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545. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

La ressource de l’humanité, en avançant, est de se débarrasser du bagage trop pesant et d’oublier : ainsi elle trouve moyen de se redonner par intervalles un peu de fraîcheur et une soif de nouveauté. […] Ainsi la moyenne des esprits restait grossière, et la sublimité des élus se montrait sauvage. […] Parmi les singularités de ce traité sur les Coups d’État, on a remarqué qu’il commence par Mais, comme le Moyen de Parvenir commence par Car. […] Dans ce style resté franc gaulois et gorgé de latin, il trouve moyen de tout fourrer, de tout dire ; je ne sais vraiment ce qu’on n’y trouverait pas. […] Le tiers état de Sieyès était au bout, notre classe moyenne.

546. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Mais d’une part — et pour noter tout de suite les plus évidentes différences — tandis que l’industrie, par exemple, ou même la science exprime l’homme dans un but et par des moyens d’utilité immédiate et d’investigations successives, la poésie l’exprime dans un but et par des moyens d’inutilité apparente et de satisfaction absolue. […] Ces lois d’harmonie sont les sauvegardes qui lui permettent — écrivain, musicien ou peintre — de choisir le thème qui lui servira de prétexte à s’exprimer lui-même dans sa réalité intime, dans sa sorte particulière de comprendre la notion divine et de choisir aussi librement ses moyens d’expression. […] Tous trois, dans les bornes providentielles de leurs moyens, expriment par la beauté l’âme humaine orientée vers le divin. […] Il semble pourtant que l’avenir appartienne aux poètes de pensée, que ce trouble siècle où nous sommes leur ait servi d’expérience, qu’en près de cent ans ils aient recensé avec les vieux classiques, puis les romantiques, puis les naturalistes, les divers moyens de traduire l’âme humaine selon ses diverses impressions. […] Vous ne reprocherez donc plus au poète ses raffinements qui sont, au fond, pour lui, des moyens d’expression plus précise et dont nul ne songerait à s’étonner dans une civilisation d’où l’art ne serait pas originellement et essentiellement proscrit.

547. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

L’imagination, l’art ingénieux et compliqué, la ruse des moyens, l’ardeur même de cœur, y passent et l’augmentent. […] Comme je crois qu’il y a peu de mathématiciens en France qui puissent résoudre ce problème en moins de temps, je ne doute pas que sa publication dans une brochure d’une vingtaine de pages ne me fût un bon moyen de parvenir à une chaire de mathématiques dans un lycée. […] Ampère, dès le temps de sa jeunesse, était l’abondance d’idées, l’opulence de moyens, plutôt que le parti pris et le choix. […] Mais en quoi consistait l’appropriation du moyen à la science nouvelle ? […] Gay-Lussac sur les proportions simples que l’on observe entre les volumes d’un gaz composé et ceux des gaz composants, lui devenait un moyen de concevoir, sur la structure atomique et moléculaire des corps inorganiques, une théorie qui remplace celle de Wollaston124.

548. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre III. Services locaux que doivent les privilégiés. »

Mais, de par l’usage et la loi, il doit « veiller à ce qu’ils reçoivent l’éducation, les secourir dans l’indigence, leur procurer, autant que possible, les moyens de vivre ». […] On n’y voit que la petite noblesse et une partie de la moyenne ; le reste est à Paris53. […] Les cent trente et un évêques et archevêques ont ensemble 5 600 000 livres de revenu épiscopal et 1 200 000 livres en abbayes, en moyenne 50 000 livres par tête dans l’imprimé, 100 000 en fait : aussi bien aux yeux des contemporains, au dire des spectateurs qui savaient la vérité vraie, un évêque était « un grand seigneur ayant 100 000 livres de rente73 ». […] Des commis, des gens « de plume et de robe », des roturiers sans consistance font la besogne ; nul moyen de la leur disputer. […] Dans toute cette contrée, auberges exécrables ; impossible d’y louer une voiture, tandis qu’en Angleterre, même dans une ville écartée de deux mille à quinze cents âmes, on trouve des hôtels confortables et tous les moyens de transport ; c’est la preuve qu’en France « la circulation est nulle ».

549. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

car il ne faut à la philosophie qu’un petit nombre de juges, et c’est à dessein qu’elle fuit la multitude. » Son argumentation sur les moyens de vaincre la douleur et de la mépriser, si on la compare au devoir, est un modèle accompli de raisonnements philosophiques ; le style semble s’éclaircir dans Cicéron à mesure que la pensée devient plus profonde et plus métaphysique. […] On voit, par ce moyen, quels sont les rapports d’une chose avec l’autre, et là-dessus on invente les arts nécessaires, soit pour la vie, soit pour l’agrément. […] Lisez-le ; on aime toujours l’homme privé dans l’homme public : « Toutes les fois que j’ai songé aux meilleurs moyens d’être utile à ma patrie et de servir ainsi sans interruption les intérêts de la république, pensées qui me préoccupent souvent et longuement, rien ne m’a paru plus propre à ce dessein que d’ouvrir à mes concitoyens, comme je crois l’avoir déjà fait par plusieurs traités, la route aux nobles études. […] « Quand ma patrie fut tombée dans ce dernier état, dépouillé de mes anciennes fonctions, je repris ces études, qui, tout en calmant mes douleurs, m’offraient de plus le seul moyen qui me restât d’être encore utile à mes concitoyens. […] Nous étions le plus souvent ensemble, occupés surtout à rechercher par quels moyens on pourrait ramener dans l’État la paix et la concorde.

550. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

C’est le moyen de faire remonter l’esprit des auditeurs jusqu’aux premiers éléments de la question qu’on débat, afin qu’un argument porte rigoureusement sur l’autre, et que la pierre fondamentale du syllogisme soit aussi bien assise dans l’esprit que la dernière ; c’est le moyen de détruire en passant toutes les objections qui se présentent à l’intelligence ; c’est le moyen enfin de bien définir tous les mots avant de les employer dans le raisonnement, afin qu’après la conclusion il ne puisse subsister aucune équivoque ou aucun malentendu dans la conviction absolue des disciples : aussi est-ce le mode d’enseignement et d’argumentation qu’on emploie ordinairement avec les enfants, comme on peut le voir dans nos catéchismes ou dans nos manuels. […] » « Ainsi, Athéniens, j’ai des parents, et, quant à des enfants, j’en ai trois, l’un déjà dans l’adolescence, les deux autres encore en bas âge ; mais je ne les ferai point comparaître ici, pour votre honneur et pour le mien ; il ne me paraît pas séant d’employer de pareils moyens à mon âge (il avait près de soixante-douze ans à l’époque de son procès). […] « Ni devant les juges, ni dans les combats, il n’est permis, ni à moi ni à d’autres, d’employer tous les moyens pour éviter la mort ; et ce n’est pas là ce qui est difficile que d’éviter la mort, il l’est beaucoup plus d’éviter le crime, qui court plus vite que la mort ! […] Si l’on peut parvenir jamais à connaître l’essence des choses, n’est-ce pas par ce moyen ?

551. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Mais qu’on le voie du rivage ou qu’on la revoie par le souvenir, c’est alors qu’on en peut apprécier l’horrible beauté, c’est alors qu’on peut songer aux moyens de la rendre sensible aux autres. […] Ils chercheront mille moyens détournés pour faire entendre le quart ou la moitié de leur pensée. […] L’instruction universelle, qui en est le complément ou plutôt la condition indispensable, ne date que d’une vingtaine d’années et, limitée à l’enfance, elle n’a pas eu le temps de relever le niveau moyen des intelligences. La puissance de l’argent, qui permet d’acheter des votes, des journaux, des sièges au Parlement, et les privilèges de l’Église qui a gardé mille moyens de peser sur les consciences, font échec à la liberté des citoyens. […] Qui donc oserait soutenir que le principe démocratique, en vertu duquel tous les membres de la société doivent avoir des moyens égaux de se développer inégalement, s’est épanoui dans sa plénitude ?

552. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVI. La littérature et l’éducation publique. Les académies, les cénacles. » pp. 407-442

Les congrégations religieuses regardent l’éducation comme un moyen ; leur but est naturellement la propagande de la foi et quelquefois la conquête d’une influence politique. […] L’Académie française, à sa naissance, représentait assez exactement le goût moyen de la société environnante ; mais, dès qu’il fut décidé que le nombre de ses membres ne dépasserait pas quarante et que les nominations seraient viagères, il s’ensuivit un renouvellement si lent du corps académique que la majorité se trouva bientôt en retard sur le mouvement du dehors. […] Anatole France, Loti, Bourget, Lemaître, pour ne citer que les plus connus, y ont eu large part ; que beaucoup de travaux solides et utiles, mais peu susceptibles d’être goûtés par le commun des lecteurs, ont dû les moyens de s’achever à ces libéralités intelligentes ; qu’enfin, pour beaucoup d’écrivains novices, ces distinctions, accompagnées d’une petite somme d’argent ont été la vie, l’indépendance, le loisir de travailler assurés pour plusieurs mois, l’accès ouvert aux revues, aux journaux, aux théâtres, bref une aide précieuse aux jours difficiles des premiers pas vers la lumière. […] Les unes retardent sur l’opinion moyenne de quinze à vingt ans ; les autres sont en avance à peu près du même espace de temps. […] La tourbe de ceux (hors mis cinq ou six) qui suyvent les principaux, comme port’enseignes, est si mal instruite de toutes choses, que par leur moyen nostre vulgaire n’a garde d’estendre guère loing les bornes de son empire. » Ainsi s’exprime Joachim du Bellay168 et il balaye à l’égout « rondeaux, ballades, virelays, chants royaulx, chansons et autres telles espisseries. » Même mépris insultant pour le théâtre des siècles précédents.

553. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

Ceux-ci étudiaient à la fugue, comme à un moyen d’affermir leurs connaissances musicales ; mais ils ne l’employaient, dans leurs sonates, que comme un artifice précieux. […] Et c’est en cela, exclusivement, que se fonde la liaison du grand Beethoven avec la nation allemande, liaison que nous voudrions éclairer au moyen des traits spéciaux, à nous connus, sur sa vie et ses travaux. […] L’Allemand, en effet, n’est point révolutionnaire, mais rénovateur, et, adoptant toutes formes, les améliorant toutes sans rien détruire, il se prépare, enfin, pour la révélation de son essence intérieure, une abondance et richesse de moyens, où n’atteignent point les autres nations. […] Un pareil sentiment avait conduit, jadis, Spinoza, dans sa conscience de lui-même, à tailler des verres de lunettes, pour obtenir, par ce travail, le moyen d’entretenir sa vie. […] On trouve dans cette étude une intelligence de la musique Wagnérienne et une hardiesse bien remarquables, si l’on songe combien étaient, en 1869, rares et insuffisants les moyens de connaître l’œuvre de Wagner, et combien périlleux le rôle de wagnériste.

554. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

. — Tristan et la Tétralogie sont des drames littéraires, avec musique et plastique : le texte littéraire est fondamental de l’œuvre, il est le commencement, le moyen, et la fin ; la représentation scénique l’éclaire seulement, et la musique, aussi, l’éclaire, par son commentaire, sa psychique explication, prodigieuse glose à la parole et à l’acte. […] Il nous a donné le moyen de réaliser le plus grand bonheur, par la Compassion, si nous conservons l’Apparence actuelle ; et, si nous lui renonçons, par l’Apparence supérieure de la Production artistique. […] Quoi qu’il en soit, si le succès de l’œuvre devait se confirmer à Paris, avec le même éclat qu’à Bruxelles, on ne pourrait qu’en féliciter les auteurs, car elle sort incontestablement de la moyenne habituelle. […] Maintenant, si nous suivons avec attention la direction et le développement de ces motifs dans leur opposition mutuelle et dans leur caractère musical ; si nous laissons agir sur nous, pleinement, les détails purement musicaux constitués par les rapprochements, les séparations et les élévations de ces deux motifs ; nous suivrons, en même temps, un drame qui, dans son expression propre, contient tout ce que l’œuvre du dramaturge a pu nous donner seulement par le moyen d’une action complexe, et l’addition de personnages moins importants. […] L’intuition, au contraire, est le véritable moyen de la connaissance car elle saisit l’objet d’un coup en s’assimilant à lui en un seul moment, en participant à son élan vital.

555. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

Je ne puis douter que, si d’autres animaux ou d’autres plantes, en nombre égal à celui de nos espèces domestiques et appartenant de même à diverses classes et à diverses contrées, étaient pris à l’état de nature pour se reproduire en domestication pendant un pareil nombre de générations, ils ne varient autant, en moyenne, qu’ont varié les espèces mères de nos races domestiques actuelles. […] — Le meilleur moyen d’arriver à une solution dans toute question d’histoire naturelle, c’est toujours d’étudier quelque groupe spécial. […] — Considérons maintenant par quels moyens nos races domestiques ont été produites, soit qu’elles dérivent d’une seule espèce, soit qu’elles procèdent de plusieurs. […] Ainsi un homme qui désire un Chien d’arrêt se procure le meilleur Chien qu’il peut, mais sans avoir aucun désir ou aucune espérance d’altérer la race d’une façon permanente par ce moyen. […] Nul ne pourrait espérer de produire une poire fondante du premier choix avec le pépin d’une poire sauvage, quoiqu’il fût possible d’y réussir au moyen d’une pauvre semence croissant à l’état sauvage, mais provenant d’une tige cultivée.

556. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — I. Faculté des arts. Premier cours d’études. » pp. 453-488

C’est en étudiant l’histoire naturelle que les élèves apprendront à se servir de leurs sens, art sans lequel ils ignoreront beaucoup de choses, et ce qui est pis, ils en sauront mal beaucoup d’autres : art de bien employer les seuls moyens que nous ayons de connaître ; art dont on pourrait faire d’excellents éléments, préliminaires de toute espèce d’enseignement. […] Mais ce qu’il y aurait de mieux à faire, ce serait de se procurer les cahiers de Rouelle revus, corrigés et augmentés par son frère et le docteur Darcet, et de leur enjoindre de faire l’application des principes aux phénomènes de la nature et à la pratique des ateliers, moyens de perfectionner la physique et d’éclairer les arts mécaniques. […] Et puis la nuée de ceux qui ont écrit des dialectes de la langue grecque, de ses idiotismes, de ses prépositions, de ses temps, de la valeur du verbe moyen et des particules de l’oraison latine, de la prosodie, etc. […] J’en dis autant d’Hésiode, qui a pris pour sujets les travaux de la campagne et la Théogonie ou le catéchisme païen ; moins sublime qu’Homère, mais le premier dans le genre moyen. […] Il me semble qu’on pourrait retourner ainsi la proposition de Diderot : Faire un thème, c’est chercher dans la langue qu’on ignore les moyens de rendre les paroles de la langue qu’on sait ; faire une version, c’est employer la langue qu’on sait à s’expliquer celle qu’on ignore.

557. (1868) Curiosités esthétiques « I. Salon de 1845 » pp. 1-76

. — Tout ce qui plaît a une raison de plaire, et mépriser les attroupements de ceux qui s’égarent n’est pas le moyen de les ramener où ils devraient être. […] Certes le dernier moyen est le plus original. […] Cette peinture a, selon nous, une qualité très-importante, dans un musée surtout — elle est très-voyante. — Il n’y a pas moyen de ne pas la voir. […] Granet est un maladroit plein de sentiment, et l’on se dit devant ses tableaux : « Quelle simplicité de moyens et pourtant quel effet !  […] Léon Coignet est un artiste d’un rang très-élevé dans les régions moyennes du goût et de l’esprit. — S’il ne se hausse pas jusqu’au génie, il a un de ces talents complets dans leur modération qui défient la critique.

558. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Les documents historiques ne sont que des indices au moyen desquels il faut reconstruire l’individu visible. […] Sans doute, cette reconstruction est toujours incomplète ; elle ne peut donner lieu qu’à des jugements incomplets ; mais il faut s’y résigner ; mieux vaut une connaissance mutilée qu’une connaissance nulle ou fausse, et il n’y a d’autre moyen pour connaître à peu près les actions d’autrefois, que de voir à peu près les hommes d’autrefois. […] L’Homme corporel et visible n’est qu’un indice au moyen duquel on doit étudier l’homme invisible et intérieur. […] Mais quoique les moyens de notation ne soient pas les mêmes dans les sciences morales que dans les sciences physiques, néanmoins, comme dans les deux la matière est la même, et se compose également de forces, de directions et de grandeurs, on peut dire que dans les unes et dans les autres l’effet final se produit d’après la même règle. […] Elle ressemble à ces appareils admirables, d’une sensibilité extraordinaire, au moyen desquels les physiciens démêlent et mesurent les changements les plus intimes et les plus délicats d’un corps.

559. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Le spectateur veut bien ne pas regarder de trop près aux moyens dont se sert le poète pour faire rencontrer ses personnages au même lieu et dans le même temps ; mais il ne consent ni à s’intéresser à plusieurs personnages à la fois, ni à s’intéresser médiocrement au principal. […] Cette terreur mitigée, cette terreur qui se défie d’elle-même, qui désire ménager les bienséances, n’est pas un moyen dramatique sérieux. […] En imaginant la théorie de la terreur, Crébillon n’avait trouvé qu’un paradoxe : ceux qui l’en louaient de son temps comme d’une nouveauté durable, n’avaient trouvé qu’un moyen de plus de chagriner Voltaire. […] L’émotion n’est pas trop chèrement payée par le léger tort que peut faire à l’art l’irrégularité du moyen. […] Voltaire a pris trop souvent le cœur humain pour un moyen de théâtre parmi d’autres, et non pour la source unique de toutes les beautés comme de toutes les inventions dramatiques.

560. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES FRAGMENTS ET LETTRES DE BLAISE PASCAL, Publiés pour la première fois conformément aux manuscrits, par M. Prosper Faugère. (1844). » pp. 193-224

Faire remarquer que le texte des éditions des Pensées n’était point parfaitement conforme au texte original, que les premiers éditeurs avaient souvent éclairci et affaibli, que les éditeurs suivants n’avaient rien fait pour réparer ces inexactitudes premières, dont quelques-unes n’étaient pourtant pas des infidélités, appeler l’attention des hommes du métier sur ces divers points, les mettre à nu par des échantillons bien choisis, et indiquer les moyens d’y pourvoir, il n’y avait rien là, ce semble, qui pût passionner le public et le saisir d’une question avant tout philologique. […] Avant de rendre compte des moyens et des résultats de son travail, il importe toutefois (c’est justice) de caractériser une phase nouvelle qui semble s’ouvrir en France pour la critique littéraire, et dont M. […] J’aime les biens, parce qu’ils donnent les moyens d’en assister les misérables….. » Que ce christianisme vrai et de source vient en démenti aux idées des plus sages païens ! Écoutez Pindare sur la richesse : à la manière dont il la célèbre, dont il la proclame l’astre glorieux et la vraie lumière des humains 67, on ne sait en vérité s’il n’en fait pas non-seulement l’accompagnement naturel et le cadre brillant des vertus, mais encore la condition et le moyen direct de la sagesse et de la félicité après la vie.

561. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

L’espèce humaine se renouvelant toujours, un individu ne peut faire de vide que dans l’opinion ; et pour que cette opinion existe, il faut avoir un moyen de s’entendre à distance, de se réunir par des idées et des sentiments généralement approuvés. […] Les gouvernements, dans les pays devenus libres, ont besoin, pour détruire les antiques erreurs, du ridicule qui en éloigne les jeunes gens, de la conviction qui en détache l’âge mûr ; ils ont besoin, pour fonder de nouveaux établissements, d’exciter la curiosité, l’espérance, l’enthousiasme, les sentiments créateurs enfin, qui ont donné naissance à tout ce qui existe, à tout ce qui dure ; et c’est dans l’art de parler et d’écrire que se trouvent les seuls moyens d’inspirer ces sentiments. […] La philosophie peut quelquefois considérer les souffrances passées comme des leçons utiles, comme des moyens réparateurs dans la main du temps ; mais cette idée n’autorise point à s’écarter soi-même, en aucune circonstance, des lois positives de la justice. […] Les suites quelconques des actions des hommes ne sauraient ni les rendre innocentes, ni les rendre coupables ; l’homme a pour guide des devoirs fixes, et non des combinaisons arbitraires ; et l’expérience même a prouvé qu’on n’atteint point au but moral qu’on se propose, lorsqu’on se permet des moyens coupables pour y parvenir.

562. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

Ôtez-les tous, sauf elle ; supprimez la chose elle-même, comme on le fait au moyen d’un trompe-l’œil dans les spectacles optiques ; supprimez les rayons lumineux, ce qui est le cas pour les images consécutives que l’on voit les yeux fermés ; supprimez l’ébranlement du bout extérieur du nerf, ce qui a lieu dans l’illusion des amputés ; supprimez toute action du nerf, ce qui a lieu dans l’hallucination proprement dite ; ne laissez subsister que la sensation ou action des centres sensitifs, il y a hallucination, et partant jugement affirmatif. — Au contraire, supprimez cette sensation ou action des centres sensitifs, en gardant tous les autres intermédiaires et l’objet lui-même ; posez que l’objet est présent, qu’il est éclairé, que l’extrémité du nerf est ébranlée, que cet ébranlement se propage sur tout le trajet du nerf ; si les centres nerveux sont engourdis par le chloroforme, ou si, comme il arrive dans l’hypnotisme et dans l’attention passionnée, une sensation antérieure dominatrice ferme l’accès aux sensations survenantes, on pourra battre le tambour dans la chambre, pincer, piquer, blesser le patient sans qu’il s’en doute ; n’éprouvant ni la sensation du son, ni la douleur de la blessure, il ne percevra ni le tambour ni l’instrument blessant. […] Le premier moyen est de lui donner une attitude qui corresponde à tel sentiment, qui soit le commencement de telle action, qui indique la présence de tel objet ; spontanément, il complète cette attitude, et aussitôt il éprouve le sentiment, il fait l’action, il croit à la présence de l’objet. — Vous penchez sa tête un peu en arrière et vous redressez son échine, « aussitôt sa contenance prend l’expression de l’orgueil le plus vif, et son esprit en est manifestement possédé… » En cet instant, « courbez sa tête en avant, fléchissez doucement son tronc et ses membres, et la plus profonde humilité succède à l’orgueil ». […] Le second moyen de suggestion consiste dans la parole, et ce procédé réussit parfois dans le somnambulisme simple. […] N… se met à l’écart pour mieux écouter et pour mieux entendre ; il questionne, il répond ; il est convaincu que ses ennemis, à l’aide de moyens divers, peuvent deviner ses plus intimes pensées… Du reste, il raisonne parfaitement juste, toutes ses facultés intellectuelles sont d’une intégrité parfaite, il suit la conversation sur divers sujets avec le même esprit, le même savoir, la même facilité qu’avant sa maladie… Rentré dans son pays, M. 

563. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

Ne pouvant en même temps se dissimuler l’état d’infirmité où il était lui-même, il les exhortait à ne se plus considérer comme des enfants, mais comme des hommes ; car il prévoyait que les circonstances où ils allaient se trouver les réduiraient bientôt à la nécessité de mettre à l’épreuve leurs talents et leurs moyens personnels. « On attend à toute heure l’arrivée d’un médecin de Milan, leur dit-il ; mais pour moi, c’est en Dieu seul que je mets ma confiance. » Soit que le médecin ne fût pas arrivé, ou que le peu de confiance que Pierre avait dans ses secours fût bien fondé, environ six jours après, le premier jour d’août de l’année 1464, Côme mourut, à l’âge de soixante et quinze ans, profondément regretté du plus grand nombre des citoyens de Florence, qui s’étaient sincèrement attachés à ses intérêts, et qui craignaient que la tranquillité de la ville ne fût troublée par les dissensions qui allaient probablement être la suite de ce triste événement. […] En effet, mon cher Laurent, quoique vous ayez donné des preuves d’un mérite et d’une vertu qui semblent à peine appartenir à la nature humaine ; quoiqu’il n’y ait point d’entreprise, si importante qu’elle soit, dont on ne puisse espérer de voir triompher cette prudence et ce courage que vous avez développés dès vos plus jeunes années ; et quoique les mouvements de l’ambition, et l’abondance de ces dons de la fortune qui ont si souvent corrompu des hommes dont les talents, l’expérience et les vertus donnaient les plus hautes espérances, n’aient jamais pu vous faire sortir des bornes de la justice et de la modération, vous pouvez néanmoins, pour vous-même et pour cet État dont les rênes vont bientôt vous être confiées, ou plutôt dont la prospérité repose déjà en grande partie sur vos soins, tirer de grands avantages de vos méditations solitaires ou des entretiens de vos amis sur l’origine et la nature de l’esprit humain : car il n’y a point d’homme qui soit en état de conduire avec succès les affaires publiques, s’il n’a commencé par se faire des habitudes vertueuses, et par enrichir son esprit des connaissances propres à lui faire distinguer avec certitude pour quel but il a été appelé à la vie, ce qu’il doit aux autres et ce qu’il se doit à lui-même. » Alors commença entre Laurent et Alberti une conversation dans laquelle ce dernier s’attache à montrer que, comme la raison est le caractère distinctif de l’homme, l’unique moyen pour lui d’atteindre à la perfection de sa nature, c’est de cultiver son esprit, en faisant entièrement abstraction des intérêts et des affaires purement mondaines. Laurent, qui ne se borne pas à jouer un rôle passif dans cet entretien, combat des principes qui, poussés à la rigueur, isoleraient l’homme et le rendraient étranger à ses devoirs ; il soutient qu’on ne doit pas séparer la vie contemplative de la vie active, mais que l’une doit servir de base et de moyen de perfection à l’autre. […] « M’abandonnant donc à ma passion, je cherchai, par tous les moyens possibles, à découvrir si les charmes de sa conversation répondaient à ceux de sa figure ; et alors je trouvai un assemblage de qualités si extraordinaires, qu’il était difficile de dire si les grâces de son esprit l’emportaient sur celles de sa personne.

564. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Il faudrait signaler encore comme une émanation de l’esprit clérical, et comme un des moyens d’action par où les clercs modifièrent l’esprit de la société laïque, les sermons prononcés dès le ixe et le xe  siècle en langue vulgaire, et dont nous aurons occasion de parler ailleurs. […] On ne saurait imaginer en effet de combien de choses Jean de Meung trouve moyen de parler, tandis que son Amant poursuit la conquête de la Rose. […] Les impôts ne sont qu’une contribution destinée à fournir au prince les moyens de faire sa fonction. […] Tous les deux nés aux bords de Loire, fils du même pays, génies populaires, vulgaires et forts, il y a entre eux la différence des temps : mais c’est au fond la même œuvre, à laquelle ils ont travaillé, presque par les mêmes moyens.

565. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

C’est une garantie d’impartialité ordinaire, de vérité moyenne : il évite ainsi les grandes erreurs et les grandes découvertes. […] Sa peinture de l’homme est juste, un peu banale ; c’est l’homme de Montaigne, de La Rochefoucauld et de Pascal : égoïste, léger, inconstant, toujours en deçà et au-delà du vrai, prenant pour raison sa fantaisie, son habitude et son intérêt, incapable d’un sentiment profond et durable, plus capable d’un grand effort d’un instant que d’une vertu moyenne et constante, allant aux belles actions par vanité, ou par fortune, soumis à la mode dans ses mœurs, dans ses idées comme dans son vêtement. […] la critique des abus fondamentaux de la société du xviie  siècle : abus dans la noblesse, qui s’achète, et qui n’est plus qu’un moyen de ne pas payer l’impôt quand on est riche ; abus dans la religion, tournée en spectacle mondain ; abus dans la famille, où la vanité et l’intérêt ruinent l’institution du mariage, où les filles sont inhumainement sacrifiées à l’orgueil social, et cloîtrées sans vocation ; abus dans la justice, lente, coûteuse, injuste, etc. […] Fénelon le fit quand Saint-Cyr n’existait pas encore : il est ainsi l’un des fondateurs chez nous de l’éducation des filles Son traité est une œuvre exquise de jeunesse, solide et fine, où se révèle une sûre intuition de l’âme féminine, de ses défauts et de ses qualités, et des moyens de la prendre.

566. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. Le théâtre romantique »

Sous l’étalage de la couleur locale, sous le déploiement des tirades emphatiques, Dumas trouve moyen de révéler le tempérament d’un dramaturge. […] Aux moyens de tragédie s’ajoutent tous les trucs du mélodrame : portes secrètes, caveaux, poisons, les six cercueils de Lucrèce Borgia, tout un matériel d’effets pathétiques pour les nerfs et pour les yeux. […] Il faut désormais du spectacle, de l’action extérieure, du pittoresque, des détails locaux et individuels : il n’y a plus de succès que par l’emploi plus ou moins large des moyens romantiques. […] Rien ne devait plus faire obstacle au poète qui aurait quelque chose à dire sur l’homme, et qui saurait le dire par les moyens spéciaux du drame.

567. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

Je n’ai ni la prétention ni les moyens d’exposer ici complètement les théories disséminées dans ces milliers de pages. […] Cette convention vaut, non seulement pour les faits antérieurs au drame, mais pour les moyens qui, dans le cours même du drame, amènent telle situation dramatique — toujours à condition que le public l’accepte, qu’il soit dupe, que l’auteur, comme dit M.  […] Inférieur ou non, c’est un art particulier et très puissant dont on peut déterminer les moyens et la forme nécessaire ; et c’est ce que j’ai fait. […] Il est comme ces critiques d’art qui, connaissant à fond les moyens d’expression, la « langue » propre à chacun des arts plastiques, sont particulièrement sensibles aux qualités de métier et les exigent avant toute chose.

568. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

C’est un de ces cas où la fin justifie les moyens. Mais le moyen qu’a pris Voltaire est-il donc si mauvais ? […] 92. » La doctrine est complète ; elle pense à l’âme du criminel en lui laissant la vie ; elle lui ménage le moyen de se relever ; elle le croit capable encore de l’honneur chrétien qui est le repentir. […] Il ne prend pas tout ce qu’on lui donne ; bon moyen de s’assurer d’autant plus ce qu’il prend.

569. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de Pompadour. Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre. (Collection Didot.) » pp. 486-511

Mme de Tencin, qui aurait voulu pousser son frère le cardinal à la tête du ministère, ne savait par quel moyen avoir prise sur cette volonté apathique du monarque : elle en écrivait au duc de Richelieu, qui était pour lors à la guerre ; elle engageait ce courtisan à écrire à Mme de La Tournelle (duchesse de Châteauroux), pour qu’elle essayât de tirer le roi de l’engourdissement où il était sur les affaires publiques : Ce que mon frère a pu lui dire là-dessus, ajoutait-elle, a été inutile : c’est, comme il vous l’a mandé, parler aux rochers. […] Mme de Pompadour voulut voir ce fils du maître, trouva moyen de se le faire amener à Bellevue où elle avait sa fille, et, conduisant le roi dans une figuerie où étaient, comme par hasard, les deux enfants, elle lui dit en les montrant tous deux : « Ce serait un beau couple. » Le roi resta froid et donna peu dans cette idée. […] Mme de Pompadour représente, par d’autres côtés encore, la classe moyenne à la Cour, et en signale en quelque sorte l’avènement, — avènement très irrégulier, mais très significatif et très réel. […] Cependant Mme de Pompadour comprit, à un certain moment, que la maîtresse en elle était usée, qu’elle ne pouvait plus retenir ni amuser le roi à ce seul titre ; elle sentit qu’il n’y avait qu’un moyen sûr de se maintenir, c’était d’être l’amie nécessaire et le ministre, celle qui soulagerait le roi du soin de vouloir dans les choses d’État.

570. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Il n’avait que vingt-sept ans, et, pendant deux années encore, jusqu’en 1792, nous le voyons prendre part au mouvement dans une certaine mesure, donner en quelques occasions des conseils par la presse, ne pas être persuadé à l’avance de leur inefficacité : en un mot, il est plus citoyen que philosophe, et il se définit lui-même à ce moment « un homme pour qui il ne sera point de bonheur, s’il ne voit point la France libre et sage ; qui soupire après l’instant où tous les hommes connaîtront toute l’étendue de leurs droits et de leurs devoirs ; qui gémit de voir la vérité soutenue comme une faction, les droits les plus légitimes défendus par des moyens injustes et violents, et qui voudrait enfin qu’on eût raison d’une manière raisonnable ». […] Et il va chercher quels sont les moyens de lui faire reprendre cette assiette le plus tôt possible, et quelles sont les causes ennemies qui s’opposent à l’établissement le plus prompt d’un ordre nouveau. […] Par tous les moyens, par toutes les raisons, il provoque une ligne active et vigilante de tous les citoyens probes et sages, une « concorde courageuse » et presque un « vertueux complot » de leur part pour conjurer les efforts contraires de la sottise et de la perversité. […] Et apprest les réponse du citoyent Pastourel et Piscatory nous avons présumé que le citoyent devoit estre interrogés et apprest son interogation estre conduit apparis pour y estre détenue par mesure de suretté générale et de suitte avons interpellé le citoyent Chenier denous dire cest nomd et surnomd âges et payi de naissance demeure qualité et moyen de subssittée.

571. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Sainte-Beuve dit : « Il est bon que l’homme de lettres vive de sa plume : trouvons le moyen de l’en faire vivre largement. » On le voit, le dissentiment est nettement marqué entre notre honorable rapporteur et nous. […] Le moyen de parvenir au grand succès serait peut-être de moins rechercher le petit. […] Soyons vrais avec nous-mêmes ; c’est le moyen de l’être aux yeux des autres. Soyons fermes et convaincus ; c’est le moyen de le paraître.

572. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

Or ce que nous affirmons de l’assimilation et de l’invention, nous devons l’affirmer de la pensée tout entière ; car toute pensée, simple concept ou jugement, a été dans l’âme une première fois avant d’y devenir habituelle et familière, et, cette première fois, elle a été assimilée ou inventée ; elle est venue du dehors par le moyen des mots, ou bien nous l’avons trouvée par notre propre réflexion, en nous aidant, pour la chercher et pour chercher son expression, des notions et des mots déjà connus. […] Tous ces secours manquaient aux premiers essais de la pensée ; plus on est jeune, plus l’expression première est incomplète et inexacte ; plus on est jeune, moins on a les moyens d’être inspiré ; plus on est jeune, moins la parole peut aider la pensée, plus on cherche ses mots, moins vite on les trouve, moins appropriés ils sont à bien rendre les découvertes de l’entendement. […] Si, pressé par le temps, je me contente, pour une idée que je crois neuve, d’une expression imparfaite, la formule que je confie au papier est un véritable expédient mnémonique, un moyen tel quel de ne pas oublier l’idée qui, tandis que ma main trace les caractères, est présente à mon esprit. […] Nous citerons plus loin les passages d’Horace dont Boileau s’est inspiré. — Quintilien (X, 1) est plus pénétrant que Boileau ; il comprend que l’expression peut être en retard sur la pensée ; mais, si les nombreuses analyses psychologiques de cet auteur sont très fines, elles sont aussi très vagues ; nulle part il ne distingue dans la mémoire verbale la puissance (conservation) et l’acte (reproduction, parole intérieure) ; puis la parole est pour lui le but, et la pensée le moyen : ce faux point de vue est l’erreur fondamentale de son livre.

573. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Nouveaux voyages en zigzag, par Töpffer. (1853.) » pp. 413-430

C’est l’heure des vacances, c’est le moment de faire son tour de Suisse, sa visite aux Alpes ; pour ceux qui sont libres comme pour ceux qui sont retenus, il n’est pas de moyen plus agréable ou d’éclairer sa route si l’on part, ou de se figurer le voyage si l’on reste, que de prendre les livres de Töpffer. […] Il n’a jamais dépeint avec détail ni pénétré, même ce qu’on appelle la seconde région ou région moyenne. […] Cette seconde région qui, ai-je dit, est la moyenne, mène à l’autre, à la supérieure et sublime, qui est la région des pics, des glaciers, des resplendissants déserts, et où la rigueur du climat « ne laisse vivre que des rhododendrons, quelques plantes fortes, des gazons robustes », au bord et dans les interstices des neiges éternelles.

574. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Tallemant et Bussy ou le médisant bourgeois et le médisant de qualité » pp. 172-188

Il en est un peu de cet art d’esprit comme de la toilette des personnages, desquels Bussy remarque volontiers qu’ils ont bien de la propreté ou qu’ils sont malpropres, ce qui ne veut pas toujours dire qu’ils se mettent bien ou mal ; cela veut dire qu’ils se soignent ou ne se soignent pas, et suppose qu’il y avait une certaine moyenne de propreté qui n’était pas alors en usage et de rigueur. […] Homme de guerre, lieutenant de Turenne, mais compliqué d’un Maurepas, il trouve moyen d’effaroucher son général et de se l’aliéner par la peur qu’on a de ses chansons. Courtisan tout prêt, s’il le faut, à ramper devant Louis XIV pourvu qu’on l’emploie, il trouve moyen, au début du glorieux règne, et par une scandaleuse sottise, de se faire traiter comme un libelliste dont on brise la plume, lui dont l’épée est avide de l’action et impatiente du fourreau.

575. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

Il trouva moyen d’y conserver sa liberté d’études, sa spontanéité d’éducation. « Le peu de leçons qu’on me donnait, dit-il, n’avaient pas d’attrait pour moi ; mais, comme on me voyait sans cesse occupé et que ma conduite était irréprochable, on me laissait faire ». […] Je ne sais absolument qu’en penser ; c’est à vous de voir et d’en savoir davantage ; mais n’épargnez aucun moyen pour soumettre au frein ces imaginations capricieuses et vagabondes, s’il y a place pour un bon conseil… Ce Bonstetten wertherien, hâtons-nous de le dire, excède et dépasse de beaucoup le Bonstetten naturel, habituel, celui qui va durer, fleurir et se renouveler jusqu’à la fin, et qui, après avoir été un si séduisant jeune homme, parut à tous un si agréable vieillard. En regard du Bonstetten de vingt-quatre ans que Gray vient de nous montrer dans toute sa fougue et sa gentillesse, et dont il a peur en même temps qu’il en est charmé, représentons-nous celui que Zschokke a dépeint à bien des années de là, « d’une taille un peu au-dessous de la moyenne, mais fortement constitué, trahissant par la grâce et la noblesse de ses manières l’habitude d’une société choisie, le visage plein d’expression, d’un coloris frais et presque féminin, le front élevé et d’un philosophe, les yeux pleins d’une souriante douceur, tout à fait propre à captiver, et tel, en un mot, qu’après l’avoir vu une fois, on ne l’oubliait plus ».

576. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps. Par M. Guizot. »

On était généralement très préoccupé d’un premier point : éviter à tout prix la république ; mais, la république évitée, prit-on les meilleurs moyens pour fonder et pour nationaliser la monarchie ? […] Il faut que, pour votre compte, vous cherchiez et que vous répétiez au Gouvernement de chercher les moyens de guérir un tel mal… Je ne puis trop vous prier de réfléchir que nous ne sommes pas dans un moment de raison, où les moyens tout raisonnés du système représentatif suffisent… Je suis persuadé qu’une guerre serait utile, bien entendu si l’on ; parvenait à la limiter. » Et il terminait par une épigramme, selon sa manière : « La France est, pour le moment, dans le genre sentimental bien plus que dans le genre rationnel.

577. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

Montausier qui, sous ses vertus de Caton et sous le manteau de duc et pair, avait un arrière-fond de pédant et une dureté de cuistre, eut beau déployer et briser sur son élève le fouet et la férule, — Bossuet, qui assistait aux coups sans mot dire, eut beau écrire pour lui les traités les plus relevés et les plus magnifiques discours, — au lieu de le stimuler par aucun moyen, on n’était parvenu qu’à l’assommer et à le rebuter, pour le reste de sa vie, de toute noble application de la pensée. […] Mais quel moyen de prévoir ces orages, et de conjurer la tempête ? […] Fénelon, grâce sans doute et surtout au christianisme et aux moyens qu’il fournit d’humaniser les âmes, réussit pour le duc de Bourgogne ; mais il n’y réussit pas moins à l’aide de Virgile, en empruntant bien des fois et en répétant les divins accents de celui à qui, dans le plus heureux de ses Dialogues, il disait par la bouche même d’Horace : « Vous embellissez et vous passionnez toute la nature. » Quand le démon était près de ressaisir le jeune furieux, c’est avec du Virgile qu’il le calmait, comme David faisait pour Saül avec sa harpe.

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