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1111. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

Or le livre n’est pas fait pour les yeux, mais pour le cerveau ; il en est de même de tous les arts : La peinture qui ne s’adresse qu’aux yeux, la musique qui ne s’adresse qu’aux oreilles, ne remplissent pas leur mission. […] Courbet est, à mes yeux, un homme nouveau. […] À deux pas du peintre est un petit paysan qui tourne le dos au public, dont on ne voit pas la figure et dont la pantomime est si expressive, qu’on devine ses yeux, sa bouche. […] L’observation de Balzac avait des yeux d’aigle, M.  […] En cela, il en est à mes yeux de lui comme de Stendhal, de Ch. de Bernard, et je dirai même du pasteur bernois Jérémias Gotthelf.

1112. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

le grand œil ! […] Que ses yeux étaient beaux alors ! […] son fils a déjà la pâleur et l’œil affamé d’un vrai philosophe. […] Il se laisse bander les yeux, et conduire à ce rendez-vous, comme un enfant. […] Quels grands yeux ils auraient ouverts !

1113. (1854) Causeries littéraires pp. 1-353

Je cacherai ma blessure à tous les yeux ; je ne veux pas que mes enfants apprennent de moi à moins respecter leur père… « la comtesse. […] Sont loin d’être à mes yeux un sort digne d’envie. […] Les Changarnier, les Bedeau, les Lamoricière, les Canrobert, valent à mes yeux ces intrépides lieutenants de Condé, Gassion, La Moussaye, Châtillon, Sirot, qui l’aidaient à gagner des batailles. […] Aussi, ce qui a été pour les autres un enseignement et une date, n’a été à ses yeux qu’un incident et une phase. […] Il ne songeait déjà plus aux grandeurs passées ; il était heureux de vivre, et il n’était rappelé aux soucis que par les larmes qu’il apercevait quelquefois dans les yeux de sa mère.

1114. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

» Jamais homme de Port-Royal ou du voisinage (qu’on le remarque bien) n’aurait eu pareille pensée, et c’eût été plutôt le contraire qui eût paru naturel, le pauvre étant aux yeux du chrétien l’objet de grâces et de vertus singulières. […] Il avoit les yeux collés sur trois ou quatre personnes de qualité qui marchandoient des dentelles ; il paroissoit attentif à leurs discours, et il sembloit, par le mouvement de ses yeux, qu’il regardoit jusqu’au fond de leurs âmes pour y voir ce qu’elles ne disoient pas. […] Il y en a qui ne vont point sans leurs mains, mais on peut dire de lui qu’il ne va point sans ses yeux ni sans ses oreilles. » Il est aisé, à travers l’exagération du portrait, d’apercevoir la ressemblance. […] De redites sans nombre il fatigue les yeux, Et, plein de son image, il se peint en tous lieux. […] Ils le conjurèrent, les larmes aux yeux, de ne point jouer ce jour-là et de prendre du repos pour se remettre. — Comment voulez-vous que je fasse ?

1115. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

On a parlé quelquefois par métaphore de l’œil de la conscience ; on pourrait dire, en suivant cette image, que la conscience est à la fois un œil lumineux et une oreille sonore, ou, mieux encore, une lumière qui se voit et une parole qui s’écoute elle-même ; des deux parties dont se compose cette métaphore, la première seule serait, à vrai dire, une comparaison ; la seconde, est, à quelques nuances près, la formule adéquate de la réalité. […] Sans doute, il ne dit nulle part expressément que les images, comme il les appelle, s’enchaînent en successions régulières dans la conscience ; mais comme il ne l’a pas dit non plus des mots, et comme cette omission n’est évidemment chez lui qu’un oubli, on pourrait croire qu’à ses yeux les deux langages ne diffèrent point à cet égard, et qu’ils alternent en nous selon la nature objets que considère notre pensée. […] D’une manière générale, le goût de Bonald pour les antithèses (symboles, à ses yeux, des harmonies des choses) l’a empêché de reconnaître la prééminence de la parole intérieure sur toutes les images visuelles, soit analogiques ou symboliques, soit phonétiques. […] Choisissons un exemple plus simple encore : qui peut se représenter une couleur d’une manière aussi distincte que lorsqu’elle est sons les yeux ? […] Il ajoute à tort : l’écriture « parle aux yeux » ; parler aux yeux, c’est éveiller des images visuelles.

