Je n’y ai oublié qu’une chose, c’est le fil, seconde tentative et pis encore que la première ; maintenant j’en suis à ma troisième : il est pourtant temps de réussir ou de se jeter par la fenêtre51. » Quand enfin il a réussi, avec Madame Bovary, il reprend triomphalement son image du collier de perles : « Les perles composent le collier, mais c’est le fil qui fait le collier, or enfiler les perles sans en perdre une seule et toujours tenir le fil de l’autre main, voilà la malice52. » Le fil, c’est la réalité épique ; les perles, ce sont les beautés lyriques. […] Quand on leur reproche à tous deux d’avoir mal compris la mythologie et l’histoire antiques, d’avoir faussé l’esprit de la tragédie grecque, on oublie ce que furent leurs précurseurs, on oublie les obligations auxquelles ils ne pouvaient alors se soustraire, on méconnaît leur modernité si hardie, et c’est comme si on leur reprochait d’avoir été des artistes et non des archéologues. […] Ne songeant qu’à la tragédie grecque, ils oubliaient son caractère religieux et oubliaient aussi qu’elle pouvait être précédée ou suivie de pièces comiques (comme de nos jours au Grand Guignol). […] Le rideau levé, comment oublier que la femme de Claude, c’est la Duse ; que le Tribun, c’est Guitry ; que le duc de Reichstadt, c’est Sarah Bernhardt ? […] En effet, le spectateur est plein de bonnes intentions ; il ne demande qu’à oublier les médiocrités de la journée et à collaborer avec l’auteur ; il apporte en lui une force précieuse, à laquelle je faisais allusion tout à l’heure : l’imagination, par sympathie.
ce savant que nous avons vu chargé de pensées et de rides, et qui semblait n’avoir dû vivre que dans le monde des nombres, il a été un énergique adolescent : la jeunesse aussi l’a touché, en passant, de son auréole ; il a aimé, il a pu plaire ; et tout cela, avec les ans, s’était recouvert, s’était oublié ; il se serait peut-être étonné comme nous, s’il avait retrouvé, en cherchant quelque mémoire de géométrie, ce journal de son cœur, ce cahier d’Amorum enseveli. […] Madame Des Houlières et madame de Sévigné, et Richelieu, on vient de le voir, s’y mêlent agréablement ; les chansons galantes vont leur train : la trigonométrie n’est pas oubliée. […] Voici l’idylle complète, telle qu’on la pourrait croire traduite d’Hermann et Dorothée, ou extraite d’une page oubliée des Confessions : « Elles vinrent enfin nous voir (à Polémieux) à trois heures trois quarts. […] La jolie église de Brou n’est pas oubliée ailleurs dans ses récits. […] Ampère, distrayaient aisément l’auditeur de l’ensemble du plan, que le maître oubliait aussi quelquefois, mais qu’il retrouvait tôt ou tard à travers ces détours.
J’avouerai toutefois que je pourrais bien avoir oublié ici la raison de l’utilité plus ou moins générale, pour céder à la liaison des connaissances. […] Le professeur en anatomie et physiologie serait obligé de finir son cours par quelques leçons sur l’art de fortifier le corps et de conserver sa santé, et de ne pas oublier la longue liste de souffrances que l’homme intempérant se prépare. […] Ils se répandent dans les différentes professions de la société : les uns se font commerçants ou militaires, d’autres suivent la cour ou le barreau ; c’està-dire que les dix-neuf vingtièmes passent leur vie sans lire un auteur latin, et oublient ce qu’ils ont si péniblement appris. […] Celui qui a appris le latin, ne l’oublie guère67, et celui qui a su le grec qu’il n’a appris que par la version, l’a bientôt oublié s’il ne le cultive sans relâche. […] J’oubliais Démosthène que l’ordre des temps place après Xénophon.
