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1160. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « ??? » pp. 175-182

Tel est pourtant le personnage principal autour duquel le roman va tourner, emportant deux mondes, l’Europe et l’Asie ; car une partie de l’action se passe aux Indes. […] les idées pures gouvernant le monde par elles-mêmes, sans ministres à leur département, et l’humeur de n’avoir pas toutes ces belles choses, voilà le secret des tristesses et des lamentations du comte Zélislas pendant deux gros volumes, voilà ce qui le pousse, après avoir traîné ici et là la chaîne de ses déceptions, à aller se faire tuer à la polonaise sur le champ de bataille de Novare, où il est blessé, pour nommer le livre, et assez pour en mourir. […] d’un monde où des caractères si élevés, si purs, si grandioses, ont chance de se heurter et finalement de se briser.

1161. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

Le monde social, avec ses devoirs meurtriers, se trouvait écarté. […] Le monde de l’espérance s’ouvrait devant eux, en revanche, comme un jardin paré des plus belles fleurs. […] Être du monde est un luxe qu’on permet peu à la vanité des derniers venus. […] Lia, pour sa première entrée dans le monde, avait un succès fou. […] Charbon d’un monde éteint !

1162. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

Auger eut fait son apparition dans le monde par ordre. […] D’ailleurs je n’ai jamais cherché à les offenser le moins du monde, et si j’ai dit célèbre à M.  […] Je ne vous parle point de quelques productions réellement trop pitoyables malgré l’espèce de succès qui a signalé leur entrée dans le monde. […] Je lui demande quel âge à son fils, et je calcule à part moi à quelle époque ce fils paraîtra dans le monde et fera l’opinion. […] Depuis deux mille ans que nous savons l’histoire du monde, une révolution aussi brusque dans les habitudes, les idées, les croyances, n’est peut-être jamais arrivée.

1163. (1894) La bataille littéraire. Sixième série (1891-1892) pp. 1-368

Lavedan instruira autant nos petits-fils sur notre monde que le burin de Moreau nous a renseignés sur celui de son temps. […] Ces choses, il n’est qu’une femme désormais au monde qui puisse non seulement les pardonner, mais les chérir, c’est moi. […] Ainsi partout et surtout dans le monde des lettres. […] te voilà venue au monde bien tristement, avec l’estampille d’un mensonge. […] Un immense abaissement moral, et peut-être intellectuel, suivrait le jour où la religion disparaîtrait du monde.

1164. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Argument » pp. 355-356

Coup d’œil sur le monde politique, ancien et moderne, considéré relativement au but de la Science nouvelle. (Âge humain.) — Rome, n’étant arrêtée par aucun obstacle extérieur, a fourni toute la carrière politique que suivent les nations, passant de l’aristocratie à la démocratie, et de la démocratie à la monarchie. — Conformément aux principes de la Science nouvelle, on trouve aujourd’hui dans le monde beaucoup de monarchies, quelques démocraties, presque plus d’aristocraties.

1165. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VII. Narrations. — Dialogues. — Dissertations. »

Ainsi Tacite, s’imposant la loi de faire l’histoire du monde romain année par année, raconte d’abord l’histoire extérieure, les campagnes, les guerres, les révoltes, puis l’histoire intérieure, les événements du palais impérial, et les affaires du sénat, enfin les menus incidents, les singularités, les circonstances secondaires, ce qu’on peut appeler les faits-divers de la vie romaine : et dans tous ces morceaux juxtaposés, il n’empiète guère d’une année sur l’autre. […] Quand on lit l’histoire des guerres, on ne voit que des généraux et des soldats : il n’y a pas autre chose en France : quand on lit l’administration, il n’y a que des bureaux, des commis et des ministres ; la France, semble-t-il, est seule dans le monde et sans voisins. […] Le dialogue que demandent la logique des événements et la nature intime des individus, n’est pas celui que composent dans le monde les circonstances, les convenances et l’intérêt : ce qui est philosophique et vrai n’a guère l’air de la vie et de la réalité. […] Il n’est pas aisé d’y réussir : on voit des hommes de talent, au théâtre, présenter des personnages qui sont à tour de de rôle de plates photographies et des types abstraits, qui tantôt parlent le verbiage insignifiant de leur condition dans le monde, et tantôt proclament la théorie profonde de l’auteur sur leur caractère.

