Enfin, quand il fut tout à fait certain que sa vie était finie, il se démit du cardinalat : humilité que le public admira, et qui découvrit au malin Bussy le secret du personnage. […] Rien ne le retient : religion, piété, intérêt public, probité, ce ne sont pour lui que des moyens. […] Voilà le public qui résistera à Racine, et qui applaudira Perrault. Ce public est à distance des chefs-d’œuvre ; il a un goût capable de les comprendre, de les aimer, distinct pourtant du goût qui les crée, et surtout inférieur. […] Mais ses sympathies, ses antipathies de femme et de dévote pesèrent d’un grand poids sur les décisions du roi dans le choix des ministres, des généraux, de tous ceux enfin à qui le bonheur public était confié.
Puis ce fut la grande journée du 25 février 1830, la bataille d’Hernani : la censure laissant passer la pièce pour faire exécuter le romantisme par le public, tant elle estimait impossible le succès d’une telle extravagance ! […] Sans dédaigner les sujets exotiques, Dumas fut le premier à deviner l’attrait que pouvait avoir l’histoire de France pour le public, et le premier se mit à exploiter les vastes recueils de chroniques et de mémoires que Guizot, Buchon, Petitot venaient de publier. […] Ils ont dégoûté le public du « palais à volonté » où s’enferme une action abstraite, où des tirades pompeuses tombent lourdement de la bouche de personnages qui, en dépit de leurs noms, ne sont ni d’aucun temps ni d’aucun pays. […] Le drame de passion rejetait le vêtement littéraire, et s’en allait chercher les scènes populaires, où le public n’a pas besoin de style. […] Cette morale est de la plus vulgaire médiocrité : partout l’argent, la position, la carrière, la fortune ; le plus bas idéal de succès positif et d’aise matérielle, voilà ce que Scribe et son public appellent la raison.
La scène veut être passionnée et n’est que choquante : Catherine de Septmonts ne se relèvera pas, aux yeux du public, de l’attitude qu’elle y prend. […] L’opinion du monde, l’opprobre d’un procès public, l’honneur de sa famille, le respect de son nom, la voilà prête à fouler aux pieds tout cela, pour posséder l’homme qu’elle aime et pour se perdre avec lui. […] Le public l’avait averti sur la femme de Claude, la victoire de l’Étrangère reste discutée et douteuse à la troisième récidive, la réaction commencerait. […] Cette fois, le public, aguerri pourtant aux coups d’audace de l’auteur, s’est résolument défendu : il a sifflé la pièce, et, le premier soir, il l’a fait tomber. […] Sachant quelle bizarre énigme vivante il allait montrer au public, l’auteur a voulu la déchiffrer d’avance par l’hérédité.
La rampe ne leur met son revêtement de jour, sa trame de lumière, que pour le public de la salle. […] Et nous pensons que si notre œuvre était l’œuvre de tout le monde, une œuvre moutonnière et plate, le roman que chacun fait, et que le public a déjà lu, notre volume serait accepté d’emblée. […] Décidément, hommes et choses, éditeurs et public, tout conspire à nous faire la carrière littéraire plus semée d’échecs, de défaites, d’amertumes, plus dure qu’à tout autre, et au bout de dix ans de travail, de luttes, de batailles, de beaucoup d’attaques et de quelques louanges par toute la presse, nous serons peut-être réduits à faire les frais de ce volume. […] Ce genre de théâtre n’est absolument que la surexcitation de tous les bas appétits du public. […] C’est lui qui dit aux directeurs de journaux, où il a un immense roman en train : « Prévenez-moi trois feuilletons d’avance, si ça ennuie votre public, et en un feuilleton je finirai. » On vend des pruneaux avec plus de fierté.