C’est ainsi que dans sa pièce latine la plus considérable, qu’il a consacrée à célébrer le Carrousel royal de 1662, et à décrire les divers groupes de cavaliers qui y figuraient, il n’a eu garde d’oublier ce qui fait le principal attrait des tournois, les dames qui regardent et qui s’y enflamment, et Cupidon dans les airs qui se réjouit. […] Colbert, Chapelain après avoir parlé de Huet, qui, disait-il, « écrit galamment bien en prose latine et en vers latin », et du gentilhomme provençal Du Périer, aujourd’hui très oublié, continue sa liste en disant : « Fléchier est encore un très bon poète latin. » Vers cette année 1662, faisant un voyage en Normandie, et sans doute pour y voir M de Montausier nommé gouverneur de cette province, Fléchier arrivait à l’improviste chez Huet avec qui il était très lié, se glissait à pas de loup jusqu’à lui dans sa bibliothèque et le serrait tout surpris entre ses bras : « Je ne fus pas médiocrement réjoui, nous dit Huet en ses Mémoires, de la visite d’un si agréable ami. » On voit d’ici cette jolie scène familière des deux futurs prélats, dont l’un petit abbé alors, et l’autre un simple gentilhomme normand. […] Vous m’avez remis devant les yeux l’image d’un monde que j’avais presque oublié, et je me suis intéressé aux plaisirs et aux chagrins que vous avez exprimés dans vos ouvrages. […] Je dois avertir cependant que, bien qu’il se trouve recueilli parmi les œuvres de Fléchier et que, selon moi, il ne les dépare pas, cet écrit est reconnu pour ne pas être de lui, mais d’un ecclésiastique de son temps et de son école ; d’un abbé Groussault82 oublié aujourd’hui, et auteur de plusieurs ouvrages dont celui-ci est de beaucoup le meilleur. […] Il n’avait jamais lu que la plume ou un crayon à la main ; il avait infiniment lu, et n’avait jamais rien oublié de ce qu’il avait lu, jusqu’à en citer le livre et la page.
qui réveillent, pour la génération d’alors, les plus frais parfums de jeunesse et font naître une larme en ressouvenir des printemps, sont encore sues de bien des mémoires fidèles ; on a oublié qu’on les doit à Mme Valmore. […] mon bon Félix, quand nous n’en pouvons plus du fardeau de nos peines, n’oublions pas que sa bonté ne nous a pas tout à fait abandonnés et qu’enfin nous sommes ses enfants. […] Jamais je n’oublierai M. […] N’oublie jamais de la saluer de ma part et de me rappeler au souvenir de ma grand’mère, de notre bon père et de ma chère et gracieuse maman, poussée au loin dans un si grand naufrage56. […] Il est impossible que la Vierge, qui a présidé à notre naissance dans la rue Notre-Dame, l’ait oublié : oui, Félix, c’est impossible.
Il était difficile, en effet, d’oublier, après l’avoir vu, ce visage ovale et blanc comme une perle parfaite, cette pâle fraîcheur, cette bouche enfantine et pieuse, ces sourcils fins et légers comme des touches d’ombres sur une transparence. […] Telle est cette Prudence, telles sont ces femmes que le jeune et implacable poète de la Dame aux Camélias vient d’incarner dans un type qu’on n’oubliera plus. […] ce n’est pas assez qu’elle oublie son passé, il faut qu’elle le liquide ; il faut qu’elle paye les dettes du déshonneur, et c’est au déshonneur seul qu’elle peut demander l’argent qui lui manque : cercle vicieux du vice, sans issue et sans évasion. […] J’allais oublier un très piquant épisode, celui d’un petit duc qui, au fort de cette conversation nocturne, vient sonner à la porte de madame de Lys. […] Mais n’oublions pas une douce figure, modestement reléguée sur le second plan : celle de Marceline, l’amie de la comtesse, une amie dévouée qui raccompagne et la relève, avec des pudeurs d’ange gardien, dans le sentier glissant de sa perdition.