1166. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Chamfort »

Ses succès du monde, plus chers à sa vanité que ses succès littéraires, ne voilèrent de leur éclat ni pour les autres ni pour lui la plaie secrète, cette suppuration d’orgueil et d’envie qu’on sent en lui malgré les soins de sa double toilette, — malgré le musc et les opinions de son temps. […] Fait, comme tout homme qui vient en ce monde, de mémoire, d’intelligence et de volonté, le bâtard, si loin qu’il recule en lui, trouve dans sa mémoire l’événement qui lui a retranché toute légitimité naturelle et sociale ; car le séducteur dont il est sorti n’est pas père. […] , même quand le monde, trop bon pour lui, l’oubliait. […] … Sont-ils donc dans le monde un État dont chaque membre soit obligé de défendre l’honneur quand on le menace ?

1167. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVII. Mémoires du duc de Luynes, publiés par MM. Dussieux et Soulier » pp. 355-368

Il n’a pas, il est vrai, la correction de Tacite, cette perfection dans la langue écrite et profondément gouvernée du Romain, qui gouvernait son style comme il eût gouverné le monde. […] Nous n’aurions eu que la grisaille sans profondeur de Voltaire, mais la clef de ces hiéroglyphes d’étiquette, de ce monde olympien de Versailles, nous ne l’aurions point eue sans Saint-Simon, et ce monde, incompréhensible à l’esprit moderne, fût resté éternellement une lettre morte pour nos descendants ! […] Il est encore plus inutile, car Dangeau lui-même n’était d’aucune nécessité pour l’histoire et le monde pouvait se passer très bien de sa rapsodie.

1168. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iv »

Enfin, c’est leur troisième réconfort, ces protestants se battent pour conquérir la paix dans le monde et dans les âmes. […] Quand l’unité factice, qui s’est formée à nos côtés il y a quarante-quatre ans, sera dissoute… la France, à la tête du progrès et de la liberté, comme toujours, travaillera efficacement pour la paix du monde… De cette guerre résulteront de grandes choses pour notre patrie, pour l’œuvre qui doit s’accomplir en elle et par elle. […] servira la cause de l’évangélisation du monde dans cette génération. […] Et le jeune Gustave Escande, de la Fédération Universelle des Étudiants chrétiens, écrit à ses amis : « Il m’est très doux de penser que des centaines de milliers de jeunes gens dans le monde luttent comme moi pour arriver à l’idéal que nous nous sommes composé : “Faire le Christ Roi”. » Mais la voix de ces jeunes lévites du droit n’est nulle part mieux persuasive que dans la prière que voici, d’un petit soldat protestant du pays de Monthéliard, qui mourait à l’ambulance de la gare d’Ambérieu.

1169. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Quelques « billets du matin. » »

En voilà un qui ne s’ennuie pas d’être au monde !  […] Parce qu’il y a trop de monde. […] C’est qu’en effet notre misère est vieille comme le monde. […] Personne ne l’a vue : il y avait trop de monde. […] Comment le monde lui apparaît-il ?

1170. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Son œuvre est le résultat d’un effort de connaissance objective du monde sans cesse altéré par le souvenir, par la persuasion renaissante qu’il n’y a d’autre monde que le monde psychique, dont il est une monade sans communication avec les autres monades. […] Il y a un monde immergé sur lequel nous ne pouvons avoir que des renseignements rares et accidentels. […] Il y aurait ici un monde de réflexions à présenter. […] J’entrais dans un nouveau monde. […] Et tout un monde avec elle, qui y était pris.

1171. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Saint-Simon, en entrant dans le monde à l’âge de dix-neuf ans, dénote bien ses instincts et ses goûts. […] Il est périlleux, même pour un honnête homme, s’il est passionné, de sentir qu’il écrit sans contrôle, et qu’il peint son monde sans confrontation. […] Telle étoit à l’armée la vie de ce grand général, et telle encore à Paris, où la Cour et le grand monde occupaient ses journées, et les soirs ses plaisirs. […] Mais avec Saint-Simon on ne peut se mettre à citer et à vouloir choisir : ce n’est pas un livre que le sien, c’est tout un monde. […] Ce succès toutefois, coupé par la Révolution de 1830, se passa dans le monde proprement dit, encore plus que dans le public ; celui-ci n’y arriva qu’un peu plus tard et graduellement.

