Lorsqu’on venoit se plaindre à lui, comme au prince des poëtes, du peu d’égard qu’on avoit pour eux, qu’on lui disoit qu’il n’y avoit de récompense que pour les militaires ou pour les financiers, il répondoit : Rien de plus juste que cette conduite. […] Les honnêtes gens , disoit-il, n’en ont point d’autre que celle de leur prince.
De-là, son titre de fléau des princes. […] Dans une médaille qu’il fit frapper, il étoit représenté d’un côté avec ces mots : au divin Aretin : Sur le revers, il étoit sur un trône, & recevoit les présens des envoyés des princes ses tributaires.
Pendant près de deux siècles, les mêmes genres seront cultivés : entre tous, la ballade sera la forme maîtresse de la poésie, chérie des gens du métier (Eustache Deschamps en compose 1374), pratiquée des amateurs (le livre des Cent Ballades est l’œuvre collective des princes et seigneurs de la cour de Charles VI) : la ballade sera ce que fut dans la décadence de la Renaissance, avant la maturité du génie classique, le sonnet. […] Pour le Français, routier ou prince, depuis Talebard Talebardon jusqu’au roi Jean, les deniers ne sont pas méprisables, sans doute, mais deviennent après autre chose : et cette autre chose, c’est l’aventure, la recherche du hasard périlleux qui met en jeu toutes les énergies du corps et de l’esprit. […] Avec les femmes, les enfants, le ménage, il a en aversion les jolis courtisans, peut-être un peu parce que leur élégance mortifie sa vulgarité, mais surtout, à coup sur, parce que cette jeunesse vole aux vieux conseillers bourgeois du précédent règne, dont il est, la faveur de Charles VI et des princes, et les marques solides de cette laveur. […] Il avait pris par bonheur ses précautions, avant toujours su compter et ménager ; ni le roi ni les princes ne pouvaient faire qu’il ne fût un bourgeois cossu, nanti de bonnes terres et de bonnes rentes, ainsi qu’il le donnait à entendre en chantonnant demi-dépité, demi-marquois : C’est le plus sain que d’être bien renté. […] Oresme a fait encore un Traité des monnaies, où sans déclamation, par bonnes et solides raisons, appuyées sur l’amour du bien public, il condamne fortement les rois et princes qui les altèrent : il pose très nettement à ce propos la limite des droits du roi, mettant au-dessus de sa volonté l’intérêt de la communauté, qu’il a charge de procurer.
« Le prince qui règne sur le pays, c’est l’amour coquet, frère de l’amour, mais frère bâtard, enfant de la nature et du désordre, dont les dérèglements et la débauche sont plus habituels que la raison. […] Molière et sa troupe étaient dans cette ville, comme comédiens de M. le prince de Conti, qui y présidait les états de Provence. La princesse de Conti, et sa cour, y étaient venues avec le prince pour ajouter à l’éclat de sa présidence ; c’était Marie Martinozzi, l’aînée des sept nièces que le cardinal Mazarin avait appelées de Florence pour faire leur fortune et assurer la sienne. […] Il pouvait savoir par le prince et la princesse de Conti, dont il avait été le poète et le directeur des spectacles, que la cour avait été importunée du bruit elle nouvelle école si opposée à ses traditions et à ses habitudes. […] Sa lettre à l’évêque de Vence sur la détention du prince est intéressante et noble.
Cet éloge funèbre du Grand Condé, dont Mme de Sévigné a esquissé une vive analyse dans une lettre à Bussy et dont elle se disait transportée, est d’un caractère à part et garde encore l’empreinte morale de la manière de Bourdaloue ; il laisse la vie glorieuse et mondaine du prince, ou plutôt, dans cette vie, il ne s’attache qu’à son cœur, à ce qui s’y conserve d’intègre, de droit, de fidèle, jusque dans ses infidélités envers son roi et envers son Dieu, et il va dégageant de plus en plus cette partie pure, héroïque et chrétienne, jusqu’à ce qu’il la considère en plein dans la maturité finale et un peu tardive de ses dernières années. […] Dieu m’avait donné comme un pressentiment de ce miracle, et dans le lieu même où je vous parle aujourd’hui, dans une cérémonie toute semblable à celle pour laquelle vous êtes ici assemblés, le prince lui-même m’écoutant, j’en avais non seulement formé le vœu, mais comme anticipé l’effet par une prière, qui parut alors tenir quelque chose de la prédiction. […] Ce prince, qui m’avait écouté, a depuis écouté votre voix secrète, et, parce qu’il avait un cœur droit, il a suivi l’attrait de votre grâce… On voit bien que ceux qui dénient l’onction à Bourdaloue n’ont pas entendu de sa bouche ces passages, et ils les ont lus négligemment. […] Mais il faut observer que Bossuet, qui avait si fort insisté sur le bonheur qu’a eu le chancelier Le Tellier de conserver toute sa tête jusqu’au dernier instant, et qui rapporte les fortes paroles de ce vieillard courageux, insiste moins sur la présence d’esprit du Grand Condé : seulement il en rappelle quelques paroles, et cite une lettre au roi où le prince reparaît encore, et où se montre le chrétien.
