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2453. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. de Falloux » pp. 311-316

M. de Falloux a pris plaisir à louer (en l’exagérant un peu) la part active de collaboration que M.  […] Je me rappelle avoir eu l’occasion de rencontrer alors, et dans la première semaine qui suivit, deux hommes d’État, très inégaux par l’âge, mais qui avaient pris grande part l’un et l’autre à ce qui n’était plus, et jetés tous deux de côté par la tempête ; je fus frappé de voir que si l’un, le plus jeune, était sombre, estimant tout perdu, la société s’écroulant dans l’anarchie et le monde penchant à sa ruine, l’autre (c’était M. 

2454. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXIV » pp. 247-253

La littérature est plus en vacances que jamais ; l’Académie vient de prendre les siennes en donnant sa séance solennelle où elle distribue prix de vertus et prix d’éloquence. […] , Qui prends, qu’on rie ou bien qu’on pleure, Lançant tes traits sans savoir où, Les dieux à jamais, l’homme une heure !

2455. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXVI » pp. 256-263

On ne dira pas de cette saison qu’elle a porté une grande moisson de poëtes (magnum proventum tulit) ; évidemment il faut que les dernières générations qui ont donné aient été un grand effort pour que la nature se repose ainsi ; il faut que les années d’auparavant aient tout pris, et nous finirons par croire que 1829 fait époque. […] Il a emprunté (pour ne pas dire plus) à Hoffmann, alors peu connu en France, un conte qu’il a intitulé Olivier Brousson, sans dire d’où il l’avait pris.

2456. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre I »

« L’œuvre, dit à son propos Maurice Hennequin, l’œuvre conçue comme l’intégration de notes prises au cours de la vie ou dans les livres, n’ayant, en somme, de l’auteur que le choix entre ces faits et la recherche de certaines formes verbales, possède l’impassible froideur d’une constatation. […] Ce passage de l’ordre sensitif à l’ordre intellectuel, du monde des images à celui des idées, nous pouvons le prendre sur le fait en comparant les deux séries de vocables sous lesquels un médecin, d’une part, un profane de l’autre, traduiraient les mêmes tableaux de clinique courante.

2457. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Delavigne, Casimir (1793-1843) »

L’homme de talent est propre, bien rasé, charmant, accessible à tous ; il prend chaque jour la mesure du public et lui fait des habits à sa taille ; tandis que le poète forge de gigantesques armures que les Titans seuls peuvent revêtir. […] Casimir Delavigne n’était qu’un versificateur élégant, minutieux et habile jusque dans le choix de ses sujets, qu’il prenait toujours dans l’ordre d’idées dont la vogue lui promettait un succès facile.

2458. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fort, Paul (1872-1960) »

Fort a pris à travers champs ; sa cueillette est brutale parfois, car il a pris la fleur avec la racine ; il s’est ordonné un bouquet spécieux d’un arôme rustique, où le franc parfum d’une herbe se mêle à l’odeur d’imprimé que dégage le papier dont il protège les tiges. — M. 

2459. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVI, les Érynnies. »

» — Et Prométhée leur répond : — « Les trois Parques et les Érynnies à la mémoire fidèle. » — Héraclite, cité par Plutarque, disait que « si le Soleil s’avisait de franchir les bornes qui lui sont proscrites, les Érynnies, agents de la Justice, sauraient bien lui faire rebrousser chemin. » — Dans l’Iliade, Xanthos, un des chevaux divins d’Achille, prend une voix humaine pour prédire sa mort au héros rentrant dans la guerre de Troie : mais les Érynnies, indignées de cette violation des lois naturelles, accourent aussitôt, et font taire impérieusement l’animal qui ose usurper la parole réservée aux hommes. […] On se figurait donc que les Érynnies mettaient une joie méchante à poursuivre et à torturer les coupables, et que l’habitude de verser le sang leur en avait fait prendre le goût.

