L’aperception prétendue transcendantale, avec la forme pure du cogita, est un extrait et un abstrait de l’aperception empirique, qui elle-même est la réaction, non plus appétitive et émotionnelle, mais intellectuelle, de l’être vivant par rapport aux objets dont il subit l’action favorable ou défavorable. […] Il est clair que l’esprit n’est pas un miroir passif : l’être vivant fait un triage dans ses sensations suivant les convenances et les nécessités de sa nature, comme les cordes tendues vibrent seulement sous l’influence des sons qui ont avec elles des rapports harmoniques.
Selon le principe de contradiction où l’on a montré la loi de toute chose vivante, une réalité ne parvient à se survivre en une suite de modifications d’elle-même que si elle nie à quelque moment et dans quelque mesure une part des éléments qui la composent. […] Toute réalité vivante est soumise à la nécessité, — s’étant conçue de quelque façon afin de se former, — de se concevoir autre désormais et de se différencier quelque peu d’elle-même pour persister dans l’existence : « Qu’il faille que je sois lutte, devenir et but et contradiction des buts »22, tel est l’aveu secret que murmure la Vie à l’oreille attentive de Zarathoustra.
Bientôt le firmament étincela de vivants saphirs : l’étoile du soir, à la tête de l’armée des astres, se montra longtemps la plus brillante ; mais enfin la reine des nuits, se levant avec majesté à travers les nuages, répandit sa tendre lumière, et jeta son manteau d’argent sur le dos des ombres14. […] Adam, quoiqu’à peine né et sans expérience, est déjà le parfait modèle de l’homme : on sent qu’il n’est point sorti des entrailles infirmes d’une femme, mais des mains vivantes de Dieu.
Vous avez écouté froidement, froidement expliqué ces pages vivantes où court la chaleur d’un invisible feu, et vous croyez en avoir fait votre conquête et la possession de votre esprit. […] Car le devoir en est la règle souveraine et l’héroïsme en quelque sorte la loi vivante.
Issu de Guizot le doctrinaire, mais avec un tour d’esprit autrement vivant et enflammé que celui de son maître, Dupont-White s’est contenté de recommencer la balançoire connue entre l’idée abstraite de l’État et l’idée abstraite de l’Individu, et de nous refaire, sous une autre forme, la vieille cote mal taillée entre l’autorité et le progrès reprise tant de fois ! […] Le génie de la figuration d’un peuple, qui dresse ce peuple tout vivant et le fait flamber par les différences en face des autres peuples, sur le fond d’une civilisation commune, ce génie spécial de la figuration qui est le génie de l’histoire, Dupont-White n’en a pas une lueur.
« Puisque Claude respire, dit-il, il ne vous est pas permis de vous plaindre : Claude est vivant, toute votre famille est vivante, vous n’avez rien perdu.
« Toute la nature vivante produirait une vie centrale, grand hymne sortant de milliards de voix, comme l’animal résulte de milliards de cellules, l’arbre de millions de bourgeons. […] Cet univers vivant présenterait les deux pôles que présente toute masse nerveuse, le pôle qui pense, le pôle qui jouit. […] Tout dépend du but, et, si un jour la vivisection sur une grande échelle était nécessaire pour découvrir les grands secrets de la nature vivante, j’imagine les êtres, dans l’extase du martyre volontaire, venant s’y oiïrir couronnés de fleurs. […] C’est chose monstrueuse que le sacrifice d’un être vivant à l’égoïsme d’un autre ; mais le sacrifice d’un être vivant à une fin voulue par la nature est légitime. […] C’est par elle qu’il plaît à plus ou moins d’hommes et que son œuvre reste vivante pendant un temps plus ou moins long.
Ceux-là sont absolument parfaits et combien vivants, et combien individuels ! […] Tout cela est bien vivant et tout plein de vraie et reconnaissable rumeur humaine. […] *** L’étude sur l’empereur Guillaume Il est naturellement moins poussée, mais elle est encore très vivante et plus vivante peut-être. […] Il était vivant et remuant comme un jeune épagneul. […] Mais il est très vivant, il sort très vigoureusement de la toile.