1116. (1891) Esquisses contemporaines

L’œil qui reçoit les impressions semble être, chez lui, moins ouvert que l’œil qui discerne et juge : le sens critique a le pas sur le sens impressif, la faculté de comprendre, sur celle de jouir et de souffrir. […] Rien ne trouve grâce à ses yeux, qu’une explication solide ou un argument décisif. […] Désormais mes yeux ne pourront se lever de mon livre sans se poser sur toi. […] Là nous entendons le disciple qui avait vu de ses yeux, qui de ses mains avait touché le Maître. […] Que le passé revit bien sous nos yeux !

1117. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXVI » pp. 256-263

Comme il est très-érudit, il ramasse, traduit, combine des vers et des images de tous les côtés de l’horizon ; jamais rayons n’arrivèrent plus brisés que les siens à l’œil du lecteur. […] — Un autre poëte, moins docte, plus facile et souvent aimable, Ulric Guttinguer, connu de nous pour avoir chanté autrefois notre lac, et qui vient aussi de rassembler ses vers en un seul volume sous ce titre : Les Deux Ages, cite, dans sa préface que nous avons sous les yeux, un passage de Jules Lefèvre, en l’accompagnant d’éloges qui prouvent au moins que tout n’est pas épine dans le sentier : il accorde sans hésiter à son confrère non-seulement la conscience poétique noble et puissante (ce qui n’est que juste), mais encore le génie intime et pénétrant. — Nous ne nous chargeons que de noter en courant : les Aristarques de l’avenir décideront.

1118. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IX. Précision, brièveté, netteté »

On se fatigue d’un style uniformément éclatant, où les images se joignent et éblouissent l’œil comme des éclairs continus. […] Les phrases ont une allure aisée, légère, dégagée, qui porte le lecteur paisiblement et insensiblement, sans heurt, sans secousse, sans chute, à travers les pensées de l’auteur ; elles se déroulent aux yeux dans une pure lumière, sans brume ni fumée qui déforme ou offusque les objets.

1119. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Desbordes-Valmore, Marceline (1786-1859) »

Charles Baudelaire Je rêve à ce que me faisait éprouver la poésie de Madame Valmore quand je la parcourus avec ces yeux de l’adolescence qui sont, chez les hommes nerveux, à la fois si ardents et si clairvoyants. […] Oui, dans le premier et célèbre portrait, malgré la robe de moyen âge de pendule, malgré la coiffure à la Ninon, malgré la lyre venue de chez le luthier, la grande Marceline, avec ses beaux yeux enflammés et humides, avec ce front droit et ces sourcils fièrement tracés, avec ce nez si caractérisé, aux bosses hardies et spirituelles, avec ce menton pointu, finement pensif, ces lèvres épaisses et si arquées, ce col énergique, attire, charme et retient le regard, qui se sent en face d’une pensée et d’une âme.

1120. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La réforme prosodique » pp. 120-128

Par rime mauvaise, je veux dire, pour illustrer immédiatement mes raisons, des horreurs comme celles-ci, qui ne sont pas plus “pour l’oreille” (malgré le Voltaire déjà qualifié) que “pour l’œil” : falot et tableau, vert et piver, tant d’autres, dont la seule pensée me fait rougir et que pourtant vous retrouverez dans maints des plus estimables modernes. […] Lente extase, houleux sommeil exempt de songe… De pesants bracelets hors du satin des boîtes… Je sais bien que j’ai tort et que c’est détestable… Laisse-moi, dis-je, étant en proie à la pensée… L’œil le plus prévenu contre l’hiatus est satisfait en lisant ces vers, mais l’oreille ?