[NdA] Au tome III (1848) des Œuvres de Louis-Napoléon Bonaparte, on lit (pape 13) une lettre du prince datée de décembre 1842 et adressée à M. […] Après quelques idées et souvenirs personnels relatifs aux études mathématiques de l’empereur Napoléon : « Permettez-moi de terminer par un dernier aperçu philosophique, dit le prince. […] Les habitudes les plus futiles et les plus inutiles ont d’immenses racines dans le passé, et, quoique de prime abord il semble qu’il suffise d’un souffle pour les détruire, elles résistent souvent et aux convulsions des sociétés, et aux efforts d’un grand homme. » Cette opinion personnelle du prince, qu’on vient de voir si formellement exprimée, étant telle et si en accord avec celle de Franklin, il est plus facile encore d’apprécier la haute impartialité que le même prince devenu empereur, et pouvant tout, a apportée dans la solution pratique, et combien il s’est montré l’homme de son nouveau rôle et de sa destinée, publique, lorsque, dans l’œuvre de conciliation, il a laissé faire une si large part à l’opinion opposée.
Ce jeune prince, que Saint-Simon nous montre si hautain, si fougueux, si terriblement passionné à l’origine, si méprisant pour tous, et de qui il a pu dire : « De la hauteur des cieux il ne regardait les hommes que comme des atomes avec qui il n’avait aucune ressemblance, quels qu’ils fussent ; à peine Messieurs ses frères lui paraissaient-ils intermédiaires entre lui et le genre humain » ; ce même prince, à une certaine heure, se modifie, se transforme, devient un tout autre homme, pieux, humain, charitable autant qu’éclairé, attentif à ses devoirs, tout entier à sa responsabilité de roi futur ; et cet héritier de Louis XIV ose proférer, jusque dans le salon de Marly, ce mot capable d’en faire crouler les voûtes, « qu’un roi est fait pour les sujets et non les sujets pour lui ». […] ce prince ainsi présenté par Saint-Simon, et dont la mort lui arrache, à lui l’observateur inexorable, des accents d’éloquence émue et des larmes, qui donc l’avait transformé ainsi ? […] Nous en savons maintenant là-dessus, à certains égards, plus que n’en savait Saint-Simon : nous avons les lettres confidentielles que Fénelon adressa de tout temps au jeune prince, les mémoires qu’il rédigea pour lui, les plans de réforme, toutes pièces alors secrètes, aujourd’hui divulguées, et qui, en permettant de laisser à l’ambition humaine la place qu’il faut toujours faire aux défauts de chacun jusque dans ses vertus, montrent celles-ci du moins au premier rang, et mettent désormais dans tout son jour l’âme patriotique et généreuse de Fénelon.
Dans son premier ministère, on l’a vu en peu de mois tout faire pour abattre la révolte des princes et des grands, et pour rétablir l’autorité royale au point d’où elle n’aurait jamais dû déchoir. […] On fait sortir de prison le prince de Condé, qu’elle n’avait fait arrêter que dans l’intérêt du roi, et ce prince du sang devient pour elle un ennemi actif qui va servir les mauvaises intentions de Luynes. […] Il fait avancer d’abord le roi, qui est repoussé : « Il est bon, dit Richelieu, de ne pas négliger ces petits avantages ; mais il est dangereux de s’y assurer, principalement à un grand prince, qui doit plutôt emporter que dérober les victoires. » Que cela est noble et bien dit ! […] Richelieu reproche à Luynes d’avoir voulu appliquer à la France la politique étroite et tyrannique qui n’est praticable que dans les petites provinces d’Italie, où tous les sujets sont sous la main de celui qu’ils doivent craindre : « Mais il n’en est pas de même de la France, grand et vague pays, séparé de diverses rivières, où il y a des provinces si éloignées du siège du prince. » Dans toute cette peinture, Richelieu nous livre indirectement ses propres pensées, et, en nous représentant ainsi le favori odieux, il est évident qu’il sent combien lui-même il s’en sépare et il en diffère.
