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680. (1767) Salon de 1767 « De la manière » pp. 336-339

Il me semblerait donc premièrement que la manière, soit dans les mœurs, soit dans le discours, soit dans les arts, est un vice de société policée. à l’origine des sociétés, on trouve les arts bruts, le discours barbare, les mœurs agrestes ; mais ces choses tendent d’un même pas à la perfection, jusqu’à ce que le grand goût naisse ; mais ce grand goût est comme le tranchant d’un rasoir, sur lequel il est difficile de se tenir. […] S’il se rencontre alors quelque homme original, d’un esprit subtil, discutant, analysant, décomposant, corrompant la poésie par la philosophie, et la philosophie par quelques bluettes de poésie, il naît une manière qui entraîne la nation.

681. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 10, du temps où les hommes de génie parviennent au mérite dont ils sont capables » pp. 110-121

On naît bien avec une disposition à ces qualitez, mais on ne naît point avec ces qualitez toutes formées.

682. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 24, objection contre la solidité des jugemens du public, et réponse à cette objection » pp. 354-365

Les hommes ne naissent pas avec la connoissance de l’astronomie et de la physique, comme ils naissent avec le sentiment.

683. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

D’un esprit pour spéculer ou pour rêver je pourrais admettre qu’il reste extérieur à la réalité, qu’il la déforme et qu’il la transforme, peut-être même qu’il la crée, comme nous créons les figures d’hommes et d’animaux que notre imagination découpe dans le nuage qui passe. […] Mais ces difficultés, ces contradictions naissent de ce que nous appliquons les formes habituelles de notre pensée à des objets sur lesquels notre industrie n’a pas à s’exercer et pour lesquels, par conséquent, nos cadres ne sont pas faits.

684. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVIe Entretien. Marie Stuart (reine d’Écosse) »

Elle était née en Écosse, le 8 décembre 1542. […] L’amour pour l’artiste n’avait pas tardé à naître de l’attrait pour l’art. […] Il était avec des instincts pervers et désordonnés qui portent indifféremment, d’exploits en exploits ou de forfaits en forfaits, un homme au trône ou à l’échafaud. C’était un désespéré, de mouvement, d’ambition, d’aventures, un de ces aventuriers plus grands que nature, qui brisent en croissant tout le système social dans lequel ils sont nés pour se faire une place à leur mesure ou pour succomber avec éclat en la cherchant. Il y a des caractères qui naissent frénétiques : Bothwell était de ceux-là.

685. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

Tous deux novateurs et sortis du peuple, tous deux pauvres et travaillant de leurs mains pour vivre, tous deux opprimés, — croyaient-ils, — parce qu’ils étaient nés au dernier rang d’une société que, pour cette raison, les malheureux voulurent détruire. […] Il était avec le bon sens, — le maître des affaires , a dit Bossuet, et j’ajoute : le maître de l’esprit qui l’a et dont il doit diriger les facultés, sous peine d’être emporté par elles ! […] Il était chrétien par les facultés. […] Mais, après Rousseau et de Rousseau, fou de sciences folles, ouvrier, — dans un temps où la révolution des ouvriers se prépare contre les bourgeois avec la logique vengeresse des révolutions, — ouvrier lui-même, ayant mis la main à la pâte, il a été la victime de son siècle, le déforme de son siècle et de son berceau, qui n’ont pas tué son génie mais qui l’ont horriblement gauchi, mais pas encore de manière, cependant, qu’on n’aperçoive ces deux belles lignes qui, en talent, font les camées : le bon sens et la pureté de cœur, XVI Il les a retrouvées — intégralement retrouvées — dans le livre que voici, où il ne s’agissait plus des progrès chimériques de l’esprit humain, — la griserie des cerveaux modernes, — mais de la morale éternelle, — mais du rapport éternel de l’homme et de la femme, — mais de la famille, base, pour Proudhon comme pour Bonald, de toute société. […] Essentiellement, la femme est, depuis la chute d’Ève, plus spirituelle qu’Adam, disent les Américaines, roulé par elle si joliment (en langue américaine), — preuve que les femmes sont nées pour l’empire et doivent nous rouler ; depuis la chute d’Ève, la femme a passé à l’État de révolte, et c’est même pour cela que les Sociétés anciennes furent si dures pour elle, et que l’Asie, encore tout à l’heure, continue cette dureté.