1121. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’abbé Boileau, et Jean-Baptiste Thiers. » pp. 297-306

Elle leur défend seulement,         D’étaler & d’offrir aux yeux Ce que leur doit toujours cacher la bienséance, Et combat vivement la fausse piété, Qui, sous couleur d’éteindre en nous la volupté, Par l’austérité même, & par la pénitence, Sçait allumer les feux de la lubricité. […] On est étonné que l’abbé Boileau, qu’un homme de son état & d’un genre de vie sévère, ait osé les mettre sous les yeux du lecteur.

1122. (1925) Feux tournants. Nouveaux portraits contemporains

Cela doit se savoir en province car Maurice Brillant a souvent les yeux tristes et fatigués. […] Radiguet rêve, les yeux ouverts, dans un tapage infernal. […] » « Les yeux des folles sont sans fard. […] On se quitte dans un tapage infernal et la larme à l’œil. […] Plus encore que ses yeux bleus, ce qui surprend en lui ce sont d’admirables mains de pianiste.

1123. (1925) Les écrivains. Première série (1884-1894)

L’œil est petit et il embrasse des lieues, a dit le poète. […] Toutes ses facultés, en effet, ont l’air d’yeux braqués sur tous les points à la fois. […] C’est l’Œil effrayant qui regardait Caïn. […] Mais regardez leurs yeux… Ils vont sauter sur moi comme des grenouilles. […] Or, celui qui a vu l’œil du juge, a vu le fond de la désespérance humaine.

1124. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

Ne faut-il pas plutôt relever la littérature à ses propres yeux en lui montrant la grandeur de sa mission nouvelle ? […] Or, cela saute aux yeux ; vous avez vu M.  […] S’il l’a fait, l’œil le plus fin ne saurait distinguer la soudure. […] L’ombre se fit rapidement sur des noms rayonnants naguère et les yeux se tournèrent vers l’aurore qui se levait. […] Jetez les yeux sur ces articles écrits avec l’audace ingénue des vingt ans et de l’obscurité qui s’assure en elle-même.

1125. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

Mais leurs yeux disposent d’un clavier plus étendu, quoique moins émouvant. Avec les yeux, avec l’arc de la bouche muette diversement infléchi, la femme peut aller jusqu’au bout de sa pensée. […] Patrons démodés, Praticiens vieillis et sans influence, entrepreneurs de bâtisses entre les mains desquels et sous les yeux (les mauvais œils) desquels les moellons fondent comme les morceaux de sucre dans les romans de M.  […] Il y a des fleurs qui ont des yeux si doux ! […] Mais dès qu’il est question de tout ce qui est l’essence de la féminité, l’amphore redevient une belle jeune fille à la gorge émue et aux yeux inquiets.

1126. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Nous le voyons avec les yeux du corps, et tel que M.  […] Nous ne lisons pas deux fois un livre avec les mêmes yeux. […] Seulement c’est avec mes yeux que j’ai regardé, non avec ceux d’un autre. […] Mais l’œil bleu est caressant ; la caresse du regard est enveloppante. […] C’est un gros homme, avec une face toute ronde et des yeux en vrille.

1127. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

L’expérience des siècles et celle de la Révolution sont devant ses yeux. […] Mme de Staël est d’une taille moyenne, et son corps, sans avoir une élégance de nymphe, a la noblesse des proportions… Elle est forte, brunette, et son visage n’est pas à la lettre, très-beau ; mais on oublie tout dès que l’on voit ses yeux superbes, dans lesquels une grande âme divine, non-seulement étincelle, mais jette feu et flamme. […] Rocca lui rendit encore un peu de l’illusion de la jeunesse ; elle se laissait aller à voir dans le miroir magique de deux jeunes yeux éblouis le démenti de trop de ravages. […] Aux yeux des admirateurs de Jean-Baptiste et de Crébillon, le Temple du Goût passait pour un chef-d’œuvre de faux esprit et d’extravagance. […] Ayez aussi l’œil sur Benjamin Constant, et, à la moindre chose dont il se mêlera, je l’enverrai à Brunswick, chez sa femme ( ?).