1172. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

Mais il n’y a pas dans la nature de gouvernement temporaire ; ce sont les mêmes lois qui régissent aujourd’hui le monde et qui ont présidé à sa constitution. […] Nous ferions désormais d’inutiles efforts pour imaginer comment conçoivent le monde ceux qui ne croient pas au progrès. […] On dirait que toutes les races et tous les siècles ont compris Dieu, l’âme, le monde, la morale d’une manière identique 94. […] Que faire en ce monde de glace ? […] Un cadavre disséqué est en un sens horrible ; et pourtant l’œil de la science y découvre un monde de merveilles.

1173. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

— Dans Lohengrin, inspiration merveilleuse, le monde divin apparaît, l’ange se révèle dans le héros. […] Elle se retire donc dans une grande solitude pour que Parsifal ne sache rien du monde et de la chevalerie. […] Alors Parsifal oublie sa chaumière natale, sa mère, le monde entier pour une seule pensée : revoir les chevaliers et se faire chevalier lui-même. Depuis ce jour il court le monde, l’arc en main, vivant de rapines, dans un accoutrement misérable. […] Mais les études qui, plus spécialement, lui valurent un nom dans le monde savant, furent celles des langues et littératures italiennes et anglaises.

1174. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Théâtre » pp. 83-168

Sifflé un second acte dont la fantaisie court à travers un monde d’aphorismes prétentieux, de situations bizarres, de visions hystériques, commençant au babillage d’une servante et finissant au baiser ridicule d’une femme de quarante ans. […] J’avais un cousin qui devint très amoureux d’une jeune fille du monde. […] vraiment, on me fait un crime de bien des choses, de choses que me donne en spectacle, tous les jours, la vie du monde. […] Le vaudeville en deux actes, terminé et baptisé Sans Titre, nous nous trouvions ne connaître ni un auteur, ni un journaliste, ni un acteur, enfin personne au monde qui tînt de loin ou de près à la littérature ou au théâtre. […] Dans le roman, je le confesse, je suis un réaliste convaincu ; mais, au théâtre, pas le moins du monde.

1175. (1876) Romanciers contemporains

Le comte Walewski, l’auteur de l’École du Monde, eut les mêmes visées de grand seigneur. […] Mais, comme ces récits nous transportent tour à tour dans tous les pays du monde, les romans de M. Marmier renferment la description des plus beaux sites du monde entier. […] L’art n’est infini que si, délaissant le monde physique qui est essentiellement borné, il s’élance dans le monde immatériel qui n’a pas de limites puisqu’il comprend l’âme, l’éternité, l’infinité, ce monde et l’autre. […] Elles n’ont subi ni les servitudes du collège, ni les contraintes ordinaires du monde.

1176. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Sans doute la générosité, l’enthousiasme, le désintéressement dans l’ordre des affections générales et dans celui de l’intelligence, ne manqueront jamais au monde, n’y manqueront pas plus que la corruption, l’égoïsme et l’influence masquée de toutes les roueries. […] En un mot, tant que le monde va et dure, il ne saurait être destitué de la vie et de l’amour. […] Mais à l’abri de la forteresse, et à côté d’une légitime confiance en ce qui ne périt jamais, en ce qui se renouvelle dans le monde de fervent et de généreux, ne se glissait-il pas un coin de crédulité ? […] « Bonaparte, mieux organisé pour le bonheur public et pour le sien, eût pu, avec moins de frais et plus de gloire, fixer les destinées du monde et se placer à la tête du genre humain. […] Prêt, en tous temps et en tous lieux, à soutenir cette cause avec qui et contre qui que ce soit, j’eusse mieux aimé son influence et sa magistrature que toute autre au monde : là s’est arrêtée ma préférence.

1177. (1927) André Gide pp. 8-126

« Ta vérité… » Il n’y a qu’une vérité, la même pour tout le monde. […] Gide, Barrès, Dostoïevski et toute cette école, c’est proprement le monde à l’envers. […] On s’explique à la rigueur, sans l’approuver le moins du monde, l’anathème de M.  […] Car « la manière dont le monde des apparences s’impose à nous et dont nous tentons d’imposer au monde extérieur notre interprétation particulière fait le drame de notre vie ». […] André Gide préfère l’auteur du Monde comme volonté et comme représentation, peut-être tout simplement parce qu’il est plus facile à lire.