, tout bonnement sur la place publique, sur la place de Grève. […] Le bon public, qui n’y comprenait rien, avait les larmes aux yeux5. […] Cela s’appelle un acte public et solennel de haute justice. […] Ne voyez-vous donc pas que vos exécutions publiques se font en tapinois ? […] Que les gens du roi ne viennent donc plus nous demander des têtes, à nous jurés, à nous hommes, en nous adjurant d’une voix caressante au nom de la société à protéger, de la vindicte publique à assurer, des exemples à faire.
Celle du xixe siècle est plutôt bourgeoise, mais elle s’adresse encore à un public d’élite. […] Il a compris admirablement les conditions que réclame non pas le grand public, mais l’immense public auquel un roman peut aller, et, si le livre est déparé par d’énormes défauts, il a néanmoins la simplicité, l’ampleur et, par endroits, la haute moralité qui doivent marquer un drame destiné à passionner et à élever l’esprit du peuple. […] Quand un homme écrit en vue d’un public déterminé, il s’asservit inconsciemment à lui ; il en prend les préjugés, les goûts, le langage, les travers, il se condamne à évoluer dans un certain ordre de sentiments et d’idées qui sont ceux d’une coterie, d’une école et d’une mode. […] On a fait d’innombrables livres, avec un grand effort de recherche et souvent un grand talent, pour un petit public, déjà las de leurs défauts et de leurs qualités même. […] Ayez le respect de ce public guetté par toutes les erreurs et travaillé par toutes les corruptions.
Pierre Trimouillat Voici un an à peine, dans une de ses intéressantes conférences sur la chanson faites à la Bodinière devant le public choisi et délicat qui y fréquente, où les jolies femmes sont en majorité, M. […] Eugène Ledrain Jamais il n’a fait aux petites passions du public le moindre sacrifice.
Il eût été cependant plus juste & plus honnête de faire connoître au Public à qui il avoit l’obligation de ces morceaux, que de consigner au bas le nom de l’Encyclopédiste, qui n’a pris que la peine de les transcrire ou de les faire transcrire. […] Cette compilation, où il a souvent mis du sien, lui attira beaucoup d’ennemis, comme s’il n’étoit pas permis d’apprécier les Productions des Auteurs, quand ils les soumettent au jugement du Public par la voie de l’impression.
La presse quotidienne, qui suit et quelquefois devance les goûts du public, n’a rien de mieux à faire ici que de chercher à les satisfaire. […] La condition première d’une telle action est de revenir souvent à la charge, d’user de sa plume comme de quelque chose de vif, de fréquent, de court, de se tenir en rapport continuel avec le public, de le consulter, de l’écouter parfois, pour se faire ensuite écouter de lui.
Et surtout, souvenez-vous que c’est pour mon ami, et non pour le public que j’écris. […] voilà de ces fautes qui ne méritèrent jamais la correction publique.
Le coupable y étoit traduit, & le public se faisoit justice. […] Le public est comme un fleuve qui coule sans cesse, & qui dépose son limon. […] Le public à cet égard est donc un excellent juge. […] En général, la personnalité dans la cause publique, est un crime de lese-humanité. […] Nous prenons ici les grands en qualité d’hommes publics.
Heureux quand on ne lui fait pas d’avanies publiques ! […] Il a donné un autre bel ouvrage à la louange de Mallarmé, qui n’a pas la faveur du public bien-pensant. […] Paul Il le faut bien, mais il est plus que suffisant de nous faire attendre jusqu’à Feutrée dans le domaine public. […] Pierre C’est vrai que le public en paraît friand puisqu’on en publie de tous côtés. […] Il suffit de leur donner des louanges massives tête à tête ou en toute occasion publique, et de ne les débiner que dans les conversations tout à fait intimes avec des personnes discrètes.