Il les mêle aux vivants et c’est un des charmes de ses récits. […] Durant qu’il était vivant et que j’étais fort jeune, j’ai un peu connu M. […] Ce léger chef-d’œuvre est, assurément de Vivant Denon. […] Morts et vivants, M. […] Il est convenu que le vivant et le mort partageront le gain du voyage.
Je vais donc vous parler d’un mouvement littéraire, dans lequel je suis engagé corps et âme, de certaines idées qui me sont consubstantiels comme les vivantes parcelles de ma chair. […] Ce qui fait la force de ce groupe si vivant, c’est la richesse et la diversité. […] Il le regarde comme une personnalité, vivante, émue, agissante. […] Il n’a jamais créé de ces statues vivantes qui bravent les temps futurs et subjuguent les races. […] J’ai admiré longtemps son épopée, par son coté plastique, comme on admire un vivant bas-relief ou quelque fresque tumultueuse.
Un corps vivant, plante ou animal, est une société d’organes ; or, chacun de ces organes est assez gros pour être saisi par nos sens, mesuré par nos instruments, détaillé par nos descriptions, figuré par nos dessins. Il se prête directement à l’étude, et, comparé à ses analogues, il manifeste des propriétés qui, jointes à celles de ses associés, expliquent les caractères du corps dont ils sont les éléments. — Deux propriétés sont communes à tous les organes d’un corps vivant. […] Ainsi, vis-à-vis des sensations élémentaires, des cellules vivantes, des molécules chimiques, des atomes éthérés, le savant est comme un myope devant des fourmilières d’espèces différentes ; son regard obtus n’atteint que les effets de masse, les changements d’ensemble, la forme totale de l’édifice ; les petites ouvrières lui échappent ; il ne les voit pas travailler. […] C’est un édifice vivant dans lequel, d’espèce à espèce, et sur un type commun transmis par hérédité, la sélection a superposé les différences utiles. […] Il y a une raison pour l’attraction que toutes les masses exercent les unes sur les autres, pour les propriétés de l’oxygène, pour la formation d’une cellule vivante, pour la naissance de notre nébuleuse.
Il me parut imparfaitement compris, et je ne parle pas ici des parties obscures de sa vie malheureuse, mais de ce qui en est incontesté, et surtout de son âme encore toute vivante dans des œuvres impérissables. […] On se plaint de ce que des prédicateurs soient payés par l’État, pour tonner un jour sur sept contre la poursuite des richesses, du plaisir et de la grandeur, qui occupe tous les hommes vivants pendant les six autres jours. […] Il n’y a point de dommage pour l’honneur à se soumettre à un lion ; mais quel est l’être à figure humaine qui se laissera manger vivant par un rat ? […] Wood, tout couvert de bronze et défiait les armées du Dieu vivant. […] L’astrologue Bickerstaff, qui, en 1708, prédisait comme « une bagatelle51 » la mort de son rival Partridge, et soutenait, au point d’embarrasser le vivant lui-même, que sa prédiction s’était accomplie ; le valet-secrétaire de Prior, qui, en 1713, racontait avec tant de naturel le voyage de Prior en France et ses entretiens avec Madame de Maintenon52 ; le drapier, enfin, qui voulait échanger marchandises contre marchandises et qui n’eût pas voulu de Wood pour garçon de boutique : tous ces êtres imaginaires, si vivants et si réels, le cèdent encore au parfait naturel et à la véracité ingénue de Gulliver.
Non, ces fabricants de musique, et ces illettrés, ils ne vous trompent pas : ils ne sont point des wagnéristes ; leurs développements symphoniques ne sont point la mélodie infinie wagnérienne ; leurs vides sonorités ne sont point les clameurs vivantes de l’orchestre wagnérien ; leurs harmonies ne sont point les expressives polyphonies, troublantes, du drame wagnérien. […] Pour exprimer pleinement la vie, l’art doit montrer l’action, et le dialogue vivant, fondé exactement sur la prose de la conversation commune ; de cette prose l’artiste prendra l’essence, l’accentuera, y joindra la rime, l’allitération, et, par des modulations, notera la suite des sentiments. […] Il peut venir au monde, si le monde s’en veut rendre digne, par la compassion à tout être vivant, par la tempérance, et par la charité, sur qui doit se fonder le socialisme, raisonnable et chrétien. […] Vient ensuite l’analyse de la pièce, en un tableau vivant et mouvementé. […] C’est là qu’on devait, jusqu’à présent, aller surprendre sa pensée ; on pourra dorénavant l’étudier dans ses créations mêmes et la voir se refléter dans son œuvre vivante… Ensuite M.