Les compagnies littéraires des provinces ont imité celle de la capitale, et lui ont enlevé plus d’un éloge, que sans doute elle n’aurait pas oublié. […] C’est lui qui sut marquer par des nuances sensibles cette différence de langage qui tient à la différence des sexes : il n’ôte jamais aux femmes cette décence, cette modestie, cette délicatesse, cette douceur touchante, qui distinguent et embellissent l’expression de tous leurs sentimens, qui donnent tant d’intérêt à leurs plaintes, tant de grace à leurs douleurs, tant de pouvoir à leurs reproches, et qui ne doivent jamais les abandonner, même dans les momens où elles semblent le plus s’oublier. […] Que ne puis-je le faire oublier ? […] Oublions que Corneille ait pu méconnaître à ce point le caractère de son talent. […] Est-il bien possible qu’il l’oublie ?
Taine n’a jamais oublié que Condillac, cette transparence, est le seul père propret et qu’on puisse présenter de cet affreux mauvais sujet de matérialisme, qui a pour père malpropre La Mettrie et « la canaille dernière », comme on dit dans Le Mariage de Figaro ! […] Aussi doivent-ils être cruellement démoralisés par cet anatomiste inattendu, qui, lui, dans une histoire si nouvelle, vient combler l’épouvantable lacune qu’a laissée, dans les leurs, la nature humaine oubliée. […] XIV On savait cela, mais on l’oubliait. On l’oubliait trop. […] Mosaïste qui n’a pas oublié un seul marbre à incruster dans son œuvre, il a rapproché adroitement tous ces morceaux et tous ces témoignages d’écrivains pris partout et avec lesquels il a composé sa terrifiante mosaïque, et comme c’est le nombre des renseignements qui fait la puissance de son œuvre, on n’en peut rien citer sans affaiblir le tout.
Faisant un roman dont le sujet était les mœurs de l’Empire, dans lequel cette personne tenait tant de place, le romancier ne pouvait pas l’oublier. […] Sujet énorme d’un roman oublié par Balzac. […] Il avait écrit les mœurs de Paris, les mœurs de la province, les mœurs des hautes classes en tant qu’elles étaient restées hautes, les mœurs des bourgeois, les mœurs du peuple, les mœurs des paysans, les mœurs des courtisanes, enfin les mœurs universelles ; mais les mœurs des Rois, il les avait oubliées. […] C’est la royauté qui n’est plus le Dieu Terme de nulle part, qui abdique aussi lestement qu’une écuyère descend de cheval après sa représentation du Cirque, et qui, riche de tout, excepté de sa couronne, — la seule richesse à laquelle elle devrait tenir, — la sacrifie et l’oublie, avec la facilité des philosophes et des viveurs, pour les délices de cette Capoue qui s’appelle Paris, comme ce prince souverain de Brunswick — un type de roi exilé — qui troqua si facilement sa royauté contre les diamants laissés et emportés aux boutonnières de sa culotte ! […] Mais il faut bien le dire, il résulte de tout cela une grande impression, plus grande que l’œuvre qui la donne, — et si grande qu’elle domine la littérature, et que pour aujourd’hui elle nous la fait oublier !
C’eût été le moment sans doute pour un gouvernement d’une autre nature de songer à tirer parti de ses propres ressources et de redemander à un sol fertile ses richesses trop oubliées. […] N’oubliez pas tous les étrangers célèbres, à commencer par Byron, qui étaient et qui sont la bonne fortune de ce lieu de passage, ces gracieuses étrangères venues du Nord, qui rompent la roideur locale et font diversion à la contrainte ; si bien qu’à voir tant de monde séduisant arriver, plaire et aussitôt disparaître, « le cœur, disait Bonstetten, y devient mauvais sujet ». […] Jamais il n’oubliait, mais il remplaçait vite, et remplaçait toujours : son affaire était de bien remplacer. […] — Il faut ne jamais oublier que ni les idées ni les sentiments ne viennent du dehors, qu’ils sont en nous, que ce qui vient du dehors n’est que l’excitation qui commence leur vie toute spirituelle.