Ils ont servi l’artiste, en lui donnant la claire connaissance de son but, et ils ont servi à préparer le public à l’acceptation d’une œuvre aussi originale. […] Et en même temps qu’on enlevait à son libre essor cette lourde chaîne, on lui indiquait comme auditoire un public absolument fantaisiste, irréel, qu’il pouvait combler de toutes les qualités et façonner en son image : un public de Brésiliens ! […] On sait quelle énorme influence Wagner attribuait au public ; c’est-à-dire au public que l’artiste a en vue lorsqu’il écrit. Dans un article intitulé « Le public dans le temps et dans l’espace » (X, 125, et spécialement 136), il a examiné cette question. […] Du reste, il appuie si peu sur les nombreux détails dus à sa connaissance des vieilles littératures, que le grand public ne s’aperçoit de rien.
Sur mes regrets, Porel nous offrait galamment son théâtre, et instantanément nous improvisions à nous trois la représentation annoncée dans les journaux, et que je trouve pour ma part joliment imaginée comme représentation d’amitié et de cœur, et dont l’argent n’avait rien à mes yeux de plus blessant pour la mémoire de Flaubert, que l’argent d’une souscription du public. […] Mais le public est empoigné au second acte, et le succès va grandissant, et tourne au triomphe à la fin de la pièce. […] Et toute la soirée chez Y…, chez X… et les autres, ce sont des paroles réfrigérantes : « Mounet est exécrable, Sisos manque de puissance, la petite Cerny est tout artificielle. » Puis, c’est la pièce, qui toute charmante, toute spirituelle qu’elle a été trouvée par le public, est critiquée avec une sévérité taquine et singulièrement malveillante. […] Ce sont des ecclésiastiques qui l’ont déterminé à parler en public, en lui disant que le don de la langue lui viendrait avec le Saint-Esprit, et il constate que ce don qu’il croyait ne pas avoir, il le possède, et qu’il harangue avec une facilité qui l’étonne. […] Au bout de rues, qui ont l’air de rues de faubourg de province, où l’on cherche un lupanar, une maison honnêtement bourgeoise, où se trouve toute pleine une pauvre petite salle de théâtre ; une salle à la composition curieuse, et qui n’est pas l’éternelle composition des grands théâtres : des femmes, maîtresses ou épouses de littérateurs et de peintres, des modèles, — enfin un public, que Porel baptise : un public d’atelier.
Enfin arrive le grand jour : Hugo reconquérant la liberté de sa pensée, ne sera plus obligé de flatter les rois en public et de chérir la république dans son for intérieur. […] Il se signait dévotement devant la formule sacramentelle du romantisme : l’art pour l’art ; mais, ainsi que tous bourgeois ne songeant qu’à faire fortune, il consacrait son talent à flatter les goûts du public qui paie, et selon les circonstances il chantait la royauté ou la république, proclamait la liberté ou approuvait le bâillonnement de la presse ; et quand il était besoin d’éveiller l’attention publique il tirait des coups de pistolets : — le beau, c’est le laid est le plus bruyant de ses pétards. […] Il se disait simple de cœur, parlant comme il pensait et agissant comme il parlait ; mais, ainsi que tout commerçant cherchant à achalander sa boutique, il jetait de la poudre aux yeux à pleines poignées, et montait constamment des coups au public. […] Tandis qu’elle conviait à ses funérailles du premier juin toutes les nations ; elle ne fermait pas la Bourse et ne suspendait pas la vie commerciale et financière parce que le premier juin était jour d’échéance des effets de commerce et des coupons des valeurs publiques. […] La célébration du centenaire de Victor Hugo, qui donne de l’actualité à cette étude, nous a suggéré l’idée de la republier : écrite le lendemain de sa mort, elle n’a pas encore perdu son originalité, le côté de la vie publique qu’elle expose n’ayant été ni discuté, ni analysé.
Plusieurs de ses principaux ouvrages n’ont été rendus publics qu’après sa mort. […] Le public ne connut qu’en 1722 l’ouvrage resté jusqu’alors en manuscrit. […] Il battait les protestants par leurs propres paroles, par des actes de foi publique, par des confessions communes. […] Presque tout le public éclairé se rangeait du côté de Bossuet, à Paris comme dans les provinces. […] Quatre lettres de Fénelon, pleines de vivacité et d’esprit, mirent d’abord le public de son côté.