2460. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1826 »

C’est un malheur sans doute ; mais, à tout prendre, nous aimons mieux un crocodile qu’un crapaud ; nous préférons une barbarie de Shakespeare à une ineptie de Campistron. […] ces écrivains confondent la routine avec l’art ; ils prennent l’ornière pour le chemin.

2461. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre cinquième. »

Jusqu’à ce mot, on croirait que l’ours est mort, ou du moins pris et enchaîné. […] Ce mot de résoudre se prenait autrefois dans le sens que lui donne La Fontaine.

2462. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

L’esprit humain, arraché imprudemment aux opinions sur lesquelles il reposait depuis tant de siècles, ne sait plus où se prendre et où s’arrêter. […] On prend la liberté de lui citer Horace, puisqu’elle rapporte souvent le texte des auteurs latins. […] Le zèle et le talent peuvent prendre des routes opposées pour arriver au même but. […] Les Indiens ne manquèrent pas de se venir prendre au doux piège. […] On lave les pieds du voyageur ; il s’assied à terre, et prend en silence le repas de l’hospitalité.

2463. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

Nous prenions alors sa persécution au sérieux. […] Il me rechercha et m’ouvrit, comme à un disciple, son cabinet de la rue d’Enfer, qui prenait jour sur les allées studieuses du Luxembourg. […] Ils prenaient leurs leçons les uns sur ses genoux, les autres autour de la table. […] Les hommes vulgaires auraient pu prendre cette physionomie pour de la laideur. […] qu’on prenne le parricide !

2464. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. » pp. 124-157

La maison touchait au cimetière de la paroisse de Notre-Dame, et prenait de ce voisinage un caractère religieux, austère ; un grand calvaire à côté dominait les humbles croix et les gazons. […] La fièvre jaune la prit, et sa fille, en un instant orpheline, n’eut plus qu’à retraverser l’Océan. […] Quelques extraits pris au hasard en donneront mieux l’idée que tout ce qu’on peut dire : ce sont des souffrances qui tiennent en partie à la même cause que celles de Sénancour (res angusta domi,) mais bien autrement Vives et poignantes, à cause des êtres chers qui y étaient enveloppés, comme aussi mainte fois consolées et adoucies de tendresse, grâce aux croyances du berceau et à un rayon d’espérance et de foi qui luisait toujours. […] Ce dernier déménagement m’a tout pris. […] » Et qui a connu Mme Valmore en ces longues années d’épreuves, qui l’a visitée dans ces humbles et étroits logements où elle avait tant de peine à rassembler ses débris, qui l’y a vue polie, aisée, accueillante, hospitalière même, donnant à tout un air de propreté et d’art, cachant ses pleurs sous une grâce naturelle et y mêlant des éclairs de gaîté, brave et vaillante nature entre les plus délicates et les plus sensitives, qui l’a vue ainsi et qui lira ce qui précède se prendra encore plus à l’admirer.

2465. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Si la conception générale à laquelle elle aboutit est une simple notation sèche, à la façon chinoise, la langue devient une sorte d’algèbre, la religion et la poésie s’atténuent, la philosophie se réduit à une sorte de bon sens moral et pratique, la science à un recueil de recettes, de classifications, de mnémotechnies utilitaires, l’esprit tout entier prend un tour positiviste. […] Selon qu’on prend la table à un moment ou à un autre, l’empreinte est différente ; et cela suffit pour que l’effet total soit différent. […] Prenons d’abord les trois principales œuvres de l’intelligence humaine, la religion, l’art, la philosophie. […] Prenons maintenant les deux principales œuvres de l’association humaine, la famille et l’État. […] Rien de plus délicat et rien de plus difficile ; Montesquieu l’a entrepris, mais de son temps l’histoire était trop nouvelle, pour qu’il pût réussir ; on ne soupçonnait même point encore la voie qu’il fallait prendre, et c’est à peine si aujourd’hui nous commençons à l’entrevoir.

