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373. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

D’autre part, la mémoire revenant, les images et les idées renaissantes enveloppent l’image par leur cortège, entrent en conflit avec elle, lui imposent leur ascendant, la tirent de sa vie solitaire, la ramènent à la vie sociale, la replongent dans sa dépendance habituelle. […] Pareillement, pour que les muscles gauches de la face ou de la langue fassent leur effet normal, il faut que les muscles droits correspondants soient intacts ; ce contrepoids manquant, la face ou la langue sont tirées du côté gauche ; la paralysie des muscles d’un côté amène de l’autre une déformation, comme l’affaiblissement ou l’extinction des réducteurs de l’image amène une hallucination. […] « Je fus aussitôt interrompu par l’apparition d’une figure à grande barbe qui disparut aussitôt que je la mis en joue, et, à trois reprises différentes, je fus interrompu par la même apparition ou par des figures de polichinelle qui disparaissaient quand je voulais tirer, dessus. Je voyais aussi des demoiselles avec des crinolines danser sur les arbres au-dessus de ma tête. » Les autres gendarmes arrivent ; il les menace de tirer sur eux, essaye d’ôter son pantalon blanc pour mieux se cacher, entend ses camarades revenir, tire sur le premier qui se présente et tente de se sauver ; il est pris. « Bien convaincu qu’ils allaient me conduire au supplice, je criais à l’assassin ; il m’a même semblé à plusieurs reprises voir un gendarme tirer son couteau de sa poche pour me l’enfoncer dans le ventre, et mes cris redoublaient. » Attaché et gardé à vue, il ne dort pas de toute la nuit.

374. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

C’est Dieu qui a tiré des profondeurs de son être le mouvement qu’il a communiqué à tout le reste des choses ; sans lui, le mouvement ne serait pas né, et il ne continuerait point. […] Les abeilles recueillent la cire sur les fleurs : elles tirent la propolis des fleurs des arbres. […] Deux personnes vont ensemble : l’une se montre et chante ou joue de la flûte ; l’autre se tient en arrière et tire la flèche au signal que le premier lui donne. […] Mais ce sont des conséquences aussi certaines que les faits incontestables d’où la raison les tire. […] En réglant le corps de certaine façon, on tempère les passions de l’âme ; et, par un régime bien entendu, on tire, en partie du moins, la santé de l’âme de la santé du corps : Mens sana in corpore sano.

375. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1869 » pp. 253-317

— Mais allez donc, lui dis-je, le tirer par la manche ! […] On dirait que l’inconnu l’amuse… Il est si étrange… Il y a une créature, une Anglaise qui avait acheté à Mazzini un revolver, pour tirer sur lui… Elle a eu le front de lui demander une audience. […] À ce propos, il nous raconte qu’il avait envie d’un alezan doré, que lui avait enlevé le général Patrat, et sur lequel il fut tué à Palestro, coupé en deux par le dernier boulet tiré par l’artillerie autrichienne ; dans cette affaire, où pas un homme de son corps ne fut blessé. […] Pas d’émotion, une fois l’action engagée, mais avant, par exemple, aux premiers coups de fusil qui se tirent sur les lignes d’un camp, quand on est couché encore, alors un sentiment de compression de la poitrine, avec, au fond de soi, une sorte de tristesse. […] Alors, des années pendant lesquelles il tire le diable par la queue, et cela jusqu’en 1846, où il était nommé capitaine, et envoyé en Afrique.

376. (1926) L’esprit contre la raison

Ainsi, par exemple, de l’idolâtrie scientiste, où la masse par le plus hypocrite des jeux de mots trouvait illusion de progrès spirituel sans, toutefois, perdre de vue les fins utiles ni oublier les profits particuliers à tirer de nouvelles découvertes. […] C’est du meurtre d’un vieux provincial par le Lafcadio des Caves du Vatican que fut tirée notion de l’acte gratuit. […] Que l’esprit ne soit point d’accord avec le monde extérieur, qu’il se refuse à suivre les contours des objets, des faits, ne sache en tirer aucun parti et même, le cas échéant, se refuse à en tirer aucun parti, voilà qui ne saurait être donné en preuve de son mauvais état. […] De ce même Crime et Châtiment, par exemple, fut tiré un filmbi où nous pouvions contempler des maisons entassées au gré d’une imagination si biscornue que rien de touchant ne demeurait. […] La fin de ce long titre du collage de Max Ernst diffère légèrement : « Un peu plus haut que l’oiseau l’éther pousse et les murs et les toits flottent. » Crevel la cite de nouveau dans sa « Préface au catalogue d’une exposition Max Ernst à la Galerie Bernheim, le 1er décembre 1928, avec quelques commentaires tirés des lignes qui suivent.