Ce truc machiavélique est manqué pour le public comme pour d’Estrigaud : le ressort crie sans produire d’effet. […] Une veuve de vingt-cinq ans ne fait pas même une fausse démarche, en visitant, au grand jour, une galerie de tableaux à demi publique. […] Depuis deux actes, le public a presque perdu de vue l’ingénieur ; il n’apparaît que pour disparaître, et, au théâtre aussi, les absents ont tort. […] Il y a longtemps qu’un grand poète l’a dit : « Votre drame est né boiteux ; croyez-moi, ne lui mettez pas de jambe de bois. » Et puis quelle foi l’auteur dramatique veut-il que le public garde dans son œuvre, si, d’un mois à l’autre, il en modifie le fond ou la forme ? […] Augier l’honneur d’une tentative qui atteste en lui un respect profond de son art, et le public lui en tiendra compte, à la première revanche qu’il attend de son grand talent.
Le Public les a mal accueillies, parce que le Public savoit avant lui cette maxime d'Horace, bien mieux énoncée que la sienne : Tu nihil invitâ dices, faciesve Minervâ.
Peu d'hommes ont débuté avec plus d'éclat dans la carriere des Sciences, & y ont acquis, plus jeunes, des titres à la reconnoissance publique. […] Il est facile de juger par la maniere dont il a écrit sur les matieres scientifiques, qu'il eût pu se faire, s'il l'eût voulu, un nom distingué dans les Belles-Lettres ; mais cet Auteur n'en est que plus louable d'avoir préféré l'utilité générale à de vains agrémens qui sont souvent pour le Public un sujet de raillerie ou de mépris.
Dans cette position nouvelle, distingué aussitôt par la compagnie, il fut chargé de la plupart des rapports dans les procès criminels, de la rédaction des remontrances qui revenaient alors assez fréquemment, et fut presque toujours choisi pour commissaire dans les affaires publiques. […] Ces petits écrits de l’année 89 étaient lus à Metz avec avidité ; le Parlement ne le trouvait pas bon, et, dans un entretien que Roederer nous a conservé (car il notait aussi par écrit les conversations intéressantes auxquelles il avait part), le premier président se plaignait à lui, en disant : Monsieur, tout le monde, dans la compagnie, rend justice à votre intégrité, à votre droiture ; on rend aussi justice à vos talents : vous en avez de grands ; mais il ne faut pas en rendre l’usage désagréable à tout le monde ; il ne faut pas croire que vous seul ayez tout l’esprit du monde… Depuis quelque temps vous vous êtes rendu le dispensateur du blâme et de l’estime publique. […] Mais là où il ne se trompa point, ce fut dans les questions de finances qui se rapportaient aux contributions publiques. […] Mais faire marcher l’administration et l’ordre public, faire fonctionner la machine au lieu de l’entraver et de la désorganiser, c’était déjà se rendre suspect aux yeux des démagogues50. […] Nous le verrons sortir de sa retraite tout à fait mûri, dévoué à la restauration de l’esprit public et de l’ordre social, sans abjuration de rien d’essentiel.
