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463. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 46, quelques refléxions sur la musique des italiens, que les italiens n’ont cultivé cet art qu’après les françois et les flamands » pp. 464-478

Despreaux auroit pû dire de l’actrice qui faisoit le personnage d’Iphigenie dans l’opera de Duché il y a vingt et un ans, ce qu’il a dit de l’actrice qui faisoit le personnage dans la tragédie de son ami.

464. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « ??? » pp. 175-182

Le Zélislas du Blessé de Novare est, malgré son rang et ses habitudes, un personnage assez vulgaire, et dont un artiste qui pense ne pouvait tirer parti qu’en forçant son genre d’individualité. […] Tel est pourtant le personnage principal autour duquel le roman va tourner, emportant deux mondes, l’Europe et l’Asie ; car une partie de l’action se passe aux Indes.

465. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — IV »

Ces jeunes gens exténués et intimidés qui se pressent de ville en ville pour passer l’examen de Saint-Cyr, leurs parents qui attendent, leurs professeurs qui les recommandent, le recteur chez qui l’on dîne, le préfet et les magistrats avec qui on échange quelques considérations, tous ces personnages, M.  […] Seulement, comme il n’est point un dessinateur, ni un poète, ni un romancier, mais qu’il est un philosophe sociologue, le personnage qu’il nous présente diffère de Joseph Prudhomme, du « philistin » des romantiques, et de Homais ; il nous fait voir le fonctionnaire français, ou l’administré français, tout domestiqué par « l’esprit fonctionnaire », mais à des traits certains nous reconnaissons dans le type qu’il nous détaille un frère des grandes caricatures romantiques.‌

466. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

On ne les aperçoit pas à la façon des personnages idéaux, reculés dans une antiquité lointaine, ou confinés dans un ciel supérieur. […] La vie, ainsi entendue, devient un désert. — Regardez colle du personnage le plus envié, le premier de tous, ce monarque dont les titres emplissent trois pages. […] C’est parce que les sénateurs sont nommés par les législatures de chaque État, qu’ils sont des personnages éminents. […] Pareillement il y avait en lui deux personnages dans les affaires de cœur. […] Il a de la verve, la verve de la jeunesse ; la plupart de ses débuts sont heureux ; dès la première page, au moyen d’une anecdote, il met son personnage en scène.

467. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

On peut ne pas se rendre compte entièrement de soi à soi-même, mais on aime à comprendre et à ramener à l’unité les actions ou les pensées d’un personnage représenté dans une œuvre d’art ; et de fait tous les grands types dramatiques, en dehors de quelques bizarreries voulues chez Hamlet, sont des caractères bien arrêtés, de véritables doctrines vivantes. […] En réalité, il va deux genres de détails caractéristiques : le premier traduit les sensations et émotions ressenties ou pouvant être généralement ressenties par tout le monde ; le second traduit les sensations et émotions d’un personnage donné, dans un état passionnel donné. Or, en une certaine mesure, chacun de nous est tout le monde, aussi longtemps du moins qu’il demeure en l’état de calme ; et le personnage d’un drame aussi est tout le monde à moins de personnalité par trop marquée. Donc toutes les fois que l’écrivain fait une description, soit à côté du personnage, soit par les yeux de ce personnage dont l’esprit est en repos, il ne se sert que de détails caractéristiques impersonnels. […] Il peut y avoir quelque chose de contradictoire à vouloir que le lecteur ressente sympathiquement la passion d’un personnage et à ne pas le mettre vis-à-vis du monde extérieur dans la même situation que le personnage lui-même, à distraire son regard par une foule d’objets que l’autre ne voit pas ou ne remarque pas.

468. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Il y a une telle discordance entre le rang ordinaire des personnages et le ton qu’ils prennent, entre leurs fonctions traditionnelles et les rôles qu’ils usurpent, qu’il en résulte une série de scènes burlesques, de contrastes comiques au premier chef. […] Si tels sont « les maîtres du chœur », on peut deviner ce qu’il advient des autres grands personnages du temps. […] Un libelle s’avisa de mettre en vers cette malencontreuse harangue, si bien qu’un plaisant déclara que de la sorte elle aurait la rime à défaut de la raison ; Il n’est pas étonnant qu’avec un pareil personnage les affaires les plus graves tournent au grotesque. […] Et cependant Jean de Meung, qui l’a continué, a fidèlement conservé l’allégorie et les personnages imaginés, par Guillaume de Lorris, qui l’a commencé ; seulement il les a animés d’un esprit différent. […] Car le duc de Guise était un des plus grands personnages de son temps, avec des talents supérieurs auxquels il ne manqua que d’oser pour commencer dès lors la quatrième dynastie.

469. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

À cette conception simpliste et qui fige les personnages dans un rôle arrangé après coup, M.  […] Non seulement, dans ce théâtre, l’antithèse oppose un personnage à un autre, mais dans un même personnage elle oppose les sentiments à la condition et un trait de caractère à un autre trait de caractère. […] Sitôt qu’on songe à un personnage, il apparaît. […] Il va sans dire que le mari y jouera un sot personnage et ne cessera d’être ridicule que pour devenir odieux. […] On comprend que la confection d’un tel personnage ait été laborieuse.

470. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DES MÉMOIRES DE MIRABEAU ET DE L’ÉTUDE DE M. VICTOR HUGO a ce sujet. » pp. 273-306

Je n’ai pas la prétention de juger ici en quelques mots un personnage comme Bonaparte, qui offre tant d’aspects, et dont la venue a introduit dans le monde de si innombrables conséquences ; mais pour rester au point de vue qui m’occupe, j’oserai dire qu’il est l’homme qui a le plus démoralisé d’hommes de ce temps, qui a le plus contribué à subordonner pour eux le droit au fait, le devoir au bien-être, la conviction à l’utilité, la conscience aux dehors d’une fausse gloire. […] C’est que presque toujours les personnages qu’on s’est habitué à considérer d’après des types fantastiques et de convention, ou d’après les statues historiques qu’on leur a dressées, s’y montrent à nous sous un autre jour plus intérieur et souvent satisfaisant, meilleurs d’ordinaire que leur renommée, bons, ou tâchant par moments de l’être, avec leurs doutes, leurs variations, leurs infirmités, étant des nôtres à beaucoup d’égards, et, comme tels, des moules à imperfections et à sentiments contraires et sincères. […] C’avait été, jusqu’à cette heure, le grand et inépuisable document où les biographes avaient fouillé pour reconstruire la vie privée antérieure de ce personnage toujours orageux. […] Lucas-Montigny ne se soit grossi les inconvénients de certains détails nouveaux, et que ses idées sur la dignité du genre n’aient ajouté un peu trop de rigueur à sa louable morale « Nous pourrions, dit-il, donner une relation très-circonstanciée de l’emploi du temps passé follement aux Verrières, de la route suivie par les deux amants quand il se furent décidés à s’éloigner, de tous les accompagnements de cet acte de démence et de désespoir ; mais un tel récit serait mélangé d’incidents scandaleux que nous rejetterons toujours, parce qu’ils sont indignes de l’histoire, parce qu’ils la dégradent, parce que même ils la font mentir, puisqu’elle doit peindre les grands faits et non les passagers accidents de la vie des personnages dont elle s’occupe, les traits saillants de leur physionomie et non les difformités secrètes. » De telles maximes crûment énoncées par un biographe sont elles-mêmes la critique la plus sévère du procédé qu’il suit : nous ne nous arrêterons pas à les réfuter. […] Mais leur vêtement habituel idéalisé, les traits rassemblés de leur physionomie, leur pose, leur allure, se joignent étroitement à l’idée et font revivre, en le rehaussant, le personnage.

471. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre IV. Racine »

