme, qui touche à tout, n’a pas mis jusqu’ici le doigt sur le grand ressort de rien. — Quant à ce que pourrait objecter d’autre part une philosophie originale et convaincue contre cette manière de prendre un peu à un siècle et un peu à un autre pour se composer une doctrine raisonnable, nous ne nous en chargeons pas et nous laissons ce soin aux doctes Allemands de Berlin ou de Kœnigsberg, et aux professeurs comme Rosenkranz, qui sont en train de s’en acquitter à merveille. […] Hippolyte Lucas, rédacteur ordinaire des feuilletons de théâtre au Siècle, et qui n’a d’ailleurs en rien, nous dit-on, la prétention de savoir le grec : il semble en vérité que ce soit la condition la moins requise pour traduire ces grands poëtes d’autrefois. […] Voir le Siècle d’hier, 3 novembre.

126. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

Pour mon compte, je maintiens qu’il n’y a qu’un catholique qui puisse écrire profondément et intégralement l’histoire de Philippe II et de son siècle, et encore un catholique assez fort (cherchez-le dans le personnel du catholicisme actuel et trouvez-le si vous le pouvez !) […] II Et, en effet, pour cet historien catholique qui n’est pas venu, comme pour l’historien politique que voici, le siècle de Philippe II — il faut bien en convenir ! […] le fanatisme religieux, le charbon fumant d’une flamme d’amour, inextinguible encore, pour une religion enfoncée par le marteau de quinze siècles dans le cœur, les mœurs et les institutions politiques des peuples, et même de ceux-là qui s’étaient révoltés contre elle… Il ne faut pas s’y tromper ! […] Ce livre a la puissance personnelle des facultés qui font le talent, mais il a l’impuissance de son siècle, — d’un siècle à qui manque radicalement le sens des choses religieuses, et il en faut au moins la connaissance et la compréhension pour en parler dans une histoire où elles tiennent une si grande place. […] Dans un temps où l’on n’avait pas vu que Mayenne, — le dernier des Guise, de toutes les manières, — mais le grand Guise lui-même, le magnifique Balafré, le charmeur de la France, recevoir vingt-cinq mille écus par mois du roi d’Espagne, non pour les besoins de son parti, — ce qui eût été légitime, — mais pour les besoins de sa maison, de son luxe et de sa personne ; quand les plus grands seigneurs de France tendaient leurs mains gantées d’acier, et les évêques leurs mitres de soie, à l’argent du roi d’Espagne qui y tombait ; quand partout, dans l’abominable politique du temps, il n’y a que gens qui se marchandent, espions tout prêts qui se proposent, assassins qui s’achètent, la Ligue ne fut pas plus innocente que les autres des vices qui dévoraient son siècle, et elle y ajouta le sien, qui était d’être une Démocratie… Philippe II fut ruiné, du reste, avant d’avoir acheté la France, et les victoires d’Henri IV firent le reste.

127. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVIII. Siècle de Constantin. Panégyrique de ce prince. »

Siècle de Constantin. […] Du fond de la Scythie, aux extrémités de l’Espagne, Rome luttait contre les Barbares, et les Barbares contre Rome : et depuis trois siècles le christianisme luttait contre les bourreaux et les Césars. […] Constantin fit rouvrir les écoles d’Athènes, il honora les lettres, il les cultiva lui-même, mais comme on pouvait les cultiver dans son siècle, et parmi les occupations de la guerre et du trône ; l’éloquence romaine était alors très affaiblie ; l’éloquence grecque se soutenait. […] Ensuite il adresse une prière à l’auteur de l’univers, il le conjure de conserver Constantin pour tous les siècles, et l’on espère qu’il voudra bien accorder cette faveur au monde, parce qu’étant Dieu, il doit vouloir tout ce qui est juste ; et tout-puissant, il ne peut avoir aucune raison pour refuser ; ainsi et l’orateur et l’univers comptent sur l’éternité de Constantin : on peut juger à peu près de tous les panégyriques latins de ce prince, par celui-là. […] Cependant on rencontre quelques beautés de détail et des lueurs d’éloquence ; car dans les siècles qui penchent vers la barbarie, ou qui en sortent, il est encore plus aisé, sans doute, de trouver de l’éloquence que du goût.

128. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

Les philosophes anglais, connus en France, ont été l’une des premières causes de cet esprit d’analyse qui a conduit si loin les écrivains français ; mais, indépendamment de cette cause particulière, le siècle qui succède au siècle de la littérature est dans tous les pays, comme j’ai tâché de le prouver, celui de la pensée. […] L’écrivain qui ne cherche que dans l’immuable nature de l’homme, dans la pensée et le sentiment, ce qui doit éclairer les esprits de tous les siècles, est indépendant des événements ; ils ne changeront jamais rien à l’ordre des vérités que cet écrivain développe. […] Dans le siècle de Louis XIV, la perfection de l’art même d’écrire était le principal objet des écrivains ; mais, dans le dix-huitième siècle, on voit déjà la littérature prendre un caractère différent. […] Les idées philosophiques ont pénétré dans les tragédies, dans les contes, dans tous les écrits même de pur agrément ; et Voltaire, unissant la grâce du siècle précédent à la philosophie du sien, sut embellir le charme de l’esprit par toutes les vérités dont on ne croyait pas encore l’application possible. […] De toutes les abstractions que permet la méditation solitaire, la plus facile, ce me semble, c’est de généraliser ses observations sur ce qu’on voit, comme celles que l’on ferait sur l’histoire des siècles précédents.

129. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Louis XIV. Quinze ans de règne »

Nous avons bien des histoires de France, dues à des plumes de notre temps plus ou moins habiles, et dans lesquelles le xviiie  siècle est traversé et jugé, en passant, comme les autres siècles qui forment la longue vie de la monarchie et de la société françaises. […] Quinze ans découpés dans le siècle de Louis XIV, quinze ans d’un règne pour les gâter en les racontant, ce serait encore trop, sans nul doute ; mais il entend l’Histoire. […] Diviser un règne comme celui de Louis XIV, ou ne pas étreindre dans son dessein le siècle tout entier dont on dit les premières années, c’est toujours, quelque parti qu’on prenne, fragmenter un ensemble, briser et disjoindre ce qui devrait rester cohérent, altérer la nature des choses. […] Cela serait-il l’explication qu’il faudrait donner au choix fait par Moret des quinze dernières années du siècle de Louis XIV ? […] Confusion et déplacement funestes, qui doivent troubler la limpidité du courant historique pour des siècles, car, si les hommes se trompent sur la nature des fautes qui ont produit les abaissements ou les calamités d’une époque, ils ne se trompent pas dans cet instinct qu’ils ont gardé depuis la Chute et qui leur fait mettre toujours des fautes partout où il y a du malheur !

130. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme au XVIIIe siècle » pp. 309-323

L’auraient-ils cru eux-mêmes, quand ils écrivaient le livre que voici, ces distingués, ces aristocrates de talent, ces élégants, ces admirateurs des élégances pomponnées du xviiie  siècle, le plus artificiel des siècles, le plus recherché et le plus quintessencié dans ses mœurs et dans ses arts, et dont le Diogène fut Rousseau, qui eut la prétention de le ramener à la nature ? […] Excepté leur étude sur Marie-Antoinette, dans laquelle ils se haussent par le sujet et par l’émotion jusqu’à la grande histoire, MM. de Goncourt ne firent que celle des frivolités de ce siècle frivole, — qui rendit frivole jusqu’à l’âme de Marie-Antoinette, retrouvée tout à coup si sérieuse et si héroïque devant l’échafaud ! […] Il fallait la prendre de sa naissance à son mariage et de sa naissance jusqu’à sa mort, et depuis la naissance du siècle jusqu’à la mort du siècle. […] C’était l’enthousiasme égaré pour un siècle qui, selon moi, n’en méritait aucun. […] Et cependant, malgré leur enthousiasme pour ce siècle, ils s’efforçaient de le juger.

131. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Tel est, chez nous, le siècle de Louis XIV. […] Les grands hommes du siècle de Périclès et du siècle de Louis XIV parurent à ce moment de la vie religieuse de leur pays où le respect de l’autorité et des traditions s’allie encore avec la liberté naissante de l’esprit. […] Ne cherchons donc pas à répéter ce siècle, pas plus qu’il n’a répété lui-même le siècle de Périclès ou d’Auguste ; mais, à la suite de nos maîtres français et des grands génies de Rome, allons respectueusement demander des leçons à la Muse ionienne. […] Tous les siècles vraiment féconds et qui ont laissé des monuments durables enseignèrent et pratiquèrent le respect. […] Un siècle de scepticisme et de corruption est nécessairement aussi pauvre en matière de style qu’en matière de poésie.

132. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Pline le jeune se défend d’être idolâtre de tout ce qui n’est ni son siècle ni sa patrie. […] Les sçavans du siècle de François I, & même longtemps après ce monarque, étoient surtout fanatiques à cet égard. […] L’élite des écrivains du siècle de Louis-le Grand fut pour les anciens. […] On crut le poëme du siècle de Louis-le-Grand, la satyre la plus indécente qu’on put faire de tous les autres glorieux siècles du monde. […] On cite ceux encore de Théagène & de Chariclée, par Héliodore, évêque de Tricca, dans le quatrième siècle.

133. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

À tout le moins, elle résume le procédé par lequel les philosophes du siècle ont gagné leur public, propagé leur doctrine et conquis leur succès. […] Non seulement il descend ainsi jusqu’au fond de la doctrine antireligieuse et antisociale, avec toute la raideur de la logique et du paradoxe, plus impétueusement et plus bruyamment que d’Holbach lui-même ; mais encore il tombe et s’étale dans le bourbier du siècle qui est la gravelure, et dans la grande ornière du siècle qui est la déclamation. […] Rousseau l’a été, autant que Voltaire, et l’on peut dire que la seconde moitié du siècle lui appartient. […] Ce sont là les grandes puissances littéraires du siècle. […] Jamais la pensée du siècle ne s’est montrée sous un déguisement qui la rendît plus visible, ni sous une parure qui la rendît plus attrayante.

134. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre septième. »

Aussi les écrivains secondaires tiennent-ils un meilleur rang au xvie  siècle qu’aux deux siècles qui suivent, parce que la condition de ces derniers est moins bonne. […] J’ai dit que la matière unique de l’activité intellectuelle de ce siècle, c’était l’homme, l’humanité considérée du point de vue le plus général. […] C’est à cause de cette ressemblance avec notre siècle, que le xvie siècle plaît si fort aux esprits dont j’ai parlé, et qu’il leur paraît plus riche intellectuellement que le xviie. […] Quant au doute, né en partie de cette curiosité, en partie des excès même de l’affirmation dans les choses de la religion, il n’est pas le même que celui dont notre siècle se plaint d’être travaillé. […] C’est ainsi que Ronsard et Montaigne, quoique si inégaux et si différents, subissent l’influence du tour d’esprit de leur siècle, lequel met le plus petit hors de sens, et trouble la raison du plus grand.

135. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

C’étaient, à la distance de quelques siècles, les mêmes hommes, les mêmes institutions, les mêmes temps, les mêmes mœurs qu’il avait à peindre. Il y a tout au plus un laps de sept siècles entre Virgile et Romulus. Or, à présent, nous avons à peu près tous les monuments du siècle de saint Louis sous les yeux. […] Virgile est avant tout un génie historique, comme tous les grands génies, du reste, car dans les siècles il est peu d’exception à cette loi. […] Ces qualités ont séduit le dix-neuvième siècle… Et elles l’ont séduit d’autant plus que dans une certaine mesure — la mesure d’un homme à un siècle — le dix-neuvième siècle qui se croit aussi un siècle critique, les partage.

136. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

Un double caractère de cette petite école est d’être à la fois en arrière et en avant, de tenir à l’âge qui s’en va et au siècle qui vient, d’avoir du précieux et du hardi ; enfin, de mêler dans son bel-esprit un grain d’esprit fort. […] Le goût élevé, exclusif, de ceux-ci, se combinait au fond avec la gravité morale, et s’y appuyait : ils représentent le siècle de Louis XIV à son centre. […] Ainsi se gouverne l’inconséquence de nos esprits, assemblant les contradictions selon le siècle et les âges. […] C’est ainsi, à la distance d’un siècle, que les défauts de goût, en quelque sorte, se transposent. […] Villemain, Tableau du dix-huitième Siècle, onzième leçon. — Il a eu raison dans tout ce qu’il a dit du style, mais il a été injuste en ce qui concerne la personne et le caractère.

137. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

L’année 1660, où Louis XIV prend en main le gouvernement, marque aussi le point de partage de l’histoire littéraire du siècle. […] Ensuite nous regarderons, dans Boileau, les grandes théories d’art qui nous expliquent les créations de l’éloquence et de la poésie classiques, dans ce qu’elles ont de propre à l’égard de l’œuvre des autres siècles, et dans ce qu’elles ont entre elles de commun. […] Les Maximes sont plus sincères, parce qu’elles sont plus générales, et confessent le siècle avec l’auteur. […] Dans la seconde partie du siècle, en effet, comme dans la première, aucun artiste ne s’empare encore de cette forme, et c’est une femme du monde qui en fournit le chef-d’œuvre. […] Mais il marque un renversement d’influences, et le moment où la tragédie qui, jusque vers le milieu du siècle, fut sous l’action du roman, la repousse définitivement et lui renvoie au contraire la sienne.

138. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

Il conserva sous son habit nouveau les sentiments d’amour de la liberté qu’il avait puisés dès l’enfance dans l’air du siècle, et qu’il n’a jamais séparés depuis de l’idée vitale du christianisme. […] L’antique serpent de l’erreur, dit-il encore, change de couleurs au soleil de chaque siècle. […] En sorte qu’il ne nous a fallu, pour parler comme nous l’avons fait, qu’un peu de mémoire et d’oreille, et que nous tenir dans le lointain de nous-même, en unisson avec un siècle dont nous avions tout aimé. Cette connaissance du siècle et de ses faiblesses lui ménage de faciles alliances avec l’imagination et le cœur de son jeune public. […] Chaque siècle a ses idolâtries ; celle du siècle de Louis XIV était la royauté, celle du nôtre est la popularité.

139. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

C’est le siècle des contrastes, et des contrastes dans toute leur rudesse, siècle de philosophie déjà et de fanatisme, de scepticisme et de forte croyance. […] Ce n’est pas un siècle doux ni qu’on puisse appeler un siècle de lumières, c’est un âge de lutte et de combats. La grande singularité de Montaigne, et ce qui fait de lui un phénomène, c’est d’avoir été la modération, le ménagement et le tempérament même en un tel siècle. […] Et d’abord Montaigne, bien qu’il vive dans un siècle agité, orageux, et qu’un homme qui avait traversé la Terreur (M. Daunou) a pu appeler le siècle « le plus tragique de toute l’histoire », Montaigne se garde bien de se croire né dans la pire des époques.

140. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Guillaume Favre de Genève ou l’étude pour l’étude » pp. 231-248

Il était sous l’influence des grandes découvertes scientifiques de cette fin du siècle, il était disciple des méthodes et de la philosophie naturelle de Lavoisier. […] Ce jeune homme se trompait de siècle ; il était né pour être un commentateur amateur comme Girac ou Méziriac, ce Méziriac qui avait relevé plus de deux mille contresens ou méprises chez Amyot, qui a tout dit sur les Héroïdes d’Ovide, et de qui l’on a écrit : « Il n’y avait point de science à laquelle il ne se fût attaché durant quelque temps, point de bel art qu’il ne connût. […] Il y a les éléments d’un tableau complet des lettres en Italie et de la condition des savants dans ce siècle. […] Favre s’est attaché à suivre cette métamorphose de l’idée d’Alexandre chez les différents peuples bien avant ce qu’on appelle le Moyen Âge et dès les derniers siècles de l’Antiquité. […] Il n’était point tourmenté d’un reste de levain philosophique, venu du siècle dernier.

141. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

G. de Lavigne, qu’il me permette de le lui dire, s’est trompé dans le plaidoyer qu’il a joint à sa traduction estimable ; il a trop présumé de l’effort de sa docte critique après deux siècles et demi de possession. […] Selon Sismondi, cet étudiant aurait dû rire et pleurer en même temps, ou même, pour peu qu’on fasse de lui un Werther, ou un étudiant d’Iéna en 1813, il aurait dû pleurer à chaudes larmes ; mais il était trop du siècle de l’auteur pour avoir de ces idées d’après coup. […] « J’espère prouver qu’un but aussi mesquin n’est pas celui que Cervantes se proposa d’atteindre, et que jamais génie ne fut victime d’une injustice pareille à celle dont les trois siècles les plus lettrés des annales humaines se sont rendus coupables envers lui… » Et l’auteur de la brochure s’attache à dégager l’amertume que recèlent, selon lui, plusieurs passages de Don Quichotte ; il fait comme ceux qui recherchent dans la misanthropie d’Alceste un coin caché de l’humeur de Molière. […] Soldat, aventurier, esclave algérien, employé de finance, prisonnier, romancier, c’est un Gil Blas, mais un Gil Blas assombri, et qui n’est pas destiné à s’écrier comme l’autre dans sa jolie maison de Lirias : Inveni portum… » C’est étrangement rabaisser Cervantes (toujours d’après notre auteur), que de soutenir qu’il a employé la fleur de son génie à combattre l’influence de quelques romans de mauvais goût, dont le succès retardait sur les mœurs du siècle et n’avait plus aucune racine dans la société d’alors : « Ce que je crois plutôt, s’écrie le nouveau commentateur, qui a lu son Don Quichotte comme d’autres leur Bible ou leur Homère, et qui y a tout vu, c’est que le chevaleresque Cervantes, qui s’était précipité dans ce qui, à la fin du xvie  siècle, restait de mouvement héroïque, dut se sentir abattre par le désenchantement d’un croyant plein de ferveur qui n’a pas trouvé à fournir carrière pleine, qui dans l’exagération de son idéal s’est heurté et blessé contre les réalités, et qui, après avoir été contraint d’abdiquer l’action, s’est condamné à une retraite douloureuse, s’est réfugié dans ses rêves, et en dernier lieu, dans un testament immortel, lance à son siècle une satire qui n’était pas destinée à être comprise de ce siècle et dont l’avenir seul était chargé de trouver la clé. » Et nous adjurant à la fin dans un sentiment de tendre admiration, essayant de nous entraîner dans son vœu d’une réhabilitation désirée, l’écrivain, que je regrette de ne pas connaître, élève son paradoxe jusqu’aux accents de l’éloquence : « Ah ! […] On peut de loin, à distance, et en envisageant l’ensemble d’une œuvre, en embrassant d’un coup d’œil les conséquences qu’elle a eues, l’influence qu’elle a exercée sur l’esprit humain à travers les siècles, en la rapprochant d’autres œuvres analogues ou contraires, on peut y reconnaître autre chose et plus que l’auteur tout le premier n’était tenté d’y voir, et plus, certainement, qu’il n’a songé à y mettre.

142. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Le Brun »

Rousseau banni adressait à ses protecteurs des odes composées au jour le jour, sans unité d’inspiration, et que n’animait ni l’esprit du siècle nouveau ni celui du siècle passé, en 1729, à l’hôtel de Conti, naissait d’un des serviteurs du prince un poëte qui devait bientôt consacrer aux idées d’avenir, à la philosophie, à la liberté, à la nature, une lyre incomplète, mais neuve et sonore, et que le temps ne brisera pas. […] Ces hommes auront grand mépris de leur siècle, de sa mesquinerie, de sa corruption, de son mauvais goût. […] Tels furent, ce me semble, au dernier siècle, Alfieri en Italie, et Le Brun en France. […] On se souviendra qu’il l’aima longtemps, qu’il le prédit, qu’il le goûta en un siècle de peu de poésie, et qu’il sentit du premier coup que ce jeune homme faisait ce que lui-même aurait voulu faire. […] On verra en lui un de ces hommes d’essai que la nature lance un peu au hasard, un des précurseurs aventureux du siècle dont a déjà resplendi l’aurore.

143. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Chefs-d’œuvre de la littérature française (Collection Didot). Hamilton. » pp. 92-107

Ce n’est que vers le milieu de ce siècle seulement que la prose française, qui avait fait sa classe de grammaire avec Vaugelas et sa rhétorique sous Balzac, s’émancipa tout d’un coup et devint la langue du parfait honnête homme avec Pascal. […] Lorsque viendra la seconde moitié du siècle, lorsque Jean-Jacques Rousseau aura paru, on s’enrichira de parties plus élevées, plus brillantes et toutes neuves ; on gagnera pour les nuances d’impressions et pour les peintures, mais la déclamation aussi s’introduira ; la fausse exaltation et la fausse sensibilité auront cours. Cette déclamation dont nous souffrons aujourd’hui, a pris bien des formes depuis près d’un siècle ; elle a eu ses renouvellements de couleurs tous les vingt-cinq ans ; mais elle date en premier lieu de Rousseau. […] Il est vrai que lorsque Hamilton, à la fin du siècle de Louis XIV, racontait les premiers exploits de son chevalier sous Richelieu, il parlait déjà d’un autre siècle et de choses comme fabuleuses ; et cela tirait moins à conséquence. […] Il est de ces vifs et heureux esprits qui ornent doucement le début du siècle, bien avant la déclamation qui s’ouvre avec Rousseau, et avant la propagande qui va prendre feu avec Voltaire.

144. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Préface de la seconde édition » pp. 3-24

J’ai dit, dès la première page, que Voltaire, Marmontel et La Harpe ne laissaient rien à désirer à cet égard ; mais je voulais montrer le rapport qui existe entre la littérature et les institutions sociales de chaque siècle et de chaque pays ; et ce travail n’avait encore été fait dans aucun livre connu. […] Voltaire, qui succédait au siècle de Louis XIV, chercha dans la littérature anglaise quelques beautés nouvelles qu’il pût adapter au goût français3. Presque tous nos poètes de ce siècle ont imité les Anglais. […] Il est impossible d’être un bon littérateur, sans avoir étudié les auteurs anciens, sans connaître parfaitement les ouvrages classiques du siècle de Louis XIV. […] Premièrement, en parlant de la perfectibilité de l’esprit humain, je ne prétends pas dire que les modernes aient une puissance d’esprit plus grande que celle des anciens, mais seulement que la masse des idées en tout genre s’augmente avec les siècles.

145. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre III. Les dieux »

Car la formule est fixe depuis une vingtaine de siècles, mais tous les siècles le sentiment change ; saint Bernard dogmatisait à peu près comme Bossuet ; mais les bourgeois du moyen âge, qui se battaient pour avoir un bras de saint Martin, n’avaient pas la même piété que les « honnêtes gens » de Versailles. […] En général, dans un siècle ou dans une race, on conçoit le souverain céleste à l’image du souverain terrestre, ou plutôt on conçoit la puissance d’une certaine manière, et on les modèle l’un et l’autre d’après cette conception. […] Il est encore trop de son siècle pour ressembler au souverain moderne, il gouverne les êtres, comme le roi ses peuples, sans beaucoup d’égards pour leur bonheur. […] N’est-ce pas une puissance étrange que ce talent qui nous les rend sensibles, qui les relie entre eux, qui, en dépit du siècle, amenant les dieux et les animaux dans la cité poétique, rassemble tous les êtres de la nature et la nature elle-même en une comédie universelle, les transforme et les proportionne suivant une idée maîtresse et pour un seul dessein ? […] C’est par cette sensibilité universelle et imitative qu’il voit et nous fait voir les choses ; c’est par elle que La Fontaine est capable, en dépit de son siècle, de comprendre les dieux comme les bêtes et de nous les rendre présents.

146. (1760) Réflexions sur la poésie

On n’accusera pas notre siècle d’être refroidi sur la musique, si ce n’est peut-être sur le plain-chant de nos anciens opéras : cependant on ne saurait se dissimuler le peu d’accueil que fait ce même siècle au déluge de vers dont on l’accable. […] Peut-être notre siècle mérite-t-il beaucoup moins qu’on ne pense, l’honneur ou l’injure qu’on prétend lui faire, en l’appelant par excellence ou par dérision le siècle philosophe : mais philosophe ou non, les poètes n’ont point à se plaindre de lui, et il sera facile de le justifier auprès d’eux. […] Mais pourquoi notre siècle, en se refroidissant sur l’églogue, semble-t-il se refroidir aussi sur le genre le plus opposé au bucolique, sur le genre de l’ode ? […] Eu un mot, voici, ce me semble, la loi rigoureuse, mais juste, que notre siècle impose aux poètes ; il ne reconnaît plus pour bon en vers que ce qu’il trouverait excellent en prose. […] Il n’y a, ce me semble, qu’un seul poète épique parmi les morts, dont la lecture plaise et intéresse d’un bout à l’autre ; j’en demande pardon à l’ombre de Despréaux, mais je veux parler du Tasse : il est vrai qu’il a plusieurs siècles de moins qu’Homère et Virgile, et j’avoue que c’est là un grand défaut.

147. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIII. M. Nicolardot. Ménage et Finances de Voltaire » pp. 297-310

Pour nous taire sur un pareil ouvrage, nous pensons trop que le xviiie  siècle, dont Voltaire fut le chef et presque le Dieu, a été l’un des siècles les plus funestes à la France et au monde. […] Nous pensons trop que de ce siècle, qui n’est pas jugé, puisqu’on le loue encore, tout est radicalement mauvais, — mauvais par l’erreur de l’esprit, par le vice du cœur et même par les contre-sens de la gloire, pour ne pas accueillir avec applaudissement un livre qui fait la preuve, souveraine et multiple, de la perversité de doctrine, de mœurs et de renommée de ce siècle déperdition. […] Exceptez un gouvernement où la main de Dieu a été évidente, nous l’avons encore au milieu de nous, ce siècle vivace, et quelques changements à la clef ne sauraient nous faire illusion sur l’affreuse musique qu’il a chantée et que nous exécutons après lui ! […] Guizot, dans son Histoire de la civilisation en Europe, n’a pas craint d’écrire avec cette magnifique puissance d’affirmation dont la nature se soit jamais amusée à douer un sceptique, que la plus grande époque de l’histoire a été le siècle de la Régence, de Louis XV et de la Révolution. […] En voulant prouver la vérité de son anecdote, il a été conduit à des conclusions écrasantes contre Voltaire et contre le siècle dont Voltaire a été l’idole.

148. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Sabran et le chevalier de Boufflers »

Nul siècle n’en a davantage à son budget littéraire. Ni avant, ni après, nul siècle n’a écrit plus de lettres que le xviiie … Il en a fait orgie, comme de tant de choses. […] Toutes deux purent suffire au besoin de Lettres de ce siècle aux grandeurs publiques, qui avait autre chose à faire que de se regarder dans l’âme, pour raconter ce qu’il y voyait, à la première personne, dans des épanchements ou des chuchotements particuliers. […] Regardez-la dans ce portrait de Madame Lebrun, gravé par Rajon, qui est à la tête du volume, et avant de l’avoir lu vous aurez déjà l’idée d’une femme qui ne ressemble aux femmes de son siècle ni par les passions, ni par les mœurs, ni par la beauté. […] Maintenant que nous avons la perle, notre siècle, à nous, en appréciera-t-il l’orient céleste ?

149. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Lacordaire. Conférences de Notre-Dame de Paris » pp. 313-328

… Les idées d’un siècle épris de liberté jusqu’à la folie avaient été respirées par l’âme trop généreusement ouverte de l’éloquent dominicain, et elles étaient montées comme une vapeur à son intelligence. […] voilà surtout ce dont le siècle s’est montré touché et reconnaissant. […] J’oserai le dire : Mirabeau sera, un jour, réduit à peu de chose, quand on se mettra résolument en face de ses œuvres oratoires et qu’on n’aura plus la vue offusquée et la tête courbée par les événements de son siècle. […] Nourri de la moelle du lion théologique saint Thomas d’Aquin, il a appliqué aux besoins du siècle présent la doctrine de ce génie incomparable. […] Dans un siècle comme celui-ci, il n’y avait pas d’autre moyen de se faire écouter, surtout de cette jeunesse qui s’imagine savoir quelque chose, qu’en montrant que, la théologie à part, un prêtre en savait plus long qu’elle.

150. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre II. Harmonies physiques. — Suite des Monuments religieux ; Couvents maronites, coptes, etc. »

Entre les siècles de nature et ceux de civilisation, il y en a d’autres, que nous avons nommés siècles de barbarie. […] Tous les jours, reproduit sous des traits inconstants, Le fantôme du siècle emporté par le temps Passe, et roule autour d’eux ses pompes mensongères. Mais c’est en vain : du siècle ils ont fui les chimères ; Hormis l’éternité tout est songe pour eux. […] Rappelez-vous les mœurs de ces siècles sauvages Où, sur l’Europe entière apportant les ravages, Des Vandales obscurs, de farouches Lombards, Des Goths, se disputoient le sceptre des Césars. La force étoit sans frein, le faible sans asile : Parlez, blâmerez-vous les Benoît, les Basile, Qui, loin du siècle impie, en ces temps abhorrés, Ouvrirent au malheur des refuges sacrés ?

151. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « I. Saint Thomas d’Aquin »

Son livre immense, — qui s’appelle la Somme, et qui assomme, — sifflotait un voltairien au siècle dernier, — serait majestueusement resté dans cette gloire rongée d’oubli, où le nom de l’homme se voit encore, mais où ses idées ne se voient plus. Des idées de ce grand homme d’idées, qui s’en occupe en effet depuis deux siècles ? […] Ce que nous voulions seulement poser aujourd’hui, c’est l’incroyable singularité, bien honorable pour notre siècle, qui exige que le nom de saint Thomas d’Aquin soit couvert par celui de M.  […] Si saint Thomas d’Aquin n’avait été qu’un philosophe, il nous aurait décalqué Aristote avec une telle exactitude, qu’on aurait dit qu’ils n’étaient deux, ces immenses Ménechmes cérébraux, que parce qu’entre eux, on aurait pu compter les siècles. […] Saint Thomas d’Aquin ne serait donc qu’un tome second d’Aristote, si le théologien, l’homme de la science surnaturelle, ne le frappait pas tout à coup d’une différence sublime, — empreinte éternelle qui empêchera désormais les siècles de confondre cette tête rase de moine avec la tête aux cheveux courts de la médaille du Stagyrite.

152. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire et philosophique »

Quatre périodes historiques y sont plus particulièrement traitées : 1° La période de la philosophie orientale, dans laquelle les spéculations de la philosophie brahminique et chinoise sont exposées par une plume très au courant des plus récentes connaissances ; 2° la période de philosophie grecque, fort complète aussi, et embrassée avec une sérieuse intelligence des grands systèmes ; 3° la période chrétienne qui comprend les Pères des cinq premiers siècles ; 4° le moyen âge dans ses philosophes contemplatifs ou scolastiques. Ces deux dernières périodes, le moyen âge et les cinq premiers siècles, ordinairement effleurés à peine dans les précis de l’histoire de la philosophie, sont ici traités avec un développement et une lucidité qui annoncent chez le rédacteur de ce manuel un des hommes les plus familièrement versés en ces sources profondes. […] Grégoire et Collombet continuent avec persévérance et zèle leurs publications et traductions des Pères de l’Église des cinq premiers siècles. […] Ce recueil, composé avec le soin et le goût qui distinguent le spirituel érudit, est un agréable bouquet de nos plus vieilles romances, dont la fraîcheur et la délicatesse se révèlent pour la première fois depuis des siècles. […] Paris a traité et éclairci, avec une érudition légèrement railleuse, la question des amours de la reine Blanche et de Thibaut de Champagne, que l’éditeur des Chansons du comte, dans le dernier siècle, avait essayé de nier : la discussion de M. 

153. (1863) Molière et la comédie italienne « Préface » pp. -

« Au siècle passé, dit l’abbé Galiani, il y avait dans Acerra, ville de la Campanie Heureuse, une troupe de comédiens qui parcourait la province pour gagner quelque chose. […] En tout cas l’abbé Galiani la rajeunit trop en l’attribuant au siècle passé, qui, pour lui, était le dix-septième siècle. […] Le Pagliaccio n’engendra que vers la fin du siècle dernier le Paillasse de la Foire. […] J’arrive, au contraire, après beaucoup d’autres écrivains du siècle dernier et du siècle présent.

154. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre V. La Henriade »

La barbarie expirait, l’aurore du siècle de Louis commençait à poindre ; Malherbe était venu, et ce héros, à la fois barde et chevalier, pouvait conduire les Français au combat en chantant des hymnes à la victoire. […] Le serment des Seize dans le souterrain, l’apparition du fantôme de Guise qui vient armer Clément d’un poignard, sont des machines fort épiques, et puisées dans les superstitions mêmes d’un siècle ignorant et malheureux. […] Et ce qu’il y avait de très merveilleux, c’est qu’au milieu de tant d’occupations, ces excellents hommes trouvaient encore le secret de remplir les plus petits devoirs de leur religion, et de porter dans la société l’urbanité de leur grand siècle. […] Il édifie et renverse ; il donne les exemples et les préceptes les plus contraires ; il élève aux nues le siècle de Louis XIV, et attaque ensuite en détail la réputation des grands hommes de ce siècle : tour à tour il encense et dénigre l’antiquité ; il poursuit, à travers soixante-dix volumes, ce qu’il appelle l’infâme ; et les morceaux les plus beaux de ses écrits sont inspirés par la religion.

155. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre II. Chimie et Histoire naturelle. »

Un bel ouvrage de littérature reste dans tous les temps ; les siècles même lui ajoutent un nouveau lustre. […] « Dans ce siècle même, dit Buffon, où les sciences paraissent être cultivées avec soin, je crois qu’il est aisé de s’apercevoir que la philosophie est négligée, et peut-être plus que dans aucun siècle ; les arts, qu’on veut appeler scientifiques, ont pris sa place ; les méthodes de calcul et de géométrie, celles de botanique et d’histoire naturelle, les formules, en un mot, et les dictionnaires, occupent presque tout le monde : on s’imagine savoir davantage, parce qu’on a augmenté le nombre des expressions symboliques et des phrases savantes, et on ne fait point attention que tous ces arts ne sont que des échafaudages pour arriver à la science, et non pas la science elle-même ; qu’il ne faut s’en servir que lorsqu’on ne peut s’en passer, et qu’on doit toujours se défier qu’ils ne viennent à nous manquer, lorsque nous voudrons les appliquer à l’édifice161. » Ces remarques sont judicieuses, mais il nous semble qu’il y a dans les classifications un danger encore plus pressant. […] Toujours les siècles de philosophie ont touché aux siècles de destruction.

156. (1861) La Fontaine et ses fables « Conclusion »

C’est là le terrain national, très-bon pour certaines plantes, mais très-mauvais pour d’autres, incapable de mener à bien les graines du pays voisin, mais capable de donner aux siennes une sève exquise et une floraison parfaite, lorsque le cours des siècles amène la température dont elles ont besoin. […] Plus il pénètre dans son art, plus il a pénétré dans le génie de son siècle et de sa race. […] Par cette correspondance entre l’oeuvre, le pays et le siècle, un grand artiste est un homme public. […] Si cet esprit est le fond même de la race et reparaît à chaque siècle, l’écrivain est un La Fontaine.

157. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Pendant un siècle et demi, on s’est ensuite accoutumé peu à peu à ne plus respecter le trône. […] C’est ainsi qu’il a élevé le monument qui peut-être honorera le plus et son siècle et son pays. […] Ils n’atteignent pas jusqu’à ces hautes gloires qui brillent à travers les siècles. […] Le siècle n’a pas encore pris son caractère distinctif ; mais tout s’apprête pour ce changement. […] Un siècle auparavant, un homme s’était, comme lui, occupé de l’étude de la nature.

158. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bonnefoy, Marc (1840-1896) »

Bonnefoy, Marc (1840-1896) [Bibliographie] Le Poème du siècle (1891). […] Francis Melvil Voici un élégant volume (Le Poème du siècle), qui ne contient pas-moins de douze à treize mille vers… Il renferme, je crois, tous les genres de vers et de strophes connus… L’ouvrage contient deux parties distinctes : la première est tout historique ; la seconde est la peinture animée, vivante, des efforts de notre siècle pour se reconstituer une croyance.

159. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

Les Grecs se sont perfectionnés eux-mêmes, d’une manière très remarquable, pendant le cours de trois siècles. […] Dès qu’un revers, une peine quelconque s’appesantit sur l’âme, il est impossible qu’elle repousse absolument toutes les superstitions de son siècle : l’appui qu’on trouve en soi ne suffit pas ; on ne se croit protégé que par ce qui est au dehors de nous. […] Les philosophes grecs étaient en très petit nombre, et des travaux antérieurs à leur siècle ne leur offraient point de secours ; il fallait qu’ils fussent universels dans leurs études. […] Aristote cependant, qui vécut dans le troisième siècle grec, par conséquent dans le siècle supérieur pour la pensée aux deux précédents, Aristote a mis l’esprit d’observation à la place de l’esprit de système ; et cette différence suffit pour assurer sa gloire. […] C’est un homme admirable pour son siècle ; mais c’est vouloir forcer les hommes à marcher en arrière, que de chercher dans l’antiquité toutes les vérités philosophiques ; c’est porter l’esprit de découverte sur le passé, tandis que le présent le réclame.

160. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Que reste-t-il des hommes et des siècles évanouis ? […] Corneille, car je suis persuadé que les écrits de l’un et de l’autre passeront aux siècles suivants. […] On l’accorde à Gœthe entre tous les écrivains de notre siècle. […] Cependant, ayons confiance, dans l’imagination des hommes et le travail des siècles. […] Il pourra s’endormir ensuite sur sa victoire ; la place est prise, et, dans un siècle, la moindre secousse fera tout crouler.

161. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

Caractère et causes du mal du siècle de 1789 à 1815. […] Le romantisme se rattache par un lien intime à la maladie du siècle. […] Ne se montre-t-il pas sévère pour le siècle ? […] Il n’appartient donc qu’indirectement à la maladie du siècle. […] Caractère et causes du mal du siècle de 1815 à 1830.

162. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Depuis lors le jeune siècle, comme on disait autrefois, s’est fait de plus en plus mûr, ou, si l’on aime mieux, de moins en moins jeune. […] Certes, bien que quarante-trois ans soient beaucoup dans la vie d’un siècle, il serait téméraire de prétendre décider de sa physionomie générale à cet âge de son existence. A prendre en effet les trois derniers siècles à leur année 43, on n’aurait guère pu deviner, en littérature (pour ne parler que de cela), tout ce qu’ils ont enfanté de plus original et de plus grand. […] ni d’harmonie idéale comme les grands siècles tant cités, les choses pourtant étaient loin de se passer de la sorte. […] La carrière des écrivains dont la naissance date environ de celle du siècle, se prête tout à fait à ce second point de vue.

163. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

La légèreté, la facilité, les grâces, tout ce qui fait de M. de Voltaire un philosophe si séduisant et le premier bel esprit du siècle, tout cela convient peu à la dignité de l’histoire. […] Grimm est classique en ce sens que, pour ce qui est de l’imagination et des arts, il croit un seul grand siècle dans une nation. […] Grimm, en jugeant les ouvrages les plus détestables du siècle et les plus pernicieux, se contente le plus souvent de les montrer défectueux au point de vue du goût ou de l’originalité ; il ne trouve d’ailleurs aucune parole sévère. […] Grimm doutait, et rappelait l’enthousiaste à la réalité : Nous vantons sans cesse notre siècle, lui disait-il, et nous ne faisons en cela rien de nouveau. […] Diderot résistait à ces objections de son ami ; il s’enflammait et s’exaltait de plus belle : le siècle de la philosophie décidément allait régénérer le monde. — La porte s’ouvre, un valet entre, à l’air effaré : « Le roi est assassiné ! 

164. (1875) Premiers lundis. Tome III « Du point de départ et des origines de la langue et de la littérature française »

Cette intelligence, cette demi-intelligence du latin dura encore selon les lieux deux ou trois siècles, ou peut-être au-delà. […] Deux siècles plus tard, les Arabes ayant conquis la Septimanie, et Narbonne étant devenu le siège de leur puissance, il s’y introduisit encore une langue nouvelle. […] Ainsi le xiie et le xiii e siècles littéraires, dans leur chaîne principale, ont été longs à se bien détacher et à réapparaître. […] Tout le siècle, sauf une ou deux grandes exceptions (sauf Molière et La Fontaine), était comme Louis XIV. […] Permettez-moi de vous en expliquer la cause : c’est qu’il a existé, il y a plus de dix siècles, une langue qui, née du latin corrompu, a servi de type commun à ces langages.

165. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

“Les six vertus, dit Han-Tchi, sont comme l’âme du Chi-King ; aucun siècle n’a flétri les fleurs brillantes dont elles y sont couronnées, et aucun siècle n’en fera éclore d’aussi belles.” […] Sa généalogie remontait à vingt-deux siècles et demi avant J. […] Il fera l’admiration de tous les siècles, et sera réputé pour être le modèle le plus parfait sur lequel il soit possible de se former. […] Les siècles disent comme lui. […] Voyez ce monument qui s’écroule à quelques siècles du jour où il a été construit !

166. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « A Monsieur Naigeon » pp. 9-14

Une expérience que je proposerais volontiers à l’homme de soixante-cinq ou six ans, qui jugerait les miennes ou trop longues, ou trop fréquentes, ou trop étrangères au sujet10, ce serait d’emporter avec lui, dans la retraite, Tacite, Suétone et Sénèque ; de jeter négligemment sur le papier les choses qui l’intéresseraient, les idées qu’elles réveilleraient dans son esprit, les pensées de ces auteurs qu’il voudrait retenir, les sentiments qu’il éprouverait, n’ayant d’autre dessein que celui de s’instruire sans se fatiguer : et je suis presque sûr que, s’arrêtant aux endroits où je me suis arrêté, comparant son siècle aux siècles passés, et tirant des circonstances et des caractères les mêmes conjectures sur ce que le présent nous annonce, sur ce qu’on peut espérer ou craindre de l’avenir, il referait cet ouvrage à peu près tel qu’il est. […] il a dépendu de moi que le philosophe Sénèque me dît aussi : « Il y a près de dix-huit siècles que mon nom demeure opprimé sous la calomnie ; et je trouve en toi un apologiste  ! […] Tu aurais été l’organe de la justice des siècles, si j’avais été à ta place, et toi à la mienne. […] Si la calomnie disparaît à la mort de l’homme obscur, la célébrité lui sert de véhicule, et la porte jusques aux siècles les plus reculés ; penchée sur l’urne du grand homme, elle continue d’en remuer, la cendre avec son poignard.

167. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

On a essayé plus d’une fois de refuser et de ravir à Louis XIV son genre d’influence utile et d’ascendant propice sur ce qu’on a appelé son siècle : depuis quelque temps, on semblait cependant revenu de cette contestation injuste et exclusive, lorsqu’un grand écrivain de nos jours, M.  […] Bossuet, ce me semble, nous offre en particulier un des plus grands et frappants exemples du genre de bienfaits que le siècle de Louis XIV dut au jeune astre de son roi dès le premier jour. […] festin étrange selon le siècle, mais que Jésus a jugé digne de son goût ! […] Les hommes de stature moyenne ont plus d’analogie avec leur siècle que les hommes démesurés n’en ont avec leurs contemporains. […] Cependant Bourdaloue continua d’être pour le siècle le prédicateur ordinaire par excellence, celui qui donnait un cours continuel de christianisme moral et pratique, et qui distribuait à tous fidèles sous la forme la plus saine le pain quotidien.

168. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres inédites de l’abbé de Chaulieu, précédées d’une notice par M. le marquis de Bérenger. (1850.) » pp. 453-472

Chaulieu dit quelque part qu’il eut toute sa vie la manie de ne respecter que le mérite personnel ; c’était une manie, en effet, dans le monde et le siècle où il vivait. […] Ne nous faisons aucune illusion à cet égard ; il y a deux siècles de Louis XIV : l’un noble, majestueux, magnifique, sage et réglé jusqu’à la rigueur, décent jusqu’à la solennité, représenté par le roi en personne, par ses orateurs et ses poètes en titre, par Bossuet, Racine, Despréaux ; il y a un autre siècle qui coule dessous, pour ainsi dire, comme un fleuve coulerait sous un large pont, et qui va de l’une à l’autre régence, de celle de la reine mère à celle de Philippe d’Orléans. […] Il est temps, ce me semble, de faire une remarque : c’est que notre siècle tant maudit a du bon. Nous avons bien des choses à regretter du passé et de ce qu’on appelle le Grand Siècle, nous en avons encore plus à répudier énergiquement. […] Le siècle est envisagé dans son ensemble, et dans ses différentes vicissitudes d’esprit et de mœurs, d’une façon qu’on ne supposerait point possible à cette date, de la part de quelqu’un qui le voit d’aussi près et, pour ainsi dire, à bout portant.

169. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVI. La littérature et l’éducation publique. Les académies, les cénacles. » pp. 407-442

Mais ce n’est pas seulement le fond, c’est aussi et surtout la forme des écrits qui, pendant deux siècles, portent l’empreinte du système alors constitué. […] En notre siècle, sous l’action des idées démocratiques, le purisme a été vaincu ; les mots nouveaux ont fait en foule irruption. […] Le siècle qui finit fut témoin d’un spectacle tout à fait semblable. […] Le xix° siècle, qui fut savant au point d’être pédant, s’est plu à multiplier les théories sur l’art. […] Notre siècle a vu les romantiques partir à la conquête de la célébrité avec la même ivresse d’enthousiasme que les poètes de la Pléiade.

170. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

L’auteur avait voulu peindre les guerres et discordes des comtes et des prélats d’Alsace, ranimer les cadavres de l’histoire, mettre en actions les légendes ou chroniques qui se rattachaient aux débris des vieux châteaux : ils passeront devant les yeux du lecteur dans leur costume antique, disait-il de ses personnages, ils agiront suivant les mœurs de leur siècle ; en un mot, je copierai fidèlement la nature, même lorsque je suppléerai par la fiction aux faits que le temps a ensevelis dans les ténèbres de l’oubli. […] Il est difficile pourtant d’admettre que Ramond n’ait pas été lui-même fasciné dans les premiers temps, qu’il n’ait pas payé tribut par une courte fièvre de jeunesse à la maladie épidémique du siècle et du lieu. […] vivante image du pasteur de toutes les montagnes du monde, de quels siècles ne serait-elle pas contemporaine ? […] En effet, celle du savant, celle du conquérant même, est peu de chose auprès ; la mémoire de l’un et de l’autre expire dans le gouffre des siècles que le poète franchit : sans Homère, il n’y aurait plus de Troie, et de tout son siècle il ne reste rien que lui-même. Mais en même temps et en attendant que cette épopée encore à naître fut venue, Ramond, vers 1807, savait fort bien déterminer le caractère littéraire d’un siècle qui était le sien et qui a aussi sa force et son originalité : On le dépréciera tant qu’on voudra ce siècle, disait-il, mais il faut le suivre ; et, après tout, il a bien aussi ses titres de gloire : il présentera moins souvent peut-être l’application des bonnes études à des ouvrages de pure imagination, mais on verra plus souvent des travaux importants, enrichis du mérite littéraire… Nos plus savants hommes marchent au rang de nos meilleurs écrivains, et si le caractère de ce siècle tant calomnié est d’avoir consacré plus particulièrement aux sciences d’observation la force et l’agrément que l’expression de la pensée reçoit d’un bon style, on conviendra sans peine qu’une alliance aussi heureuse de l’agréable et de l’utile nous assure une place assez distinguée dans les fastes de la bonne littérature.

171. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre IV. Poésie lyrique »

Trois ou quatre fois dans les dix siècles que compte son histoire littéraire, il a fait effort pour se créer une poésie lyrique : ce n’est que de nos jours qu’il a vraiment réussi. […] Ce fut nous du moins pendant des siècles ; nous avions arrangé nos affaires pour ne regarder que la terre et l’existence présente, et pour être débarrassés de tout ce qui gênerait l’action : nous avions donné procuration à l’Église de régler pour nous la question de la destinée, de la mort et de l’éternité, de façon à n’y plus penser que dans les courts moments où elle nous établit notre compte. […] Car leur amour courtois, c’est l’amour romanesque, et l’amour romanesque, c’est ce qui a rempli notre littérature pendant quatre ou cinq siècles : hors de là, il n’y a que l’amour gaulois, positif, vaniteux et jovial. […] Elle ne sera délogée et reléguée entre les conventions surannées que par Racine, qui retrouvera l’amour douloureux, l’antique désir, enveloppé et compliqué de tout ce que quinze ou vingt siècles ont ajouté au fond naturel de l’homme. […] XXIII, Raynaud, Bibliographie des Chansonniers français des xiiie et xve  siècles.

172. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre III. Massillon. »

Si nous franchissons maintenant plusieurs siècles, nous arriverons à des orateurs dont les seuls noms embarrassent beaucoup certaines gens ; car ils sentent que des sophismes ne suffisent pas pour détruire l’autorité qu’emportent avec eux Bossuet, Fénélon, Massillon, Bourdaloue, Fléchier, Mascaron, l’abbé Poulle. […] Le torrent des siècles qui entraîne tous les siècles, coule devant ses yeux, et il voit avec indignation de faibles mortels emportés par ce cours rapide l’insulter en passant. » L’exemple de la vanité des choses humaines, tiré du siècle de Louis XIV, qui venait de finir (et cité peut-être devant des vieillards qui en avaient vu la gloire), est bien pathétique !

173. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Quatre hommes en un, dont le moindre est égal aux plus grands d’un siècle où tout était grand ; un homme réel, et cependant un homme fabuleux, voilà Michel-Ange. […] Les siècles ne l’effaceront ni ne la renouvelleront jamais. […] Le siècle de Léon X ou des Médicis égalait, à cet égard, celui de Périclès. […] Si le scepticisme osait jamais revendiquer son siècle, on ne pourrait lui contester celui-là ; il fut la grande orgie de la pensée italienne, bruyant, éclatant, scandaleux et court, comme une orgie entre des tombeaux ; une grande débauche de l’esprit humain ; mais du sein de cette débauche, il jeta une lueur immense sur la terre et il laissa dans les lettres et dans les arts plus de monuments que les dix siècles de barbarie qui l’avaient précédé et que les quatre siècles de civilisation disciplinée qui l’ont suivi : argument bizarre, mais argument sans réplique en faveur des libertés et des licences même de la pensée. […] Douze années de guerres firent de lui le premier général de son siècle et le bouclier de l’Italie.

174. (1864) De la critique littéraire pp. 1-13

Jamais siècle, en effet, n’a tant critiqué que le nôtre, et il aura fort à faire si les siècles futurs lui rendent la pareille. […] Au nom de principes que je nie, que mon siècle raille, dont peut-être vous riez vous-mêmes. […] Boileau par lui-même n’eût rien pu ; mais, aidé de Corneille et de Descartes, il réforma son siècle. […] Beaucoup se plaignent de l’injustice des hommes ; mais on n’est pas tenu de les en croire, et dans ce siècle moins que jamais on peut accuser les lecteurs d’ingratitude. […] Elle ne forme ni ne guide l’esprit public, elle le suit, et c’est pourquoi chaque siècle a sa critique.

175. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VIII. Du mysticisme et de Saint-Martin »

Ceux-là, on les trouve sans les chercher dans ce qu’ils ont fait et dans les influences qu’ils ont laissées après leur passage, tandis que déjà, et à la distance d’une moitié de siècle, il nous faut chercher Saint-Martin, pour l’apercevoir. […] Le grand préjugé contemporain, c’est de croire que le dix-huitième siècle fut uniquement le siècle de l’analyse, de la philosophie d’expérience, des sciences positives, de la démonstration, de la clarté, quand la vérité est qu’il fut autant le siècle des synthèses éblouissantes ou ténébreuses, des à priori audacieux, des sciences menteuses à leur nom, enfin de l’indémontrable en toutes choses. Prendre un siècle comme un homme, par ses prétentions, est un mauvais moyen de le connaître, même quand il s’agit d’apprécier le mal qu’il a fait… ce qui paraît toujours facile. […] En détaillant, sous son analyse, l’individualité de Saint-Martin, il a compris que cette plante étrange avait pourtant sa racine dans le terrain de son siècle, et, pour qu’on ne pût s’y méprendre, il nous a retourné le siècle en quelques traits justes et profonds, et nous en a ainsi montré le fond et la superficie. Or, c’était une époque de mysticisme, autant et plus que les siècles dont on s’était le plus moqué.

176. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIII. »

Il est certain que la belle, la naturelle poésie était encore possible au siècle des Ptolémées, puisque Théocrite de Sicile a traversé impunément leur cour et qu’il a écrit son éloquente idylle de la Magicienne. […] L’empire des Césars transféré sur la côte d’Asie, c’eût été, quatre siècles plus tôt, la révolution que fit Constantin. […] Nul doute que, dès le temps de Ptolémée, fils de Lagus, trois siècles avant notre ère, déjà l’antique Orient ne se découvrît à l’esprit grec, comme la statue d’Isis se dévoilait aux initiés. […] L’idée de la justice absolue dans le pouvoir était rappelée à cette cour détestable, où le vice préludait au crime, où des enfants pervers avaient hâte de régner, et où, pendant deux siècles, l’inceste et le parricide servaient d’accompagnement à l’hérédité royale. […] Nulle vertu civile, nul souvenir de gloire et de liberté n’est rappelé, dans cette langue encore si pure, à ce peuple grec transplanté depuis moins d’un siècle.

177. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Sophie Arnould »

MM. de Goncourt n’ont pas le cœur d’être des historiens d’un siècle qu’ils adorent… ils n’en sont que les éblouissants chroniqueurs. […] Je n’y trouve plus qu’une vieille mendiante, sans poésie et sans pittoresque, tendant la main à tout le monde ; affligée d’un squirre qui la punit par où elle a péché ; cynique quand elle parle de ses infirmités physiques, — de l’ébrèchement de son Cuvier ; concubine sentimentale après avoir été une concubine débauchée ; mettant le sentiment qu’affectait aussi son corrompu de siècle par-dessus sa corruption. […] Elle fut la Sagittaire, au carquois inépuisable, qui cribla son siècle des flèches d’or de ses mots et qui, maintenant, à l’exception de quelques-unes, sont pour la plupart égarées ou perdues. […] Quand on est ce qu’ils sont, l’abjecte, dans Sophie Arnould, on peut ne pas la voir sous les roses de la courtisane et dans les fulgurations d’un esprit qui mit tout son siècle à feu ; mais l’imbécillité, tard venue, — mais enfin venue, — pouvait-elle échapper à qui aime tant les choses de l’esprit et se connaît tant aux choses de l’esprit ? […] Ils vivaient la tête, le cœur et la main, dans ce siècle… Ils soupaient tous les soirs avec les Revenants de ce siècle qu’ils faisaient revivre sous leur plume, Cagliostros plus magiciens que Cagliostro !

178. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Notre siècle, à nous, en débutant par la volonté gigantesque de l’homme dans lequel il s’identifia, semble avoir dépensé tout d’un coup sa faculté de vouloir, l’avoir usée dans ce premier excès de force matérielle, et depuis lors il ne l’a plus retrouvée. […] D’ailleurs le christianisme antérieur, qui s’en déduisait, renversait tous leurs préjugés sur le dogme catholique, dont, en effet, la plus large idée à nous, fils du siècle, nous était venue la veille par les conférences de Saint-Sulpice. […] M. de La Mennais n’est pas et n’a jamais été homme du jour ; on peut même dire qu’il n’est pas homme de ce siècle, en mesurant le siècle au compas rétréci de nos habiles, qui en ont fait quelque chose qui contient, tantôt six mois, tantôt cinq ans, au plus quinze. […] Les Réflexions sur l’État de l’Église, qui furent imprimées un an après, en 1808, mais que la police de Bonaparte arrêta aussitôt, appartiennent au contraire à la lutte hardie de l’apôtre avec le siècle, et en sont comme le premier défi. […] Il n’a jamais vécu en effet de cette vie qui fut la nôtre, de cette atmosphère habituelle de philosophie et de révolution où plongea le siècle.

179. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES FRAGMENTS ET LETTRES DE BLAISE PASCAL, Publiés pour la première fois conformément aux manuscrits, par M. Prosper Faugère. (1844). » pp. 193-224

Les Alexandrins d’ailleurs, ces immortels grammairiens dont plus d’un était poëte, n’ont pas dédaigné de faire ainsi au surlendemain des grands siècles ; ils nous ont tracé notre voie. » M. […] » Faisons donc ainsi, puisque c’est le siècle ; mais ne blâmons pas trop les honnêtes devanciers. […] Ce qu’on fit, en somme, ne fut pas si mal fait, puisque c’est ce qu’on admira universellement, ce que les esprits les plus éminents approuvèrent, et ce sur quoi on a vécu deux siècles. […] Pascal à part, on ne trouverait, en effet, dans ce grand siècle de Louis XIV, que trois hommes d’un goût tout à fait libre et indépendant, comme nous l’entendons, Bossuet, Molière et La Fontaine. […] Il faudrait en conclure du moins que cette première édition des Pensées était telle que le grand siècle pouvait l’admettre, et qu’il n’en aurait pu porter davantage : conclusion dont le retour ne laisse pas d’être infiniment flatteur pour nous.

180. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

C’est après les poèmes de Vigny et même après la Chute d’un Ange qu’il conçoit la Légende des Siècles, C’est après Gautier et Banville qu’il se fait, à l’occasion, néo-grec. […] Mais les mots, après tant de siècles de littérature, sont tout imprégnés de sentiments et de pensée : ils devaient donc, par la vertu de leurs assemblages, le forcer à penser et à sentir. […] Il est facile de prévoir qu’avant la fin du siècle les drames de Victor Hugo ne compteront dans l’histoire du théâtre qu’à titre de documents. […] La « légende des siècles » devient ainsi, à force de simplification, une façon de Guignol épique. […] Tous les progrès de l’intelligence humaine en ce siècle se sont accomplis par d’autres que lui.

181. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

Ces cinq années sont cinq siècles pour la France. […] Ni le siècle de Périclès à Athènes, ni le siècle de César et d’Octave à Rome, ni le siècle de Charlemagne dans les Gaules et dans la Germanie, ni le siècle de Léon X en Italie, ni le siècle de Louis XIV en France, ni le siècle de Cromwell en Angleterre ! […] On est fier d’être d’une race d’hommes à qui la Providence a permis de concevoir de telles pensées, et d’être enfant d’un siècle qui a imprimé l’impulsion à de tels mouvements de l’esprit humain. […] Ôtons le crime de la cause du peuple comme une arme qui lui a percé la main et qui a changé la liberté en despotisme ; ne cherchons pas à justifier l’échafaud par la patrie, et les proscriptions par la liberté ; n’endurcissons pas l’âme du siècle par le sophisme de l’énergie révolutionnaire, laissons son cœur à l’humanité ; c’est le plus sûr et le plus infaillible de ses principes, et résignons-nous à la condition des choses humaines. […] Un historien n’a pas le droit de jeter ainsi son manteau sur les nudités hideuses de son siècle et de dire : « Tout est bien », quand le bien et le mal sont là sous ses yeux, demandant chacun qu’on lui fasse sur la terre la part que Dieu lui-même lui doit dans sa rétribution divine.

182. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Il fait penser à certains petits Hollandais ; ou, si vous voulez, c’est le Coppée, nullement sentimental, du grand siècle. Mais ce siècle et même son propre esprit ont combattu, gêné, comprimé son tempérament. […] Voilà comment Boileau achève l’œuvre commencée il y a plus d’un siècle par Ronsard, et fait triompher définitivement la doctrine qui voulait régler la poésie moderne sur l’idéal ancien, sur les modèles anciens. […] Le consentement universel est signe pour lui de vérité : si trente siècles et dix peuples ont adoré Homère, c’est que ces siècles, ces peuples ont reconnu la nature dans Homère ; et il y a chance qu’elle y soit, si tant d’individus si différents de mœurs et de goût l’y ont vue. […] Le siècle y reconnut son goût, un peu parce qu’il n’y remarqua que ce qui était adéquat à son goût.

183. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

Ce petit enfant était déjà bien le fils du siècle de l’histoire et de l’érudition. […] Voilà bien le drame qui a dû, dans les trois premiers siècles, troubler d’innombrables familles. […] La curiosité des religions est, en ce siècle-ci, un de nos sentiments les plus distingués et les meilleurs : M.  […] Et puis c’est l’homme d’un siècle où l’on est vieux de bonne heure. Sylvestre Bonnard résume en lui tout ce qu’il y a de meilleur dans l’âme de ce siècle.

184. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Première partie. Théorie de la parole » pp. 268-299

Tous les monuments de notre littérature de transition entre le moyen âge et notre grand siècle attestent ces efforts constants et réitérés. […] Le représentant des idées d’un siècle, le législateur d’un peuple, le fondateur d’un empire : voilà le héros de l’épopée. Ceux qui s’avancent hors de leur siècle, et qui, personnages isolés sur la scène du monde, fécondent les idées du siècle suivant, s’ils ne meurent pas obscurs, sont dignes de l’épopée. […] Virgile exprime encore les sentiments délicats et généreux d’une civilisation avancée, et montre ainsi comment avec un goût parfait le poète peut marier certaines idées et certaines mœurs d’un siècle avec celles d’un siècle antérieur, leçon admirable qui ne fut point perdue pour Racine et pour Fénelon. Mais Virgile fit plus : il devança, sous ce rapport, le siècle où il vivait, rare prérogative des génies de l’ordre le plus élevé.

185. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

Déjà, dans le siècle dernier, ces lointains climats nous avaient envoyé plus d’un témoignage de l’influence qu’y prenait l’esprit français. […] C’est là que grandit un poëte né à Cuba, au commencement du siècle, d’un père jurisconsulte et partisan des idées modernes. […] Qui a nourri durant tant de siècles ta source inépuisable ? […] À quinze siècles de distance, la poésie de l’évêque de Ptolémaïs reparaît sur les lèvres d’une Espagnole d’Amérique. […] « Que les siècles en passant t’adorent, et que tu les présides immobile !

186. (1922) Le stupide XIXe siècle, exposé des insanités meurtrières qui se sont abattues sur la France depuis 130 ans, 1789-1919

Cy, cinq invasions, en 1792 (le siècle commence en réalité en 1789) en 1814, en 1815, en 1870-1871 et en 1914 (date à laquelle finit en réalité le siècle). […] C’est un bon quart du siècle stupide. […] Plus le siècle avance, et plus cet état d’esprit s’accentue. […] Le siècle qui salit le siècle est un sale temps. […] Ce fut le siècle du suicide en commun.

187. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

La société se fâcha de n’être pas mieux comprise par une poésie qui se proclamait celle du siècle, et à son tour elle se piqua de ne pas la comprendre. […] De cette lutte inégale entre quelques salons et l’esprit du siècle, qu’est-il arrivé ? Le siècle, de plus en plus ennemi de tout mysticisme, a continué sa marche et ses études. […] Cette fois, ils pourraient rencontrer la gloire et mériter la reconnaissance du public : car, il ne faut pas s’y tromper, malgré ses goûts positifs et ses dédains apparents, le public a besoin et surtout avant peu de temps aura besoin de poésie ; rassasié de réalités historiques, il reviendra à l’idéal avec passion ; las de ses excursions éternelles à travers tous les siècles et tous les pays, il aimera à se reposer, quelques instants du moins, pour reprendre haleine, dans la région aujourd’hui délaissée des rêves, et à s’asseoir en voyageur aux fêtes où le conviera l’imagination. […] Hugo dans ses premières odes politiques : et, s’il n’y avait pas là de quoi faire un chantre populaire, si le siècle ne se pouvait prendre d’amour pour qui lui lançait des anathèmes, et si, en un mot, le Lamennais de la poésie ne devait pas prétendre à devenir le Béranger de la France, peut-être au moins il avait dans sa franchise et son talent des titres à l’impartialité et à la justice.

188. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

Le seul avantage des écrivains des derniers siècles sur les anciens, dans les ouvrages d’imagination, c’est le talent d’exprimer une sensibilité plus délicate, et de varier les situations et les caractères par la connaissance du cœur humain. […] Vous ajoutez des milliers de lieues, vous multipliez des siècles ; chaque calcul est juste, et le terme est indéfini. […] Les anciens savaient animer les arguments nécessaires à chaque circonstance ; mais de nos jours les esprits sont tellement blasés, par la succession des siècles, sur les intérêts individuels des hommes, et peut-être même sur les intérêts instantanés des nations, que l’écrivain éloquent a besoin de remonter toujours plus haut, pour atteindre à la source des affections communes à tous les mortels. […] Il était impossible qu’aucun écrivain de l’antiquité pût avoir le moindre rapport avec Montesquieu ; et rien ne doit lui être comparé, si les siècles n’ont pas été perdus, si les générations ne se sont pas succédé en vain, si l’espèce humaine a recueilli quelque fruit de la longue durée du monde. […] Ainsi marchait le siècle vers la conquête de la liberté ; car ce sont les vertus qui la présagent.

189. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Mais ce n’est pas impunément qu’on place ses plus hauts horizons d’antiquité à un siècle si rapproché de nous : il en résulte un dégagement d’arriéré, une légèreté de mouvement et d’allure, une hardiesse et, par moments, une irrévérence de jugement qui tient au manque de religion littéraire première. […] Après tout, en parlant ainsi, c’est pour leurs goûts et leurs préférences, c’est pour leur art favori, c’est pour leur maison qu’ils plaident : « Lire les auteurs anciens, quelques centaines de volumes, en tirer des notes sur des cartes, faire un livre sur la façon dont les Romains se chaussaient, ou annoter une inscription — cela s’appelle l’érudition ; on est un savant avec cela ; on est de l’Institut, on est sérieux, on a tout : mais prenez un siècle près du nôtre, un siècle immense ; brassez une mer de documents, trente mille brochures, deux mille journaux, tirez de tout cela non une monographie, mais le tableau d’une société, vous ne serez rien qu’un aimable fureteur, un joli curieux, un gentil indiscret. […] Dans ce siècle qu’ils aiment de prédilection, ils traiteront incomparablement moins bien les gens de lettres que les peintres. […] Non-seulement ils aiment le xviiie  siècle par excellence, le nôtre, mais en général ils aiment tous les xviiies  siècles et les préfèrent décidément à ce que j’appellerai les xviies  siècles, c’est-à-dire aux âges d’un goût plus large et plus simple, d’une autorité plus légitime et plus établie. […] Le siècle de Léon X ne trouve pas grâce, auprès de ces dégoûtés, dans sa manifestation la plus idéale et la plus divine.

190. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

Qu’il se soit fait un prodigieux changement dans le style depuis la fin du dernier siècle, et que le mouvement qui nous entraîne, loin de s’arrêter ou de se ralentir, augmente tous les jours, personne assurément n’en doute. […] C’est ainsi qu’il a fort bien discerné le caractère ferme et arrêté que les écrivains du Dix-Septième Siècle avaient donné à notre langue, et montré qu’ainsi faite elle répugnait à la poésie du nord. […] Nous serions presque tenté de ramener la question du Romantisme, quant au style poétique, à l’introduction dans la langue d’un trope, non pas nouveau, mais presque inusité pendant deux siècles. Certes, on ne parlait pas ainsi au Dix-Septième Siècle, ni dans la première moitié du Dix-Huitième. […] On pourrait peut-être aussi tirer de là quelques considérations sur les rapports qui unissent maintenant notre prose et notre poésie : car il est évident que la prose avait pris les devants sur la poésie ; et peut-être trouverait-on qu’il en a été de même à une autre époque de formation, à la grande époque du Dix-Septième Siècle.

191. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

Évidemment, son premier progrès de politesse avait anticipé, de longue date, sur l’époque nommée le siècle d’Auguste. […] À ce titre, le siècle d’Auguste ne fit que recueillir l’héritage de la république, dont il n’a point réellement surpassé le grand poëte et dont il n’égala point le grand orateur. […] Quelle sanction sublime auraient reçue les fragments de vérité, les éclairs de sentiment moral, les premiers cris de justice et d’humanité mêlés souvent aux erreurs de sa philosophie et aux pernicieux exemples de son siècle corrompu ! […] Mais le génie de Catulle et le caractère de son siècle se marquent surtout dans l’épilogue du poëme. […] Tel est pourtant le privilège du génie raffiné par le goût, que son nom et ses vers traverseront les siècles et plairont à jamais aux esprits délicats, dans ce monde déjà tant renouvelé et qui change toujours.

192. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

Quatre siècles plus tard, le faux dévot de Molière se déguise si bien qu’on le confond avec le vrai dévot. Soixante ans pouvaient suffire pour faire de Papelardie Faux-Semblant ; mais il ne fallait-pas moins de quatre siècles pour que Faux-Semblant devînt Tartufe. […] Le Roman de la Rose fut donc plus qu’un poème : ce fut l’esprit même de deux siècles. […] Le siècle sentait confusément qu’il n’avait pas assez de ses ressources propres. […] Elles ont été exhumées après le siècle des chefs-d’œuvre.

193. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

Le censeur de son siècle débuta donc par une épître au roi. […] Regarde et passe, est le seul mot à dire en passant ainsi en revue toutes les médiocrités et tous les engouements d’un siècle. […] Ne sont-ce pas là des médailles de style poétique qu’on ne trouverait, en aussi grande abondance, dans aucun écrivain de tous nos siècles français ? […] Il lui rappelle l’abandon dans lequel le siècle avait laissé mourir quelques jours avant Molière. […] Ce n’est que juste un siècle après sa mort que la France conçut de l’esprit nouveau de nouveaux germes poétiques, et qu’elle redevint capable d’enfanter ce que nos neveux verront naître et grandir, une poésie à grand foyer dans l’âme, à grand souffle et à grandes ailes, pour emporter aux siècles le nom propre et non le nom latin de notre patrie.

194. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

Non que l’Allemagne fût restée terre inconnue, pour les savants ou les hommes d’état des siècles passés. […] Défendez-vous de la maladie de votre siècle, de ce goût fatal de la vie commode, incompatible avec toute ambition généreuse. […] Vacherot dans son livre de la Démocratie, se réaliserait avant que ce siècle soit écoulé. […] Près de monuments des siècles écoulés commencent maintenant à s’élever les monuments d’un autre âge. […] Le ton de Lamartine est certes tout autre que celui des classiques du siècle de Louis XIV.

195. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — I. » pp. 381-397

Dans sa langue, il est d’un siècle plus âgé que Joinville, qui nous paraît plus aimable ; mais Villehardouin était certainement plus fort […] Comme contraste avec cette députation de Villehardouin et de ses compagnons à Venise, à près de trois siècles de distance, on peut opposer l’ambassade dont un autre grand historien, Commynes, fut chargé auprès de cette même république (1495). […] Le siècle a marché, ou plutôt trois siècles se sont écoulés, et la politique véritable tient seule désormais le dé dans le maniement des affaires. […] Ceux qui sont curieux d’apprécier et de mesurer le progrès de la langue, et surtout de la politique, durant trois siècles, peuvent faire au long cette comparaison des deux ambassades de Commynes et de Villehardouin. […] Voilà le côté politique et prudent ; mais l’autre côté généreux et grandiose, je ne le dissimulerai pas, comme l’ont trop fait dans leurs divers récits des écrivains raisonnablement philosophes : la grandeur du courage et l’héroïsme, ce sont là aussi des parties réelles qui, même après des siècles, tombent sous l’œil de l’observation humaine.

196. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre I. La lutte philosophique »

La grande bataille de la seconde moitié du siècle. […] Encore, au début du siècle, avait-on Rollin524 et Daguesseau525. […] Nombre de prélats grands seigneurs se désintéressaient de la défense de l’Eglise, coquetaient avec ses ennemis, dont l’esprit amusait leur esprit, tandis que d’autres ne songeaient qu’à jouir de la liberté du siècle. […] En ce sens, l’œuvre où aboutit toute la pensée du siècle, c’est la fameuse Esquisse de Condorcet539. […] Il me faut laisser tous ces représentants de la philosophie du dernier siècle, pour regarder seulement les grands littérateurs, ainsi replacés dans leur milieu.

197. (1785) De la vie et des poëmes de Dante pp. 19-42

Ayant perdu son père de bonne heure, il passa à l’école de Brunetto Latini, un des plus savants hommes du temps ; mais il s’arracha bientôt aux douceurs de l’étude, pour prendre part aux événements de son siècle. […] Béatrix, qu’il aima, est immortelle comme Laure, et peut-être la destinée de ces deux femmes est-elle digne d’observation ; mortes toutes deux à la fleur de leur âge, et toutes deux chantées par les plus grands poëtes de leur siècle. […] Quoique le génie n’attende pas des époques pour éclore, supposons cependant que, dans un siècle effrayé par tant de catastrophes, et dans le pays même théâtre de tant de discordes, il se rencontre un homme de génie, qui, s’élevant au milieu des orages, parvienne au gouvernement de sa patrie ; qu’ensuite, exilé par des citoyens ingrats, il soit réduit à traîner une vie errante, et à mendier les secours de quelques petits souverains : il est évident que les malheurs de son siècle et ses propres infortunes feront sur lui des impressions profondes, et le disposeront à des conceptions mélancoliques ou terribles. […] On trouve seulement que, dès le dixième siècle, l’Italie, remplie d’armées allemandes, et prenant parti pour ou contre, s’accoutumait à ces dénominations de Guelfes et de Gibelins. […] Je serais tenté de croire que ce poëme aurait produit de l’effet sous Louis XIV, quand je vois Pascal avouer dans ce siècle, que la sévérité de Dieu envers les damnés le surprend moins que sa miséricorde envers les élus.

198. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Athanase Renard. Les Philosophes et la Philosophie » pp. 431-446

Il vit, je crois, quoique très avancé dans la vie, et s’il ne vit plus, il a cette supériorité de la vieillesse qui donne à l’expérience le calme et la certitude… et, avant de mourir, il a eu la jeune curiosité de savoir si ce siècle, justement méprisé par l’auteur des Ruines, comprendrait quelque chose à un ouvrage non moins impopulaire que le sien. […] Elle vient de ce que les premiers sont des philosophes et les seconds des hommes politiques, et que la politique est maintenant la seule passion qui vive dans ce siècle tari, épuisé, mourant de faiblesse intellectuelle entre la négation et le doute, moins viril encore que la négation ! […] Dans un pays et dans un temps où, depuis deux siècles, nul grand système n’a eu la force de se produire, et où ce qui reste de mouvement philosophique ne s’exprime plus que par de chétives monographies ou par des histoires de la Philosophie qui sont des signes de mort, car ces histoires sont les cimetières des philosophies et on n’enterre pas les vivants, les grandes polémiques ne peuvent plus exister. […] Physiologiste donc avant tout et d’étude première, ce qui l’a d’abord frappé, c’est le vice de l’École de Médecine d’où il est sorti, et qui n’a cessé, depuis le commencement de ce siècle, de vouloir justifier scientifiquement la misérable idéologie de l’Encyclopédie, qui, sans cette École, n’eût pas eu de portée ; car, ainsi que l’a dit le Dr Athanase Renard dans un éclair : « Le Matérialisme n’est pas français. » Il vient de Bacon et de Locke. […] Quoique sans génie, sans talent, sans esprit, sans homme d’intelligence première, elles s’emparent de l’esprit moderne avec un effroyable ascendant, et elles rencontrent précisément dans le « sens commun » d’un temps matérialisé de mœurs par une corruption de deux siècles, le plus redoutable auxiliaire.

199. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « A. P. Floquet »

L’enthousiasme ne sait pas trembler, un écrivain qui a voué à Bossuet un culte véritable et qui, pour mieux vivre tête à tête avec lui, s’est retiré intellectuellement de son siècle et n’a plus habité que celui de cet imposant génie, Floquet, a entrepris de nous donner un livre nouveau sur Bossuet, et, quoique sa modestie le cache avec un goût parfait sous ce nom respectueux d’Études, ce livre, d’une érudition vaste et détaillée, n’en est pas moins une biographie. […] Nul, dans le siècle et hors du siècle, parmi les saints et parmi les hommes, n’a eu jamais, je crois, de destinée d’une plus complète harmonie. […] Comme la plupart des grands hommes acceptés par l’opinion des siècles, il s’est moulé dans un de ces types d’une trivialité sublime auxquels il est difficile d’ajouter ou de retrancher quelque chose. […] Bossuet, reconnu sans conteste pour le plus grand écrivain et le plus grand orateur du grand siècle Bossuet, l’Ézéchiel ou l’Isaïe de l’histoire, n’a, a-t-on dit, que les dons qui tiennent à la grandeur, à l’élévation, à la véhémence. […] Enfin, il se faisait lentement ce Bossuet dont un moine de ces derniers temps a pu dire, pour montrer qu’il avait aussi bien en lui la douceur résignée, le sentiment de l’immolation, — toute la mélancolie chrétienne qu’on lui refuse, — que la force qu’on ne lui nie pas : « Il avait la main droite sur le lion de Juda, et la gauche sur l’Agneau immolé avant tous les siècles. » Mot le plus plein et le plus résumant qui ait été dit sur Bossuet !

200. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

Mais il fallait m’ajuster à mon siècle d’une façon quelconque et je n’ai trouvé que celle-là. […] Aucun autre nom de ce siècle, ne pouvait, en pareil cas, précéder celui-là dans ma pensée. […] Cette loi est de ce siècle et c’est le journalisme qui l’a faite. […] Du moins, il en avait été ainsi jusqu’à ce siècle. […] Ce dernier est, à coup sûr, le livre le plus insensé qu’on ait bâclé depuis plusieurs siècles.

201. (1888) Portraits de maîtres

Chateaubriand n’avait pas assez souffert pour exprimer la souffrance, ce qui allait être le grand besoin du siècle. […] Sans doute il est de mode aujourd’hui de déprimer, de railler même cette mélancolie du siècle en ses débuts. […] Si le vingtième siècle ne le réalise pas, le vingt et unième se chargera peut-être d’accomplir le rêve des meilleurs. […] De là le mirage auquel ne s’est soustrait presque aucun des génies illustres de notre siècle. […] L’Allemagne par toutes ses voix a soutenu depuis un siècle le respect des choses humaines consacrées par l’histoire.

202. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « La course à la mort » pp. 214-219

Edouard Rod, est ce livre à la fois singulier et actuel, dégagé des anciennes modes et décrivant, en de pénétrantes analyses, la phase la plus récente du mal et de la passion de ce siècle : le pessimisme. […] Il ne reproche pas aux hommes de ne point le comprendre, il rêve à peine de vivre une existence enfin fortunée, dans des siècles passés, en des contrées distantes. […] *** Par son intrigue encore ce roman est original et se distingue surtout du Werther et de l’Obermann du commencement de ce siècle. […] Et si l’on veut remonter plus haut, si l’on réfléchit quel abîme sépare la littérature française de ce siècle de celle des époques passées, on trouvera au pessimisme contemporain assez d’ascendants pour se convaincre que la tristesse est l’essence même du nouvel art, et peut-être de tout art noble.

203. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XX. De Libanius, et de tous les autres orateurs qui ont fait l’éloge de Julien. Jugement sur ce prince. »

Nous venons de voir Julien écrivain et panégyriste, voyons-le maintenant comme empereur, et objet lui-même des panégyriques de son siècle. […] Je ne parle point des défauts de goût, des citations multipliées d’Homère, de la fureur d’exagérer, d’un luxe d’érudition qui retarde la marche fière et libre de l’éloquence, et annonce plus de lecture que de génie ; ce sont là les défauts du siècle plus que de l’orateur : mais il en a d’autres qui lui sont personnels. […] Pour connaître l’esprit des différents siècles, il n’est pas inutile d’observer que Mamertin, qui prononça cet éloge, parvint, par ses talents, aux premières dignités ; il occupa longtemps avec distinction le rang de sénateur ; et quand Julien monta sur le trône, il lui donna la place de surintendant général des finances de l’empire. […] Pour résoudre ce problème, jetons un coup d’œil sur son siècle ; nous reviendrons ensuite à Julien, et la question sera peut-être aisée à résoudre. […] On le voit ; l’idée que la divinité pouvait se communiquer à l’homme, idée si analogue d’ailleurs à son siècle et aux idées générales qui occupaient alors l’univers, tourmentait et agitait son esprit.

204. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVII. Des éloges en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Russie. »

Les hommages rendus à des contemporains sont comme des traités que la vanité d’un siècle fait avec les siècles suivants, et que la postérité ne ratifie pas toujours. […] Tels furent ceux qu’on rendit à la mémoire de Michel-Ange, et qui peignent à la fois l’enthousiasme de son siècle et de sa patrie pour les arts. […] Cependant, une Renommée planait sur le cercueil, et semblait emporter la réputation et la gloire de Michel-Ange vers les siècles à venir. […] Ne croirait-il pas ou que son absence a duré des siècles, ou que le genre humain s’est réuni pour créer en si peu d’années tant de merveilles, ou que ce spectacle étonnant n’est que l’effet et l’illusion d’un songe ?  […] Lorsque, il y a cent ans, la Russie était à peine connue, que les descendants des anciens Scythes étaient encore à demi sauvages, et que le lieu où est aujourd’hui située leur capitale, n’était qu’un désert, on ne s’attendait pas alors qu’avant la fin du siècle, l’éloquence dût y être cultivée, et qu’un Scythe, au fond du golfe de Finlande, et à quinze degrés au-delà du Pont-Euxin, prononcerait un tel panégyrique dans une académie de Pétersbourg.

205. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mistral, Frédéric (1830-1914) »

nous avons lu, depuis que nos cheveux blanchissent sur des pages, bien des poètes de toutes les langues et de tous les siècles. […] Grec, comme André Chénier, par le génie, l’auteur de Mirèio a, sur André, tombé de son berceau byzantin dans le paganisme de son siècle, l’avantage immense d’être chrétien, comme ces pasteurs de la Provence dont il nous peint les mœurs et nous illumine les légendes. […] Frédéric Mistral est le seul, parmi les illustres, qui soit demeuré fidèle à l’harmonieuse tradition des siècles de beauté. […] Léon Daudet Et la grande gloire de ce siècle sera non pas le romantisme, exaltation certes, mais exaltation trop verbale, exaltation à lacunes, exaltation congestive où la trajectoire des mots dépasse la trajectoire des idées. La grande gloire de ce siècle sera le lyrisme, fécond et fort, qui ferme l’anneau de la science et de l’art, de la tradition et de l’analyse, de la race et de l’individu, le lyrisme éperdu de leur Goethe, de notre Frédéric Mistral.

206. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

Ils ont publié Diderot parce que c’est Diderot et que Diderot est un gros personnage, enflé comme une bulle de savon par la Critique moderne, et même à l’état du ballon pour l’énormité… La Critique moderne, la Critique romantique, a placé Diderot à une hauteur où son propre siècle — le siècle de l’Encyclopédie pourtant ! […] Mais, s’il n’a pas la puissance de Voltaire, il en a la passion, qui fut celle de leur abominable siècle. […] Diderot, après Voltaire, bien entendu, est certainement supérieur à tous ses compagnons de siècle ou d’encyclopédie. […] Il était du siècle le plus superficiel. […] Il a toutes les qualités prisées haut par les siècles bas.

207. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre V. Suite des précédents. — Héloïse et Abeilard. »

Nous nous permettrons de relever ici une erreur de Colardeau, parce qu’elle tient de l’esprit de son siècle et qu’elle peut jeter quelque lumière sur le sujet que nous traitons. […] Héloïse, philosophant sur les faibles vertus de la religion ne parle ni comme la vérité, ni comme son siècle, ni comme la femme, ni comme l’amour : on ne voit que le poète, et, ce qui est pis encore, l’âge des sophistes et de la déclamation. […] Il conservait la bonne tradition du siècle de Louis XIV, dont le siècle de la reine Anne ne fut qu’une espèce de prolongement ou de reflet.

208. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

On s’est souvent étonné, depuis que nous pensons tout haut dans ce siècle, de notre admiration continue et persévérante pour ce grand écrivain, si peu poète dans la grande acception du terme, et surtout si peu lyrique, si peu éloquent, si peu enthousiaste. […] Parce qu’elle date de la renaissance de la philosophie et des littératures laïques en Europe à la fin du moyen âge, dont le siècle de Louis XIV fut à la fois l’apogée et la clôture. […] Un siècle ne fournit pas à lui tout seul, encore moins une nation, une telle collection de supériorités ; l’esprit de secte s’empara du monument, et le ravala aux proportions d’une œuvre de secte. […] Le clergé dans ses chaires, la noblesse dans ses états provinciaux, le parlement dans ses sessions, la bourgeoisie dans ses bureaux, la littérature dans ses académies, lui avaient préparé les élus de l’esprit du siècle. […] L’Europe fit silence pour écouter ces représentants d’un siècle nouveau à qui des événements inattendus venaient de donner la parole, non pour la France, répétons-le bien, mais pour l’esprit humain.

209. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — I » pp. 219-230

Il en a bien un peu conscience, et au moment de lâcher les volumes dont il s’est acquitté comme d’une tâche, il écrit à la princesse : « Tout est fini et j’ai environ dix siècles à mettre à vos pieds ; j’aimerais mieux y être moi-même. […] Neuf ou dix siècles en sont bien capables. […] Son siècle y prêtait, et il ne manque pas de le prendre à témoin pour toutes les contradictions qu’il rassemble : Regardez cet univers, mon aimable amie, jetez les yeux sur ce théâtre d’erreurs et de misères qui nous fait, en le contemplant, déplorer le triste destin de l’homme ! […] Et ceci me rappelle un contraste ; car, pour être juste envers Rousseau, il ne faut jamais le séparer de son siècle ni de ceux qu’il est venu contredire et en face desquels il a osé relever son noble drapeau. […] de tous les points de vue auxquels on peut se placer pour le regarder, il en est un qui me paraît le plus juste et qui est aussi le plus simple : voyons-le à son moment dans le siècle ; voyons-le en lui-même et dans ses écrits, dans ses pensées confidentielles, dans tout ce qui lui échappe de contradictoire et de sincère.

210. (1895) Histoire de la littérature française « Avant-propos »

Le mot le plus vrai qu’on ait dit sur elle, est celui de Descartes : la lecture des bons livres est comme une conversation qu’on aurait avec les plus honnêtes gens des siècles passés, et une conversation où ils ne nous livreraient que le meilleur de leurs pensées. […] Le xixe  siècle littéraire est actuellement fini : il est très vraisemblable que les œuvres considérables de la fin du siècle, s’il s’en produit, seront le commencement d’une nouvelle période de notre littérature. On peut donc essayer de représenter aujourd’hui dans son ensemble l’effort d’un siècle qui n’a point été indigne de ses aînés. […] On pouvait autrefois se permettre bien des excursions, quand les xvie , xviie et xviiie  siècles constituaient seuls à peu près toute la littérature dont on parlait ; on étoffait le peu qu’on savait du moyen âge français, par le peu qu’on savait du moyen âge provençal. […] Dans l’observation de l’ordre chronologique, j’ai cherché le moyen d’éviter ces chapitres-tiroirs où l’on déverse tout le résidu d’un siècle, ces défilés de noms, d’œuvres et de talents incompatibles auxquels on est ordinairement condamné, lorsqu’on a étudié les genres fixes et définis.

211. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les civilisations »

Car, civilisation, c’est le mot du siècle ! […] Chaque siècle a ses mots, qui sont des rengaines… Le xviiie  siècle avait celui de « sensibilité », et vous savez comme il fut sensible, ce siècle qui inventa la guillotine, par sensibilité ! […] Du reste, quand on va au fond de ce mot, dont le monde actuel est follement épris comme d’une nouveauté, on y trouve une chose assez vieille : c’est l’action très connue et très continue des siècles, en vertu de laquelle les mœurs se polissent. […] Il a les manies et les suffisances physiologiques de ce siècle. […] Ils n’en sont pas moins civilisés, en vertu de quelque corniche dont les siècles n’ont pu venir à bout.

212. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Jacques Cœur et Charles VII »

De tous les livres d’une époque d’orgueil et d’illusion qui ont des prétentions et des visées immenses, il ne restera peut-être à lire fructueusement dans un siècle que de modestes et courageux travaux d’histoire, dont on parle à peine au milieu du fracas des grandes théories et de l’usurpation des sciences fausses. […] Seulement, l’effroyable siècle qui tourne autour de cette figure sereine et fatale méritait, non pour être moins vrai, mais pour l’être davantage, plus de passion et plus de flamme qu’il n’y en a dans la peinture que l’auteur de Jacques Cœur et Charles VII nous en fait. Ce siècle, en effet, fut horrible, et, pendant un moment du moins, le plus horrible que la monarchie française eût peut-être vu se lever sur elle. […] Il n’y avait rien de grand, de généreux dans Charles VIL Quand on le regarde à distance, il paraît énorme, exhaussé par les événements de son siècle. […] Mais il n’en était pas de même pour Jacques Cœur, Ce grand honnête homme de génie était aussi une haute et robuste vertu, et tranchait bien, par l’ordre de sa vie et la beauté de ses instincts, sur le sombre et sanglant repoussoir des vices et des crimes de son siècle.

213. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

Là, comme dans les ouvrages du siècle, on sent que la féodalité catholique touche à sa fin » (Lanson). […] Ce grand siècle est épique. […] Le lyrisme du siècle est dans Racine, dans Pascal et surtout dans La Fontaine. […] Le xviie  siècle est un siècle d’action, et, nécessairement, de concentration. […] Quant à Jocelyn, La Chute d’un ange, La Légende des siècles, Les Châtiments, c’est encore autre chose.

214. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXI. »

Il partagea l’espérance prolongée tant de siècles après lui. […] telle encore toi à qui la sagesse de tes lois n’a pas servi, toi le monument de Minerve, savante Athènes, hier le modèle envié des siècles, aujourd’hui cendre et a vaste solitude ! […] Un sceptique du siècle dernier, Diderot, trouvait dans les Torrents de madame Guyon une éloquence incomparable. […] De là ces erreurs de goût, cette fausse poésie et ces faux jugements d’un siècle, parfois si puissant par le naturel et la vigueur qu’il portait dans la philosophie, la critique savante, la controverse, l’histoire. […] Peut-être même, pour la force et la simplicité, pour la magnificence du nombre et le naturel du langage, avait-elle atteint déjà une perfection que notre plus grand siècle ne devait pas dépasser.

215. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

La raison, la loi, la littérature de ce peuple immense sont encore pour des siècles la personnification prolongée de Confucius. […] Cet arbre, qui n’est plus aujourd’hui qu’un tronc aride, subsiste encore dans le lieu même où il fut planté, malgré le bouleversement que la Chine a éprouvé plus d’une fois pendant un intervalle de temps de plus de vingt-deux siècles. […] Le Chou-king a persuadé à la Chine, il y a plus de trente-cinq siècles, que l’agriculture est la source la plus pure, la plus abondante et la plus intarissable de la richesse et de la splendeur de l’État. […] Nous ne voyons que les livres saints qui puissent donner idée à l’Europe de la manière dont ce précieux monument a été combattu, attaqué, calomnié pendant quatorze siècles. […] Respectons cette agglomération d’hommes innombrables, laborieux, et relativement sages, que les siècles eux-mêmes ont respectée.

216. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

Que reste-t-il donc des siècles écoulés depuis la Grèce ? […] Le génie et la tâche de ce siècle sont de retrouver et de réunir les titres de famille de l’intelligence humaine. […] En France, à ce qu’il semble, cette époque maîtresse, cet âge d’or littéraire embrasse deux siècles, le dix-septième et le dix-huitième. […] Les deux siècles qui viennent de s’écouler offrent en effet le complet épanouissement du génie littéraire de notre nation. […] C’est ce que fait Victor Hugo dans la Légende des Siècles.

217. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — I. » pp. 195-212

j’ai beaucoup examiné et comparé, et je puis vous assurer qu’à partir d’une certaine date de notre histoire (car je ne parle pas des premiers siècles et des premières races), Mézeray est encore notre meilleur historien. » Ce jugement m’était resté dans la pensée, lorsque peu après je rencontrai une réimpression d’une partie de l’Histoire de France de Mézeray, Le Règne de Henri III, que venait de publier en province M. le pasteur Scipion Combet25, en y joignant une notice sur Mézeray qui confirmait de tout point les idées du premier juge. […] Les siècles passés donnèrent le nom de Sage au roi Charles cinquième pour ce qu’il combattait heureusement les Anglais dans son cabinet : de quel titre donc devons-nous vous honorer, vous qui avez si généreusement vaincu l’Espagnol dans votre lit ? […] Ce n’est pas en des temps de Fronde qu’il eût appris à les concevoir, et c’est pour avoir, en ses jeunes années, en sa saison de verve et d’entreprise, vu réunies entre les mains de Richelieu les pièces merveilleuses de cet assemblage, c’est pour lui avoir vu reconquérir ce Roussillon aliéné depuis un siècle et demi, et lui avoir vu refaire en tous sens une France, qu’il a su mêler lui-même à son Histoire cet esprit français étendu, cette intelligence d’ensemble qui y subsiste à travers les remarques plus ou moins libres et les réflexions conformes à notre vieux génie populaire. […] En réimprimant sa grande Histoire, il faudrait la faire précéder de L’Avant-Clovis, commenter les premiers siècles (car les matériaux n’en étaient point connus du temps de Mézeray) ; mais de saint Louis à Louis XIII, je ne crois pas qu’aucun de nos historiens égale Mézeray pour l’exactitude, le profond jugement, et la vivacité de la narration. C’est une œuvre nécessaire et qui ferait la réputation d’un littérateur, puisque aujourd’hui nous en sommes réduits à faire notre inventaire, dernière œuvre des siècles littéraires.

218. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

Un siècle après Massillon, les choses avaient bien changé : ce n’était plus la seule corruption des mœurs que l’orateur chrétien avait en face de lui comme ennemi principal, c’était l’incrédulité raisonnée, établie, et qui avait fait son chemin, même parmi les honnêtes gens. […] Un nouveau règne, un nouveau siècle, en effet, venait de naître : à côté des désordres qui faisaient irruption et scandale dans les mœurs publiques, une grande espérance se faisait sentir dans tout ce qu’il y avait d’âmes restées encore honnêtes. […] Ce n’est pas que le malin n’y reçût de temps en temps sa leçon au passage : dans ce même Petit Carême, Massillon, comme s’il eût présagé à l’avance l’auteur de La Pucelle, a dit : Ces beaux-esprits si vantés, et qui, par des talents heureux, ont rapproché leur siècle du goût et de la politesse des anciens ; dès que leur cœur s’est corrompu, ils n’ont laissé au monde que des ouvrages lascifs et pernicieux, où le poison, préparé par des mains habiles, infecte tous les jours les mœurs publiques, et où les siècles qui nous suivront viendront encore puiser la licence et la corruption du nôtre. […] Mais qu’eût pu faire un homme aussi mince selon le siècle, vis-à-vis d’un Régent, de son ministre et du cardinal de Rohan ? […] Avec lui expira la dernière et la plus abondamment éloquente, la plus cicéronienne des grandes voix qui avaient rempli et remué le siècle de Louis XIV.

219. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

Le nôtre est plus simple : nous avons quelques principes d’art et de critique littéraire, que nous essayons d’appliquer, sans violence toutefois et à l’amiable, aux auteurs illustres des deux siècles précédents. […] Et puis, si La Harpe et Chamfort ont loué La Fontaine avec une ingénieuse sagacité, ils l’ont beaucoup trop détaché de son siècle, qui était bien moins connu d’eux que de nous. […] Il en sera, selon nous, des variations de nos jugements sur le siècle de Louis XIV, comme il en a été de nos diverses façons de voir touchant les choses de la Grèce et du moyen âge. […] Il y a des hommes qui, tout en suivant le mouvement général de leur siècle, n’en conservent pas moins une individualité profonde et indélébile : Molière en est le plus éclatant exemple. […] Il a écrit dans sa Vie d’Ésope : « Comme Planudes vivoit dans un siècle où la mémoire des choses arrivées à Ésope ne devoit pas être encore éteinte, j’ai cru qu’il savoit par tradition ce qu’il a laissé. » En écrivant ceci, il oubliait que dix-neuf siècles s’étaient écoulés entre le Phrygien et celui qu’on lui donne pour biographe, et que le moine grec ne vivait guère plus de deux siècles avant le règne de Louis-le-Grand.

220. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre premier. Impossibilité de s’en tenir à l’étude de quelques grandes œuvres » pp. 108-111

D’abord on brise ainsi l’enchaînement des faits ; et Turgot a dit, au siècle dernier, avec une admirable précision : « Tous les âges sont enchaînés par une suite de causes et d’effets qui lient l’état présent du monde à tous ceux qui l’ont précédé. » Cette pensée doit être pour l’historien comme un phare qui le guide dans la nuit et les brouillards des âges révolus. […] Serait-il capable d’arrêter un siècle sur la pente où il roule et de lui imprimer la direction qu’il lui plaît ? […] Il est le grand homme du jour, de l’année, de l’époque, du siècle, suivant que son accord avec la société environnante a plus ou moins de durée, suivant aussi que son talent a plus ou moins d’éclat et de vigueur. […] S’il est vrai que chaque époque se forge de la sorte des dieux mortels à son image et maltraite ou ignore des hommes de valeur réservés à l’admiration des générations suivantes, il est nécessaire de réduire le rôle excessif attribué trop fréquemment à ces fortes individualités qui dominent du haut de leur gloire le siècle où elles ont vécu.

221. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

Cette époque touche celle des Étrusques, dont les arts et la puissance vont se perdre dans l’antiquité, qu’Hésiode appelait grands et illustres, neuf siècles avant Jésus-Christ, qui envoyèrent des colonies en Grèce et dans nombre d’îles, plusieurs siècles avant la guerre de Troie. Pythagore, voyageant en Égypte, six siècles avant notre ère, y apprit la cause de tous les phénomènes de Vénus. […] et, comme tu fus jadis le centre de l’erreur, tu es depuis dix-huit siècles le centre de la vérité ! […] Il rapprochera ainsi la foi du siècle et le siècle de la foi. […] M. de Maistre est presque partout un terroriste d’idée, qui verse des flots d’encre au lieu de sang, mais qui ne dissimule pas ses regrets et son admiration pour les siècles où l’on mêlait l’encre des disputes théologiques avec le sang.

222. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

L’antiquité chrétienne, littérairement imparfaite, moralement supérieure, n’avait cessé d’être en ces siècles un véhicule actif et un trésor. […] Cela est vrai du siècle de Périclès, du siècle d’Auguste comme du règne de Louis XIV. […] Pour avoir trop rétréci la tradition, pour l’avoir faite trop courte et trop sèche, plusieurs de ceux qui, au commencement de ce siècle, s’intitulaient exclusivement classiques étaient, dans la querelle d’alors, ceux qui l’étaient le moins. À chaque renouvellement de siècle, il y a dans la tradition récente qu’on croyait fondée des portions qui s’écroulent, qui s’éboulent, en quelque sorte, et n’en font que mieux apparaître dans sa solidité le roc et le marbre indestructible. […] Nous tâcherons donc, messieurs, de ne pas admirer plus qu’il ne faut, ni autrement qu’il ne faut ; — de ne pas tout donner à un siècle, même à un grand siècle ; de ne pas tout mettre à la fois sur quelques grands écrivains.

223. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Néanmoins ils doivent se ranimer en observant, dans l’histoire de l’esprit humain, qu’il n’a existé ni une pensée utile, ni une vérité profonde qui n’ait trouvé son siècle et ses admirateurs. […] Celui qui peint les hommes comme Saint-Simon ou Duclos, ne fait qu’ajouter à la légèreté de leurs opinions et de leurs mœurs ; mais celui qui les jugerait comme Tacite, serait nécessairement utile à son siècle. […] L’esprit militaire est le même dans tous les siècles et dans tous les pays ; il ne caractérise point la nation, il ne lie point le peuple à telle ou telle institution : il est également propre à les défendre toutes. […] Un caractère élevé redevient content de lui-même, s’il se trouve d’accord avec ces nobles sentiments, avec les vertus que l’imagination même a choisies, lorsqu’elle a voulu tracer un modèle à tous les siècles. […] Je ne pense pas que ce grand œuvre de la nature morale ait jamais été abandonné ; dans les périodes lumineuses, comme dans les siècles de ténèbres, la marche graduelle de l’esprit humain n’a point été interrompue.

224. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Cette forme fixe est l’esprit classique, et c’est elle qui, appliquée à l’acquis scientifique du temps, a produit la philosophie du siècle et les doctrines de la Révolution. […] Elle dure deux siècles, depuis Malherbe et Balzac jusqu’à Delille et M. de Fontanes ; pendant cette période si longue, nulle intelligence, sauf deux ou trois, et encore dans des mémoires secrets comme Saint-Simon, dans des lettres familières comme le marquis et le bailli de Mirabeau, n’ose et ne peut se soustraire à son empire. […] À vrai dire, dans la tragédie, la scène est partout et en tout siècle, et l’on pourrait affirmer aussi justement qu’elle n’est dans aucun siècle ni nulle part. […] La différence prodigieuse qui sépare les hommes de deux siècles ou de deux races leur échappe376. […] En effet, c’est l’idéologie, dernier produit du siècle, qui va donner de l’esprit classique la formule finale et le dernier mot.

225. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

Et voilà qu’en cherchant Montaigne, il a vagabondé de corps et d’esprit, surtout d’esprit, à travers tous les pays et tous les siècles : en cherchant les plus douces assiettes et les plus aisées postures, il a essayé toutes les assiettes et toutes les postures où la pauvre humanité s’est figurée à chaque moment trouver le repos pour l’éternité des siècles. Pour faire rendre le plus de réel bonheur à ses cinq ou six mille livres de rente qu’il mangeait en son castel, il a confronté avec sa Gascogne et sa France les deux mondes découverts depuis un siècle, le monde de la nature, les sauvages de l’Amérique, et le monde de la civilisation, les penseurs de la Grèce et de Rome. […] Prenons bien garde que la critique historique est la dernière née, et que la critique philosophique pendant deux ou trois siècles a fait son œuvre sans elle et même parfois contre elle. […] Les idées de Montaigne Mais enfin voilà le produit net de sa vaste et curieuse enquête : à travers tous ces faits, témoignages et arguments qui se choquent confusément, ceci seul apparaît, que les hommes ne sont d’accord sur rien, qu’ils ne savent rien : en politique, en législation, en morale, en religion, en métaphysique, les peuples donnent des démentis aux peuples, les siècles aux siècles ; le vulgaire se divise, et les savants s’accusent de rêverie ou d’ânerie. […] Il admire les anciens pour leur justesse vigoureuse, il blâme les modernes de trop d’esprit et d’affectation : un siècle et demi plus tard, Fénelon n’aura pas autre chose à dire.

226. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre X. La littérature et la vie de famille » pp. 251-271

L’histoire des mœurs en notre siècle rencontre bien des cas où des personnages réels ont emprunté des traits à des personnages fictifs, où la vie a imité cette imitation de la vie qu’est en partie la littérature ! […] Voulez-vous voir cette rigueur s’adoucir de siècle en siècle ? […] Considérons seulement trois auteurs appartenant à trois siècles successifs, Molière, Marivaux, Emile Augier. […] Notre siècle nous a fait voir, dans la vie réelle comme sur les planches, le père camarade et parfois frère cadet de son fils. […] De siècle en siècle, les valets et les servantes, tout comme les femmes, s’élèvent vers un état de mieux-être ; ils conquièrent peu à peu le droit d’avoir une existence personnelle ; ils arrivent à faire respecter en eux la dignité humaine.

227. (1923) L’art du théâtre pp. 5-212

Je dis que si au bout d’un siècle… ou de dix siècles, il ne subsiste de son œuvre que les mots, à ce prix seulement les mots qu’il laissera conserveront un peu de la vertu active propre au drame et au drame seul. […] Il dépend de son siècle qu’il soit ou ne soit pas. […] Le genre n’en fleurit pas moins durant trois siècles. […] Ses œuvres, telles qu’elles sont, témoignent d’un don merveilleux, absolument unique dans son siècle. […] Durant un siècle, on ne cessera pas d’y tendre.

228. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Les deux cathédrales »

Le formidable organisme de foi et de prière lui est apparu sous son aspect saisissant de réalité, avec son corps et avec son âme, dont les siècles n’ont pu atténuer la mystérieuse fulguration. […] Entre un Huysmans et un Monet, il y a plus que la profondeur d’un océan, séparant deux mondes : il y a toute l’abîme des siècles. […] Née de la pourriture du paganisme, elle s’est épanouie sur le monde, et l’humanité s’en est nourrie durant des siècles. […] Comment pourrait-on admettre que l’art qui prend son inspiration en-deçà des siècles ne soit pas nécessairement artificiel ? […] Qui sait si la « vieille chanson » qu’on disait surannée ne va pas recommencer à être la bienvenue pour bercer l’Humanité et lui faire oublier toutes les angoisses de cette fin de siècle obscure ? 

229. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Chants du crépuscule » (1835) »

Question immense, la plus haute de toutes celles qui s’agitent confusément dans ce siècle où un point d’interrogation se dresse à la fin de tout. […] Ce qui est peut-être exprimé parfois dans ce recueil, ce qui a été la principale préoccupation de l’auteur en jetant çà et là les vers qu’on va lire, c’est cet étrange état crépusculaire de l’âme et de la société dans le siècle où nous vivons ; c’est cette brume au-dehors, cette incertitude au-dedans ; c’est ce je ne sais quoi d’à demi éclairé qui nous environne. […] Dans ce livre, bien petit cependant en présence d’objets si grands, il y a tous les contraires, le doute et le dogme, le jour et la nuit, le coin sombre et le point lumineux, comme dans tout ce que nous voyons, comme dans tout ce que nous pensons en ce siècle ; comme dans nos théories politiques, comme dans nos opinions religieuses, comme dans notre existence domestique ; comme dans l’histoire qu’on nous fait, comme dans la vie que nous nous faisons.

230. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVIII. Formule générale et tableau d’une époque » pp. 463-482

Quantité de vérités générales sont exprimées avec bonheur ; le style prend volontiers un air sentencieux, et, à mesure qu’on avance dans le siècle, il se débarrasse des plis de la grande période oratoire, s’applique à condenser plus de choses en moins de mots, vise aux formules courtes et brillantes où la raison aiguisée reluit comme un diamant taillé à facettes. […] Les écrivains dramatiques du temps semblent convaincus que l’homme est le même dans tous les siècles et sous toutes les latitudes ; frappés par cette moitié de vérité, que le fond des sentiments ne change guère au cours des siècles, ils négligent de parti pris l’autre moitié, à savoir, que la forme, la combinaison et l’intensité de ces mêmes sentiments sont dans une mue incessante. […] d’œil sur la série des siècles dans lequel les hommes et les faits particuliers s’effacent et disparaissent. […] On peut commencer par passer rapidement en revue tout ce qui environne la littérature, les milieux divers où elle se développe, les influences qui agissent sur elle du fond des pays étrangers ou des siècles passés, la condition faite alors aux écrivains. […] Notre siècle a mêlé le tragique et le comique ; il en est arrivé à des œuvres théâtrales qui, né sachant, comment se définir, se sont vaguement intitulées pièces.

231. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre IV. Bossuet orateur. »

Les cœurs, après plus d’un siècle, retentissent encore du fameux cri, Madame se meurt, Madame est morte. […] Nous avons remarqué qu’à l’exception de Pascal, de Bossuet, de Massillon, de La Fontaine, les écrivains du siècle de Louis XIV, faute d’avoir assez vécu dans la retraite, ont ignoré cette espèce de sentiment mélancolique, dont on fait aujourd’hui un si étrange abus. […] » Le poète (on nous pardonnera de donner à Bossuet un titre qui fait la gloire de David), le poète continue de se faire entendre ; il ne touche plus la corde inspirée ; mais, baissant sa lyre d’un ton jusqu’à ce mode dont Salomon se servit pour chanter les troupeaux du mont Galaad, il soupire ces paroles paisibles : « Dans la solitude de Sainte-Fare, autant éloignée des voies du siècle, que sa bienheureuse situation la sépare de tout commerce du monde ; dans cette sainte montagne que Dieu avait choisie depuis mille ans ; où les épouses de Jésus-Christ faisaient revivre la beauté des anciens jours ; où les joies de la terre étaient inconnues ; où les vestiges des hommes du monde, des curieux et des vagabonds ne paraissaient pas ; sous la conduite de la sainte Abbesse, qui savait donner le lait aux enfants aussi bien que le pain aux forts, les commencements de la princesse Anne étaient heureux200. » Cette page, qu’on dirait extraite du livre de Ruth, n’a point épuisé le pinceau de Bossuet ; il lui reste encore assez de cette antique et douce couleur pour peindre une mort heureuse. […] Il expire en disant ces mots, et il continue avec les anges le sacré cantique. » Nous avions cru pendant quelque temps que l’oraison funèbre du prince de Condé, à l’exception du mouvement qui la termine, était généralement trop louée ; nous pensions qu’il était plus aisé, comme il l’est en effet, d’arriver aux formes d’éloquence du commencement de cet éloge, qu’à celles de l’oraison de madame Henriette : mais quand nous avons lu ce discours avec attention ; quand nous avons vu l’orateur emboucher la trompette épique pendant une moitié de son récit, et donner, comme en se jouant, un chant d’Homère ; quand, se retirant à Chantilly avec Achille en repos, il rentre dans le ton évangélique, et retrouve les grandes pensées, les vues chrétiennes qui remplissent les premières oraisons funèbres ; lorsqu’après avoir mis Condé au cercueil, il appelle les peuples, les princes, les prélats, les guerriers au catafalque du héros ; lorsque, enfin, s’avançant lui-même avec ses cheveux blancs, il fait entendre les accents du cygne, montre Bossuet un pied dans la tombe et le siècle de Louis, dont il a l’air de faire les funérailles, prêt à s’abîmer dans l’éternité, à ce dernier effort de l’éloquence humaine, les larmes de l’admiration ont coulé de nos yeux, et le livre est tombé de nos mains.

232. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — S’il est plus aisé, de faire une belle action, qu’une belle page. » pp. 539-539

Il y a des âmes fortes et courageuses parmi les barbares peut-être plus que parmi les peuples policés ; on y fait de belles actions, et il s’écoulera des siècles avant qu’on y sache écrire une belle page. […] On fait souvent une belle action comme un sot dit un bon mot, comme Chapelain fait un vers heureux ; mais Virgile, Horace, Cicéron ont existé entre des siècles qui les attendaient et des siècles qui les ont suivis et qui les suivront sans les reproduire. […] Le tremblement de Lisbonne, qui n’a duré que quelques minutes, a produit plus d’actions fortes que toute la durée des siècles n’a produit de belles pages ; voilà Lisbonne renversée, et la nation entière est restée stupide et muette sur ses décombres.

233. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

C’était l’époque de l’empire ; c’était l’heure de l’incarnation de la philosophie matérialiste du 18e siècle dans le gouvernement et dans les mœurs. […] Ils furent pour nous comme deux protestations vivantes contre l’oppression de l’âme et du cœur, contre le dessèchement et l’avilissement du siècle ; ils furent l’aliment de nos toits solitaires, le pain caché de nos âmes refoulées ; ils prirent sur nous comme un droit de famille, ils furent de notre sang, nous fûmes du leur, et il est peut d’entre nous qui ne leur doive ce qu’il fut, ce qu’il est, ou ce qu’il sera. […] Les signes avant-coureurs de cette transformation de la poésie sont visibles depuis plus d’un siècle ; — ils se multiplient de nos jours. […] et j’en appelle à ce siècle naissant qui déborde de tout ce qui est la poésie même, amour, religion, liberté, et je me demande s’il y eut jamais dans les époques littéraires un moment si remarquable en talents éclos, et en promesses qui écloront à leur tour ? […]   Ces poésies auxquelles la soif ardente de cette époque a prêté souvent un prix, une saveur qu’elles n’avaient pas en elles-mêmes, sont bien loin de répondre à mes désirs et d’exprimer ce que j’ai senti ; elles sont très-imparfaites, très-négligées, très-incomplètes, et je ne pense pas qu’elles vivent bien longtemps dans la mémoire de ceux dont la poésie est la langue ; je ne me repens cependant pas de les avoir publiées ; elles ont été une note au moins de ce grand et magnifique concert d’intelligence que la terre exhale de siècle en siècle vers son auteur, que le souffle du temps laisse flotter harmonieusement quelques jours sur l’humanité, et qu’il emporte ensuite où vont plus ou moins vite toutes les choses mortelles.

234. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

Le géant de l’autre siècle est un nain, à cette heure, pendant que ce pauvre homme oublié, méconnu, méprisé, brille, à cent ans de distance, d’une gloire incontestée. […] Ô siècle heureux ! […] comparez ce chapitre tout nouveau du mérite personnel, avec le même chapitre des mœurs et des caractères de ce siècle ! […] Qu’a-t-on fait, dans les bonnes maisons de notre siècle, de ce tyran domestique appelé le Directeur, le Confesseur ? […] Elle était née pour ainsi dire sur le théâtre, au beau moment du siècle passé, à Versailles, au beau milieu du plus grand monde.

235. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Grèce : explication du siècle de Périclès par la philosophie de Socrate. […] Rien n’est plus clair avec elle que le siècle de Périclès. […] En effet, les suites de la victoire d’Arbelles ont duré deux siècles. […] Il a embrassé tous les systèmes et tous les siècles. […] Telle a été, telle devait être l’œuvre du siècle qui n’est plus : quelle sera celle du siècle qui s’avance ?

236. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Par rapport à son siècle ; 2º. […] Le second siècle de la littérature latine eut les mêmes prétentions que notre siècle. […] C’est un sujet d’étonnement dont on a peine à revenir, que l’ignorance ou la mauvaise foi dans laquelle est tombé notre siècle, relativement au siècle de Louis XIV. […] est-il bien certain d’ailleurs que cette poésie ne remonte qu’au siècle dernier ? […] Dans ce grand siècle, la vertu et la raison donnaient au prince et au sujet un même langage.

237. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

On n’a donc pas craint, à mesure qu’on avançait dans les siècles plus à découvert, d’assembler un nombre plus grand d’explorateurs et d’amateurs. […] Sans nous faire juges nous-mêmes dans notre propre cause, il nous semble que, rien qu’à y regarder simplement, il est plus d’un siècle, souverain pour elle, où elle aurait eu incontestablement le prix, où elle aurait, d’un consentement unanime, gagné la couronne ; et, lors même qu’elle est primée par de plus grandes et de plus hautes productions étrangères, elle a encore de quoi consoler et honorer sa défaite par bien des grâces qui sont à elle et à elle seule. […] C’est à ceux qui liront le Duel d’Olivier et de Roland dans ce recueil, et qui compareront avec le Mariage de Roland dans la Légende des Siècles à prononcer et à donner la palme. […] C’est pourtant au xiii e siècle seulement, ce siècle de génie, de véritable et universelle invention, m’il convient, ne l’oublions pas, de rapporter les plus jolies branches et rapsodies de cette libre épopée satirique, celles qui ont encore naïveté et grâce dans l’ironie, une sorte de candeur, et en qui ne percent pas trop outrageusement l’allégorie et la satire tout intentionnelle qui sera l’esprit du Renart final. […] Le Roman de la Rose, je l’ai dit, avait jeté l’esprit français dans une route de traverse, où il était empêché depuis près de deux siècles.

238. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

Mais il a le don du style : il renouvelle ces thèmes usés, à force de grâce imprévue, d’images fraîches ; ce que tout le monde a dit depuis trois siècles, il le dit, mais comme personne. […] Pour subsister, pour avoir une action encore efficace, il faut qu’elle se mette au ton du siècle, et, dans sa voix au moins et ses gestes, marque prendre sa part de la dégradation universelle. […] Enfin, frôlant la mort à chaque pas de son aventureuse existence, faut-il s’étonner qu’il l’ait vue, qu’elle l’ait obsédée, en ce siècle où elle était présente à toutes les âmes ? […] Et ainsi se retrouve chez lui le second des sentiments généraux du siècle. […] A. de Montaiglon, Recueil de poésies françaises des xve et xvie  siècles, Bibl. elzév., 13 vol. in-16.

239. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

L’étude de l’homme universel est faite, et bien faite, par les tragédies et les comédies du siècle précèdent : il reste à appliquer les résultats de cette étude, à suivre les variations des types moraux dans les conditions où nous les rencontrons engagés : ce qui conduit encore à serrer de plus près la réalité extérieure. […] Ils sont tous représentés par des œuvres ; il convient seulement de remarquer qu’ils correspondent à des états d’esprit très divers, qui ne peuvent guère se rencontrer dans une seule race ou un seul siècle. […] L’esprit analytique du siècle était impropre à la création poétique, qui est un acte de synthèse. […] Il semble qu’on en ait eu le sentiment : car, vers la fin du siècle, après les bruyants et multiples succès de la comédie larmoyante et du drame, on revient tout doucement à la comédie traditionnelle, à celle qui fait rire, ou y prétend. […] Charles Simon Favart, né à Paris (1710), fils d’un pâtissier, auteur, puis directeur de l’Opéra-Comique, directeur des comédiens du maréchal de Saxe ; sa femme fut une des plus naturelles actrices du siècle.

240. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Les épopées symboliques de la Légende des siècles. […] Hugo règne ; il prolonge d’un quart de siècle le romantisme. […] Hugo, enfin, s’objective dans la Légende des siècles (1859) : pittoresque galerie de tableaux symboliques. […] Et la même remarque s’impose quand on compare les deux derniers livres des Contemplations à la première Légende des siècles. […] On a parlé d’épopée à propos de la Légende des siècles : il faut s’entendre.

241. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

Les points de vue et les perspectives qu’on a sur elle n’ont cessé de varier aussi et de se diversifier selon les degrés successifs que cette étude a parcourus, et selon les points du temps où le spectateur s’est trouvé placé : chaque siècle depuis le xvie a eu de ce côté son belvéder différent. […] D’honorables érudits protestaient sans doute çà et là par leur persévérance ; mais les plus brillants d’entre les littérateurs du jour se passaient aisément d’un fonds que deux siècles déjà d’une gloire toute moderne semblaient recouvrir et suppléer. […] On a beaucoup parlé d’art dans ces derniers temps, et il faut convenir, en effet, que jamais peut-être l’art n’a été mieux compris, mieux étudié dans ses variétés brillantes, dans ses branches parallèles et ses transformations successives à travers l’histoire ; et pourtant l’époque elle-même, malgré l’éclat de ses débuts, ne paraît pas destinée à prendre rang dans ces grands moments et siècles, comme on les appelle, qui comptent entre tous, qu’on vénère de loin, et qui se résument d’un nom. […] Ce que nous voudrions ici, c’est de rappeler parfois les regards et de reporter les nôtres particulièrement vers ce fond de majesté et de grâce que le Parthénon couronne, et plus loin aux rivages d’Ionie, là où de siècle en siècle s’est montré le tombeau d’Achille. […] Il me semble qu’à un certain moment, et par réaction contre les quatre siècles classiques de Périclès, d’Auguste, de Léon X et de Louis XIV, dont on se sentait rebattu, on est devenu soudainement crédule aux poésies dites populaires ; on y a été crédule comme certains athées le sont aux molécules organiques et aux générations spontanées.

242. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre III. Retour à l’art antique »

La découverte d’Herculanum et de Pompéi616 frappa vivement les imaginations : cette réapparition de villes enfouies depuis dix-sept siècles fut le fait saisissant qui captiva l’esprit mondain, et mit le gréco-romain à la mode. […] Une élégance un peu douceâtre et convenue, une noblesse un peu creuse et de décadence se remarquent très aisément dans les conceptions poétiques ou dramatiques des écrivains de la fin du siècle. […] L’antiquité, je pourrais dire l’archéologie et l’art grec, ont leur poète à la fin du xviiie  siècle, le plus grand, le seul grand de tout le siècle : et nous voici conduits à André Chénier. […] Il appartient au xviiie  siècle, et il est tout classique, le dernier des grands classiques : ce qui a trompé sur lui, c’est qu’il était poète, en un siècle qui avait ignoré la poésie ; et c’est qu’il avait retrouvé, parmi les pseudo-classiques de son temps, le secret du véritable art classique. […] Dans ses élégies, il se découvre encore le vrai fils de son siècle.

243. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

Évidemment, il y a là une inégalité, une injustice, un fatum… On peut différer de sentiment sur la poésie de M. de Banville et sur la nature de ses inspirations ; mais ce qu’on ne peut méconnaître, dès la première lecture, c’est que l’effort est complet, et qu’aucune négligence, aucune transaction ne s’est interposée entre le poète et son but… Des deux grands principes posés au commencement de ce siècle, la recherche du sentiment moderne et le rajeunissement de la langue, M.  […] Donnez-leur l’épithète que vous voudrez, (celle que vous avez choisie est charmante), mais sachez bien que vous avez construit là un des monuments lyriques du siècle. […] Théodore de Banville aura fait partie de cette brillante Heptarchie de poètes qui ont régné sur la France vers le milieu de ce siècle et dont on ne voit point les successeurs… Les autres ont déshonoré la Poésie dans les viletés de la politique, ou l’ont ridiculisée en devenant académiciens. […] Par quel prodige, au milieu de ce siècle de critique et tout en subissant comme un autre les misères de ce siècle, dans ce pays de censure et d’académie, un homme de ce temps et de ce lieu a-t-il pu se ressouvenir de la vraie, pure, originelle et joyeuse nature humaine se dresser contre le flot de la routine implacable et non pas écrire ou parler, mais « chanter » comme un de ces bardes qui accompagnèrent au siège de Troie l’armée grecque pour l’exciter avant le combat et ensuite la reposer, — toutefois, en chantant, ne point sembler (pour ne blesser personne) faire autre chose qu’écrire ou parler comme tout le monde, et, avec une langue composée de vocables caducs, usés comme de vieilles médailles, sous des doigts immobiles depuis deux siècles, donner l’illusion bienfaisante d’un intarissable fleuve de pierreries nouvelles ?

244. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gasparin » pp. 100-116

L’esprit religieux qui était en lui, et qui a absorbé l’esprit politique qui y fut autrefois, fait, à nos yeux, du comte de Gasparin, une individualité intéressante au milieu des insupportables libres penseurs de ce siècle de liberté et de tolérance, — intolérant seulement contre Dieu, à qui il ne permet plus d’exister. […] Ardent comme les Covenantaires des romans de Walter Scott, mais moins puritain, moins dur et moins farouche, ce dernier venu dans le protestantisme, qui a manqué son siècle et qui est tombé dans celui de l’athéisme et de la philosophie sans s’y briser, avait fait longtemps, dit-on, des missions protestantes, dans les montagnes et aux paysans de la Suisse, sous l’inspiration et sous la pression de son Saint-Esprit particulier. […] Selon le comte de Gasparin, ce Pape, qui fut grand, mais certainement moins grand que Grégoire VII, — qui, à distance de plus d’un siècle, sut lui paver la voie Appienne de sa grandeur future, — représente pourtant, sinon le plus haut degré du génie absolu de l’Église, au moins le plus haut point de sa fortune, et c’est pour cette raison que le comte de Gasparin, en le choisissant, l’a frappé. […] III L’Innocent III du comte de Gasparin n’est donc rien de plus qu’une rubrique de discussion protestante, une arabesque de plus parmi les mille arabesques de cette polémique qui replie ses sophismes, depuis trois siècles, autour du principe incommutable de l’Église romaine, comme le serpent tordait ses anneaux autour de l’arbre de la Science. […] Je comprends qu’on soit le disciple d’un homme, mais le disciple de plusieurs sociétés n’est pas aussi aisé à admettre, et quand il ajoute, pour être plus clair et pour n’arriver qu’à être plus vague : « de la partie de ce siècle sur laquelle les Apôtres eux-mêmes ont exercé leur direction », je ne comprends plus du tout, ou plutôt je comprends que le protestant Gasparin n’est que le disciple de lui-même, et que sa foi religieuse ne relève que de sa critique, de la partie du siècle dont il se dit le disciple, et de sa propre interprétation… La personnalité protestante du comte de Gasparin est si large, si forte et si absorbante, qu’il n’admet que celle de Dieu vis-à-vis de la sienne.

245. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

Avant de nous occuper de l’œuvre entière de Léon Gozlan, de ce conteur raffiné auquel nulle critique, à ma connaissance, n’a assigné encore sa vraie place dans la littérature de ce siècle, avant cet examen exclusivement littéraire, pourquoi ne risquerions-nous pas quelques mots sur le genre d’homme qui doublait l’auteur en lui, et qui était pour le moins l’égal de l’auteur ? […] À une époque où la vie privée tend à devenir monstrueusement une vie publique et où la vanité de chacun fait crier le plus fort qu’il peut sa crécelle, Léon Gozlan, un des esprits les plus brillants du siècle, de la race en ligne droite et courte des Chamfort et des Rivarol, ne faisait nul tapage de ses facultés. […] Toutes exécutions qui plaisent à ce siècle, fou d’histrionisme et essentiellement comédien. […] Or, c’est aussi tout cela, qu’il n’a point, qui fait que Théophile Gautier, le poète émailleur et le descriptif à outrance, n’a pu jamais être romancier quoiqu’il l’ait voulu, tandis que Léon Gozlan est, comme je l’ai dit déjà, un des trois plus forts romanciers de ce siècle, qui est le siècle du roman. […] Il avait plus piraté dans les connaissances humaines et les livres qu’il n’y avait fait des acquisitions régulières et légitimes, et cela se voit suffisamment quand, par exemple, dans Les Martyrs inconnus, il change de siècle et dresse son roman dans l’histoire, et cela se voit encore dans La Sœur grise, où son ignorance catholique est presque honteuse, et semble donner raison à ceux qui ont prétendu un instant qu’il n’avait pas été baptisé.

246. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « en tête de quelque bulletin littéraire .  » pp. 525-535

Mais, au moment même où l’on adoucit la critique et où l’on essaye quelque éloge mitigé, ce mendiant si humble se relève et veut la gloire, — oui, la gloire, et la première, la suprême, pas la seconde, car il se croit in petto le génie de son siècle. […] » On continuerait encore longtemps sur ces difficultés et ces épines de la critique, mais nous nous en tiendrons là, d’autant que ce dernier point nous mène assez droit à la récente publication de M. de Balzac… Les talents poétiques et littéraires d’aujourd’hui (sans parler des autres, politiques et philosophiques), sont soumis à de redoutables épreuves qui furent épargnées aux beaux génies du siècle de Louis XIV, et il est bien juste de tenir compte, en nous jugeant, de ces difficultés singulières qu’on a à subir. […] Il est vrai qu’une littérature poétique a malaisément deux grands siècles. Or, nous avons le siècle de Louis XIV à dos, ce qui est toujours peu commode à l’audace : c’est là un lourd cavalier en croupe que nous portons. […] A défaut d’un grand siècle qui demande avant tout l’établissement, la gradation et l’harmonie dans l’ensemble, on est une fort belle chose secondaire, une spirituelle et chaude entreprise très-variée, très-mêlée, très-infatigable, un coup de main, au moins amusant, dans tous les sens.

247. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XI. De la littérature du Nord » pp. 256-269

Les Grecs, les Latins, les Italiens, les Espagnols et les Français du siècle de Louis XIV, appartiennent au genre de littérature que j’appellerai la littérature du Midi. […] Les Anglais et les Allemands excitent la terreur par d’autres superstitions plus analogues aux crédulités des derniers siècles. […] La perfection de quelques-unes de ces poésies prouve, sans doute, le génie de leurs auteurs ; mais il n’en est pas moins certain qu’en Italie les mêmes hommes n’auraient pas composé les mêmes écrits, quand ils auraient ressenti la même passion ; tant il est vrai que les ouvrages littéraires ayant le succès pour but, l’on y retrouve communément moins de traces du caractère personnel de l’écrivain, que de l’esprit général de sa nation et de son siècle. […] Les chants d’Ossian (Barde, qui vivait dans le quatrième siècle) étaient connus des Écossais et des hommes de lettres en Angleterre, avant que Macpherson les eût recueillis. […] Mallet ; et il suffira de lire la traduction de quelques odes du neuvième siècle qui y sont transcrites, celle du roi Régner-Lodbrog, de Harald-le-Vaillant, etc., pour se convaincre que ces poètes scandinaves chantaient les mêmes idées religieuses, se servaient des mêmes images guerrières, avaient le même culte pour les femmes que le barde d’Ossian, qui vivait près de cinq siècles avant eux.

248. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Abailard, et saint Bernard. » pp. 79-94

La délicatesse & la vérité de leurs pensées, l’enchantement de leur stile, la profondeur & la variété de leurs connoissances, cette attention continuelle à tourner l’érudition en agrément, tout en eux annonce l’aurore du bel esprit François, Mais, quoique supérieurs à leur siècle, ils ne laissoient pas d’y tenir encore par un grand amour de la dialectique, des subtilités & de toutes les disputes de l’école. […] Il étoit en possession de donner le ton à son siècle. […] La curiosité de voir les deux hommes les plus célèbres de leur siècle en venir aux mains, étoit extrême. […] Cet oracle de son siècle, aussi malheureux en écrits qu’en amour, fut au désespoir d’être jugé, sans qu’auparavant on l’eût entendu. […] Cette réconciliation fut aussi sincère qu’elle peut l’être entre deux beaux-esprits rivaux, & faits pour s’attirer les regards de leur siècle & de la postérité.

249. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Laïs de Corinthe et Ninon de Lenclos » pp. 123-135

« Ôtez le père, — a dit suprêmement bien un moraliste religieux, — nous autres hommes, nous sommes tous des jeunes gens. » Il faut, en effet, tout le trouble de la jeunesse, pour ne pas s’apercevoir de l’immense bêtise qu’il y a au fond de ces empires qui ont des flatteurs et des poètes à des siècles de distance. […] Nous savons donc ce qu’intellectuellement était Ninon, et, si nous la désenveloppons des adorations de son siècle, nous ne voyons rien dans cette femme qui justifie le bruit qu’elle a fait. […] Ce succès inouï qui dura près de cent ans, car Ninon régna plus longtemps que Louis XIV, est, selon moi, la plus terrible accusation que l’on puisse porter contre le grand siècle. […] Et le siècle de Louis XIV, du grand Condé, de Bossuet, s’est incliné devant elle. […] Mais que mademoiselle de Lenclos ait été honorée dans son infamie par le siècle même de l’honneur, que cette déesse Raison, qui précéda les autres déesses de ce nom et de ces mœurs, soit allée de pair avec les plus illustres dames de la cour de la Convenance, que la prude madame de Sévigné en ait rêvé, que la comtesse de Sandwich l’ait recherchée, que la reine Christine ait voulu l’emmener à Rome comme son amie, que madame de Maintenon ait été liée avec elle, que Louis XIV ait eu la pensée de se la faire présenter, c’est là un de ces spectacles qui font croire à l’enivrement de tout le monde, mais le philtre qui a produit cette ivresse, ce n’est pas Ninon qui l’avait versé !

250. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Francis Lacombe »

Elle a été posée et résolue à toutes les phases des sociétés, et si un tel fait a été méconnu, si l’on n’a pas tenu le compte qu’on devait des solutions sur lesquelles l’humanité a vécu, pendant des siècles, heureuse et puissante, la faute en est à ce mépris que des économistes ignorants ont toujours montré pour l’histoire, — pour l’histoire qui le leur rendra bien ! […] Il ne ressuscite pas cette science vaine du xviiie  siècle, en tout le siècle du néant. […] Parce que cette organisation appartenait au Moyen Âge, à une époque couchée dans la tombe, il n’a pas cru qu’elle en partageât la poussière ; il ne l’a pas cru finie, épuisée, impossible ; car une institution fondée sur la nature des choses doit échapper à la destinée de ces institutions ambulatoires que les siècles emportent avec eux. […] Quelle raison empêcherait ici de se servir de l’expérience des siècles, puisqu’un seul entre tous, le xixe cherche sans la trouver une organisation du travail ? […] Qu’on le sache et qu’on le nie, avec l’hypocrisie des partis qui ont leur chemin à faire et qui veulent tourner pacifiquement les résistances, ou qu’on l’avoue, au contraire, avec cette foi exaltée aux idées fausses qui a ses racines dans l’orgueil, de tels systèmes, si on les acceptait comme on les donne, ne seraient pas seulement avec le passé une rupture haineuse et profonde, ils mèneraient droit à l’effacement radical de tout ce qui a produit pendant dix-huit siècles la gloire, la force et les vertus de la société européenne.

251. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Chastel, Doisy, Mézières »

Chastel, Doisy, Mézières Études historiques sur l’influence de la Charité durant les premiers siècles chrétiens et considérations sur son rôle dans les sociétés modernes, par Étienne Chastel, professeur à Genève ; Assistance comparée dans l’ère païenne et l’ère chrétienne, par Martin Doisy ; L’Économie ou Remède au paupérisme, par L.  […] Pleine d’admiration pour les premiers siècles de l’Église qui furent si grands, pour cette période de l’histoire, la Genèse d’un nouvel univers moral dressée devant les yeux humiliés de l’Économie politique, comme ce bouclier de diamants qu’Ubald, dans le Tasse, présente à Renaud pour qu’il y mire son impuissance et sa honte, l’Académie n’a pas su conclure nettement dans le sens de cette admiration franche et souveraine, et ce n’est pas le livre véritablement chrétien, imbibé de ce catholicisme qui est le sang pur de la vérité chrétienne qu’elle a couronné, mais des livres infectés plus ou moins de ce protestantisme qui est le commencement de la philosophie, comme, dans un autre ordre, la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse. […] Son livre, qu’il intitule : Études historiques sur l’influence de la Charité durant les premiers siècles chrétiens, est toujours, au point de vue des faits et très souvent à celui des appréciations, un travail remarquable de science, de calme et d’horizon. […] Après avoir tracé, d’une plume simple et qui touche, l’histoire des premiers siècles de l’Église, que le protestantisme appelle son origine comme nous, sans songer à sa grande rupture, E.  […] Avoir un pied dans toutes les pantoufles était la politique d’un ministre du siècle dernier.

252. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre V. Autres preuves tirées des caractères propres aux aristocraties héroïques. — Garde des limites, des ordres politiques, des lois » pp. 321-333

Nous avons les plus fortes raisons de douter que dans les premiers siècles de Rome, les filles succédassent. […] Tant ces patriciens, des premiers siècles, étaient passionnés pour la gloire de leur nom ; passion qui les enflammait encore pour la gloire du nom romain ! […] Mais on a vu combien la jurisprudence héroïque s’attachait à la propriété des termes ; et si l’on doutait que suus ne désignât pas exclusivement le fils de famille, on en trouverait une preuve invincible dans la formule de l’institution des posthumes, introduite tant de siècles après par Gallus Aquilius : si quis natus natave erit . […] Cet état dura un siècle encore après la loi des douze tables, au rapport du jurisconsulte Pomponius. […] Toutefois dans cette confusion, ils rencontrent par hasard une vérité, c’est que plusieurs coutumes anciennes des Romains reçurent le caractère de lois dans les deux dernières tables ; ce qui montre bien que Rome fut dans les premiers siècles une aristocratie.

253. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mort de sir Walter Scott »

La longue agonie sans espérance qui, depuis plusieurs mois, assiégeait l’une des plus glorieuses et des plus brillantes existences du siècle, vient enfin de se terminer ; Walter Scott est mort, vendredi dernier, à sa terre d’Abbotsford. […] En Allemagne, Goethe meurt le dernier de son siècle, après avoir vu passer presque tous les poètes nés avec lui ou de lui ; une ère différente, une ère de politique et de pratique sociale s’inaugure, et elle cherche encore ses hommes. […] Écrivain, poëte, conteur avant tout, il a obéi, dans le cours de sa longue et laborieuse carrière, à une vocation facile, féconde, indépendante des questions flagrantes, étrangère aux luttes du présent, amoureuse des siècles passés, dont il fréquentait les ruines, dont il évoquait les ombres, y recherchant toute tradition pour la raviver et la rajeunir. […] Dans cette première partie de sa vie littéraire, Scott ne fit pourtant que continuer et soutenir avec éclat le mouvement imprimé à la poésie anglaise à la fin du siècle par Beattie, Gowper, les ballades de Percy.

254. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Heredia, José Maria de (1842-1905) »

C’est, on le voit, une sorte de Légende des siècles en sonnets. […] Lucien Muhlfeld Un des livres du siècle (Les Trophées) est éclos, ce m’est l’escompte d’une joie historique de m’en sentir contemporain. Comme nous, nous disons : « 1857, l’année de Bovary, des Fleurs du mal, des Poésies barbares, de Fanny », on dira seulement, mais c’est quelque chose : « 1893, l’année des Trophées », et dans un tiers de siècle, j’espère, les nouveaux me permettront de mentir un peu sur ce 1893 et sur cette apparition des Trophées, avec la grâce délicate que les jeunes gens ont tant raison de garder au bon chroniqueur devenu mûr et qui se souvient tout haut. […] José-Maria de Heredia, savant comme Ovide, en d’éclatants sonnets nous a donné l’émotion des siècles disparus.

255. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Orientales » (1829) — Préface de l’édition originale »

Qu’il croie en Dieu ou aux dieux, à Pluton ou à Satan, à Canidie ou à Morgane, ou à rien, qu’il acquitte le péage du Styx, qu’il soit du sabbat ; qu’il écrive en prose ou en vers, qu’il sculpte en marbre ou coule en bronze ; qu’il prenne pied dans tel siècle ou dans tel climat ; qu’il soit du midi, du nord, de l’occident, de l’orient ; qu’il soit antique ou moderne ; que sa muse soit une muse ou une fée, qu’elle se drape de la colocasia ou s’ajuste la cotte hardie. […] Au siècle de Louis XIV on était helléniste, maintenant on est orientaliste. […] il lui semble que jusqu’ici on a beaucoup trop vu l’époque moderne dans le siècle de Louis XIV, et l’antiquité dans Rome et la Grèce ; ne verrait-on pas de plus haut et plus loin, en étudiant l’ère moderne dans le moyen-âge et l’antiquité dans l’Orient ? […] Il faut se rappeler que c’est elle qui a produit le seul colosse que ce siècle puisse mettre en regard de Bonaparte, si toutefois Bonaparte peut avoir un pendant ; cet homme de génie, turc et tartare à la vérité, cet Ali-pacha, qui est à Napoléon ce que le tigre est au lion, le vautour à l’aigle.

256. (1895) Hommes et livres

Ce qui était possible il y a deux siècles n’est plus possible aujourd’hui. […] Il y a à chaque moment un esprit général « qui est l’effet d’une chaîne de causes infinies, qui se multiplient et se combinent de siècle en siècle ». […] Il a lu avec courage, il analyse minutieusement le répertoire comique du siècle. […] Lenient, en commençant par eux, a pris un point de départ excellent : rien ne saurait mieux montrer que ces trois auteurs ce que le siècle finissant transmet au nouveau siècle. […] Almaviva est dans vingt comédies du siècle.

257. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

C’était cependant une idée heureuse que de mettre un quart de siècle entre soi et un homme pour le louer, quoiqu’il faille souvent davantage pour donner à la pensée le sang-froid nécessaire à la justice. […] Véritable Josaphat de cercueils, onze siècles de monarchie catholique se levèrent de leurs sépulcres et dirent à la Réforme les mots de Dieu aux flots de la mer : « Tu n’iras pas plus loin !  […] Il est chaud, coloré, cherchant incessamment l’effet pittoresque, la jeune manie d’un siècle de vingt-neuf ans, qui est resté le vétéran de toutes les manies de sa jeunesse. […] Il a regardé aussi, — et trop longtemps, — et avec trop d’ivresse, — dans ce siècle que Léon X a nommé de son nom. […] … Du reste, malgré ces fléchissements de la raison d’Audin, quand il s’agit de la gloire d’un siècle qui a dupé l’Histoire elle-même, — car l’Histoire dit « le siècle de Léon X » et elle l’a placé entre celui de Périclès et celui de Louis XIV, — ce livre rentre, par des côtés nouveaux et courageux, dans l’ensemble des travaux accomplis par Audin contre les idées et les thèses du Protestantisme.

258. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

Ses motifs, mal connus il y a dix-huit siècles, ne seront guère devinés aujourd’hui. […] Admiré tant que dura l’empire, Virgile fut, dans les siècles les plus barbares, toujours connu, toujours cité. […] Il anima les poètes du siècle de Léon X. […] La réputation de Shakspeare a surtout grandi dans les deux siècles qui suivirent sa mort, et dans la moitié, bientôt parcourue, du siècle présent. […] Mais, dans son siècle même, sa perte avait été vivement ressentie, et honorée des plus éloquents regrets.

259. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Je n’approuve pas, monsieur, que le poète s’isole et se désintéresse de son siècle. […] Notre siècle est curieux avec délices. Sa gloire et sa joie, c’est de comprendre et de ressusciter l’âme des générations éteintes, et sa plus grande originalité consiste à pénétrer dans l’âme des autres siècles. […] Ce que j’ai envie de dire pourra paraître un éloge démesuré : car le public n’a pas l’air de se douter, vraiment, que notre siècle finissant a de grands poètes. […] Ces poèmes sont dignes du siècle de l’histoire.

260. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

On remarque dans le siècle de Louis XIV autant de mauvais goût que dans le nôtre ; la différence est qu’il n’a pas prévalu. […] Dans le grand siècle du goût, est-ce qu’on ne savait pas discerner l’excellent de ce qu’il y a de pire ? […] Le siècle de la déclaration et du pathos n’était point encore arrivé. […] Il n’y avait donc pas de goût, disent-ils, dans ce siècle de Louis XIV si prôné ! […] il y a même lieu de s’étonner qu’il se soit conservé pendant plus d’un siècle au théâtre.

261. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Il est vraiment un enfant de cette partie du siècle. […] Dans le XVIII e siècle même, M.  […] Elle a été instituée pour tous les siècles. […] « La science du siècle ! […] Elle doit se mêler au siècle.

262. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

. — Les lettres de Mme de Créqui — Ses jugements sur les auteurs ; excès dans la justesse, — De l’atticisme en France et de ses variations depuis deux siècles, — De la bonne compagnie qui ne meurt pas. […] Ne vous étonnez pas de son extase vis-à-vis du siècle : il lui doit tout… Se peut-il un croquis plus net, un médaillon mieux frappé ? […] Cela est vrai des deux derniers siècles, et depuis Mme Cornuel jusqu’à Mme de Créqui. […] Voltaire, dès le premier jour, para au danger pour lui et pour les autres ; il rompit avec le concerté ; il donna l’exemple d’une source rapide et vive de naturel, circulant à travers le siècle. […] Cependant une grave complication était survenue au milieu du siècle.

263. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

La chose n’est pas commune en ce siècle. […] Dans ses lettres, dans ses dissertations, il a offert à son siècle, enveloppés d’éloquence, les lieux communs qu’il avait, au cours de ses lectures, rencontrés dans les historiens, les orateurs, les poètes, les Pères de l’Église. […] Une des préoccupations des humanistes, au siècle précédent, avait été d’étudier la structure des œuvres antiques ; et l’on en avait réduit la beauté en formules, en recettes, en règles. […] Plus large encore est la portée du Discours de la méthode ; ici, Descartes ne représente plus sa génération : il représente son siècle, à certains égards même les temps modernes. […] Voilà comment les premiers résultats de la méthode cartésienne en cachèrent la dangereuse essence, qui n’apparut qu’au bout du siècle.

264. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « J.-J. Weiss  »

Weiss a tout ce qu’on voudra : l’esprit, la sagacité, la profondeur ; mais, par-dessus tout le reste, il a « l’humeur » au sens où on l’entendait au siècle dernier. […] Weiss, Perrault est « l’un des beaux génies de son siècle ». […] Et quels massacres des opinions enseignées et convenues   Voilà deux siècles qu’on célèbre Tartufe comme le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre. « N’était le parti pris d’école et presque de faction, écrit M.  […] Il découvre dans Polyeucte « tous les types et tous les phénomènes qui ont dû se produire durant les deux premiers siècles au cours de la révolution chrétienne ». […] Depuis, nous sommes revenus à une grossièreté de sens moral qui rappelle le XVIIe siècle et même la vieillesse de ce siècle, plus brutal et plus cru avec Dancourt, Le Sage et même Regnard, qu’il ne l’avait été en sa verdeur avec Molière et La Fontaine.

265. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre II. Marche progressive de l’esprit humain » pp. 41-66

Il ne nous a pas été donné des ailes de feu pour nous élever à une telle hauteur, et pour planer ainsi sur les générations et sur les siècles. […] Oui, j’en suis convaincu, et ma conviction repose sur l’autorité des siècles ; oui, chaque peuple a sa mission. […] Ainsi les oracles des sibylles annonçaient un siècle nouveau ; et cette grande prophétie, née du besoin des peuples, inspirait à Virgile de beaux vers dont lui-même ignorait le sens profond. […] Ces tristes allusions, auxquelles un esprit si élevé daigna trop souvent descendre, font gémir sur lui et sur le siècle qui l’encouragea par ses applaudissements. […] Une telle épithète renferme un vaste sens : elle signifie non seulement chef d’un peuple, mais encore père du siècle futur, fondateur d’une société humaine, souche d’une race destinée à régner.

266. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Maintenon » pp. 27-40

Les idées et les sentiments de ce siècle, si splendidement civilisé, se réfléchissaient et se raffinaient en ces jeunes personnes chez qui l’éducation s’ajoutait à la race, de même que les choses les plus grandes qui nous environnent peuvent se réfléchir dans une des facettes de la pierre précieuse qu’on porte au doigt, tout en s’y opalisant des propres couleurs de la pierre. Assurément, aux yeux de qui sait discerner et sait conclure, l’histoire de la maison de Saint-Cyr, du temps de Louis XIV et de madame de Maintenon, telle que Lavallée nous la raconte, est une vue, prise par un côté nouveau, sur l’esprit et les mœurs du grand siècle, saisis, comme au plus frais et au plus pur de leur source, dans l’âme des jeunes filles qui y étaient élevées et dans l’éducation qu’on leur donnait. […] — car on les trouve pêle-mêle dans les Mémoires du temps, léchés par la flamme de la Passion ou gravés sous les acides du Vice ; — mais, au contraire, la femme qui fait les mœurs et dont rien ne reste quand les mœurs d’un siècle ne sont plus : la femme générale, le type de toutes les autres femmes à une certaine hauteur de société. […] La haine et la jalousie des âmes basses que souleva l’immense Fortune qui s’abattit sur elle, comme un aigle, et qui l’enleva dans ses serres d’or à toutes les misères de la vie ; cette haine et cette jalousie semblent, après plus d’un siècle, fouler sa tombe et charger sa mémoire. […] Madame de Staël disait : « Ceux qui se ressemblent se devinent. » Aussi, pour que la gloire jaillisse bien, et dans toute sa force, du visage que l’historien a pour devoir d’éclairer, il faut, entre le peintre et le modèle, des pentes de nature, des analogies de tempérament au moins intellectuel, et de telles rencontres de génie ne se répètent pas à tous les siècles.

267. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Gérard Du Boulan »

Alceste — ce type transparent et beau comme le jour — serait un Sphinx incompris et même inaperçu jusqu’ici, qui nous proposerait depuis deux siècles une énigme sans solution du fond de sa tranquille et magnifique clarté ? […] Le xviie  siècle — je le disais à propos du Cardinal de Retz de Chantelauze — a mal commencé, et ce n’est que tard qu’il est devenu, sous l’influence et l’ascendant de Louis XIV, plus grand que lui, le grand siècle, qu’on a trop vite nommé. […] Pour l’auteur de l’Énigme d’Alceste, ce n’est pas Louis XIV qui a changé, élevé et ennobli son siècle. […] Car ce qu’on préfère à tout, c’est la babiole du siècle. On ne regarde que la babiole du siècle, au lieu de voir l’âme immortelle !

268. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Ronsard »

nous n’ignorions pas que Ronsard avait, dans la trentième année de ce siècle, brisé avec assez d’éclat la pierre trop oubliée de son sépulcre, mais nous ne l’avions pas vu sorti tout entier de son tombeau. Quelques fragments de ce grand poète, qui est à la langue poétique moderne ce que Rabelais est à la langue de la prose, avaient suffi, en 1830, pour que la vie — la vraie vie — apparût dans ce qu’on croyait la mort, et pour que le génie de la poésie française, révolté enfin des compressions et des mutilations qu’il avait lâchement endurées depuis près de trois siècles, se reconnût, avec orgueil et acclamation, dans Ronsard. […] Mais tous, tous, tant qu’ils aient été et quoi qu’ils soient, ont été plus ou moins trempés dans ce cuvier de couleur vermeille qui est la couleur de la vie et de la poésie de Ronsard, et dont ceux-ci sont ressortis écarlates, ceux-là pourprés ou seulement roses, mais tous érubescents, tous teints de cette ardente couleur de la vie que les xviie et xviiie  siècles, voués à l’incolore, avaient effacé partout et fini par ne connaître plus ! […] C’est celle-là, qui n’est même ressuscitée que parce qu’elle était immortellement humaine ; que parce que nous étions las et dégoûtés des veines saignées à blanc, des cadavres exsangues et des poussières faites par les xviie et xviiie  siècles ; que parce que nous avions soif de la vie, et que nous l’avons reconnue, la vie, au premier soupir qu’elle a poussé et à la première pierre qu’on a dérangée à ce vieux tombeau de Ronsard ! […] Poétiquement, il domina tout son siècle, qui ne parlait pas une langue plus avancée que la sienne.

269. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Mais ce siècle voit naître un certain nombre d’écrits que rien ne distingue de la langue générale, et qui sont signés sans être personnels. […] Ainsi, à près de quatre siècles de l’époque où cette ébauche de langue sera la plus grande langue du monde moderne une partie déjà en est mûre, et restera. […] De grands événements remplissent ce siècle. […] il décrit leurs mœurs ; qui sont les mêmes aujourd’hui qu’il y a cinq siècles. […] Mais l’Italie touchait à son grand siècle littéraire, et Villani avait une patrie grande et glorieuse, Florence, où toutes les vicissitudes civiles et politiques avaient été déjà épuisées.

270. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Comme ce siècle corrompu est en même temps éclairé, ces philosophes en concluent que la corruption est l’effet et la suite du progrès des connaissances. S’ils eussent vécu dans les siècles que nous appelons barbares, ils eussent alors regardé l’ignorance comme l’ennemie de la vertu : le sage qui voit de sang-froid tous les siècles et même le sien, pense que les hommes y sont à peu près semblables. […] En Angleterre, on se contentait que Newton fût le plus grand génie de son siècle ; en France, on aurait aussi voulu qu’il fût aimable. […] Il y a bien de l’apparence que ce sont des circonstances pareilles qui ont corrompu sans retour la langue du siècle d’Auguste. […] En fait de talents et de génie, la nature se plaît, pour ainsi dire, à ouvrir de temps en temps des mines qu’elle referme ensuite absolument et pour plusieurs siècles.

271. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

C’est comme un contemporain retardé par accident, venu un siècle après, et qui va compenser par surcroît d’efforts le temps perdu ; c’est un serviteur posthume de cette gloire dans laquelle, comme au premier jour, il va tout replacer. […] Dans un siècle qui remuait toutes les théories, qui agitait tous les problèmes, il ne prit aucune part effective, aucun intérêt véritablement intelligent. […] Ses tentatives au théâtre, où il débuta en 1740 par Édouard III, où il récidiva en 1745 par Sidnei, deux pièces assez équivoques de genre comme de talent, se couronnèrent en 1747 par le succès brillant et imprévu du Méchant, l’une des meilleures comédies d’un siècle qui n’en a pas eu de grande avant Figaro. […] Le siècle dans l’intervalle avait changé ; les grandes œuvres philosophiques s’étaient produites, et la mode elle-même tournait au sérieux. […] Il ne me reste rien à dire de Gresset, sinon qu’il mourut de mort subite en juin 1777, universellement regretté malgré sa longue éclipse, et pardonné aisément d’un siècle qui avait deux fois reçu de lui un régal excellent. — Pour moi, en tout ceci, à l’occasion du livre de M. de Cayrol, je n’ai guère fait que commenter et développer, en l’adoucissant convenablement, l’opinion qu’avait exprimée Voltaire avec un bon sens malin et intéressé, je l’avoue, mais d’autant mieux aiguisé.

272. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — II »

Dans un siècle où la dévotion était de mise, au moins dans les manières, elle n’en a que l’indispensable ; son esprit purement ambitieux et humain croit à la vertu de M. de Vendôme bien plus qu’à celle d’une oraison, et juge les débats théologiques avec une supériorité tout à fait mondaine. […] Quant au mérite littéraire de sa correspondance et de celle de madame des Ursins, il est tel qu’on peut l’attendre de deux femmes de cet esprit, nourries au milieu des délicatesses d’un si beau siècle. […] La prétention n’en approche jamais ; on n’y rencontre même rien de cette précision utile, mais étroite, qu’ont introduite les analyses des philosophes et des moralistes du siècle dernier. […] Avant de s’ajuster exactement aux différentes espèces d’idées, le langage est jeté à l’entour avec une ampleur qui lui donne l’aisance et la grâce ; mais quand le siècle d’analyse a passé sur la langue et l’a travaillée à son usage, on ne peut plus qu’admirer et regretter ce charme à jamais évanoui du grand âge littéraire ; on essayerait en vain d’y revenir à force d’art ; et la critique, qui sent tout ce qu’il a d’exquis, est dans l’impuissance de le définir sans l’altérer.

273. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Réception à l’Académie Française »

Tout étranger à la littérature active et militante que soit toujours resté M. de Lamartine, quelque réelles et profondes que paissent déjà paraître aujourd’hui les différences qui le séparent des générations poétiques plus jeunes et plus aventureuses, il ne demeure pas moins incontestable qu’il est avec M. de Chateaubriand, et le second par la renommée et par l’âge, à la tête de cette révolution dans l’art qui s’est ouverte avec le siècle. […] Mais, si toutes les conséquences de l’art nouveau ne sont pas tirées, s’il reste encore des applications possibles au gré des génies inventeurs, si, parmi les idées en jeu dans la société, il en est quelqu’une, noble et féconde, qui attende encore son organe éclatant et son expression éternelle, rien ne s’arrête ; la révolution que les uns ont entamée se consomme par d’autres, et le siècle accomplit jusqu’au bout sa destinée de gloire. Tel sera notre siècle, nous osons l’espérer. […] Mais c’est quand M. de Lamartine, au terme de son discours, est venu à jeter un regard en arrière et autour de lui, quand il a porté sur le xviiie  siècle un jugement impartial et sévère, quand il s’est félicité de la régénération religieuse, politique et poétique de nos jours, qu’il appelle encore une époque de transition, et qu’il s’est écrié prophétiquement : « Heureux ceux qui viennent après nous ; car le siècle sera beau » ; — c’est alors que l’émotion et l’enthousiasme ont redoublé : « Le fleuve a franchi sa cataracte, a-t-il dit ; plus profond et plus large, il poursuit désormais son cours dans un lit tracé ; et, s’il est troublé encore, ce ne peut être que de son propre limon. » Puis il a insinué à l’Académie de ne pas se roidir contre ce mouvement du dehors, d’ouvrir la porte à toutes les illustrations véritables, sans acception de système, et de ne laisser aucun génie sur le seuil.

274. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre III. Buffon »

Sa dignité, en un siècle de laisser aller et de débraillé, avait sa source dans l’élévation naturelle de son âme ; il n’affectait rien ; et nous devons nous défier de la légende qui s’est attachée à son nom. […] Faguet fait justement observer que Buffon est, avec Rousseau, le plus grand poète du siècle. […] Et cependant, cet homme qui voyait d’une si puissante imagination les transformations anciennes de l’univers, retombait étrangement dans les idées et dans les regards de son siècle, quand il regardait l’état actuel de la nature. […] Peut-être est-il mieux qu’il ait été ainsi : autre, son siècle l’eût moins goûté.

275. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « George Sand. »

Car, à mesure que ce siècle s’achemine tristement vers sa fin, je me sens plus d’amour pour les génies amples, magnifiques et féconds qui en ont illustré les cinquante premières années. […] Mais ne trouvez-vous pas qu’en tenant compte de la différence des temps il s’est passé dans notre siècle quelque chose d’assez semblable ? […] Elle est peut-être, avec Lamartine et Michelet, l’âme qui a le plus largement réfléchi et exprimé les rêves, les pensées, les espérances et les amours de la première moitié du siècle. […] Elle suivait la nature, comme on disait au siècle dernier, et sa faculté d’idéalisation lui fournissait des raisons de la suivre souvent.

276. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VIII »

Cet aveu ne nous coûte rien : nous avons permis à l’industrie, au commerce, à la politique, à la marine, à toutes les activités nouvelles ou renouvelées en ce siècle, d’adopter un vocabulaire où l’anglais, s’il ne domine pas encore, tend à prendre au moins la moitié de la place. […] Tarif était, encore au siècle dernier, un terme spécial de douane. […] Ces mots auraient donné au français d’il y a deux siècles Noute et chacot. […] Une dame Autrice, se trouve dans une pièce du Mercure de juin 1726. » Dictionnaire néologique a l’usage des Beaux Esprits du siècle (1727), par l’abbé Desfontaines.

277. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — De la langue Latine. » pp. 147-158

A la tête des confédérés étoit le fameux Erasme, le plus bel-esprit de son siècle, un des restaurateurs des lettres, l’ennemi irréconciliable de l’absurde jargon de l’école, & le père de la vraie philosophie. […] Dès sa tendre enfance, Erasme s’étoit familiarisé avec tous les bons écrivains du siècle d’Auguste ; il avoit appris par cœur Térence & Horace. […] L’homme de son siècle qui écrivoit le mieux en Latin est accusé de ne se pas connoître en stile. […] On voit, par les ouvrages des plus grands Latinistes du siècle passé, que ce stile a toujours été le plus en recommandation.

278. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence du barreau. » pp. 193-204

C’est pourtant cet enthousiasme, ces ornemens, cette sublimité de pensées, ce faste d’expression, tous ces ressorts puissans dont Démosthène & Cicéron firent usage, que nos avocats ont cru, pendant plus de quatorze siècles, devoir imiter. […] Guéret s’éleva fortement contre ce goût de son siècle, ou plutôt contre l’abus le plus grand qu’il pût y avoir au barreau & le plus difficile à déraciner. […] L’époque décidée de la révolution importante arrivée au barreau n’est fixée qu’à notre siècle : il n’a été donné qu’à lui de voir créer, en un sens, cette éloquence. […] Les discours de l’illustre d’Aguesseau annoncent un orateur formé sur les meilleurs modèles & un génie du siècle passé.

279. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre II. Des Orateurs. — Les Pères de l’Église. »

Il est fleuri, doux, abondant, et à quelques défauts près qui tiennent à son siècle, ses ouvrages offrent une lecture aussi agréable qu’instructive ; pour s’en convaincre, il suffit de parcourir le Traité de la Virginité 184 et l’Éloge des Patriarches. […] Il tourne son âme inquiète vers le Ciel : quelque chose lui dit que c’est là qu’habite cette souveraine beauté après laquelle il soupire : Dieu lui parle tout bas, et cet homme du siècle, que le siècle n’avait pu satisfaire, trouve enfin le repos et la plénitude de ses désirs dans le sein de la religion. […] Comment un moine, renfermé dans son cloître, a-t-il trouvé cette mesure d’expression, a-t-il acquis cette fine connaissance de l’homme, au milieu d’un siècle où les passions étaient grossières, et le goût plus grossier encore ?

280. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre III. Des éloges chez tous les premiers peuples. »

Mous verrons la même coutume chez les premiers Romains ; enfin, chez tous les peuples celtiques, la même institution régna plusieurs siècles. […] Ils leur inspiraient un enthousiasme de valeur, qui, plusieurs siècles de suite, leur servit de barrière contre les tyrans. […] On y trouve une imagination plus forte qu’étendue, peu d’art, peu de liaison, nulle idée générale, nul de ces sentiments qui tiennent au progrès de l’esprit, et qui sont les résultats d’une âme exercée et d’une réflexion fine ; mais il y règne d’autres beautés, le fanatisme de la valeur, une âme nourrie de toutes les grandes images de la nature, une espèce de grandeur sauvage, semblable à celle des forêts et des montagnes qu’habitaient ces peuples, et surtout une teinte de mélancolie, tour à tour profonde et douce, telle que devaient l’avoir des hommes qui menaient souvent une vie solitaire et errante, et qui, ayant une âme plus susceptible de sentiment que d’analyse, conversaient avec la nature aux bords des lacs, sur les mers et dans les bois, attachant des idées superstitieuses aux tempêtes et au bruit des vents, trouvant tout inculte et ne polissant rien, peu attachés à la vie, bravant la mort, occupés des siècles qui s’étaient écoulés avant eux, et croyant voir sans cesse les images de leurs ancêtres, ou dans les nuages qu’ils contemplaient, ou dans les pierres grises qui, au milieu des bruyères, marquaient les tombeaux, et sur lesquelles le chasseur fatigué se reposait souvent. […] Un pareil trait nous donne l’idée d’un siècle et des barbares au milieu desquels la nature avait jeté un grand homme4.

281. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XV. De Tacite. D’un éloge qu’il prononça étant consul ; de son éloge historique d’Agricola. »

qui est descendu plus avant dans les profondeurs de la politique ; a mieux tiré de grands résultats des plus petits événements ; a mieux fait à chaque ligne, dans l’histoire d’un homme, l’histoire de l’esprit humain et de tous les siècles ; a mieux surpris la bassesse qui se cache et s’enveloppe ; a mieux démêlé tous les genres de crainte, tous les genres de courage, tous les secrets des passions, tous les motifs des discours, tous les contrastes entre les sentiments et les actions, tous les mouvements que l’âme se dissimule ; a mieux tracé le mélange bizarre des vertus et des vices, l’assemblage des qualités différentes et quelquefois contraires ; la férocité froide et sombre dans Tibère, la férocité ardente dans Caligula, la férocité imbécile dans Claude, la férocité sans frein comme sans honte dans Néron, la férocité hypocrite et timide dans Domitien, les crimes de la domination et ceux de l’esclavage, la fierté qui sert d’un côté pour commander de l’autre, la corruption tranquille et lente, et la corruption impétueuse et hardie, le caractère et l’esprit des révolutions, les vues opposées des chefs, l’instinct féroce et avide du soldat, l’instinct tumultueux et faible de la multitude, et dans Rome la stupidité d’un grand peuple à qui le vaincu, le vainqueur, sont également indifférents, et qui sans choix, sans regret, sans désir, assis aux spectacles, attend froidement qu’on lui annonce son maître ; prêt à battre des mains au hasard à celui qui viendra, et qu’il aurait foulé aux pieds si un autre eût vaincu ? […] Sa pompe funèbre, ajoute-t-il, a honoré le prince, son siècle, Rome et la tribune romaine ; et il n’a rien manqué au bonheur de sa vie, car il a été loué après sa mort par le plus éloquent des hommes43. » Un tel éloge, prononcé par Tacite, devait être intéressant ; mais nous ne l’avons plus : heureusement il nous reste de lui le chef-d’œuvre et le modèle de tous les éloges historiques, c’est sa vie d’Agricola. Le début, qui est d’une grande beauté, est d’une éloquence tout à la fois simple et forte ; il y parle de l’ancien usage de célébrer les grands hommes, de l’indifférence de son siècle pour ceux qui l’honorent, du danger de louer la vertu sous les tyrans, des effets de l’oppression, qui fait mourir les arts en étouffant le génie. « Le dernier siècle, dit-il, a vu ce qu’il y avait d’extrême dans la liberté, le nôtre a vu ce qu’il y a d’extrême dans l’esclavage.

282. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Le temps de la justice et de l’apothéose est venu pour Cicéron, le temps de l’impartialité n’est pas venu et ne viendra pas de plusieurs siècles encore pour Voltaire. […] Il présenta le jeune Voltaire chez la vieille et célèbre Ninon de Lenclos, reste de beauté, de vice et d’esprit qu’un siècle transmettait à l’autre comme un scandaleux héritage. […] Aujourd’hui ce poëme est rentré dans la foule de ces œuvres de circonstance qu’un siècle emporte avec lui comme un monument de ses engouements plus que de ses immortalités. […] C’était le fantôme d’un autre siècle reparaissant hors de saison parmi les vivants. […] Jamais aucune royauté n’avait été si incontestée et si adulée que cette royauté du génie multiple, en France, au moment où cet astre de l’esprit humain allait disparaître sous l’horizon de la fin d’un siècle.

283. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

On dit « le siècle de Voltaire », qui avait dit « le siècle de Louis XIV ». […] Rien en littérature, durant tout un siècle ! […] — c’est le siècle des historiens, de Thierry et de Michelet. […] Ils manquent d’un recul dans les siècles, de la patine du temps. […] L’œuvre de Pascal proteste à la fois contre les hontes véritables du siècle qui allait naître et contre les fausses splendeurs du siècle qui allait mourir.

284. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

Aujourd’hui, les mêmes passions qu’il y a vingt siècles agitent le monde ; les mêmes désirs, les mêmes craintes mènent les hommes, et les mêmes formes et qualités des choses font les mêmes impressions sur nos sens. […] Ainsi se termine le mouvement qui avait commencé avec Ronsard, et cette idolâtrie de l’antiquité, qui avait corrompu notre poésie au siècle précédent, achève de se transformer chez Boileau en un principe rationnel. […] Ce caractère est sensible dans la poésie de Racine, et dans toute la littérature du siècle. […] On s’est avisé parfois de croire que Boileau enfermait la littérature dans l’éternelle redite des mêmes lieux communs ; et c’est bien ainsi que les classiques dégénérés du dernier siècle ont interprété sa théorie par leur pratique. […] Les passions générales ne vivent que dans des formes particulières, déterminées à chaque siècle et en chaque homme par un concours unique de causes.

285. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Voilà un fait qui dure depuis trois ou quatre siècles, et qui peut durer longtemps encore. […] Aussi voyons-nous que jamais cris plus redoutables n’ont été poussés en faveur de l’égalité que dans ce siècle, qui est celui où les hommes ont été le plus égaux. […] Les siècles où on l’a le plus cultivée sont en général ceux où les hommes ont été le plus attirés hors et au-dessus d’eux-mêmes. […] Ce serait une triste chute pour l’humanité, et sans compensation, si, en passant des siècles aristocratiques aux siècles démocratiques, il fallait renoncer à voir dans la vertu autre chose qu’un égoïsme éclairé. […] Homme des anciennes races, il se mêlait de trouver à redire à l’idole du siècle.

286. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre I. Origine des privilèges. »

Au commencement, pendant les quatre premiers siècles, il avait fait la religion et l’Église : pesons ces deux mots pour en sentir tout le poids. […] Il va au-devant des barbares, ou les gagne aussitôt après leur entrée ; service énorme ; jugeons-en par un seul fait : dans la Grande-Bretagne, devenue latine comme la Gaule, mais dont les conquérants demeurèrent païens pendant un siècle et demi, arts, industries, société, langue, tout fut détruit ; d’un peuple entier massacré ou fugitif, il ne resta que des esclaves ; encore faut-il deviner leurs traces ; réduits à l’état de bêtes de somme, ils disparaissent de l’histoire. […] Pendant plus de douze siècles, le clergé en a nourri les hommes et, par la grandeur de sa récompense, on peut estimer la profondeur de leur gratitude : Ses papes ont été pendant deux cents ans les dictateurs de l’Europe. […] Pour faire cet office, il n’a pas besoin d’ancêtres, ne lui faut que du cœur, il est lui-même un ancêtre ; on est trop heureux du salut présent qu’il apporte pour le chicaner sur son titre. — Enfin, après tant de siècles, voici dans chaque canton des bras armés, une troupe sédentaire, capable de résister à l’invasion nomade ; on ne sera plus en proie à l’étranger ; au bout d’un siècle, cette Europe que saccageaient des flottilles de barques à deux voiles, va jeter deux cent mille hommes armés sur l’Asie, et désormais, au Nord, au Midi, en face des Musulmans, en face des païens, au lieu d’être conquise, elle conquiert. […] Au dedans, dès le douzième siècle, le casque en tête et toujours par chemins, il est le grand justicier, il démolit les tours des brigands féodaux, il réprime les excès des forts, il protège les opprimés13, il abolit les guerres privées, il établit l’ordre et la paix : œuvre immense qui, de Louis le Gros à saint Louis, de Philippe le Bel à Charles VII et à Louis XI, de Henri IV à Louis XIII et à Louis XIV, se continue sans s’interrompre jusqu’au milieu du dix-septième siècle, par l’édit contre les duels et par les Grands Jours14.

287. (1854) Préface à Antoine Furetière, Le Roman bourgeois pp. 5-22

Villemain, de rendre enfin justice au mérite de Furetière et d’accorder à ses torts le bénéfice d’une prescription de près de trois siècles. […] D’un côté un ouvrage considérable, un ouvrage gigantesque, et qu’en raison de l’étendue et de la nouveauté du plan on peut appeler original ; un livre qui, rajeuni de siècle en siècle par les révisions de grammairiens tels que Huet, Basnage et les Pères de Trévoux, est encore resté aujourd’hui, pour l’homme de lettres, l’autorité décisive et l’encyclopédie grammaticale la plus complète ; de l’autre une obscure Batrachomyomachie de tracasseries misérables, de questions personnelles, sans profit pour le public et sans intérêt pour l’histoire. […] Au commencement de ce siècle, le mordant pamphlétaire de la Restauration, Courier, meurt obscurément d’un coup de fusil tiré par une main invisible. […] L’Amour, descendu sur la terre pour fuir une correction maternelle, s’attache successivement à différents types, destinés, dans la pensée de l’auteur, à attester la dépravation des sentiments et l’avilissement des cœurs de son siècle : une pédante, Polymathie-Armande ; une prude, Archelaïde-Arsinoë ; une coquette, Polyphile-Célimène ; Landore, une sotte ; Polione, une courtisane, etc., etc. […] C’est ce sentiment de haine pour le bourgeois, pour le pédant, qui apparente Furetière aux écrivains les plus marquants de cette période de 1650 à 1680, qu’on est convenu d’appeler le siècle de Louis XIV.

288. (1842) Discours sur l’esprit positif

Mais tous les essais accomplis pendant les deux derniers siècles pour obtenir une explication universelle de la nature n’ont abouti qu’à discréditer radicalement une telle entreprise, désormais abandonnée aux intelligences mal cultivées. […] Il faut, en effet, remarquer que l’esprit positif, par suite du défaut de généralité qui devait caractériser sa lente évolution partielle, ne pouvait convenablement formuler ses propres tendances philosophiques, à peine devenues directement sensibles pendant nos derniers siècles. […] C’est évidemment la marche continue des connaissances positives qui a inspiré, il y a deux siècles, dans la célèbre formule philosophique de Pascal, la première notion rationnelle du progrès humain, nécessairement étrangère à toute l’ancienne philosophie. […] Aussi peut-on remarquer, même plus de trois siècles après saint Paul, les sinistres prédictions de plusieurs philosophes ou magistrats païens, sur l’imminente immoralité qu’allait entraîner nécessairement la prochaine révolution théologique. […] De plus en plus livrés à cette inévitable tendance, les savants proprement dits sont ordinairement conduits, dans notre siècle, à une insurmontable aversion contre toute idée générale, et à l’entière impossibilité d’apprécier réellement aucune conception philosophique.

289. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Montesquiou, Robert de (1855-1921) »

Certes, il la fuit, cette banalité, serait-ce parfois aux dépens de la clarté, de la régularité, de la forme ; tant pis pour les césures, pour les rimes, il s’élance résolument, cingle sans pitié son Pégase fin de siècle et arrive au but ; enfant de race habitué à réaliser tous ses caprices, les obstacles ne comptent pas pour lui ; rien ne l’arrête, il forge les mots que la langue ne lui donne pas, prend ses aspirations parfois d’une assonance ou d’une consonance, mais il dit tout ce qui lui vient à la tête, et, s’il y passe des choses un peu surprenantes, il y passe aussi, et le plus souvent, d’exquises… L’idée maîtresse du Chef des odeurs suaves, la dominante de cette œuvre de délicat, de raffiné, c’est l’influence qu’exercent sur nos sens les objets qui nous environnent. […] Parurent ensuite : Le Chef des odeurs suaves, « poème dont les fleurs et les parfums groupés en symboles forment le sujet varié », Le Parcours du rêve au souvenir, « multiples feuillets recueillis au long des voyages du poète », Les Hortensias bleus, « modulations alternativement fortes et délicates », Les Perles rouges, 93 sonnets sur Versailles, qui font revivre, en lui gardant la grâce de sa vieillesse surannée, le grand siècle aboli. […] Et ce sera certainement un de ses titres à la reconnaissance du siècle que d’avoir, par ses écrits, par ses conférences et par sa participation aux fêtes de Douai, contribué à la résurrection littéraire de cette femme de génie.

290. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre III. Partie historique de la Peinture chez les Modernes. »

Un moine nommé Méthodius peignit dans le huitième siècle ce jugement dernier qui convertit Bogoris, roi des Bulgares126. […] Enfin, vers le treizième siècle, la religion chrétienne, après avoir lutté contre mille obstacles, ramena en triomphe le chœur des Muses sur la terre. […] Depuis ce temps, les arts, entre diverses mains et par divers génies, parvinrent jusqu’à ce siècle de Léon X, où éclatèrent, comme des soleils, Raphaël et Michel-Ange.

291. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre VIII. Des Églises gothiques. »

Il est même curieux de remarquer que, dans ce siècle incrédule, les poètes et les romanciers, par un retour naturel vers les mœurs de nos aïeux, se plaisent à introduire dans leurs fictions, des souterrains, des fantômes, des châteaux, des temples gothiques : tant ont de charmes les souvenirs qui se lient à la religion et à l’histoire de la patrie ! […] C’est que tout cela est essentiellement lié à nos mœurs ; c’est qu’un monument n’est vénérable qu’autant qu’une longue histoire du passé est pour ainsi dire empreinte sous ses voûtes toutes noires de siècles. […] Les siècles, évoqués par ces sons religieux, font sortir leurs antiques voix du sein des pierres, et soupirent dans la vaste basilique : le sanctuaire mugit comme l’antre de l’ancienne Sibylle ; et, tandis que l’airain se balance avec fracas sur votre tête, les souterrains voûtés de la mort se taisent profondément sous vos pieds.

292. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — [Introduction] » pp. 132-142

Moralement on est tenté de dire de soi et de son temps bien du mal, mais pour l’esprit on ne prétend pas céder, et on a toutes sortes de bonnes raisons pour se prouver à soi-même qu’on en a un peu plus que ses devanciers. « Je suis fier pour mon temps, je suis fier pour mon siècle, mon pays… » Combien de fois n’avons-nous pas entendu ce langage, essentiellement moderne, dans la bouche de ceux même qui savaient et prisaient le mieux l’Antiquité ! […] Et en effet, qu’on y songe un peu : pour que le combat entre l’Antiquité et les temps modernes se pût engager dans toute son étendue et sur toute la ligne, il fallait deux conditions essentielles, l’une qu’il y eût une Antiquité bien connue, bien en vue, bien distincte et comme échelonnée sur les hauteurs du passé, l’autre qu’il y eût une époque moderne, bien émancipée, bien brillante et florissante, un grand siècle déjà et qui parût tel aux contemporains. […] Aux xve et xvie  siècles, on retrouvait d’hier cette Antiquité ; on sy mêlait, on ne s’en dégageait pas : on ne la jugeait pas d’une seule vue et avec netteté. […] Le second s’ouvre avec Perrault, qui rallume la guerre en lisant à l’Académie française son poème du Siècle de Louis le Grand, composé tout à la glorification de l’âge présent et au détriment de l’Antiquité (1687). […] II y a encore beaucoup à faire, et il y aura toujours beaucoup ; et à celui-là même qui naîtra après mille siècles, l’occasion ne manquera jamais d’ajouter encore quelque chose de nouveau.

293. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre IV. La langue française au xviie  »

Il y a là, dans le langage précieux, une tendance que le goût italien alors à la mode fortifie, mais qui, du reste, est contraire à l’esprit général du siècle : car elle encourage la fantaisie individuelle. […] Mais elle était en réalité, elle fut pendant tout le siècle l’expression très fidèle de l’esprit qui prévalait dans la société polie ; et si l’on voulait se convaincre qu’il ne faut pas juger tout le siècle par ses grands écrivains, on n’aurait qu’à regarder comment ils furent toujours, par le nombre, une minorité, et, par le goût, une opposition dans l’Académie. […] Le Dictionnaire de 1694 donne à la fin du siècle le résultat du travail du siècle.

294. (1880) Goethe et Diderot « Introduction »

Introduction I Ces deux études sur Gœthe et Diderot ont été publiées séparément, à des époques assez distantes, — et dans un journal, ce mode de publication inventé par un siècle qui pulvérise tout, jusqu’à la pensée, — mais par leur double sujet elles exigeaient impérieusement l’ensemble et l’unité du livre. […] Voltaire, qui vécut aussi quatre-vingts ans, Voltaire, l’heureux Voltaire, mais moins heureux que l’heureux Gœthe, eut assurément sur son siècle une influence plus grande, plus militante, et surtout plus activement spirituelle que le sentimental coup de pistolet de Werther, et cependant Voltaire ne régna pas toujours du même empire sur l’opinion. […] Cela ne prouvait pas pour le siècle. […] Rien n’y suffirait, ni la décadence littéraire de la France, qui n’avait, au commencement du siècle, de l’ancien esprit français (madame de Staël et Chateaubriand exceptés), que les dernières gouttes qui tombent du toit après la pluie, ni le besoin de nouveauté enfantine qui nous emporte vers toute chose nouvelle avec notre délicieuse frivolité séculaire, ni cette espèce de catinisme intellectuel toujours prêt à se donner au premier venu, — qui nous fit Anglais à la fin du xviiie  siècle, comme il nous avait faits Latins Grecs, Italiens et Espagnols, dans les siècles précédents, et qui, pour l’heure, nous faisait Allemands, en attendant que quelque autre littérature nous fît autre chose.

295. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIII. Pascal »

Havet ne fut pas cependant uniquement la concentration énergique et habile de ce qui avait été dit précédemment dans le courant de cette moitié de siècle. […] Gui, sous les lignes brisées de ce grand dessin géométrique qu’on aperçoit encore en ces Pensées, comme le plan interrompu d’une Pompéï quelconque après le tremblement de terre qui l’a engloutie, il y a une poésie, une poésie qu’on ne connaissait pas avant Pascal, dans son siècle réglé et tiré à quatre épingles ; la poésie du désespoir, de la foi par désespoir, de l’amour de Dieu par désespoir ! une poésie à faire pâlir celle de ce Byron qui viendra un siècle plus tard, et de ce Shakespeare qui est venu un siècle plus tôt ! […] Le jansénisme s’en est allé en fumée avec les autres poussières d’un siècle écroulé, et, jusqu’en ce beau livre des Pensées, il s’est trouvé de vastes places qui maintenant font trou dans le reste, comme dans un tableau écaillé.

296. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXX. De Fléchier. »

Il faut en convenir, cette marche est loin de celle de Bossuet : on a souvent comparé ces deux hommes ; je ne sais s’ils furent rivaux dans leur siècle ; mais aujourd’hui ils ne le sont pas. […] Il fut lié avec les plus grands hommes de son siècle, ce qui prouve qu’il n’était pas au-dessous d’eux ; car l’ignorance et la médiocrité, toujours insolentes ou timides, se hâtent de repousser les talents qu’elles redoutent et qui les humilient. L’amitié de Racine et de Bourdaloue, et les beaux vers de Despréaux, ne contribueront pas moins à sa gloire que cet éloge funèbre, et apprendront à la postérité que l’orateur a parlé comme son siècle. Je passe rapidement sur tous les discours, pour venir à celui qui a, et qui mérite en effet le plus de réputation ; c’est l’éloge funèbre de Turenne, de cet homme si célèbre, si regretté par nos aïeux, et dont nous ne prononçons pas encore le nom sans respect ; qui, dans le siècle le plus fécond en grands hommes, n’eut point de supérieur, et ne compta qu’un rival ; qui fut aussi simple qu’il était grand, aussi estimé pour sa probité que pour ses victoires ; à qui on pardonna ses fautes, parce qu’il n’eut jamais ni l’affectation de ses vertus, ni celle de ses talents ; qui, en servant Louis XIV et la France, eut souvent à combattre le ministre de Louis XIV, et fut haï de Louvois comme admiré de l’Europe ; le seul homme, depuis Henri IV, dont la mort ait été regardée comme une calamité publique par le peuple ; le seul, depuis Du Guesclin, dont la cendre ait été jugée digne d’être mêlée à la cendre des rois, et dont le mausolée attire plus nos regards que celui de beaucoup de souverains dont il est entouré, parce que la renommée suit les vertus et non les rangs, et que l’idée de la gloire est toujours supérieure à celle de la puissance. […] Cela est vrai des individus, comme des nations et des siècles.

297. (1926) L’esprit contre la raison

Quelques mois plus tard, le voici qui défend le surréalisme, une « entreprise qui a le mérite de ne point  vouloir être exclusivement littéraire » (« Voici Marcel Arland », Les Nouvelles littéraires, 15 novembre 1924) ; ce que Marcel Arland analyse comme « le nouveau mal du siècle », un surréalisme entaché d’un vague à l’âme encore romantique, devient « Le Bien du siècle » sous la plume de Crevel dans La Révolution surréaliste n°6, 1er mars 1926. […] Une pensée qu’on a essayé depuis des siècles de traduire grossièrement par de nouveaux avantages immédiats a racorni, stupéfié l’individu. […] Qui donc d’ailleurs, durant les premiers lustres de ce siècle, eût prévu à coup de quel vigoureux questionnaire seraient poursuivis les romanciers, benoîtement réalistes ? […] Le débat fait rage en 1925 autour de l’évaluation du Romantisme ; la formule de Léon Daudet, le « Stupide XIXème siècle !  […] Les histoires littéraires et les manuels qui mentionnent Rimbaud au début du XXème siècle justifient par cette étiquette la place marginale qu’ils lui réservent.

298. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Cuvier, Arago s’étaient, dans la première moitié du siècle, fait une réputation, comme autrefois Fontenelle, par les éloges académiques : le genre a passé de mode, ou bien leurs dons d’exposition littéraire n’ont pas passé à leurs successeurs. […] L’histoire elle-même a subi depuis le milieu du siècle les mêmes influences que nous avons retrouvées dans toutes les parties de la littérature : romantique effrénément avec Michelet, elle est devenue objective, c’est-à-dire ou scientifique ou réaliste, souvent les deux à la fois. […] Un bon nombre de Mémoires ont été publiés en notre siècle, se rapportant, en général, comme il est naturel, aux deux ou trois siècles précédents. […] C’est un des meilleurs moralistes que nous ayons eus en ce siècle. […] Toutes ces œuvres, écrites depuis un demi-siècle ou trois quarts de siècle, comptent encore pour nous dans la littérature contemporaine.

299. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

Je sais tel siècle où les îles ont été à la mode : c’est le xviiie . […] Ce fut le cas au commencement de notre siècle. […] Il a fallu presque un siècle d’apprentissage à la France pour goûter et surtout pour rendre la magnifique horreur de ses tempêtes ou les séductions de ses perfides sourires. […] Au siècle dernier, en 1755, le tremblement de terre qui détruisit Lisbonne devint aussitôt l’occasion d’un tournoi fameux entre deux rois de l’opinion, Voltaire et Rousseau. […] Un romancier de notre siècle a marqué fortement l’action des récits de voyages sur une imagination vive de femme qui s’ennuie.

300. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

Vous retardez de plus d’un siècle. […] que ne suis-je un de ces hommes Qui, géants d’un siècle effacé, Jusque dans le siècle où nous sommes Régnent du fond de leur passé ! […] L’âge, de siècle en siècle, aura de vous mémoire. […] Ludovic Halévy estimait que ce sont les seuls qui « soient faits pour traverser paisiblement les siècles » ; mais Anatole France, sagement sceptique, propose de remplacer « les siècles » par les « années ». […] Hugo, en ce siècle, enfoncera tout le monde, quoiqu’il soit plein de mauvaises choses, mais quel souffle !

301. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

Sans prétendre trouver rien de bien neuf à dire sur le détail de ses œuvres, on arrivera peut-être de loin à mieux le voir dans le coin du siècle, dans le groupe particulier auquel il appartient, et dont il est le plus gentil esprit et non pas le moins sérieux. […] Ainsi, selon lui, au Moyen Âge et dans ces siècles réputés barbares, il y avait de grands esprits et qui se sont alors montrés comme tels. S’ils n’ont pas produit des ouvrages plus durables et qui soient de nature à nous plaire encore, « prenez-vous-en, dit-il, aux siècles barbares où ces grands esprits arrivèrent, et à la détestable éducation qu’ils y reçurent en fait d’ouvrages d’esprit. Ils auraient été les premiers esprits d’un autre siècle, comme ils furent les premiers esprits du leur ; il ne fallait pas pour cela qu’ils fussent plus forts, il fallait seulement qu’ils fussent mieux placés ». […] Et quant aux modernes tout voisins de nous, et qui semblent mieux accommodés au goût et au ton de notre siècle, il ne faut pas qu’un jeune écrivain les imite davantage : car « cette façon a je ne sais quel caractère ingénieux et fin dont l’imitation littérale ne fera de lui qu’un singe, et l’obligera de courir vraiment après l’esprit ».

302. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

Ce qu’il sentit là dans la famille, il le sentira bientôt à plus forte raison devant tout son siècle. […] Mais on voit quelle nature suave et pure c’était que Saint-Martin, jeune officier au régiment de Foix, à l’âge de vingt-trois ans, et quel contraste il faisait avec les mœurs et les sentiments de son siècle. […] Le vieux siècle blasé se faisait mystique au besoin, par curiosité, par ennui. […] S’il se sépare de son siècle par la pureté morale et par une vive pensée de spiritualité divine, il en participe sur d’autres points essentiels de sa doctrine, et il en porte le cachet. […] La philosophie du siècle, au plus beau de son installation et de sa victoire, avait reçu son premier coup, la première blessure dont elle mourra.

303. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Le lyrisme français au lendemain de la guerre de 1870 » pp. 1-13

Les poètes nouveaux sont fidèles à leur siècle ; de là leur force. […] « Oui, mes jeunes confrères, oui, vous serez fidèles à votre siècle et à la France… Rien ne vous distraira du devoir. […] Quant à apprécier le mouvement des croyances, la crue ou le décours de la foi, ce n’est point dans de courts espaces ni d’une génération à l’autre que cela se mesure : ces changements se marquent par siècles, et les divers états d’incrédulité et de croyance, à divers degrés, coexistent à la fois ; il n’est pas toujours aisé de les bien démêler. […]   « Sainte-Beuve. » Il faut noter aussi cette pensée, cueillie dans les échos, à propos d’une inscription lue sur le mur de clôture du cimetière Montparnasse : « Liberté, Égalité, Fraternité » : — « Dans combien de siècles cette devise strictement vraie pour les morts sera-t-elle enfin une vérité pour les vivants ? 

304. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre premier. Prostitués »

Depuis des siècles de siècles, il fait la bête parce qu’il veut faire uniquement l’ange ; son poids le roule dans l’ordure parce qu’il oublie son poids et croit naïvement se libérer de la brute qui est une partie nécessaire de lui-même. […] L’homme fait, depuis des siècles de siècles, des efforts de cauchemar pour secouer le servage naturel qui plie vers la terre la moitié de sa vie.

305. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Satire contre le luxe, à la manière de Perse » pp. 122-126

La tyrannie d’un colon d’Amérique est moins cruelle ; la condition du nègre moins triste… qu’objecterez-vous au siècle de Rome pauvre, à ce siècle où des hommes à jamais célèbres cultivaient la terre de leurs mains, prirent leurs noms des fruits, des fonctions agrestes qu’ils avaient exercées, où le consul pressait le bœuf de son aiguillon, où le casque et la lance étaient déposés sur la borne du champ, et la couronne du triomphateur suspendue à la corne de la charrue ? […] Je ne sais plus en quel temps, sous quel siècle, en quel coin de la terre vous placer. […] Qu’étiez-vous il y a quatre siècles pour vos aïeux.

306. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Il finit cependant par accepter les propositions des propriétaires vers les dernières années du siècle passé ; il rédigea le feuilleton du Journal des Débats. […] Il fallait donc que Voltaire se contentât de louer Corneille, sans déprimer ni ce que l’antiquité a produit de sublime, ni le philosophe Longin qui a recueilli ce sublime pour l’exposer à l’admiration des siècles. […] Les bons ouvrages du dix-septième siècle portent un caractère de franchise et de solidité qu’on ne trouve point dans les plus élégantes productions du siècle suivant. […] Sévère est peint d’après les maximes de la chevalerie ; ce n’est point un guerrier ni un courtisan romain du troisième siècle, c’est un chevalier du siècle de François Ier. […] Goldoni a payé le tribut ; à son siècle, lorsque, pour rendre plus moral le Menteur de Corneille, il en a fait un vil coquin.

307. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

C’est ce qui s’est vu pendant l’époque glorieuse qu’on appelle le siècle de Louis XIV. […] Le même Voltaire a dit : le Siècle de Louis XV ; cette qualification n’a pas prévalu. Pourquoi dit-on le Siècle de Louis XIV ? Parce que le roi conduit le siècle. […] Parce que le siècle efface le roi.

308. (1890) Nouvelles questions de critique

Nous ne leur demandons, dans un siècle d’érudition, que de faire œuvre d’érudits. […] On en est fâché, ou même un peu humilié, pour ce siècle des élégances. […] Le siècle est grand, dès qu’ils sont deux ou trois ; et quand ils sont une demi-douzaine, le siècle fait époque dans l’histoire de l’humanité. […] L’esprit du siècle n’est plus avec eux. […] Coppée : « le plus grand lyrique de tous les siècles » ; et c’est le premier reproche que j’ose faire à cette courte Préface, de mettre ainsi sous les pieds d’Hugo tous les siècles et tous les poètes. « Le plus grand lyrique de tous les siècles ! 

309. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

Et d’autant plus pour Féval qu’il a dû sentir en lui bien des fois bouillonner l’esprit de son siècle ! […] L’auteur à fond de train et ventre-à-terre des romans les plus lus et les plus aimés de ce siècle, qui a la fringale des romans, s’est rassis dans ce petit volume. […] Or, en ce siècle pressé et ennuyé, il n’y a que l’imagination qui, dans un livre, puisse se permettre la longueur. […] J’avais peur qu’il n’en convînt pas… Dans le nombre des abbés qui gouvernèrent le monastère du Mont Saint-Michel pendant des siècles, il n’y eut guères que des hommes médiocres d’esprit ou de vertu. […] C’était difficile de faire accepter, même littérairement, l’immanence de saint Michel pendant sept siècles d’histoire.

310. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

Mais on trouve encore chez les différents poètes un genre de beauté qui leur est spécial, et qui tient au caractère particulier de leur siècle et de leur pays. […] Si le goût s’appuie sur le sentiment et la raison, deux choses qui semblent immuables, comment se fait-il que le goût change, non-seulement de siècle en siècle, de pays à pays, mais encore d’année en année, de ville à ville ! […] Lorsque nous voyons les hommes de tous les pays et de tous les siècles reconnaître hautement qu’une chose est grande et belle, elle l’est réellement. […] Nous nous ferons les concitoyens, les contemporains de ces puissants génies qui ont éclairé le monde, afin de les mieux comprendre, et de les voir de plus près qu’à travers les siècles. […] Mais avant de me présenter devant vous, j’ai consulté l’expérience des siècles, j’ai interrogé tous les hommes qui se sont occupés de l’art de la parole ; leurs recherches ont éclairé les miennes, leur travail a guidé le mien.

311. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

L’homme a tenu sa place dans son siècle : poésie, romans, voyages, journalisme, tout ce qu’il a touché, il l’a marqué d’un extraordinaire éclat. […] Il portait en lui, dès le sein de sa mère, le germe de cette maladie du siècle qui a servi de point de départ à tant de romans, drames ou poèmes. […] Ils débutent par des études sur un siècle spirituel et léger, dont ils recherchent avec amour les côtés mondains les plus frivoles. […] Des millions d’hommes, possédés d’une sorte de mysticisme, rebelles à toute notion de la réalité, se succèdent de siècle en siècle sans presque appartenir à l’existence terrestre ; ils flottent dans le domaine de la pure abstraction. […] Notre siècle d’ailleurs n’a rien, de ce chef, qui le distingue des siècles précédents, et personne au monde n’a tenté ni ne tentera de fonder une œuvre, qu’elle soit, sur une base notoirement impossible et fausse.

312. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Le siècle va vite ; il se hâte ; je ne sais s’il arrivera bientôt à l’une de ces vallées immenses, à l’un de ces plateaux dominants, où la société s’assoit et s’installe pour une longue halte ; je ne sais même si jamais la société s’assoit, se pose réellement, et si toutes les stations que nous croyons découvrir dans le passé de l’histoire, ne sont pas des effets plus ou moins illusoires de la perspective, de pures apparences qui se construisent ainsi et jouent à nos yeux dans le lointain. Quoi qu’il en soit, il est bien sûr pour nous, en ce moment, que le siècle va grand train, qu’une étrange activité l’accélère dans tous les sens ; qu’à lui tâter le pouls chaque matin, sa vie semble une fièvre, et que, si dans cette fièvre il entre bien des émotions passagères, de mauvais caprices, d’engouements à la minute, il y a aussi là-dedans de bien nobles palpitations, une sérieuse flamme, des torrents de vie et de génie, et toute la marche d’un grand dessein qui s’enfante. […] L’Irlande est désormais la question vitale pour l’Angleterre ; l’Irlande opprimée et martyrisée depuis des siècles, l’Irlande traitée en conquête, pressurée sans relâche par le Saxon, par le Normand, par Jacques Ier, par Cromwell, par Guillaume d’Orange ; l’Irlande, cette noble et sainte Pologne de l’Océan, inépuisable en douleur comme en espérance ; l’inextinguible Irlande, un moment voisine de l’émancipation à la fin du dernier siècle, se lève aujourd’hui en armes pour regagner ses droits, pour faire sa révolution étouffée en 98 ; elle ne connaît plus Guillaume IV, ni ses officiers, ni ses prélats, ni le parlement britannique ; elle n’obéit qu’à son O’Connell, qui chargé de plaider pour elle à Westminster, s’y montre moins à l’aise, il faut le dire, que sur la terre nationale, au milieu de son peuple. […] L’attente était grande, bruyante, mais non orageuse ; des sentiments divers planaient en rameur sur cette multitude passionnée ; on demandait le Chant du Départ, on chantait la Marseillaise ; puis la toile, se levant avec lenteur, découvrit une vue merveilleuse de Venise que saluèrent mille applaudissements : « Admirable jeunesse, me disais-je, qui trouves place en toi pour toutes les émotions, qui aspires et t’enflammes à tous les prestiges ; va, tu seras grande dans le siècle, si tu sais ne pas trop t’égarer, si tu réalises bientôt le quart seulement de ce que tu sens, de ce que tu exhales à cette heure ! 

313. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre I. Vue générale du seizième siècle »

Il nous fallait l’idée de l’art, idée à laquelle peut-être le fond de notre tempérament national est assez réfractaire, qu’en cinq siècles de fécondité littéraire il n’avait pas acquise, que peut-être il ne pouvait absolument pas s’adapter dans toute sa pureté, et qu’il lui fallut toutefois saisir le plus possible pour s’exprimer par elle dans une grande littérature. […] Ces sciences et la philologie se séparent de la littérature : celle-ci garde l’homme moral, et le grand traducteur du siècle, Amyot, offre Plutarque, non aux philosophes, ni aux grammairiens, mais à tous ceux qui veulent savoir ce que c’est que l’homme et que la vie. […] L’art, la grâce, la beauté sont reçus d’abord comme choses souverainement nobles ; et, pendant tout le siècle, les essais de création artistique s’enveloppent d’aristocratique délicatesse. […] En proposant à l’art de manifester la raison, il trouva la formule qui résolut le grand problème littéraire du siècle, et nous rendit possible l’acquisition d’une grande poésie. […] On voit tout le chemin qui a été parcouru en un siècle.

314. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « II »

L’Italie n’a tardé si longtemps à être une nation que parce que, parmi ses nombreuses maisons régnantes, aucune, avant notre siècle, ne se fit le centre de l’unité. […] L’homme était revenu, après des siècles d’abaissement, à l’esprit antique, au respect de lui-même, à l’idée de ses droits. […] Il contracte avec l’Empire romain une alliance intime, et, par l’effet de ces deux incomparables agents d’unification, la raison ethnographique est écartée du gouvernement des choses humaines pour des siècles. […] L’apparition de l’individualité germanique dans l’histoire ne se fait que très peu de siècles avant Jésus-Christ. […] La Prusse, où l’on ne parle plus qu’allemand, parlait slave il y a quelques siècles ; le pays de Galles parle anglais ; la Gaule et l’Espagne parlent l’idiome primitif d’Albe la Longue ; l’Égypte parle arabe ; les exemples sont innombrables.

315. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre premier. Astronomie et Mathématiques. »

Qu’est-ce donc à dire, sinon que les prêtres, qui sont hommes comme nous, se sont montrés plus ou moins éclairés, selon le cours naturel des siècles ? […] qu’y a-t-il de moins positif que les sciences, dont les systèmes changent plusieurs fois par siècle ? […] Un poète avec quelques vers passe à la postérité, immortalise son siècle, et porte à l’avenir les hommes qu’il a daigné chanter sur sa lyre : le savant, à peine connu pendant sa vie, est oublié le lendemain de sa mort. […] C’est Corneille, Racine, Boileau, ce sont les orateurs, les historiens, les artistes, qui ont immortalisé Louis XIV, bien plus que les savants qui brillèrent aussi dans son siècle. […] Lorsque, dans un siècle impie, l’homme vient à méconnaître l’existence de Dieu, comme c’est néanmoins la seule vérité qu’il possède à fond, et qu’il a un besoin impérieux des vérités positives, il cherche à s’en créer de nouvelles, et croit les trouver dans les abstractions des sciences.

316. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte du Verger de Saint-Thomas »

Il l’a pris simplement où il l’a trouvé, c’est-à-dire dans des mœurs incorrigibles, et il n’a pas songé — ce n’était pas à lui, d’ailleurs, d’y songer, — à couper cette queue de monarchie qui traîne fièrement encore dans ce siècle de république si peu fière. […] Lorsque à Rome les Horaces se battaient contre les Curiaces, ils se battaient pour la patrie ; ce n’était là nullement un duel à la façon du duel au Moyen-Âge, où la personnalité humaine s’était agrandie et accomplie sous l’influence de ce christianisme qui a rejeté au creuset et refondu le monde déformé et usé par les siècles. […] atteindront-ils un résultat plus heureux et plus durable que les tout-puissants rois de France, avec l’action une et continue d’un pouvoir, sur cette question éternellement désobéie, pendant une succession de siècles ? […] Voilà pourquoi le duel, cette barbarie d’un siècle de ténèbres, comme disent les philosophes, subsiste et résiste dans un siècle de lumières et de progrès.

317. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme et l’Enfant » pp. 11-26

Un siècle n’expire pas si vite, et celui-là, entre tous les autres, eut, à son agonie, de si vastes convulsions, que nous en ressentons l’ébranlement jusque dans nos nerfs et nos veines. D’ailleurs, presque jamais un siècle ne finit sur la dernière année qui le termine et qui le ferme. Les idées qui se sont soulevées, qui ont lutté, qui ont écumé, comme des vagues, dans ce bassin du temps qu’on appelle un siècle, passent — ainsi que les flots matériels — par-dessus la limite de leurs rivages, et vont presque toujours, dans la durée, — comme les autres flots dans l’espace, — plus loin que la barre qui devrait les arrêter et les contenir. […] Et comment, en effet, un siècle qui a éteint en lui le sens lumineux des choses divines verrait-il dans le phénomène terrible de la misère, de l’oppression et de la douleur, autre chose qu’un fait matériel auquel on répond par un fait matériel contraire ? […] Elle ne s’arrêtait point à un des effets du mal quand il s’agissait de remonter à toutes les causes, et en inspirant la résignation aux classes dénuées et opprimées, en appuyant à de sublimes espérances la moralité défaillant sous toutes les croix de ses épreuves, elle avait plus fait pour diminuer l’oppression et la misère, et, disons davantage, doubler la richesse sociale, par la modération ou les renoncements de la vertu, que l’Économie politique qui reprend à son tour le problème résolu par l’Église depuis tant de siècles, et qui prétend le résoudre aujourd’hui, avec toutes les convoitises excitées de la nature humaine, aussi aisément et plus complètement que l’Église avec toutes ses abnégations.

318. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Le roi Stanislas Poniatowski et Madame Geoffrin »

Ce qu’on sait, c’est qu’elle représente la, sagesse dans un siècle qui n’en avait pas… En cela, en son mari, comme en bien d’autres choses, elle ressemblait à Madame de Maintenon, dont l’infortune conjugale est connue. […] se croyait le siècle de l’Amour. […] Quoiqu’il fut mon collaborateur au Constitutionnel, M. de Mouy, je ne collabore pas à sa thèse sur les sentiments d’amitié, uniquement d’amitié, et de maternité adoptive, qu’il se contente de voir en Madame Geoffrin pour l’homme le plus beau, le plus poétique et le moins corrompu de son siècle ; car il était tout cela, Poniatowski ! […] IV Ainsi, pour moi, j’ose le penser et j’ose le dire, ce fut une amoureuse que Madame Geoffrin, et une amoureuse désheurée, aimant à l’âge où l’on n’aime plus, ce qui ne l’empêcha pas d’être la femme la plus raisonnable de son siècle. […] Raison meilleure encore que la grande raison de Madame Geoffrin pour que l’amour de tous les deux soit resté, dans le moins platonique des siècles, un pur platonisme et un platonisme sans platitude, comme le platonisme l’est souvent.

319. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Agrippa d’Aubigné »

Le xviie  siècle, fils de Richelieu et de Malherbe, le siècle de la Règle en tout, et le xviiie , le siècle, en tout, du Dérèglement, ne pouvaient avoir de mémoire au service de ce protestant fanatique, qui, après la mort de Henri IV, ne s’était pas rendu et s’en était allé guerroyer en Suisse, chef d’opinion religieuse et tellement protestant qu’il n’en était même plus Français ! […] Ce partisan, qui le plus longtemps combattit pour la royauté, naquit au pays où devait naître, deux siècles plus tard, Charette, un autre partisan. […] À part les satiriques de notre littérature, qui sont tous issus, plus ou moins, depuis Régnier jusqu’à Barbier et Barthélemy (de la Némésis), de l’auteur des Tragiques, de ce premier et terrible fulminateur contre les vices monstrueux d’une époque si exceptionnellement dépravée, il serait certainement possible de retrouver, à deux cents ans de distance, d’autres ressemblances et d’autres traits de famille entre d’Aubigné, ce précurseur de plus grands que lui, et d’autres poètes qui ne sont pas seulement séparés de lui par deux siècles. […] La grande force poétique d’Agrippa d’Aubigné ne peut pas être isolée de son siècle.

320. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Le Sage » pp. 305-321

L’éditeur de Le Sage32 a trouvé là une réputation bien établie, un écrivain réputé pour un des premiers dans l’ordre du roman ; une de ces célébrités faites par le siècle qu’elle amusa et acceptées sans bénéfice d’inventaire par le nôtre, qu’elle n’amuse plus ; un homme enfin qui passe toujours presque pour une des gloires de la Littérature française. […] Sa langue est la langue correcte et limpide du siècle de Louis XIV, mais descendue de trente-six crans ! […] C’est cette vulgarité qui a fait la réussite de ceux-là qui ont, dans le roman, le plus monstrueusement réussi : l’abbé Prévost, par exemple, au siècle dernier, et, de nos jours, Alexandre Dumas et Dickens, — Dickens, pour le succès, l’Alexandre Dumas de l’Angleterre. […] Le Sage fut l’amuseur de son siècle, mais rien de plus. […] Malheureusement, il ne faisait pas gras chez celui-là, et c’est là qu’il mourut à plus de quatre-vingts ans, indifférent aux politesses de son siècle, n’entendant plus le bruit de sa renommée.

321. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Paul Féval » pp. 145-158

Gil Blas est respecté non-seulement comme le chef-d’œuvre du roman et le génie du roman au dix-huitième siècle, mais comme un chef-d’œuvre de l’esprit humain, et une telle opinion ne m’étonne pas, venant, comme elle en vient, du dix-huitième siècle… Pour mon compte, cela ne m’étonne nullement que le siècle qui admira cette brillante canaille de Casanova, d’Aventuros Casanova, comme l’appelait le prince de Ligne, ait trouvé Gil Blas une œuvre charmante et sublime. Un siècle sédentaire comme le dix-huitième siècle, qui vivait dans des salons ou dans des cafés, dut naturellement raffoler de Gil Blas, de ce gentilhomme de grande route, l’idéal impossible d’un bonhomme, parfaitement cul-de-jatte en fait d’aventures, qui passa sa vie en habit gorge de pigeon à jouer au domino au café Procope, entre sa tabatière et sa bavaroise, dans la plus grasse et la plus bourgeoise des tranquillités ! Trop philosophe et trop libertin pour avoir le génie de la passion, cette source inépuisable du roman de grande nature humaine, le dix-huitième siècle, le siècle de l’abstraction littéraire comme de l’abstraction philosophique, qui n’eut ni la couleur locale ni aucune autre couleur, — qui ne peignit jamais rien en littérature, — car Rousseau, dans ses Promenades, n’est qu’un lavis, et Buffon dans ses plus belles pages qu’un dessin grandiose, — ce siècle, qui ne comprenait pas qu’on pût être Persan, dut trouver, le fin connaisseur qu’il était en mœurs étrangères ! […] Féval, qu’il a dû sentir en soi, bien des fois, bouillonner l’esprit de son siècle !

322. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. De Mascaron et de Bossuet. »

On peut dire que cet orateur marque dans l’éloquence le passage du siècle de Louis XIII, à celui de Louis XIV. […] À mesure qu’il avance, on voit que son siècle l’entraîne ; et de l’oraison funèbre d’Anne d’Autriche à celle de Turenne, il y a peut-être la même distance, que de Saint Genêt à Venceslas 69, ou de Clitandre à Cinna. […] On dit que c’était le seul homme vraiment éloquent sous le siècle de Louis XIV. […] Malgré ces imperfections, il a été dans le siècle de Louis XIV, et reste encore aujourd’hui à la tête de nos orateurs. […] Dans son éloquence sublime, il se place entre Dieu et l’homme ; il s’adresse à eux tour à tour ; souvent il offre le contraste de la fragilité humaine, et de l’immutabilité de Dieu, qui voit s’écouler les générations et les siècles comme un jour ; souvent il nous réveille par le rapprochement de la gloire et de l’infortune, de l’excès des grandeurs et de l’excès de la misère ; il traîne l’orgueil humain sur les bords des tombeaux ; mais après l’avoir humilié par ce spectacle, il le relève tout à coup par le contraste de l’homme mortel, et de l’homme entre les bras de la divinité.

323. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

C’était par de semblables imprécations que les classiques accueillaient, dans les premières années du siècle, le Romantisme vagissant. […] Jamais œuvre ne vint plus à propos, ne répondit mieux aux besoins du public et ne s’adapta plus exactement aux goûts du siècle. […] Chateaubriand s’est franchement expliqué à ce sujet : « On a fait un crime à Dumouriez de la vénalité de ses principes, dit-il ; supposé que ce reproche fût vrai, aurait-il été plus coupable que le reste de son siècle ? […] Les Renés à la fin du siècle dernier pullulaient, pauvres et fiers, assoiffés de plaisirs, torturés par l’ambition et rêvant de fortunes subites, inactifs et toujours inquiets, toujours en quête d’un « bien inconnu ». […] Chateaubriand est le véritable représentant littéraire de la génération qui avait trente ans au commencement du siècle.

324. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

De la littérature allemande56 La littérature allemande ne date que de ce siècle. […] Le régime féodal nuit extrêmement à l’intérêt des événements et des caractères ; il semble qu’on se représente, dans ce siècle guerrier, tous les grands hommes revêtus de la même armure, et presque aussi semblables entre eux que leurs casques et leurs boucliers. […] Un siècle développe deux ou trois idées de plus ; et ce siècle, avec raison, est illustre. […] On a besoin, pour conquérir les empires, que les armées disciplinées reconnaissent le pouvoir d’un chef ; mais pour faire des progrès dans la carrière de la vérité, il faut que chaque homme y marche de lui-même, guidé par les lumières de son siècle, et non par les documents de tel parti60. […] La liberté donne des forces pour sa défense, le concours des intérêts fait découvrir toutes les ressources nécessaires, l’impulsion des siècles renverse tout ce qui veut lutter pour le passé contre l’avenir : mais l’action inhumaine sème la discorde, perpétue les combats, sépare en bandes ennemies la nation entière ; et ces fils du serpent de Cadmus, auxquels un dieu vengeur n’avait donné la vie qu’en les condamnant à se combattre jusqu’à la mort, ces fils du serpent, c’est le peuple, au milieu duquel l’injustice a longtemps régné.

325. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

Les années suffisent où jadis il fallait des siècles. […] Trop peu d’années nous séparaient de notre grand siècle : pendant que des hommes qui vivaient au milieu de nous avaient vu briller les dernières étincelles de ce siècle fameux, les enfants, dans les écoles, étaient toujours nourris des chefs-d’œuvre qu’il avait produits. […] Si, d’une part, notre littérature du siècle de Louis XIV est devenue européenne, et a cessé d’être exclusivement la nôtre, nous cherchons, d’une autre part, une littérature nouvelle, qui soit classique aussi, mais classique dans l’ordre de choses qui va naître. […] Ils n’ont pas assez dominé les siècles ; ils n’ont pas vu les événements d’assez haut. […] Homère fait dire à Alcinoüs ces mots, qui sont une poétique tout entière : « Les dieux ont permis la ruine d’Ilion et la mort d’un grand nombre de héros, afin que la poésie en tirât des leçons utiles aux siècles à venir. » Proposez encore des prix pour l’utilité des croisades !

326. (1874) Premiers lundis. Tome II « Théophile Gautier. Fortunio — La Comédie de la Mort. »

Théophile Gautier, la forme gothique et romantique ; et elle s’apparente directement aux peintures d’Orcagna ou d’Holbein, aux moralités des xiv et xve  siècles. […] Tout ce qui suit, d’une énergie croissante, a sa vérité funèbre ; le dialogue du ver et de la trépassée, l’apparition de Raphaël dont le masque se ranime et profère contre le siècle des cris d’anathème et de désespoir, ces scènes fantastiques s’admettent dans la situation et dans le monde où l’auteur nous transporte ; on résiste d’abord à l’horreur, mais bientôt on y cède, tant les coups sont redoublés et souvent puissants. […] La grande figure historique récente ne se prête pas à la palinodie morale comme ces êtres de fantaisie, Faust et don Juan, qui flottent, depuis des siècles, au gré de la tradition et des poètes.

327. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « HISTOIRE de SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE par m. de montalembert  » pp. 423-443

On peut dire qu’après le règne plus régulier et composé des xviie et xviiie  siècles, nous sommes revenus, retombés, à quelques égards, dans un état analogue à celui du xvie , pour la confusion, la multiplicité. […] Je me figure quelquefois le jeune Siècle comme un aventureux jeune homme qui s’est mis en route de bonne heure pour faire son tour du monde, pour y bâtir un temple de Delphes ou une cathédrale de Reims incomparables. […] Bref, le jeune Siècle, déjà un peu vieilli, s’en revient, rapportant… quoi ? […] A travers toute la bagarre de fabrique littéraire qui, par moments, rompt la vue ; au milieu de toute cette boue fréquente, hideuse, qui nous éclabousse les pieds, et que l’avenir, j’espère, ne verra pas, voilà des signes originaux qui distingueront peut-être assez noblement ce siècle, si préoccupé entre tous de son ambitieuse destinée. […] Au commencement du siècle, l’art allemand du moyen âge fut en quelque sorte découvert, éclairé, restitué, grâce à de beaux travaux d’archéologie auxquels les frères Boisserée de Cologne attachèrent leur nom.

328. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Aussi avons-nous dû renvoyer jusqu’à ce moment l’étude des origines et des premières œuvres, débris de la production des xiie et XIIIc siècles. […] Là, comme dans les ouvrages du siècle, on sent que la féodalité catholique touche à sa fin. […] Il y eut, et de bonne heure, dans les écoles des représentations de pièces latines dont les comédies de collège des xviie et xviiie siècles ont continué la tradition. […] On voit s’organiser en ce siècle et prospérer des sociétés et confréries, sur lesquelles en grande partie reposera le théâtre du siècle suivant, basoche, enfants sans souci, etc. […] Autrement on tirerait peut-être une fausse conséquence du grand nombre des Miracles que nous avons du xiv° siècle, et de l’absence totale de pièces sacrées d’un autre genre. — Je dis 42 miracles, et non 45, comme M. 

329. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Charles Perrault. (Les Contes des fées, édition illustrée.) » pp. 255-274

Tel est Charles Perrault par rapport au siècle de Louis le Grand. […] Enthousiaste des beautés de son siècle, et recueillant en faisceau les admirations de sa jeunesse, il les consacra dans un petit poème intitulé : Le Siècle de Louis le Grand, qu’il lut à l’Académie le 27 janvier 1687, c’est-à-dire le jour où elle s’assemblait pour témoigner sa joie de la convalescence du roi, qui avait subi une opération. […] Préférant hautement son siècle à tous les précédents, il y parlait légèrement d’Homère, de Ménandre, de tous les noms les plus révérés entre les classiques. […] La préface de son premier tome, d’abord, est fort spirituelle ; il raconte de nouveau l’origine de la querelle, les injures que lui ont values les opinions exprimées dans le poème du Siècle de Louis le Grand. […] Quelques mois avant cette publication aimable et ce cadeau pour l’enfance, il donnait (1696) le premier tome in-folio intitulé : Les Hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle, avec de magnifiques portraits gravés : le second tome, qui parut en 1700, complétait l’ouvrage et le nombre de cent, auquel Perrault s’était fixé pour ces portraits.

330. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le président de Brosses. Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836. » pp. 85-104

Son monument à lui, sa restitution de l’histoire romaine selon Salluste, est venu plus d’un siècle trop tard, à la fin d’une époque empressée et rapide à laquelle suffisaient de reste les Considérations de Montesquieu. […] De Brosses le sentait bien, et, dans son voyage d’Italie, voyant à quels détails sa recherche le conduisait, il se disait qu’il tournait le dos au goût du siècle, et peut-être à celui de l’avenir : Tout ce qui est du ressort de la littérature, disait-il (prenant ici la littérature comme on l’entendait du temps de Casaubon), n’est plus guère du goût de notre siècle, où l’on semble vouloir mettre à la mode les seules sciences philosophiques, de sorte que l’on a quasi besoin d’excuses quand on s’avise de faire quelque chose dans un genre qui était si fort en vogue il y a deux cents ans. […] Il goûte certes la gaieté italienne et le comique de Machiavel ; mais il ne trouve pas, comme Algarotti, qu’on puisse mettre sa Mandragore en comparaison avec les bonnes pièces de Molière « qui sont excellentes par toute l’Europe et des chefs-d’œuvre pour nous : En effet, s’écrie-t-il avec quelque chose de cet enthousiasme qu’il portait dans les Chambres du Vatican, quiconque, à jour et à jamais, voudra connaître à fond la nation française du siècle passé, n’aura qu’à lire Molière pour la savoir sur le bout du doigt ; aussi dans ma dispute avec Algarotti, lui soutins-je que nul homme n’était jamais allé aussi loin dans son art que Molière dans le sien, c’est-à-dire qu’il était encore plus grand comique qu’Homère n’était grand épique, que Corneille n’était grand tragique, que Raphaël n’était grand peintre, que César n’était grand capitaine. […] Je n’essaierai pas d’en donner une complète idée : entre autres projets, par exemple, il avait celui d’une histoire des temps incertains et fabuleux jusqu’au règne de Cyrus : « Car, vous savez, disait-il en riant, que je traite tous les siècles postérieurs de petits jeunes gens. » L’histoire du président de Brosses comme magistrat, comme érudit, durant les trente-sept années qui s’écoulèrent depuis son retour d’Italie jusqu’à sa mort, est tout entière dans l’ouvrage de M.  […] On a cité quelques-uns des noms qui furent les derniers tenants et demeurants de la féodalité déjà détruite : lui, il est le dernier et le plus considérable des grands littérateurs provinciaux qui gardèrent jusque dans les idées nouvelles quelque chose de l’allure des siècles précédents.

331. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Jean Richepin »

Richepin, malgré son âme, au-dessus de la plupart des âmes de son siècle, est cependant un homme moderne, pétri par la main de l’éducation moderne. […] Si son siècle n’était pas ce qu’il est, M. Richepin n’aurait pensé ni publié son livre ; mais il est de son siècle, il le connaît… et il a chanté. […] Le siècle de Schopenhauer et du Nihilisme a enfin trouvé son poète. […] Les larmes immortelles de la Pitié, chez cette Révoltée généreuse des douleurs du monde, n’ont jamais séché sur son athéisme attendri… Il fallait au siècle un athéisme plus furieux et plus implacable.

332. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Depuis deux siècles, Boileau a été comme un épouvantail dont tous les poètes ont eu peur. […] Depuis près de deux siècles, aucun gouvernement, aucun système d’enseignement ne l’a retranché des études nécessaires. […] La communauté de race avait porté, dès le siècle précédent, les deux pays et les deux esprits l’un vers l’autre. […] Tel novateur n’est qu’un vieil ennemi de l’esprit français : il y a deux siècles, on le nommait Pradon. […] L’écrivain moderne crée dans sa langue ce que, dix-sept siècles avant lui, un autre écrivain de génie a créé dans la sienne.

333. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

Il y avait eu d’abord, aux xiie et xiiie  siècles, au siècle de Philippe-Auguste et de saint Louis, le règne et la vogue des Chansons de geste, des grands romans de chevalerie, la prédominance de la poésie épique, une poésie rude, prolixe, mais forte, énergique, d’une sève généreuse, parfois d’un grand caractère, et qui, dans quelques-uns de ses brillants développements, avait fini par acquérir toute sa grâce. […] La funeste et désastreuse guerre de plus d’un siècle entre la France et l’Angleterre a interrompu tout progrès ; elle intercepte bien des traditions. […] Tous les siècles n’ont pas un même goût… Pour moi, je confesse librement que je suis très marri de n’avoir été sage quand je le devais et pouvais être ; mais le regret en est hors de saison. […] Il nous a mis hors du lit ; il s’en va nous rendre notre santé parfaite, et après la santé un teint plus frais et une vigueur plus forte qu’en siècle qui nous ait jamais précédés. […] — Mais je m’oublie depuis longtemps à parler d’un autre siècle.

334. (1930) Physiologie de la critique pp. 7-243

Et l’être d’un siècle, serait-ce celui d’un des quatre siècles classiques devant lesquels toutes les Universités, les Académies, les historiens littéraires tirent leur chapeau, est fait de cent de ces années. […] L’esprit du siècle les a rendus pour la plupart aussi propres pour le monde que pour le cabinet, et c’est en quoi ils sont fort supérieurs à ceux des siècles précédents. […] Oui, mais précisément Montaigne n’appartient pas aux « siècles classiques » et, sinon les siècles classiques, du moins la grande génération classique, s’est construite contre lui. […] Dans les grands hommes du Siècle de Louis XIV, Voltaire cherche des modèles. […] Les pages initiales de la Confession d’un Enfant du Siècle donnent vraiment une note non encore entendue.

335. (1899) Le monde attend son évangile. À propos de « Fécondité » (La Plume) pp. 700-702

À propos de « Fécondité1 » Certains écrivains de ce siècle ont eu une ambition profonde. […] Toute l’ambition des esprits les plus grands du siècle tient dans ces paroles solennelles, graves et brûlantes. […] le fier et noble esprit à qui nous devons une histoire forte et solide, le fin et mélodieux chanteur des Harmonies, le riche et abondant poète des Feuilles d’Automne, des drames, de la Légende des Siècles, l’immense Balzac, le magnifique et sévère Comte, le bon et intrépide Tolstoï, l’âpre et tragique Dostoïevskya, et tant d’autres, qui ont tout compris, tout dépeint, tout vu et tout fait, ne se sont pas trouvés capables de dire une parole simple, âcre et inaltérable comme celles qu’ont rapportées les quatre évangélistes. […] Le siècle aboutit à ce livre, et s’y exprime.

336. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre II. Des éloges religieux, ou des hymnes. »

une fête établie pour la révolution des siècles, l’idée de la divinité pour qui tous les siècles ensemble ne sont qu’un moment, la faiblesse de l’homme que le temps entraîne, ses travaux qui lui survivent un instant pour tomber ensuite, les générations qui se succèdent et qui se perdent, les malheurs et les crimes qui avaient marqué dans Rome le siècle qui venait de s’écouler, les vœux pour le bonheur du siècle qui allait naître ; il semble que toutes ces idées auraient dû fournir à un poète tel qu’Horace, une hymne pleine de chaleur et d’éloquence ; mais plus un peuple est civilisé, moins ses hymnes doivent avoir et ont en effet d’enthousiasme.

337. (1824) Épître aux muses sur les romantiques

C’est le goût de mon siècle, et qui paie a raison. […] Console-toi ; mon siècle aura plus d’un Homère. […] Le siècle n’est pas tendre, il n’est que vaporeux ; Quand on est romantique on n’est point amoureux. […] Que nous fait l’avenir, si nous vivons célèbres ; Si le siècle applaudit nos œuvres des ténèbres ; Si nos contemporains, sur la foi des journaux, Nous prennent bêtement pour des soleils nouveaux ; Si, courbés sous le poids des honneurs littéraires, Nous voyons, l’or en main, accourir les libraires ; Si, grâce à nos patrons, la cassette du roi Nous paie en bons louis nos vers de faux aloi ?

338. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Le penseur, en ce siècle, peut avoir aussi sa foi sainte, sa foi utile, et croire à la patrie, à l’intelligence, à la poésie, à la liberté ! […] De siècle en siècle, en effet, l’aspect du inonde change pour les hommes ; en parcourant le cycle de la vie, il leur arrive ce qui arrive aux voyageurs parcourant les grands cercles terrestres : ils voient se lever sur leurs têtes des astres nouveaux qui se couchent ensuite pour eux, et c’est seulement au terme du voyage qu’ils pourront espérer connaître toute la diversité du ciel. […] Notre poésie française, heureusement, a été dans notre siècle de plus en plus animée d’idées philosophiques, morales, sociales. […] Le mal du siècle se montre déjà dans Lamartine, mais c’est sans altérer jamais par aucune dissonance l’amplitude de ses inspirations. […] Une fois faite, en ce pessimisme, la part d’une certaine affectation aristocratique, il semble bien que le « mal du siècle » ait marché ; nous arrivons avec Vigny à l’état aigu.

339. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

Il écrivit son Siècle de Louis XV et son Maréchal de Richelieu, mais ce n’était point assez, et comme M.  […] Il n’a pas cru, lui qui a touché pourtant à tout le bagage de fétidités, laissé par cette société pourrie et parfumée, qu’il y eût une lessive à faire pour blanchir le linge de ce siècle, taché du vermillon de tous les excès. […] pendant des siècles. […] Cela a aussi son éloquence que l’histoire de Mme Du Barry puisse encore paraître un scandale dans le siècle de la Dame aux Camélias, et que M.  […] Le dix-huitième siècle est un siècle déshonoré.

340. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Je diviserais volontiers l’histoire de l’Europe, pendant les douze siècles dont je parle, en quatre âges correspondants à ces quatre âges de l’homme. […] Pourquoi avez-vous vécu et souffert, âmes généreuses qui dans tous les siècles avez pensé à la postérité ? […] Aussi parcourez dans votre esprit les siècles de Christianisme : des deux commentaires de S.  […] Il est évident qu’en un siècle et demi le mal a été sans cesse croissant ; il semble aujourd’hui envahir la nation tout entière. […] La société aujourd’hui porte en elle la Régence et le siècle de Louis XV, puisqu’elle n’a pas d’autre religion, d’autre lumière, d’autre frein.

341. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Aux approches de 1789, il est admis qu’on vit « dans le siècle des lumières », dans « l’âge de la raison », qu’auparavant le genre humain était dans l’enfance, qu’aujourd’hui il est devenu « majeur ». […] D’abord une possession de huit siècles, un droit héréditaire semblable à celui par lequel chacun jouit de son domaine et de son champ, une propriété fixée dans une famille et transmise d’aîné en aîné, depuis le premier fondateur de l’État jusqu’à son dernier successeur vivant ; ensuite la religion qui ordonne aux hommes de se soumettre aux pouvoirs établis  Cette religion enfin, qui l’autorise ? […] Et, par une rencontre admirable, ces traits étaient justement les seuls que leur siècle, leur race, un groupe de races, un fragment de l’humanité fût en état de comprendre. […] En regard de la loi positive et de la pratique établie, on expose, avec des intentions visibles, les autres constitutions et les autres mœurs, despotisme, monarchie limitée, république, ici l’Église soumise à l’État, là-bas l’Église détachée de l’État, en tel pays des castes, dans tel autre la polygamie, et, de contrée à contrée, de siècle à siècle, la diversité, la contradiction, l’antagonisme de coutumes fondamentales qui, chacune chez elle, sont toutes également consacrées par la tradition et forment toutes légitimement le droit public. […] J’en appelle à toutes les institutions politiques, civiles et religieuses ; examinez-les profondément, et je me trompe fort, ou vous verrez l’espèce humaine pliée de siècle en siècle au joug qu’une poignée de fripons se permettait de lui imposer… Méfiez-vous de celui qui veut mettre l’ordre ; ordonner, c’est toujours se rendre maître des autres en les gênant. » Plus de gêne ; les passions sont bonnes, et, si le troupeau veut enfin manger à pleine bouche, son premier soin sera de fouler sous ses sabots les animaux mitrés et couronnés qui le parquent pour l’exploiter409.

342. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

Le jansénisme est un effet parmi les autres, et non la cause, de cette reprise vigoureuse de vitalité par laquelle la religion, si menacée naguère, va ressaisir la domination du siècle. […] Et c’est ce qui le rendra propre à représenter dans le siècle l’esprit de toute la religion, c’est ce qui en fera l’adversaire par excellence et la barrière du libertinage intellectuel et moral. […] Le courant disparaît dans la seconde partie du siècle, sous l’éclat de la littérature catholique et sous la décence des mœurs imposée par le grand roi. […] Ainsi furent suspendues pour trois quarts de siècle les tendances qui composèrent l’esprit de l’âge suivant. […] Le mot de Pascal contient, deux siècles avant Darwin, l’essence de la doctrine évolutionniste.

343. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

Peu d’hommes, dans ce moment du siècle, sont capables d’écrire un livre de cet accent et de cette inspiration. […] Il pèse sur tout cela, par la juste raison que, dans tout pays et dans tout siècle, tout cela, c’est la ruine, la dévastation, la misère et la honte d’un gouvernement et d’un peuple. […] Tous les actes et tous les faits du règne de Philippe II y sont émiettés scrupuleusement ; ils n’y sont ni condensés ni résumés dans un jugement qui ferait la figure d’un siècle ou d’un homme, avec cette poussière historique si soigneusement ramassée. […] le fanatisme religieux, le charbon fumant d’une flamme d’amour, inextinguible encore, pour une religion enfoncée par le marteau de quinze siècles dans le cœur, les mœurs et les institutions politiques des peuples, et même de ceux-là qui s’étaient révoltés contre elle. […] Ce livre a la puissance personnelle des facultés qui font le talent, mais il a l’impuissance de son siècle, — d’un siècle à qui manque radicalement le sens des choses religieuses, et il en faut au moins la connaissance et la compréhension pour en parler dans une histoire où elles tiennent une si grande place.

344. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

En supprimant, comme font volontiers les modernes, et comme ils sont portés à le faire de plus en plus, les anciens miracles et l’ordre surnaturel, il essaye de substituer et d’inaugurer un autre idéal, celui de l’Humanité ; et ce qui n’était chez lui d’abord qu’un sentiment de justice et de reconnaissance individuelle devenant un dogme social avec les années, il se range à cette parole d’un maître : « L’Humanité est composée de plus de morts que de vivants, et l’empire des morts sur les vivants croît de siècle en siècle : sainte et touchante influence qui se fait sentir de plus en plus au cœur à mesure qu’elle subjugue l’esprit. […] Ces âmes vigoureuses, amies du vrai sans partage, trempées dans le Styx, non amollies par l’air du siècle, non brisées par le frottement, non usées par le monde, ont avec elles leur inconvénient ; il faut payer la rançon, même des vertus. […] L’idée d’étudier le vieux français, de remonter au-delà d’Amyot, de Montaigne et de Rabelais, ne vint que tard ; le grand siècle se suffisait à lui-même ; les grands écrivains des règnes de Louis XIV et de Louis XV se trouvaient trop bien chez eux, surtout en fait de langage, pour sentir le besoin d’en sortir. […] On me dira qu’il l’a trop organisée, que les choses ne se sont point passées en fait avec une telle régularité ; que, par exemple, cette distinction de deux cas conservés dans la langue des xiie et xiiie  siècles n’était pas aussi universelle et aussi sensible qu’il le dit ; que c’était plutôt une intention et un soupçon qu’une règle adoptée et régnante ; que rattacher le progrès ou le déclin de cette langue intermédiaire du siècle de Philippe-Anguste et de saint Louis à l’observance ou à l’oubli d’un pareil détail, c’est mettre trop d’importance à une curiosité, etc, etc. […] Littré, le néologisme marche toujours ; et il y a, tous les quarts de siècle ou les demi-siècles, de petits raccords à faire dans la langue comme dans toute institution mobile qui dépend de l’état de la société.

345. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

J’aime prodigieusement vos siècles écoulés dans le temps qu’avait mis la sonnerie de l’horloge à sonner l’air de l’Ave Maria. […] » « Je vous écrirai bientôt de Venise », écrit-il du pied des Alpes, « de cette Venise où je m’embarquai il y a un siècle pour Jérusalem !  […] Ma fatigue est extrême, et souvent je ne puis m’empêcher d’être sensible à ce beau et triste spectacle d’une ville si charmante et si désolée, et d’une mer presque sans vaisseaux ; et puis les vingt-six ans écoulés à dater du jour où je quittai Venise pour aller m’embarquer à Trieste pour la Grèce… Si je ne vous rencontrais pas dans ce quart de siècle, je ne dirais que des choses rudes au siècle. […] Ce fut sa dernière gloire devant son siècle. […] Elle avait la passion du nom de M. de Chateaubriand ; elle le voulait aussi grand dans le siècle qu’il était grand dans son cœur.

346. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

Ces dédains rigoureux correspondent au temps où Malherbe et Boileau dénigraient Ronsard, où Voltaire exhalait son aversion à l’égard d’un siècle durant lequel l’on s’était égorgé pour des controverses religieuses. […] A la fin du siècle dernier, elle était abstraite et décolorée ; n’était-il pas recommandé de n’employer que les termes les plus nobles, c’est-à-dire les plus généraux et partant les plus ternes ? […] Tout porte la marque d’un siècle voluptueux, de mœurs douces et sensuelles. […] On peut faire l’épreuve sur un siècle. […] Cette première éruption se calme bientôt ; mais la gaîté subsiste et l’impudeur ; la littérature sera pendant tout le siècle décolletée comme les femmes le sont alors, même en plein jour.

347. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

Mais aujourd’hui que le poète, célébré par la presse, reconnu et proclamé le « grand homme du siècle » dort au Panthéon, « la colossale tombe des génies », la critique reconquiert ses droits. […] Shakespeare mourait oublié de son siècle. […] Un peuple de mots, de néologismes, d’expressions, de tournures et d’images, venues de toutes les provinces et de toutes les couches sociales, envahirent la langue polie, élaborée par deux siècles de culture aristocratique. […] L’honneur d’avoir dans ce siècle, non pas créé, mais consacré littérairement la langue romantique appartient à Chateaubriand, qui fut le maître de Victor Hugo. […] Il fut, après Chateaubriand, le plus grand des étalagistes de mots et d’images du siècle.

348. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VII »

Sa naissance a été latine ; son éducation a été latine ; et jusque pendant sa maturité, si on doit supposer qu’il la vit depuis trois siècles, l’appui et les conseils du latin l’ont suivi pas à pas : le latin a toujours été la réserve et le trésor où il a puisé les ressources qu’il n’osait pas toujours demander à son propre génie. […] Sous cette forme supposée, la langue française aurait eu un caractère très original, très pur, et peut-être faut-il regretter la longue tutelle qu’elle a subie au cours des siècles. […] Ceux qui résistèrent à l’esprit du siècle se retirèrent dans l’Armorique ; leur entêtement a légué au français environ vingt mots66 : c’est tout ce qui reste des dialectes celtiques parlés en Gaule, puisque les Bretons d’aujourd’hui sont des immigrés gallois.

349. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Pendant des siècles, l’art du coloriste ne fut que l’humble servant de l’art du dessinateur. […] siècle en vue de ressusciter ce qu’on croyait être le drame musical des Grecs. […] Il y a eu là un siècle de musique tout à fait exceptionnel. […] Il n’est pas transitoire : il est absolu et supérieur, en dépit des particularités qui le localisent dans la période intermédiaire du siècle naissant. […] Il le dépensa d’une manière prodigue et par bonté de cœur ; si bien que, pendant des siècles, les musiciens pourront encore se nourrir de ses pensées et de ses idées.

350. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

Pour un siècle nouveau, nous réclamons une forme nouvelle. […] J’aime le siècle de la poudre mieux que le siècle de Pope. […] Le siècle est pourri par son culte du succès. […] Il contient une vérité éminemment appropriée à notre siècle. […] Pater a droit à une place parmi les plus caractéristiques de ce siècle.

351. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

Un siècle illustre disparaît ; le glorieux talent qui le caractérisait le mieux, et dans les nuances les plus accomplies, meurt, en emportant, ce semble, son secret ; ceux qui le veulent suivre altèrent sa trace, les autres la brisent en se jetant de propos délibéré dans des voies toutes différentes : on est en plein dans un siècle nouveau qui lui-même décline et va s’achever. […] Le siècle d’Auguste eût été l’idéal ; mais, pour la gloire des lettres, ce siècle d’Auguste, en France, était déjà passé avec celui de Louis XIV. Ainsi désormais c’était, au mieux, un siècle d’Auguste sans la gloire des lettres, c’était un siècle des Antonins, qui devenait le meilleur espoir et la plus haute attente de Fontanes. […] Un jour, dans une des discussions vives qui décidèrent de la refonte du Génie du Christianisme, Fontanes dit à Chateaubriand une de ces paroles qui sifflent et volent au but comme une flèche : « Vous pouvez vous mettre à la tête du siècle qui se lève, et vous vous traîneriez à la queue du siècle qui s’en va !  […] Ce contemporain de la guerre du Péloponnèse pensait déjà comme La Bruyère à la première ligne de ses Caractères ; il sentait tout le poids d’un grand siècle, de plusieurs grands siècles, comme Fontanes.

352. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

Le siècle n’est plus controversiste parce qu’au fond il est incrédule et frivole. […] Il s’agit de savoir s’il faut refluer cinq siècles et blâmer un développement qui était évidemment appelé par la nécessité des choses. […] C’est par la même raison que ce siècle d’orthodoxie et de règle fut le siècle de l’équivoque. […] L’Allemagne, au commencement de ce siècle, a honteusement plié devant la France, et combien pourtant l’Allemagne de Gœthe et de Kant était supérieure pour la pensée à la France de Napoléon. […] Leur bon sens est la manière de voir de leur siècle ou de leur province.

353. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

Le pays de Vaud, pour m’y borner en ce moment, eut pourtant un développement ancien, suivi, tantôt plus particulier et plus propre, tantôt plus dépendant du nôtre, et réfléchissant, depuis deux siècles, la littérature française centrale, mais, dans tous les cas, resté beaucoup plus distinct que celui d’une province en France. […] Encore aujourd’hui, c’est là, en quelqu’un de ces villages baignés du lac, à Rolle peut-être, qu’il faudrait chercher les hommes qui savent le mieux le siècle de Louis XIV à toutes ses pages, et qui feraient les pastiches de ces styles les plus plausibles et les moins troublés d’autres réminiscences. […] Les Lettres écrites de Lausanne, délicieux roman de Mme de Charrière, montrent combien le goût, le naturel choisi et l’imagination aimable étaient possibles, à la fin du dernier siècle, dans la bonne société de Lausanne, plus littéraire peut-être et moins scientifique que ne l’était alors celle de Genève. […] Il passe en revue toute la littérature française, depuis Villehardouin jusqu’à M. de Chateaubriand, et en insistant avec continuité sur les trois siècles littéraires. […] Vinet, égarait la poésie loin de la veine heureuse, que son siècle et lui-même avaient rencontrée. » Il est impossible de plus enfermer en un l’adoucissement dans la critique, de plus précisément greffer l’éloge dans le blâme.

354. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Le lieu change d’une scène à l’autre sans difficulté ; et sans difficulté aussi, le drame embrasse dix ans, un siècle, ou quatre mille ans, comme le Mystère du Vieil Testament. […] En plus d’un siècle, on ne trouve ni un homme, ni une œuvre. […] Au xvc siècle, les représentations profanes sont, elles aussi, données par des bourgeois momentanément associés, et l’on voit par exemple cinq ou six artisans passer contrat par-devant notaire pour monter ensemble une moralité qui leur plaît. […] Mais ces 150 pièces ne représentent qu’une partie infiniment petite de la production comique des xve et xvie  siècles. […] Ou sait qu’on jouait des farces dès le xiiie  siècle, nous l’avons dit : on en a joué plus que jamais aux xve et xvie  siècles.

355. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

Celui de l’esclavage dans l’antiquité l’était beaucoup moins, et il a fallu des siècles pour arriver à concevoir la possibilité d’une société sans esclaves. […] Un immense problème est là devant lui ; la solution est urgente, il la faut à l’heure même ; et la solution est impossible, elle ne sera peut-être mûre que dans un siècle. […] Car le siècle est sous le coup d’un problème à la fois inévitable et insoluble. […] J’ai la certitude que l’humanité arrivera avant un siècle à réaliser ce à quoi elle tend actuellement, sauf, bien entendu, à obéir alors à de nouveaux besoins. […] Je repeuple en esprit ces déserts de tout le siècle qui s’est envolé.

356. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre III. L’histoire réelle — Chacun remis à sa place »

Dès le siècle dernier, ces réalités commençaient à poindre ; Frédéric II, en présence de Voltaire, se sentait et s’avouait un peu brigand. […] L’historien n’est plus que le maître des cérémonies des siècles. […] Un siècle est une formule ; une époque est une pensée exprimée. […] Ces phrases sont les siècles. […] Volte-face, et voyons maintenant les vrais siècles.

357. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Si une nation entend aujourd’hui la question morale dans un sens plus délicat qu’on ne l’entendait dans le siècle précédent, il y a progrès ; cela est clair. […] Il ne promet aux siècles à venir que ses propres œuvres. […] Nous vivons dans un siècle où il faut répéter certaines banalités, dans un siècle orgueilleux qui se croit au-dessus des mésaventures de la Grèce et de Rome. […]                           Dieu semble les produire afin de se prouver ; Il prend pour les pétrir une argile plus douce, Et souvent passe un siècle à les parachever. […] Delacroix ne pouvait-il pas, à lui seul, combler les vides d’un siècle ?

358. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

Le Siècle de Louis XIV paraissait ; il n’en sut pas reconnaître la supériorité déguisée sous l’agrément, et, pour se venger du procédé de Voltaire, il en eut un impardonnable à son égard, et que lui-même s’est reproché depuis. Il vendit à un libraire de Francfort, pour une contrefaçon du Siècle de Louis XIV, des notes qui n’y relevaient pas seulement des erreurs, mais qui s’attaquaient à l’homme même. […] En ce qui est du Siècle de Louis XIV, il s’est tout à fait mépris sur le mérite de ce bel et facile ouvrage, et il nous fait sourire quand, prenant un ton de maître et de régent avec Voltaire, il lui dit : Pour remplir votre objet, il fallait offrir à votre lecteur le spectacle de l’univers depuis 1640 jusqu’en 1720, et non lui présenter l’épitome du règne de Louis XIV. […] La jouissance n’est qu’un éclair, et les dégoûts sont des siècles. […] La jouissance n’est qu’un éclair, et les dégoûts sont des siècles.

359. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

Il n’avait pas fait autant de tapage que Voltaire, il s’était moins agité : mais il avait fait plus de besogne, au point de vue de la philosophie du siècle. […] Il ne se doute même pas des conjectures de Saint-Evremond ; il ne soupçonne pas la possibilité de la tâche que s’est donnée en ce moment même un érudit de Hollande : quatre ans après les Considérations, paraîtra la Dissertation de Beaufort sur l’incertitude des cinq premiers siècles de l’histoire romaine. […] Il ne s’agit encore que de l’histoire romaine, sujet classique, lieu commun de l’éloquence et de la tragédie du siècle précédent : mais la forme est loin d’être oratoire ou dramatique. […] Ce qui arrive est « l’effet d’une chaîne de causes infinies, qui se multiplient et se combinent de siècle en siècle ». […] De là, la variété infinie, le chaos contradictoire des lois aux différents siècles, chez les différents peuples.

360. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ernest Hello » pp. 207-235

On n’analyse pas non plus Vauvenargues, La Rochefoucauld, La Bruyère, qui, eux aussi, comme Hello, écrivirent des pages, — de simples articles, comme nous dirions maintenant, dans notre siècle de journaux. […] Je ne sais pas ce qu’en diront les voltairiens du Siècle, mais ils peuvent se cotiser tous et prendre dix ans pour répondre à Hello, ils n’effaceront pas, à eux tous, ce qu’il a écrit de Voltaire. […] Il n’a pas diminué les colosses, et, selon l’odieuse et ravalante méthode du xixe  siècle, — le siècle bourgeois !  […] Où était le temps où Voragine faisait les délices émues de plusieurs siècles ? […] Les siècles n’y font rien, non plus que les tonnerres.

361. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La Divine Comédie de Dante. traduite par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat et président à la Cour de cassation. » pp. 198-214

J’aime encore mieux pourtant dans ce monstre une cinquantaine de vers supérieurs à son siècle, que tous les vermisseaux appelés sonetti, qui naissent et meurent à milliers aujourd’hui, dans l’Italie, de Milan jusqu’à Otrante. […] La Harpe, après Rivarol, rétrogradait et se repliait sur le jugement de Voltaire, lorsqu’en quelques lignes rapides de son Cours de littérature il parlait de l’ouvrage de Dante comme « d’un poème monstrueux et rempli d’extravagances, que la manie paradoxale de notre siècle, disait-il, a pu seule justifier et préconiser ». Il lui faisait d’ailleurs la grâce d’y reconnaître, sans doute sur parole, « une foule de beautés de style et d’expressions qui devaient être vivement senties par les compatriotes du poète, et même quelques morceaux assez généralement beaux pour être admirés par toutes les nations. » On en était là au commencement de ce siècle. […] S’il nous est donné aujourd’hui, grâce à tant de travaux dont il a été l’objet, de le mieux comprendre dans son esprit, et de le révérer inviolablement dans son ensemble, nous ne saurions abjurer (je parle au moins avec la confiance de sentir comme une certaine classe d’esprits) notre goût intime, nos habitudes naturelles et primitives de raisonnement, de logique, et nos formes plus sobres et plus simples d’imagination ; plus il est de son siècle, moins il est du nôtre. […] Toutefois c’est encore dans les exemplaires grecs et latins, ou dans les productions chrétiennes appartenant à des âges plus doux, qu’on retrouve le genre de beautés le plus direct, le plus naturel et, pour nous, le plus aisé à sentir, le plus exempt de toutes les ligatures et de tous les emboîtements pédantesques qui, en le reconstituant, ont déformé à de certains siècles et mis à la gêne l’esprit humain.

362. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française à l’étranger pendant le xviiie  siècle, par M. A. Sayous » pp. 130-145

Les écrivains de Port-Royal font une tribu distincte dans la littérature française et au cœur du grand siècle : Pascal seul a éclaté pour tous ; si l’on veut bien connaître les autres, il faut y regarder de très près et les suivre longtemps dans leur monotonie apparente, dans leur demi-obscurité. […] On en était resté, avec lui, sous le coup de la fameuse note de la cinquième partie de La Nouvelle Héloïse : « Non, ce siècle de la philosophie ne passera point sans avoir produit un vrai philosophe. […] Il a, sur nos écrivains du grand siècle, et sur Boileau notamment, considéré comme auteur de satires, des opinions qui ne laisseraient pas de surprendre si on les citait, et qui ne me paraissent pas manquer de vérité dans leur entière indépendance. […] Par cette raison principalement, je le crois autant au-dessous de l’excellent, où la voix publique le place, qu’au-dessus du médiocre qu’il attaque avec succès dans ses satires ; et je suis persuadé que le temps, qui met le vrai prix aux auteurs, ne placera pas celui-ci au premier rang où son siècle le place. […] C’est ainsi que la biographie de Georges Le Sage, esprit plus singulier encore qu’original, et qui d’ailleurs n’a rien produit, me paraît tenir trop de place, venant après les études sur Charles Bonnet et sur l’illustre Saussure, les deux noms qui forment le véritable couronnement de ce beau siècle littéraire et scientifique de Genève.

363. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. »

Cette année même, le cours se continue et portera sur les temps modernes à dater du xv° siècle : celui de l’hiver dernier embrassait toute l’Antiquité et la barbarie jusqu’à la reconstitution de la société et au Moyen-Age inclusivement. […] pourquoi toute l’éloquence semble-t-elle s’être rassemblée vers le temps et aux alentours de Cicéron, toute la poésie au siècle d’Auguste ? […] C’est ainsi qu’au début du siècle de Louis XIV on a vu les chefs-d’œuvre en chaque genre renfermés et comme parqués ou enclos dans le cercle étroit de quelques années54. […] « Ces deux choses roulent ensemble dans ce grand mouvement des siècles où elles ont, pour ainsi dire, un même cours » ; mais pour les bien entendre, il est mieux de les détacher, de séparer la partie sacrée de la partie politique. […] M. de La Chapelle s’empare de l’idée de Velleius et l’applique aux circonstances (page 177) : c’était le cas sur cette fin d’un grand siècle et le lendemain de la mort de Racine.

364. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Jean-Baptiste Rousseau Louis XIV vieillissait au milieu de toutes sortes de disgrâces et survivait à ce qu’on a bien voulu appeler son siècle. […] Rousseau se désaccoquina du café et désavoua les couplets dans le monde ; mais on en parlait toujours ; de temps à autre de nouveaux couplets clandestins se retrouvaient sur les tables, sous les portes ; cette petite guerre dura dix ans et ouvrit le siècle. […] Il avait reçu comme une lettre morte les traditions du règne qui finissait ; il s’y attacha obstinément ; ses antipathies littéraires et sa jalousie contre les talents rivaux l’y repoussèrent chaque jour de plus en plus ; il tint pour le dernier siècle, parce que le petit Arouet était du nouveau. […] De la sorte, chez lui, nul sentiment vrai du passé non plus que du présent ; son esprit était le plus terne des miroirs ; rien ne s’y peignait, il ne réfléchit rien ; sans originalité, sans vue intime ou même finement superficielle, sans vivacité de souvenirs, aussi loin des chœurs d’Esther que des vers datés de Philisbourg, tenant tout juste au siècle de Louis XIV par l’Ode sur Namur, ce fut le moins lyrique de tous les hommes à la moins lyrique de toutes les époques. […] Mais, depuis qu’au commencement de ce siècle d’ardents et généreux athlètes ont rouvert l’arène lyrique et l’ont remplie de luttes encore inouïes, cet instinct bas et envieux, qui est de toutes les époques, a ramené Rousseau en avant sur la scène littéraire, comme adversaire de nos jeunes contemporains : on a redoré sa vieille gloire et recousu son drapeau.

365. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre 2. La littérature militante »

Les Tragiques de D’Aubigné ne verront le jour qu’au XVII° siècle, et nous les retrouverons au temps où le rude partisan se sera fait décidément homme de plume : mais il faut bien noter ici que ce chef-d’œuvre de la satire lyrique est né des guerres civiles, conçu dans le feu des combats, sous l’impression actuelle des vengeances réciproques ; même une partie du poème s’est fait « la botte en jambe », à cheval, ou dans les tranchées ; c’était un soulagement pour cette âme forcenée d’épancher dans ses vers le trop-plein de ses fureurs, qui ne s’épuisaient pas sur l’ennemi. […] Il avait pu y avoir dans les siècles précédents quelques harangues vigoureuses, quelques saillies de naturel éloquent, auxquelles les Etats généraux, les assemblées de l’Université ou diverses occasions de troubles civils avaient pu donner lieu. […] Il concevait la tolérance religieuse, en bon Français comme une nécessite politique, en bon chrétien comme un commandement de l’Évangile : les événements du siècle lui semblaient en donner la démonstration expérimentale, et il ne cessa de la prêcher, aux Rois, aux États, aux Parlements : c’était l’unique moyen de rétablir la paix sociale et de maintenir l’unité du royaume, disait-il quarante ans presque avant l’édit de Nantes. […] Les troubles des minorités sembleront réveiller l’éloquence politique : ils seront trop vite apaisés pour qu’elle ait le temps de renouer sa tradition et de produire des chefs-d’œuvre ; nous ne la retrouverons qu’au bout de deux siècles, quand la royauté absolue croulera. […] Ce procès de l’Université et des Jésuites est l’affaire capitale du siècle : trente ans après que Pasquier n’avait pu empêcher le Parlement d’appointer la cause et de laisser les Jésuites en possession indéfiniment provisoire, l’Université, au lendemain de l’entrée du roi à Paris (1594), tenta un nouvel effort : l’avocat Arnauld se fit l’interprète de ses revendications et de ses jalousies : il parla avec plus d’emportement, de grossièreté même, mais plus de lourdeur et d’emphase que Pasquier.

366. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

La religion du siècle est sa religion : elle croit au progrès, à la perfectibilité nécessaire et indéfinie de l’humanité. […] Mme de Staël prétend aussi, « en parcourant les révolutions du monde et la succession des siècles », manifester la loi de « la perfectibilité de l’espèce humaine ». Elle « ne pense pas que ce grand œuvre de la nature morale ait été jamais abandonné ; dans les périodes lumineuses, comme dans les siècles de ténèbres, la marche graduelle de l’esprit humain n’a jamais été interrompue ». […] Naturellement elle reprend l’idée de la supériorité du siècle de Louis XIV sur le siècle d’Auguste ; nous avons vu Boileau même la concéder. […] Il y a quelque chose de très singulier dans la différence d’un peuple à un autre ; le climat, l’aspect de la nature, la langue, le gouvernement, enfin surtout les événements de l’histoire, puissance plus extraordinaire encore que toutes les autres, contribuent à ces diversités ; et nul homme, quelque supérieur qu’il soit, ne peut deviner ce qui se développe naturellement dans l’esprit de celui qui vit sur un autre sol et respire un autre air : on se trouve donc bien en tout pays d’accueillir les pensées étrangères ; car dans ce genre, l’hospitalité fait la fortune de celui qui la reçoit643. » Le conseil était bon et pratique : nous nous en sommes aperçus plus d’une fois en ce siècle, nous autres Français.

367. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Lettres de Rancé abbé et réformateur de la Trappe recueillies et publiées par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont-Ferrand. »

Puis on s’est rejeté sur le tort qu’une semblable publication faisait à la mémoire de Fléchier, et on s’est porté pour vengeur de sa gloire officielle, comme si, après tout à l’heure deux siècles, il y avait une meilleure recommandation auprès d’une postérité blasée que de parvenir à l’intéresser encore, à l’instruire avec agrément et à faire preuve auprès d’elle des diverses sortes de qualités qui brillent dans cet écrit familier, esprit d’observation, grâce, ironie et finesse. […] Ce sont nos péchés qui en sont cause. » (Lettre du 14 septembre 1689). — Ainsi le grand siècle, ce siècle de Louis XIV que nous nous figurons de loin comme fervent, était à bout des moines, et cela de l’aveu du plus saint et du plus pur des réformateurs monastiques du temps. […] « Nous vivons, écrivait-il encore (à l’abbé Nicaise), nous vivons dans des siècles plus prudents et plus sages, je dis de la sagesse du monde, et non pas de celle de Jésus-Christ. » Depuis tantôt deux siècles que cette prudence et cette sagesse tout humaines n’ont fait que croître, l’anachronisme du saint réformateur n’est pas devenu moins criant.

368. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre I. Les mémoires »

Le talent littéraire lui a manqué : homme de lutte, protestant zélé, fougueux adversaire de la scolastique, d’Aristote et de la routine universitaire, humaniste, grammairien, mathématicien, philosophe, il faut bien que le don essentiel lui ait manqué, pour que ses enthousiasmes, ses colères, ses périls ne lui aient pas arraché quelques pages capables de lui assurer une place dans la littérature de son siècle, entre Paré et Palissy. […] Habitués longtemps à ne chercher d’éminents exemplaires de notre humanité que parmi les ouvriers bruyants de l’histoire politique, ou les brillants héros de la vie mondaine, nous nous complaisons aujourd’hui à saisir dans des vies plus modestes et plus obscures l’âme des siècles lointains, si irréductible tout à la fois et si identique à la nôtre. […] Les siècles précédents n’avaient guère eu que des chroniques : mais quand l’individu se prit lui-même pour objet et fin de son activité, quand il poursuivit au-delà de la durée de son être terrestre l’immortalité de la gloire, on conçoit aisément quels stimulants, dans une race sociable et causeuse, excitèrent les hommes à écrire leurs mémoires. […] Ainsi, dès le début du siècle, le Loyal Serviteur racontait avec sa charmante simplicité les faits du chevalier Bayard : ainsi le rédacteur des Mémoires, du maréchal de Vieilleville212 fit valoir le rôle de ce sage et honnête homme dans les conseils de François Ier, de Henri II et de Charles IX. […] C’est le peintre de l’individualisme du siècle, étranger à toute grande idée, à tout sentiment universel, notant avec une égale sympathie, une égale chaleur de style les fortunes amoureuses des dames, et les hautaines entreprises des hommes de guerre ; rien ne le touche que la vie.

369. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre II. Signes de la prochaine transformation »

Tout le siècle est prêt avec lui, semble-t-il. […] Mlle Clairon, qui montre Électre en haillons, fraye la voie à Talma, qui, au début de notre siècle, fera Cinna « laid comme une statue antique ». […] Il a permis avec une douce indulgence la libre poursuite du plaisir sensuel, sous la seule condition de respecter les convenances sociales, du reste singulièrement élargies ; et voici que de la sensation physique toute pure, dans laquelle il avait simplifié l’amour, est sortie la satiété ; la vanité même, par où on en relevait la saveur, n’a pas suffi à dissiper l’impression de langueur accablante, d’écœurante monotonie, que dépose à la longue dans les cœurs le libertinage du siècle. […] De là la maladie mondaine du siècle : l’ennui. […] Voltaire est resté d’un bout à l’autre du siècle le grand, l’incomparable poète, le modèle unique et inimitable.

370. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

Le mal du siècle, sous sa forme dernière, qui est le nihilisme moral, aura rencontré peu d’interprètes de cette âpreté d’accent. Mais c’est le mal du siècle tombé dans une nature intellectuelle, et c’est une poésie dont le tissu premier est une trame d’idées. […] Ces poèmes sont dignes du siècle de l’histoire… L’état d’esprit où nous met la poésie de M.  […] Ferdinand Brunetière Tout diffère dans les Poèmes barbares et dans cette Légende des siècles, à laquelle on les a si souvent comparés : l’inspiration, le dessin, la facture, le caractère, l’effet, la forme et le fond, le style et l’idée. […] Les Poèmes barbares ont paru en 1862 ; les deux premiers volumes de la Légende des siècles ont paru en 1859. — En outre, remarquez que les Burgraves, où est visible, par la conception et le verbe, tout le génie épique de Hugo, datent de 1843.

371. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Monselet »

Et dites si tout cela n’appartient pas, corps et biens, depuis des siècles, à l’auteur d’Émaux et Camées et de La Comédie de la mort ? […] La seule pièce de ce recueil qui s’appelle Les Vignes du Seigneur, et qu’on pourrait appeler Les Reflets à plus juste titre, la seule pièce où l’auteur est enfin un peu lui-même, est un petit poème à la manière de quelques poètes anglais du siècle dernier, intitulé Le Musicien. […] Le livre qu’il a publié sous ce titre, à faire sécher de jalousie Arsène Houssaye : Monsieur de Cupidon 12, n’est nullement le trumeau qu’on croirait sur le simple énoncé du titre, quoiqu’il porte aussi les influences d’un siècle auquel on ne saurait toucher impunément qu’avec un masque de verre, comme les chimistes touchent au poison. […] Que surtout l’auteur de Monsieur de Cupidon ferme à la clef son xviiie  siècle, et qu’il se désinfecte des parfums aigris que tout homme qui a aimé ce siècle funeste emporte fatalement dans sa pensée comme la punition d’un goût dépravé. […] A part encore la moralité, qui tient pourtant plus à l’intelligence que ne le croient des penseurs vulgaires, il faudrait que, dans un intérêt d’un autre ordre, Charles Monselet s’essuyât des marques laissées sur lui et sur la naïveté de son talent par ce siècle dans lequel il a cherché ses modèles, et avec lequel il a trop intimement vécu.

372. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

Ce mot d’ennui, pris dans l’acception la plus générale et la plus philosophique, est le trait distinctif et le mal d’Oberman ; ç’a été en partie le mal du siècle, et Oberman se trouve ainsi l’un des livres les plus vrais de ce siècle, l’un des plus sincères témoignages, dans lequel bien des âmes peuvent se reconnaître.  […] Et d’abord, dans l’ordre de l’action, il y avait le Premier Consul, celui qui disait un matin, en mettant la main sur sa poitrine : Je sens en moi l’infini ; et qui, durant quinze années encore, entraînant le jeune siècle à sa suite, allait réaliser presque cet infini de sa pensée et de toutes les pensées, par ses conquêtes, par ses monuments, par son Empire. […] Il y eut Oberman, le type de ces sourds génies qui avortent, de ces sensibilités abondantes qui s’égarent dans le désert, de ces moissons grêlées qui ne se dorent pas, des facultés affamées à vide, et non discernées et non appliquées, de ce qui, en un mot, ne triomphe et ne surgit jamais ; le type de la majorité des tristes et souffrantes âmes en ce siècle, de tous les génies à faux et des existences retranchées. 

373. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — I »

Il y a dans Werther un passage qui m’a toujours frappé par son admirable justesse : Werther compare l’homme de génie qui passe au milieu de son siècle, à un fleuve abondant, rapide, aux crues inégales, aux ondes parfois débordées ; sur chaque rive se trouvent d’honnêtes propriétaires, gens de prudence et de bon sens, qui, soigneux de leurs jardins potagers ou de leurs plates-bandes de tulipes, craignent toujours que le fleuve ne déborde au temps des grandes eaux et ne détruise leur petit bien-être ; ils s’entendent donc pour lui pratiquer des saignées à droite et à gauche, pour lui creuser des fossés, des rigoles ; et les plus habiles profitent même de ces eaux détournées pour arroser leur héritage, et s’en font des viviers et des étangs à leur fantaisie. […] On était dans un siècle d’analyse et de destruction, on s’inquiétait bien moins d’opposer aux idées en décadence des systèmes complets, réfléchis, désintéressés, dans lesquels les idées nouvelles de philosophie, de religion, de morale et de politique s’édifiassent selon l’ordre le plus général et le plus vrai, que de combattre et de renverser ce dont on ne voulait plus, ce à quoi on ne croyait plus, et ce qui pourtant subsistait toujours. […] Sa vie se passa de la sorte, à penser d’abord, à penser surtout et toujours, puis à parler de ses pensées, à les écrire à ses amis, à ses maîtresses ; à les jeter dans des articles de journal, dans des articles d’encyclopédie, dans des romans imparfaits, dans des notes, dans des mémoires sur des points spéciaux ; lui, le génie le plus synthétique de son siècle, il ne laissa pas de monument. […] Sainte-Beuve a dit en note (page 515) : « Ce que j’ai lu de plus favorable à Louis XV est dans un petit écrit intitulé : Portraits historiques de Louis XV et de madame de Pompadour faisant partie des œuvres posthumes de Charles Georges Leroy, pour servir à l’histoire du siècle de Louis XV (Paris, 1802).

374. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

Au siècle où nous sommes parvenus, continuent nos sceptiques, il n’est plus permis de faire des théories littéraires. Vingt-cinq siècles d’histoire littéraire se chargent de les réfuter toutes. […] Tout fait a sa cause, et toute littérature, toute œuvre d’art est un fait dont il suffît de chercher, dont il faut sans passion chercher la cause dans les mœurs, les idées et les goûts de la société qui l’a produite, dans l’esprit du siècle qui l’a inspirée, dans le génie de la nation qui lui a donné son caractère général, dans le tempérament, les habitudes et la vie de l’auteur original qui lui a imprimé son cachet particulier. […] Ce sont moins des écoles que trois différents esprits de la critique, et, pour ainsi dire, trois moments par lesquels doit passer successivement la pensée de tout homme qui, dans ce siècle où chaque chose est mise en question, examine la question de la critique littéraire : 1º le moment dogmatique (l’esprit humain affirme d’abord) ; 2º le moment critique (c’est vraiment la crise de l’intelligence ; nous ne croyons plus : resterons-nous sceptiques ?) 

375. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XV » pp. 175-187

Son règne n’autorisa pas à nommer le xviie  siècle le siècle de Louis XIV, car ce siècle était déjà illustre avant Louis XIV ; mais il en augmenta l’éclat et la grandeur. […] On veut, par exemple, qu’en démêlant les styles, la France se soit privée pendant près de deux siècles de la sagacité, de la naïveté et de l’énergie de Montaigne. […] La Bruyère qui a publié ses Caractères en 1687, mais qui a passé vingt années à les écrire, nous dit en peu de mots quel était l’état de la langue au milieu du siècle, à l’époque des Provinciales et des écrits de Port-Royal.

376. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIII. P. Enfantin »

Le siècle, indulgent pour les folies de sa jeunesse, n’avait plus pour eux qu’un sourire. […] Saint-Simon le prophétique, comme Fourier l’hiéroglyphique, comme Cabet, l’innocent Cabet, l’Icarique, ces grands Excentriques dans l’utopie n’étaient plus que des curiosités intellectuelles, mises au garde-meuble du dix-neuvième siècle, le plus grand marchand de bric-à-brac de tous les siècles ! […] Enfantin qui, s’il n’a pas été Dieu, en a été bien près, condamne la guerre, par amour et respect de la chair, avec ces lâchetés d’humanitaire, qui auraient fait reculer le droit humain de plus d’un siècle, si elles avaient eu dernièrement de l’action à Sébastopol. […] Enfantin, sécularisés, comme lui, depuis près d’un quart de siècle, n’ont pas applaudi à la démonstration inopinée de leur ancien Pontife et que, ne pouvant plus le déposer, ils se seraient contentés, s’ils l’avaient pu, de l’interdire.

377. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires sur Voltaire. et sur ses ouvrages, par Longchamp et Wagnière, ses secrétaires. »

La curiosité pourtant ne s’est pas ralentie ; plus universelle sans être moins vive, elle n’a presque fait, en passant d’un siècle à l’autre, que descendre des salons dans le public ; et voici qu’elle accueille aujourd’hui ces deux volumes d’anecdotes de plus de cinq cents pages chacun, aussi avidement qu’elle écoutait, vers 1770, madame de Genlis, ou madame Suard, ou telle autre dame lettrée, arrivée de Ferney la veille, et distribuant à demi voix, dans un cercle discret, ses délicieuses confidences. […] La lutte qu’on croyait éteinte reprend vie, et se replie obstinément sur les brisées du dernier siècle. […] A tout prendre pourtant, puisque nous sommes dans un siècle de biographies, ils méritent autant que bien d’autres la peine qu’on les parcoure, et, anecdotes pour anecdotes, celles qui concernent Voltaire ne sauraient être les moins intéressantes.

378. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

le livre du siècle, peut-être le livre de la postérité sur notre époque ! […] Il voyait le siècle nouveau de toute la hauteur de l’ancien siècle ; c’était l’Assemblée constituante réapparaissant avec ses aristocraties d’esprit et ses traditions monarchiques dans les conseils d’un jeune dictateur. […] Pitt avait eu la plus brillante destinée de son siècle, après celle du grand Frédéric. […] Exposé pendant un quart de siècle à la véhémence entraînante de M.  […] Ce livre, c’est l’univers pendant un quart de siècle.

379. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Rousseau émut son siècle. […] Que ce n’ait été ni un siècle poétique, ni un siècle philosophique, il nous le faut confesser ; mais c’est un siècle initiateur en choses de sciences, et l’annonce et la promesse, déjà très brillante, de l’âge scientifique le plus grand et le plus fécond qu’ait encore vu l’humanité. […] Le monde pour lui « est trop indisciplinable pour profiter des maladies des siècles passés, et chaque siècle se comporte comme s’il était le premier venu ». […] Décidément c’est l’érudit du vingt-cinquième siècle qui a raison. […] Elle vient au jour, elle aussi, presque au commencement du siècle.

380. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

À l’ouverture de chaque âge, il est d’une certaine façon ; son corps, son cœur et son esprit ont une structure et une disposition distinctes ; et de cet agencement durable que tous les siècles précédents ont contribué à consolider ou à construire sortent des désirs ou des aptitudes permanentes, selon lesquelles il veut et il agit. […] Pareillement, si vous regardez l’Anglais au seizième siècle, vous découvrez en lui les penchants et les puissances qui, pendant trois siècles, vont gouverner sa culture et façonner sa constitution. […] C’est un homme du siècle, souvent un homme du monde, souvent de bonne famille, ayant les intérêts, les habitudes, les libertés des autres, parfois une voiture, des gens, des mœurs élégantes, ordinairement instruit, qui a lu et qui lit encore. […] Lorsqu’il reparut, il y a trois siècles, c’est en Occident, chez des peuples laborieux et à demi libres, au milieu du redressement et de l’invention universelle, quand l’homme, améliorant sa condition, prenait confiance en sa destinée terrestre, et épanouissait largement ses facultés. […] Une vaste révolution se fait depuis trois siècles dans l’intelligence humaine, semblable à ces soulèvements réguliers et énormes qui, déplaçant un continent, déplacent tous les points de vue.

381. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Nous voudrions également montrer comment il est possible de maintenir à l’histoire son haut caractère d’enseignement moral avec la nouvelle méthode qui en a fait une œuvre éminemment scientifique depuis le début de notre siècle. […] Dans les temps modernes jusqu’à notre siècle, l’histoire n’a guère été comprise, composée, écrite autrement que dans l’antiquité. […] A notre siècle seul appartiennent les œuvres de véritable science historique. […] Jusqu’à notre siècle, les historiens, fidèles en cela à la méthode de l’antiquité, n’avaient vu dans l’avènement de la nation française que l’œuvre toute personnelle de quelques individualités militaires, comme Clovis, Charlemagne, Hugues-Capet, Philippe-Auguste. […] C’est la tendance constante de deux écoles, dont l’une a occupé et dont l’autre occupe encore une certaine place dans le mouvement philosophique et historique de notre siècle.

382. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 4. Physionomie générale du moyen âge. »

Elle est envahie par les misères du siècle, par la brutalité, l’ignorance, la superstition, et son peuple de moines appelle sans cesse la colère et le zèle des réformateurs. […] Elle a cette école de Reims, que dirigea Gerbert : elle a l’école de Paris où commenceront à retentir au siècle suivant les grandes disputes. […] Telle est la physionomie caractéristique des trois siècles du moyen âge (environ 1000-1327).

383. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

Il y a toujours eu des siècles à part, que l’on pourrait appeler les siècles heureux, tant ils ont été favorisés par une réunion de circonstances uniques. […] La France a eu son siècle de Louis XIV, précédé, par un rare privilège, du siècle de la Renaissance et suivi du siècle de Montesquieu et de Voltaire. […] Vos noms pourront être condamnés à l’oubli ; un siècle plus heureux ne se souviendra pas de vos labeurs et de vos services ; mais ce siècle, c’est vous qui l’aurez fait naître. […] Nous faudra-t-il toujours un siècle par mot vrai introduit sur la scène ?  […] Le siècle futur fait son apprentissage dans tous ces humbles commencements.

384. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Au siècle suivant de même. […] Il ne se sentait attiré avec charme que vers cette première fleur du beau siècle de l’éloquence. […] Mais ne vous hâtez pas de juger : il se fortifie avec son siècle ; il a vaincu, réparé cette disposition première contre laquelle il est en garde ; il ne lui est resté que l’agrément. […] On en a cinq volumes, deux sur le moyen âge, trois sur le xviiie  siècle ; un sixième volume qui complète ce siècle et en retrace le commencement, va paraître, refait de souvenir par l’auteur117. […] Les autres lui contesteront la préférence décidée qu’il décerne à la prose du xviie  siècle sur celle du xviiie , et en général au premier grand siècle des littératures sur le second.

385. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

Peut-être aussi le génie a-t-il manqué aux poëtes dans ce siècle si fécond en hommes supérieurs, à moins que la servitude d’une double imitation n’ait fait avorter le génie dans des jeux d’esprit. […] Le plus grand homme de ce siècle, Henri IV, était nourri de Plutarque128. […] Le doute, c’était la seule sagesse possible alors, sagesse qui deviendra bientôt insupportable ; et si Montaigne a plus douté qu’homme de son siècle, c’est qu’il était plus homme de génie qu’aucun de ses contemporains. […] Sur la fin du siècle toutefois, on commence à le lire, et on le juge mieux. […] Sous quelque point de vue qu’on l’ait regardé, soit qu’on y ait cherché l’instruction ou la distraction, peu d’écrivains, depuis trois siècles, ont eu plus de lecteurs dans notre pays, et des lecteurs plus amis de leur auteur.

386. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Elle chante les siècles, les peuples, les empires. […] Plus tard, dans le siècle de l’étiquette, il nous montrera Scarron sur le bord même de la couche de Louis XIV. […] Le nouveau siècle est dans cet âge de croissance où l’on peut aisément se redresser. […] Chaque siècle y apporte et en emporte quelque chose. […] Le dernier siècle pèse encore presque de tout point sur le nouveau.

387. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

Nos sciences ne sont nées que d’hier, et elles ont, en moins d’un siècle, transformé l’aspect de la vie. […] Le siècle qui marche à sa fin ne pourrait-il pas, en retour, transmettre comme un héritage, au genre humain, quelques gages de concorde, et l’espérance des grands bienfaits que promet l’unité de la foi chrétienne ? […] Résolument, il a lancé la barque de saint Pierre sur la mer orageuse du siècle, et ni l’impétuosité des vents, ni le tumulte des flots, ni la clameur même des passagers effrayés de sa tranquille audace ne l’ont un seul jour détourné de son but. […] L’histoire du siècle présent prouve également à quel point le sort de tous a été amélioré par les idées nouvelles… Telles sont les conséquences de la méthode scientifique. […] Admettons que, depuis le troisième ou le quatrième siècle, le christianisme se soit propagé, développé, soutenu par des moyens purement humains.

388. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Paul, Albert (1864-19..) »

Scènes de bal, en des décors de Boucher et de Watteau, évoquaient les chères ombres du siècle passé. […] [Portraits du prochain siècle (1894).]

389. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

C’est ici le grand siècle de l’Europe et le plus admirable moment de la végétation humaine. […] Qui se soucie du naturel et du possible en ce siècle ? […] Nul penseur ne témoigne mieux de la flottante et inventive curiosité du siècle. […] En effet, tout le siècle y a coopéré ; c’est par cette création qu’il s’achève. […] Comme les littératures et les religions, les méthodes et les philosophies sortent de l’esprit du siècle ; et c’est l’esprit du siècle qui fait leur impuissance comme leur pouvoir.

390. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

Les siècles et la philosophie ont épuisé ce sujet, et ce que j’ai dit sur l’esprit de parti est applicable à cette frénésie comme à toutes celles causées par l’empire d’une opinion ; ce n’est pas non plus de ces idées religieuses, seul espoir de la fin de l’existence dont je veux parler. […] On s’est trop accoutumé à penser que les hommes du peuple bornaient leur ambition à la possession des biens physiques ; on les a vus passionnément attachés à la révolution, parce qu’elle leur donnait le plaisir de connaître les affaires, d’influer sur elles, de s’occuper de leurs succès ; toutes ces passions des hommes oisifs ont été découvertes par ceux qui n’avaient connu que le besoin du travail et le prix de son salaire : mais lorsque l’établissement d’un gouvernement quelconque, fait rentrer nécessairement les trois quarts de la société dans les occupations qui chaque jour assurent la subsistance du lendemain, lorsque le bouleversement d’une révolution n’offrira plus à chaque homme la chance d’obtenir tous les biens que l’opinion et l’industrie ont entassé depuis des siècles dans un Empire de vingt-cinq millions d’hommes ; quel trésor pourra-t-on ouvrir à l’espérance, qui se proportionne, comme la foi religieuse, aux désirs de tous ceux qui veulent y puiser ? […] Si ce siècle est l’époque où les raisonnements ont le plus ébranlé la possibilité d’une croyance implicite, c’est dans ce temps aussi que les plus grands exemples de la puissance de la religion ont existé ; on a sans cesse présent à sa pensée, ces victimes innocentes qui, sous un régime de sang, périssaient, entraînant après elles ce qu’elles avaient de plus cher ; jeunesse, beauté, vertus, talents, une puissance plus arbitraire que le destin, et non moins irrévocable, précipitait tout dans le tombeau. […] Enfin, un homme avait vu toutes les prospérités de la terre se réunir sur sa tête, la destinée humaine semblait s’être agrandie pour lui, et avoir emprunté quelque chose des rêves de l’imagination ; roi de vingt-cinq millions d’hommes, tous leurs moyens de bonheur étaient réunis dans ses mains pour valoir à lui seul la jouissance de les dispenser de nouveau ; né dans cette éclatante situation, son âme s’était formée pour la félicité, et le hasard qui, depuis tant de siècles, avait pris en faveur de sa race un caractère d’immutabilité, n’offrait à sa pensée aucune chance de revers, n’avait pas même exercé sa réflexion sur la possibilité de la douleur ; étranger au sentiment du remord, puisque dans sa conscience il se croyait vertueux, il n’avait éprouvé que des impressions paisibles.

391. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Conclusion » pp. 355-370

Il y a, à la vérité, un signe où elle reconnaît les grands hommes, et il n’est peut-être pas bien exact de dire que tous les objets soient égaux devant l’indifférence de sa curiosité ; Molière est mille fois plus intéressant à ses yeux que Cyrano de Bergerac, Pradon ou Boursault : « Plus un poète est parfait, dit-elle, plus il est national ; plus il pénètre dans son art, plus il a pénétré dans le génie de son siècle et de sa race ; la hauteur de l’arbre indique la profondeur des racines465. » Quoi qu’il en soit, l’école historique, je dis l’école historique idéale, à la considérer dans l’unité et la pureté de sa doctrine, annule la critique littéraire au sens où le langage a toujours entendu le mot de critique, puisqu’elle ne juge pas, ne blâme ni ne loue. […] Les sciences ont leur méthode, leur grande roule royale où elles marchent sûrement, et s’il ne se rencontre que de siècle en siècle des Newton et des Cuvier pour leur faire faire des pas de géant, les plus petits garçons, s’ils reprennent les choses au point où ces grands hommes les ont laissées, peuvent les faire avancer un peu tous les jours. […] Mais on ne sera point lu, et l’on déplorera l’indifférence du siècle en matière de philosophie.

392. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jacques Demogeot » pp. 273-285

Contradictoire quelquefois quand il raisonne, par exemple lorsqu’il nous dit que le siècle de Louis XIII, dans ses commencements, était le siècle des plus grandes âmes, qu’il l’admire et même l’admire trop, et lorsqu’à trois pas de là il ajoute que les petits vers des Voiture du temps, les billevesées des ruelles et des Samedis de chez Mademoiselle de Scudéry étaient à la taille de ce siècle si grand ! […] Malherbe, Vaugelas, le Cardinal de Richelieu, ces grands hommes d’État littéraires, ces Hercules qui ont balayé la place pour que le grand Corneille pût passer, et Louis XIV et tout son siècle, ces hommes qu’on pourrait appeler plus glorieusement que Pitt les Ministres des préparatifs, car ils préparèrent le dix-septième siècle en l’ouvrant, voilà les personnalités les mieux comprises de M. 

393. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

L’image de Victor Hugo, dans les Orientales, Napoléon à l’horizon du siècle comme le Vésuve à l’horizon de Naples, est aussi vraie pour le siècle littéraire que pour le siècle politique. […] Génération de Napoléon, de même qu’il y a un Siècle de Louis XIV. […] Il eût été plus juste de l’appeler Dix-Neuvième Siècle, Romantisme. […] La génération des enfants du siècle trouve dans l’année médiane du siècle en 1850 son chemin creux d’Ohain. […] Elle mériterait qu’on l’appelât la grande génération, comme ont dit le grand siècle.

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