Combler la mesure, faire déborder le vase, exagérer l’horreur du fait du prince, accroître l’écrasement pour révolter l’opprimé, faire rejaillir l’idolâtrie en exécration, pousser les masses à bout, telle semble être sa politique. […] Un jour, à Florence, dans le jardin de Cosmo Ruccelaï, étant présents le duc de Mantoue et Jean de Médicis qui commanda plus tard les Bandes Noires de Toscane, Varchi, l’ennemi de Machiavel, l’entendit qui disait aux deux princes : — Ne laissez lire aucun livre au peuple, pas même le mien. […] Les princes du seizième siècle avaient pour théoricien de leurs infamies et pour courtisan énigmatique Machiavel, enthousiaste à fond obscur.
Que ce jeune prince se tienne tranquille et vive avec dignité dans un coin : son rôle est tout tracé. […] Un vieux vaudevilliste royaliste, qui n’a pas le sol, va à Londres tout exprès pour lire au prince je ne sais quelle pièce de poésie à son éloge et en tirer une gratification comme dans le bon temps.
Quel éloge flatteur pour un prince ! […] Les vers que fit Auguste sur les dernières volontés de Virgile, caractérisent bien le génie de ce prince* : Une voix inhumaine, en un fatal moment, A donc pu commander l’attentat le plus grand !
Un autre inconvenient, ajoute l’anglois, qui vient de la mauvaise mode de mettre de l’amour par tout ; c’est que les poëtes françois font amoureux à leur mode des princes âgez et des heros qui, dans tous les tems, ont eu une reputation de fermeté qui nous les répresente d’un caractere bien opposé à celui qu’ils leur prêtent. […] Un prince se fait tuer dans un tournois en voulant, disoit-il, rompre encore une lance en l’honneur des dames.
Ce prince, contre la verité qui nous est connuë, paroît donc beau comme une femme dans ce tableau. […] Il en prit idée d’après le buste de ce prince qui se voit dans un des bosquets de Versailles sur une colonne, et qu’un sculpteur moderne a déguisé en mars gaulois en lui mettant un coq sur son casque.
On a vu que les apanages des princes du sang comprennent un septième du territoire ; Necker69 estime à deux millions le revenu des terres dont jouissent les deux frères du roi. […] Même avec la délégation du roi, un gouverneur de province, fût-il héréditaire et prince du sang comme les Condés en Bourgogne, doit s’effacer devant l’intendant ; il n’a pas d’office effectif ; ses emplois publics consistent à faire figure et à recevoir. […] La cour est un grand salon permanent, où « l’accès est libre et facile des sujets au prince », où ils vivent avec lui « dans une société douce et honnête, nonobstant la distance presque infinie du rang et du pouvoir », où le monarque se pique d’être un parfait maître de maison75. […] Même après l’échange de 1784, le prince garde pour lui « toutes les impositions personnelles, ainsi que la subvention sur les habitants », sauf une somme de 6 000 livres pour les routes. […] Ils ont seulement quelques vignes, qu’ils gardent six mois de l’année en faisant des factions et gardes jour et nuit avec tambours et charivari pour faire fuir les bêtes destructives. » 23 janvier 1753 « M. le prince de Conti s’est fait une capitainerie de onze lieues autour de l’Isle-Adam où tout le monde est vexé. » 25 septembre 1753 « Depuis que M. le duc d’Orléans jouit de Villers-Cotterets, il en a fait revivre la capitainerie, et il y a plus de soixante terres à vendre à cause de ces vexations de princes. » 99.