2466. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Oui, j’affirme et je juge, et je prends cela sur moi, et j’y suis bien obligé. […] Norah lui en veut de n’avoir pas pris la responsabilité d’un faux commis par elle dans une intention charitable, et aussi de l’avoir toujours traitée comme une petite fille, comme une « poupée ». […] Mais je prends celui de nos romanciers qui a la réputation la mieux établie d’impassibilité et de dédain : Gustave Flaubert. […] Toutefois, comme c’est, en réalité, sa propre pensée qu’il nous traduit, on y peut prendre un vif intérêt. […] Maupassant lui-même s’attendrissait visiblement et devenait plus « grave », quand la mort vint le prendre.

2467. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

Le héron en eût fait aisément son profit : Tous approchaient du bord ; l’oiseau n’avait qu’à prendre… Voilà une description d’une délicieuse matinée de printemps avec cette même sérénité que nous avons remarquée au début de la fable de le Chêne et le Roseau, mais avec plus de grâce, plus de mollesse, plus de nonchalance. […] Vous savez que le héron dédaigne tous les poissons qu’il pourrait prendre parce que c’est un être dédaigneux, susceptible, je l’ai appelé « neurasthénique » dans une conférence précédente, et il montre un goût dédaigneux Comme le rat du bon Horace. […] La faim le prit ; il fut tout heureux et tout aise De rencontrer un limaçon. […] Les blés d’alentour mûrs avant que la nitée… Voici le récit d’une semaine à la campagne, à l’époque des blés mûrs : … avant que la nitée Se trouvât assez forte encor Pour voler et prendre l’essor, De mille soins divers l’alouette agitée S’en va chercher pâture, avertit ses enfants D’être toujours au guet et faire sentinelle. […] Il faut qu’avec notre famille Nous prenions dès demain chacun une faucille : C’est là notre plus court ; et nous achèverons Notre moisson quand nous pourrons. » Dès lors que ce dessein fut su de l’alouette : « C’est ce coup qu’il est bon de partir, mes enfants ! 

2468. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — I » pp. 395-413

Elle n’a pas seulement parlé de ses parents très à la légère et au naturel, elle s’en est pris à tout ce qui l’entourait de sots et d’ennuyeux ; elle a trahi le secret de l’intérieur des petites principautés. […] L’élévation de cœur en effet, la noblesse de sentiments qui était inhérente à sa nature et qui, dans ses mémoires, est masquée par l’esprit de plaisanterie et de satire, se prononce davantage dans les lettres : la margrave s’y montre par ses meilleures et ses plus solides qualités, non plus comme le peintre moqueur et caricaturiste de sa famille, mais bien plutôt comme une personne passionnée, aimante, et, quand il le faudra, héroïque et généreuse, dévouée à l’honneur de sa maison ; et c’est aussi par ces côtés sérieux et moins connus que nous prendrons plaisir à la dégager et à la dessiner en face de son frère. […] Pourtant cet attachement conjugal n’a pas le caractère d’une passion ; c’est plutôt son amitié avec son frère qui aurait pris ce caractère et qui serait devenue un culte, si Frédéric n’y avait porté atteinte plus d’une fois par ses inégalités et ses rudesses involontaires. […] Son caractère est sûr, et il a plus le ton de la conversation que le poète, qui, si vous y avez bien pris garde, dogmatise toujours.