1178. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

C’est en ces termes qu’un moraliste de société, le duc de Lévis, commence un chapitre assez piquant sur les médecins qui étaient en vogue vers 1774 ; et au nombre des conditions requises alors pour réussir, indépendamment des talents propres à la profession, il met un esprit délié, la connaissance et l’usage du monde, des manières agréables : « Mais, avant tout, il fallait qu’ils eussent ou qu’ils feignissent un cœur sensible. » On retrouve quelque chose de ce soin et de cette prétention dans les éloges de Vicq d’Azyr. […] Par exemple, dans l’Éloge de M. de Montigny, amateur des sciences et des arts et administrateur éclairé, il nous le fait voir dans sa jeunesse tout près d’entrer dans une compagnie célèbre3 qui façonnait tous ses membres à son usage, mais contrarié heureusement dans son désir et se félicitant plus tard d’avoir échappé au danger des sectes, dont le grand inconvénient, dit Vicq d’Azyr, est « de ne voir dans le monde entier que deux partis, l’un pour lequel on ose tout, et le parti opposé contre lequel on se permet tout ». […] M. de Humboldt lui-même, qui a dit en son Cosmos : « Buffon, écrivain grave et élevé, embrassant à la fois le monde planétaire et l’organisme animal, les phénomènes de la lumière et ceux du magnétisme, a été dans ses expériences physiques plus au fond des choses que ne le soupçonnaient ses contemporains » ; M. de Humboldt, en parlant ainsi, avait oublié l’hommage éclairé rendu à Buffon par Vicq d’Azyr, et que le sien propre ne fait que confirmer par des raisons scientifiques nouvelles61. […] L’Éloge de Franklin qu’il prononça en ces années (14 mars 1791) eut de la célébrité ; on en a retenu le début : « Un homme est mort, et deux mondes sont en deuil… » Cet éloge, qui n’a jamais été imprimé, fut le chant du cygne de l’orateur. […] Il fallut pourvoir à l’inventaire et à la remise des registres et papiers : Marmontel (secrétaire perpétuel) était absent, nous dit Morellet ; le chancelier Vicq d’Azyr, frappé d’une terreur extrême, assez bien fondée sur l’aversion des patriotes pour la reine dont il était le médecin, ne se serait montré pour rien au monde.

1179. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Déjà renommé à Paris pour sa traduction des Lettres de Coxe, accueilli par le meilleur monde, devenu le guide de toute cette belle société qui se prenait d’amour pour la nature de Suisse et pour les glaciers, il attira nécessairement l’attention du cardinal prince de Rohan, évêque de Strasbourg, qui fut flatté de trouver dans un jeune Alsacien de si grands talents, et qui se fit un honneur de l’attacher à sa personne. […] Il s’était fait à Saverne une des plus charmantes résidences du monde ; il y tenait une cour véritable, et il voulut que Ramond en fût. […] Pour lui, laissant là en arrière ses compagnons et son guide, et retrouvant son sentiment allègre des hautes Alpes, il se met à gravir seul et en droite ligne vers la cime : « Je l’atteignis en peu de temps, et, du bord d’un précipice effroyable, je vis un monde à mes pieds. » C’est ici qu’il entre dans une description parfaite et de ce que la vue embrasse du côté des plaines, et des rangées de monts qui s’étagent en amphithéâtre au midi, et des collines et pâturages plus rapprochés qui s’élèvent du fond du précipice vers la pente escarpée du Pic et forment un repos entre sa cime et sa base : Là, dit-il, j’apercevais la hutte du berger dans la douce verdure de sa prairie ; le serpentement des eaux me traçait le contour des éminences ; la rapidité de leur cours m’était rendue sensible par le scintillement de leurs flots. […] Et il insiste sur ce que ce n’est point là le spectacle et la décoration des montagnes centrales, de ces hauteurs désolées et de ces déserts, où l’œil ne rencontre plus rien qui le rassure ; où l’oreille ne saisit pas un son qui appartienne à la vie ; où la pensée ne trouve plus un objet de méditation qui ne l’accable ; où l’imagination s’épouvante à l’approche des idées d’immensité et d’éternité qui s’emparent d’elle ; où les souvenirs de la terre habitée expirent ; où un sombre sentiment fait craindre qu’elle-même ne soit rien… Ici l’on n’est pas hors du monde ; on le domine, on l’observe : la demeure des hommes est encore sous les yeux, leurs agitations sont encore dans la mémoire ; et le cœur fatigué, s’épanouissant à peine, frémit encore des restes de l’ébranlement. […] vivante image du pasteur de toutes les montagnes du monde, de quels siècles ne serait-elle pas contemporaine ?

