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518. (1903) La pensée et le mouvant

Pour le moment, c’était la vision de la durée qui nous absorbait. […] Du moment qu’il est unique, il est indécomposable. […] Ce passage, nous reculons indéfiniment le moment de l’envisager. […] Mon présent, en ce moment, est la phrase que je suis occupé à prononcer. […] Or, il n’y a pas deux moments identiques chez un être conscient.

519. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Le duc l’engagea à coucher le tout par écrit et envoya le mémoire à son frère M. de Guise, qui le reçut ayant le pied déjà à l’étrier, et qui n’eut que le temps d’écrire au bas, après l’avoir lu : « Ces raisons sont bonnes, mais elles sont venues à tard ; il est plus périlleux de se retirer qu’il n’est de passer outre. » Le président Jeannin sent toutefois à un certain moment qu’il s’engage, lui aussi, dans une voie périlleuse ; obligé par devoir et par reconnaissance envers Henri III, il est amené par les circonstances à demeurer auprès du duc de Mayenne, même quand celui-ci est devenu le chef de la Ligue et le maître de Paris, sous le titre ambitieux et ambigu de lieutenant général de l’État royal et Couronne de France. […] Dans le premier moment de douleur et de surprise, Mayenne en effet, se croyant sans ressources, fut près d’en passer par cette offre accablante et de se soumettre à la nécessité. […] Ainsi, peu avant la bataille d’Ivry (mars 1590), le président, qui est à l’affût d’un changement dans les dispositions du duc, s’empresse d’écrire à Villeroi, également jaloux d’attacher une négociation pour la paix publique, qu’il croit le moment propice, et le duc plus enclin à y prêter l’oreille que jamais : « Cette lettre me réjouit, dit Villeroi, étant dudit président qui était à la suite dudit duc, auquel il se confiait grandement, et qui était homme de bien et clairvoyant. » Mais la défaite d’Ivry, survenue dans l’intervalle, produit sur Mayenne un effet tout opposé à celui qu’on aurait pu croire : elle fait évanouir ses dispositions pacifiques ; il n’est plus question que de prendre une revanche. […] Il y a des moments où, en transmettant à Villeroi les intentions du duc de Mayenne, il a l’air de résister aussi pour sa part à une transaction trop prompte et sans garantie : car cette conversion de Henri IV, qui est nécessaire avant toute chose, il ne la croit pas aussi prochaine ni aussi aisée que Villeroi la lui présente. […] J’appelle le moment où, sous un roi magnanime et brave qui sait distinguer les hommes, la carrière se rouvrira pour le président Jeannin, carrière d’honneur, d’utilité manifeste, de services publics non équivoques, et qui parleront d’eux-mêmes : on y verra enfin se dessiner tout entier le vieillard illustre et consommé, qui a en lui les talents d’un Forbin-Janson, et qui tient aussi des vertus de L’Hôpital.

520. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

L’ardente jeunesse se presse de vivre ; elle prodigue des années pour quelques moments de gloire, et jamais elle ne se plaint lorsqu’elle a frappé ce but. […] Dans la vieillesse, à mesure que l’existence physique s’éteint, l’homme illustré par ses talents voit s’accroître la vaste carrière de la célébrité ; le court avenir qui lui reste se confond aisément avec celui que la postérité lui prépare, et s’agrandit par cette compensation heureuse ; tout l’invite à se rappeler avec délices les époques les plus brillantes de son histoire, et peut-être l’habitude que l’on a de vivre, jointe à cette douce illusion, est-elle plus que suffisante dans ces derniers moments pour détourner l’idée importune et fatigante d’une mort prochaine. […] Necker redevenu ministre, et en qui reposaient en ce moment les destinées de la France. […] Vicq d’Azyr avait à un haut degré le sentiment de la connexion et de la solidarité des sciences : en ce sens il avait l’esprit éminemment académique et encyclopédique, et, s’il nous paraît de loin aujourd’hui avoir été avant tout de la famille de ceux qui sont des messagers publics et des organes applaudis, nul ne peut dire de cet homme de talent sitôt moissonné, qu’il n’eût pas été aussi, à d’autres moments, un investigateur heureux et un inventeur. […] Depuis ce moment, point de repos, point de sommeil ; il croyait toujours voir un glaive arrêté sur sa tête.

521. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — I — Vauvenargues et Fauris de Saint-Vincens » pp. 1-16