Princes et princesses descendent de leur piédestal et semblent prendre à tâche de dissiper eux-mêmes le prestige qui les environne. […] Retz saisit l’occasion, bénit le prince qui enrage, mais qui doit se découvrir et s’incliner. […] Il disait de Corneille : « Je l’aurais fait prince » ; mais il disait aussi : « Je n’aurais pas laissé jouer Tartufe. » Peut-être n’eût-il pas laissé jouer non plus les Plaideurs. […] En effet, le drame descend des princes aux simples bourgeois et des vers à la prose ; le roman campe au premier plan des ouvriers et des paysans ; les pauvres, les gueux, les humbles, envahissent jusqu’à la poésie. […] L’histoire n’était guère que le récit monotone des hauts faits et surtout des méfaits ayant pour auteurs des princes, des conquérants, des gens de cour.
Il est un prince nommé Nala, semblable aux dieux jumeaux qui habitent le ciel ; c’est le dieu de l’amour lui-même, revêtu d’une forme terrestre. […] La charmante Damayanti se présente dans l’assemblée des princes. […] On nomme devant elle les princes ; ils se lèvent, et s’offrent à ses regards. […] « En vérité, en vérité », répond l’épouse. « Ô mon roi, mon cœur tremble, mes genoux fléchissent sous moi, ô prince ! […] Je mourrai, je le sens, si je ne vois dès aujourd’hui ce prince, plus resplendissant de vertu et de beauté que l’astre des nuits !
La vertu du jeune prince le contenait ; et il avait peur de sa gloire. […] Ils en étaient moins suspects au prince. […] Séjan séduisit la femme de ce jeune prince, et le fit périr par le poison. […] Le sénat continuait ses bassesses, comme sous les yeux du prince. […] Le vieux prince prépara de longue main la chute de son favori.
La Bruyère passa le reste de ses jours à l’hôtel de Condé à Versailles, attaché au prince en qualité d’homme de lettres avec mille écus de Pension. […] C’étoit une meule toujours en l’air, qui faisoit fuir devant elle, et dont ses amis n’étoient jamais en sûreté, tantôt par des insultes extrêmes, tantôt par des plaisanteries cruelles en face, etc. » A l’année 1697, il raconte comment, tenant les États de Bourgogne à Dijon à la place de M. le Prince son père, M. le Duc y donna un grand exemple de l’amitié des princes et une bonne leçon à ceux qui la recherchent. […] Il a fait plus que de montrer au doigt le courtisan, qui autrefois portait ses cheveux, en perruque désormais, l’habit serré et le bas uni, parce qu’il est dévot ; il a fait plus que de dénoncer à l’avance les représailles impies de la Régence, par le trait ineffaçable : Un dévot est celui qui sous un roi athée serait athée ; il a adressé à Louis XIV même ce conseil direct, à peine voilé en éloge : « C’est une chose délicate à un prince religieux de réformer la cour et de la rendre pieuse ; instruit jusques où le courtisan veut lui plaire et aux dépens de quoi il feroit sa fortune, il le ménage avec prudence ; il tolère, il dissimule, de peur de le jeter dans l’hypocrisie ou le sacrilége ; il attend plus de Dieu et du temps que de son zèle et de son industrie. » Malgré ses dialogues sur le quiétisme, malgré quelques mots qu’on regrette de lire sur la révocation de l’édit de Nantes, et quelque endroit favorable à la magie, je serais tenté plutôt de soupçonner La Bruyère de liberté d’esprit que du contraire. […] Comme il nous montre gracieusement, dans sa comparaison du prince et du pasteur, le troupeau, répandu par la prairie, qui broute l’herbe menue et tendre ! […] Bien des passages de Mme de Staël (De Launay) viennent à l’appui de ce qu’a dû sentir La Bruyère ; ainsi dans une lettre à Mme Du Deffand (17 septembre 1747) : « Les Grands, à force de s’étendre, deviennent si minces qu’on voit le jour au travers : c’est une belle étude de les contempler, je ne sais rien qui ramène plus à la philosophie. » Et dans le portrait de cette duchesse du Maine qui contenait en elle tout l’esprit et le caprice de cette race des Condés : « Elle, a fait dire à une personne de beaucoup d’esprit que les Princes étoient en morale ce que les monstres sont dans la physique : on voit en eux à découvert la plupart des vices qui sont imperceptibles dans les autres hommes. » 143.