Moréas avaient retrouvé la veine oubliée de la chanson, mais avec peut-être trop de visible littérature, trop peu d’apparent abandon. […] Il y a dans les œuvres de M. de Régnier, comme en sa vie elle-même, beaucoup de cet ancien précepte si complètement oublié aujourd’hui : qu’un homme bien élevé évite de se mettre en scène. […] Camille Lemonnier, qui le pratique avec maîtrise, en a rappelé par d’éloquentes paroles la puissance trop souvent oubliée. […] Il n’est pas de demi Beauté ; et nous ne serons pas assez vils pour rechercher d’autres buts que le seul, parce que nous n’avons pas oublié le passé et parce qu’aux lointains du songe, comme un énorme monolithe d’un bloc inébranlable, l’œuvre future déjà nous apparaît, érigeant haut sa face immobile et polie où les mondes en tournant refléteront sans fin leurs ellipses.
Baronnette s’est prise d’un caprice soudain pour Jean de Thommeray, qui oublie déjà la baronne. […] L’ombrelle de Baronnette, oubliée sur un sofa, met entre ses mains le corps du délit ; elle le déchire à belles griffes, s’indigne, récrimine, fait à son amant une scène orageuse détrempée par une pluie de larmes, et lui arrache la promesse de la rejoindre à Trouville, où elle va passer la saison d’été. […] L’appel terminé, il passait devant les rangs, lorsqu’un mobile en sortit et lui dit : — « Commandant, on a oublié d’appeler un de vos hommes. — Comment vous nommez-vous ? […] Merson a-t-il rempli envers ses enfants, et quel devoir, lui, Caverlet, a-t-il oublié ?
S’il n’y avait pas la vie qui fait l’école, à sa manière, et qui détruit souvent la leçon du romancier ; s’il n’y avait pas un peu de catéchisme, dont on se rappelle encore les questions quand les réponses sont oubliées ; s’il ne restait pas, dans l’air et la lumière de ce pays, un peu de sens commun qu’on respire malgré soi, que deviendrait un peuple enseigné de la sorte ? […] Qui peut oublier, après l’avoir lue, cette phrase où ressuscitent à la vie les cuirassiers du maréchal Ney qui vont charger : « Ils étaient 3 500 ; ils faisaient un front d’un quart de lieue ; c’étaient des hommes géants sur des chevaux colosses… » ? […] Ils la connaissaient sous ses divers aspects, égalité de nature, égalité dans la souffrance et dans le mérite, égalité devant la mort, égalité dans la destinée immortelle, et, s’ils étaient tentés de l’oublier, un grand fait venait la leur rappeler, et c’était, aux mêmes fêtes chrétiennes qui les réunissaient, la participation de tous aux mêmes sacrements, la même dignité morale reconnue aux maîtres et aux serviteurs, aux riches et aux pauvres, égalité, en somme, la plus parfaite, puisqu’elle s’opère par la commune grandeur des hommes. […] Ne serait-ce pas pour avoir trop oublié que le monde est grand, que le roman d’aujourd’hui en est venu à fatiguer les lettrés eux-mêmes, par trop de recherche, de subtilité et d’habileté desséchante ?
Le monde oubliera-t-il jamais le cantique du passage de la mer Rouge ? […] « Dieu a-t-il oublié sa pitié ? […] « Comprenez aujourd’hui ces vérités, vous qui oubliez Dieu ; et craignez que je ne vous saisisse, et qu’il n’y ait personne pour vous délivrer. […] Si donc, lecteur qui parcourez ces pages par une étude de spéculation et de goût, vous ne voulez jamais oublier le côté sérieux des arts, ce qui touche à l’énergie de l’âme, à la passion du devoir et du sacrifice, à la liberté morale, même pour bien juger les grâces et la puissance du lyrisme hellénique, vous aimerez à réfléchir sur une beauté plus sévère : vous contemplerez cette originalité plus étrangère, plus lointaine pour nous, et cependant incorporée dans notre culte religieux et partout présente, que nous apporte la poésie des prophètes hébreux, de ces prophètes nommés par le Christ à côté de la loi, dont ils étaient, en effet, l’interprétation éclatante et figurée.