On y sentait non seulement l’observateur déjà éprouvé et mûr, mais une nature passionnée, avide d’action, par moments une manière d’ambitieux pour qui l’histoire s’offrait comme une suite de rôles qu’il eût aimé à transporter et à réaliser dans le présent. […] Il en est résulté l’édition que nous annonçons en ce moment, et qui est un véritable enrichissement de la littérature française. […] mais la religion, comme tu dis, fournit de grandes ressources ; il est heureux, dans ces moments, d’en être bien convaincu. […] Il continue et prolonge cette conversation par lettres avec Saint-Vincens, sur les sentiments de différente sorte et les troubles qui agitent une âme à la vue des derniers moments : On ne saurait tracer d’image plus sensible que celle que tu fais d’un homme agonisant, qui a vécu dans les plaisirs, persuadé de leur innocence par la liberté, la durée, ou la douceur de leur usage, et qui est rappelé tout d’un coup aux préjugés de son éducation, et ramené à la foi, par le sentiment de sa fin, par la terreur de l’avenir, par le danger de ne pas croire, par les pleurs qui coulent sur lui. […] Cette mauvaise fortune, et cette extrême délicatesse morale qu’il y conserve, le rendent un peu susceptible dans ses rapports avec Saint-Vincens ; et lorsque celui-ci, qui paraît encore plus aimé de Vauvenargues qu’il ne l’aime, et qui est assez irrégulier dans ses lettres, tarde un peu trop à lui répondre, Vauvenargues s’alarme, il suppose que le souvenir de l’argent prêté entre pour quelque chose dans ce ralentissement, que son ami en a besoin peut-être et n’ose le lui dire ; il se plaint, il offre de s’acquitter, et il a ensuite à se justifier envers son ami qui a cru voir de l’aigreur dans la chaleur de ses reproches : Je te supplie, du moins, de croire qu’en t’offrant, comme j’ai fait, de m’acquitter avec toi, je n’ai jamais été fâché un seul moment de te devoir.

522. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

Il y aurait, dans les douze volumes que j’ai devant moi et qui représentent dix-sept années de rédaction à l’Univers, à distinguer plusieurs temps : — la période de Louis-Philippe, de 1843 à 1848, très-riche en grandes polémiques sur la liberté d’enseignement, sur la question des Jésuites, en luttes contre les universitaires, les professeurs du Collège de France, les romanciers feuilletonistes, et en croquis parlementaires de toutes sortes et de toutes dimensions ; — la période républicaine proprement dite, la moins féconde (l’auteur gêné dans son journal fit sa débauche d’esprit au dehors, dans les Libres Penseurs) ; — la période qui date de la présidence et qui comprend l’Empire, dans laquelle on distinguerait encore deux moments, l’un de complet acquiescement ou même d’admiration fervente ; l’autre de séparation, de scission jusqu’à la déchirure. […] Veuillot et de la tolérance passée dans nos mœurs que, du moment qu’il s’est trouvé, ou à peu près, réduit au silence, personne ne lui en a plus voulu ; on a oublié l’injure pour ne songer qu’au talent, pour regretter même de ne plus rencontrer ce talent chaque matin, à la condition, s’il était possible, d’un moins âpre emploi. […] Malgaigne), est si plaisamment singé pour le geste et noté pour l’accent : journée unique où, au milieu de ses graves préoccupations, la Chambre entière fut prise d’un fou rire, d’un rire homérique, et où, pour un moment, il n’y eut plus amis ni ennemis sur tous les bancs, « il n’y eut que des gensde bonne humeur. » Mon métier ici n’est pas de mettre les noms propres : comme cependant en pareille matière rien ne vit que par là, et que le recueil des Mélanges est bien gros à feuilleter tout entier, MM.  […] Son plus beau moment de journaliste, et que rien ne saurait faire oublier, est celui de 1852 à 1855, pendant lequel, ses parties élevées prenant le dessus, sa fibre populaire aussi s’en mêlant, il s’associa pleinement au sentiment public, à l’âme patriotique de la France, et fit acte d’adhésion éclatante à la politique impériale dans la guerre de Crimée et pour les premières victoires. […] Et ne dites point, je vous prie, que c’est avec la force que lui, catholique, fit alliance à ce moment ; ou bien ajoutez que ce fut avec la force vive et le cœur même du pays.

523. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Campagnes de la Révolution Française. Dans les Pyrénées-Orientales (1793-1795) »

Dans l’histoire des guerres comme dans celle des littératures, il y a des moments et des heures plus favorisées ; le rayon de la gloire tombe où il lui plaît ; il éclaire en plein et dore de tout son éclat certains noms immortels et à jamais resplendissants : le reste rentre peu à peu dans l’ombre et se confond par degrés dans l’éloignement ; on n’aperçoit que les lumineux sommets sur la grande route parcourue, on a dès longtemps perdu de vue ce qui s’en écarte à droite et à gauche, et tous les replis intermédiaires : et ce n’est plus que l’homme de patience et de science, celui qu’anime aussi un sentiment de justice et de sympathie humaine pour des générations méritantes et non récompensées, ce n’est plus que le pèlerin de l’histoire et du passé qui vient désormais (quand par bonheur il vient) recueillir les vestiges, réveiller les mémoires ensevelies, et quelquefois ressusciter de véritables gloires. […] Jusqu’au dernier moment du fatal procès, l’Espagne essaya d’intervenir et d’arrêter la sentence de mort : Danton, pour toute réponse, demanda que « sur-le-champ, pour punir l’Espagne de son insolence, on lui déclarât la guerre, et qu’on enveloppât le tyran de Castille dans l’extermination de tous les rois du continent. […] Ricardos, nommé général en chef, avait des qualités de prudence et de sagesse, mais de l’incertitude et de l’inexpérience sur le terrain, comme presque tous ceux qui entraient en scène en ce moment. […] Suspendu de ses fonctions et miné à ce moment par la maladie, Dagobert n’hésita pas à demander l’autorisation d’aller soumettre au Comité de salut public sa conduite politique et militaire ; ce qu’on n’osa lui refuser. […] Il y aurait maintenant à aborder la principale figure de cette laborieuse armée à son beau moment, Dugommier, le vainqueur de Toulon, le libérateur des Pyrénées.

524. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite.) »

Voilà la façon de penser du plus sincère ami que vous ayez et qui s’appelle Louis de Bourbon. » Nous aurions dès ce moment, si c’était le lieu, à faire quelques remarques sur le style particulier de ce prince du sang, style médiocre, délayé, imagé pourtant, mais d’images volontiers basses et communes, comme de quelqu’un qui use avec un parfait sans gêne des plaisanteries courantes dans le populaire et jusque sur le théâtre de la Foire. […] On dit que l’œil du maître engraisse le cheval ; aussi vous êtes-vous donné les violons de ce qui aurait peut-être embarrassé les autres, pour ne pas dire pire. » Après Lawfeld, dont le résultat n’avait pas été décisif, la position des ennemis derrière Maëstricht rendant ce siège impossible pour le moment, on se résolut à celui de Berg-op-Zoom, afin d’avoir du moins à montrer un fruit de la victoire. […] La prétention du comte de Clermont ne fut déclarée qu’au dernier moment, à la séance du 1er décembre. […] Le président Hénault fut fort surpris que son voisin parût savoir mieux que lui pour qui il était ; mais, au même moment, le secrétaire perpétuel Mirabaud tirait de sa poche et lisait la lettre du comte de Clermont par laquelle Son Altesse remerciait la Compagnie d’avoir songé à elle. […] Combien, si l’on n’y prend pas garde, combien, à voir toutes ces bonnes intentions imparfaites, ces velléités d’avant 89 déjouées et non suivies d’effet, on est tenté par moments, et en désespoir de cause, de donner raison aux Chamfort !

525. (1936) Réflexions sur la littérature « 6. Cristallisations » pp. 60-71

Voilà une occasion de regarder de près une de ces images fraîches au moment même où elle descend dans le mécanisme de notre pensée et s’incorpore à l’habitude de notre langage. […] Delacroix : « l’énergie est chez lui l’aspiration de l’énergie, le rêve de l’énergie, la nostalgie d’un passé historique plutôt que la puissance de construction d’un avenir. » L’image de la cristallisation qui forme le leit-motiv du livre est à la fois le produit d’une imagination musicale, une figure de la réalité amoureuse : " il me semble, dit Stendhal dans une lettre, qu’aucune des femmes que j’ai eues ne m’a donné un moment aussi doux et aussi peu acheté que celui que je dois à la phrase de musique que je viens d’entendre. " la musique, surtout telle que la goûtait Stendhal qui n’y sentait qu’un motif de rêverie, c’est le monde et l’acte mêmes de la cristallisation parfaite, de sorte que Beyle, amoureux de second plan, simple amateur en musique, se définirait peut-être comme un cristallisateur. […] L’artiste vrai est celui dont les œuvres vivantes sont cristallisées autour de ses moments d’inspiration, de façon à former une série, à remplir harmonieusement une durée. […] Il en est de même des moments d’inspiration. […] Mauclair qui ne s’en souvenait sans doute pas à ce moment, nous en a rendu le sens et même un peu le mouvement dans son très beau morceau sur la Vieillesse des amants.

526. (1818) Essai sur les institutions sociales « Avertissement de la première édition imprimée en 1818 » pp. 15-16

Sans doute il n’eût pas été difficile de l’adapter tout à fait au moment actuel, soit en y faisant un petit nombre de changements, soit en y introduisant quelques notes ; mais ce qu’il aurait pu gagner ainsi par plus d’à-propos relativement aux circonstances, il l’aurait certainement perdu en unité de dessin, en ensemble de physionomie et de caractère. […] Au reste, ce qui aurait dû être changé ou modifié dans cet écrit, pour qu’il se trouvât au niveau du moment où il paraît, n’en est ni le fond, ni même une partie essentielle.

527. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

. — Après la paix de Riswick, le roi jugea à propos de l’envoyer à Vienne comme ambassadeur (1699-1701) ; le poste était important à cause de la question pendante de la succession d’Espagne, qui pouvait à tout moment s’ouvrir ; il s’agissait de négocier par précaution un traité de partage avec l’empereur, ce traité dût-il ne pas s’exécuter ensuite. […] Catinat, chargé de former et de commander un corps d’armée en état de tenir tête au prince Louis de Bade sur cette frontière, et qui d’ailleurs ne fut instruit par sa cour de l’alliance avec la Bavière qu’au dernier moment et lorsqu’elle fut déclarée, se trouva trop faible dès le début pour s’opposer au siège de Landau, qui était alors à la France, et se résigna tout d’abord à la perte de cette place. […] Le roi travaille à faire des troupes pour fortifier le côté de la Sarre, et avant la fin de septembre il y aura au moins douze bataillons d’augmentation, et vers le 1er novembre encore huit autres ; il n’y a de dangereux que le moment critique dans, lequel vous êtes. […] La cavalerie faisait des merveilles dans la plaine ; l’infanterie fit de même d’abord sur la hauteur et dans les bois ; mais à un moment, en débusquant dans la plaine à leur tour, les plus ardents à la poursuite furent repoussés ; ils se rejetèrent en arrière, et il y eut un mouvement rétrograde, presque une panique. […] La lettre à Chamillart du 27 mars 1703, où on lit ces mots, est capitale pour la connaissance morale de Villars ; elle met à nu son cœur à ce moment, et elle nous le découvre même avec une naïveté qui, ce me semble, ne saurait manquer de plaire.

528. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

1834 Il est temps d’en venir, dans cette galerie qui sans cela resterait trop incomplète, au plus fécond, au plus en vogue des romanciers contemporains, au romancier du moment par excellence, à celui qui réunit en si grand nombre les qualités ou les défauts de vitesse, d’abondance, d’intérêt, de hasard et de prestige, que ce titre de conteur et de romancier suppose. […] Il a heureusement rencontré, pour s’insinuer avec ses contes et ses romans auprès de la femme, le moment où l’imagination de celle-ci était le plus éveillée, après l’émancipation de Juillet, par les peintures et les promesses saint-simoniennes. […] Il y a un moment, un point où, malgré lui, il s’emporte. […] Volontiers, du milieu de ses beaux salons, il nous reporte sans goût à des objets, à des termes tout à fait répugnants, désobligeants ; il lui revient, et il nous revient à nous, en ces moments, comme une forte odeur de sa première manière : Crébillon fils se ressouvient de Rétif108. […] Quoi qu’il en soit, Claës se livre, à partir de ce moment, à la recherche de l’absolu, ce qui veut dire pour lui la transmutation des métaux et le secret de faire de l’or ; il s’y oublie, il s’y acharne ; il tue de chagrin sa femme ; il s’y ruine, ou du moins il s’y ruinerait, si l’imagination du romancier ne venait sans relâche au secours de cette fortune qui se fond dans le creuset, et si la fille aînée de Claës ne réparait à temps chaque désastre, comme une fée qui étend coup sur coup sa baguette d’or.

529. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

Le moment où je parle est déjà loin de moi ! […] A tout moment, à propos de Perse et des autres, M. […] Il blâme à tout moment dans Lucain ce qu’il trouverait moyen d’admirer comme des audaces dans Virgile. […] Pourquoi, dans les littératures surtout, n’y aurait-il pas des livres, des hommes, un moment glorieux et surfaits, ensuite dépréciés outre mesure et rejetés, qu’une plus juste et tardive appréciation remettrait en une place inférieure à la première, mais honorable encore ? […] n’enflez pas tant votre voix pour mêler tous ces hommes et Carrel ensemble au même moment, pour saluer l’un comme prince, pour parler de l’autre comme d’un père, et proclamer celui-là devant tous comme votre seconde conscience ; pour Dieu !

530. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Non pas que, durant le cours de sa longue et laborieuse carrière, il ait jamais positivement obtenu ce quelque chose qui, à un moment déterminé, éclate de la plénitude d’un disque éblouissant, et qu’on appelle la gloire ; plutôt que la gloire, il eut de la célébrité diffuse, et posséda les honneurs du talent, sans monter jusqu’au génie. […] Je n’aperçois que trop tous les jours de quoi je redeviendrois capable, si je perdois un moment de vue la grande règle, ou même si je regardois avec la moindre complaisance certaines images qui ne se présentent que trop souvent à mon esprit, et qui n’auroient encore que trop de force pour me séduire, quoiqu’elles soient à demi effacées. […] Il est possible, à la rigueur, que la philosophie, alors commençante, l’ait séduit un moment dans l’intervalle de sa sortie de La Flèche à son entrée chez les bénédictins, et que le personnage de Cléveland représente quelques souvenirs personnels de cette époque. […] Par l’effet d’une intrigue qu’il avait ignorée jusqu’au dernier moment, le bref ne fut pas fulminé, et sa position de déserteur devint tellement fausse qu’il n’y vit d’autre issue qu’une fuite en Hollande. […] Jean-Jacques, dont c’était aussi le vœu, mais qui ne s’y tenait pas, eut occasion, à ses débuts, de rencontrer souvent l’abbé Prévost chez leur ami commun Mussard, à Passy ; il en parle dans ses Confessions (partie II, livre VIII), et avec un sentiment de regret pour les moments heureux passés dans une société choisie.

531. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre X. La littérature et la vie de famille » pp. 251-271

C’est une tâche parfois ardue de démêler laquelle a dominé dans un moment donné et en quelle proportion les autres étaient alors représentées dans une société. […] A ce moment, passent cent cavaliers musulmans, qui sont sur le point de s’emparer du fugitif. […] J’aime mieux indiquer ce qu’il sied de noter avec soin à chaque moment, si l’on veut aboutir à des résultats précis et nouveaux. […] Aussi faut-il considérer les moments où la puissance des femmes s’exerce de façon moins bruyante, mais plus profonde et plus sûre. […] Ainsi un père irrité s’écrie quelque part : « Je le déshérite. » Mais le valet n’est pas dupe de ce moment de fureur et il répond : « Eh !

532. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

Étudions un moment l’homme avant d’étudier l’œuvre : l’homme dans Goethe n’est pas moins caractéristique que l’œuvre. […] À ce moment un chant de voix célestes se fait entendre dans les airs ; c’est le matin du jour de Pâques. […] Faust, après un moment de silence. […] Je venais ici pour précipiter par la violence le moment de la possession, et je me perds en songes de respectueux amour. […] … songez à moi quelquefois un petit moment ; j’aurai assez de temps pour me souvenir de vous !

533. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIIe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin » pp. 225-319

À tout moment, je vois, je sens qu’elle me manque, surtout la nuit où j’ai l’habitude de l’entendre respirer à mon oreille. […] « Pour le moment tout est au calme, le dehors et le dedans, l’âme et la maison : état heureux, mais qui laisse peu à dire, comme les règnes pacifiques. […] Une nouvelle, un bruit de vent, un oiseau, un rien, me vont au cœur par moments et me feraient écrire des pages. […] le beau moment où elle en sort, où elle jouit de la vie, du ciel, de Dieu, de l’autre monde ! […] J’ai voulu lire, écrire, prier, tout cela n’a duré qu’un moment ; la prière même me lasse.

534. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Daudet est ce joli garçon chevelu, aux rejets superbes, à tout moment, de cette chevelure en arrière, aux coups de monocle à la Scholl. […] Sa gloire, quoiqu’il ait eu, à un moment, un certain talent, sa gloire sera celle d’un agréable et loquace causeur. […] Je suis dans un compartiment britannique, et je vois, au même moment, sept anglais remonter leurs montres. […] La princesse, d’un œil à demi entrouvert, regarde un moment faire, puis tout-à-coup, avec un vrai coup de patte de chat, elle ramène à elle la boîte d’aquarelle, arrache une feuille du bloc de Whatman, et la voilà à barbouiller, à barbouiller. […] Le teint un peu orangé, un œil qui a la couleur grise d’un œil d’oiseau, et dans les moments d’attention, sur son front, au-dessus du nez, des rides dessinant comme un if lumineux.

535. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 319-320

Il la vit s'evanouir en un moment avec la même tranquillité qu'il l'avoit acquise ; & lorsqu'il se trouva réduit au simple nécessaire : Me voilà tiré d'affaire , dit-il ; je revivrai de peu, cela m'est plus commode . Le même caractere se soutint jusqu'au dernier moment de sa vie.

536. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DÉSAUGIERS. » pp. 39-77

C’était le moment de l’extrême orgie du Directoire et de la bacchanale universelle. […] Les dîners qui eurent lieu ensuite chez le fermier-général Pelletier, et qui, à partir de 1759, rattachèrent plusieurs des précédents convives, eurent l’air un moment de vouloir remplacer le centre qu’on avait perdu ; pourtant on ne s’y sentait pas assez entre soi, pas assez au cabaret. […] Un peu plus tôt, un peu plus tard, l’aimable société avait son terme marqué vers ce moment qui enleva plusieurs de ses principaux convives : l’un des Ségur mourut, l’aîné devenait maître des cérémonies ; Després, nommé secrétaire des commandements du roi de Hollande, et d’autres membres encore, appelés à de graves fonctions officielles, durent renoncer à des amusements qui semblaient incompatibles avec l’étiquette renaissante. […] A dater de ce moment et sous la Restauration, cette veine purement épicurienne et rieuse ne suffit plus à la France ; on a vu de près d’affreux désastres, on a subi des affronts ; l’inquiétude est partout qui gagne à l’intérieur et se prolonge dans l’avenir. […] On dit que, bien peu après, les opinions politiques avaient séparé ces deux hommes, rivaux un seul moment ; qu’il en était même résulté d’un côté… Mais chut !

537. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

Elles peuvent, à l’occasion, se prêter mutuelle assistance  ; et c’est pourquoi il importe de noter avec soin, aux divers moments de l’existence d’un peuple, la nature des relations qu’elles ont ensemble. […] Dans les moments où l’esprit littéraire prédomine et prend plus que sa part, l’exactitude est victime de la rhétorique et des effets de style. […] Au lieu de se cantonner, comme elle l’a fait à certains moments, dans l’étude de l’homme et de ses destinées, elle s’est assigné un domaine plus large. […] S’il connaît une branche de la civilisation en un moment et en un pays donnés, il possède là de quoi prévoir et retrouver les caractères principaux des autres branches en ce moment et en ce pays. […] La littérature a dans ces moments-là des qualités que j’oserais presque qualifier de matérialistes.

538. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

Puis Gavarni nous parle du salon de la duchesse d’Abrantès, où un moment il alla beaucoup. […] Six heures pendant lesquelles ils se sont raconté ce qu’ils savaient déjà, l’un contant à l’autre sa propre histoire ; tout cela scandé à tout moment par : « Tu te souviens bien ?  […] Mais, à tout moment, le chemin se séparait en deux, et il était forcé de descendre et de le raccommoder. […] À tout moment les ouvreuses suivies de femmes, demandant aux gens placés, le premier rang « pour des dames ». […] À un moment, ces trois statues descendent lentement de leurs piédestaux, et me prenant par les bras, et me tiraillant à elles, se disputent ma personne comme des raccrocheuses de trottoir.

539. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — III. Un dernier mot sur M. de Talleyrand »

Un dernier mot sur M. de Talleyrand Au dernier moment, M. de Chantelauze, avec qui M.  […] Sainte-Beuve complétait ainsi son parallèle entre Talleyrand et Retz : « … Vous avez mille fois raison sur M. de Talleyrand : Retz avait tout autrement d’essor, et auprès de lui le prince-évêque n’était qu’un paresseux, mais un paresseux qui a bien su prendre ses moments… » Chacun de ces traits nous a paru bon à recueillir à côté de la grande esquisse dont M. 

540. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

Je viens de faire une lecture agréable, douce, unie, touchante par moments, qui repose et même qui élève, une lecture que tout le monde voudra faire comme moi. […] Elle avait toujours eu un grand goût pour élever les enfants, pour les enseigner, les reprendre, les morigéner : c’était un de ses talents particuliers et prononcés : « J’ai grande impatience, écrivait-elle à Mme de Brinon, la première directrice de ces écolières, de voir mes petites filles et de me trouver dans leur étable… J’en reviens toujours plus affolée. » De Rueil, l’institution fut transférée à Noisy, où elle continua de croître : Mme de Maintenon y consacrait tous les moments qu’elle pouvait dérober à la Cour. […] À un moment ou à un autre, la joie qui n’est que l’épanouissement de l’âme reparaît, et elle ne cesse point de courir à travers les actions. […] Dans les grands moments, il intervient comme roi : quand on juge à propos de réformer les constitutions, il les relit et les approuve de sa main ; lorsqu’il faut éloigner les Dames récalcitrantes, telle que Mme de La Maisonfort et quelques autres, et employer à cet effet des lettres de cachet, il sait que le cœur des Dames est affligé de cet exil de leurs sœurs, et, après avoir écrit du camp de Compiègne pour motiver sa rigueur, il vient lui-même avec cortège dans la salle de la Communauté tenir en quelque sorte un lit de justice tout à la fois royal et paternel. […] En 1793, Saint-Cyr dévasté perdit un moment son nom, et la commune ruinée s’appela Val-Libre. — En 1794, pendant qu’on travaillait dans l’église pour en faire un hôpital, la tombe de Mme de Maintenon ayant été découverte dans le chœur, fut brisée, son cercueil violé, ses restes profanés : elle fut, ce jour-là, traitée en reine.

541. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

Le seul malheur en ce premier moment fut qu’en quittant la place ils mirent le feu au bazar où étaient toutes les marchandises et ce qui se vend au poids : « Aussi advint-il de cette chose, dit Joinville, comme si quelqu’un demain mettait le feu, Dieu nous en garde ! […] » C’est le moment où il voit venir le roi, qu’on est allé avertir trop tard du danger de son frère. […] À un moment, le roi eut affaire à six Turcs qui lui tenaient déjà son cheval par la bride et qui l’emmenaient : et il s’en délivra tout seul par les grands coups qu’il leur donna de son épée. […] Un bon Sarrasin (car il y en avait aussi de bons) vient à lui au moment le plus périlleux et fait son affaire de le sauver. […] [1re éd.] — Un bon Sarrasin, qui sans doute était quelque renégat, vint à lui au moment le plus périlleux et lui offrit de le sauver en le faisant passer pour le cousin du roi, afin qu’on le mît à part en vue d’une rançon.

542. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

Son arrivée fut un événement ; la Cour et la ville la fêtèrent à l’envi ; elle était la lionne du moment, le sujet de conversation à la mode ; elle faisait concurrence au célèbre Wilkes dont le procès se jugeait dans le même temps. […] Elle a parfaitement oublié l’Altesse pour qui elle voulait qu’on crût qu’elle avait une grande passion ; celle qu’il avait eue pour elle était tellement passée, qu’on prétend qu’il ne la pouvait plus souffrir36 : heureusement il n’avait pas attendu à ses derniers moments pour lui faire du bien ; elle a, dit-on, quatre-vingts ou cent mille livres de rente ; elle en fait bon usage. […] Croirait-on que jusqu’à ces derniers temps, l’existence de Mme de Boufflers, passé ce moment de 1789 et ce dernier voyage qu’elle fit en Angleterre, était restée un problème, et que cette figure si animée et si constamment en vue s’éclipsait totalement ? […] Il se fait là, à ce moment, des naufrages en masse et des ensevelissements irréparables. […] Déchue et appauvrie peu à peu, elle avait été réduite à vendre sa jolie maison d’Auteuil à M. de Rayneval, le sous-secrétaire d’État et un moment ministre des affaires étrangères.

543. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Lettres inédites de Michel de Montaigne, et de quelques autres personnages du XVIe siècle »

J’ai en ce moment présent à la pensée plus d’un exemple de chaque genre de recherche et de chaque nature de résultats. […] Montaigne, lorsqu’il apprit sur la fin de son voyage d’Italie, aux bains de Lucques où il se trouvait à ce moment (septembre 1581), son élection inopinée à la mairie de Bordeaux, et quand après une première hésitation il crut devoir accepter, Montaigne n’était nullement étranger aux fonctions publiques. […] Montaigne aimait et admirait fort son père, « l’âme la plus charitable et la plus populaire qu’il eût connue. » Mais lui, il n’est point tel ni débonnaire de nature et d’humeur à ce degré ; il n’est point disposé à être, comme son père, perpétuellement agité et tourmenté des affaires de tous ; il confesse ne pouvoir le suivre et l’égaler en cela ; il n’est pas homme à se jeter à tout moment, comme un Curtius, dans le gouffre du bien public. […] La seconde période devint moins facile ; l’agitation politique s’y mêla aux soins des intérêts de la ville. » Ce fut durant cette seconde mairie que Montaigne plus exposé montra à un moment beaucoup de zèle, bien de l’habileté et de l’activité, et aussi, vers la fin, quelque faiblesse ou du moins quelque lassitude. […] Il suffisait, en ces meilleurs moments, de l’appeler un noble cœur, et qui avait des sentiments délicats.

544. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin »

Au moment d’entrer dans le vrai désert, dans le Sahara brûlant, mais n’y ayant pas encore atteint, il se prend à contempler ce pays qui, à cause de son élévation, garde quelque chose encore de la végétation du Nord et offre l’aspect d’une steppe, où des champs d’alfa se dessinent vaguement : « Cette tache lointaine d’alfa s’aperçoit à peine, nous dit-il, dans l’ensemble de ce paysage que je ne sais comment peindre, mais dont il faudrait faire un tableau clair, somnolent, flétri. […] — Je le vois, mais pas trop distinctement27. » « Je pense en ce moment qu’il y eut des scènes pareilles, avec les mêmes sentiments peut-être, sur cette terrasse où je t’écris. […] Ils l’ont commencée du côté gauche du pavé, ils la continuent du côté droit ; c’est la seule différence qu’il y ait dans leurs habitudes entre le matin et le soir. » Voilà le commentaire du tableau : sur la toile, le dessin exact, le caractère et le ton fixe ; ici, les variations du plus au moins et la succession notée des divers moments. […] A cette heure-là, le pays tout entier est rose, d’un rose vif, avec des fonds fleur de pêcher ; la ville est criblée de points d’ombre, et quelques petits marabouts blancs, répandus sur la lisière des palmiers, brillent assez gaiement dans cette morne campagne qui semble, pendant un court moment de fraîcheur, sourire au soleil levant. Il y a dans l’air de vagues bruits, et je ne sais quoi de presque chantant qui fait comprendre que tous les pays du monde ont le réveil joyeux. » C’est à ce moment que tous les jours, à la même heure, presque à la même minute, passent des oiseaux en bandes, par petits bataillons, des gangas, jolies perdrix au bec et aux pieds rouges, au plumage bariolé, qui, venus du désert, vont boire aux sources ; une heure après environ, ils repassent dans le même ordre et du Nord au Sud.

545. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

Coulmann, que cet honorable personnage secondaire publie en ce moment, ne combleront pas une lacune ; ils ne sont pas dénués pourtant de tout intérêt. […] Cuvier dont il était l’ami, l’allié, le protégé, et qui, par sa participation au pouvoir, encourut à certains moments l’impopularité. […] 1818 est le beau moment de la Restauration. […] Outrée à la fin, elle s’écria : « Il n’y a rien de plus désolant que de se disputer avec un homme médiocre. » Jouy se sentit piqué dans le moment. […] Lui-même il n’écrit pas mal, il n’écrit pas bien non plus ; il semble, à un moment, d’après Cuvier, prêt à abjurer la rhétorique, puis tout aussitôt les fausses fleurs reviennent et abondent sous sa plume.

546. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite.) »

Du moment que c’était une révolution et non une réforme, il n’était plus qu’un vaincu ; il a été battu et annulé dès le 14 juillet, dès le serment du Jeu de Paume. Mais il a une vraie valeur comme témoin et annotateur à certains moments de l’action, et il convient de lui savoir gré de n’avoir point quitté l’Assemblée après les 5 et 6 octobre, à l’exemple de Mounier et de quelques autres. […] Cette dénonciation, faite à la légère, mais qui dans le premier moment parut foudroyante, fut immédiatement suivie d’une revanche complète et du triomphe de l’accusé. […] L’abbé, après m’avoir embrassé, vit là un auditoire intéressant : il attaqua l’amiral sur l’ouverture de l’Escaut, qui était la grande querelle du moment entre l’Autriche et la Hollande ; il nous fit un résumé des droits, des prétentions respectives, des traités et contre-traités, et conclut juste, à son ordinaire, que la France avait intérêt à soutenir la Hollande dans cette contestation. […] Ce philosophe, qui par moments pouvait paraître un énergumène à ses lecteurs, n’était plus, quand on l’entretenait de près, qu’un enthousiaste des idées de M. 

547. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

On en avait fait mystère jusqu’au dernier moment à son père, qui paraît n’avoir pas été charmé de cette résolution, mais qui s’y résigna. […] Je me sentirais, dans ces moments, un si grand désir de partager les travaux d’un si touchant apostolat ! […] Au milieu de ce vaste océan des âges, quoi de mieux à faire que de se coucher, comme Ulysse, au fond de sa petite nacelle, la laissant errer au gré des flots, et attendant en paix le moment où ils se refermeront sur elle pour jamais ? […] Si la Providence nous sépare ici-bas, nous nous désolons comme l’enfant à qui un buisson a dérobé la vue de sa mère, et qui, tout effrayé de cette solitude d’un moment, se désespère comme s’il était éternellement abandonné. […] Ceux qui le prirent à un certain moment pour un maître et pour un guide lui-même se sont bien trompés : ce guide était homme à les mener loin en effet et à les entraîner de bon cœur, mais à les planter là aussi, un jour ou l’autre, au beau milieu du chemin. — J’ai besoin de quelqu’un qui me dirige : ce quelqu’un, il ne s’agit aujourd’hui, quand on étudie la vie de La Mennais, que de savoir le trouver et l’indiquer aux divers moments ; ce quelqu’un ce fut l’abbé Jean d’abord, ce fut ensuite l’abbé Carron, qui, joint à l’abbé Jean, lui fit violence et le décida, quoi qu’il lui en coûtât extrêmement, à recevoir les ordres sacrés à la fin de 1815 et dans le carême de 1816.

548. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Le poète, le romancier, ne voulait que réaliser le fantôme de ses rêves, et voilà qu’il a trouvé la forme qu’attendaient, que chérissaient vaguement d’avance les imaginations du moment, et qu’elles ne pouvaient définir et démêler sans lui. […] Au reste, il aurait bien tort de se contraindre ; car ces deux femmes, dans les lettres qui suivent, vont entrer à leur tour dans ces détails de santé, non seulement avec intérêt et affection, mais avec importunité et harcèlement, jusqu’à discuter, par moments, les voies et moyens et les vices de conformation, comme feraient des chirurgiens et des anatomistes. […] Soyons juste : il y a des moments aussi où l’on conçoit l’impatience de Rousseau, où on la partage presque ; car Mme de La Tour est bien exigeante sans paraître s’en douter. […] Elle exige de Rousseau qu’au moment même où il recevra le portrait ou la lettre qui l’accompagne (et dût sa réponse ne partir que huit jours après), il se mette à écrire… quoi ? […] Décidé, par les persécutions qu’il avait trouvées en Suisse, à passer en Angleterre et à se confier à l’hospitalité de David Hume, Rousseau revint un moment à Paris (décembre 1765).

549. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur Bazin. » pp. 464-485

Le 23 du mois dernier, est mort dans la force de l’âge un homme dont le nom et les œuvres n’étaient guère connus que de ceux qui s’occupent des productions de l’esprit, mais qui était fort apprécié par les meilleurs juges, d’une intelligence rare, élevée, étendue et sérieuse, d’un goût fin, curieux, quelquefois singulier, mais distingué toujours, d’un caractère à part, ironique et original ; écrivain des plus spirituels et des moins communs, et qu’il serait injuste de traiter comme il semblait par moments désirer qu’on le fît, c’est-à-dire par l’omission et le silence. […] L’auteur, selon la mode du moment qui encourageait ces sortes de pastiches, suppose qu’un cadet de Gascogne, venu à Paris au début du règne de Louis XIII, et pendant la faveur du maréchal d’Ancre, raconte ses premières aventures. […] À tout moment, M.  […] En vérité, on dirait par moments que l’historien n’est pas fâché que le lecteur candide ne sente point toute la portée de ce qu’il dit, et que son ambition n’aille à être compris que des plus fins 34. […] Bazin, il a pensé que je n’avais pas indiqué suffisamment pour ceux qui l’ont connu de près, ce qui en rachetait et en excusait les saillies quelquefois désobligeantes : Sous cette enveloppe dure et parfois hérissée, m’écrit l’homme d’esprit que je ne me crois pas autorisé à nommer, il y avait un cœur honteux de lui-même, se masquant de son mieux, mais qui se laissait par moments deviner.

550. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Reposons-nous un moment avec Mme de Motteville, l’auteur des judicieux Mémoires, avec cet esprit sage et raisonnable qui a vu de près les choses de son temps, qui les a appréciées et décrites dans une si parfaite mesure, avec une si agréable justesse. […] Mais elle négligea ces vues d’intérêt, et, comme tous les exilés de la Cour, elle n’était occupée en ce moment qu’à espérer la fin prochaine du cardinal de Richelieu, d’où elle attendait le retour de la faveur. […] Il y a des moments où tout concourt au désordre et à la ruine, et où la sédition est dans l’air. […] Cette parole, infectés de l’amour du bien public, a souvent été citée ; mais il n’y faudrait pas voir une naïveté de Mme de Motteville : elle savait ce qu’elle disait en parlant ainsi, et en qualifiant de maladie et de peste le faux amour dont cette population séditieuse était éprise en ce moment. […] Mais je m’aperçois que j’ai choisi le sujet de Mme de Motteville pour me distraire un moment, moi et, s’il se peut, mes lecteurs, du spectacle pénible de nos dissensions présentes, et je ne veux pas y retomber par les allusions qu’elle me fournirait trop aisément.

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