377. (1903) Propos de théâtre. Première série

Tirez-vous de là. Il n’y a pas à s’en tirer. […] Qui le tirera de cette perplexité ? […] Mais, d’où sa pièce est tirée, quand sa pièce est tirée de quelque chose, il me semble qu’il le dit toujours, selon l’usage traditionnel, à la manière de Corneille et de Racine. […] Je mettrai le roi lui-même en jeu pour le tirer d’embarras.

378. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

Sur quoi peut-être il serait curieux d’examiner à notre tour d’où Calderon et Rojas eux-mêmes ont tiré leur drame ou leur comédie. […] — Écoutez : il n’y a pas tant de vanité à « tirer de l’amour d’une maîtresse. […] Tous les trois, en effet, — pour des raisons générales tirées de la nature de leur art, et pour des raisons personnelles tirées de leur façon de vivre, de leur tempérament, enfin de leur métier, — tous les trois dans leurs attaques avaient passé la mesure et le but. […] Un des procédés ordinaires de Marivaux consiste à tirer de l’usage familier, ou même vulgaire, les métaphores qui lui servent à diversifier les plus jolies nuances du sentiment. […] Mais qui ne voit, en conséquence, que plus ils s’accumulent, plus il faut se hâter, sauf à être obscur ou incomplet en quelques points, d’en tirer le parti qu’ils comportent.

379. (1911) Psychologie de l’invention (2e éd.) pp. 1-184

Darwin en tire cette conclusion que les espèces voisines pourraient bien descendre de quelque forme ancestrale commune. […] Pour tromper une ardeur naissante, encore mal connue de lui, Rousseau se tire d’affaire en homme sensible, mais en littérateur. […] Zola éprouve le besoin de tirer quelque chose de ses lectures, de ses observations et de ses réflexions. […] Il pose l’idée générale qui domine l’œuvre, puis, de déduction en déduction, il en tire les personnages et toute l’affabulation. […] Et tout homme en est réduit, dans les meilleures et les plus rares conditions, à sacrifier au moins une partie de son originalité pour pouvoir tirer parti de l’autre.

380. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Vous aurez beau exécuter mille et mille variations sur le thème de la marche, vous ne tirerez pas de là une règle pour nager. […] Mais toutes trois finiront par tirer profit de la rencontre. […] D’une proposition vérifiée par les faits on ne peut tirer ici des conséquences vérifiables que jusqu’à un certain point, dans une certaine mesure. […] L’automatisme, qu’elle prétendait tirer dans le sens de la liberté, s’enroule autour d’elle et l’entraîne. […] Elle est essentiellement un courant lancé à travers la matière, et qui en tire ce qu’il peut.

381. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — III. (Fin.) » pp. 371-393

Je me borne, pour ces années, à noter quelques paroles tirées çà et là des conversations de l’empereur, et par lesquelles cette grande nature continue de se définir elle-même avec l’accent qui lui est propre. […] Je l’aime pour en tirer des sons, des accords, de l’harmonie… Le militaire est une franc-maçonnerie ; il y a entre eux tous une certaine intelligence qui fait qu’ils se reconnaissent partout sans se méprendre, qu’ils se recherchent et s’entendent ; et moi je suis le grand maître de leurs loges… Il n’est rien à la guerre que je ne puisse faire par moi-même. […] Prenant acte de ces paroles de Brantôme et leur donnant un sens rigoureux, Roederer avait tâché d’en tirer toute une série de conséquences. […] Je m’aperçus qu’il n’était pas étranger aux beaux-arts ; il jeta sur le papier, pour l’embellissement de la ville de Düsseldorf, quelques idées dont on tira profit.

382. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Il s’est bien tiré de son rôle d’auteur, et mal de celui de galant homme. […] Ce qui plaît dans ces remarques manuscrites et ce qui permettrait d’en tirer avec choix et discrétion un volume tout à fait agréable et qui prendrait le lecteur, c’est le naturel franc, et aussi la manière de dire. […] Le vrai titre et l’idée de l’ouvrage était : Jusques ou la démocratie peut être admise dans le gouvernement monarchique ; avec cette épigraphe tirée de Britannicus et exprimant le vœu de conciliation qui est l’esprit du livre :        Que dans le cours d’un règne florissant Rome soit toujours libre, et César tout-puissant D’Argenson conçut l’idée de son ouvrage par opposition à celui de M. de Boulainvilliers, tout en faveur de la féodalité et de la noblesse. […] Il pensait que les abus et les maux de l’ancien régime étaient venus au point d’exiger qu’on tirât la France, « non de dessous ses rois, à Dieu ne plaise !

383. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Mme Dacier, par sa traduction de L’Iliade, ayant fourni le moyen de la lire à ceux qui n’entendaient pas le grec (et c’était alors l’immense majorité, même des gens réputés instruits), La Motte s’en était servi à loisir pour mettre en ordre ses arguments et tirer ses conclusions. […] Lui, le petit abbé en particulier, il avait, nous le verrons, l’instinct du métaphysicien, de l’idéologue ; il tirait tout de la réflexion, de l’analyse ; l’intellectuel et l’abstrait étaient son plaisir et sa préférence. […] Les érudits, à force de subtilités, érigeraient volontiers L’Iliade en catéchisme moral ; « Nous n’y cherchons pas de finesses, nous autres bonnes gens ; nous pensons que l’auteur a voulu seulement amuser les Grecs par le récit des exploits guerriers de leurs aïeux. » Et, en général, l’abbé de Pons estime que « dans tous poèmes, soit épiques, soit dramatiques, indistinctement, les poètes se proposent pour fin générale le dessein de tirer l’homme de l’ennui qui le consume lorsqu’il est inoccupé ». […] Ce n’est donc que quand le cours complet d’études tire sur sa fin, et que l’élève a appris ou passé en revue l’histoire, le théâtre et la littérature nationale, certains arts mécaniques, la logique, la physique, même la métaphysique, que le précepteur se dit : Mon disciple parle excellemment sa langue naturelle ; sa mémoire est ornée de tous nos meilleurs ouvrages, soit de prose, soit de poésie : cela est bon, mais cela ne lui suffit pas, nous allons apprendre la langue latine.

384. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Andrieux, ce goût qui, avec la meilleure volonté du monde, reste le plus opposé aux habitudes, aux lenteurs et à la bonne foi germaniques, et comme il savait spirituellement le définir, quand il disait : « Les Français sont dans une situation singulière avec la littérature allemande ; ils sont tout à fait dans la position de l’adroit renard qui ne peut rien tirer du vase à la longue encolure : avec la meilleure volonté, ils ne savent que faire de nos livres ; ce que nous avons travaillé avec art n’est pour eux qu’une matière brute qu’ils doivent remanier. […] On lui avait fort conseillé la lecture des grands auteurs, particulièrement de Schiller et de Klopstock ; il les admira, mais sans tirer grand profit de leurs œuvres. […] Moi-même il m’est arrivé de l’appeler en un endroit « le Talleyrand de l’art », voulant indiquer par là qu’il tirait à temps son épingle du jeu et qu’il était homme à tricher quelquefois avec les passions mêmes qu’il exprimait. Le mot est bien près d’être injuste ; il l’est, et c’est par trop aussi tirer Gœthe du côté de Méphistophélès.

385. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Œuvres de Louise Labé, la Belle Cordière. »

Sans doute le biographe tire un peu à lui et pousse le plus haut qu’il peut dans l’ordre des poètes son cher Pontus ; mais il n’y a pas à cela grand mal ; si le goût d’abord s’étonne et souffre d’un peu d’excès dans la louange, les choses ensuite se rétablissent aisément, et l’on y a gagné, au total, de mieux connaître son vieil auteur. — L’étude de M.  […] On ne s’en tire qu’à demi en disant qu’il y eut dans sa vie deux époques distinctes. […] J’ai dit qu’elle savait l’italien ; elle faisait même des sonnets italiens, elle possédait cette belle littérature ; et je ne serais pas étonné que ce fut de là qu’elle eût tiré le fond et peut-être le développement de ce docte et ingénieux dialogue, le Débat de Folie et Amour. […] Ce Riqueur a été tiré de l’oubli, mais avec mesure et discrétion, dans une Revue de Normandie, par M. 

386. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Don Carlos et Philippe II par M. Gachard Don Carlos et Philippe II par M. Charles de Mouy »

Cet honnête homme eut la loyauté d’avertir le roi du peu de progrès que faisait son fils et du peu de fruit qu’il tirait des leçons les plus assidues : Philippe II, dans sa patience, ne désespérait pourtant pas encore, et son affection paternelle ne semble avoir reçu aucune atteinte de ces premières impressions défavorables. […] Plus tard, il y aura des chapitres tout entiers consacrés à la révolte des Pays-Bas et aux causes qui amenèrent cette révolution : ce sont des chapitres d’histoire où l’auteur intervient à peine et où, parlant le moins possible en son nom, il ne vous fait marcher avec lui que sur des extraits enchâssés, tirés des documents originaux : méthode des plus solides et des plus sûres. […] En égard à son âge de dix-sept ans75, il s’entend très-bien aux choses du monde, et quoique les Espagnols, qui ont coutume d’exagérer leurs faits et de s’émerveiller de tout, exaltent quelques questions qu’il adresse indistinctement à tous ceux qui l’approchent, d’autres, avec plus de fondement peut-être, tirent de l’inopportunité de ces questions un argument peu favorable a son intelligence. » Voilà la triste vérité que notre bon compagnon et compatriote Brantôme vient confirmer et relever de sa manière gaillarde et piquante, ne fut-ce que par ce seul petit trait : « Moi, étant en Espagne, il me fut fait un conte de lui, que son cordonnier lui ayant fait une paire de bottes très mal faites, il les fit mettre en petites pièces et fricasser comme tripes de bœuf, et les lui fit manger toutes devant lui, en sa chambre, de cette façon. » Quand un prince de dix-neuf ans en est là, il me semble qu’il est jugé à jamais et que son avenir est écrit plus clairement que dans les astres. […] Mais, à sa vue, don Carlos entra dans une soudaine colère, lui fit une scène des plus violentes, et finit par tirer son poignard en criant : « Vous n’irez pas en Flandre, ou je vous tue. » Il fallut tout l’effort du duc pour l’arrêter à deux reprises et lui retenir les mains, jusqu’à ce qu’on accourût au bruit.

387. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. »

M. de Schulenburg était appuyé sur la pierre qu’on a mise à l’endroit où Gustave-Adolphe fut tué, et il me dit en m’embrassant, après que j’eus fait serment : « Monsieur, je souhaite que ce lieu vous soit aussi propice que j’en tire un heureux augure, et que le génie du grand homme qui a expiré ici passe sur vous ; que sa douceur, sa sévérité et sa justice vous guident dans toutes vos actions ; soyez aussi soumis à obéir ou sévère à commander ; ne pardonnez jamais par amitié ou par considération ; dans les moindres fautes, que l’exemple du sévère Magnus (Gustave-Adolphe) vous soit toujours présent ; ayez des mœurs irréprochables, et vous commanderez aux hommes : voilà la base et les fondements inébranlables de notre métier. […] Un autre peintre qui n’est ni sobre ni élégant, qui est souvent barbouilleur, mais qui rencontre parfois des mots qui touchent au vif, le marquis d’Argenson, après avoir parlé du manque de génie et de vigueur de nos officiers petits-maîtres à cette date, a dit : « C’est donc le besoin des affaires qui nous a réduits à nous servir d’étrangers : les Allemands et ceux du Nord ont mieux conservé aujourd’hui le véritable esprit de la guerre ; nous tirons de leurs pays des hommes et des chevaux (c’est poli) plus robustes et plus nerveux que les nôtres. […] Mais n’avons-nous pas entendu tout à l’heure M. d’Argenson nous dire, et à son propos, qu’on tire d’Allemagne « des hommes et des chevaux plus robustes ? […] « Je ne me souviens plus de ce qui fut conclu entre les bergers et les loups, et je laisse à Votre Excellence le soin de faire le commentaire de cette fable. » Le commentaire se tira de lui-même.

388. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Des inconnus même, des inédits tels qu’un Julien Riqueur, ont été tirés des limbes, ce dernier par M.  […] Philippe Tamizey de Larroque, en a tiré les Vies des Poètes gascons au nombre de six (1866). […] Pendant ces siècles intermédiaires, xive et xve , on alla en effet s’embarrassant de plus en plus et comme de gaieté de cœur, jusqu’à épuisement, dans une forme artificielle, dans un labyrinthe de subtilités dont on eut toutes les peines du monde à se dégager ensuite et dont on ne se serait pas tiré sans un heurt violent et un vigoureux coup de coude donné d’ailleurs. […] Il ne fallait pas moins qu’un tel effort si bien concerté pour couper court à la routine et se tirer une bonne fois de la vieille ornière.

389. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

Mais, pour lui, il ne s’est jamais posé le rôle, il ne s’est jamais dit que c’était embarrassant ; il a senti que c’était doux, près de soi, d’avoir un haut abri dans ses pensées ; et cependant il s’en est tiré mieux que tous les cadets de grands hommes en littérature : il a trouvé sa place par le naïf, le sensible et le charmant26. […] laissez, laissez le lecteur conclure sur la simple histoire ; il tirera la moralité lui-même plus sûrement, si on ne la lui affiche pas ; laissez-le se dire tout seul à demi-voix que ce Lépreux, dans sa résignation si chèrement achetée, est plus réellement heureux peut-être que bien des heureux du monde : mais que tout ceci ressorte par une persuasion insensible ; faites, avec le conteur fidèle, que cet humble infortuné nous émeuve et nous élève par son exemple, sans trop se rendre compte à lui-même ni par-devant nous. […] Je n’aurais pas tant insisté sur ce singulier petit essai, s’il n’y avait une leçon directe de goût à en tirer, si l’on n’y trouvait surtout les traces avouées d’un conseil supérieur et des traits partout ailleurs remarquables, comme celui-ci : « Quant à la vie, pour ainsi dire déserte, à laquelle je suis condamné, elle s’écoule bien plus rapidement qu’on ne l’imaginerait ; et cela c’est beaucoup, continua le Lépreux avec un léger soupir, car je suis de ceux qui ne voyagent que pour arriver. […] Littérairement, on pourrait presque dire qu’il fit école : on citerait toute une série de petits romans (dont le Mutilé, je crois, est le dernier) où l’intérêt se tire d’une affliction physique contrastant avec les sentiments de l’âme : mais ce sont des romans, et le Lépreux n’en est pas un.

390. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LOYSON. — POLONIUS. — DE LOY. » pp. 276-306

Mais on voit qu’après tout nous tirons à la fin de la série, et que, sans la clore, nous n’aurons plus qu’à la tenir ouverte, l’arriéré étant tout à fait payé131. […] Son plus piquant et son plus solide écrit politique est intitulé : Guerre à qui la cherche, ou Petites Lettres sur quelques-uns de nos écrivains ; il tire à droite et à gauche, sur M. de Bonald d’une part, sur Benjamin Constant de l’autre. […] Lorsqu’il y a un ou deux ans, le prince Metcherski publia ses ingénieuses poésies, tout empreintes du cachet romantique le plus récent, je ne sais quel critique en tira grand parti contre la façon moderne, et affirma qu’on n’aurait pas si aisément contrefait la muse classique ; c’est une sottise. […] Seul, tu restes muet, et le vent qui s’exhale De la cime des ifs A peine de ton sein tire par intervalle Quelques sons fugitifs.

391. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

Sur ce, madame de Crissé, vieille plaideuse qui se prétend outragée dans la comtesse de Pimbêche, et le conseiller Dandinard qui se croit joué dans Perrin Dandin, forcent successivement la porte et font au poëte une scène de menaces dont il se tire assez bien ; tout ce jeu est assez plaisant. […] Gabriel Naudé nous dit là son goût de penseur hardi et sceptique, il nous trahit son gibier favori et ce qu’il aime, sans préjudice des autres pièces : philosophe vorace, il lit tout, il y attrape des milliasses de pensées, et les enveloppe à son tour dans quelqu’un de ces écrits indigestes et copieux, vrai farrago, mais qui font encore aujourd’hui les délices de qui sait en tirer le suc et l’esprit. […] ne nous exagérons rien) on le cite quelquefois, on feuillette au besoin son recueil pour le consulter comme un témoin véridique, on rappelle son jugement sur ces livres, un moment fameux, qu’on ne lit plus et qu’on ne juge en abrégé que par quelques mots tirés de lui. […] M. de Paulmy se fit aider pour ses Mélanges tirés d’une grande Bibliothèque, par Contant d’Orville et par M.

392. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LES JOURNAUX CHEZ LES ROMAINS PAR M. JOSEPH-VICTOR LE CLERC. » pp. 442-469

Le Clerc a épuisé les pièces restantes du procès, en a tiré tout le parti possible ; si l’on doute encore après cela, c’est que le doute est dans le fond même et qu’il ne se peut éviter. […] A chaque génération, il se fait un naufrage d’idées vives ; une sorte d’ignorance recommence ; une bonne partie du savoir et de l’esprit de chaque année périt avec elle ; une autre portion s’entasse en de savants depôts, et ne s’en tire qu’en se dispersant dans quelques têtes de plus en plus singulières. […] Quand on aura feuilleté le Pour et Contre de l’abbé Prévost, et plus tard les journaux de Suard et de l’abbé Arnaud, on en tirera, sur l’introduction des littératures étrangères en France, sur l’influence croissante de la littérature anglaise particulièrement, des notions bien précises et graduées, que Voltaire, certes, résume avec éclat, mais qu’il faut chercher ailleurs dans leur diffusion. […] Dans une préface de Mélanges tirés de l’allemand, Bonneville (et qui s’aviserait d’aller lire Bonneville si on ne le rencontrait là ?)

393. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

Pourtant, de cette habitude générale de continuellement juger le passé au point de vue du présent, était né en quelques esprits élevés le désir bien naturel d’une méthode contraire, où l’on irait d’abord à l’objet pour l’étudier en lui-même et en tirer tout ce qu’il contient. […] S’attachant à des époques lointaines, peu connues, réputées assez ingrates, traduisant de sèches chroniques avec génie, il devait serrer tout cela de si près et percer si avant, qu’il en tirerait couleur, vie et lumière. […] A voir combien il y a peu à mettre pour tirer cette conclusion et la faire sentir, on se demande avec le critique pourquoi cette discrétion extrême. […] Au reste, à mesure que M. de Barante avançait dans son histoire et qu’il l’embrassait tout entière, il se trouvait insensiblement poussé à en tirer plus qu’il n’avait prévu d’abord.

394. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

D’une autre part, il était incontestable que d’habiles ministres, tels que M. de Choiseul et M. de Vergennes, avaient su tirer de cette situation nouvelle, l’un par le Pacte de famille, l’autre à l’époque de la guerre d’Amérique, des ressources imprévues qui avaient balancé les désavantages et réparé jusqu’à un certain point l’honneur de notre politique. […] Quant au point de vue extérieur et européen, ce livre d’un diplomate instruit et qui avait tenu en main quelques-uns des premiers fils, commençait pour la première fois en France à tirer un coin du voile que les Mémoires d’un Homme d’État ont, bien plus tard, soulevé par l’autre côté. […] Il ne croit pas pouvoir changer l’homme, il ne se pique même pas de le sonder trop à fond ; mais il le sent tel qu’il est, et il tâche d’en tirer parti. […] Mémoires tirés des papiers d’un Homme d’État, t. 1, p. 180-194. — Un adversaire et sans aucun doute un ennemi personnel du comte de Ségur, Senac de Meilhan, a écrit, à ce sujet, cette page peu connue : « … La présomption que l’homme est porté à avoir de ses talents et de son esprit faisait croire à plusieurs jeunes gens qu’ils joueraient (en 1789) un rôle éclatent ; mais la Révolution, en mettant en quelque sorte l’homme à nu, faisait évanouir promptement cette illusion, qu’il était aisé de se faire à l’homme de cour, à celui du grand monde, qui se flattait d’obtenir dans l’Assemblée les mêmes succès que dans la société.

395. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

Fontanes, dans la Maison rustique, voulant parler poétiquement de la ménagère qui fait des confitures, tirait de l’Etna le vieux roi des Cyclopes pour l’aider en cette besogne difficile et il écrivait : Cette pâte épaissie au souffle de Vulcain. […] Les salons ne sont plus seulement une école du bien-dire ; ils sont aussi pour les écrivains un milieu excitant, où ils pensent pour le plaisir de penser, où ils sont entraînés par le mouvement de la causerie à tirer de leur cerveau les trésors qu’il contient à l’état latent et à faire en eux-mêmes des découvertes. […] Il est jaloux de préserver de toute atteinte sa dignité personnelle ; il tient à l’estime des autres presque autant qu’à la sienne propre, et il est toujours prêt à tirer l’épée qu’il a au côté pour défendre sa considération menacée. Cherchez maintenant combien de fois le roman et le théâtre ont reproduit ce type de l’honnête homme, transformé en galant homme ou en gentleman ; examinez quel parti littéraire ils ont tiré de l’honneur et du point d’honneur ; comptez, si vous pouvez, dans combien de pièces, depuis le Cid jusqu’à nos jours, le duel, cette survivance mondaine des usages chevaleresques, intervient comme moyen dramatique ; et vous aurez une idée à peu près suffisante, quoique incomplète, des innombrables répercussions que la vie du monde a eues et a encore sur les œuvres de nos littérateurs.

396. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chansons de Béranger. (Édition nouvelle.) » pp. 286-308

En nous tenant à ce que nous avons, il est certain que Béranger a fait de la chanson tout ce qu’on en peut faire ; il en a tiré tout ce qu’elle renferme, et on pourrait croire qu’il est bien difficile désormais d’aborder ce genre après lui sans l’imiter. […] C’est encore, après tout, dans le genre semi-sérieux, semi-badin, qu’il s’en tire le mieux et qu’il réussit plus complètement qu’ailleurs. […] Si haut que soit le poète, et fût-il monté pendant la durée du couplet jusqu’au premier étage ou jusqu’au belvédère, il faut qu’il redescende tout d’un coup brusquement, quatre à quatre, pour tirer à temps ce malheureux cordon du refrain. […] Moi aussi, j’ai jugé pour mon plaisir M. de Pontmartin comme j’avais jugé autrefois Béranger, et voici la note, depuis longtemps écrite, que je tire du même cahier familier d’où j’ai extrait quelques-unes de mes impressions de fond sur le poète national.

397. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

Le sentiment qui m’anime ici envers Condorcet n’a rien d’hostile ; sa mort a racheté, a expié sans doute quelques-uns de ses torts, et je révère, à bien des égards, sa vaste capacité d’esprit ; mais c’est un trop grand exemple, et trop orgueilleux pour qu’on ne l’approfondisse pas et qu’on n’en tire point une partie des leçons qu’il renferme, leçons humiliantes, et dont une erreur pareille à la sienne pourrait seule aujourd’hui s’aviser de faire un trophée pour la raison humaine. […] Encore une fois, ce n’est pas l’idée même que nous soyons à un âge de maturité, à une époque d’égalité et même de nivellement, et qu’il faille tirer le meilleur parti de la société moderne en ce sens-là, ce n’est pas cette idée qui est la fausse vue de Condorcet ; son erreur propre, c’est de croire qu’on n’a qu’à vouloir et que tout est désormais pour le mieux, qu’en changeant les institutions on va changer les mobiles du cœur humain, que chaque citoyen deviendra insensiblement un philosophe raisonnable et rationnel, et qu’on n’aura plus besoin, dans les travaux de l’esprit, par exemple, d’être excité ni par l’espoir des récompenses ni par l’amour de la gloire. […] Nous tirons le rideau, écrit-il, sur les événements dont il serait trop difficile, en ce moment, d’apprécier le nombre et de calculer les suites. […] Mais qu’on sache bien que c’est là finalement une amnistie, et qu’on n’essaie point d’en tirer une apothéose.

398. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

Il tenait du duc d’Orléans, futur régent, du marquis de La Fare, de Chaulieu et des habitués du Temple, du grand prieur de Vendôme chez qui, plus tard, Voltaire jeune le rencontrera au passage : il lui suffisait, en tout état de cause, de rester digne de ce qu’il appelait la société des honnêtes gens, mais ce mot commençait à devenir bien vague ; et Saint-Simon, plus sévère et qui pressait de plus près les choses, disait de lui : « C’était un cadet de fort bonne maison, avec beaucoup de talents pour la guerre, et beaucoup d’esprit fort orné de lecture, bien disant, éloquent, avec du tour et de la grâce, fort gueux, fort dépensier, extrêmement débauché (je supprime encore quelques autres qualifications) et fort pillard. » Ce qui s’entrevoit très bien dans le peu qu’on sait du rôle du chevalier de Bonneval dans ces guerres d’Italie, c’est qu’il n’était pas seulement né soldat, mais général : il avait des inspirations sur le terrain, des plans de campagne sous la tente, de ces manières de voir qui tirent un homme du pair, et le prince Eugène dans les rangs opposés l’avait remarqué avec estime. […] La morale à tirer d’une étude sur le caractère de Bonneval est bien celle-ci : Que de belles et brillantes facultés perdues, égarées, tournées à mal, par un défaut, par un travers, par un ressort trop brusque et cassant, dont la détente part à l’improviste, et ne se laisse pas diriger ! […] Il est bien juste que je tire quelque avantage d’une gloire que vous acquérez à un prix si cher pour mon âme et pour toute ma tranquillité. […] Tirant une clef de sa poche, il ouvre ; et, au lieu d’in-folio, je vois des rangées de bouteilles des meilleurs vins, et nous nous mîmes tous deux à rire de grand cœur : « C’est là, me dit le pacha, ma bibliothèque et mon harem ; car, étant vieux, les femmes abrégeraient ma vie, tandis que le bon vin ne peut que me la conserver, ou du moins me la rendre plus agréable. » Les détails qui suivent montrent que le spirituel pacha avait cherché à tirer tout le meilleur parti de sa position nouvelle ; qu’il avait réuni autour de lui ce qu’on pouvait appeler les honnêtes gens de là-bas, et fait rendre à la Turquie tout ce qu’elle renfermait de ressources de société.

399. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

— L’étude donne de la capacité pour les affaires… » Il s’applique à démontrer longuement toutes ces propositions, avec des exemples tirés des anciennes histoires ; c’est là le côté surabondant, et qui sera sitôt banal chez Rollin. […] Rollin, dans sa modestie qui descend à l’humilité, ne se donne jamais que pour un traducteur, un divulgateur, un colporteur de belles choses tirées des anciens, et qu’il tâche d’assortir avec choix, en les appropriant à la jeunesse chrétienne. […] Son sujet n’est le plus souvent qu’un prétexte à de beaux extraits tirés de Cicéron, de Pline, d’Homère, dont il nous fait passer sous les yeux les beautés choisies. […] Je n’ai point de ruches à miel ; mais j’ai le plaisir tous les jours de voir les abeilles voltiger sur les fleurs de mes arbres, et, attachées à leur proie, s’enrichir du suc qu’elles en tirent, sans me faire aucun tort.

400. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

Un cabinet de travail ayant la hauteur et la grandeur, où se lit sur la cheminée, la devise : Nulla dies sine linea , et où l’on aperçoit dans un coin un orgue mélodium avec voix d’anges, dont l’auteur naturaliste tire des accords à la tombée de la nuit. […] Jeudi 13 octobre Visite de l’administrateur du journal Le Voltaire, m’annonçant qu’il va couvrir Paris d’affiches, et le jour de l’apparition du premier feuilleton de La Faustin, faire délivrer dans les rues de Paris, une chromolithographie de la Faustin, tirée à cent mille exemplaires. […] Ce matin, le numéro du Voltaire, tiré à 120 000 et donné aux passants. […] » Jeudi 24 novembre Dans ce moment-ci, j’aimerais passer une huitaine, dans une campagne lointaine, lointaine, où facteur ne viendrait jamais, et où je pourrais toute la journée tirer des lapins.

401. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XII] »

C’est ici le lieu de mettre sous les yeux du lecteur un certain nombre de passages tirés de la correspondance de Voltaire, qui prouvent que je n’ai pas trop hasardé, lorsque j’ai dit qu’il haïssait secrètement les sophistes. […] V, chap. 2] On sera bien aise de trouver ici le beau morceau de Bossuet sur saint Paul… « Afin que vous compreniez quel est donc ce prédicateur, destiné par la Providence pour confondre la sagesse humaine, écoutez la description que j’en ai tirée de lui-même dans la première épître aux Corinthiens. […] De même qu’on voit un grand fleuve qui retient encore, coulant dans la plaine, cette force violente et impétueuse qu’il avait acquise aux montagnes d’où il tire son origine ; ainsi cette vertu céleste, qui est contenue dans les écrits de saint Paul, même dans cette simplicité de style, conserve toute la vigueur qu’elle apporte du ciel, d’où elle descend. […] Enfin, tous ces sujets, tirés de la fable, que l’on trouve dans les ruines d’Herculanum, prouvent que la mythologie dérobait aux peintres le vrai paysage, comme elle cachait aux poètes la vraie nature.

402. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Le Prince » pp. 206-220

La jeune fille m’aurait tiré de perplexité, en tenant sa lettre cachetée d’une main, et de l’autre fesant sa leçon à la vieille, mais cela n’y était pas. […] Sur cette inscription qu’on lit dans le livret, une jeune fille endormie, surprise par son père et par sa mère, on cherche des traces d’un amant qui s’échappe ou qui s’est échappé et l’on n’en trouve point ; on regarde l’impression du père et de la mère pour en tirer quelque indice, et ils n’en révèlent rien. […] Mais transportez la scène de Paris à Rome ; de l’hôtel de ville au milieu du sénat ; à ces foutus sacs rouges, noirs, emperruqués, en bas de soie bien tirés, bien roulés sur les genoux, en rabats, en souliers à talon, substituez-moi de graves personnages à longues barbes, à tête, bras et jambes nus, à poitrines découvertes, et longues, fluentes et larges robes consulaires ; donnez ensuite le même sujet au même peintre tout médiocre qu’il est, et vous jugerez de l’intérêt et du parti qu’il en tirera, à condition pourtant qu’il ferait descendre autrement sa paix.

403. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Note »

Toujours, en le louant ou en le critiquant, je l’ai désiré un peu autre qu’il n’était ou qu’il ne pouvait être, toujours je l’ai plus ou moins tiré à moi, selon mes goûts et mes préférences individuelles ; toujours j’ai opposé à la réalité puissante, en face de laquelle je me trouvais, un idéal adouci ou embelli que j’en détachais à mon choix. […] La Bruyère parle quelque part des grands et sublimes artistes qui sortent de l’art pour l’étendre et l’ennoblir ou le rehausser, qui marchent seuls et sans compagnie, et qui tirent de leur irrégularité même des avantages supérieurs ; et il ajoute : « Les esprits justes, doux, modérés, non seulement ne les atteignent pas, ne les admirent pas, mais ils ne les comprennent point, et voudraient encore moins les imiter.

404. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

Bossuet n’avait point paru encore ; le Discours sur l’histoire universelle n’était pas là pour apprendre au disciple de Descartes quel immense parti l’on pouvait tirer même de Josèphe et d’Eusèbe, et comment, si l’on voulait de gré ou de force tout faire rentrer en Dieu, il ne coûtait pas plus de voir en lui des actions que des idées. […] Thiers en accorde beaucoup moins aux inductions philosophiques, et laisse le plus souvent au lecteur le soin de les tirer, il semble plus à l’abri d’un défaut qui ne consiste, après tout, que dans l’expression trop absolue de certaines vérités générales.

405. (1874) Premiers lundis. Tome I « Tacite »

L’historien vous parle une langue si rapide, si forte, si poignante, qu’il vous enlève, vous tire à lui, vous force de penser avec lui en cette langue qui lui est propre, et, fût-on un latiniste assez vulgaire, pourvu qu’on comprenne, se fait comprendre face à face, sans trucheman, sans aucune de ces traductions sous-entendues que Cicéron en ses longs développements laisse à son lecteur tout le temps de faire. […] L’exemple de Paul-Louis Courier vient d’être réfuté par des raisons trop solides et trop ingénieuses, pour être renouvelé de longtemps ; et d’ailleurs cette sorte d’espièglerie érudite, de laquelle il se tirait si bien, ne convenait qu’à lui seul ; mais, sans se réduire, ainsi qu’il le faisait, aux ressources du vieux langage, on ne doit pas absolument se les interdire.

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