« Dites-lui que je suis déjà trop fatigué de vivre, de naviguer sur ces vagues agitées de la vie, mais qu’occupé à recueillir ses vestiges sacrés je marche derrière elle, mes pas sur ses pas ; « Ne m’entretenant que d’elle vivante ou morte, que dis-je ! autrefois vivante, maintenant transfigurée et élevée au-dessus de l’immortalité, afin que le monde eût l’occasion de la connaître et de l’aimer ! […] Que n’es-tu aussi réellement vivant que je ne suis pas morte ? […] « Âme heureuse, s’écrie-t-il, qui abaisses si amoureusement ces yeux plus resplendissants que la lumière, et qui me laisses entendre des soupirs et des paroles si vivants qu’il me semble que ces paroles me résonnent encore dans l’âme ! […] Le nom de Laure se répandit pendant cinq siècles avec les vers ; elle est aussi vivante et aussi immortelle aujourd’hui qu’alors.
. — Depuis, l’Art moderne, comme toutes choses vivantes, a passé par la triple évolution de la thèse, de l’antithèse et de la synthèse. […] Rien n’est comparable à la ferveur pieuse avec laquelle chaque voix nouvellement arrivante redit ce motif premier, de la plus pure innocence, jusque ce que toutes les nuances et toutes les splendeurs de l’expression se fondent en elle, comme le Monde des Vivants autour d’un dogme, — enfin révélé — de pur Amour. […] Deux peintures sont ; l’une, immédiate, la peinture dite réaliste, donnant l’image exacte des choses, vues par la vision spéciale du peintre ; l’autre, médiate, comme une Poésie de la peinture, insoucieuse des formes réelles, combinant les contours et les nuances en pure fantaisie, produisant aux âmes, non la vision directe des choses, mais — conséquence de séculaires associations entre les images et les sentiments, — un monde d’émotion vivante et bienheureuse : deux peintures sont, toutes deux également légitimes et sacrées, formes diverses d’un Réalisme supérieur, et que le Wagnériste trouve, toutes deux, sur la voie tracée à l’Art par le Maître vénéré. […] Réelle et vivante est la chambre, réels, vivants, ces hommes, sans qu’un trait de leurs visages ait été modifié ; et, cependant, telle est la psychologique vision du Maître, que tous ces hommes, diversement, avec d’inégales expressions, témoignent l’émotion intime que leur a donnée, à tous, l’extraordinaire musique entendue. […] Wyzewa différencie la peinture réaliste et l’autre, « médiate », poésie de la peinture, « monde d’émotion vivante et bienheureuse ».
Tous les phénomènes luttent, en quelque sorte, pour entrer dans ma conscience et y vivre de la vie sensible ; les impressions et les mouvements du dehors sont en concurrence pour pénétrer dans mon organisme, dans mon cerveau, dans ma sensibilité ; et il en fut toujours ainsi, depuis des siècles, pour tous les êtres vivants en qui se trouvait le germe du sentiment. […] Si l’on suppose une masse de substance vivante, de protoplasma ayant une irritabilité ou sensibilité confuse, sur laquelle tombe une excitation venue du dehors, il se produira dans cette masse un mouvement, et ce mouvement se propagera selon la ligne de la plus faible résistance entre les molécules les plus délicates, les plus facilement modifiables, les plus vibrantes. […] Tout se réduit toujours à des manières différentes de vibrer, et l’organisme tout entier pourrait être comparé à une lyre vivante dont les cordes, d’abord à l’unisson, finiraient par se tendre de diverses manières et par rendre des sons divers sous la diversité des ondes vibratoires qui viennent les ébranler du dehors. […] Spencer a bien vu l’action du dehors sur l’être vivant ; il n’a pas montré la réaction de ce dernier et sa part active dans l’évolution. […] La complexité des sensations est peut-être infinie, puisqu’on peut supposer avec Leibniz qu’un être vivant enveloppe lui-même une infinité de vivants.