2469. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Charles-Quint après son abdication, au monastère de Saint-Just »

Les vraies raisons de sa détermination finale, Charles-Quint les a dites sans arrière-pensée dans cette mémorable séance du 25 octobre 1555, tenue à Bruxelles en présence des États assemblés, lorsqu’après avoir fait faire un exposé de motifs par un de ses conseillers, il prit lui-même la parole et rendit compte de sa conduite présente en même temps qu’il résuma tout son règne, dans un discours improvisé pour lequel il s’aida de quelques notes et dont on connaît amplement la substance. […] Que si, dans ses deux dernières expéditions contre la France, il n’avait pas tout à fait réussi, il n’avait pas non plus échoué ; il n’avait pu prendre Metz, il est vrai, mais il avait fait lever le siège de Renti ; en tout ceci, il avait fait ce qu’il avait pu, « et il lui déplaisait de n’avoir pu mieux faire ». […] Même dans l’état d’exténuation où il était réduit quelques années avant son abdication, et tel qu’un ambassadeur de Henri II nous l’a décrit pendant une de ses attaques de goutte, « l’œil abattu, la bouche pâle, le visage plus d’homme mort que vif, le col exténué et grêle, la parole faible, l’haleine courte, le dos fort courbé, et les jambes si faibles qu’à grand’peine il pouvait aller avec un bâton de sa chambre jusqu’à sa garde-robe » ; même dans ce piteux état, il ne cessait de se gorger de viandes indigestes, de poissons, de saumures, de bières glacées : « Jusqu’à son départ des Pays-Bas pour l’Espagne, disait un ambassadeur vénitien, il avait l’habitude de prendre le matin à son réveil une écuelle de jus de chapon, avec du lait, du sucre et des épices ; après quoi il se rendormait. […] Il n’avait qu’un désir étroit et timide au sujet de ce fils, c’est qu’arrivé à l’âge d’homme il prît le froc et se fît moine.

2470. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire. »

Mon âme s’efforce, en composant, de prendre vos vigoureuses attitudes, et d’entrer dans la profondeur énergique de votre génie. Continuez-moi, je vous prie, les sentiments dont vous m’honorez, et soyez persuadé de la haute estime et de la reconnaissance avec lesquelles j’ai l’honneur, etc. » On s’explique assez difficilement que, sentant de la sorte ce qui lui manquait sur Shakespeare et ce que la vue de Garrick pouvait lui apprendre, lui rendre immédiatement, il n’ait pas fait cet effort de passer le détroit, et, puisqu’il n’avait pas vu apparemment le grand tragédien dans son ancien voyage à Paris, qu’il ne soit point allé l’admirer une bonne fois sur son théâtre, avant sa retraite, et, comme on dit, prendre langue avec lui. […] Autrefois, quand on prenait un livre ancien ou nouveau, on voulait être ému, touché, intéressé ; maintenant on veut être empoigné, c’est le mot. […] Turgot est au pouvoir, la vertu respire ; « les gens de bien, cette graine timide qui n’ose se montrer, peuvent maintenant sortir de terre, prendre racine et porter des fruits. » Toute cette école vertueuse et cordiale, les Sedaine, les Thomas, les Ducis, les de Belloy, se croient presque sur leur terrain à Versailles : on les voit d’ici se réjouir et se féliciter.

2471. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. Casimir Delavigne. » pp. 169-192

DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. […] Je vois devant moi les hommes qui, à des degrés divers, ont donné à la scène française son éclat et ses nuances de nouveauté depuis plus de vingt ans ; ce n’est pas devant ces juges du camp, qui ont pratiqué l’arène, ce n’est pas devant le grand poëte qui me fait l’honneur de me recevoir en ce moment au nom de l’Académie, glorieux champion dans bien des genres, et lui-même l’un des maîtres du combat, que je viendrais étaler et mettre aux prises des théories contradictoirement discutables, tour à tour spécieuses, mais qui n’ont jamais de meilleure solution ni de plus triomphante clôture que ce vieux mot d’un vainqueur parlant à la foule assemblée : Allons de ce pas au Capitole remercier les Dieux !  […] On y peut remarquer une sorte de transition à sa seconde manière ; il cherche à s’y rapprocher de plus près de la nature, à prendre son point de départ dans la réalité : ainsi, dans le Miracle, il s’inspira de la vue d’un enfant mort, qu’il avait vu entouré de cierges et paré de ses beaux habits, au moment où un jeune frère, dans sa naïve ignorance, s’approchait du mort en lui offrant un jouet. […] La population parisienne elle-même y prit sa part : elle connaissait par son nom le poëte, par ce nom amical et familier de Casimir qui disait tout pour elle, et qui circulait autour du convoi dans un murmure respectueux.