1128. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

Donc, à nos yeux, leur autorité leur venait moins d’eux-mêmes que de leur situation par rapport à nous. […] Je veux bien que la différence soit radicale aux yeux du philosophe. […] Loi physique, loi sociale ou morale, toute loi est à leurs yeux un commandement. […] Oeil pour oeil, dent pour dent, le dommage subi devra toujours être égal au dommage causé. — Mais un oeil vaut-il toujours un oeil, une dent toujours une dent ? […] Que de choses surgissent devant les yeux émerveillés d’une mère qui regarde son petit enfant !

1129. (1923) Critique et conférences (Œuvres posthumes II)

Raynaud ne leur ôteront point à mes yeux. […] quelle joie délirante et quel bonheur véritable éclataient dans tous les yeux ! […] Barbey d’Aurevilly, préférences heureuses, comme on va voir, et faites à souhait pour le plaisir des yeux. […] Je vis un homme d’âge moyen, d’un visage chevalin, nez fort, barbe pointue, cheveux rares, châtain, aux yeux d’une très grande douceur, mais observateurs et comme matois de Normand. […] C’était plaisir d’entendre Auguste Vacquerie, avec sa longue tête chevaline et ses yeux matois, raconter cette anecdote qui allait bien un peu contre lui et son athéisme.

1130. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

Ce lieu sans air est inondé d’air ; les yeux ne rencontrent que des bois et des eaux dans ce lieu sans eau et sans bois ; le soleil se couche chaque soir au bout de la nappe d’eau lointaine qui termine ce lieu sans vue. Où trouver plus de plaisirs pour les yeux et plus de sujets pour la pensée, que dans cet horizon tracé de la main du grand roi ? […] L’œil fixé sur les destinées du roi, et comme dans la contemplation de cet idéal, Racine semble suivre dans son théâtre la vie de Louis XIV. Il fait pour la première époque des pièces toutes pleines d’amour : c’était le temps de la gloire sans revers, des amours qu’excusaient, aux yeux indulgents des contemporains, la jeunesse du prince, la froideur d’un mariage politique, le sérieux de la passion toujours conciliée avec les devoirs de la royauté. […] Mais on ne nie pas qu’il se soit cru un moment suspect de jansénisme aux yeux du roi.

1131. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

Sa figure régulière s’animait surtout par l’expression de très-beaux yeux noirs ; le reste, sans frapper d’abord, gagnait plutôt à être remarqué, et toute la personne paraissait mieux à mesure qu’on la regardait davantage. […] le voile clair et léger qui sera demeuré sur ses yeux donnera à tout ce qui l’environne une fraîcheur et un charme que la vieillesse ne ternira point. […] Sa physionomie avait, comme son esprit, l’agrément durable ; des lèvres, des dents belles, et la vivacité des yeux, éclairaient le visage à proportion qu’on causait. […] Une minute, une seconde seulement à l’instant du départ, à cinq heures du matin, dans le court intervalle qui sépare le seuil du couvent et le marchepied de la chaise de poste, le jeune homme va l’entrevoir enfin et la rencontrer ; mais un mouchoir qu’elle porte à ses yeux, le mouvement même que lui cause l’émotion de la présence de l’ami, la dérobe peut-être, et remplit l’unique instant. […] Cette lecture fait passer sous les yeux un long roman par lettres, développé, sensé, régulier, d’un intérêt lent et croissant, avec des caractères étudiés et suivis, avec des situations prolongées et compliquées, parfaitement définies et menées à fin.