C’est que le comte de Grammont ne songeait pas le moins du monde, en écrivant ou en dictant son livre, à faire de l’esprit, de la folie ou du style ; il ne songeait qu’à se raconter lui-même, et, comme la nature avait fait de lui, en le créant, le plus fin et le plus spirituel badinage vivant qui soit jamais sorti des sources de l’héroïque et facétieuse Garonne, en se racontant lui-même, il faisait un chef-d’œuvre de bonne plaisanterie. […] On ne sait pas bien au juste dans quelle proportion exacte le comte de Grammont, son beau-frère l’anglais Hamilton, et Saint-Évremond, l’ami des deux et vivant à Londres avec eux, concourent à cet inimitable livre. […] Si ce jeune poète n’eût pas été doué par la nature d’une originalité forte et inventive, il aurait certainement commencé comme tout le monde par l’imitation des modèles morts ou vivants qu’il avait à côté de lui. […] Nous disons bayadère dans le sens pur et pieux du mot, une cariatide vivante des temples de la divinité dans les Indes, l’ivresse de l’oreille et des yeux dévoilée aux hommes pour enlever l’âme au ciel par les regards et par la voix ! […] Ce n’est pas en chiffres morts, c’est en lettres vivantes et immortelles que le nom français a été écrit sur la face du globe !
Des souliers sans boucles, des semelles de clous, un pantalon d’étoffe grossière et taché de boue, la veste courte des artisans, la chemise ouverte sur la poitrine, laissant à nu les muscles du cou ; les mains épaisses, le poing fermé, les cheveux gras sans cesse labourés par ses doigts : il voulait que sa personne fût l’enseigne vivante de son système social. » Les Girondins essayent de reporter sur Marat toute la responsabilité des journées de septembre. […] Si donc Louis XVI, roi trop récemment dépossédé de la toute-puissance, roi à qui toute restitution du pouvoir au peuple devait paraître déchéance, roi mal satisfait de la part de règne qui lui restait, aspirant à reconquérir l’autre part, tiraillé d’un côté par une assemblée usurpatrice, tiraillé de l’autre par une reine inquiète, par une noblesse humiliée, par un clergé qui faisait intervenir le ciel dans sa cause, par une émigration implacable, par ses frères courant en son nom par toute l’Europe pour chercher des ennemis à la Révolution ; si Louis XVI, roi, paraissait à la nation une conspiration vivante contre sa liberté, si la nation le soupçonnait de trop regretter dans son âme le pouvoir suprême, de faire trébucher volontairement la nouvelle constitution pour profiter de ses chutes, de conduire la liberté dans des pièges, de se réjouir de l’anarchie, de désarmer la patrie, de lui souhaiter secrètement des revers, de correspondre avec ses ennemis, la nation avait le droit de le citer jusque sur son trône, de l’en faire descendre, de l’appeler à sa barre et de le déposer au nom de sa propre dictature et de son propre salut. […] Dehors, il était décrédité par ses concessions ; dedans, il eût été l’otage patient et inoffensif de la république, l’ornement de son triomphe, la preuve vivante de sa magnanimité. […] Les uns votèrent par une puissante conviction de la nécessité de supprimer le signe vivant de la royauté en abolissant la royauté elle-même ; les autres par un défi aux rois de l’Europe, qui ne les croiraient pas, selon eux, assez républicains tant qu’ils n’auraient pas supplicié un roi ; ceux-ci, pour donner aux peuples asservis un signal et un exemple qui leur communiquassent l’audace de secouer la superstition des rois ; ceux-là par une ferme persuasion des trahisons de Louis XVI, que la presse et la tribune des clubs leur dépeignaient, depuis le commencement de la Révolution, comme un conspirateur ; quelques-uns par impatience des dangers de la patrie, quelques autres, comme les Girondins, à regret et par rivalité d’ambition, à qui donnerait le gage le plus irrécusable à la république ; d’autres par cet entraînement qui emporte les faibles âmes dans le courant des assemblées publiques ; d’autres par cette lâcheté qui surprend tout à coup le cœur et qui fait abandonner la vie d’autrui comme on abandonne sa propre vie ; un grand nombre enfin votèrent la mort avec réflexion, par un fanatisme qui ne se faisait illusion ni sur l’insuffisance des crimes, ni sur l’irrégularité des formes, ni sur la cruauté de la peine, ni même sur le compte qu’en demanderait la postérité à leur mémoire, mais qui crurent la liberté assez sainte pour justifier par sa fondation ce qui manquait à la justice de leur vote, et assez implacable pour lui immoler leur propre pitié ! […] La tête du roi respectée aurait été l’amnistie vivante de la royauté.