2472. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre premier. Les sensations totales de l’ouïe et leurs éléments » pp. 165-188

. — Aspect que doit prendre la sensation totale. — Elle le prend en effet. — Les caractères de grave, d’aigu, de haut, de bas, de large, d’effilé, d’uni, de vibrant, que nous trouvons dans la sensation totale, s’expliquent par l’arrangement des sensations élémentaires. […] Ils prennent des accroissements, ils subissent des diminutions, ils se combinent, ils se décomposent, sans que nous en ayons connaissance75. Ils peuvent même, comme on vient de le voir pour les sensations du son, avoir divers degrés de composition et de recul au-delà des prises de la conscience.

2473. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. L’Histoire »

L’essor que va prendre le genre historique s’annonce par les publications de documents originaux, par les collections de Mémoires et Journaux authentiques825, qui séduisent souvent les littérateurs et le public par le pittoresque des tableaux et le dramatique des événements. […] Dans tous ces petits faits, dans les plus mesquines avanies, il prenait « la forte teinte de réalité » qui devait faire l’intérêt de son ouvrage. […] On a beau se défier, se défendre : cette passion brûlante vous prend. […] quelle abondance aussi de remarques prises sur le vif, saisissantes de justesse !

2474. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Émile Zola, l’Œuvre. »

J’ai essayé de définir10 il y a un an, l’impression que faisaient sur moi, pris dans leur ensemble, les romans de M.  […] Pourtant la souffrance d’un artiste inégal à son rêve, la souffrance d’une femme intelligente et tendre qui sent que son compagnon lui devient étranger, que quelque chose le lui prend, ce divorce lent de deux êtres qui s’aimaient et qui n’ont rien, du reste, à se reprocher l’un à l’autre…, ce sont là des douleurs d’une espèce rare et délicate, des nuances de sentiments dont la notation eût été des plus intéressantes. […] Des journaux avaient pris soin de nous avertir que cette fois M.  […] Zola en prenne son parti : il ne peut pas être à la fois Zola et autre chose que Zola… Il lui restera toujours d’avoir écrit la Conquête de Plassans, l’Assommoir et Germinal, d’avoir puissamment exprimé les instincts, les misères, les ordures et la vie extérieure de la basse humanité.

2475. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. » pp. 432-452

Que si nous prenons d’autres écrits de M. de Chateaubriand, d’une date très rapprochée de celle qu’on répute la meilleure, par exemple les Mémoires sur le duc de Berry, ou encore les Études historiques, nous y retrouvons toutes les fautes de mesure et de goût qu’on peut imaginer : c’est que l’Aristarque ici lui a manqué. […] Ses Mémoires, dans leur partie politique, n’ont pas pris le temps de se calmer, de cuver leur rancune, pour ainsi dire, et d’attendre au moins, pour paraître, la parfaite tiédeur de l’avenir : ils ont gardé de la colère et de la flamme, du pamphlet. […] Et après un portrait au physique et au moral des plus vivants : Sa voix était flexible, ajoutait-il, ses modulations suivaient les mouvements de son âme ; mais, dans les derniers temps de mon séjour à Paris, elle avait pris de l’aspérité, et on y démêlait l’accent agité et impérieux des factions. […] On serait tenté un moment de le croire, et même M. de Chateaubriand va, selon moi, trop loin quand il dit : « Nous étions bien stupides sans doute, mais du moins nous avions notre rapière au vent… » Cependant je tourne la page, et je vois qu’il semble prendre fait et cause pour l’émigration : « On crie maintenant contre les émigrés, dit-il ; à l’époque dont je parle, on s’en tenait aux vieux exemples, et l’honneur comptait autant que la patrie. » Encore un coup, avons-nous affaire à l’émigré convaincu et resté croyant à son droit, ou à l’émigré qui s’appelle lui-même stupide, et qui a l’air de se moquer de tout ce qu’il a enduré alors pour la plus grande gloire de la monarchie ?

