Jésus ne pouvait souffrir qu’on rudoyât ces naïfs auditeurs ; il les faisait approcher de lui et les embrassait 534.
Sully-Prudhomme, lui, n’a rien pu dire, car il souffre du désaccord de son âme et de son esprit : de son âme lyrique et romantique dont les « vrais vers ne seront pas lus » ; de son esprit didactique, polytechnicien et parnassien qui traduit en pauvretés les inquiètes richesses profondes.
Il souffre de voir tant de braves gens, désireux de bien faire, et séparés par d’irréductibles divergences de doctrines.
Souffrez qu’à son tour il repose, Lui dont les vers & dont la prose Nous ont si souvent endormis.
Dans de certaines contrées de l’Asie ou de l’Afrique, des colonnes tronquées s’élèvent au milieu de vastes déserts qui furent jadis des villes florissantes, et attestent encore aujourd’hui la puissance des vastes empires qui, depuis tant de siècles, ont cessé de régner : nous ne souffrirons point que de pareils débris continuent de peser sur la terre de la patrie, pour nous retracer une civilisation qui n’est plus, pour nous rappeler des souvenirs qui semblent nous importuner.
Elle le constate, soit en vertu de la libre déclaration de l’homme et de la femme, soit par l’acte de naissance de leur premier-né. » Ces paroles, malgré ce qu’elles ont d’incorrect, grammaticalement et métaphysiquement, montrent assez bien l’embarras douloureux d’un esprit primitivement assez juste, qui souffre de sa justesse, pour s’être fourvoyé dans les idées décadentes d’un temps qui a passé par le panthéisme de Hégel, et qui s’est retourné vers le naturalisme de Darwin.
On n’a eu que la peine de l’y porter, — et les premiers jours qu’on l’y a vue, elle y a été regardée avec l’œil rond d’une foule badaude, qui fait une plaisanterie morne et puis, qui s’en va… Le vieux xixe siècle, — car le voilà vieux, — ressemble au vieux célibataire, qui souffre qu’une femme soit tout chez lui et s’y permette tout.
Ce littérateur amateur, qui ne fit point de littérature comme nous autres les faiseurs de livres, ce paresseux occupé, ce penseur pour la volupté pure de penser, cet écrivain qui, comme il l’a dit, et même comme il en a fait un précepte, attendait, pour écrire un mot, que la goutte d’encre qui devait tomber de sa plume se changeât en goutte de lumière, ce sybarite de l’esprit qui passa sa vie à bien déplier ses feuilles de rose pour ne pas en trouver le repli qui l’aurait fait souffrir, fut une rareté dans la littérature française en ne voulant rien être du tout.
Mais, par là même, nous jugerons mieux la nôtre et nous prémunirons notre temps, qui en a souffert beaucoup déjà, contre d’insidieux exemples de liberté pris dans des sociétés qui ne ressemblent en rien à notre société actuelle.
Hume ne permet pas d’en douter : « C’est sous Jacques — dit-il — que les points si longtemps en question entre le roi et le peuple furent finalement (finally) déterminés. » La prérogative fut circonscrite, et plus définie que sous les autres périodes du gouvernement anglais, ce qui veut dire, pour qui sait comprendre, que cette prérogative existait, soufferte, c’est-à-dire consentie, et, dans ce cas-là, circonscrire, n’était-ce pas innover ?
n’a pas le droit d’écrire ses mémoires, et, j’en demande bien pardon à Cénac-Moncaut, tout peuple non plus n’a pas droit à l’Histoire, parce que, boue et crachat longtemps pétris dans les mains de la divine Providence, il a vécu, combattu et souffert.
Ce que les grands propriétaires font en Angleterre, il veut que l’État le fasse en France : « En patronnant le travail rural — dit-il — l’État augmentera la richesse générale, et avec cette richesse améliorera la situation de ceux qui souffrent.
Mignet et Pichot ne sont que les metteurs en œuvre, — ne fut ni un Dioclétien de seconde épreuve, ni un de ces grands Pénitents de la Royauté, qui ne souffrent plus sur leur front, dans la gloire de leur abaissement, d’autre couronne que la couronne d’épines du Divin Maître.
» Un jour qu’il souffre davantage de ses maladies, — une vraie anarchie de santé !
et Madame Geoffrin s’en apercevait assez pour en souffrir.
Sa rage d’ironiser, de ridiculiser, d’aplatir son pays, fut de l’imitation encore, mais elle fut surtout la rage de faire de l’effet, qui finit par faire souffrir et par épouvanter de son effet même ceux qui l’ont !
