Et pourtant une fois, dans son œuvre, il s’est montré profond scrutateur d’âmes, non pas par simple accident et bonne fortune de style, comme ce poète qui fit un beau vers dans une mauvaise tragédie, mais une conséquence du point de vue moral où il s’est placé et qui l’a élevé de beaucoup au-dessus de son niveau habituel. […] Rien d’étonnant, si le valet déguisé est une telle incarnation, que la reine délaissée rencontre en lui, tandis qu’il se joue indignement d’elle, une âme soeur, que lui-même, dans tous les instants où les regards de don Salluste ne le font pas penser au bâton, étale les pensées d’un Ximenez et de sublimes sentiments lyriques, ni que l’auteur enfin puise dans cette fantaisie déclamatoire l’élan d’inspiration nécessaire pour gâter en avorton de tragédie la matière d’un bon ouvrage picaresque.
Boris Godounow est une sorte de fresque historique, façonnée par Moussorgsky d’après un poème célèbre de Pouchkine, et qu’anime l’intérêt d’une sombre tragédie. […] Il est fait, à la manière des tragédies de Shakespeare, d’une suite de tableaux dont le lien dramatique est souvent lâche.
L’accord ne se fit pas au sujet des héros réels de cette tragédie anonyme. […] C’est en cela qu’un jardin composé selon ces principes, par ce qu’il a d’intelligible, de noble, de mesuré, peut être qualifié de classique à l’égal d’une tragédie de Racine ou d’une période de Bossuet.
Sans doute, puisque vous y tenez, je vous fais remarquer en passant que, si l’homme n’est pas libre, il croit l’être ; que les sociétés de l’Occident sont fondées sur cette croyance, — hypothèse, préjugé métaphysique ou superstition religieuse, comme il vous plaira de l’appeler ; — et que, par conséquent, vous éliminez de notre roman expérimental ce qu’il y a peut-être de plus intéressant pour l’homme, et de plus vivant, au plein sens du mot, à savoir : la tragédie d’une volonté qui pense. […] Oui, vous pouvez prendre le roi, — comme dans la tragédie de Racine ; — vous pouvez prendre le médecin, — comme dans la comédie de Molière ; — parce que, de fait, il y a certaines fonctions, certains arts, certains métiers dont l’exercice modifie le fonds humain d’une certaine manière, et d’une certaine manière qu’il est possible, utile, et intéressant de déterminer. […] On peut prouver que cela agit sur le prix du pain et sur le taux des gages, et que cela peut faire sortir bien des mauvais caractères du repos de leur égoïsme, comme aussi provoquer bien des héroïsmes qui, tous ensemble, viennent concourir à la tragédie de la vie. » En conséquence de quoi la simple et touchante histoire de Silas Marner est dominée tout entière par la mort d’une pauvre femme dont la disparition n’avait pas causé plus d’émoi que ne fait, au déclin de l’été, la chute d’une feuille. […] Et celles qui nous font pleurer, reines de tragédie ou héroïnes de mélodrame, qu’est-ce qu’elles transportent à leur tour de leurs allures de théâtre dans la vie quotidienne ?
Depuis qu’il existait, il assistait au spectacle douloureux de tragédies d’où son sort dépendait ; et lorsque, pour échapper au présent, il remontait en imagination dans le passé de sa race, il n’y rencontrait que meurtres et révoltes, rois emprisonnés ou tués sur le champ de bataille. […] Le public de nos jours en effet n’a plus la vigueur des préjugés classiques du public de la Restauration, ni ce parti pris systématique d’hostilité qui le portait à défendre la tragédie française comme les patriotes de 1815 avaient défendu le sol national, et qui lui faisait voir dans les tentatives du romantisme quelque chose comme un troisième envahissement de l’étranger. […] On croit communément que la représentation de ses incomparables tragédies est un moyen de le grandir ; c’est, au contraire, le moyen le plus infaillible de le diminuer. […] S’ils ont le temps de se revoir, s’il leur est donné de mourir ensemble, leur histoire sera celle d’une foule d’autres amants tragiques, mais ce ne sera plus la légende à laquelle ils ont donné leur nom ; le pathétique propre à leur triste aventure disparaîtra, la tragédie de leur amour ne sera plus ni aussi intense ni aussi poignante.
Cependant il écrivait La Reine Ulfra, tragédie suédoise où les vers, par une audacieuse innovation, étaient proportionnés à la qualité des personnages. […] Admis à une soirée de la docte dame, il s’adossa à la cheminée et murmura d’une voix cassée des plaintes sur le déclin de la tragédie. […] Racine, qui avait des scrupules religieux quand il ne faisait point de tragédies, répondit, avec amertume, qu’on peut être poète sans offenser les âmes. […] Marcel Schwob lui-même qui, dans sa préface, comme le Prologue des tragédies antiques, nous annonce le spectacle effrayant qui va se dérouler à nos yeux.