1180. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Il fait en cette occasion un retour sur lui-même et sur cette prétention, qui est la sienne, d’avoir toujours été un des plus heureux et des plus fortunés hommes entre tous ceux qui aient porté les armes, ce qui est bien aussi une manière de vanité : « Et si (et pourtant), dit-il, n’ai-je pas été exempt de grandes blessures et de grandes maladies ; car j’en ai autant eu qu’homme du monde saurait avoir sans mourir, m’ayant Dieu toujours voulu donner une bride pour me faire connaître que le bien et le mal dépend de lui, quand il lui plaît ; mais encore, ce nonobstant, ce méchant naturel, âpre, fâcheux et colère, qui sent un peu et par trop le terroir de Gascogne, m’a toujours fait faire quelque trait des miens, dont je ne suis pas à me repentir. […] Il avoue ses opiniâtretés, ses colères, qui sentent le cheval de sang et de race : « Il ne me fallait guère piquer pour me faire partir de la main. » Quelquefois aussi, chez lui, c’était méthode et tactique ; on le verra user de sa réputation terrible pour obtenir de prompts et merveilleux résultats : ainsi, à Casal, ville presque ouverte, où il se jette (1552) pour la défendre, et où il lui fallut improviser des fortifications et de grands travaux de terrassement en peu de jours, il donnera ordre à tout son monde, tant capitaines, soldats, pionniers, qu’hommes et femmes de la ville, d’avoir dès le point du jour la main à l’ouvrage « sous peine de la vie » ; et, pour mieux les persuader, il fit dresser des potences (dont sans doute cette fois on n’eut pas à se servir) : « J’avais, dit-il, et ai toujours eu un peu mauvais bruit de faire jouer de la corde, tellement qu’il n’y avait homme petit ni grand, qui ne craignît mes complexions et mes humeurs de Gascogne. » Et en revanche, sans se fier plus qu’il ne faut à l’intimidation, il allait lui-même, sur tous les points, faisant sa ronde jour et nuit, reconnaissant les lieux, « encourageant cependant tout le monde au travail, caressant petits et grands. » Ces jours-là, où il était maître de lui-même, il savait donc gouverner les esprits autant par les bons procédés que par la crainte, et il s’entendait à caresser non moins qu’à menacer. […] S’il a le cœur en bon lieu, il estime plus cela que tout le bien du monde, et à la première rencontre il tâchera encore de mieux faire. » Les Commentaires de Montluc offrent ainsi mille conseils, non seulement d’une bonne tactique, mais aussi d’une bonne rhétorique de guerre. […] Il s’informa et s’orienta si bien, il prit si exactement ses mesures et ses heures de départ, de marche nocturne et d’arrivée, il choisit et tria si soigneusement son monde, rien qu’une petite troupe (« car ce n’est pas tout d’avoir des hommes un grand nombre ; quelquefois il nuit plus qu’il ne profite »), il les dirigea si à point et calcula tout si en perfection, que, le bonheur y aidant, il vint à bout de cette faction, comme il l’appelle, ou prouesse. […] Ne lui demandez pas les grandes vues militaires ni de stratégie, ni d’embrasser un échiquier bien étendu ; mais dans ce cadre indiqué, il semble un officier accompli, plein de ressources, ayant le coup d’œil et la main, électrisant son monde, combinant l’audace et l’art, et corrigeant la témérité par l’adresse.

1181. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

D’autres enfin n’ont pas eu du tout d’anathème : il ont osé soutenir en moralistes hardis, mais surtout en poètes, qu’il faut dans ce monde nouveau, où la nature domptée par la science devient la première collaboratrice de l’homme, marcher résolûment à la fortune pour en faire un large et magnifique usage, conquérir l’or pour le répandre ensuite d’une main souveraine, pour fertiliser en tous sens et renouveler la face de la terre. […] Le poète cette fois n’anathématise point l’or et ne blâme point les malheureux émigrants qui le vont chercher ; il jette sur l’ensemble du monde un regard de tristesse et trouve encore l’humanité bien misérable au gré des désirs et des vœux qu’il conçoit pour elle. […] Le moraliste, l’économiste d’autrefois s’indigne, s’irrite de cette poursuite de l’or, il voudrait ramener le monde à la pauvreté. […] vous tous Dont la misère fut féconde, Et sans trêve dota le monde Des vertus par où tout se fonde, En les voyant, que diriez-vous ? […] Le ton est celui du monde et de la bonne société.

