/ 3963
808. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

Ronsard et ses disciples vinrent alors, qui abjurèrent le culte des antiquités nationales et les laissèrent en partage aux érudits, aux Pasquier, aux La Croix du Maine, aux Du Verdier, aux Fauchet, dont les travaux, tout estimables qu’ils sont pour le temps, fourmillent d’erreurs et attestent une extrême inexpérience. […] Irons-nous donc, à l’exemple de certains critiques, ranger La Fontaine parmi ces deux ou trois antiquaires de son temps, et mettre le bonhomme tout juste entre Ménage et La Monnoye, lesquels, comme on sait, tournaient si galamment les vers grecs et les offraient aux dames en guise de madrigaux ? […] L’esprit léger, moqueur, grivois, qui de tout temps avait animé nos auteurs de fabliaux, de contes, de farces et d’épigrammes, ne s’était pas éteint vers le milieu du xvie  siècle, avec l’école de Marot, en la personne de Saint-Gelais. […] Mais déjà, depuis 1621, La Fontaine était né, vers le même temps que Molière, quinze ans avant Boileau, dix-huit ans avant Racine. […] Quant aux auteurs français, il avait ceux du temps, passablement nombreux, et la littérature du dernier siècle, qui était encore fort en vogue, surtout hors de la capitale.

809. (1874) Premiers lundis. Tome I « Alexandre Duval de l’Académie Française : Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock »

L’auteur, en commençant, ne se dissimule pas quel courage est nécessaire pour oser en pareil temps exposer des idées saines sur l’art dramatique : mais, en prenant la plume, il s’est résigné à subir les conséquences de sa témérité ; et dût la cabale ameutée immoler à son fanatisme la nouvelle pièce classique qu’il nous promet avant un mois peut-être, la vérité l’emporte, et il va la proclamer hautement. […] Nous ne le blâmerons point de cette causerie, toute indifférente qu’elle doive paraître au public : on peut en conclure du moins que ce bas monde est encore tolérable aux gens de quelque talent et de quelque réputation, quoique par malheur le temps des Déjeuners dominicaux soit passé. […] Sur ce point, c’est au temps seul et non pas à nous de répondre. […] Elle s’accomplira donc, dût le régime administratif, par son monopole et ses censures, y résister quelque temps encore. […] En vérité, il serait temps qu’un journal qui se pique de représenter quelque chose en France songeât à purger sa littérature do tant de vénalité jointe à tant d’ineptie, et qu’il essayât au moins de la rajeunir comme sa vieille politique.

810. (1895) Histoire de la littérature française « Avant-propos »

J’offre ce livre « à qui lit », comme disaient les honnêtes préfaces du vieux temps, à quiconque lit nos écrivains français. […] On a faussé en ces derniers temps l’enseignement et l’étude de la littérature. […] Plus que jamais, en ce temps-ci, la trempe philosophique est nécessaire aux esprits : mais les études techniques de philosophie ne sont pas accessibles à tous. […] Le temps est venu de faire rentrer le moyen âge dans l’unité totale de notre littérature française : et ce serait mal reconnaître les efforts de tant d’érudits spécialistes, que de leur en laisser indéfiniment la jouissance. […] Je n’ai admis dans le texte que les faits biographiques qui éclairaient les œuvres : les notes offriront très succinctement les biographies qui, sans expliquer les talents, rendent un peu de vie aux hommes en les localisant dans le temps et l’espace.

811. (1902) L’humanisme. Figaro

Je ne serais pas étonné que ce mot d’« humanisme » fût celui même sous lequel on résumera plus tard l’effort confus et magnifique de notre temps. […] Tous les grands poètes de tous les temps, en même temps que des artistes, étaient des hommes, c’est-à-dire des pères, des fils, des amants, des citoyens, des philosophes ou des croyants. […] Après l’école de la beauté pour la beauté, après l’école de la beauté pour le rêve, il est temps de constituer l’école de la beauté pour la vie. […] Accomplissons notre tâche sur la terre, qui est d’inscrire en des paroles belles le rêve que fait l’homme à ce moment du temps infini, pour le transmettre à ceux qui nous succéderont. […] Je me suis laissé dire qu’il y a une trentaine d’années, peu de temps après la, guerre, un groupe de quinze jeunes gens avait fondé une association — honni soit qui mal y pense — de chasteté.

812. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et M. de Maupertuis. » pp. 73-93

Voici comment ils se brouillèrent : c’est un académicien de Berlin, qui le manda, dans le temps, à un académicien de Paris. […] Premièrement, il étoit ami de Kœnig : leur liaison s’étoit formée du temps de madame du Châtelet, cette femme extraordinaire* & si supérieure à son sexe. […] Dans le temps de cette aventure fâcheuse, on donna au théâtre François Alzire, Zaïre, Mérope & les plus belles pièces du même auteur. […] Devenu libre, il alla passer quelque temps à Manheim chez l’électeur Palatin. […] « Je crois que c’est un rêve : je crois que tout cela s’est passé du temps de Syracuse, &c.

813. (1860) Ceci n’est pas un livre « Mosaïque » pp. 147-175

— La première crinoline dramatique de notre temps, c’est M.  […] Deux jours se passent : il n’est plus temps d’écrire votre article. […] Puis… puis, comme il n’est pas avec le train des accommodements, elle n’eut pas le temps de passer chez le grand brun. […] Le voisin de chambre de Calino vient l’avertir officieusement qu’il est temps de se lever, s’il veut courre le lièvre. […] Napoléon n’eut pas le temps d’y songer.

814. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIV. Mme Claire de Chandeneux »

Mes conseils de s’arrêter à temps, de rester la femme d’un ou deux livres, et non pas de devenir le bas-bleu de toute une boutique, mes conseils furent emportés comme une digue démolie. […] Il y a en lui, à travers toutes les rengaines du roman de son temps, je ne sais quelle invention… abracadabrante (on cherche un mot et on ne le trouve pas !) […] Elle n’aurait pas assez de poussée dans l’esprit, pour écrire ces grands feuilletons abjects, que les imbéciles du temps admiraient, tout abjects qu’ils fussent, comme des fresques immenses. […] Le scandale de ses mœurs a ravi les jeunes feuilletonistes du temps où elle débuta. […] Son temps s’est imbibé d’elle comme l’éponge s’imbibe d’eau.

815. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte du Verger de Saint-Thomas »

Il n’y avait que le nombre, — le nombre, qui s’efforce, par ce temps de suffrage universel et de matérialisme rétrograde et païen, de reprendre la place des âmes. […] … Quand les grandes préoccupations d’échafaud cessèrent, — sous le Directoire, par exemple, — la politique fut une cause nouvelle de duels, et depuis ce temps-là elle le fut toujours et elle l’est encore ; mais ce n’est pas pour la politique qu’on se battait, en ces duels soi-disant d’opinion, c’était pour l’injure qui s’adressait à la personne, et dont la politique n’avait été que l’occasion. […] Serait-il même possible de prévoir l’espèce de loi qu’ils décréteraient contre le duel, pour rester modernes et républicains, dans ce temps si béatement humanitaire et si pourri d’indulgence, qui a aboli la confiscation comme trop dure, et qui va peut-être demain abolir la peine de mort contre les assassins ? […] Mais l’opinion et les mœurs, dans ce temps-là, auraient effacé l’infamie du soufflet et de la main qui l’aurait donné, et on l’eût porté sur sa joue comme une glorieuse balafre. […] Verger de Saint-Thomas, qui n’est pas Louis XIV pour imposer sa législation, a ramassé en pièces l’idée de Louis XIV et l’a appliquée, comme il a pu, à une société qui n’a plus les hiérarchies sociales du temps de Louis XIV, et qui est nivelée et rongée par l’égalité et l’individualisme modernes.

816. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

C’était tout, car c’était la ruine d’un système qui avait pendant un temps quelconque gouverné l’Angleterre ; c’était la ruine d’un droit que plusieurs générations de souverains avaient exercé. […] Une prérogative qu’on n’eût pas songé à discuter du temps d’Élisabeth ou de Henri VIII, tout monstrueux qu’il fût, on la disputa aux Stuarts, qui rappelaient l’Écosse et le papisme, et on finit par la leur arracher ! Quand on a lu l’histoire, et surtout les mémoires de ce temps, qui sont le vrai dessous de cartes de l’Histoire, on ne prend pas le change. […] Il avait contre lui le protestantisme de Henri VIII, chargé de toutes les rancunes des vieux partis du temps de Cromwell. […] Mais la conscience fait aussi une gloire à ceux qui se dévouent pour elle, et elle a revêtu dans son tombeau la race ensevelie des Stuarts d’un suaire incorruptible au temps et lumineux comme une auréole !

817. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

Assurément les prêtres ont le devoir et le droit d’écrire les annales de l’Église et la vie de leurs Saints, et le cardinal Pitra nous a montré comme ils s’y prennent quand ils se mêlent de les écrire ; mais de Maistre et de Bonald étaient des laïques, et quel prêtre de ce temps a plus mérité de l’Église que ces cardinaux… oubliés ? […] L’auteur était un laïque, un professeur et un protestant, tandis que Rohrbacher n’était qu’un prêtre catholique, deux fois suspect pour cette raison en ce temps d’impiété. […] Ni le Hussitisme et ses guerres d’un fanatisme si sauvage, ni le Condottierisme qui déchire et se partage l’Italie, ni les exploits de Huniade et de Scanderbeg contre les Turcs, inspirés par l’héroïque mais mourant esprit des Croisades, n’ont la gravité désastreuse de ce concile de Bâle où la Révolution, comme les temps modernes l’ont vue depuis, sophistique, bavarde, ergoteuse, n’ayant à la bouche que cet insolent et menaçant mot de réforme qui a fini par titrer le protestantisme, est entrée dans l’Église pour descendre de cette cime du monde et s’étendre dans le monde entier, et de religieuse se faire politique sans pour cela cesser d’être religieuse, — les communards et les athées de ce temps ne le prouvent-ils pas ? […] Ce mal du temps infectait si cruellement les esprits, qu’il atteignait jusqu’aux plus robustes. […] Mais les temps à flétrir et à maudire sont peut-être plus inspirateurs que les siècles à admirer, pour les écrivains qui ont en eux le génie de l’histoire.

818. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Hector de Saint-Maur »

Il était peu connu, ce poète qui avait passé trente ans dans la volupté de sa rêverie et de ses vers, et qui a eu le temps de ramasser cet éclatant boisseau de poésies de toute espèce qu’il versait en une seule fois si luxueusement à nos pieds. […] Il savait qu’il avait le temps. […] les bons temps ne durent pas !) […] Même au temps des Chevelus (il en était), il ne pouvait avoir le lyrisme de ces Chevelus échevelés. […] lisez tout Le Dernier Chant, si vous êtes digne de boire à cette coupe d’Hercule de poésie, de cette poésie filtrée, épurée, gardée tant d’années en bouteille parle poète, et devenue ainsi plus savoureuse, comme le vin, ce fils du soleil et du temps !

819. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Édouard Gourdon et Antoine Gandon » pp. 79-94

Ancien directeur de l’Histoire des églises de France, il a touché autrefois d’une main compétente à ces études historiques auxquelles il reviendra sans doute ; car, par ce temps de délabrement et de philosophie épuisée, l’histoire est le dernier mot et la dernière ressource de tous les esprits vigoureux. […] Nous ne sommes pas de l’école de ces derniers temps, qui serait abjecte si elle n’était pas imbécile, et qui a fait de la réalité quelque chose de plus que la vérité, croyant avoir fait là une fameuse découverte ! […] C’est une histoire militaire rondement racontée, d’un ton moitié gai et moitié attendri, par un homme qui a L’habitude des récits militaires, car c’est Antoine Gandon, l’auteur des Mémoires d’un vieux chasseur d’Afrique, laquelle a fait en son temps plus d’une razzia de lecteurs. […] Ce qui manque, en effet, à ce soldat, ce qui fait tache à sa physionomie, c’est la foi religieuse, qu’on avait moins qu’à présent du temps de Jean Gigon dans l’armée, et dont l’enfant trouvé, devenu soldat pour mourir soldat, devait avoir encore plus besoin que le maréchal de Turenne. […] Le malheur du temps fut que Jean Gigon n’en eut pas.

820. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Raymond Brucker » pp. 27-41

Les idées de la bourgeoisie de ce temps y alternent avec les sentiments du peuple. […] Du reste, pouvait-on attendre mieux d’un roman de ce temps fait par deux jeunes gens, deux têtes trop vertes et dont le plus mauvais (nous avons le droit de dire cela à M.  […] Isolé comme un chrétien dans ces temps d’épreuve pour les vrais serviteurs de Dieu, il n’est pas, comme Diderot, le centre d’une légion (le diable s’appelle parfois légion) de philosophes qui le regardent comme leur Ordonnateur en chef. […] Brucker, qui avait toutes les passions de son temps ajoutées aux siennes, se mêla à cette furieuse guerre faite à la Monarchie, qui, sans droit des gens comme sans pitié, mâchait ses balles et empoisonnait les rivières. […] Pendant ce temps, et jusqu’en 1836, les travaux de M. 

821. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Paul Féval » pp. 145-158

Paul Féval l’a dédoublée et détriplée ; et de cette épopée dernière des temps prosaïques et civilisés, il a dégagé une spécialité de roman dans lequel l’intérêt des faits qui se succèdent l’emporte sur l’intérêt des idées et des sentiments. […] C’était le temps du tonitruant succès de ce grand roman d’aventure à travers un monde que jusque-là la littérature n’avait pas osé aborder. […] Féval pour lequel la Critique du temps fut sans grandeur. […] Elle est dans l’air du temps, et elle ne prouve rien. […] Alexandre Dumas, l’auteur pourtant du Monte-Cristo et des Trois Mousquetaires, le chef-d’œuvre des romans d’aventure, si cher aux blanchisseuses de ce temps !

822. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

Être distingué, dans ce temps, c’est un inconvénient… Quand l’envie de l’égalité abaisse les lettres vers le commun où tout le monde peut se rencontrer, quand Victor Hugo lui-même, pour être populaire, aplatit son talent qu’il aurait dû respecter, s’aviser de montrer dans le sien de la distinction est un début bien imprudent pour un jeune homme. […] pas besoin d’un pareil aveu pour être bien certain que la main qui a tracé ces pages, où l’observation finit en satire, n’était pas cette main blanche du temps, calme et savante, de La Bruyère, — cette main doctorale dans son art comme celle du Poussin dans le sien. […] … Il fut un temps où l’on trouvait de mauvais goût la cathédrale gothique… C’était le temps absolu du style simple, comme le vantent les incapables d’enluminure… il a passé, et la nature et l’art, reprenant tous leurs droits, de nouveau se sont épanouis. […] Telle est ma réserve de chrétien ; mais s’il a l’âme chrétienne, a-t-il l’esprit chrétien comme nous, les catholiques, les inaccessibles aux idées du temps et les fidèles ? […] Et cette nature délicate, plus délicate que solide, et qui pourra, je l’espère, se solidifier, a glissé sur cette tangente misérable des idées du temps.

823. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques, extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil — II »

Il tâchait que le lien central restât le plus simple, et qu’on ne l’embrouillât pas en un labyrinthe, afin que, dans un temps quelconque, on eût le moyen de dénouer, sans déchirer violemment ni trancher avec le glaive. […] Il serait temps que la loquacité de nos hommes d’État se souvînt de ces grands et sobres exemples. […] La morale et la religion de Jefferson offrent un ensemble simple, harmonieux et paisible qui contraste assez visiblement avec les opinions plus acerbes et plus hostiles des philosophes français du même temps sur ce sujet. […] De tels hommes, au lieu de s’embarrasser des divergences et des réfractions multipliées de la pensée religieuse dans le cours des temps, appliquaient immédiatement à l’examen des questions un rayon simple et bien dirigé, et ils arrivaient à la vérité morale par un accès naturel, sans passer à travers les vestibules, les dédales et toutes les épreuves irritantes du vieux monde. […] Une expérience rigoureuse lui avait appris qu’aux maux profonds, aux peines du dedans, il n’est de remède que le temps, le silence absolu, et aussi l’espoir de ce monde invisible où nous nous réunissons dans nos pures essences.

824. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Notre critique et la leur »

Nous dirons pourquoi tout à l’heure ; mais nous commençons par l’affirmer, sans craindre qu’on le nie ou qu’on le conteste : la critique vraie, — sympathique et sévère, — qui s’adresse au public de tous les lieux et de tous les temps, et non plus au petit public du carrefour ou du quart d’heure ; la critique, ce symbole d’ordre universel, est complètement étrangère à notre temps de mœurs lâches et d’individualités mesquines. […] Or, même du temps de Gustave Planche, la Revue des Deux Mondes n’avait pas de critique. […] C’était un bon sens très guindé dans une tête excessivement aride, un homme né podagre du cerveau, travaillé par une infécondité infiniment douloureuse, moins heureux tout le temps qu’il vécut que le lion de Milton, auquel il ne ressemblait pas, lequel finit par tirer sa croupe du chaos ; car il ne put jamais, lui, se dépêtrer des embarras obstinés de sa pensée, du vague des mots et du vide des choses au fond desquels il est mort plongé. […] mais tracassa la littérature de son temps, en raison de son infirmité même. […] À côté du théâtre, il y a les livres, les livres, dont le meilleur fait moins de bruit que la plus mauvaise de toutes les pièces, car c’est encore un des caractères de ce temps contre lesquels nous voulons réagir que la gloire facile du théâtre, que cette préoccupation des spectacles qui matérialisent tous, plus ou moins, la pensée des peuples.

825. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Paul Bourget »

Parmi les Parnassiens à la suite de Gautier, le byronisme de l’auteur de La Vie inquiète lui a-t-il été reproché comme l’infériorité attardée d’un autre temps et comme une impossibilité d’atteindre le niveau du sien ? […] Venu après de Musset et le grand Lamartine, traités si haut la main de négligés et d’incorrects par les brosseurs de rimes de ce temps, M.  […] Seulement, — au lieu de lui en faire un reproche, à ce poète d’un temps meilleur dans ce temps mauvais, je lui en fais une gloire, — c’est cette inquiétude que l’auteur de la Vie inquiète a retrouvée. Le temps actuel, bestialisé par l’indifférence et le matérialisme, ne la connaissait plus. […] Il n’est pas l’ouvrier que Théophile Gautier se vantait si grossièrement d’être ; car les ouvriers, les rois de ce temps, si lâche devant eux, sont montés jusque dans la Poésie !

826. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Deltuf » pp. 203-214

C’est un simple petit volume de nouvelles élégantes et légères, et vous savez à quoi sont exposées dans ce temps lourd les choses légères, — dans ce temps égalitaire, les choses élégantes ! […] Antoinette, elle, n’est qu’une femme du monde qui est restée parfaitement tranquille et heureuse dans l’immaculé manteau d’hermine de son écusson, tout le temps qu’elle a été jeune et belle, mais qui, précisément, le jour où sa beauté décline, sent l’amour monter dans son cœur. […] Mais tout en les acquérant, qu’il garde, qu’il garde surtout cette légèreté qui n’est pas de notre temps, ce détaché, cet air de n’y pas tenir quand on est le plus spirituel, cette ironie qui envoie promener l’émotion, et cette émotion qui envoie promener l’ironie, qu’il garde cela, car c’est le meilleur de sa gerbe. […] … La gloire de de Musset ce sillon rose dans l’air que le temps n’efface pas et qui traînera longtemps encore derrière ce jeune homme, lient autant à la légèreté de son esprit qu’à sa passion et à son éclat ; et, pour mon compte, je suis persuadé qu’un livre moderne, plein des choses modernes, qui aurait le bonheur d’être écrit avec la légèreté perdue des Mémoires du chevalier de Grammont, par exemple, nous paraîtrait un phénomène et nous tournerait la tête à tous, graves caboches du dix-neuvième siècle ! […] Ainsi, dans La Famille Percier il y a certainement de l’inattendu, de l’intelligence dramatique, une préoccupation assez brusque du fond sur la forme, ce qui n’est pas l’habitude des esprits du temps, et enfin, comme dans Le Mariage de Caroline, un dialogue plein de naturel.

827. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXII. Des panégyriques latins de Théodose ; d’Ausone, panégyriste de Gratien. »

Pendant ce temps-là, les peuples gémissaient, les barbares pillaient, les empereurs s’égorgeaient, et ceux qui restaient quelque temps sur le trône, la plupart voluptueux et fanatiques, superstitieux et féroces, controversistes aussi ardents que lâches guerriers, placés entre les hérétiques et les barbares, donnaient des édits au lieu de combattre ; et tandis que les Huns, les Goths, les Arabes, les Vandales, les Bulgares et les Perses ravageaient tout, du Tibre au Pont-Euxin, et du Danube au Nil, les empereurs de Byzance oubliaient l’empire pour usurper les droits des évêques et proscrire ou soutenir des erreurs qui ne devaient être jugées que par les pontifes ; on sent bien que des temps d’avilissement et de malheur ne sont pas favorables ni aux panégyriques, ni à l’éloquence. […] On voit combien ce nom et le souvenir d’une ancienne grandeur en imposaient encore : « L’orateur, dit-il, craint de faire entendre devant les héritiers de l’éloquence romaine, ce langage inculte et sauvage d’au-delà des Alpes, et son œil effrayé croit voir dans le sénat les Cicéron, les Hortensius et les Caton assis auprès de leur postérité pour l’entendre. » Il y a trop d’occasions où il faut prendre la modestie au mot, et convenir de bonne foi avec elle qu’elle a raison ; mais ici il y aurait de l’injustice : l’orateur vaut mieux qu’il ne dit ; s’il n’a point cet agrément que donnent le goût et la pureté du style, il a souvent de l’imagination et de la force, espèce de mérite qui, ce semble, aurait dû être moins rare dans un temps où le choc des peuples, les intérêts de l’empire et le mouvement de l’univers, qui s’agitait pour prendre une face nouvelle, offraient un grand spectacle et paraissaient devoir donner du ressort à l’éloquence : la sienne, en général, ne manque ni de précision, ni de rapidité. […] Le célèbre Symmaque, préfet et sénateur de Rome, et le Romain le plus éloquent de son temps, fit l’éloge de Théodose, comme Cicéron avait fait l’éloge de Caton, et Xénophon celui d’Agésilas. […] Cet ouvrage est parvenu jusqu’à nous, et il a, en grande partie, les défauts de ce temps-là ; mais l’évêque qui osa reprocher au maître du monde le meurtre de Thessalonique, et commanda à son empereur d’expier devant les hommes et devant Dieu un crime que des courtisans féroces avaient conseillé et que des courtisans lâches n’avaient pas manqué d’applaudir, mérite bien grâce pour les défauts de goût, et pour quelques phrases peut-être ou faibles ou barbares.

828. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre IV. De la méthode » pp. 81-92

Quoique ce monde ait été créé particulièrement et dans le temps, les lois qu’elle lui a données, n’en sont pas moins universelles et éternelles. […] Observons encore dans l’ordre des choses humaines, comme elles naissent au temps, au lieu où elles doivent naître, comme elles sont différées quand il convient qu’elles le soient38 ; c’est l’ouvrage de la sagesse infinie. […] … Sans doute le lecteur éprouvera un plaisir divin en ce corps mortel, lorsqu’il contemplera dans l’uniformité des idées divines ce monde des nations, par toute l’étendue et la variété des lieux et des temps. […] Enfin cette explication de leur nature se confirmera par l’observation des propriétés éternelles qu’elles conservent ; lesquelles propriétés ne peuvent résulter que de ce qu’elles sont nées dans tel temps, dans tel lieu et de telle manière, en d’autres termes, de ce qu’elles ont une telle nature (axiomes 14, 15.) […] De cette manière, la Science nouvelle trace le cercle éternel d’une histoire idéale, sur lequel tournent dans le temps les histoires de toutes les nations, avec leur naissance, leurs progrès, leur décadence et leur fin.