La poésie y tient une grande place : les restes de poésie latine, les chants d’Église ou d’école n’y sont pas oubliés ; les longs récits épiques en français, dits chansons de geste, y sont analysés avec ampleur et avec une connaissance comparée de toutes les divisions et de toutes les branches. […] Le nom commun de l’espèce renard était alors Gorpil (Vulpes) ; mais, un poète ayant primitivement baptisé le Gorpil de ce sobriquet de Renart, la chose réussit et courut si bien que le sobriquet devint le nom générique et fit oublier l’appellation première : c’est comme si Tartuffe, à force de succès, s’était substitué dans l’usage au mot hypocrite, qui serait dès lors tombé en désuétude ; c’est comme si, dans La Fontaine, Raminagrobis ou Grippeminaud avait remplacé et fait oublier le nom du chat, et Bertrand le nom du singe.
La fable n’est pas finie ; n’oublions pas qu’avec les trouvères nous sommes dans le récit épique : il ne s’agit pas de faire une fable courte, qu’on lit dans un livre, mais de réciter une action qui se développe, qui tient un auditoire en suspens et qui fait la joie du vilain. […] Tous ceux qu’il choisit, soit chevaliers, soit écuyers, sont désignés nommément, sans qu’un seul soit oublié ; chacun obtient son épithète d’honneur. — Bombourg, de son côté, fait de même ; il complète son nombre de vingt Anglais par six bons Allemands et quatre Brabançons. […] Pourtant un des blessés mourants parmi les Lacédémoniens, le nommé Othryades, se soulevant sur le champ de bataille ensanglanté et se voyant seul, eut assez de force et de souffle encore pour dépouiller un vaincu, pour dresser un trophée, chose sacrée et qu’avaient oubliée les autres, et sur le bouclier il écrivit de son sang : « La victoire est aux Lacédémoniens. » Puis il expira.
Adam ne sait pas combien nous nous sommes donné de peine, M. de Laplace et moi, pour oublier ce qu’il nous a appris. » Après une certaine hésitation entre la carrière ecclésiastique et celle de la médecine, Vicq d’Azyr choisit cette dernière, et vint dès 1765 à Paris s’y dévouer avec ardeur. […] Entre tous ceux qui l’ont loué, je prendrai le moins connu aujourd’hui, mais qui me semble avoir parlé de lui le plus naturellement et sans oublier de mêler aux couleurs quelques légères ombres : Avant de dire ce qu’il a fait pour la nature, disait le médecin Lafisse dans un éloge de Vicq d’Azyr prononcé en 1797, voyons ce qu’elle fit pour lui. […] N’oublions jamais non plus la personne de l’orateur, sa grâce à bien dire et les nuances qui se marquaient dans sa voix.
Guillaume Favre eut son rôle particulier au milieu de tous ces hommes d’élite et dans ce beau quart de siècle de Genève : il fut proprement l’érudit, l’homme des recherches curieuses dans le champ de l’Antiquité, sur les points les plus obscurs de l’histoire des âges barbares, ou sur des recoins oubliés de l’époque de la Renaissance ; également et indifféremment propre à disserter sur un vers de Catulle, sur l’ancienne littérature des Goths, ou sur un ouvrage manuscrit de quelque savant du xve siècle. […] Vivre par la pensée dans d’autres temps et s’y oublier à volonté, tandis que l’on continue dans l’heure présente de jouir insensiblement et par tous les sens de l’air, de la lumière, de la pureté du ciel, de la limpidité des eaux, de la majesté des horizons, de tous les bienfaits naturels qui sont encore la plus vraie jouissance pour des êtres vivants, que faut-il de plus à l’homme qui est sorti de l’âge des passions et en qui elles n’ont point laissé la lie de leur philtre empoisonneur ? […] Ces volumes s’adressent à un petit nombre de lecteurs sans doute, mais ce petit nombre est de ceux qui n’oublient pas.