« La science de la sociologie, dit-il, part des unités sociales, soumises aux conditions que nous avons vues, constituées physiquement, émotionnellement et intellectuellement, et en possession de certaines idées acquises de bonne heure et des sentiments correspondants70. » Et c’est dans deux de ces sentiments, la crainte des vivants et la crainte des morts, qu’il trouve l’origine du gouvernement politique et du gouvernement religieux71. […] En effet, il est bien certain qu’il n’y a dans la cellule vivante que des molécules de matière brute. […] Quelles différences y a-t-il entre les organismes inférieurs et les autres, entre le vivant organisé et le simple plastide, entre celui-ci et les molécules inorganiques qui le composent, sinon des différences d’association ? […] Enfin, on doit comprendre maintenant, mieux que précédemment, combien il serait injuste de s’appuyer sur ces mots de conditions extérieures et de milieu, pour accuser notre méthode de chercher les sources de la vie en dehors du vivant. […] Les principes qui précèdent méconnaissent si peu le caractère spontané de tout vivant que, si on les applique à la biologie et à la psychologie, on devra admettre que la vie individuelle, elle aussi, s’élabore tout entière à l’intérieur de l’individu.
Gargantua, Pantagruel, Jehan des Entommeures, Bridoie, Panurge, ressemblent aux créations d’un monde antédiluvien, mais vivant d’une vie immortelle, ce qui les rend supérieurs aux fossiles rongés de Cuvier. […] Ils ne sont ni l’expression d’une société vivante, ni même l’œuvre d’un homme vivant ; car Balzac semble avoir traversé le tombeau pour les écrire et pris une âme de ce passé qu’il a voulu peindre. […] Enfin, de Rubens, qui vient tout écraser avec ses toiles splendides, il n’a pas, il ne peut pas avoir la plantureuse grandeur, l’enthousiasme de la chair vivante, la sensualité du coloris et les bacchanales de palette, mais pourtant il nous fait penser aux ardentes couleurs de ce maître de la couleur, quand, avec un peu de noir et de blanc, — une fumée d’estompe, un rien presque, à ce qu’il nous semble, — il incendie le ton des objets, lustre les étoffes les plus chatoyantes, et verse à flots la lumière ou la distribue en pointes d’éclairs ! […] C’est ainsi que, dans ce roman sublime, Le Succube, quand il veut exprimer la dévorante séduction de cette Goule des cœurs, qui les suçait avec un simple regard jusque dans le fond de la poitrine, il figure cette puissance du regard par un rayon qui ressemble à un effet de soleil entrant par une porte ouverte et terminé par une griffe énorme… Un tel symbolisme est grossier et parfaitement indigne de l’artiste qui, dans Le Frère d’armes, a trouvé les deux yeux vivants du portrait, luisant si bien dans les ténèbres, et tirant, de leur expression seule, tout ce qu’ils ont de terrible et de merveilleux !
