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313. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Une soirée chez Paul Verlaine » pp. 18-33

Le noir vit et dans le gaulis erre, Si rempli de douleurs que nul ne le rêva, Un inouï soupir ; et d’une voix qu’on n’a Que lorsqu’on va mourir, quelqu’un se désespère : « Un de plus, un de plus, un de plus qui s’en va !… » Il fallait entendre René Ghil réciter ce poème avec une voix étranglée de ferveur pour savoir jusqu’où peut aller la puissance émotionnelle des mots. […] Toutefois, quand il s’agit d’un talent si robuste, d’une voix aussi sincère, il sied d’être prudent dans ses réserves.

314. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre IV. Suite du parallèle de la Bible et d’Homère. — Exemples. »

Un spectre parut devant mes yeux, et j’entendis une voix comme un petit souffle108. » Il y a là beaucoup moins de sang, de ténèbres, de larves que dans Homère ; mais ce visage inconnu et ce petit souffle sont en effet beaucoup plus terribles. […] » Alors les larmes lui tombant des yeux, il éleva fortement sa voix, qui fut entendue des Égyptiens et de toute la maison de Pharaon. […] Il les appelle auprès de lui : car s’il a élevé la voix assez haut pour être entendu de toute la maison de Pharaon, lorsqu’il a dit, je suis Joseph, ses frères doivent être maintenant les seuls à entendre l’explication qu’il va ajouter à voix basse : ego sum, Joseph, frater vester, quem vendidistis in Ægyptum  : c’est la délicatesse, la générosité et la simplicité poussées au plus haut degré.

315. (1912) L’art de lire « Chapitre V. Les poètes »

Tandis qu’en ponctuant comme le typographe avait fait, même avec une syntaxe correcte, comme je vais faire, nous aurons un distique, puis trois vers d’une seule tenue de voix, puis un vers isolé ; deux, trois, un ; et tout rythme est détruit. […] Comme silences enfin, la pose de la voix après la première demi-période et après le mot inévitables. […] Et je n’ai pas besoin d’ajouter qu’ici, comme il doit être, le nombre et l’harmonie concourent, l’harmonie ne contrarie pas le nombre et au contraire s’associe avec lui intimement et la voix s’arrête, selon le nombre, sur le mot inévitables, comme, selon l’harmonie, le mot inévitables doit être vigoureusement accentué.

316. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’Empire Chinois »

Les mandarins les plus fins et les plus fûtes, comme les fonctionnaires les moins sagaces, furent parfaitement dupes de cette excellente mascarade, dont le récit a la grâce d’une ironie pleine de gaîté et dans lequel Huc prend tour à tour les deux voix, — la voix du masque qui fait illusion et la voix vraie qui se moque de l’illusion faite, — et se félicite, avec une bonne humeur si communicative, d’avoir réussi.

317. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Il se hausse sur ses étriers, et d’une voix éclatante : “Changement de direction à gauche ! […] Voués à la guerre et au mouvement par l’organisation que leur transmirent les gens de main et les héros d’audace accourus à la voix du nourrisson de la louve d’airain, les Romains reçurent en partage le génie des arts nécessaires aux hommes d’action. […] Il eût voulu mugir comme la tempête ; mais une voix intérieure, l’éclair bleu des beaux regards, je ne sais quels appels vers les lambrequins blasonnés de la zone héraldique, lui commandaient des chants de sotto voce.

318. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. de Lacretelle » pp. 341-357

Le canon chantait seul, sur son rythme terrible… Et quand il se tut, voilà qu’on entendit une voix céleste qui n’avait encore retenti nulle part, pas même dans les chœurs de Racine qu’elle surpassait en inspiration divine et en inspiration humaine, et ce fut les Méditations ! […] — non l’homme d’action, qui ne le serait pas pour l’Histoire, si on l’entendait quand il s’agit d’un si grand poète, et si sa voix pouvait rivaliser avec cette grande voix !

319. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « SUR ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 497-504

Les plus apparents à bon droit et les plus vénérés dans le groupe des poëtes ont rempli par leurs chants quelque fonction religieuse ou sociale ; ils ont été, ou la voix éloquente et palpitante du présent, ou l’écho lamentable d’un passé détruit, ou l’ardente trompette des espérances et des menaces de l’avenir. […] Hors de là, vers les rives, aux endroits plus calmes et sur une surface assez immobile ou animée de contre-courants peu rapides, il y avait des raisonneurs qui expliquaient aux autres le spectacle, et pourquoi cela était ainsi de toute nécessité, et pourquoi cela devait être toujours ; il y avait, rangés derrière deux ou trois grands noms, sur les traces de Lamartine, harmonieusement ravi en ses tendresses sublimes, sur les pas de Victor Hugo, de plus en plus occupé à ses chauds horizons, et à portée de voix de quelques autres, il y avait des peintres de vieilles ruines, qui étudiaient les débris gothiques le long des bords, des psychologues qui se miraient au sein des eaux, des nacelles de rêveurs dont le front regardait perpétuellement le ciel, des essais de colonie littéraire et d’abri poétique autour d’agréables îles et dans les Délos nées d’hier.

320. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Retté, Adolphe (1863-1930) »

Ce ne sont pas des fantoches débitant d’une voix monotone et affadissante des mirlitonneries pour demoiselles en mal de rêve. […] De tranquilles lumières sont entrées dans son cœur et veulent en sortir ayant pris une voix.

321. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 41, de la simple récitation et de la déclamation » pp. 406-416

Comme l’eloquence du corps ne persuade pas moins que celle des paroles ; les gestes aident infiniment la voix à faire son impression. […] Sans elle néanmoins le beau son de voix et tous les autres talens naturels ne sçauroient former un grand déclamateur.

322. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 42, de notre maniere de réciter la tragédie et la comedie » pp. 417-428

Nous voulons encore que ces acteurs parlent d’un ton de voix plus élevé, plus grave et plus soutenu que celui sur lequel on parle dans les conversations ordinaires. […] Generalement parlant, il est des peuples qui varient davantage leurs tons de voix, qui mettent des accens plus aigus et plus fréquens dans leur prononciation, et qui gesticulent avec plus d’activité que d’autres.

323. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre II. Quelques traditions sur Pindare. »

Parvenu à un âge avancé, il fréquentait encore, dans les principales villes de la Grèce, ces solennités populaires tant célébrées par sa voix. […] Quelques vers grecs, d’une date inconnue mais ancienne, consacrent par de touchants détails la fin du poëte dans les fêtes d’Argos32 : « Protomaque et Eumétis33 aux douces voix pleuraient, filles ingénieuses de Pindare, alors qu’elles revenaient d’Argos, rapportant dans une urne ses cendres retirées des flammes d’un bûcher étranger. » La gloire du poëte grandit sur sa tombe, placée dans le lieu le plus remarquable de Thèbes, près de l’amphithéâtre des jeux publics.

324. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

Les passions environnantes éclatent dans leur cœur avec un cri plus âpre ou plus juste, et c’est pour cela que leur voix devient la voix de tous. […] Et le chantre qui a bâti les murs de Thèbes, —  avec les sons ravissants de sa harpe mélodieuse, —  n’a-t-il pas accompagné la voix de mon Méphistophélès ? […] Comme les personnages qu’ils imaginent, les poëtes et les spectateurs font des gestes, tendent leurs voix, et sont acteurs. […] —  Je vous entendis parler, —  votre voix était bien au-dessus d’un chant. […] je défaille. » Elle meurt, demandant quelque douce voix qui lui chante un air plaintif, un air d’adieu, un doux chant funèbre.