2476. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre III. Personnages merveilleux des contes indigènes »

Il y a lieu de les distinguer de ceux qui ne prennent cette forme qu’accidentellement et en vue d’un but à réaliser. […] — L’aspect véritable des guinné n’est pas connu et ne saurait l’être car — disent les Peulh — ils prennent toutes les formes qu’il leur plaît. […] Quant à sa couleur, elle est infiniment variable ainsi que les formes qu’il prend. […] Pour la faro, il y a des précautions particulières à prendre, notamment quand on passe à proximité de l’île appelée Faroti entre Mopti et Ségou.

2477. (1892) L’anarchie littéraire pp. 5-32

Même la lutte avait pris un degré de violence tel et un caractère si nettement déterminé, qu’on désignait sous le nom de décadents tous ceux qui s’attaquaient à la littérature pompière et prudhommesque où s’illustraient MM.  […] Les uns et les autres critiquent Sarcey : les Décadents, parce qu’ils le trouvent mauvais ; les Symbolistes parce qu’ils voudraient prendre sa place. » Les Symbolistes sont des poseurs, à preuve l’anecdote suivante que m’a contée un respectable bourgeois qui n’y comprit absolument rien : Un jour de l’été dernier, Léon Mateau et un poète de ses amis revenaient de la campagne où ils étaient allés, sans doute, commenter les derniers accidents de la vie d’Arthur Rimbaud. Comme ils prenaient le train pour rentrer à Paris, Mateau, au moment de monter en voilure, fit le geste d’épousseter les habits de son compagnon où quelques brindilles d’herbe se trouvaient attachées. […] C’est la nouvelle génération qui monte et qui veut prendre sa place.

2478. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édelestand du Méril »

Seulement, la chèvre et la plupart des hommes tirent sur leur corde, y mettent une ou deux fois leur dent, d’impatience, puis prennent leur parti, broutent et se couchent, tandis que les hommes de génie font des bonds magnifiques dans le rayon de leur corde, comme des lions exaspérés, et voilà l’art ! […] Quoique la science et la littérature ne soient pas intimement des amies, quel bon tour cependant ce serait de prendre Édelestand du Méril à la philologie ! […] Derrière et au-dessus de tous ces textes, fauchés, empilés, amoncelés dans ces terribles notes montantes, il était évident qu’il y avait un homme qui en valait plusieurs, — qu’il y avait un philosophe, un écrivain, et peut-être un poète dramatique ; car, pour aimer tellement l’histoire de la Comédie, il faut aimer la Comédie elle-même… L’auteur la prenait, dans une introduction d’une étreignante généralité, au plus profond de ses origines, c’est-à-dire dans la nature même de l’esprit humain, se manifestant toujours esthétiquement de la même manière : par la Poésie lyrique, l’Épopée, le Conte et le Drame. […] Il l’a marquée de tels ongles qu’elle en restera marquée et qu’il peut continuer de l’écrire et être bien tranquille : personne ne sera assez hardi et assez fort pour la lui prendre.

2479. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IX. Mémoires de Saint-Simon » pp. 213-237