686. (1896) Les Jeunes, études et portraits

Cela est possible mais nous importe pas. […] L’enfant naît, il respire, il est bien portant. […] un monde ignoré qui naît et qui meurt en silence ! […] De la différence naît l’hostilité. […] Voilà des années qu’on nous annonce des renaissances toujours à naître.

687. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

L’idée d’immortalité est née de la croyance au double. […] Née pour conserver, elle s’acquitte de son rôle en perfection. […] Elles sont nées au hasard des lectures et des heures. […] Elle est née tout naturellement des mariages tardifs, comme les mariages tardifs sont nés de la suppression des situations héréditaires. […] Sarrasa était un Espagnol des Flandres, à Nieuport en 1618.

688. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite.) »

Ce malheureux homme, au milieu de ses extravagances, avait un vague instinct et un pressentiment de la destinée funeste qu’il se tramait de ses propres mains : il répétait souvent, parlant à la grande-duchesse elle-même, quand elle essayait encore de le ramener à l’idée du rôle qu’il aurait à remplir, « qu’il sentait qu’il n’était pas pour la Russie, que ni lui ne convenait aux Russes, ni les Russes à lui, et qu’il était persuadé qu’il périrait en Russie. » Les Anciens avaient personnifié l’imprudence et l’aveuglement des hommes sous la figure d’une déesse aussi terrible que Némésis, aussi inévitable que la Destinée elle-même : Atè, c’était son nom. […] Les comtes Razoumowsky, que j’avais toujours aimés, furent plus caressés que jamais ; je redoublai d’attention et de politesse envers tout le monde, excepté les Schouvaloff ; en un mot, je me tins fort droite : je marchais tête levée, plutôt en chef d’une très-grande faction qu’en personne humiliée et opprimée. » Sa fierté n’a pas grand effort à faire pour se redresser : elle n’était pas née pour l’attitude et le rôle de victime. […] Avec une pareille disposition d’esprit, j’étais née et douée d’une très-grande sensibilité, d’une figure au moins fort intéressante, qui plaisait dès le premier abord sans art ni recherche.

689. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens, par M. Le Play, Conseiller d’État. »

Partout où l’ouvrier a la propriété de son habitation, où la mère de famille n’est pas obligée d’aller travailler chez les autres, où elle siège et trône, en quelque sorte, au foyer domestique, elle est souverainement respectée, et les vertus naissent, s’entretiennent, se graduent d’elles-mêmes autour d’elle. […] Les faits seuls y sont, mais ils parlent ; en mettant à les bien entendre et à les méditer quelque chose de la même attention et de la même patience qui les a amassés et classés si distinctement, on sent naître en soi des réflexions sans nombre. […] C’est le même langage uni et simple que dans son livre, avec l’abondance de plus, avec la particularité et un certain accent qui grave Il y a lieu de croire que la Révolution de 1848, les graves problèmes qu’elle souleva et les sombres pensées qu’elle fit naître, introduisirent un degré d’examen de plus dans quelques parties du livre, et tinrent plus constamment en éveil l’attention de l’observateur sur le principe moral qui maintient dans l’ordre certaines populations d’ouvriers, moins avancées et plus heureuses pourtant que d’autres.

690. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MADAME TASTU (Poésies nouvelles.) » pp. 158-176

Combien de germes étouffés en eux au moment de naître ! […] Elle est née à Metz de M. […] Elles sont nées du profond de la réalité, sans la décorer, sans l’interrompre, en présence et en continuité des instants d’angoisse ou d’ennui, sans oubli aucun et sous l’effort des choses existantes.

691. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

Ils réunissaient le double avantage des petits états et des grands théâtres : l’émulation qui naît de la certitude de se faire connaître au milieu des siens, et celle que doit produire la possibilité d’une gloire sans bornes. […] Une nation qui encourageait de tant de manières les talents distingués, devait faire naître entre eux de grandes rivalités ; mais ces rivalités servaient à l’avancement des arts. La palme la plus glorieuse excitait moins de haine, que n’en font naître les témoignages comptés de l’estime rigoureuse qu’on peut obtenir de nos jours.

692. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

Edouard Schérer (1815-1889), à Paris, étudia en Angleterre et à Strasbourg, professa l’exégèse religieuse à Genève, et donna sa démission en 1850. — Éditions : Mélanges d’histoire religieuse, in-18 ; Études sur la litt. […] Sainte-Beuve (1804-1869), à Boulogne-sur-Mer, étudia la médecine, puis se lia avec les romantiques, et fit paraître, en 1828, son Tableau de la poésie au xvie s. […] Taine (1828-1893), à Vouziers, entre à l’École Normale en 1848, professe peu de temps, étant très suspect pour ses opinions philosophiques.

693. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Barbey d’Aurevilly. »

C’est tout un monde que chacun porte en lui, un monde ignoré qui naît et qui meurt en silence. […] Je n’ignore pas qu’en réalité les âmes n’appartiennent point toutes au temps qui les a fait naître, qu’il y a parmi nous des hommes du moyen âge, de la Renaissance et, si vous voulez, du xxe  siècle. […] Il est vrai que ce mysticisme simulé peut quelquefois redevenir sincère ; car la conscience de l’incurable inassouvissement du désir et de sa fatalité, le détraquement nerveux qui suit les expériences trop nombreuses et qui dispose aux sombres rêveries, tout cela peut faire naître chez le débauché l’idée d’une puissance mystérieuse à laquelle il serait en proie.

694. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bossuet, et Fénélon. » pp. 265-289

Il devoit en être de leur querelle, née dans le sein de la cour, comme de tant d’intrigues qui s’y passent, qui se bornent à brouiller quelques hommes & quelques femmes, & qui, après avoir fait tenir beaucoup de bons ou de mauvais propos, finissent par être oubliées. […] L’abbé de Fénélon dans le Périgord en 1651, élevé par l’évêque de Sarlat son oncle, dirigé par l’abbé Tronson, au séminaire de S. […] On prétend** que ces deux célèbres antagonistes, qui combattirent avec tant de chaleur pour des matières de théologie, avoient une façon de penser toute philosophique, & que, s’ils étoient nés à Londres, ils auroient donné l’essor à leur génie & déployé leurs principes, que personne n’a bien connus.

695. (1915) La philosophie française « I »

Si les trois siècles précédents avaient vu naître et se développer les sciences abstraites et concrètes de la matière inorganique, — mathématiques, mécanique, astronomie, physique et chimie, — le XIXe siècle devait approfondir en outre les sciences de la vie : vie organique et même, jusqu’à un certain point, vie sociale. […] Ni les faits ni les idées ne sont donc constitutifs de la science : celle-ci, toujours provisoire et toujours, en partie, symbolique, naît de la collaboration de l’idée et du fait. […] à Genève, d’une famille d’origine française, en 1712.

696. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre premier : M. Laromiguière »

De là naît une théorie ingénieuse, d’une symétrie extrême, si jolie qu’elle met en défiance, mais dont le résumé a la précision d’une formule et l’élégance d’une démonstration. […] Au lieu de commencer les mathématiques par une définition de la quantité et de la mesure, ils font naître et rendent distinctes par une foule d’exemples les idées de quantité et de mesure. […] Ils ont observé le mouvement naturel de la pensée, et le reproduisent ; ils savent que ses premières opérations consistent dans la connaissance de faits particuliers, déterminés, et le plus souvent sensibles, que peu à peu elle se porte involontairement sur certaines parties détachées de ces faits, qu’elle les met à part, qu’aussitôt les signes apparaissent d’eux-mêmes, que les idées abstraites et les jugements généraux naissent avec eux ; ils suivent cet ordre dans les vérités qu’ils nous présentent, et en retrouvant la manière dont l’esprit invente, ils nous apprennent à inventer.

697. (1903) Le problème de l’avenir latin

La vraie France va naître hors du contact de la « Romanie » submergée. […] Elle est née, elle s’est constituée, elle agrandi sous l’égide du romanisme. […] Il y a infériorité pour le peuple qui naît civilisé, supériorité pour celui qui naît barbare. […] Ils en sont presque aussi las que de l’obstination rétrograde qui l’a fait naître. […] A peine, d’ailleurs, s’il en naît.

698. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

et élevé à Dijon, il fut envoyé à Paris l’année même où Richelieu y venait de son voyage dans le Languedoc. […] Ces œuvres-là ne sont pas inspirées par l’occasion ; elles naissent, se développent, mûrissent avec l’homme de génie qui les exécute. […] Il était , en quelque sorte, avec la vocation de défendre la tradition catholique. […] Le fameux livre des Maximes des saints, d’où naquit le scandale, parut avant les États d’oraison de Bossuet. […] Les révolutions ne sont autre chose que le combat, rendu sanglant par les passions qui s’y mêlent, du principe du sens propre, d’où naît l’activité et l’invention, et du principe du sens commun et de la tradition, d’où naît l’ordre, la règle, la hiérarchie, l’esprit de conservation, si nécessaire pour contrebalancer et pour contenir l’esprit d’invention.

699. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

Je ne veux pas être un de ces hommes qui attaquent les choses ridicules que les gens bien nés sont convenus de laisser passer sans mot dire dans la société. […] Jules Lefèvre, ou l’Éloa, ange femelle, née d’une larme de Jésus-Christ, de M. le comte de Vigny ? […] Aucun de nous n’eut l’idée que du nouvel ordre de choses lui-même dans lequel nous entrions il pût naître une littérature nouvelle. […] Depuis la Charte, lorsqu’un jeune d’entre dans un salon, il y fait naître un sentiment de malveillance ; lui-même est embarrassé. […] L’amour, ce sentiment des modernes qui n’était pas du temps de Sophocle, anime la plupart de ces sujets ; par exemple, l’aventure de Limousin et Raimbaud.

700. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

De notre soumission à l’univers, aux émotions, aux paysages, naît la logique de nos pensées et l’ordonnance de nos périodes. […] Pourquoi ne naîtraient-elles pas avec un sourire d’amertume ? […] Et les nymphes naquirent. […] Zola, n’est plus une description ; sous les mots, les objets naissent, tout se reconstruit. […] Enfin c’est l’heure des grands cataclysmes d’où naîtra Sagesse, le plus beau livre catholique avec les Évangiles et l’Imitation de Jésus-Christ.

701. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

IV Louis Arioste était à Reggio, dans le duché de Modène, le 8 septembre 1474. […] C’était en France que le roman était  ; les troubadours provinciaux, poètes nomades et populaires, avaient donné le nom de leur langue, roman, à ce genre de composition. […] On prenait ces récits tantôt au sérieux dans le peuple, tantôt en plaisanterie dans les cours ; de ce mélange indécis de sérieux chez les ignorants, de plaisanterie chez les lettrés, était le germe d’épopée héroï-comique qui florissait alors en Italie. […] C’est de cette double faculté qu’est le genre héroï-comique ; ce genre a besoin, pour être cultivé et senti, d’une dose égale d’enthousiasme dans le cœur et de raillerie dans l’esprit. […] Contempteur de la poésie moderne, et partisan fanatique des écrivains et des poètes du seizième siècle en Italie, Dante était sa divinité, Arioste était sa monomanie.

702. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

« L’homme, libre, est partout dans les fers. » Quel remède, mon Dieu ! […] Est-ce que Rousseau exclut les domestiques de sa définition de l’homme libre ? […] Le précepteur d’Émile s’empare de son élève avant même qu’il soit . […] Nous vivons dans un temps où il est d’un grand intérêt pour la société française de savoir que toutes les idées anarchiques depuis soixante ans sont nées de cette utopie, née elle-même d’une faute si grande qu’on est tenté d’en chercher l’excuse dans un commencement de folie. […] L’aîné de ses enfants était dans l’hiver de 1746 à 1747.

703. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Sans préméditation mensongère, la fable naît d’elle-même ; aussitôt née, aussitôt acceptée, elle va se grossissant comme la boule de neige ; nulle critique n’est là pour l’arrêter. […] L’islamisme seul fait exception à cet égard : il est en pleine histoire ; les traces des disputes qu’il dut traverser et de l’incrédulité qu’il dut combattre existent encore. […] Le christianisme est primitivement un fait juif, comme le bouddhisme un fait indien, bien que le christianisme, comme le bouddhisme, se soit vu presque exterminé des pays où il naquit et que le mélange des éléments étrangers ait pu faire douter de son origine. […] L’Orient a toujours vécu dans cet état psychologique où naissent les mythes. […] Ce jour-là naît la scolastique, et ce jour-là est posé le premier germe de l’incrédulité.

704. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

mon unique ami, qu’ils sont malheureux ceux qui sont nés malheureux !  […] ce point central de mes maux, c’est de n’être pas Anglais. […] » Une grande quantité portent ces devises : — sous une mauvaise étoile, — fils de la disgrâce, — fils de l’infortune, etc., etc. […] D’un besoin physique indéterminé combiné avec une sympathie morale pour telle ou telle personne déterminée naît un sentiment dont la violence semble parfois une sorte de monstruosité dans la nature ; son but immédiat ne le justifie nullement, et cependant sans ce but il ne serait pas. […] Mais cette qualités qui seront sa signature, sa griffe sur tous les individus en fait prédominance des qualités bonnes ou mauvaises dans les naissent à précisément des détraqués, puisque les sains d’esprit se reconnaissent à l’équilibre de toutes leurs facultés.

705. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Un poète véritable, selon moi, est un homme qui, avec une puissante sensibilité pour sentir, une puissante imagination pour concevoir, et une puissante raison pour régler sa sensibilité et son imagination, se séquestre complétement lui-même de toutes les autres occupations de la vie courante, s’enferme dans la solitude de son cœur, de la nature et de ses livres, comme le prêtre dans son sanctuaire, et compose, pour son temps et pour l’avenir, un de ces poèmes vastes, parfaits, immortels, qui sont à la fois l’œuvre et le tombeau de son nom. […] Ces regrets mêmes de l’action perdue sont une preuve pour moi que j’étais bien plutôt pour l’action que pour la poésie. […] Je ne puis pas dire que j’aimai jamais cette captivité du collège : et élevé dans la sauvage liberté des champs, les murs me furent toujours odieux ; ils pèsent sur mon âme encore aujourd’hui : je vis dans l’horizon plus que dans moi-même. […] que ne suis-je pêcheur comme ton frère ? […] L’anonyme a raison, les poètes y naissent, et puissent-ils aussi y mourir !

706. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — I. » pp. 88-109

le 31 août 1601, au village de Houdan (ou Hodenc), à trois lieues de Beauvais, d’une honnête famille bourgeoise qui comptait parmi ses membres des marchands drapiers, des notaires, des avocats et même des conseillers au présidial16, Gui Patin garda toute sa vie la marque du franc Picard et de l’homme de race probe. […] Théophraste Renaudot est le fondateur de la Gazette en France ; or la Gazette, fondée en 1631 sous le patronage du cardinal de Richelieu, est le premier journal proprement dit, journal politique, officiel, tel seulement qu’il en pouvait exister alors, la première ébauche de tous les journaux nés depuis, et du Moniteur en particulier. […] [NdA] « L’origine et les mœurs de ce réformateur sont à observer : il est à Loudun où, selon les jugements des commissaires, les Démons ont établi leur séjour ; a témoigné avoir une partie de leurs secrets et de leurs ruses. » C’est ce que disait l’avocat de la faculté de médecine de Paris dans une plaidoirie contre Renaudot. […] Ce nés écourté joue un grand rôle dans les injures et pamphlets orduriers contre le pauvre homme.

707. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

à Paris sur la paroisse de Saint-Gervais, le 4 février 1688, d’un père financier et dans l’aisance, d’une famille originaire de Normandie qui avait tenu au parlement de la province, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux reçut une bonne éducation, ce qui ne veut pas dire qu’il fit de fortes études ; il n’apprit nullement le grec et sut le latin assez légèrement, ce semble ; son éducation, plutôt mondaine que classique, et particulièrement son tour d’esprit neuf, observateur, et qui prenait la société comme le meilleur des livres, le disposaient naturellement à être du parti dont avait été feu Perrault, et dont, après lui, Fontenelle et La Motte devenaient les chefs, le parti des modernes contre les anciens. […] Il lui faut une expression qui fixe positivement ses idées ; et c’est de cette justesse si rare que naît cette façon de s’exprimer simple, mais sage et majestueuse, sensible à peu de gens autant qu’elle le doit être, et que, faute de la connaître, n’estiment point ces sortes de génies qui laissent débaucher leur imagination par celle d’un auteur dont le plus grand mérite serait de l’avoir vive. […] Il préfère à tout ce qui est plan et projet conçu dans le cabinet les idées fortuites nées à l’occasion, notées, prises sur le fait dans la vie du monde ; mais ces idées que lui suggère l’observation de chaque jour, il faut voir comme il les traduit dans son langage, même quand il les prête aux autres ou qu’il les met dans la bouche de ses personnages. […] qu’il naîtrait de beaux ouvrages, s’écrie-t-il, si la plupart des gens d’esprit qui en sont les juges tâtonnaient un peu avant de dire : Cela est mauvais ou Cela est bon ! 

708. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Eckermann n’avait en lui rien de supérieur ; c’était ce que j’ai appelé ailleurs une de ces natures secondes, un de ces esprits nés disciples et acolytes, et tout préparés, par un fonds d’intelligence et de dévouement, par une première piété admirative, à être les secrétaires des hommes supérieurs. […] Ce que conseille proprement Gœthe, ce n’est pas de se disperser ni de se hâter, ni d’improviser ; et lui-même reconnaît qu’il y a des esprits excellents qui ne savent rien faire « le pied dans l’étrier », et qui ont besoin de recueillement : ce qu’il conseille à Eckermann et aux esprits nés poëtes, mais dénués pourtant du grand génie de la conception, ou même à ceux qui en sont doués et en qui les sentiments de chaque jour jaillissent et débordent, c’est de s’épancher, c’est de fixer dans des notes successives, et non pas pour cela fugitives, l’histoire de leur cœur. […] Toutes mes poésies sont des poésies de circonstance ; c’est la vie réelle qui les a fait naître, c’est en elle qu’elles trouvent leur fond, et leur appui. […] Ne déracinez pas les pensées sous prétexte de les montrer plus nettes et plus dégagées ; elles y perdent de leur sève et de leur fraîcheur. — Je reviens à la poésie d’après Gœthe, et à ce qui la fait naître et l’alimente : « Que l’on ne dise pas, ajoutait-il, que l’intérêt poétique manque à la vie réelle, car justement on prouve que l’on est poëte lorsque l’on a l’esprit de découvrir un aspect intéressant dans un objet vulgaire.

709. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Théophile Gautier est le 31 août 1811, à Tarbes ; son père était du Dauphiné, et sa mère de Brie. […] Ce petit volume, dans sa première forme, dans son ordre naturel où les pièces se présentent selon l’heure et l’instant où elles sont nées, a pour moi du charme ; il nous offre un Gautier jeune, enfant, « sous une blonde auréole d’adolescence » qu’il ne garda pas longtemps. […] Le monde de Murger est plus naturel et à l’abandon, il est aussi plus sensible : le Manchon de Francine n’aurait jamais pu naître au milieu des dagues de Tolède et des yatagans damasquinés de 1833. […] D’Albert est trop tard ; il y a aussi des climats pour les âmes, et, une fois le vrai climat manqué, elles sont à jamais dépaysées et souffrent d’une nostalgie immortelle.

710. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

Non, il n’est pas vrai que l’amour, en des cœurs complets, soit comme un je ne sais quoi qu’un rien a fait naître et qu’un rien aussi fait évanouir ; que cette passion la plus élevée et la plus belle soit comme un cristal précieux que tôt ou tard un accident détruit, et qui d’un coup se brise à terre, sans plus pouvoir se réparer. […] Elle ne vit point Racine et n’eut point ses leçons pour Esther : il était mort qu’elle naissait à peine. […] Allié ou parent éloigné de Mme de Maintenon, il était protestant : on l’avait converti de bonne heure à la religion catholique : Fort jeune, il avait servi avec distinction dans la dernière guerre de Louis XIV, et il avait été honoré à Denain d’une magnifique apostrophe de Villars. […] Une sorte de scrupule de convenance lui naissait aussi, comme prétexte qu’elle se donnait involontairement dans ses sentiments un peu froissés.

711. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Mais cette œuvre nous conduit vers la fin du premier tiers du xiiie  siècle ; à cette date, l’histoire en prose était née : le genre avait trouvé sa forme. […] Celui-ci naît quelques années seulement après la mort de son devancier : mais un siècle à peu près sépare les deux œuvres, et l’Histoire de Saint Louis nous conduit aux premières années du xive  siècle, presque à la fin du véritable moyen âge. […] Biographie : à Villehardouin (arrond. […] Biographie : Jean, sire de Joinville, en 1224 au château de Joinville (Haute-Marne), orphelin de bonne heure, fut élevé dans la cour du comte de Champagne, Thibault IV, son suzerain et son tuteur selon la coutume féodale.

712. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

Dédier que les auteurs de fabliaux : n’ont point mis à contribution les recueils de contes d’origine certainement orientale, tels que la Discipline de Clergie ou le Directorium humanæ vitæ ; que dans les sujets communs à l’Occident et à l’Orient il n’est pas toujours certain que la rédaction orientale — la plus anciennement écrite — soit la source réelle et primitive des versions occidentales ; que la tradition orale où puisaient nos conteurs renfermait des contes de toute provenance, où l’Inde a pu apporter son contingent, mais autant et pas plus que n’importe quel autre pays77 ; enfin que la plupart des sujets de fabliaux ont pu naître n’importe où, étant formés d’éléments humains et généraux, et ne portant aucune marque d’origine. Il y en eut même certainement qui naquirent en France, et n’ont pu naître que là, utilisant tantôt des aventures réelles, tantôt et surtout des particularités locales de mœurs et de langue. […] Ils n’ont même pas pour les trompeurs, les coupables, les vicieux, cette pitié attristée qui naît du sentiment de l’humaine fragilité.

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