Mais à une époque où le Rationalisme souffre tant des blessures qu’il se fait à lui-même et où l’enseignement de l’Église commence de reprendre dans les esprits éminents l’empire qu’il avait perdu au dix-huitième siècle, ils se sont dit probablement qu’il ne fallait mépriser le secours de personne.
Il savait qu’il pouvait « s’attendre » comme dit madame de Staël… et il s’est attendu patiemment, sans souffrir de cette longue attente, sans s’user sous cette lime de feu qui use le bronze des âmes les plus brûlantes.
j’en avais entrevu une autre, infligée par la pureté implacable de cette femme outragée, qui se serait vengée du mari qu’elle eût affolé d’elle pour le faire souffrir, et, à chaque désir allumé, aurait mis Dieu entre elle et lui.
Les rois très-chrétiens doivent penser autrement que les souverains philosophes qui trouvent absurde le mot divin : « Bienheureux ceux qui souffrent et bienheureux ceux qui Pleurent !
Ils savent toujours quel devoir doit céder à l’autre, et les Inspirés, ces héros de l’esprit, n’hésitent pas non plus ; car la vocation véritable, — j’entends celle-là dans laquelle la volonté et ses ahans ne sont pour rien, — la vocation est une despote impérieuse , qui n’en souffre pas une autre à côté d’elle.
Dans la première, qui est l’inférieure, Wey rappelle Charles Dickens, mais avec une distinction que ne connaît pas l’écrivain anglais, ce romancier des malheurs de l’enfance ; et cette partie du livre est racontée plus que soufferte.
Arthur de Gravillon, qu’il l’ait voulu ou qu’il l’ait simplement souffert, a dû porter d’abord sur sa pensée l’influence de La Bruyère Est-ce que nous ne commençons pas tous par être le pavois d’un homme ?
Rendez-vous fort au plus vite, en chassant loin de vous la plainte efféminée. » On le voit, avec la mobilité du génie grec, cet Archiloque, banni de Sparte pour avoir plaisanté du courage, savait l’inspirer par ses vers et s’en armait contre le mépris excité par ses fautes47 : « Ô mon âme, dit-il, battue de maux intolérables, souffre avec fermeté ; et, la poitrine jetée au-devant des ennemis, repousse-les, en restant inflexible sous leurs coups : victorieuse, ne t’enorgueillis pas ; et vaincue, ne demeure pas dans l’ombre à pleurer ; mais, dans le bonheur et dans les revers, triomphe ou afflige-toi modérément ; puis reconnais quel courant fatal entraîne les hommes. » Le poëte capable de ces mâles et sévères accents pouvait redire les hauts faits.
Comme Épictète, il a pu réduire la philosophie à ces deux maximes : « souffrir et s’abstenir », ἀνέχου καί ἀπέχου. […] S’il doit souffrir encore, ô Dieu ! […] Ceux même qui ont été assez heureux pour échapper à cette contagion des esprits, ont attesté toute la violence qu’ils ont soufferte. […] Loin d’aimer à contempler du rivage le naufrage des autres, nous souffrons quand nous voyons souffrir des hommes. […] Les monuments n’ont pas moins à souffrir que les hommes de la barbarie ottomane.
Sandeau de l’avoir connu et peut-être d’avoir souffert par lui. […] « Le pauvre seul, a dit Lessing, sait combien souffre le pauvre ; le pauvre seul a appris la meilleure manière de donner au pauvre. » Le tact exquis de M. […] Tous, surtout l’abbé Courbezon, ont souffert, ce qui les rend bien plus aptes à compatir aux souffrances d’autrui. […] Ailleurs, nous lisons cette réflexion si poignante et si vraie : « C’est une des plus grandes douleurs du pauvre de ne pouvoir souffrir à son aise. […] Où l’une proteste à grands cris contre la cruauté de la loi, ici on souffre avec plus de résignation et moins de fracas.
Suivant que l’intelligence est victorieuse ou vaincue, elle est satisfaite ou elle souffre. […] Nous disons bien : je souffre, mais la souffrance n’est que le résultat psychologique d’une lésion physiologique. […] Quand nous agissons, nous savons que nous agissons ; quand nous souffrons, nous savons que nous souffrons ; quand nous pensons, nous savons que nous pensons. […] Sans doute, si le besoin qui l’a précédé a été violent, nous avons souffert. […] Nous souffrons quand elle est comprimée.