Apollon soutient en même temps le droit sacré du prince, qui est l’auguste tête de la société politique. […] Les princes conduisaient la charrue. […] Le prince ne peut rien décider sans l’avis d’une assemblée de bavards230. […] Ce n’est pas par une fantaisie aristocratique que Shakespeare met habituellement des princes sur la scène, c’est par une nécessité de l’art, c’est afin d’avoir des figures indépendantes ; et pour cela il ne suffit pas de prendre des princes, il faut encore les tirer du fond des âges fabuleux de la vieille Europe. […] Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude, Un prince dont les jeux se font jour dans les cœurs, Et que ne peut tromper tout l’art des imposteurs.
Pourquoi cela, sinon pour faire entendre que tout ce que le prince fait est toujours équitable et juste ? […] L’amour-propre des sophistes que ce prince avait à sa suite fut irrité, et ils n’oublièrent rien pour desservir auprès de lui Callisthène. […] Il ne se souvenait donc plus d’avoir promis d’accréditer par ses écrits l’opinion qui faisait de ce prince un fils de Jupiter Ammon ? […] Anaxarque, les sophistes grecs et les grands de Perse, de concert avec Alexandre, avaient résolu de décerner les honneurs divins à ce prince. […] Accompagnant ce prince à la chasse, il l’avait prévenu et avait tué devant lui un sanglier.
Charles V, un des plus sages et par conséquent des plus grands princes qui aient jamais régné, quoique moins célébré dans l’histoire qu’une foule de rois qui n’ont été qu’heureux ou puissants, fit quelques efforts pour ranimer dans ses États le goût des sciences. […] Aussi rien n’a-t-il égalé leur reconnaissance pour ce monarque ; les gens de lettres comme le peuple, tiennent compte aux princes des moindres bienfaits ; et, ce qui est assez remarquable dans l’histoire de l’esprit et du cœur humain, le titre de père des lettres semble avoir plus contribué à faire oublier les fautes innombrables de François Ier, que le nom bien plus respectable de père du peuple n’a servi à effacer celles de Louis XII. […] Un grand prince, sensible, comme il le doit être, à toutes les espèces de gloire, recherchera toujours celle qui vient des talents de l’esprit, quand il pourra l’acquérir ; parce qu’il sait que si elle n’est pas la plus brillante, elle a du moins cet avantage précieux, qu’on ne la partage avec personne. […] La lumière et la vérité, si nécessaires et si cachées à la plupart des princes, mais qu’il aime et qu’il connaît parce qu’il en est digne, sont le fruit de la liberté noble et sage qu’il accorde aux lettres. […] Cette lettre, qui fait pour le moins autant d’honneur au prince qu’au philosophe, doit immortaliser Philippe aux yeux des sages, bien plus que l’habileté dangereuse avec laquelle il prépara les chaînes de la Grèce ; il y a longtemps que les philosophes ne reçoivent plus de pareilles lettres, je ne dis pas des princes, mais de ceux même qui n’ont aucune espérance de le devenir.
Il fut auprès de lui, en qualité de premier secrétaire, à Aix où ce prince faisait fonction de gouverneur. […] Sous le haut patronage du prince, il y voyait l’élite de la société ; il s’y maria à vingt-six ans à une femme de trois ou quatre ans plus âgée que lui, veuve déjà pour la seconde fois, et appartenant à une famille parlementaire des plus considérées dans le pays. D’Aix il accompagna quelque temps son prince à Marseille, puis revint avec lui à Aix. […] Roi de ses passions, il a ce qu’il désire : Son fertile domaine est son petit empire, Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau ; Ses champs et ses jardins sont autant de provinces Et, sans porter envie à la pompe des princes, Se contente chez lui de les voir en tableau.