1182. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

Qui n’a pas vu cette taille mince, élevée, restée jeune, ce port ferme et résolu, cette démarche allègre, ce front haut légèrement dépouillé, aux cheveux clairsemés grisonnant à peine, cet œil surtout encadré d’un sourcil noir ardent, cette prunelle élargie et comme avide d’absorber le monde entier dans son orbite, ce regard qui vous perce et qui plonge en vous, ne connaît point l’homme. […] Il est vrai que, chez les Romains, ce mouvement n’était pas aussi expansif que chez les Grecs ; le monde ancien, au temps de Trajan, d’Adrien, même d’Auguste, était plus porté à se contenir, à se défendre qu’à s’étendre et à se propager. […] L’ignorance où l’on était de la géographie et du vrai système du monde eût seule suffi pour envelopper l’homme de ténèbres et pour tempérer la plus hardie curiosité par un certain effroi de l’inconnu. […] Duveyrier a raison de dire : « La civilisation, pour tout le monde, c’est la perfectibilité humaine en mouvement, c’est le progrès social vivant et grandissant, en chair et en os. » Je regrette que M.  […] Il faut voir le monde et notre espèce d’un peu moins haut pour s’en éprendre, et cependant les voir en grand et avec largeur.

1183. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

Je sais combien le vrai goût et le plus fin a été longtemps l’apanage presque exclusif du monde aristocratique ; combien, à certains égards, et malgré tant de changements survenus, il en est encore un peu ainsi. […] A ce livre de La Bruyère, qui semble avoir donné son cachet à leur esprit, ajoutez encore, si vous voulez, qu’elles ont lu dans leur jeunesse la Pluralité des Mondes et la Recherche de la Vérité. […] Je sentois cependant que chaque instant l’éloignoit de moi, et ma peine prenoit le même accroissement que la distance qui nous séparait. » Nous surprenons ici le défaut ; cette peine qui croît en raison directe de la distance, c’est plus que du philosophe, c’est bien du géomètre ; et nous concevons que M. de Silly ait pu dire à sa jeune amie dans une lettre qu’elle nous transcrit : « Servez-vous, je vous « prie, des expressions les plus simples, et surtout ne faites « aucun usage de celles qui sont propres aux sciences. » En homme du monde, et plein de tact, il avait mis d’abord le doigt sur le léger travers. […] Qu’aurait-on dorénavant à dire au monde, là où l’on en est à se dire à soi-même : « De quoi peut-on véritablement se soucier quand on y regarde de près ? […] Les femmes du xviie  siècle, après les orages du monde, retournent volontiers au couvent et y meurent ; les femmes du xviiie ne le peuvent plus.

1184. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

Gloire, ambition, fanatisme, votre enthousiasme a des intervalles, le sentiment seul enivre chaque instant, rien ne lasse de s’aimer ; rien ne fatigue dans cette inépuisable source d’idées et d’émotions heureuses ; et tant qu’on ne voit, qu’on n’éprouve rien que par un autre, l’univers entier est lui sous des formes différentes, le printemps, la nature, le ciel, ce sont les lieux qu’il a parcourus ; les plaisirs du monde, c’est ce qu’il a dit, ce qui lui a plu, les amusements qu’il a partagés, ses propres succès à soi-même, c’est la louange qu’il a entendue, et l’impression que le suffrage de tous, a pu produire sur le jugement d’un seul. […] On échappe au monde par des intérêts plus vifs que tous ceux qu’il peut donner ; on jouit du calme de la pensée et du mouvement du cœur ; et dans la plus profonde solitude la vie de l’âme est plus active que sur le trône des Césars. […] Quelle ressource dans le monde peut-il exister contre une telle douleur ? […] l’on croirait possible d’exister dans un monde qu’il n’habitera plus, de supporter des jours qui ne le ramèneront jamais, de vivre de souvenirs dévorés par l’éternité, de croire entendre cette voix dont les derniers accents vous furent adressés, rappeler vers elle, en vain, l’être qui fut la moitié de sa vie, et lui reprocher les battements d’un cœur qu’une main chérie n’échauffera plus ? […] L’amour est l’histoire de la vie des femmes, c’est une épisode dans celle des hommes ; réputation, honneur, estime, tout dépend de la conduite qu’à cet égard les femmes ont tenue, tandis que les lois de la moralité même, selon l’opinion d’un monde injuste, semblent suspendues dans les rapports des hommes avec les femmes ; ils peuvent passer pour bons, et leur avoir causé la plus affreuse douleur, que la puissance humaine puisse produire dans une autre âme ; ils peuvent passer pour vrais, et les avoir trompées : enfin, ils peuvent avoir reçu d’une femme les services, les marques de dévouement qui lieraient ensemble deux amis, deux compagnons d’armes, qui déshonoreraient l’un des deux s’il se montrait capable de les oublier ; ils peuvent les avoir reçus d’une femme, et se dégager de tout, en attribuant tout à l’amour, comme si un sentiment, un don de plus, diminuait le prix des autres.