Voltaire aussi compose la Mort de César et Brutus, tragédies de collège sévères, rigides, stoïciennes, où il n’est pas difficile de noter un idéal héroïque à la mode de Tacite et de Plutarque. […] Prenez sa première tragédie : il y soufflète le cierge catholique sur la joue des prêtres païens : Nos prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple pense, Notre crédulité fait toute leur science. Regardez les Lois de Minos, une de ses dernières tragédies : il y continue contre l’Église la campagne commencée quelque soixante ans plus tôt.
C’est sous l’influence de Stendhal qu’il explique et juge les tragédies de Racine… Le touriste dont Stendhal publia les Mémoires n’est-il pas l’ancêtre de Frédéric-Thomas Graindorge ? […] Racine, quand il est venu, était une floraison ; sa tragédie était la perfection, donc la fin d’un genre. […] Il n’oublie rien, ni les églogues, ni les comédies et tragédies, par quoi, selon son vœu, le vieux théâtre français va périr étouffé ; ni le « long poème », mais que nul ne réalisera, ni de son temps, ni jamais.
S’ils peuvent conter des tragédies bibliques, c’est qu’ils ont l’âme tragique et à demi biblique.
Il peut écrire la comédie et l’oraison funèbre, le roman et l’histoire, l’épître et la tragédie, le couplet et le discours politique.
VI Ces barbares tragédies arrivèrent l’an 1667.
La mère du roi, se voyant défaite de ses principaux ennemis, étendit sa vengeance sur la maison de Daoud-Kan, comme l’auteur de toute cette longue et cruelle tragédie.
Et ce sont comme des chœurs des tragédies antiques, mais où les objets réels n’ont besoin, pour se célébrer, d’aucun intermédiaire.
Là-dessous le Thabor, une colline ronde comme un dessus de pâté, où sont aplatis, et comme désossés, trois apôtres-marionnettes, de vraies caricatures de l’ahurissement ; puis en bas une incompréhensible mêlée d’académies, de têtes d’expression à copier dans les collèges, de bras aux brandissements tels qu’on les voit dans les tragédies de Saint-Charlemagne, d’yeux, où un professeur bien appliqué semble avoir mis le trait de force dans le point visuel.
Il fit du monde une tragédie de dix ans.
La chanson devenait tragédie !
Lorsqu’on présenta à Voltaire Denys le tyran, première et dernière tragédie de Marmontel, le vieux poëte dit : il ne fera jamais rien, il n’a pas le secret. — Le génie peut-être ?
Ainsi le dernier acte de Primerose met en œuvre la situation que Marie Lenéru a développée dans les Affranchis, à savoir celle de religieuses qui rentrent dans le monde par le fait de l’expulsion des congrégations, Et nous n’insistons pas sur ce point que le thème dont Marie Lenéru a tiré une tragédie pathétique n’a fourni à MM. de Flers et Caillavet qu’une commodité pour un dénouement plein de fadeur. […] Un poète dont Baudelaire aurait éduqué la sensibilité ne saurait traduire ses émotions en fluides vers libres, un Claudélien ne pourrait réaliser ses fureurs dans des tragédies qu’il écrirait en alexandrins réguliers.
Pendant ce rapide séjour, il a déjà entendu la voix de la poésie ; mais cette voix, trompeuse comme celle de l’écho, l’a appelé vers la tragédie. […] Benjamin Constant lui-même venait de donner de la tragédie de Wallenstein, à l’appui d’une préface sur le théâtre romantique. » Ces souvenirs si vivants font entrer dans l’intérieur de l’histoire littéraire de l’époque ; ils montrent, au lieu de raconter ; ils aident à comprendre ce que M. de Lamartine apportait de poésie à son siècle, et ce que la société de ce temps lui rendait d’inspiration par ses sympathies intelligentes, son goût à la fois enthousiaste et délicat des choses de l’esprit.
Une perruque Louis XIV, une tragédie de Racine, le Discours de la méthode, un portrait de Rigaud, un sermon de Bourdaloue, autant de manifestations sûres d’un même idéal. […] « Les cris sublimes des grands poèmes et des grandes tragédies ne sont autre chose que des cris mystiques qui n’appartiennent pas à la vie extérieure de ces poèmes ou de ces tragédies. » « Une œuvre ne vieillit qu’en proportion de son anti mysticisme. » Il suffirait de passer en revue l’œuvre des plus beaux génies, pour se convaincre de la justesse de ces mots. […] Il éleva des châteaux et des églises, il fit des tragédies, de la musique et des tableaux où il traduisait avec confiance la belle ordonnance de son âme.
Il envoie des poésies lamentables aux journaux du comté, commence un poëme épique, une tragédie où meurent seize personnes, une histoire foudroyante des jésuites, et défend en loyal tory l’Église et le roi.
Il prit le goût de la tragédie sur l’étal, l’instrument du meurtre était le même.
Or, ce monsieur du pouvoir exécutif, et ces médiocrates de province, ont le chauvinisme de la tragédie, du personnage noble.