La toute-puissante idée de Dieu et de la fidélité qu’on lui doit les roidissait contre toutes les réclamations de la nature et contre tous les frémissements de la chair. « Nul ne sera couronné, écrivait l’un d’eux, hors ceux qui combattront en hommes, et celui qui souffrira jusqu’au bout sera sauvé. » Le docteur Rogers souffrit, le premier, en présence de sa femme et de ses dix enfants, dont l’un était encore à la mamelle. […] Soudain la femme du geôlier l’éveilla, et lui apprit que c’était pour cette matinée. « Alors, dit-il, je n’ai pas besoin d’attacher mes aiguillettes. » Au milieu de la flamme, il n’avait pas l’air de souffrir. « Ses enfants étaient debout à côté de lui, le consolant ; en sorte qu’on aurait dit qu’ils le conduisaient à quelque joyeux mariage359. » — Un jeune homme de dix-neuf ans, William Hunter, apprenti chez un tisseur de soie, fut exhorté par sa mère à persévérer jusqu’au bout […] Alors William dit à sa mère : Pour la petite douleur que j’aurai à souffrir, et qui n’est qu’un court passage, le Christ m’a promis, ma mère, une couronne de joie. […] Et rejetant sa tête dans la fumée étouffante, il rendit sa vie pour la vérité360. » Quand une passion est capable de dompter ainsi les affections naturelles, elle est capable de dompter aussi la douleur corporelle ; toute la férocité du temps échouait contre les convictions. « Un tisserand de Shoreditch, appelé Tomkins, interrogé par l’évêque de Londres s’il souffrirait bien le feu, répondit qu’il en fît l’expérience ; et ayant fait apporter une chandelle allumée, il mit la main dessus sans la retirer ni se mouvoir » ; tellement, dit Fox, « que les muscles et les veines se racornirent et éclatèrent, et que le sang jaillit dans la figure de Harpsfield, qui se tenait à côté. » — Dans l’île de Guernesey, une femme grosse étant condamnée au feu accoucha dans les flammes, et l’enfant étant ramassé fut, par l’ordre des magistrats, rejeté dans le feu361. […] La loi déclare que « toute personne au-dessus de seize ans qui, pendant un mois, refusera d’assister à l’office établi, sera enfermée jusqu’à ce qu’elle se soumette ; que si elle ne se soumet pas au bout de trois mois, elle sera bannie du royaume, et si elle revient, mise à mort. » Ils se laissent faire et montrent autant de fermeté pour souffrir que de scrupule pour croire ; sur un iota, pour recevoir la communion assis plutôt qu’à genoux, ou debout plutôt qu’assis, ils abandonnent leurs places, leur bien, leur liberté, leur patrie.
Le mot de génisse est fort beau, vache ne se peut souffrir ; cochon est de la dernière bassesse. […] Enfin nous ne parcourrons pas le reste de son journal pour compléter la collection de ses jugements sur l’antiquité classique, sur l’Alceste d’Euripide, « dont plusieurs scènes ne seraient pas souffertes à la foire349 » ; sur l’Hippolyte du même auteur, « qu’on ne doit pas admirer pour trente ou quarante vers qui se sont trouvés dignes d’être imités par Racine350 » ; sur Sophocle, qui « par l’harmonie de son style a surpris l’admiration des Athéniens, parce qu’avec tout leur esprit et toute leur politesse, ils ne pouvaient avoir une aussi juste idée de la perfection de l’art tragique que la cour de Louis XIV351 » ; sur Aristophane, « ce poète comique qui n’est ni comique, ni poète352 » ; sur Eschyle, qui est « un barbare353 » et « une manière de fou354 ». […] En effet, je crois que s’il eût eu une maîtresse pâle, il n’eût jamais pu dire qu’elle eût été blanche ; s’il en eût eu une mélancolique, il n’eût pu dire aussi, pour adoucir la chose, qu’elle eût été sérieuse, et, tout ce qu’il eût pu obtenir de lui, eût été de ne lui parler jamais de ce dont il ne pouvait lui parler à son avantage… Ceux qui cherchent le plus à trouver à reprendre en lui, ne l’accusent que de soutenir ses opinions avec trop de chaleur… Il est certain qu’il est un peu difficile, et que les moindres imperfections le choquent ; mais il faut souffrir sa critique comme un effet de sa justice… Je n’aurais jamais fait si je voulais vous dire tout ce que Mégabate a de bon ; c’est pourquoi il vaut mieux que j’achève cette légère ébauche de sa peinture, en vous assurant que cet homme est incomparable, et qu’on n’en peut parler avec trop d’éloges447. » Tallemant a fait de Montausier un portrait moins idéal. — « M. de Montausier, dit-il, est un homme tout d’une pièce ; madame de Rambouillet dit qu’il est fou à force d’être sage. […] Ce qui me charme en lui, ce n’est pas seulement cette perfection des procédés de l’art, mais surtout cet aimable naturel, cette haute valeur morale du poète… Ce que Schlegel dit de Molière m’a profondément affligé… Pour un être comme Schlegel, une nature solide comme Molière est une vraie épine dans l’œil ; il sent qu’il n’a pas une seule goutte de son sang, et il ne peut pas le souffrir, etc., etc. » Voyez les Entretiens de Goethe et d’Eckermann.