C’est par elle que la pensée a du cœur, et c’est par ce cœur immatériel de la pensée que l’émotion de l’âme devient plus vivante en nous et plus communicative hors de nous. […] Les poètes lyriques (ceux qui chantent), les auteurs des hymnes, des cantiques, des psaumes, des prophéties, étaient alors les inspirés d’en haut, les oracles vivants, les prophètes. […] Si je dis à mon serviteur : Les flèches sont en deçà de la pierre, cela voudra dire : Reviens avec assurance ; je te le jure par le Dieu vivant, il n’y a pas de danger ; mais si je dis à mon serviteur : Les flèches sont au-delà de la pierre, alors sauve-toi, car le roi t’aura disgracié. » « Fils d’une courtisane », dit Saül à Jonathas son fils, « pourquoi aimes-tu le fils d’Isaï de Bethléem ? […] « Lorsqu’elle aperçut David, dit le poème, elle descendit de son âne, s’inclina, agenouillée sur la pierre du chemin, et, adorant le jeune chef, elle lui dit : “Remettez à Nabal son iniquité et sa démence, et, s’il s’élève un jour un homme qui vous persécute et qui recherche votre vie, votre âme sera préservée parmi les âmes des vivants, et l’âme de vos ennemis sera agitée comme la pierre tournoyante lancée en l’air par la fronde !
Ils enjolivaient à plaisir une idée de leur esprit ou de l’esprit public, et figuraient Artamène ou Astrate, qui ne représentent aucune réalité vivante. […] Molière, le premier, renonçait aux bouffonneries fantastiques et aux énormes charges où la comédie s’était d’abord arrêtée : plus de parasites, ni de matamores, mais des êtres réels, vivants, que le spectateur a rencontrés plus d’une fois dans la vie, qui sont autour de lui, qui sont lui parfois. […] Racine enfin jette au rebut les mannequins élégants de Quinault, et produit des hommes, de vraies âmes humaines, douloureuses et vivantes : si vrai, qu’avec sa grâce puissante, il fait parfois l’effet d’être brutal à ce beau monde, accoutumé à tout ennoblir et à tout affadir. […] La réalité détermine et limite la conception poétique, et dans cette doctrine, comme dans tout art naturaliste, l’imagination n’est qu’une opération de synthèse qui rétablit en formes concrètes et vivantes les réalités dissoutes et détruites par l’analyse.
Entre l’individualité historique et le symbolisme philosophique disparaît la psychologie, l’étude des caractères généraux, vrais et vivants. […] Dès qu’il est individuel, il perd les raisons de mourir, et sa plainte dépasse son mérite ou sa misère : tant qu’il reste une abstraction philosophique, il n’est pas vivant, et qu’importe alors qu’il meure ? […] C’était la tragédie qui ressuscitait, mais la vraie tragédie, la vivante, l’humaine, celle de Corneille et celle surtout de Racine. […] Dumas fils tirer de la comédie l’unique forme littéraire du drame sérieux qui ait été réellement vivante en ce siècle.
Partout ailleurs, les prêtres qu’on a mis au théâtre ou dans le roman, se ramènent à deux types, l’un et l’autre de vérité très superficielle, sinon de pure convention : le mauvais prêtre aux allures de Tartufe, souvent incroyant, toujours hypocrite, tantôt cupide et tantôt débauché, le prêtre comme se le représentent deux cent mille électeurs à Paris, l’homme noir, et, pour tout dire en un mot, le jésuite ; et, d’autre part, le bon prêtre, charitable, tolérant, indulgent, bon vivant à l’occasion, volontiers libéral et républicain, bref, le curé de Béranger et du Dieu des bonnes gens. […] Pendant ses vacances, le jeune lévite reste isolé dans le monde, vivant le plus possible avec son curé, évitant les compagnies frivoles, déjà respecté de ceux qui l’approchent, et même de sa mère. […] Parmi tant de belles et vivantes figures ecclésiastiques, je n’en prendrai que quatre : du côté des saints, l’abbé Courbezon et l’abbé Célestin ; du côté des ambitieux et des violents, l’abbé Capdepont et l’abbé Jourfier. […] Il est bien vivant du reste, encore qu’il puisse passer pour le type même de la charité sacerdotale.