Soit un personnage de tragédie ou de roman qui se trouve engagé dans une situation déterminée. […] Voir le développement de l’opinion contraire par Paul Janet, La psychologie dans les tragédies de Racine.
Si, par exemple, une idée de tragédie germe en l’âme d’un poète, nous ne pouvons pas, même en connaissant le sujet, prédire tous les incidents, ni savoir à l’avance quel sera le nombre des personnages, etc., mais nous savons cependant que certaines formes générales, qu’une allure à peu près déterminée lui seront imposées. […] Telles sont, par exemple, les formes du sonnet, de la tragédie, du drame romantique, du roman, etc., constituant en quelque sorte autant d’espèces littéraires, qui se transforment plus ou moins peu à peu44, mais qui pendant un temps règlent le développement des inventions nouvelles.
Lucien ne vit dans cette tragédie qu’un sujet de vaudeville. […] Dans un coin de son tableau, pour égayer un peu la royale tragédie dont il nous entretient, l’auteur nous raconte une idylle tropicale : les amours de Taïa, la Libyenne aux yeux fauves, dont le corps a des souplesses de palmier et des fermetés de bronze, avec Kaïn, né comme elle près de l’oasis d’Augila, et dont la bonne figure luisante s’éclaire, quand il voit sa « payse », d’un large et cordial sourire.
Racine a pris aux Grecs le sujet de ses tragédies et leurs principales scènes. […] J’avais copié mes personnages d’après le plus grand peintre de l’antiquité, je veux dire d’après Tacite ; et j’étais alors si rempli de la lecture de cet excellent historien, qu’il n’y a presque pas un trait éclatant dans ma tragédie dont il ne m’ait donné l’idée. […] C’est ainsi que la tragédie grecque, cet océan majestueux et sublime, après avoir donné naissance à Racine et à Alfieri… engendra ces ramifications indécrottables de petites mares d’eau qui se dessèchent encore çà et là au soleil et qu’on nomme l’école de Campistron29. » Sainte-Beuve a fait ressortir les nombreuses et inconscientes imitations qui ont suivi l’exemple de Chateaubriand. « On ne trouverait pas, dit-il, une seule page, chez tous nos écrivains, qui n’ait son germe dans Chateaubriand. » Lamartine, dans son Cours familier de littérature, cite un passage de Sainte-Beuve, où l’illustre critique montre la ressemblance de certaines Méditations, L’Isolement, Le Crucifix, L’Homme, Le Passé, avec des passages célèbres de Chateaubriand30… Nous ne pouvons qu’indiquer sommairement l’excellence du procédé d’imitation et sa tradition constante en littérature.
Il me semble pourtant que le roman très souple, très apte à toutes les combinaisons, pourra devenir en partie socialiste, socialiste dans le sens très étendu et très élevé du mot… On ne fait plus de tragédies, plus d’épîtres, plus de fables, on fera de l’histoire, du socialisme, de la science.
— Werner, que vous connaissez, je crois (auteur Attila et de Luther, deux tragédies qui ont fait grand bruit en Allemagne), se trouve dans ce moment à Rome.
Sur ce mot, nous nous faisons apporter ses livres, et au bout d’une heure nous remarquons que, quel que soit l’ouvrage, tragédie ou dictionnaire, biographie ou essai, il garde toujours le même ton. « Docteur, lui disait Goldsmith, si vous faisiez une fable sur les petits poissons, vous les feriez parler comme des baleines. » En effet, sa phrase est toujours la période solennelle et majestueuse, où chaque substantif marche en cérémonie, accompagné de son épithète, où les grands mots pompeux ronflent comme un orgue, où chaque proposition s’étale équilibrée par une proposition d’égale longueur, où la pensée se développe avec la régularité compassée et la splendeur officielle d’une procession.
Aux deux coins de la scène, sur des fauteuils de tragédie, sont assis, d’un côté Anicet Bourgeois, de l’autre Marc Fournier, et un régisseur, une canne à la main, range des bataillons de danseuses, des légions de comparses, ainsi qu’un caporal prussien qui commanderait aux visions d’un songe.
Nous en avons souvenir et rancune, et, le cœur affadi de ces pauvretés qui s’appelaient, il y a vingt ans, tragédies, comédies, poèmes, nous faisons réaction, criant : honte au métier ! […] On ne voit pas pourquoi tel poète fait des épopées, tel autre des tragédies ; pourquoi celui-ci traite des sujets gais, et celui-là des sujets tristes ; il manque à tous ces poètes une mission. […] Au temps où le théâtre français était dans l’enfance, où Jodelle et Hardi imitaient platement et sans intelligence, l’un les formes extérieures de la tragédie grecque, l’autre les intrigues et les fils du drame espagnol, une fécondité malheureuse pouvait donner une sorte de gloire, et Jodelle et Hardi furent des hommes éminents pour leur époque.
Et quelles luttes pour protéger le monstre contre les fureurs de la tragédie ! […] On la pardonnerait plus volontiers à Racine que l’éternelle rime aime-même dont il abuse, par pauvreté verbale, tout le long de ses tragédies.