1185. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

qu’y a-t-il au monde de plus violent et de plus aveugle que ces deux sentiments ? […] Les géomètres rappellent à eux la certitude par des moyens assurés ; mais dans cette sphère d’idées où les sensations, les réflexions, les paroles mêmes, s’aident mutuellement à former le corps des vraisemblances, quand les mots les plus nobles ont été déshonorés, les raisonnements les plus justes faussement enchaînés, les sentiments les plus vrais opposés les uns aux autres, on se croit dans ce chaos que Milton aurait rendu mille fois plus horrible, s’il l’avait pu représenter, dans le monde intellectuel, confondant aux yeux de l’homme le juste et l’injuste, le crime et la vertu. […] Je commence par dire qu’il y a une époque de la révolution de France (la tyrannie de Robespierre) dont il me paraît impossible d’expliquer tous les effets par des idées générales, ni sur l’esprit de parti, ni sur toutes les autres passions humaines ; ce temps est hors de la nature, au-delà du crime, et, pour le repos du monde, il faut se persuader que nulle combinaison ne pouvant conduire à prévoir, à expliquer de semblables atrocités, ce concours fortuit de toutes les monstruosités morales, est un hasard inouï dont des milliers de siècles ne peuvent ramener la chance. […] Il manque encore un beau spectacle au monde, c’est un Sylla dans la route de la vertu, un homme dont le caractère démontre que le crime est une ressource de la faiblesse, et que c’est aux défauts des hommes de bien, mais non à leur moralité, qu’il faut attribuer leurs revers. […] Mais quand la fluctuation des idées ramène les affaires au point juste et possible, la puissance, la considération de l’esprit de parti est finie, le monde se rassoit sur ses bases ; l’opinion publique honore la raison et la vertu ; et cette époque inévitable peut se calculer comme les lois de la nature ; il n’y a point de guerre éternelle, et point de paix cependant sous la dictée des passions, point de repos sans accord, point de calme sans tolérance, point de parti donc qui, lorsqu’il a détruit ses ennemis, puisse satisfaire ses enthousiastes.

1186. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

Il semblait avoir renoncé au monde et se nourrissait, comme un moine des temps anciens, d’extase, de solitude et de silence. […] Elle a ouvert le gouffre illimité des mondes. […] Là, en pleine foire foraine de Montmartre, à deux pas du Moulin-Rouge où triomphent Grille-d’égout, la Goulue et Valentin-le-désossé, dont les entrechats suffisent à combler le vœu esthétique des foules, une élite de cœurs fervents s’emploie à retourner aux sources de la lumière et à cueillir le rameau de l’antique sagesse, et, comme si tout à coup le monde s’était reculé de milliers d’années, la voix d’Hermès trismégiste se met à retentir, fraîche comme au premier jour. […] Tu chasseras les ténèbres et toute la gloire du monde t’appartiendra. […] Il ambitionnait de montrer au monde, afin de lui en inspirer l’horreur et de l’en délivrer à jamais, le fantôme du mal dans son épouvantable nudité.