325. (1902) La poésie nouvelle

Il écoute, dans le battement de ses artères, la voix impure des ascendants, Gaulois, païens, coureurs de sabbats. […] Leur voix se mêle à celle des cloches, à celle des cloches de l’horizon, différemment distantes ; et quand une des cloches a battu, les autres cloches bientôt s’éveillent, — les âmes aussi.‌ […] Il s’obstine ; la voix l’appelle. […] On distingue la voix d’un veilleur de proue qui, d’un navire qui passe, épie l’apparition des Sirènes ; sa complainte incantatrice s’approche et s’éloigne. […] Elles chantent si doucement qu’on entend « à travers leur voix d’autres voix », oui, les voix de toute la Nature, accordées, et la voix de tout le passé, les bruissements de la forêt et les chansons de la légende, toutes les choses et tous les rêves dans lesquels s’incarne la pensée, suscités par l’incantation délicieuse…    ‌ Les Médailles d’argile95 , semblent marquer un retour à la poésie objective ; en même temps qu’à une forme métrique plus régulière, presque parnassienne.

326. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

pourquoi pas une voix ne s’élève-t-elle contre l’envahissement de cette colossale renommée ? […] Ma voix mélodieuse n’arrive pas à leurs oreilles grossières. […] Le vainqueur et le vaincu se lèveront à ma voix et recommenceront la bataille. — Mais la foule tarde bien. […] Comment étouffer le murmure confus des voix qui s’élèvent pour se plaindre ? […] Il l’interroge d’une voix haletante et furieuse.

327. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

Au-devant, au-devant de ses yeux, tout lui apparaissait encore : quel il était lui-même en personne, de quel manteau il était vêtu, ce qu’il avait dit, et quelle bonne mine quand il se tenait assis sur son siège, et quelle noble démarche en sortant ; et sa pensée, en s’assombrissant, lui disait qu’il n’y en avait pas un pareil entre les hommes ; et sans cesse la douce voix du héros résonnait à ses oreilles, avec les discours de miel qu’il avait prononcés. Et elle craignait pour lui, elle craignait que les bœufs ou qu’Éétès lui-même ne le fissent périr ; elle le pleurait comme déjà tout à fait mort ; de tendres larmes inondaient ses joues dans la violence de sa pitié, et, se lamentant faiblement, elle poussa cette plainte d’une voix frêle : « Pourquoi, malheureuse, cette angoisse me tient-elle ainsi ? […] Bien des fois sa bouche aimable s’ouvrit pour parler, mais la voix ne passa point plus avant. […] Le premier, le fils d’Éson reconnut qu’elle était tombée dans le mal sacré, et, d’une voix caressante, il lui tint ce langage… » L’admirable comparaison des deux arbres est du genre de celles qui abondent dans les littératures anciennes, qui sont assez rares dans les littératures modernes, mais dont en particulier la poésie française dite classique s’est scrupuleusement préservée. […] Un seul et dernier trait : c’est au moment où elle se décide à fuir au milieu de la nuit : « … Elle baisa son lit et les deux côtés de la porte, elle embrassa jusqu’aux murailles, et, ayant coupé de ses mains une longue tresse, elle la laissa dans la chambre pour sa mère comme souvenir de sa virginité, et elle s’écria d’une voix gonflée de sanglots : « Cette longue mèche de mes cheveux, je te la laisse en ma place, ô ma mère !

328. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Généralement il exprimait ses idées par de petites phrases sentencieuses et dites d’une voix douce. […] ” Dieu reconnaîtra ses anges aux inflexions de leur voix et de leurs mystérieux regrets. […] « Nanon, venez m’aider à me coucher, dit la mère d’une voix faible. […] ” cria Eugénie d’une voix si éclatante que Nanon effrayée monta. […] dit d’une voix faible Mme Grandet.

329. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « L’Académie française »

Mais bien d’autres préoccupations étaient venues à la traverse et absorbaient cette année-là l’attention publique ; d’autres trônes, dans l’intervalle, avaient croulé ou tremblaient sur leur base, la rue grondait, et la voix d’Andrieux, avec son filet mince, s’entendit à peine. […] Arnault, qui lui succéda et qui eût continué le même air d’une voix plus rauque, ne fit que paraître et disparaître au fauteuil de secrétaire perpétuel ; mais, avec M.  […] C’était un charme alors d’ouïr cette voix harmonieuse et dorée qui semblait celle de la sirène : c’est plaisir encore aujourd’hui de lire ou de parcourir ces premiers rapports, tracés d’une plume élevée et brillante : on se sent véritablement dans une sphère étendue et supérieure où la lumière se joue. […] Les contradictions élevées au sein de l’Académie sont rares depuis bientôt dix-huit ans ; les voix récalcitrantes qui se sont élevées à certaines heures ont été à peu près solitaires. […] On ne donne pas tout à la voix publique désignant son candidat préféré, mais de temps en temps on lui accorde quelque chose.

330. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

Alors il prononça gravement et d’une voix haute ces deux vers de l’Iliade qu’on venait de lui donner à apprendre et à méditer pour sa leçon du lendemain : Ἀτρεἱδη, μἡ ψεὑδε’ ἐπιστἁμενος σἁφα εἰπειν, Οὐ γἁρ ἐπἱ ψεὑδεσσι πατἠρ Ζευς ἔσσετ’ ἁρωγὁς. — « Fils d’Atrée, ne mentez pas, vous qui savez si bien dire la vérité. — Car Dieu, notre père, ne sera jamais le soutien du mensonge. » « Et mon jeune lecteur, en épelant ces vers, se reprit, comme s’il eût été devant le pédagogue, pour me faire sentir l’accent du mot ψεὑδεσσι, mensonge, sur lequel d’abord il n’avait pas assez appuyé. […] « Elle accompagne son chant de sa guitare et fait entendre une voix angélique. […] « Aux rayons de la lune, qui répand une si douce lueur dans ces régions asiatiques, aux derniers bruits que la mer apaisée jette sur la plage, les filles de Scio venaient, sur le banc de pierre dressé à la porte de leur maison, écouter les plaintes et les déclarations d’amour des jeunes hommes, quelquefois mêler leurs voix aux chants passionnés, au son du téorbe ou de la mandoline. […] Les bruits de ces villages, qui sont autant de ports, s’éveillaient ; les voix des caïdgis (bateliers) se mêlaient aux cris des goélands ; le brouillard avait laissé sur chaque feuille une goutte de rosée qui étincelait au soleil ; ma promenade fut délicieuse, et je revins chargé de touffes de bruyères, de daphnés et de cistes fleurissant d’eux-mêmes au sein de ces solitudes qui touchent de si près au rivage. […] Christopoulos lut alors d’une voix cadencée ces vers qui dans sa bouche recevaient du rythme et de l’harmonieux idiome un charme inexprimable.

331. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

Sa voix, sans doute, n’a pas la puissance souhaitable, mais il n’en arrive pas moins à produire des impressions saisissantes : le monologue du premier acte, le chant du Printemps, l’arrachement de l’épée ont remué tout le public. […] Vainement il cherche un collaborateur : soliste perpétuel, il ne peut réussir à s’appareiller ; mais rien ne le décourage, et il voue à sa tâche, à l’œuvre de sa vie, les derniers restes d’une voix qui tombe et d’un sifflet qui s’éteint. […] De là leur taille surhumaine, à laquelle nous devons reconnaître que les voix, quoique puissantes et belles, ne sont pas proportionnées. L’optique est en effet meilleurs que l’acoustique à Bayreuth, sauf cependant vers le haut de l’amphithéâtre et surtout aux galeries d’où l’on entend merveilleusement la partie orchestrale surtout, où les voix portent davantage, mais d’où la perspective est déjà faussée, comme cela se montre surtout aux deux tableaux du Gral. […] Il existe des enregistrements sonores, et, malgré leur piètre qualité, on perçoit une voix immense et souple.

332. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XII, les sept chefs devant Thèbes. »

. — Et elles prient toujours, quoique à voix plus basse, les mains étendues, les lèvres collées aux images saintes. […] Des catastrophes extraordinaires, faites pour être proclamées par la voix d’Eschyle, avaient pourtant signalé cette lutte épique. […] Aujourd’hui encore, telle paysanne ignorante des montagnes du Pinde ou de la Phocide improvise sur son frère ou sur son mari mort des adieux sublimes que lui souffle une voix intérieure, et qu’elle aura oubliés demain. […] Puissance de l’imprécation consommée, exécration du fratricide et déploration des frères entre-tués, chute d’une maison royale abattue dans son propre sang, l’inceste qui a engendré tous ces maux, rappelé par un cri jeté vers la mère « malheureuse par-dessus toutes celles qui ont conçu sur la terre » : tel est le thème pris et repris par ces voix pleurantes. […] Les deux voix battent tour à tour sur la même idée une même strette de douleur que chaque reprise accélère, et qui monte par des consonnances, toujours plus aiguës, toujours plus stridentes, aux extrêmes limites de l’effet vocal.

333. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

Soudain Maître Phantasm élève la voix. […] — Pendant mon sommeil, j’ai ouï une voix aigre maudire la nature. […] Parlons tout bas : il ne sied point d’élever la voix sous les étoiles. […] Et des voix éoliennes s’épandent dans le silence. […] Ces voix !

334. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1870 » pp. 3-176

Ce soir, une voix dans l’ombre m’appelle. […] Et quand je sors, les voix de ces morituri chantant dans le chœur, me poursuivent au milieu des « nom de Dieu » de leurs camarades, sur la place. […] Ces grandes voix de la mort au milieu du silence de la nuit : ça remue… Au bout de quelque temps, des hurlements de chiens se sont joints aux bronzes tonnants ; des voix peureuses de gens réveillés se sont mises à chuchoter ; des coqs ont lancé leurs notes claires. […] Je prête l’oreille au bruit de la rue, qui vous raconte le bon ou le mauvais des choses publiques, avec le pas du passant, avec le son de sa voix : rien. […] La femme du marchand parle, avec une voix où il y a des larmes et de petits rires nerveux, d’un mobile caserné au fort de l’Est, qui est son fils.

335. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Ainsi, d’élans en élans, d’émotion en impiété, tout nous mène à la volupté enivrante de la nuit, au meurtre de l’époux, à la volupté encore, sur cette mer de Venise, où reparaissent voguant, pleins d’oubli, le meurtrier aimé et la belle adultère : Peut-être que le seuil du vieux palais Luigi Du pur sang de son maître était encor rougi ; Que tous les serviteurs, sur les draps funéraires, N’avaient pas achevé leurs dernières prières ; Peut-être qu’à l’entour des sinistres apprêts, Les prieurs, s’agitant comme de noirs cyprès, Et mêlant leurs soupirs aux cantiques des vierges, N’avaient pas sur la tombe encore éteint les cierges, Peut-être de la veille avait-on retrouvé Le cadavre perdu, le front sous un pavé ; Son chien pleurait sans doute et le cherchait encore : Mais, quand Dalti parla, Portia prit sa mandore, Mêlant sa douce voix, que la brise écartait, Au murmure moqueur du flot qui l’emportait… Les deux autres drames de ce volume, Don Paez et la Camargo, renfermaient des beautés du même ordre, mais moins soutenues, moins enchaînées, et dans un style trop bigarré d’enjambements, de trivialités et d’archaïsmes. […] Sous le masque de son Mardoche, irrécusable bâtard de Cunégonde et de Don Juan dans leur vieillesse, il ricanait quelque part, à voix intelligible, de ce bon peuple hellène, Dont les fois ont rougi la mer Hellespontienne Et taché de leur sang tes marbres, ô Paros ! […] L’âme, rayon du ciel, prisonnière invisible, Souffre dans son cachot de sanglantes douleurs ; Du fond de son exil elle cherche ses sœurs ; Et les pleurs et les chants sont les voix éternelles De ces filles de Dieu qui s’appellent entre elles. […] Pourquoi ces deux M. voix mystérieuses, qui ont parlé à Frank endormi, n’ont-elles plus à retentir à son oreille ?

336. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XII »

On s’étonne qu’il ne débite pas ses maximes d’une voix de soprano suraigu. […] Il faut l’entendre expliquer, d’une voix languissante, comme quoi il ne fume point par égard pour sa mère, qui est « essentiellement femme du monde ». […] Ainsi parle-t-elle, d’un ton ferme et doux, avec de grands yeux clairs et une décence d’ange ; et, en écoutant cette confession de fille entretenue prononcée par une voix de vierge, on se rappelle le mot de Henri Heine : « J’ai vu des femmes qui avaient le vice peint en rouge sur leurs joues, et, dans leur cœur, habitait la pureté du ciel. […] Jeannine, agenouillée sur son fils, la tête cachée dans ses vêtements, sanglote doucement à cette voix chérie qui lui révèle un bonheur qu’elle n’ose espérer.

337. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Adrienne Le Couvreur. » pp. 199-220

« Elle avait l’art de se pénétrer au degré qu’il fallait pour exprimer les grandes passions et les faire sentir dans toute leur force. » On a dit de Mlle Champmeslé qu’elle avait la voix des plus sonores, et que lorsqu’elle déclamait, si l’on avait ouvert la loge du fond de la salle, sa voix aurait été entendue dans le café Procope. Je doute qu’il en eût été ainsi de Mlle Le Couvreur, mais sa voix s’insinuait avec justesse, avec finesse : elle soutenait même les vers faibles et donnait toute leur valeur aux plus beaux. « Elle n’avait pas beaucoup de tons dans la voix, mais elle savait les varier à l’infini, et y joindre des inflexions, quelques éclats, et je ne sais quoi d’expressif dans l’air du visage et dans toute sa personne, qui ne laissait rien à désirer. » Elle excellait dans les gradations, dans ces passages subits d’un ton à un autre qui expriment les vicissitudes de la passion.

338. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

la grande et belle voix, la voix unique, s’écriait-il, toujours égale, toujours fraîche, brillante et légère, qui, par son talent, a appris à sa nation qu’on pouvait chanter en français, et qui, avec la même hardiesse, a osé donner une expression originale à la musique italienne. » Il ne sortait jamais de l’entendre « sans avoir la tête exaltée, sans être dans cette disposition qui fait qu’on se sent capable de dire ou de faire de belles et de grandes choses ». […] C’était une Voix qui était censée parler à un pauvre faiseur de menuets de Bohême. […] Si Grimm disait aux Français bien des vérités dures sur la musique, il en disait d’autres très agréables sur la littérature ; la Voix ou le Génie, parlant de la France en style prophétique et en se supposant dans les temps reculés, s’exprimait ainsi : Ce peuple est gentil ; j’aime son esprit qui est léger, et ses mœurs qui sont douces, et j’en veux faire mon peuple, parce que je le veux, et il sera le premier, et il n’y aura point d’aussi joli peuple que lui.

339. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre X. »

« Au temps, est-il dit, où parurent à Marathon et à Salait mine les Perses homicides et Datis à la voix sauvage, alors même vivait Pindare, pendant qu’Eschyle florissait dans Athènes. » Belle manière de noter une époque par le synchronisme de deux victoires et de deux grands poëtes ! […] Eschyle, d’autre part, ne paraît pas avoir composé d’hymnes, en dehors du chœur aux cent voix qui redisait les strophes guerrières ou funèbres de ses tragédies ; et, dans des genres qui se touchaient de si près et que même la simplicité du drame primitif semblait confondre en un seul, il ne passait pas de sa vocation de poëte tragique à celle de chantre lyrique, ailleurs du moins qu’au théâtre. […] C’est plus tard, c’est quand la poésie devient une science littéraire, que, dans le Musée d’Alexandrie, dans la cage des oiseaux chanteurs nourris par les Ptolémées, loin des religieux anniversaires qui ramenaient l’offrande sacrée de la muse tragique, loin des triomphes patriotiques qui inspiraient sa voix, Callimaque, Apollonius, Lycophron, maîtres experts au métier de la poésie, feront indifféremment des hymnes aux dieux, des cantates aux rois, des tragédies, des épigrammes, et ne craindront pas même de reprendre en sous-œuvre et de versifier de nouveau ces grands sujets que s’était appropriés le génie aux jours de sa jeunesse créatrice, les Pélopides, Œdipe, Agamemnon, toute une part du répertoire d’Eschyle et de Sophocle. […] le drame dans l’ode, l’évocation des mânes de Darius, à la voix de son peuple et au nom de sa veuve en pleurs.

340. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat. (suite et fin) »

Que si maintenant nous nous transportons brusquement à l’autre extrémité de la carrière de Bossuet, après qu’il a renoncé si solennellement à l’oraison funèbre et qu’il a déclaré réserver pour son peuple de Meaux « les restes d’une voix qui tombe, et d’une ardeur qui s’éteint », on peut se poser une question, et je la soumets par avance à M.  […] Ce discours était très tendre et très édifiant, et M. de Meaux l’a prononcé avec toutes ses grâces, et aussi avec une voix nette, forte, sans tousser ni cracher d’un bout à l’autre du sermon : en sorte qu’on l’a très aisément entendu jusqu’aux portes de l’église, chacun se réjouissant de lui voir reprendre sa première vigueur.

341. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre V. Figures de construction et figures de pensées. — Alliances de mots et antithèses »

Aussi est-ce la forme la plus fréquente de l’antithèse : le choc des mots fait éclater le contraste des idées : Enfant, on me disait que les voix sibyllines Promettaient l’avenir aux murs des sept collines, Qu’aux pieds de Rome, enfin, mourrait le temps dompté, Que son astre immortel n’était qu’à son aurore…. […] L’idée se matérialise en quelque sorte, et, même avant l’intelligence, la voix seule et l’oreille marquent et sentent l’antithèse.

342. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 372-383

cher Damon, se peut-il que votre ame, Méconnoissant cette céleste flamme Qu’en votre sein versa le Créateur, Puisse écouter la voix d’un imposteur ? […] Si la voix d’un pere vous touche, si la route que je viens de vous tracer commence à vous plaire, vous saurez la parcourir & franchir les obstacles qui retardent plus ou moins l’esprit dans l’acquisition des connoissances & dans la recherche de la vérité.

343. (1867) Le cerveau et la pensée « Avant-propos »

Et d’abord nous voyons clairement que, quel que soit le génie d’un musicien, s’il n’a aucun instrument à sa disposition, pas même la voix humaine, il ne pourra nous donner aucun témoignage de son génie ; ce génie même n’aurait jamais pu naître ou se développer. […] Nous voyons un Paganini obtenir sur la corde unique d’un violon des effets qu’un artiste vulgaire chercherait en vain sur un instrument complet, fût-il l’œuvre du plus habile des luthiers ; nous voyons Duprez sans voix effacer par l’âme tous ses successeurs.

344. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VII »

Sa voix était très prenante : une voix comme teintée d’accent étranger.

345. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XV. De Tacite. D’un éloge qu’il prononça étant consul ; de son éloge historique d’Agricola. »

Les recherches des délateurs nous ont ôté jusqu’à la liberté de parler et d’entendre, et nous eussions perdu le souvenir même avec la voix, s’il était aussi facile à l’homme d’oublier que de se taire44. » Il se représente ensuite, au sortir du règne de Domitien, comme échappé aux chaînes et à la mort, survivant aux autres, et, pour ainsi dire, à lui-même, privé de quinze ans de sa vie, qui se sont écoulés dans l’inaction et le silence, mais voulant du moins employer les restes d’un talent faible et d’une voix presque éteinte, à transmettre à la postérité et l’esclavage passé, et la félicité présente de Rome.

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