N’oublions pas qu’il s’agissait de la bourgeoisie à discipliner, à rallier et à grouper pour la défense commune : si, au lieu de la tenir unie, on la choquait par le ton trop absolu, par la hauteur et la rigueur de la forme, par un certain ensemble d’idées trop logiques pour elle et qu’on poussait à outrance, si on la désaffectionnait enfin, qu’avait-on gagné ? […] Molé un portrait des plus délicats, où les qualités du noble personnage sont reconnues et où ses faibles ne sont pas oubliés : une qualité toutefois n’y est pas suffisamment marquée, c’est que M. […] Guizot ne s’en soit pas aperçu plus d’une fois lui-même, quoiqu’ensuite il l’ait trop oublié ?
Nous, à la vive lumière de la philosophie, oublions donc aussi ces craintes chimériques du retour de l’ignorance, et marchons d’un pas ferme dans l’immense carrière désormais ouverte à l’esprit humain. » Ainsi parlait le jeune savant ; et plein d’un profond sentiment d’horreur pour le régime oppressif et ignare qu’on avait subi, pour ce retour inouï de barbarie en pleine civilisation, il montrait pourtant avec une satisfaction élevée le rôle honorable et indispensable des savants au fort de la crise et leur empressement courageux à répondre à l’appel de la patrie, tout décimés qu’ils étaient alors par l’échafaud. […] Celui qui écrivait avec ce premier feu n’était pas encore si loin du canonnier de Hondschoote, et n’avait pas oublié l’odeur de la poudre. […] » C’est une imitation, une inspiration élégante d’après Jean-Jacques ou Bernardin de Saint-Pierre ; mais la nature particulière de l’Espagne, le caractère du paysage ne s’y peint par aucun de ces traits tout à fait distincts, et qu’on ne peut plus oublier.
Mais qu’âgé de cinquante ans environ, devant ces mêmes personnes vivantes, lui qui peut les rencontrer nez à nez à chaque instant, il vienne nous raconter des entretiens plus ou moins intimes, et non agréables pour tout le monde, qui auraient eu lieu à table entre deux ou plusieurs convives ; que, sous prétexte de débiter ses mécomptes, il se donne les airs de supériorité ; qu’il nous exhibe le menu de la carte, additionne les petits verres de curaçao qu’on a bus et qu’il a payés, n’oublie jamais de rappeler qu’il est gentilhomme et propriétaire, qu’il a eu affaire à des confrères besoigneux ; mais tout cela est d’un goût détestable, d’un fonds illibéral et presque vulgaire, que tout l’esprit de malice dans le détail et un vernis extérieur d’élégance ne sauraient racheter ! […] Je ne prends pas à la lettre tout ce qu’il fait semblant d’être dans son livre ; il se donne comme le plus désappointé des hommes ; selon lui, il aurait tout manqué dans sa carrière, et il n’aurait recueilli qu’ingratitude et mécomptes : littérateur, on ne lui aurait pas su gré des services qu’il aurait rendus à la société à une certaine heure ; on lui aurait fait mainte promesse qu’on n’aurait pas tenue ; homme de province et propriétaire, il n’aurait eu qu’ennuis dans l’exercice de ses honneurs municipaux ou communaux ; homme de qualité (il ne l’oublie jamais), comme il n’allait qu’en fiacre dans les soirées du noble faubourg, les laquais souriaient d’un certain air en le voyant traverser l’antichambre et lui demandaient à la sortie sous quel nom il fallait appeler ses gens. […] Je suis averti alors et assez désagréablement, je l’avoue, de ce qu’on est toujours si tenté d’oublier, mais je le suis avec égard, avec politesse ; de quoi me plaindrais-je ?