Là, pendant plus d’une année, ils suivirent leur méthode studieuse en la transportant et la renfermant cette fois dans les matières de religion, et ils tombèrent tout à fait d’accord sur la conduite qu’ils avaient à tenir ; mais ils voulurent faire plus, ils aimèrent mieux différer de quelques mois leur déclaration publique, et ils s’appliquèrent dans l’intervalle à user de leur influence, de l’estime qu’ils inspiraient et des raisons dont ils étaient remplis, pour ramener la ville entière avec eux. […] Et, en effet, ces faux romans de Cyrus, de Clélie, depuis longtemps tombés et surannés, avaient laissé pourtant dans le goût public je ne sais quelle fadeur galante qui se portait partout autre part que vers les poèmes sévères. […] C’est l’Homère de Mme Dacier que lisait Mme Roland, jeune fille, avant les rêves de la vie publique, et dans sa studieuse retraite. […] Je sais bien que je ne dois pas exiger qu’on ait pour moi la même complaisance qu’on a eue pour de grands hommes, anciens et modernes, qui, dans la même situation où je me trouve, se sont plaints de leur malheur ; mais j’espère que l’humanité seule portera le public à ne pas refuser à ma faiblesse ce qu’on a accordé à leur mérite : jamais on ne s’est plaint dans une plus juste occasion. […] Cette personne honnête et probe croit à son lecteur, à son public, à l’affection qu’elle leur inspire, à l’intérêt que le monde témoigne pour la continuation et l’achèvement de son travail, à la compassion qu’il aura d’une interruption venue d’une cause si douloureuse ; elle se souvient de Cicéron pleurant sa fille Tullia, de Quintilien déplorant la perte d’un fils plein de promesses, et, tout en les imitant, elle verse de vraies larmes ; puis, en finissant, la mère chrétienne se retrouve et se soumet115.
La Cour est en désordre, et le peuple en alarmes… » Corneille a dû faire ici à son auteur des changements du tout au tout, qui ne choquaient nullement un public ignorant de l’histoire d’Espagne, mais qui nous montrent bien les contraintes étranges auxquelles il était assujetti et sa gêne rigoureuse, en même temps que ses prodigieuses et ingénieuses ressources de talent. […] Je suppose toujours cet ancien public français avec ses habitudes, et à qui deux heures de spectacle sérieux suffisaient. […] » C’est que Corneille sentait son public français, ce public si pressé, si impatient, avec lequel il faut saisir aux cheveux l’occasion, — l’occasion, cette déesse fugitive et si française elle-même, et qui, seule, donne la victoire. […] Viguier, ce savant émule et ce contemporain de tous nos maîtres, aurait tort de penser que, pour s’y prendre d’une autre sorte devant un public qui nous commande aussi et que nous avons à satisfaire, on ne l’a pas lu et qu’on n’a pas profité de son travail excellent. […] Ceux-ci, on doit le dire, placés entre le cardinal qui donnait les pensions et le public qui donne la considération, s’en tirèrent assez convenablement, assez dignement même.
Ce fut Mme Valmore qui puisa un jour tout son courage dans son amitié pour aller dire à Mlle Mars cette fatale parole que le public commençait à lui murmurer depuis quelque temps : « Il n’y a plus à tarder ; le moment est plus que venu ; il faut vous retirer. » Mlle Mars l’écouta et lui en sut gré : c’était à la fois une marque de bon cœur et de bon sens. […] J’espère que le public vous en récompensera par l’admiration plus tendre qu’il accordera, — qu’il a déjà accordée à cette nature unique de femme poète. — Tout à vous de mon plus affectueux respect, Sainte-Beuve. » 62. […] Il y a là-dessous une longue histoire que je te dirai une autre fois… Tu sauras, si c’est une nouvelle pour toi, que Joanny est devenu la bête noire du public ; c’est à qui veut crier haro sur le baudet. […] Joanny voulait jouer les rôles qui conviennent à présent à son âge, il pourrait ravoir la faveur du public ; mais il tient plus que jamais aux rôles des amours ; que veux-tu que j’y fasse ? […] Mlle Georges attire le public d’une manière étonnante.