Elle ne cessa jusqu’à la fin de s’intéresser à la devinée de son malheureux pays et à sa résurrection après tant de désastres : « J’aime ce prince, disait-elle de l’électeur d’une autre branche qui y régnait en 1718, parce qu’il aime le Palatinat. […] Il semblait que ce fût une ironie du sort d’avoir donné pour seconde femme à Monsieur, à ce prince si mou et si efféminé, une personne qui par ses goûts ressemblait le plus à un homme et qui avait le regret de ne pas être née garçon. […] On l’a vu donner à ce prince mourant des larmes amères, en donner même à sa mémoire, le chercher dans ce superbe palais qu’il remplissait de l’éclat de sa personne et de ses vertus, dire souvent qu’il y manquait, et porter toujours depuis sa mort une plaie profonde, dont toute la gloire de son fils n’a pu lui ôter le sentiment. […] C’est, pour n’en citer qu’un exemple, au calvinisme du malheureux électeur Frédéric V, grand-père de la duchesse d’Orléans, qu’il faut attribuer en grande partie la froideur avec laquelle les États luthériens d’Allemagne accueillirent l’élection de ce prince au trône de Bohême, et le peu d’appui qu’ils lui prêtèrent après sa défaite. — Ce fut, me dit-on encore de bonne part, un des ancêtres de Madame, l’électeur Frédéric III, qui se fit réformé vers 1560 et qui introduisit une forme de culte et de symbole, non pas exactement calviniste, mais plutôt zwinglien, et dont le Catéchisme de Heidelberg est l’expression.
Une Providence ingénieuse donnait à ce professeur ardemment français entre nos historiens un élève, futur historien lui-même, profondément français entre nos princes. […] Qu’il y ait « deux morales », il l’avait cru à son heure, le prince aux yeux troubles et aux pensées vagues qui allait faire une des meilleures actions de son règne en élevant au premier rang le professeur du lycée Saint-Louis. La théorie des deux morales, c’est-à-dire, pour parler net, le privilège accordé aux souverains et aux hommes d’État de manquer à la morale dans un intérêt public ou qu’ils estiment tel, peut être également l’erreur volontaire et calculée d’un prince selon Machiavel — ou l’illusion d’un mystique, comme paraît avoir été ce mélancolique empereur au souvenir de qui trop de douleur s’attache pour que nous puissions, nous, le juger en toute liberté d’esprit, mais qui, au surplus, se trouverait sans doute suffisamment jugé, si l’on regarde sa fin, par le mot de Jocaste à Œdipe : « Malheureux ! […] Elle se relèvera si elle reconnaît bien le grand courant du monde, et si elle s’y plonge et s’y précipite… L’humanité, comme Dieu même, n’a que des idées fort simples et en petit nombre, qu’elle combine de diverses manières… » Il marquait alors la suite historique de ces combinaisons et il admirait ce long effort « logique » pour affranchir « le fils du père, le client du patron, le serf du seigneur, l’esclave du maître, le sujet du prince, le penseur du prêtre, l’homme de sa crédulité et de ses passions », pour mettre « légalité dans la loi, la liberté dans les institutions, la charité dans la société, et donner au droit la souveraineté du monde ».
Ce premier et double rôle de restaurateur du bien public et de conservateur de l’autorité royale tenta d’abord l’esprit élevé et lumineux de Condé ; mais Retz nous fait comprendre à merveille comment le prince ne put s’y tenir ; il était trop impatient pour cela : « Les héros ont leurs défauts ; celui de M. le Prince était de n’avoir pas assez de suite dans l’un des plus beaux esprits du monde. » Et, poussant plus loin, il nous explique à quoi tient ce peu de suite. Au retour de l’armée, voyant le Parlement aux prises avec la Cour, la gloire de restaurateur du public fut la première idée du prince, celle de conservateur de l’autorité royale fut la seconde. […] Voulant donc convaincre le prince de Condé qu’il y a un grand et incomparable rôle à jouer dans cette crise entre la magistrature et la Cour, voulant tempérer son impatience et ses colères à l’égard du Parlement, et lui prouver qu’on peut arriver moyennant un peu d’adresse, quand on est prince du sang et vainqueur comme il l’est, à manier et à gouverner insensiblement ce grand corps, Retz, dans un discours qu’il lui tient à l’hôtel de Condé (décembre 1648), s’élève aux plus hautes vues de la politique, à celles qui devancent les temps, et à la fois il touche à ce qui était pratique alors. […] Parmi ces dix-sept portraits, dont pas un qui ne soit un chef-d’œuvre, on distingue surtout ceux de la reine, de Gaston duc d’Orléans, du prince de Condé, de M. de Turenne, de M. de La Rochefoucauld, de Mme de Longueville et de son frère le prince de Conti, de Mme de Chevreuse et de Mme de Montbazon, celui enfin de Mathieu Molé.