En peu de temps, Genève fut faite à l’image de cet homme, dont la vie ne devait être désormais qu’un jeûne et une insomnie, dur aux autres comme il l’était à lui-même, et qui travailla plus qu’homme vivant, même dans ce siècle des travaux prodigieux et des vies consumées par la fièvre du savoir. […] Luther encore vivant, Calvin écrivait deux mille pages à la gloire de la Réforme, sans prononcer son nom ! […] Car il est remarquable qu’il se querelle avec toutes les opinions anciennes du même ton qu’avec les opinions de son temps, et qu’il n’est pas moins amer envers les morts qu’envers les vivants. […] Si Calvin n’avait pas l’excuse de la bonne foi, certes ce théologien bourreau qui allumait par le bras séculier le bûcher de Servet, qui de sa logique injurieuse tuait Gentilis à Berne, serait au-dessous de la haine et du mépris du genre humain ; Mais dans un homme de mœurs si austères, capable d’affections domestiques et d’amitiés durables, courageux, d’une si grande édification de son vivant et après sa mort, ce fut moins la cruauté que l’effet de cette superbe de la raison, par laquelle nous croyons avoir conquis l’impartialité des purs esprits, parce que nous avons dépouillé tout sentiment humain.
Nous ne lui demandons qu’un simulacre et qu’elle sache bien que si nous nous réfugions dans les yeux vivants, c’est toujours pour nous réfugier hors du monde. […] Sa plainte revit chez les Parnassiens : Misérables vivants que le baiser tourmente. […] Dans le concert des voix confuses qui résonnent en eux et où se brouillent, comme chez toute créature vivante, leur ascendance et leur postérité, ils ne savent pas démêler le passé de l’avenir. […] Écris avec ton sang et tu apprendras que le sang est esprit. » Il ajoute : « Le génie créateur est l’homme tragique, le poète hermétique qui délivre au monde le livre vivant, le message qui lui a été confié à sa naissance et qui a été imprimé dans tout son être. » Les chefs de file du mouvement symboliste, Baudelaire, Verlaine, Laforgue, Samain, comme d’ailleurs tous les poètes dignes de ce nom, n’ont jamais fait autre chose.
Remarquons aussi qu’emporté par cette préoccupation presque maladive du style, le peintre supprime souvent le modelé ou l’amoindrit jusqu’à l’invisible, espérant ainsi donner plus de valeur au contour, si bien que ses figures ont l’air de patrons d’une forme très-correcte, gonflés d’une matière molle et non vivante, étrangère à l’organisme humain. Il arrive quelquefois que l’œil tombe sur des morceaux charmants, irréprochablement vivants ; mais cette méchante pensée traverse alors l’esprit, que ce n’est pas M. […] Types toujours vivants dont on fait des récits. […] Du dessin de Delacroix, si absurdement, si niaisement critiqué, que faut-il dire, si ce n’est qu’il est des vérités élémentaires complètement méconnues ; qu’un bon dessin n’est pas une ligne dure, cruelle, despotique, immobile, enfermant une figure comme une camisole de force ; que le dessin doit être comme la nature, vivant et agité ; que la simplification dans le dessin est une monstruosité, comme la tragédie dans le monde dramatique ; que la nature nous présente une série infinie de lignes courbes, fuyantes, brisées, suivant une loi de génération impeccable, où le parallélisme est toujours indécis et sinueux, où les concavités et les convexités se correspondent et se poursuivent ; que M.
Prévost, doyen du conseil général du département dont il fait partie depuis plus de trente-deux ans, maire de la ville d’Hesdin pendant trente-cinq ans jusqu’en 1848, considéré et vénéré de ses concitoyens pour les services qu’il n’a cessé de leur rendre, et vivant aujourd’hui dans la retraite. […] On conçoit qu’avec tous ces souvenirs vivants, en présence de ces membres d’une famille qui est encore aujourd’hui pour la cité ce qu’elle était il y a plus d’un siècle, la fête qui se célébrait, il y a quinze jours, dans la jolie ville d’Hesdin n’était pas une solennité ordinaire, toute d’apparat et de curiosité ; il s’y mêlait un intérêt amical et commun, et ce n’était que justice. […] Duchange, adopter l’opinion commune et la tradition sur la mort de l’abbé Prévost, attribuée à la promptitude d’un chirurgien ignorant ; d’autre part, dans le discours qu’il a prononcé, M. le docteur Danvin a dit : Il existe, sur la fin de l’abbé Prévost, une histoire lugubre que l’on rencontre reproduite partout : on rapporte que, trouvé sur un grand chemin dans un état de mort apparente, il aurait été, de son vivant, soumis à l’autopsie, et aurait pu rouvrir les yeux pour voir le misérable état où il était.