1132. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

Même apprentissage spontané pour les cris que pour les mouvements ; le progrès de l’organe vocal s’opère comme celui des membres ; l’enfant apprend à émettre tel ou tel son, comme il apprend à tourner la tête ou les yeux, c’est-à-dire par tâtonnements et essais perpétuels. […] L’objet désigné par le son n’est pas encore un caractère général ; cependant je crois que le pas a été franchi (douze mois) ; voici un fait décisif à mes yeux. […] Quant aux mouvements appris, les progrès se sont faits dans l’ordre suivant : 1º Tourner les yeux à volonté dans tel ou tel sens. 2º Les tourner du côté d’où vient la voix (quatre mois). 3º Gouverner les mouvements de son cou et de sa tête, et les tourner l’un et l’autre, en même temps que les yeux, du côté d’où vient la voix (cinquième et sixième mois). 4º Se servir de ses mains, commencer à palper, remarquer des sensations tactiles différentes, notamment la sensation nouvelle d’une des mains promenée par hasard sur l’autre main. […] On se cache la figure dans les mains en lui disant ce mot, et il rit ; souvent alors, il le répète, en se cachant aussi le visage dans la poitrine de la personne qui le tient ou en détournant la tête et en fermant les yeux. — 2º Avoua (au revoir) ; on lui dit ce mot, et il le répète quand on le ramène dans la chambre des enfants et qu’on ferme la porte ; il cesse alors de nous voir, et probablement ce mot signifie pour lui disparition de quelqu’un, disparition de certaines figures qu’il connaît. — Nul autre mot ; il ne comprend pas les mots papa, maman, quoiqu’il les dise parfois en façon de ramage. […] 2º Bédames (belles dames). — D’abord on lui a montré, en prononçant ce nom, les trois Grâces en bronze de Germain Pilon, hautes d’une coudée, sur la cheminée, et il a fini par prononcer le nom, par le répéter de lui-même, en tournant les yeux vers elles. — Puis, de lui-même, il l’a appliqué à diverses figures humaines peintes ou dessinées dans des livres d’enfants ou dans des tableaux. — Ces jours-ci, il a découvert au bout d’une petite canne une tête d’enfant en cuivre, grosse comme le bout du doigt, et il l’a apportée triomphalement, en criant : Bédames !

1133. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

— Ce goût constitue-t-il, à vos yeux, un indice de développement, de progrès intellectuel, ou de décadence ? […] Pour moi, je préfère infiniment lire une belle partition de musique dramatique plutôt que d’assister à sa réalisation théâtrale, réalisation toujours inférieure, à mes yeux, à ce que mon imagination peut se représenter. […] Celui qui ne réfléchit pas et a les yeux brûlés par des projections trop lumineuses est prêt pour le mauvais coup, moral ou physique : il est ivre. […] Spéculez sur la larme à l’œil, la chair de poule ou la chair de p… Hormis cela, n’attendez nul succès. […] Ce goût constitue-t-il, à vos yeux, un indice de progrès intellectuel ou de décadence ?

1134. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIV » pp. 126-174

Il n’est rien d’obscur à ses yeux. Ses yeux ont des rayons de lumière qui pénètrent jusqu’aux pensées et jusqu’aux secrets des cœurs. […] Celles qu’on appelle simplement des beautés, ont pour but principal de charmer les yeux. Mais comme l’approbation des yeux est d’un ordre inférieur au mérite de ces belles, elles s’élèvent par la raison et par l’esprit, et tâchent de fonder en droit les passions qu’elles peuvent faire naître Il y a les beautés fières et les beautés sévères : les premières souffrent les désirs accompagnés de respect : le respect n’adoucit pas les sévères ; ni les unes ni les autres ne sont invincibles. » De Pure ajoute qu’elles font solennellement vœu de subtilité dans les pensées, et de méthode dans les désirs. […] « Elles penchent, dit-elle, la tête sur l’épaule, font des mines des yeux et de la bouche, ont une mine méprisante et une certaine affectation en tous leurs procèdes, qui est extrêmement déplaisante. » La princesse ajoute : « Il y en a peu qui dansent, parce qu’elles dansent mal.