Les princes et les grands, de tous côtés, relevaient la tête et prenaient les armes ; les protestants ressaisissaient l’occasion de se confédérer et de former un État dans l’État et contre l’État. […] Ainsi ces ministres, conseillers de la reine, hommes consommés et rompus dans la vieille politique, n’opposaient aux dangers imminents et aux exigences croissantes des princes et seigneurs que des atermoiements et des concessions sur lesquelles ils tâchaient seulement de marchander le plus possible. […] Elle avait signé la paix de Loudun, que les princes révoltés lui avaient fait chèrement payer (3 mai 1616) ; mais ce qu’elle avait fait pour ces prétendus réformateurs et champions de l’intérêt public avait plutôt ouvert que rassasié leurs appétits insatiables. […] Les affaires étaient en cet état, et le parti des princes aussi bas que possible, lorsque tout changea en un clin d’œil par la mort du maréchal d’Ancre, qui fut tué le 24 avril 1617 par ordre du roi et à l’instigation de Luynes.
Pour leur plaire, pour séduire ces princes et meneurs d’Athènes, il s’est mis à leur ton et a développé la veine railleuse, goguenarde, qui était en lui, mais qui n’y était pas aussi essentiellement qu’on le croirait. […] Wolff était le disciple et le divulgateur de Leibniz, et, quand il n’était pas lui-même assez clair, M. de Suhm se chargeait de l’expliquer au prince. […] M. de Suhm, avant de se croire en état d’y satisfaire, développe au prince quelques considérations générales, « dont sa pénétration, dit-il, saura d’elle-même tirer les conséquences particulières ». […] Cependant le roi Frédéric-Guillaume, son père, était au terme de sa vie et de son long règne ; atteint d’une hydropisie croissante, il ne pouvait plus aller que peu de temps ; chaque jour on attendait sa mort, et les regards, les ambitions se tournaient du côté du prince si longtemps écarté.
Paul et Victor Margueritte Cet homme qui vient de mourir, et que les jeunes gens avaient appelé durant sa vie le prince des poètes, était vraiment un prince.
Il a jugé du general avant que d’être pleinement instruit, et de la contrainte où le jettoient les ordres de son prince ou de sa republique, et des traverses que lui causoient ceux dont l’emploi étoit de l’aider, et des assistances promises et non données. […] Le prince qui a donné au general sa commission, ou bien au ministre son instruction, n’est pas aussi capable de juger de leur conduite, que l’est le public de juger des poëmes et des tableaux.
Pinto célèbre juif, le chapelain de la chapelle réformée de l’ambassadeur batave, le secrétaire de M. le prince Galitzin du rite grec, un capitaine suisse calviniste », réunis autour de la même table, échangeaient, pendant quatre heures, leurs anecdotes, leurs traits d’esprit, leurs remarques et leurs jugements « sur tous les objets de curiosité, de science et de goût ». […] On dit avec vérité de Voltaire qu’il a dans la main « son brelan de rois quatrième », Prusse, Suède, Danemark, Russie, sans compter les cartes secondaires, princes et princesses, grands-ducs et margraves qu’il tient dans son jeu. — Visiblement, dans ce monde, le premier rôle est aux écrivains ; on ne s’entretient que de leurs faits et gestes ; on ne se lasse pas de leur rendre hommage. « Ici, écrit Hume à Robertson500, je ne me nourris que d’ambroisie, ne bois que du nectar, ne respire que de l’encens et ne marche que sur des fleurs. […] Voilà les questions qui entrent dans les salons sous les auspices du roi, par l’organe de Quesnay, son médecin, « son penseur », fondateur d’un système qui agrandit le prince pour soulager le peuple, et qui multiplie les imposés pour alléger l’impôt. — En même temps, par la porte opposée, arrivent d’autres questions non moins neuves. « La France525 est-elle une monarchie tempérée et représentative, ou un gouvernement à la Turque ? […] Aucun prince n’a été plus humain plus charitable, plus préoccupé des malheureux. […] Boiteau, I, 216, souper chez Mlle Quinault la comédienne, avec Saint-Lambert, le prince de…, Duclos et Mme d’Épinay.