Il s’enivrera par mégarde, il ramassera une fille sur la route, il donnera volontiers un coup de poing, il ne refusera pas un duel ; il souffrira qu’une grande dame le trouve beau garçon, et il acceptera sa bourse ; il sera imprudent, il gâtera sa réputation comme Jones ; il sera mauvais administrateur et fera des dettes comme Booth. […] Mais il souffrira qu’on le batte jusqu’au sang plutôt que d’exposer un pauvre garde-chasse. […] C’est une dissertation à l’anglaise, toute composée de raisonnements exacts, ayant pour but d’établir que, d’après la nature du plaisir et de la peine, les malheureux souffrent moins que les heureux de quitter la vie, et jouissent plus que les heureux d’obtenir le ciel. […] On nous répond qu’à Londres on est moins exigeant qu’à Paris en fait d’agrément et de politesse, qu’on y permet à l’énergie d’être rude et à la vertu d’être bizarre, qu’on y souffre une conversation militante, que l’opinion publique est tout entière du côté de la constitution et du christianisme, et qu’elle a bien fait de prendre pour maître l’homme qui par son style et ses préceptes s’accommode le mieux à son penchant.
Familles inopportunes et étouffantes, qui laissez le poète se débattre dans la misère, mais qui réapparaissez soudain lorsqu’il est très malade, plutôt pour lui reprocher sa dissipation, pour l’accuser d’être responsable de sa propre maladie, que pour le soigner ; vous avez disparu tout au long de sa vie, mais on vous retrouve plus tard : vous êtes toujours, là, bien présentes, lorsque le poète n’est plus, pour le faire souffrir encore une fois, non plus dans sa chair, mais dans sa pensée. […] Lorsque ces biens intellectuels sont alors mal gérés et se trouvent perdus, ce ne sont pas les héritiers eux-mêmes qui souffrent de leurs fautes, comme s’il s’agissait d’une succession ordinaire foncière ou industrielle, mais c’est toute la collectivité, et même les générations futures qui sont gravement lésées et privées sans recours possible de richesses qui leur étaient avant tout destinées. […] Et je frémis en songeant que quelques héritiers, livrés à leur pur arbitraire, ont la possibilité de déchaîner des catastrophes de ce genre, dont je souffre directement. […] Qu’il vive, qu’il périsse ou qu’il souffre, peu importe !
Les plaisirs que l’on conçoit à peine, on souffre peu d’en être privé. […] Voir souffrir était mon supplice, Autrefois, quand j’avais un cœur, Mais tout cédait à mon caprice Impérieux comme un vainqueur. […] Comme ils souffraient, mes bien-aimés ! […] Il est certain qu’ils souffrent beaucoup moins que nous dans leur chair et dans leur âme. […] Sans doute le travail des toréadors n’est pas extrêmement malaisé ; mais ce qui le rend méritoire, c’est qu’il ne souffre pas la moindre faute.
Elle ne souffrait que de son amour, et sentait son âme l’abandonner par ce souvenir, comme les blessés, en agonisant, sentent l’existence qui s’en va par leur plaie qui saigne. […] La profondeur de l’amour, pour Musset, se mesure à la douleur même que l’amour produit et laisse en nous : aimer, c’est souffrir ; mais souffrir, c’est savoir. […] Nous croyons donc que l’art pourra être plus « scientifique » et plus philosophique sans que la poésie en souffre. […] Ainsi, parler en vers, c’est déjà dire par la simple cadence de son langage : Je souffre trop ou je suis trop heureux pour exprimer ce que je sens dans la langue vulgaire. […] S’ils veulent désobéir à cette loi, ils souffrent : l’artiste infidèle à la vocation de son génie ne tarde pas à y être ramené par une sorte de remords esthétique analogue au remords moral.