829. (1874) Premiers lundis. Tome I « Hoffmann : Contes nocturnes »

En un temps où on est las de toutes les sensations et où il semble qu’on ait épuisé les manières les plus ordinaires de peindre et d’émouvoir, en un temps où les larges sentiers de la nature et de la vie sont battus, et où les troupeaux d’imitateurs qui se précipitent sur les traces des maîtres ne savent que soulever des flots de poussière suffocante, lorsqu’on avait tout lieu de croire que le tour du monde était achevé dans l’art, et qu’il restait beaucoup à transformer et à remanier sans doute, mais rien de bien nouveau à découvrir, Hoffmann s’en est venu qui, aux limites des choses visibles et sur la lisière de l’univers réel, a trouvé je ne sais quel coin obscur, mystérieux et jusque-là inaperçu, dans lequel il nous a appris à discerner des reflets particuliers de la lumière d’ici-bas, des ombres étranges projetées et des rouages subtils, et tout un revers imprévu des perspectives naturelles et des destinées humaines auxquelles nous étions le plus accoutumés. […] Cœurs ulcérés, comme il aurait voulu vous retremper au sein d’une nature active, aimante et pleine de voix et de parfums ; vous ravir dans des musiques bénies parmi des anges de lumière et de bonté ; vous enchanter ici-bas par des images pudiques et des apparitions gracieuses auxquelles pourtant vous n’auriez pas dû trop toucher, de peur de les flétrir et de vous dégoûter avant le temps ! […] Plus d’une fois, au milieu de joyeux compagnons, et autour du punch bleuâtre, il lui est revenu d’amères pensées, des regrets du cloître et de la vie des vieux temps, et comme il l’a dit lui-même, un amour inouï, un désir effréné pour un objet qu’il n’aurait pu définir ; plus d’une fois son cœur a battu d’une émotion douloureuse en voyant à l’horizon des cités germaniques planer ces magnifiques monuments qui racontent comme des langues éloquentes l’éclat, la pieuse persévérance, et la grandeur réelle des âges passés. […] Malgré les représentations de ses amis et les sarcasmes des autres étudiants, le bon Eugène se condamne à cette vie par amour pour la botanique, et cela dure quelque temps sans encombre ; mais enfin la nature se déclare ; une lente consomption s’empare du pauvre jeune homme qui s’en aperçoit à peine, puis qui tâche violemment de s’y soustraire.

830. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Silvestre, Armand (1837-1901) »

. — Chroniques du temps passé (1883). — Aline, 1 acte, en vers (1883). — Henri VIII, opéra en 4 actes et 6 tableaux (1883). — En pleine fantaisie (1884). — Contes pantagruéliques (1884). — Le Livre des joyeusetés (1884) […] — Veillées joviales (1894). — Chroniques du temps passé (1895). — Fariboles amusantes (1895). — Histoires gaies (1895). — Les Aurores lointaines (1895) […] [Le Temps (28 mars 1873).] […] Les personnages qu’il crée dans ses magnifiques sonnets sont affranchis du temps et de l’espace. […] Jogand, au temps où il était encore Taxil, semblait moins drôle, je vous assure.

831. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIX » pp. 207-214

Napoléon disait de Corneille : S’il eût vécu de mon temps, je l’aurais fait prince. Napoléon faisait la cour aux poètes de son temps, en déclarant qu’il l’eût faite à Corneille. […] C’est céder eu même temps à trois séductions, celle de la puissance, celle de la gloire, celle des femmes. […] C’était encore un courtisan quand il disait, dans une dédicace, à la mère de cet enfant adultérin : Le temps qui détruit tout, respectant votre appui, Me laissera franchir les ans dans cet ouvrage, …………………………………………………         Sous vos auspices, ces vers         Seront jugés, malgré l’envie,         Dignes des yeux de l’univers. […] — Alors, cher Cynéas, victorieux, contents, Nous pourrons rire à l’aise, et prendre du bon temps.

832. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Qui donc, en ce temps-là, pensait à Jehanne, la bonne Lorraine ? […] Ce fut le temps chez nous du romantisme allemand. […] Et c’étaient les ménages de ce temps-là. […] » Ô temps heureux des amitiés premières ! […] — Voilà une singulière façon de passer le temps, dit le saint.

833. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 192-197

Tout reconnut ses loix, & ce guide fidele Aux Auteurs de ce temps sert encore de modele. […] Ne semble-t-il pas voir dans la Strophe suivante, le temps s’écouler tacito pede, comme dit Ovide ? Le Temps, d’un insensible cours, Nous porte au terme de nos jours : C’est à notre sage conduite, Sans murmurer de ce défaut, De nous consoler de sa fuite, En le ménageant comme il faut. […] Succéder, du temps de Malherbe, signifioit avoir un heureux succès.

834. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

J’ai connu un hugolâtre, comme on disait de mon temps. […] Être Allemand, ç’a été, de tout temps, détester la France. […] Vous posez sur la route tous les problèmes du temps. […] Il ne fut amoureux qu’au temps des amours. […] Vous avez tout le temps.

835. (1894) Critique de combat

Il est reconnu à l’étranger pour un des penseurs les plus originaux du temps. […] Ça fait tout le temps toc-toc. […] Qu’est-ce que tout cela par le temps qui court ? […] Dans ce même temps la France a été humaine, ce qui est bien quelque chose. […] Montesquieu est à la fois « un ancien, un homme de son temps, un homme du nôtre, un homme des temps à venir ».

836. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

Je crois que nous serons, pendant quelque temps, très malheureux. […] Nous succomberions sous le poids des monographies, si des esprits vigoureux et des volontés vaillantes ne venaient de temps en temps dresser un bilan et procéder à une liquidation. […] Depuis ce temps, on n’en a pas inventé de meilleure. […] Dans le même temps, les hiérons étaient partout mis à sac, par ordre de César. […] Pendant ce temps, M. 

837. (1890) Le réalisme et le naturalisme dans la littérature et dans l’art pp. -399

Il fut, lisez les anciens comme chez les modernes, un temps où cet équilibre n’existait pas encore, un temps où il n’existait plus. […] La guerre n’est jamais plus lourdement brutale que dans les temps primitifs. […] Mais, dès les premiers temps, cette opinion rencontra des adversaires. […] Mais aussi le public appartient au poète bien plus qu’en notre temps. […] Ces figures n’ont rien de plus commun avec le Moyen-Âge qu’avec notre temps.

838. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Il n’a point dans son temps de racines profondes. […] Elle pourrait employer son temps d’une façon beaucoup plus frivole. […]   Jamais le temps perdu ne se rattrape complètement, et, pour poser les fondements d’une gloire, il n’y a pas de temps plus utile, de temps dont la perte soit plus irréparable pour un auteur, que celui de sa vie présente. […] L’harmonie était parfaite entre l’âme de l’écrivain et celle de son temps. […] De son temps, il était beaucoup moins considérable qu’Eugène Sue : voyez aujourd’hui le tour qu’a fait la roue !

839. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

Il les excuse sur le temps où elles ont été écrites. « C’est l’esprit du temps, c’est le goût du temps. » Vous connaissez ces formules. […] Par humanisme, par admiration de l’art d’un certain temps, il s’était laissé aller à être admirateur, et presque partisan, et quasi fauteur de ce temps lui-même. […] Mais voilà, les temps ne sont pas encore venus. […] Il répondait : « Je n’ai pas le temps. […] Les critiques du temps étaient très célèbres.

840. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

Viendra-t-il jamais un temps où elle cessera d’être trempée des larmes de ceux qui aiment ? […] Mais il nous faut faire ce que l’auteur n’a point fait : nous arrêter à temps. […] quel temps ! […] Il avait affaire de plus à une peste publique qui infestait la société de son temps. […] Il le possède en propre, seul de son temps.

/ 3963