1187. (1876) Du patriotisme littéraire pp. 1-25

De notre temps si la Prose s’altère sur quelques points, c’est pour s’enrichir par tant de conquêtes : rappelons-nous la comédie élargissant son domaine, le roman agrandi suscitant ses véritables chefs-d’œuvre, l’histoire faisant de son champ jadis étroit tout un monde d’explorations et de découvertes, la critique vraiment fondée et promue à la dignité d’un genre original où cinq à six hommes supérieurs ont véritablement créé, l’érudition réconciliée avec le beau style et devenue l’une des provinces de la haute littérature, la politique rendant parfois de mauvais services à la pureté de la langue, mais produisant aussi dans la presse et à la tribune d’admirables écrits de polémique et de non moins admirables discours, la philosophie et la religion enfin pour de nouveaux besoins et avec de nouveaux interprètes se créant aussi une langue nouvelle. […] Béranger s’écriait un jour, dans un élan très patriotique : « Reine du monde, ô France, ô ma Patrie ! » mais il n’entendait ces mots « reine du monde » que dans un sens restreint et dangereusement exclusif. Ce n’est pas seulement par des victoires immortelles et chères à notre orgueil, mais auxquelles ont répondu trop souvent des retours douloureux, que la France a été la reine du monde. […] Au quatorzième siècle et au quinzième l’Italie prend la dictature intellectuelle du monde qui semble partagée au seizième ; mais à partir du dix-septième siècle elle revint à la France pour ne plus lui échapper.

1188. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XIII. L’Enfer chrétien. »

Nous avons déjà fait remarquer83 que le malheur, l’indigence et la faiblesse étaient, après le trépas, relégués, par les païens, dans un monde aussi pénible que celui-ci. […] Nous savons qu’au sortir de ce monde de tribulations, nous autres misérables, nous trouverons un lieu de repos, et si nous avons eu soif de la justice dans le temps, nous en serons rassasiés dans l’éternité.

1189. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Fournel a toutes les peines du monde à découvrir quelques comédies pures. […] Tandis que vous, une femme mariée, une femme du monde… — Eh bien ! […] qu’elle est vraie, la petite femme du monde à l’âme de fille ! […] Cette comédienne a été mise au monde pour ce poète. […] elle a tout un monde contre elle, la pauvre reine.

1190. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

Imaginez-vous une tradition, suivie depuis le commencement du monde jusqu’à présent, des maux que la fausseté peut avoir faits. […] Dieu envoie son Fils pour ramener la vérité dans le monde ; ses apôtres la prêchent ; mais elle est bientôt altérée par les équivoques d’un mot, d’une syllabe, d’une lettre : de là l’Arianisme et tant d’autres hérésies… » Marais était un homme de sens et, qui plus est, de goût. […] Vous connaissez amplement mille particularités, mille personnalités, qui sont inconnues à la plupart des auteurs, et vous pourriez leur donner la meilleure forme du monde. […] N’allez donc point le confondre le moins du monde avec le peuple des caudataires littéraires et des commentateurs, avec les Brossette et consorts ; s’il est disciple, il l’est selon la moelle et l’esprit. […] Il en est de lui comme d’un homme qui a le fonds et la source de la délicatesse, qui paraît rustique ou négligé au premier abord, mais à qui, pour être à la mode, il ne manque qu’un tailleur de Paris et six mois de monde.

1191. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Qu’était-ce que Rancé dans le monde ? […] On l’appliqua en attendant aux études tant sacrées que profanes, et on le livra au train du monde. […] Il se conduisait en ces affaires, même ecclésiastiques, à la manière d’un galant homme du monde qui se fait honneur d’être fidèle à ses amis dans la disgrâce. […] À mesure qu’on avançait dans le siècle, l’abbaye de la Trappe gagnait en autorité aux yeux du monde ; elle héritait de l’affluence et du concours qui ne se partageait plus entre d’autres saints lieux désormais suspects et sans accès. […] Pour faire un vrai Rancé, il y a un coin de monde à introduire, un ressort moral à toucher, une fibre secrète à atteindre que l’orthodoxie des contemporains ne cherchait pas et n’admettait pas.

1192. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

À Athènes, à Rome, dans les villes dominatrices du monde civilisé, en parlant sur la place publique, on disposait des volontés d’un peuple et du sort de tous ; de nos jours, c’est par la lecture que les événements se préparent et que les jugements s’éclairent. […] Que deviendrai-t-on dans un monde où l’on n’entendrait jamais parler la langue des sentiments bons et généreux ? […] En parcourant les révolutions du monde et la succession des siècles, il est une idée première dont je ne détourne jamais mon attention ; c’est la perfectibilité de l’espèce humaine12. […] Cet éclat que leurs calomnies obscurcissent souvent aux yeux du monde, ne cesse jamais d’offusquer leurs propres regards. […] J’adopte de toutes mes facultés cette croyance philosophique : un de ses principaux avantages, c’est d’inspirer un grand sentiment d’élévation ; et je le demande à tous les esprits d’un certain ordre, y a-t-il au monde une plus pure jouissance que l’élévation de l’âme ?

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