1135. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

La Fortune a-t-elle des yeux ? […] Ici-bas, ce grand corps n’a que trois pieds détour ; Mais si je le voyais là-haut dans son séjour, Que serait-ce à mes yeux que l’œil de la nature ? […] Bref, je démens mes yeux en toute sa machine. […] Mes yeux, moyennant ce secours, Ne me trompent jamais, en me mentant toujours. […] Le dix-huitième siècle, dans sa critique littéraire, a ce défaut, abominable à mes yeux, de vouloir que l’on soit toujours guindé.

1136. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

Il n’est qu’un appareil à description, une espèce de machine qui amène sous les yeux l’objet, le retourne, et le remporte après l’avoir montré. […] Matérialiste, il est vrai, à l’œil borné, de cela seul qu’il est matérialiste, — car s’il ne l’était pas, il aurait, de nature, le regard étendu : il est très capable de voir grand, — matérialiste, M.  […] Elle ne pardonnera pas à ce regardeur aux yeux clairs d’avoir si nettement vu dans son origine. […] C’était la fluxion de leurs pauvres yeux, qui les engloutissait dans son enflure… Ces hydrocéphales de Paris n’avaient, dans leurs histoires centralisatrices, étudié que Paris, et quel Paris encore ! […] Liberté, égalité, droits de l’homme, avènement de la raison, toutes ces vagues et sublimes images flottent devant leurs yeux quand ils gravissent sous la mitraille l’escarpement de Jemmapes, ou quand ils hivernent, pieds nus, dans la neige des Vosges.

1137. (1922) Gustave Flaubert

Un rien me met la larme à l’œil. […] Les yeux du souvenir ont changé son optique. […] On va peut-être finir par ouvrir les yeux !  […] L’œil du critique et l’œil du reconstructeur sont l’un et l’autre nécessaires à sa vision binoculaire. […] Ses yeux me brûlent, j’entends sa voix.

1138. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — III. (Fin.) » pp. 175-194

Si, à la bataille d’Ivry, d’Andelot avait essayé de ravir à Rosny l’étendard conquis et l’un de ses prisonniers, on peut croire qu’à son entrée à Rouen, les membres du Conseil des finances qui le voyaient de mauvais œil ne furent pas moins jaloux de lui enlever quelque chose de son convoi d’argent. […] Toutes ces épreuves et contre-épreuves affermissent l’opinion du roi sur Rosny, et décident de son établissement qui croît à vue d’œil et s’étend de jour en jour. […] Pour ces sièges « entrepris, comme on disait, à la racine des Alpes », il fait transporter, au temps voulu, pièces et munitions ; il étudie et saisit le côté faible des places, le point unique où le canon y peut mordre ; il pronostique le jour et l’heure de la prise ; il ne s’en fie qu’à ses yeux et se risque de sa personne, seul, dans des reconnaissances jusqu’au pied des bastions ennemis ; sur quoi il mérite que Henri IV lui écrive, à la fin de ce siège de Montmélian : Mon ami, autant que je loue votre zèle à mon service, autant je blâme votre inconsidération à vous jeter aux périls sans besoin. […] C’est cette indignation généreuse qui donna naissance à ses Mémoires, et qui lui inspira la pensée de les faire entreprendre sous ses yeux pour rectifier tant de fausses et mensongères notions qu’on était en train d’accréditer.

1139. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

Les traits y sont contractés, les yeux fatigués, le front soucieux, les joues pâles. […] Mais il avait des yeux et des oreilles, et faut-il croire qu’il ne s’en soit jamais servi ? […] J’ai deux vallées sous les yeux, qui semblent deux petites bandes de terre perdues dans un entonnoir bleu. […] Ces formes rudes blessent l’œil ; on sent avec accablement la rigidité des masses de granit qui ont crevé la croûte de la planète, et l’invincible âpreté du roc soulevé au-dessus des nuages.