Résolu à ne pas se marier, afin de donner moins de gages encore à la persécution, il dispersa tous ses capitaux en rentes viagères sur des maisons nobles de France et sur des princes d’Allemagne afin d’avoir un asile partout. […] Les princes d’Allemagne se disputaient l’honneur de sa correspondance. […] Une image de la Grèce de Sapho, d’Anacréon, de Sophocle, de Platon, se retrouvait dans un coin de la Lorraine ; excepté l’impiété affichée, tout était permis par ce prince dévot, mais voluptueux, à ses courtisans. […] Il n’est que trop vrai qu’un petit nombre de boutades d’esprit, éparses çà et là dans ses lettres au roi de Prusse, à d’Alembert, à Diderot, à madame du Deffand surtout, semblent jeter quelques doutes ou quelques dédains sur la nature et sur l’immortalité de l’âme, sur la personnalité et sur la providence de cet être suprême et infini appelé Dieu, auteur de tous les êtres, sans lequel tous les êtres seraient des effets sans cause ou des existences plus irrationnelles que le néant ; mais ces crimes de la raison contre elle-même dans Voltaire sont de lâches complaisances de plume, de honteuses concessions de bon sens faites par adulation à la femme impie, au prince immoral, aux écrivains sceptiques à qui ses lettres étaient adressées. […] Le monde tend rationnellement à une indépendance mutuelle absolue de la conscience et du gouvernement, de la foi et de la loi, de Dieu et du prince.
J’ai dit qu’entre autres amusements favoris, ce prince, âgé pour lors de vingt et un ans (1749), avait, fait de ses chambres un chenil et qu’il y dressait une meutes en criant comme les chasseurs ; il n’interrompait cet exercice furieux que pour prendre son violon et en racler avec violence ; puis il revenait à ses chiens qu’il corrigeait. […] Catherine, connaissant l’humeur et l’étourderie, le mélange de faiblesse et de violence du grand-duc, et voyant éclater les premiers symptômes graves de sa désaffection à l’occasion de sa seconde grossesse, où elle accoucha d’une fille (décembre 1758), s’était à l’avance posé tous les cas, toutes les chances, et elle les énumérait ainsi : ou bien, 1°, s’attacher à lui, lier sa fortune à la sienne, quelle qu’elle fût ; ou bien, 2°, rester exposée à toute heure à ce qu’il lui plairait de disposer pour ou contre elle ; ou enfin, 3°, prendre une route indépendante de tout événement ; mais laissons-la s’exprimer elle-même : « Pour parler plus clair, il s’agissait de périr avec lui ou par lui, ou bien aussi de me sauver moi-même, mes enfants et peut-être l’État, du naufrage dont toutes les facultés morales et physiques de ce prince faisaient prévoir le danger. […] Lorsque je vins en Russie, et les premières années de notre union, pour peu que ce prince eût voulu se rendre supportable, mon cœur aurait été ouvert pour lui ; il n’est pas du tout surnaturel que quand je vis que de tous les objets possibles j’étais celui auquel il prêtait le moins d’attention, précisément parce que j’étais sa femme, je ne trouvai pas cette situation ni agréable ni de mon goût, qu’elle m’ennuyait et peut-être me chagrinait.
Rousseau banni adressait à ses protecteurs des odes composées au jour le jour, sans unité d’inspiration, et que n’animait ni l’esprit du siècle nouveau ni celui du siècle passé, en 1729, à l’hôtel de Conti, naissait d’un des serviteurs du prince un poëte qui devait bientôt consacrer aux idées d’avenir, à la philosophie, à la liberté, à la nature, une lyre incomplète, mais neuve et sonore, et que le temps ne brisera pas. […] Élève de Louis Racine, qui lui avait légué le culte du grand siècle et celui de l’antiquité, nourri dans l’admiration de Pindare et, pour ainsi dire, dans la religion lyrique, il était simple que Le Brun s’accommodât peu des mœurs et des goûts frivoles qui l’environnaient ; qu’il se séparât de la cohue moqueuse et raisonneuse des beaux-esprits à la mode ; qu’il enveloppât dans une égale aversion Saint-Lambert et d’Alembert, Linguet et La Harpe, Rulhière et Dorat, Lemierre et Colardeau, et que, forcé de vivre des bienfaits d’un prince, il se passât du moins d’un patron littéraire. […] On alla jusqu’à dire qu’il l’avait vendue au prince, et, chose fâcheuse pour le caractère de Le Brun, plusieurs ont pu le croire. — Voir son élégie infamante à Némésis, où il trouve moyen de flétrir d’un seul coup sa mère, sa sœur et sa femme !