Un tel nom n’aurait jamais dû être oublié par les frères de Louis XVI. […] Le prince de Léon, à l’époque où il voulut bien oublier la distance que la naissance et la fortune avaient mise entre nous, était officier des mousquetaires, et, je crois, aide de camp du roi Louis XVIII. […] Mais je me hâtai de revenir à Paris avec le duc et Genoude, pour retrouver la charmante princesse romaine que j’avais laissée malgré moi, et que je ne pouvais oublier.
Weiss oublie de nous le dire Il déclare un peu plus loin que, seul parmi les poètes du XIXe siècle, Augier « trouverait grâce devant La Fontaine et Parny ». […] En outre, s’il saisit dans une œuvre quelque côté qui n’ait pas encore été aperçu ou signalé, il le met si violemment en lumière, il oublie si bien tout le reste que sa découverte prend tout de suite je ne sais quel air d’élégante impertinence et semble un défi à la sécurité des bonnes gens qui croient ce qu’on leur a dit et qui n’inventent rien. […] A propos d’un mauvais drame de Ponson du Terrail, il nous trace de Henri IV, envisagé par certains côtés secrets, un portrait, avec preuves à l’appui, qu’il est impossible d’oublier. « … Il faut donc conclure, pour Henri IV jeune ou vieux, à un fonds ingénu de vilenie bestiale qu’il dominait moins dans son âge mûr et sa vieillesse, mais qui au temps de sa jeunesse, n’étant point revêtu par la gloire, choquait plus en sa nudité. » — A propos de Kléber, drame militaire, il développe ingénieusement et magnifiquement « le rêve oriental de Napoléon ». — A propos du Nouveau Monde, de M.
N’oublions pas le musicien Dubreuilh qui préconisait une restauration de la musique française dont la Dame blanche était, à son avis, l’un des plus hauts points d’expression. […] » Même dégagé, à sa période romane, de la duperie romantique et des brouillards gaéliques, il persistait à faire sienne l’opinion de Byron, à savoir que si Shakespeare est le pire des modèles, il reste le plus extraordinaire des poètes, et, lui, petit-fils de l’amiral Tombatzis, le héros de l’insurrection grecque, il n’oubliait pas que ce même Byron s’était enrôlé pour combattre contre les Turcs et avait épousé la cause de sa patrie. […] Ils seront oubliés demain.
Elle s’y oublie elle-même et sans affectation, le plus qu’elle peut ; et elle s’arrête au moment où meurt son frère, la dernière des quatre victimes immolées. […] Elle oublia aussi de lui transmettre ce que les femmes ont si aisément, le désir de plaire et le naissant éveil d’une coquetterie même la plus innocente, ce semble, et la plus permise. […] C’est cette même délicatesse morale qui, dans son union avec M. le duc d’Angoulême, lui fit oublier constamment ce qu’il pouvait y avoir d’inégal, et à son avantage.
« Avez-vous oublié, disoit-il à son ridicule contempteur, que le Cid a été représenté à l’hôtel de Richelieu & au louvre ? […] Il faut oublier ses premières & ses dernières pièces en faveur de ses chefs-d’œuvre.
Laisse-moi m’égarer dans ces jardins rustiques Où venoit Catinat méditer quelquefois, Heureux de fuir la cour et d’oublier les rois. […] Toutefois quand le temps, qui détrompe sans cesse, Pour moi des passions détruira les erreurs, Et leurs plaisirs trop courts souvent mêlés de pleurs, Quand mon cœur nourrira quelque peine secrète, Dans ces moments plus doux, et si chers au poète, Où, fatigué du monde, il veut, libre du moins, Et jouir de lui-même, et rêver sans témoins, Alors je reviendrai, solitude tranquille, Oublier dans ton sein les ennuis de la ville, Et retrouver encor, sous ces lambris déserts Les mêmes sentiments retracés dans ces vers.