Pendant que les hommes en possession de la vogue et de la faveur publique continuaient plus ou moins heureusement d’en user ou d’en abuser, que trop souvent ils traînaient sans relâche, sans discrétion, qu’ils appesantissaient leur genre, ou qu’ils le bouleversaient brusquement un beau matin plutôt que de le renouveler, quelles œuvres vraiment nouvelles, quelles apparitions inattendues sont venues varier et rafraîchir le tableau ? […] Qu’il ait pu y avoir, durant ces derniers temps, en d’autres branches d’étude et de culture, d’autres productions qui fassent honneur à l’époque et qui lui seront comptées un jour, je suis loin de le vouloir contester ; mais, à ne consulter que l’époque elle-même et son impression purement présente, ces deux accidents sont les seuls qui, dans l’ordre de poésie, aient mis les imaginations en émoi et qui aient vivement piqué l’attention publique. […] Mais de nos jours, au milieu des respects et des hommages individuels et publics volontiers décernés à la religion, après le triomphe encore plus complet qu’espéré d’une politique conservatrice, venir réagir au delà dans le même sens et en passant outre, pousser par système et par mode à l’aristocratie, au despotisme, à l’ultramontanisme, c’est ne prouver autre chose que l’ennui de l’âme qui s’agite à vide et la vanité de l’esprit qui se monte à froid. […] La fatuité combinée à la cupidité, à l’industrialisme, au besoin d’exploiter fructueusement les mauvais penchants du public, a produit, dans les œuvres d’imagination et dans le roman, un raffinement d’immoralité et de dépravation qui devient un fait de plus en plus quotidien et caractéristique, une plaie ignoble et livide qui chaque matin s’étend. […] Le public, le monde, qui, dans nos idées, semble depuis longtemps le juge naturel et l’arbitre des talents et des œuvres, ne remplit cette fonction que très-imparfaitement.
La certitude et l’activité ; des croyances morales simples et fortes, héritées de l’antiquité grecque et latine, attendries par le christianisme, élargies par la Renaissance, enrichies de toute la générosité acquise par l’âme humaine à travers trente siècles ; des actes conformes à ces croyances ; des écrits conformes à ces croyances et à ces actes ; le plus ardent patriotisme et le plus humain ; les plus solides vertus privées et publiques ; une sincérité entière ; toutes communications ouvertes, si je puis dire, entre la vie publique, la vie privée et l’œuvre écrite ; des passages aisés et tranquilles de la médiocrité à la puissance, de la chaire du professeur à la tribune et au cabinet du ministre, et de là au foyer domestique et au recueillement de l’étude… bref, c’est une vie singulièrement harmonieuse que celle de M. […] Duruy disait volontiers de lui-même : « Je suis un bœuf de labour. » Dès l’enfance, il commença de tracer son sillon, qui fut droit et profond, et fertile en moissons dont s’enrichirent les greniers publics. […] La théorie des deux morales, c’est-à-dire, pour parler net, le privilège accordé aux souverains et aux hommes d’État de manquer à la morale dans un intérêt public ou qu’ils estiment tel, peut être également l’erreur volontaire et calculée d’un prince selon Machiavel — ou l’illusion d’un mystique, comme paraît avoir été ce mélancolique empereur au souvenir de qui trop de douleur s’attache pour que nous puissions, nous, le juger en toute liberté d’esprit, mais qui, au surplus, se trouverait sans doute suffisamment jugé, si l’on regarde sa fin, par le mot de Jocaste à Œdipe : « Malheureux ! […] Or, le 23 juin 1862, étant à Moulins en tournée d’inspection, une dépêche lui apprit qu’il était nommé ministre de l’Instruction publique. […] Il se dit que depuis un demi-siècle, la classe dirigeante, par égoïsme ou par hypocrisie, avait trahi sa mission d’une façon générale en limitant à elle-même le bienfait de la Révolution d’où elle était née, et particulièrement en laissant languir l’enseignement public.
Cette fâcheuse disposition de Le Brun sera son perpétuel échec, et elle finira par donner le change à son ambition, tellement que celui qui aspirait au rôle d’un Pindare et d’un chantre auguste des grandes pensées publiques ne sera, en définitive, qu’un épigrammatiste excellent. […] C’est un chant destiné à traduire et à exprimer l’ivresse publique, la gloire des vainqueurs, la pompe des noces solennelles ou le deuil des grandes funérailles, quelque sentiment général qui transporte à un moment une nation. […] Le Brun le sentait bien ; il aurait voulu associer le public à son inspiration et renouer à quelque degré la chaîne électrique des anciens. […] Cet usage de lire en public et sur la scène des ouvrages nouveaux existait chez les Grecs et les Latins : c’était une source de gloire et d’émulation ;’ j’ai vu M. de Voltaire regretter qu’il soit aboli. […] Les strophes les plus exécrables qu’on puisse citer d’alors sont de lui, du chantre et du pensionné de Calonne : et à la fois, oubliant ces gages publics qu’il avait donnés si récemment encore, il se proclamait un républicain de tous les temps ; il prenait son humeur invétérée pour des principes.