Il n’étudia point, ne sut point le latin, mais apprit les langues vivantes par l’usage et par les livres à la mode. […] Il avait des facultés naturelles très remarquable pour la poésie et le bel esprit : « C’était, a dit de lui l’exact et honnête abbé de Marolles, l’un des plus beaux naturels du monde pour la poésie, et de qui les bons sentiments de l’âme égalaient la gaieté de l’humeur. » Tallemant lui reproche une outrecuidance et une habitude de vanterie qui est un des caractères de la littérature de ce temps-là ; mais Saint-Amant ne paraît point avoir poussé ce défaut aussi loin qu’un Scudéry, et il n’en resta pas moins avant tout un bon vivant. […] Le jour, je me promène sous des hêtres pareils à ceux que Saint-Amant dépeint dans sa Solitude ; et depuis six heures du soir que la nuit vient, jusqu’à minuit qui est l’heure où je me couche, je suis tout seul dans une grosse tour, à plus de deux cents pas d’aucune créature vivante : je crois que vous aurez peur des esprits en lisant seulement cette peinture de la vie que je mène.
Les bois n’ont pas encore de feuilles ; mais ils prennent je ne sais quel air vivant et gai, qui leur donne une physionomie toute nouvelle. […] On n’entend rien : pas un être vivant, sauf quelques moineaux qui vont se réfugier en piaulant dans les sapins, qui étendent leurs longs bras chargés de neige. […] Les forêts futures se balancent imperceptibles aux forêts vivantes.
Ce serait moins que jamais aujourd’hui le moyen de se débarrasser des difficultés, puisqu’elles ont surgi et qu’elles ont éclaté ; de toutes parts puisque des attaques, des négations philosophiques radicales ont eu lieu, telles que celle de Strauss en première ligne ; la meilleure manière pour se retracer l’image de la personne réelle et vivante de celui dont la venue a changé le monde est d’en revenir avec bonne foi et réflexion aux récits originaux qui nous ont conservé la suite de ses actes et de ses paroles. […] Moïse, redescendant des hauteurs du Sinaï, avait, en promulguant le Décalogue, établi le dogme de l’unité du Dieu vivant et réglé les prescriptions sévères qui s’y rattachent ; il avait déclaré et imposé « les premiers principes du culte de Dieu et de la société humaine ». […] ne sentez-vous pas la réalité, la personnalité vivante, vibrante, saignante et compatissante qui, indépendamment de ce que la croyance et l’enthousiasme ont pu y mêler en surplus, existe et palpite sous de telles paroles ?
On a tort, car, à le bien prendre, ce qui est intéressant, c’est ce qu’elles suppriment et sous-entendent, c’est le particulier, ce sont les observations spéciales que le moraliste est censé avoir faites sur des réalités concrètes et bien vivantes. […] Elle est plus vivante et plus incompréhensible à elle seule qu’un millier d’autres créatures humaines. […] Le charme est aussi dans le timbre ; on sent que ce métal est vivant, qu’une âme vibre dans ces sonorités unies comme de longues vagues.
Fils du célèbre chansonnier lillois, il lui arrivait, parfois, dans un accès de bonne humeur, d’entonner, au dessert, un couplet paternel, en savoureux patois du cru, mais, vite réintégré au bloc de sa gravité naturelle, il se rasseyait aux thèmes de savante, dialectique qu’il développait soit avec Paul Souday, en appétit de renouveler Sainte-Beuve, soit avec Maindron, l’un des gendres de Heredia, vivant répertoire des usages abolis, soit avec Moréas, alors féru d’archaïsme et de nos vieux fabliaux. […] Quand Benvenuto Cellini crucifiait un homme vivant pour étudier le jeu des muscles dans l’agonie, un pape eut raison de l’absoudre. […] Wilde, désireux de se renseigner sur le mouvement poétique français, sollicitait l’avis de Mendès qui fit l’éloge du Parnasse et déclara que de tous les poètes vivants, Armand Silvestre était le plus digne d’admiration.