1140. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

C’est comme une veine délicate qui peut être confondue avec d’autres par un œil inattentif et neuf, mais à laquelle celui qui nous connaît de vieille date ne se trompe pas. […] Delécluze ait eu peu d’illusions en aucun temps, nous assure-t-il, et qu’il soit à peu près uniformément satisfait de tous les pas de sa carrière, il est pourtant un moment qui, a ses yeux, eut une importance décisive et qui se peint en beau dans son imagination : c’est l’heure de son entrée dans la carrière littéraire, lorsque ayant renoncé décidément au crayon pour la plume, il fit ses premières armes au Lycée, petite revue distinguée qui parut vers 1819, et lorsque ensuite, après deux ou trois années de prélude, il fut admis parmi les rédacteurs des Débats. […] Je ne sais pas de preuve plus sûre qu’on n’est pas fait pour être un vrai critique, que d’aller préférer d’instinct, dans cequ’on a sous les yeux, un demi-talent à un talent et, qui pis est, à un génie. […] Étienne, qui apercevait une paille dans l’œil de son voisin Ballanche, ne voyait pas une poutre dans le sien au même moment.

1141. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire. »

J’ai sous les yeux trois lettres de lui à Garrick, le grand tragédien, celui qui, vers le milieu du dernier siècle, ressuscita Shakespeare tout entier aux yeux des Anglais étonnés et le remit en plein honneur. […] Votre gravure dans Hamlet et celle de Shakespeare sont l’une et l’autre sous mes yeux et devant ma table ; c’eût été sans doute leur faire souffrir un divorce trop cruel que de les séparer. […] « Je vous prie, Monsieur, de me continuer les sentiments dont vous m’honorez, et de me croire pour jamais avec la reconnaissance et l’attachement que je vous dois, etc. »   Le bonhomme sent bien ce qui lui manque, et il exprime cette lacune en lui avec tant de franchise, qu’il la couvre au même instant à nos yeux ; et pourtant elle existe et ne sera pas comblée. — Enfin, une troisième lettre de lui à Garrick mérite encore d’être donnée, au moins en partie : « A Paris, le 6 juillet 1774.

1142. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet »

Les distractions et digressions qu’il s’était souvent accordées en dehors de sa route principale n’étaient, à ses propres yeux, que des digressions, et il ne rentrait ensuite qu’avec plus de bonheur et de certitude dans la voie qui l’avait conduit à la grande renommée. […] Il ressentit vivement et profondément ce que la France éprouva à cette heure de gloire indicible et d’infortuné ; il l’exprima sous toutes les formes, promptes, aisées, touchantes, saisissantes, qui parlaient aux yeux et allaient au cœur de tous. […] Les anciennes écoles, selon lui, ont très-peu cherché cet idéal qu’on adore et qu’on exalte après coup en elles ; le plus souvent, elles n’ont fait que reproduire exactement la nature qu’elles avaient sous les yeux : il suffisait, pour nous donner l’impression élevée qui en sort, que cette nature fût généralement belle, et que les organisations d’élite qui s’y appliquaient sussent y choisir leurs sujets. […] Ainsi, dans la Bataille de Fontenoy, bien meilleure (1828), d’un ton vif, d’un tour si français et qui se rapproche de nous, l’œil est agréablement attiré sur un anachronisme spirituel, le groupe du fils embrassant son père et tenant à la main la croix de Saint-Louis qu’il vient d’obtenir.

1143. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. (suite) »

Les yeux rouges de l’omnibus flamboyèrent alors, et les chevaux hennirent. […] Tout cela n’est pas très-déterminé dans ce que j’ai sous les yeux ; il y a des ratures, et l’auteur paraît avoir hésité entre deux versions. […] Marie est une exception, à ses yeux ; il la comprend, elle ; il l’accepte et la croit sur ce qu’elle dit et sur ce qu’elle oppose de résistance sincère : « tes femmes ont le semblant d’une chose dont vous avez la réalité. […] Michel la rassure tout en la raillant : « Que vous me comprenez peu si vous ne voyez pas que j’aurai toujours pour la faiblesse le respect que je pourrais refuser à l’orgueil, si vous croyez descendre à mes yeux en devenant femme, simple et bonne : vous vous élevez au contraire !

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