Les originaux, déposés par le duc de Noailles à la Bibliothèque du roi, y ont été conservés ; c’est d’après ces manuscrits que se fit en 1806 la publication des six volumes dont je parle, et auxquels, je ne sais pourquoi, le public n’a jamais rendu la justice ni accordé l’attention qu’ils méritent. […] Il était aimable de sa personne, honnête et de facile accès à tout le monde, mais avec un air grand et sérieux qui imprimait le respect et la crainte dans le public, et empêchait ceux qu’il considérait le plus de s’émanciper, même dans le particulier, quoiqu’il fût familier et enjoué avec les dames. […] Il est une chose pourtant que Louis XIV n’eut à emprunter à personne et qui lui est bien originale, ce fut cet état, cette fonction réelle de souverain dont personne alors n’avait l’idée autour de lui, que les troubles de la Fronde avaient laissé dégrader et dépérir dans les esprits, et que Mazarin, même dans la restauration du pouvoir, n’avait que médiocrement relevée dans la révérence publique. […] La connaissance des hommes, le discernement des esprits, et l’application de chacun à l’emploi auquel il est le plus propre et le plus utile au public, c’est là proprement le grand art et c’est peut-être le premier talent du souverain. […] En cela Louis XIV ne sut réussir qu’à demi ; il força évidemment dans ses pompes le caractère de la monarchie française, et, en vieillissant, il en vint à n’être plus en accord avec l’esprit public de la nation.
. — Changement dans le goût et dans le public. — L’auditoire avant la Restauration, et l’auditoire après la Restauration. […] La rigidité personnelle était devenue une tyrannie publique. […] Dès l’abord, la bassesse des corps publics avait égalé celle des particuliers. […] Est-il possible qu’un public, et un public de choix, soit venu écouter de pareilles scènes ? […] Rien ne choque ce public ; il n’a de l’éducation que le vernis.
Mais, s’il exerça une heureuse influence sur les individus distingués, il échoua dès qu’il voulut introduire une partie de ses idées de réforme dans l’enseignement public ; il ne put faire brèche ; l’Université en corps résista, elle tint bon pour sa grammaire traditionnelle, qui avait été un progrès, en son temps, mais qui était certainement dépassée ; on eut même, je le crois, quelque peine à pardonner à Dübner sa tentative d’amélioration et ses insistances ; car il revint plus d’une fois à la charge, la polémique fut longue, bien des considérations étaient en jeu… N’insistons pas nous-même : le souvenir de ces désaccords et de ces démêlés ne serait point à sa place ici, en présence d’une tombe. […] Didot, mais encore dans de nombreuses lettres et des articles publiés dans les journaux ou revues de l’Instruction publique, Dübner a proposé des sens nouveaux, des corrections piquantes et autorisées. […] Adert, je lui marquais que cette Grammaire de Dübner ne me paraissait en rien présentée de la façon qui la pouvait faire agréer du public français. […] Dans la Revue de l’Instruction publique.
Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) Il est pour la critique de vrais triomphes ; c’est quand les poëtes qu’elle a de bonne heure compris et célébrés, pour lesquels, se jetant dans la cohue, elle n’a pas craint d’encourir d’abord risées et injures, grandissent, se surpassent eux-mêmes, et tiennent au delà des promesses magnifiques qu’elle, critique avant-courrière, osait jeter au public en leur nom. […] Chargée de faire la leçon au public, elle est exactement dans le cas de ces bons précepteurs dont parle Fontenelle, qui travaillent à se rendre inutiles, ce que le prote hollandais ne comprenait pas. […] Et, d’autre part, comme ces admirateurs plus tardifs, honteux tout bas de s’être fait tant prier, et n’en voulant pas convenir, acceptent le grand écrivain dans ses dernières œuvres au détriment des premières qu’ils ont peu lues et mal jugées, comme ils sont fort empressés de le féliciter d’avoir fait un pas vers eux, public, tandis que c’est le public qui, sans y songer, a fait deux ou trois grands pas vers lui, il est du ressort d’une critique équitable de contredire ces points de vue inconsidérés et de ne pas laisser s’accréditer de faux jugements.
C’était là une difficulté de plus dans la disposition d’un public en éveil, qui n’aime rien tant qu’à voir la politesse relevée de malice, et qui s’accoutumerait volontiers à en aller chercher des exemples à l’Académie, sauf à doubler la dose et à faire l’étonné en sortant245. Mais ce même public, s’il aime un grain ou deux de malice, goûte encore plus la diversité ; et pour lui, l’accord, quand il est juste, peut aussi avoir son piquant. […] Cette faveur du public à laquelle il est accoutumé et qui avait accueilli avidement son précédent discours, qui avait comme saisi ce discours au premier mot, si bien que c’était à croire (pour employer l’expression du moment) qu’on venait de lâcher l’écluse, — cette faveur ne lui a point fait défaut cette fois sur une surface plus unie et dans des niveaux plus calmes. […] C’est ce qui était arrivé pour la séance de réception de M. de Vigny ; le public y avait supposé et mis, à l’instant même, beaucoup plus de malice qu’il n’y eu avait eu au fond.
L’incertitude de nos mœurs publiques, notre mobilité oublieuse, les revirements fougueux de chaque jeunesse nouvelle qui survenait, ont dû en grande partie tenir à ce manque de guides naturels établis et imposants. […] Ce fut là, si j’ose dire, le trait principal, l’acte essentiel et souverainement méritoire de la vie publique de Jefferson. […] Galatin, également seul, luttait dans la Chambre des représentants ; si, avec l’autorité de son nom, de ses services passés, de sa parole exacte et judicieuse, il n’avait pas hâté le désabusement public et présenté une tête honorée aux suffrages des républicains longtemps épars, il est douteux que la volonté du peuple se fût dégagée et se fût fait jour : cette noble constitution, qui est comme l’honneur du monde, aurait succombé peut-être à l’incurable corruption qui s’y infiltrait dès sa naissance. […] Nous avons contre nous le pouvoir exécutif, la judicature, deux des trois branches de la législature, tous ceux qui ont des places dans le gouvernement et ceux qui en désirent, tous les gens timides qui préfèrent le calme du despotisme aux orages de la liberté, les marchands anglais et les Américains qui commercent avec des capitaux anglais, les agioteurs et tous les hommes intéressés dans les banques ou dans les fonds publics, invention imaginée dans des vues de corruption et pour nous assimiler en tout point, aussi bien aux parties gangrenées qu’aux portions saines du modèle anglais.
Avant-propos Je ne me dissimule pas les imperfections de l’ouvrage qui s’offre au public aujourd’hui : et s’il reçoit un bon accueil, je m’efforcerai de les corriger. […] Un petit nombre d’œuvres capitales viendront ainsi enrichir définitivement le trésor public de notre littérature : le reste demeurera la propriété et la curiosité des érudits. […] La troisième édition que j’offre actuellement au public, a reçu de plus nombreuses corrections ; j’y ai inscrit quelques travaux récents qui n’avaient pas paru ou n’étaient pas venus à ma connaissance à l’époque de la première impression. […] Si le public continue de bien accueillir ces études, il y aura lieu de faire, dans cinq ou six ans, un autre portrait qui prendra la place de celui de 1894.