Et cependant, ne nous y trompons pas, ni le talent qui est suprême en ces Mémoires, — qui va jusqu’au génie, quand il ne s’agit que de peindre, mais qui n’y va pas, quand il s’agit de juger, — ni le sujet de ce récit, grand, varié, et pour nous, les démocrates du xixe  siècle, déjà merveilleux comme une lointaine épopée, ni les hasards d’une publication qui a aiguisé le goût public et l’a fait attendre avant de le satisfaire, ni même, ce que nous ne comptions pas tout d’abord, la rareté des livres sur le siècle de Louis XIV, rareté étonnante et qui vient de la peur qu’inspirait Voltaire, lequel l’avait pris pour sa part de lion et faisait trembler d’y toucher les superstitieux de son génie, ne peuvent suffisamment expliquer l’amour que Saint-Simon, presque inconnu, presque dédaigné au xviiie  siècle, a trouvé tout à coup parmi nous. […] Peu soucieux, d’ailleurs, de se contredire et de se prendre honteusement dans sa propre inconséquence, Saint-Simon ne craignit pas d’écrire que cet esprit foncièrement médiocre était capable de « se former et de s’élever…, qu’il voulait l’ordre et la règle…, qu’il était né sage, modéré, maître de ses mouvements et de sa langue, et le croira-t-on ? […] Il ne prenait point la femme d’autrui. […] la faute en est à Saint-Simon, et c’est lui qui prendra à sa charge la responsabilité d’une injustice presque universelle.

2480. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Jean Richepin »

Le talent tourne sur lui-même au lieu de s’élever au-dessus de lui-même, et c’est ce que je voudrais empêcher· Je voudrais que la Critique sauvât le talent en péril d’un jeune homme qui me semble fait pour aller aux astres, comme disaient magnifiquement nos pères, mais à la condition de purifier ses ailes de l’imitation, cette glu qu’il prend peut-être pour une gomme d’or. […] Mais ce n’est point dans ces partis pris de jeune homme qu’est le talent du poète de La Chanson des Gueux. […] Mon impression fut excessivement vive quand je lus le livre d’enfilée, et l’enthousiasme me prit au point que j’eus besoin de réflexion et d’une seconde lecture pour en apercevoir les défauts. […] Je dis que la Critique — la Critique littéraire, bien entendu, et non la Critique morale, qui n’a que faire ici, — peut prendre ce livre et l’écailler comme on écaille un poisson, et le racler du fil de son couteau et en retrancher, couche par couche, tout ce qui déshonore littérairement une telle œuvre, c’est-à-dire le gongorisme effréné, l’atroce mauvais goût, les bassesses ignobles et malheureusement volontaires d’expression, l’haleine des pires bouches, enfin tous les défauts dont l’auteur a fait comme à plaisir d’immondes vices, il restera et on trouvera, sous tout cela et malgré tout cela, un énorme noyau de poésie, résistant et indestructible, qui brillera de sa propre lueur dans l’histoire littéraire d’un siècle qui a des poètes comme Hugo, Vigny, Musset, Baudelaire et Lamartine, le plus grand de tous !

2481. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIII. »

Quand la France se soulevait de sa base antique pour repousser les armées étrangères, quand le cri d’alarme avait retenti du Nord au Midi, sous les flammèches qui sortaient de toutes les bouches, le feu prit au cerveau d’un jeune conscrit ; et, dans une nuit, il fit ce chant de la Marseillaise, dont les paroles, la musique et l’action sur les champs de bataille peuvent nous dire ce qu’était la poésie grecque. […] Ce qu’il y avait, par moment, d’énergique grandeur était trop mêlé de mal et de crime pour laisser à la pensée son pur éclat poétique : une fureur turbulente et souvent factice en prit la place, et parut en avoir la puissance. […] « Ô vous, bruyantes vagues et vous, hautes forêts, et vous, nuages, qui prenez votre essor si loin au-dessus de moi ; toi, soleil levant, toi, ciel bleu qui charmes les regards, toute chose, enfin, qui êtes et qui voulez être libres, rendez-moi témoignage, où que vous soyez, et dites de quel culte profond j’ai toujours adoré le génie de la divine liberté ! […] Déjà le bruissement des arbres annonce une pluie, à la suite de la brise ; les flammèches d’un ciel d’été ont pris une teinte plus profonde et plus rouge : la lampe qui là-bas tremblote sur le fleuve projette de notre cabine son rayon vers nous ; et il nous faut reposer de bonne heure, pour trouver au réveil le vent salubre du matin.