Je leur dois beaucoup. » Tout le monde, certes, a le droit d’attaquer mes œuvres, mais on oublie peut-être trop que j’ai moi-même réfléchi beaucoup plus longtemps pour les écrire que certains critiques pour les réfuter. […] Je leur dois beaucoup. » Tout le monde, certes, a le droit d’attaquer mes œuvres, mais on oublie peut-être trop que j’ai moi-même réfléchi beaucoup plus longtemps pour les écrire que certains critiques pour les réfuter.
Ce mouvement rétrospectif, reconnaissant, réfléchi, qui nous fait revenir sur de grandes œuvres éclatantes ou replacer dans une juste lumière des ouvrages oubliés ou méconnus, doit être d’autant plus encouragé par la Critique qu’il n’est pas dans la nature du Génie français, lequel, en toutes choses, se porte en avant avec sa proverbiale furie, et mêle si joliment l’ingratitude à ses distributions de gloire. […] Pour cela, il eût fallu oser une biographie intellectuelle, et ne pas suspendre à la tête de son édition ce vieux morceau de tapisserie académique, ouvrage oublié du bonhomme Suard !
… Les ombres seraient-elles les morceaux d’histoire oubliée de ce livre, et dont l’auteur, contrairement à son titre, a fait de la lumière ? […] Auguste Vitu est naturellement allé à l’homme qui a le plus été frappé des ridicules de la Révolution et qui s’en est le plus moqué, avec la verve, l’ironie et l’aristocratique impertinence de Voltaire, lui aussi un voltairien de l’autre bord que l’histoire, qui n’en a fait jamais d’autre, oubliait, et que Vitu nous restitue.
Devant ce public qu’elle n’oublie jamais et qui lui donnait sa tenue littéraire, elle est, après tout, un écrivain d’un certain ordre, qui a droit à un classement quelconque. […] Cette inspirée, comme elle se donne, cette spontanée, cette inconsciente, fit spontanément ou inconsciemment le calcul que la littérature, entendue comme elle projetait de l’entendre, pourrait lui rapporter un argent que la préoccupation littérale ne lui a jamais fait oublier, et son calcul inconscient d’argent était juste, car toute sa vie elle en a abondamment gagné.
Tourgueneff raconte quelque touchante histoire, saisie au vol ou ramassée à l’affût, quand il nous peint, comme Sterne le fait souvent avec une perfection si divinement désespérante, et comme tous les humouristes le font avec plus ou moins de talent, ces têtes étranges dans lesquelles l’humanité prend des plis et des creux que l’on n’oublie plus dans les physionomies humaines, une fois qu’on les a contemplées, M. […] Avoir oublié une chose si aisée à prouver, s’enferrer soi-même sur une contradiction si évidente, c’est une grâce d’état d’aveuglement.
On a dit que le cant anglais souleva de mépris cette âme forte, qui n’avait rien d’aimable, mais on n’a pas dit encore et surtout on a oublié de voir que le cant de sa société ou de sa race était en lui tellement ancré qu’il influa, durant toute sa vie intellectuelle, sur les procédés les plus intimes de son esprit. […] Cette instruction, divisée par chapitres et où nul n’est oublié du personnel de la valetaille : le butler (sommelier), la cuisinière, le laquais, le cocher, le groom, l’intendant, le portier, la femme de chambre, la fille de service, la fille de laiterie, la bonne d’enfants, la nourrice, la femme de charge et la gouvernante ; ce mandement d’un doyen que Mascarille, après boire, refuserait de signer, ne peut être évidemment qu’une mystification immense et même une mystification à commencer par l’auteur lui-même, — car rien ne doit équivaloir, non seulement pour un esprit élevé, mais pour un esprit quelconque, au dégoût d’écrire, dans quelque but de raillerie que ce soit, ces conseils de friponnerie et de bassesse où tout le sens est dans la grosseur de l’ironie et dans une impudence égale entre l’idée et le langage… Et ce n’est pas tout.