A l’ordinaire, une tragédie de Racine est un fait, abondamment nécessité par les caractères des personnages : chacun d’eux étant posé au début dans une situation, sous une certaine pression, le conflit de leurs sentiments remplit les cinq actes, jusqu’à ce qu’il détermine un unique et irrémédiable fait, le dénouement. […] Étudiez Phèdre, la grande passionnée : amour, pudeur, espoir, honte, remords, jalousie, repentir, il n’y a rien, dans ce rôle si riche, qui soit donné simplement comme modification sentimentale de l’être intime ; tout est évalué comme quantité d’énergie, produisant un certain travail, pour éloigner ou approcher tour à tour le personnage d’une action irréparablement bonne ou mauvaise. […] Les personnages de Racine sont plus près de nous que ceux de Corneille : du moins, il nous le semble, quoique peut-être les grandes passions ne soient guère moins rares que les grandes volontés. […] Autour de ces deux personnages, Burrhus, un honnête homme, dans une situation fausse, assez souple pour être vivant, et un coquin, Narcisse, bas, plat, intrigant, qui joue de son maître à merveille en semblant lui obéir. […] Et, pour doubler l’audace de la peinture, imaginez que ce prophète découvre les crimes futurs de Joas, et risque de rendre odieux le personnage sympathique : faute insigne pour un dramaturge adroit, trait admirable de vérité profonde et de large poésie, qui jette soudainement une vive lumière sur la sinistre histoire de Juda, et sur le triste, le pauvre fond de notre humanité.

472. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Octave Feuillet »

Il y a de l’agrément parfois, des situations et des personnages découpés pour entrer dans une pièce de théâtre, qu’on appellera une jolie pièce. […] Les personnages de son roman et lui ne font qu’un. […] Ses personnages (quelques-uns il est vrai) ont été spirituels et touchants, mais d’un touchant qui ne va pas jusqu’au pathétique et d’un esprit qui n’est pas l’éclatant de Beaumarchais et de Sheridan ! […] Seulement, il fallait grandir ces personnages. […] » et qui se tourne en hennissant vers Paris, l’abreuvoir de toutes les soifs de son âme, — ce vis-à-vis se serait enflammé des passions des deux personnages, nature et plus grands que nature, — car il faut faire, dans les romans, plus grand que nature, contrairement aux basses théories de la littérature d’à présent !

473. (1773) Discours sur l’origine, les progrès et le genre des romans pp. -

On compte même parmi les Romanciers de cette capitale du monde, beaucoup de ses principaux personnages : des Préteurs, des Pro-Consuls, des Consuls, & même des Empereurs. […] Paméla, Clarice, Grandisson, &c. sont des cours de morale pratique à l’usage de tous les états : on y voit figurer des acteurs de toute condition, c’est-à-dire que nul rang n’y est dédaigné ; motif d’intérêt d’autant plus sûr qu’il rapproche du plus grand nombre des Lecteurs les personnages qui doivent les intéresser. […] Là sont décrits fort longuement les exploits sur-naturels des Roland, des Renaud, & de tant d’autres fameux personnages dont l’histoire fait à peine mention. […] Si l’on trouve quelque langueur dans l’expression des sentiments, il faut se rappeller que les Héros de ce livre sont des personnages paisibles qui ont souvent occasion de se dire les mêmes choses, & qui croient ne se les être jamais assez dites. […] J’ai puisé mes principaux personnages dans une sphere qui semble être d’abord des plus communes.

474. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

Il représente une adoration des mages, avec des personnages de grandeur nature. […] Ses personnages sont là, aussi vivants que si nous les avions connus. […] De ses personnages il a la tenue sociale et morale, et, pour tout résumer d’un mot, cette fois plus simple et bien français : le ton. […] La classe la plus abondante, semble-t-il, est celle des souvenirs écrits par des personnages mêlés à d’importants événements et qui survivent à leur œuvre. […] Est-ce un hasard qui a rassemblé au bas de cet escalier ces cinq personnages, tous supérieurs, mais si différents de gloire et de destinée ?

475. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Ses personnages vivent. […] Il s’ensuit que dans ses romans le personnage principal est vrai, et tout le reste conventionnel. […] Les personnages y sont d’un pays qui n’est nullement géographique. […] Ses personnages sont d’une bonté charmante. […] Mais que de personnages encore il peut prendre, et que de chemins ouverts !

476. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Le président Hénault. Ses Mémoires écrits par lui-même, recueillis et mis en ordre par son arrière-neveu M. le baron de Vigan. » pp. 215-235

Il eut pour condisciples et pour amis de collège quantité de fils de famille qui devinrent depuis des personnages, et avec qui il resta lié. […] Nous avons vu de nos jours de ces hommes d’esprit, témoins de tout, consultés sur tout, qui faisaient au besoin les mots spirituels des grands jours et des circonstances d’apparat ; qui écrivaient sous main les discours, les déclarations solennelles, et quelquefois rédigeaient des chartes : ces hommes-là ont trop vu, trop regardé la tapisserie par l’envers ; ils ne prennent les choses ni les personnages bien au sérieux, et ne s’y prennent pas trop eux-mêmes ; éclairés d’ailleurs, serviables, indulgents, d’un amour-propre aussi commode que d’autres l’ont ombrageux et cruel. […] Or, dans les Mémoires du président tels qu’on nous les donne il est dit (p. 203) : « Le contrôle général fut donné à M. de Suselly, si connu par ses grands talents et par etc., etc. » Suit tout un portrait de ce nouveau personnage historique, M. de Suselly, auquel s’entremêle bizarrement et d’une manière inintelligible le nom de M. de Séchelles (p. 204) comme d’un personnage distinct, lorsque ce dernier nom est plus lisible sur le manuscrit.

477. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — II » pp. 126-147

L’honnête personnage se doutait bien que depuis qu’il s’était fait poète, il s’était passé quelque chose de nouveau, et il sentait que le vide avait redoublé autour de lui. […] Ce personnage a fait vœu de traduire tous les vers latins anciens, et a presque déjà accompli son vœu, n’ayant pardonné ni à Plaute, ni à Lucrèce, ni à Catulle, Tibulle, Properce, ni à Horace, ni à Virgile, ni à Lucain, ni à Perse, ni à Juvénal, ni à Martial, ni à Stace même, comme vous avez vu. […] Qu’on se représente bien la situation vraie et le lieu de chaque personnage. […] Il mourut à Paris le 6 mars 1681, à l’âge de quatre-vingt-un ans ; il fut inhumé, en personnage illustre, dans l’église de Saint-Sulpice, avec une belle épitaphe très en vue, et un médaillon en marbre blanc contenant son portrait et surmonté d’un génie pleurant qui tient son flambeau renversé.

478. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

Les personnes qui l’ont particulièrement connu ont retrouvé dans ces premiers essais de sa nature et dans ces premiers jeux de sa destinée les indices déjà prononcés de ce qu’elles avaient tant de fois observé en lui ; la ressemblance du personnage avec lui-même a paru fidèle, bien qu’à certains égards peu flatteuse. […] Mais, en général, un certain genre de position fausse n’était pas assez insupportable à Benjamin Constant ; on en retrouverait trace, avec plus ou moins de variantes, en d’autres circonstances de sa vie, et le contre-coup de cette mauvaise habitude se fit bien péniblement sentir à l’extrémité de sa carrière, lorsque, dans ses derniers jours, il subit l’inconvénient, lui, homme d’opposition, de ne pas se trouver en règle avec un personnage auguste encore plus obligeant que M.de Charrière, et qui ne lui demandait pas de billet. — Puisque M.de Loménie a contesté si fort notre premier comme ntaire sur le Qu’est-ce que la dignité ? […] Quand un personnage public passe sa vie dans le monde et dans les salons, ce qu’il y dit soir et matin est tout aussi authentique que le discours écrit qu’il apporte une fois par mois à la tribune. […] Pline le Jeune a écrit une très-belle lettre92 sur l’indulgence qui n’est qu’une partie de la justice, et il cite un mot habituel de Thraséas, ce personnage à la fois le plus austère, dit-il, et le plus humain : Qui vitia odit, homines odit, voulant faire entendre que pas un de nous n’est hors de cause, et que la sévérité qu’on témoigne contre les défauts passe trop aisément à la haine même des hommes.

479. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Quand d’un auteur, d’un personnage, même excellent, il en a assez, il n’en veut plus. […] On est donc heureux quand on retrouve ce premier portrait chez les personnages voués depuis à la célébrité, et quand un hasard imprévu nous vient révéler ce qu’ils furent précisément au moment unique et choisi, en cette fleur, en cette heure ornée, comme disait la Grèce : dans tout le reste de notre vue sur eux, il y a plus ou moins anachronisme. […] Elle a beaucoup parlé dans ses Mémoires de La Blancherie, manière d’écrivain et de philosophe qui tomba assez vite dans la fadaise et même dans le courtage philanthropique ; elle le juge de haut, et, après quelque digression avoisinante, elle ajoute lestement en revenant à lui : Coulons à fond ce personnage. […] La jeune héroïne, que j’ai comparée plus haut à un personnage de la Nouvelle Héloïse, était devenue très-semblable à quelque amante de Corneille quand elle songeait au vertueux et sensible absent.

480. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

Ses personnages ne vivaient pas à la cour, mais aux champs et dans les étables, et on lui pardonnait de se faire fermier, et de savoir le nom rustique des bêtes, de dire la bique, le loquet, de peindre bravement la cuisine, « le tripotage des mères et des nourrissons », et plus intrépidement encore les habits de ses personnages, « le jupon crasseux et détestable d’une misérable vieille. » Il fait entendre les « pétarades » du cheval. […] Il est comme un acteur dont tout le talent et tout l’effort sont de disparaître sous le personnage qu’il représente. […] Qu’on réserve l’alexandrin pour le drame et la tragédie, à la bonne heure : les personnages parlent d’un ton sérieux et soutenu.

481. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Procès de Jeanne d’arc, publiés pour la première fois par M. J. Quicherat. (6 vol. in-8º.) » pp. 399-420

En un mot, on se pose, bon gré, mal gré, cette question : Jeanne d’Arc peut-elle s’expliquer comme un personnage naturel, héroïque, sublime, qui se croit inspiré sans l’être autrement que par des sentiments humains ? […] Celui-ci repartit en vrai soudard : « Je voudrais donc bien qu’il y en eût un de moi (ergo ego vellem tibi facere unum), puisque ce seront personnages de si grande marque, et je m’en trouverais mieux dans l’avenir. » À quoi elle répondit railleusement : « Gentil Robert, nenni, nenni, il n’est pas temps ; le Saint-Esprit y ouvrera (pourvoira). » Je douterais de la conversation, n’était cette dernière réplique, qui est trop spirituelle pour que Baudricourt, qui la racontait, l’eût trouvée tout seul, et qui n’a pas l’air d’avoir été inventée. […] L’auteur, comme toujours, pousse à l’effet, il force les couleurs, il fait grimacer les personnages qui interviennent, il badine hors de propos ; il se fait gai, vif, fringant et pimpant contre nature ; il dramatise, il symbolise. […] Michelet a bien saisi la pensée même du personnage, qu’il a rendu avec vie, avec entrain et verve, le mouvement de l’ensemble, l’ivresse de la population, ce cri public d’enthousiasme qui, plus vrai que toute réflexion et toute doctrine, plus fort que toute puissance régulière, s’éleva alors en l’honneur de la noble enfant, et qui, nonobstant Chapelain ou Voltaire, n’a pas cessé de l’environner depuis.

482. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Mémoires du cardinal de Retz. (Collection Michaud et Poujoulat, édition Champollion.) 1837 » pp. 40-61

On peut observer comme dans ses Mémoires, où il parle de lui-même avec si peu de déguisement, il emploie perpétuellement ces expressions et ces images de théâtre, de comédie ; il considère le tout uniquement comme un jeu, et il y a des moments où, parlant des principaux personnages avec qui il a affaire, il s’en rend compte et en dispose absolument comme un chef de troupe ferait pour ses principaux sujets. Dans une des premières scènes de la Fronde, au Parlement (11 janvier 1649), racontant la manière dont il fait enlever le commandement des troupes au duc d’Elbeuf pour le faire décerner au prince de Conti, il montre M. de Longueville, puis M. de Bouillon, puis le maréchal de La Mothe, entrant chacun l’un après l’autre dans la salle, et recommençant, chaque fois, à déclarer leur adhésion au choix du prince de Conti et à y donner les mains en ce qui les regardait : « Nous avions concerté, dit-il, de ne faire paraître sur le théâtre ces personnages que l’un après l’autre, parce que nous avions considéré que rien ne touche et n’émeut tant les peuples, et même les compagnies, qui tiennent toujours beaucoup du peuple, que la variété des spectacles. » Dans tous ces passages, Retz se montre ouvertement dans ses récits comme un auteur ou un impresario habile, qui monte sa pièce. […] Avec tout personnage historique, il faut s’attaquer d’abord aux grands côtés ; je ne sais si j’aurai le temps de marquer chez Retz toutes les faiblesses, toutes les infirmités, toutes les hontes même, et de les flétrir ; mais je me reprocherais de n’avoir pas dès l’abord désigné en lui les signes manifestes de supériorité et de force, qui enlèvent l’admiration quand on l’approche, et quoi qu’on en ait. […] C’est à ce moment aussi qu’en artiste qu’il est la plume à la main, se considérant comme sorti du préambule et du vestibule de son sujet, il se donne carrière, et, tandis qu’il n’avait dessiné jusque-là les personnages que de profil, il les montre en face et en pied, comme dans une galerie ; il ne fait pas moins de dix-sept portraits de suite, tous admirables de vie, d’éclat, de finesse, de ressemblance, car l’impartialité s’y trouve même quand il peint des ennemis.

483. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre I. La demi-relativité »

Un personnage attaché au système S, apercevant S′ et fixant son attention sur une seconde d’horloge de S′ au moment précis du dédoublement, verrait la seconde de S s’allonger sur S′ comme un fil élastique qu’on tire, comme un trait qu’on regarde à la loupe. […] Le personnage en O a envoyé au personnage en A un rayon de lumière destiné à lui revenir aussitôt. […] Maintenant que S′ s’est détaché de S par l’effet du dédoublement, le personnage intérieur à S′, qui ne se sait pas en mouvement, laisse ses horloges Hₒ′, H₁′, H₂′…, etc., comme elles étaient ; il croit à des simultanéités réelles quand les aiguilles indiquent le même chiffre du cadran.

484. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

Nul en ce siècle ne l’a égalé pour ces conceptions détaillées et compréhensives qui, ordonnant en vue d’un but unique les passions de trente personnages, enchevêtrent et colorent les fils innombrables de toute la toile pour faire ressortir une figure, une action et une leçon. […] C’est avec eux qu’il compose ses premiers personnages. […] Si les gens réfléchis comme Allworthy restent effacés dans un coin de sa vaste toile, les personnages instinctifs comme Western s’y détachent avec un relief et un éclat qu’on n’a point vus depuis Falstaff. […] Ils notent exactement les particularités de l’individu et les marquent d’une empreinte si précise que leur personnage devient un type que l’on n’oublie plus. […] En effet ses personnages sont aussi déraisonnables que lui-même.

485. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

Cette honnêteté, qui se produit sans emphase, qui brille dans le caractère des personnages et dans toutes leurs paroles, semble couler naturellement de l’âme de l’auteur ; une versification nette, correcte, élégante, y sert d’ornement ; quelques personnages assez gais et plus actifs, jetés dans ce monde d’honnêtes gens, relèvent la douceur des tableaux.

486. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre V »

Mais ils n’y sont point, au hasard, semés ; toujours ils paraissent en des endroits d’érudition factice ; c’est-à-dire quand l’entrée ou le discours d’un personnage pédant lui-même, les excuse, les nécessite. […] Ils ne hasardent le terme technique que lorsque le milieu, l’atmosphère où ils placent leurs personnages dolents, l’appelle et l’exige.

487. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre III. Ce que c’est que le Romanticisme » pp. 44-54

La comédie romantique d’abord ne nous montrerait pas ses personnages en habits brodés ; il n’y aurait pas perpétuellement des amoureux et un mariage à la fin de la pièce ; les personnages ne changeraient pas de caractère tout juste au cinquième acte ; on entreverrait quelquefois un amour qui ne peut être couronné par le mariage ; le mariage, elle ne l’appellerait pas l’hyménée pour faire la rime.

488. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « A Monsieur Naigeon » pp. 9-14

Si l’on n’entend que moi, on me reprochera d’être décousu, peut-être même obscur, surtout aux endroits où j’examine les ouvrages de Sénèque ; et l’on me lira, je ne dis pas avec autant de plaisir, comme on lit les Maximes de La Rochefoucauld, et un chapitre de La Bruyère : mais si l’on jette alternativement les yeux sur la page de Sénèque et sur la mienne, on remarquera dans celle-ci plus d’ordre, plus de clarté, selon qu’on se mettra plus fidèlement à ma place, qu’on aura plus ou moins d’analogie avec le philosophe et avec moi ; et l’on ne tardera pas à s’apercevoir que c’est autant mon âme que je peins, que celle des différents personnages qui s’offrent à mon récit. […] Quand on ne présente sur la toile qu’un seul personnage, il faut le peindre avec la vérité, la force et la couleur de Van Dyck ; et qui est-ce qui sait faire un Van Dyck ?

489. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Lépicié » pp. 275-278

Tout à fait sur le fond, autour de ce grotesque personnage et derrière son officieux camarade, des têtes de satellites épouvantés. […] Il faut voir le froid de tous ces personnages ; le peu d’esprit et d’idées qu’on y a mis, la monotonie de cette scène, et puis cela est peint gris et symmétrisé.

490. (1767) Salon de 1767 « De la manière » pp. 336-339

Tout personnage qui semble vous dire : " voyez comme je pleure bien, comme je me fâche bien, comme je supplie bien ", est faux et maniéré. Tout personnage qui s’écarte des justes convenances de son état ou de son caractère, un magistrat élégant, une femme qui se désole et qui cadence ses bras, un homme qui marche et qui fait la belle jambe, est faux et maniéré.

491. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 33, de la poësie du stile dans laquelle les mots sont regardez en tant que les signes de nos idées, que c’est la poësie du stile qui fait la destinée des poëmes » pp. 275-287

Il ne doit les emploïer que pour faire parler Chrémes , lorsque ce personnage entre pour un moment dans une passion tragique. […] Un poëte mediocre peut à force de consultations et de travail faire un plan regulier, et donner des moeurs décentes à ses personnages ; mais il n’y a qu’un homme doué du genie de l’art qui puisse soutenir ses vers par des fictions continuelles, et par des images renaissantes à chaque periode.

492. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 1, du génie en general » pp. 1-13

La ressemblance des idées que le poëte tire de son génie, avec les idées que peuvent avoir des hommes qui se trouveroient être dans la même situation où ce poëte place ses personnages, le pathetique des images qu’il a conçûës avant que de prendre la plume ou le pinceau, font donc le plus grand mérite des poëmes, ainsi que le plus grand mérite des tableaux. […] Ils ont mis en oeuvre les beautez d’execution, afin de nous prévenir en faveur de leurs personnages, par l’élegance de leur extérieur, ou par l’agrément de leur langage.

493. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre IV. Personnages des fables. »

Personnages des fables. […]Personnages non merveilleux des fables et des contes. — Les professions mises en scène. — But des fables indigènes. — Sont-ce des satires sociales ? 

494. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

Souffrir des imperfections dans un personnage épique, c’était manquer de jugement. […] Le beau mérite qu’a eu Térence de faire parler ses personnages selon la nature ! […] Une idée trop étroite de l’unité du caractère, dans les personnages épiques, semble avoir caché à Boileau et à Perrault le véritable Achille. […] Chaque personnage a le sien. […] Le jugement en gros sur ces deux personnages, Et ce fut de moi qu’il partit, C’est que l’un cherche à plaire aux sages, L’autre veut plaire aux gens d’esprit.

495. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — IV. La Poësie dramatique. » pp. 354-420

Les admirateurs des sentimens héroïques, les ames grandes, ambitieuses, sublimes & romaines, ne veulent au théâtre que des personnages élevés & susceptibles uniquement d’être remués par des intérêts puissans. […] Dans l’Hécyre de Térence, il n’y a qu’un personnage qui fasse rire, & même il ne paroît qu’à la fin ; tous les autres excitent des larmes : on en répand aussi à la comédie de l’Andrienne. […] Il condamne les tragédies où l’on substitue aux rois, & à des personnages illustres, de simples bourgeois ; où l’on veut introduire, parmi des hommes du commun, le même sérieux & le même air de dignité qu’on remarque dans les véritables tragédies. […] Elle fait un mérite à quelques-uns de ses plus saints personnages d’avoir dansé au son du tambour. […] Ils intéressent au mensonge, à la ruse, aux fourberies : ils mettent l’honneur en parole & le vice en action ; ils attirent tous les applaudissemens au personnage le plus adroit, & rarement au plus estimable.

/ 1910