2482. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — I » pp. 93-106

Dans ses lettres à M. de Kergorlay on le voit de bonne heure tracer le plan de sa vie, s’assigner un but élevé et se confirmer dans la voie dont il n’a jamais dévié : « À mesure que j’avance dans la vie, écrivait-il (6 juillet 1835) âgé de trente ans, je l’aperçois de plus en plus sous le point de vue que je croyais tenir à l’enthousiasme de la première jeunesse : une chose de médiocre valeur, qui ne vaut qu’autant qu’on l’emploie à faire son devoir, à servir les hommes et prendre rang parmi eux. » Il est déjà en plein dans l’œuvre politique, au moins comme observateur et comme écrivain, et malgré tout, en présence du monde réel, il maintient son monde idéal ; il se réserve quelque part un monde à la Platon, « où le désintéressement, le courage, la vertu, en un mot, puissent respirer à l’aise. » Il faut pour cela un effort, et on le sent dans cette suite de lettres un peu tendues, un peu solennelles. […] Entre tout lire et ne rien lire dans cette immense littérature de la Révolution, quel parti prendre, se demande-t-il, à quel point intermédiaire s’arrêter ? […] Je ne suis pas sans m’étonner moi-même de la liberté que je prends de marquer ainsi mes réserves et mes limites d’éloge en parlant d’un homme si fait pour commander l’estime.

2483. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. »

Mais, encore une fois, on risque de se perdre un peu dans cette quantité d’étoiles, et il n’est pas sȗr, avec la meilleure volonté du monde, de prendre le rôle de démonstrateur. […] Pour plus d’éclaircissement, je prendrai un exemple dans un genre voisin et fraternel : s’il en était en ceci de la peinture comme de la poésie, si la quantité de nouveaux peintres et paysagistes qui se produisent chaque année n’arrivait pas aux yeux du public, s’ils restaient chacun avec son œuvre à l’ombre de son atelier, combien ils auraient lieu de se plaindre de cette condition ingrate, de cet isolement, de ce manque de place et de lumière au soleil ! […] Après avoir chanté dans sa jeunesse des refrains qu’ont répétés les échos de l’Helvétie, il a pris, en vieillissant, une vocation de plus en plus prononcée pour la poésie intérieure et morale.

2484. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

Il en fit donc beaucoup à propos de Pascal, et ce genre d’examen l’ayant initié à des manuscrits du xviie  siècle, il en vint un jour à prendre flamme sur Mme de Longueville et sur toutes ces autres dames de la société polie de ce temps-là, dont il nous a rendu des portraits flattés, de brillantes et un peu solennelles histoires. […] « Nous avions été tellement liés, dans un temps déjà bien ancien, que malgré la rupture à la suite de procédés qu’il est mieux d’ensevelir, nous nous remettions irrésistiblement à chaque rencontre, — et l’Académie les faisait fréquentes, — à causer presque comme auparavant, à discuter, à nous prendre à témoin sur des points communs. […] Elle eut de nobles amitiés auxquelles elle resta fidèle, et elle offrait ce caractère singulier que la raison se mêlait chez elle au cœur sans l’étouffer, sans pourtant lui laisser prendre jamais le dessus.

2485. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Chants du crépuscule (1835) »

C’est bien exactement une trompette qu’on prend ou qu’on laisse. […] Hugo a bien mieux apprécié l’auteur des sonnets et sa forme élégamment ciselée ; mais, par suite du défaut signalé tout à l’heure, il s’est glissé, dans les vingt-deux vers consacrés à la louange du mélodieux amant de Laure, deux mots criards qui rompent toute l’harmonie du ton : Je prends ton livre saint qu’un feu céleste embrase. […] Littérairement, ces pièces finales, prises en elles-mêmes, sont belles, harmonieuses, pleines de détails qui peuvent sembler touchants.

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