/ 1962
288. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

Dans une société de pures intelligences on ne pleurerait probablement plus, mais on rirait peut-être encore ; tandis que des âmes invariablement sensibles, accordées à l’unisson de la vie, où tout événement se prolongerait en résonance sentimentale, ne connaîtraient ni ne comprendraient le rire. […] Il s’adresse à l’intelligence pure. Seulement, cette intelligence doit rester en contact avec d’autres intelligences. […] Le comique naîtra, semble-t-il, quand des hommes réunis en groupe dirigeront tous leur attention sur un d’entre eux, faisant taire leur sensibilité et exerçant leur seule intelligence. […] à quoi s’emploiera ici l’intelligence ?

289. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Ces noms-là sont admirés par les intelligences sévères : ils n’ont pas la vogue, ils auront la gloire. […] Les luttes de l’intelligence humaine sont pour lui des douleurs sans enseignement. […] Mais les intelligences prédestinées s’instruiront au spectacle des épreuves. […] Soumise à ce régime, l’intelligence publique ne tardera pas à devenir exigeante. […] Lockroy, malgré la netteté de son intelligence, est d’une tristesse monotone : c’est une vivante élégie.

290. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

J’admets la possibilité d’une communication anticipée de l’âme avec un monde qu’elle devine, pressent, saisit déjà, et que ni les sens ni l’intelligence ne peuvent atteindre. […] Or ces trente-six mille chandelles sont le rayonnement lointain des vérités que notre intelligence ne peut pas aborder de front. […] La sensibilité littéraire, en devenant plus éclairée, s’échauffe encore davantage ; mais la lumière de la seule intelligence ne se transforme point en flamme et en ardeur. […] Une dose extraordinaire d’intelligence ou, si l’on aime mieux, d’instinct, fait sans doute partie intégrante du génie : or, n’est-ce pas manquer d’intelligence ou d’instinct au premier chef que de comprendre, que de sentir imparfaitement le besoin de l’heure où l’on vit, que de laisser fuir l’occasion sans avoir su en tirer tout le parti qu’elle offrait ? […]   Un génie créateur du premier ordre et une lucidité parfaite de l’intelligence critique ne vont généralement point de compagnie.

291. (1921) Esquisses critiques. Première série

Tout ce qu’il nous présente lui sort de l’intelligence et son intelligence n’est point dominatrice. […] À peine l’auteur concède-t-il l’intelligence à quelques-uns d’entre eux. […] Bourget dénonçait les méfaits de l’intelligence. […] Ce qui est moins compréhensible, c’est de voir qu’on les doue d’une simplicité d’âme et d’intelligence élémentaire. […] Il tient à la pente naturelle de son intelligence qui est moraliste, construite pour étudier les mœurs et observer l’homme.

292. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mort de M. Vinet »

Quelques hommes plus éclairés, et d’autant plus infidèles, je ne dirai pas à leur conscience, mais à leur intelligence, menaient à l’assaut la plèbe aveugle276. […] Druey, par exemple, homme d’une intelligence puissante et un peu grossière, d’une forte éducation allemande, une espèce de sanglier hégélien : les autres étaient purement socialistes et radicaux dans le sens politique et non philosophique.

293. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Méry »

Mais ce que nous avons vu avec bonheur, et ce que la Critique marquera comme un affermissement de l’intelligence de Méry dans une voie où cette intelligence devait s’avancer hardiment en raison même de l’élévation de sa nature, c’est la mâle et saine manière de penser sur les choses religieuses qui sont le fond de cette grande histoire, que Gibbon, malgré un talent qui approchait du génie, n’a pas su juger parce qu’il n’était pas chrétien.

294. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

Elle est née de la nécessité, sous la pression du besoin et avec le progrès de l’intelligence. […] Les régions frontales deviennent de plus en plus faibles chez les animaux, en même temps que le niveau de l’intelligence s’abaisse. […] Esquirol appelait l’idée fixe une catalepsie de l’intelligence. […] Cependant l’extase, quoiqu’elle élève, chez chaque individu, l’intelligence à sa plus haute puissance, ne peut pas la transformer. […] Consulter Taine, de l’Intelligence, liv. 

295. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

Sa figure délicate et fine révélait, dans ses yeux bleus, une intelligence lumineuse, mais froide, dont les agitations de l’âme ne troublaient jamais la clairvoyance. […] Il l’avait enrichi, poli, aiguisé pour les combats de l’ambition ou pour les conquêtes de l’intelligence. […] Lié avec tous les philosophes, ami de Mirabeau, pressentant de près une révolution dont les premières secousses feraient écrouler la religion dont il était le prélat, il étudiait la politique, qui allait appeler toutes les hautes intelligences à détruire et à réédifier les empires. […] Sa force était de tout comprendre, mais non de tout dominer, même le peuple ; c’était une intelligence suprême, mais une intelligence à demi-voix ; il ne parlait qu’à l’oreille, comme la persuasion ; il n’écrivait même bien qu’avec réflexion, lenteur et clarté, mais sans chaleur. […] J’assistai, par respect pour la haute intelligence humaine, à sa sépulture.

296. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

Il n’a jamais paru à personne que les gens d’intelligence simple, soient nécessairement des orateurs copieux, tandis que le contraire semble vrai. […] Que l’on admette ce don d’exprimer longuement et de penser peu, de développer magnifiquement et abondamment, le moindre jet d’émotion et d’idées ; que l’on se figure en outre que pendant ces successives rémissions de l’intelligence, M.  […] Taine, dans le premier livre de l’Intelligence ; M.  […] Hugo est d’accord avec toutes les intelligences moyennes, qu’il éblouit, en outre, par l’admirable, neuve, et persuasive façon dont il exprime leur pensée. […] Que l’on suppose jointe à la faculté verbale qui l’a produite, les facultés analytiques et réalistes d’un Balzac, la grâce d’un Heine, ce serait Shakespeare ; que l’on joigne encore à cette intelligence reine, la pensée encyclopédique d’un Goethe, l’on aurait un poète transcendant, qui porterait en sa large cervelle toutes les choses et tous les mots.

297. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VII. M. Ferrari » pp. 157-193

Ce livre, nous le savons, est beaucoup plus du désespoir que de l’intelligence ; mais laissons-le passer, et même rangeons-nous pour que mieux on le voie, car un pareil ouvrage fait les affaires de la vérité par la franchise de son erreur. […] Nous croyons qu’il était né pour mieux que cela, mais présentement il déroge à son intelligence. […] De tempérament bien plus artiste que philosophe, comme la plupart des intelligences de son pays, à l’exception de saint Thomas d’Aquin, l’Aristote monacal, l’auteur des Révolutions d’Italie n’en a pas moins ce genre de bon sens italien, perçant, allongé, souple comme un glaive, qui entre dans le cœur des faits, quitte à s’y briser, si l’esprit ne mesure pas de loin où il frappe. […] Ferrari y ait échappé dans son intelligence et n’y ait pas entièrement perdu son talent ! […] Cette Histoire de la Raison d’État finit donc par l’art de composer des almanachs politiques, et c’est dans la splendide rêverie de la prophétie scientifique que trébuche et vient s’abîmer cette intelligence si positive, qu’elle ne voulait ni de Dieu, ni du diable, ni de l’homme, pour s’expliquer l’univers !

298. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

De même que la métaphysique de la raison nous enseigne que par l’intelligence l’homme devient tous les objets ( homo intelligendo fit omnia ), la métaphysique de l’imagination nous démontre ici que l’homme devient tous les objets faute d’intelligence ( homo non intelligendo fit omnia ) ; et peut-être le second axiome est-il plus vrai que le premier, puisque l’homme, dans l’exercice de l’intelligence, étend son esprit pour saisir les objets, et que, dans la privation de l’intelligence, il fait tous les objets de lui-même, et par cette transformation devient à lui seul toute la nature. […] Homme est une abstraction qui comprend génériquement le corps et toutes ses parties, l’intelligence et toutes les facultés intellectuelles, le cœur et toutes les habitudes morales. […] Enfin l’intelligence et la prononciation ayant acquis une grande rapidité, on commença de parler en prose, ce qui était une sorte de généralisation.

299. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VII. La littérature française et les étrangers »

Enfin l’esprit de nos philosophes, de Montesquieu, de Voltaire, imprègne ces vives intelligences italiennes ; un Français, Condillac, est appelé à instruire le prince de Parme, et l’on peut dire que les premiers pays où des essais de gouvernement libéral et bienfaisant fassent passer dans les faits un peu des rêves de notre philosophie humanitaire sont de petits États d’Italie. […] Le comte de Creutz, ambassadeur de Suède, le marquis de Caraccioli, ambassadeur de Naples, l’abbé Galiani, le prince de Ligne, le prince de Nassau, Stedingk, Fersen sont tout Français de goûts, de langue, d’intelligence : Garaccioli est désespéré quand sa cour le rappelle pour le faire ministre et vice-roi ; il semble qu’il s’enfonce dans la nuit. […] Frédéric II591 est à peine allemand de langue et d’intelligence : il ne parle que français, il fait venir Maupertuis.

300. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XII. L’antinomie morale » pp. 253-269

Ibsen glorifie l’intelligence courageuse qui brise les vieux cadres des civilisations, qui foule aux pieds les préjugés surannés et qui dresse sur leurs ruines une vérité neuve et fraîche, destinée, il est vrai, elle aussi, à vieillir et à périr. […] Parfois même elle semble aspirer à une sociabilité supérieure, exemple d’hypocrisie, éprise d’intelligence et de science (Vigny, La Bouteille à la mer, Le Pur Esprit) ; puissante, par la science accrue et la solidarité élargie (Ibsen, l’Ennemi du peuple). […] L’individualisme aristocratique ne représente pas la supériorité de l’individu comme une supériorité morale (point de vue chrétien ou stoïcien, vertus de dévouement, de sacrifice, de renoncement) ; il la représente plutôt comme une supériorité de la force, de l’intelligence, de l’énergie indépendante, de toutes les facultés non proprement morales (point de vue de Gobineau, d’Ibsen, de Nietzsche).

301. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXI » pp. 338-354

Toutes ces choses profitaient à madame Scarron, qui ne cessait de blâmer le commerce du roi avec madame de Montespan, et dont le blâme, agréable à la reine, n’était pas sans quelque intelligence avec la conscience du roi. […] Madame Scarron prouve encore ici, ne fût-ce que par l’absence de toute expression de gratitude, qu’elle ne craint rien tant que le soupçon d’une secrète intelligence avec le roi. […] ce mot suppose qu’elle avait été en bonne intelligence avec lui ; l’indifférence ne se brouille point. « Elle me dit sur tout cela de très mauvaises raisons et nous eûmes une conversation assez vive, mais pourtant fort honnête de part et d’autre.

302. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

Il en est ainsi de l’intelligence ou conscience rudimentaire qui, à l’origine, existait dans les ganglions inférieurs. […] Enlevez à la grenouille ses hémisphères cérébraux et placez-la sous la même vitre ; si vraiment il ne subsiste plus ni sensation ni appétition, s’il ne reste plus aucune trace d’intelligence, la machine vivante pourra bien encore frapper son nez contre la vitre et demeurer là jusqu’à ce qu’elle soit suffoquée ; mais ce n’est point ce qui se passe. […] Au reste, si les centres de la moelle sont presque réduits chez l’homme à l’automatisme des actions réflexes, il n’en est plus de même à mesure qu’on descend l’échelle animale ; nous avons vu qu’alors les centres de la moelle manifestent non seulement une sensibilité rudimentaire, mais de la conscience et de la volonté, parfois même de l’intelligence.

303. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — La déclamation. » pp. 421-441

Ils leur apprenoient la bonne prononciation, la durée des mesures & l’intonation des accens : ils faisoient, en un mot, ce que nous serions encore obligés de faire, si nous avions à former pour le théâtre un acteur Normand ou Provençal, quelque intelligence qu’il eût d’ailleurs : mais un cas particulier, ajoute M. […] Desfontaines passe ensuite à l’énumération des défauts qu’on remarque communément dans les prédicateurs, & qui sont les tons d’écolier, des exclamations périodiques & déplacées ; une véhémence ridicule dans des choses triviales, au lieu d’une noble simplicité qu’on devroit avoir jusques dans les plus beaux morceaux ; des cris & des transports de routine ; une monotonie ennuyeuse, une déclamation dénuée d’attention, d’intelligence & de sentiment. […] Sa manière étoit imposante, noble, pleine de chaleur, d’intelligence & de force.

304. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IV. La folie et les lésions du cerveau »

Il est très difficile d’appliquer une telle méthode à la question qui nous occupe, au moins dans l’humanité ; on ne peut à volonté, si ce n’est dans des cas très rares et avec quelques périls, jouer avec l’intelligence humaine, comme avec des vapeurs ou des gaz32 ; mais, hélas ! […] Et si les cas où le cerveau me paraît sain sont précisément ceux où il y a eu un délire sans complication de symptômes physiques, un délire de l’intelligence et des passions, si les cas où le cerveau est altéré sont ceux où il y a eu paralysie, agitation, torpeur, insomnie, j’attribue ces différents accidents à la lésion du cerveau, et la cause de l’aberration mentale me reste encore inexpliquée. » Non-seulement on ne rencontre pas toujours d’altérations organiques dans la folie, mais les altérations que l’on rencontre ne sont pas toujours les mêmes. […] J’en dirai autant de celle que donne un autre médecin très éclairé, le docteur Baillarger : celui-ci ramène la folie à un fait fondamental qu’il appelle l’automatisme de l’intelligence.

305. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Sahara algérien et le Grand Désert »

En effet, de toutes les spécialités d’intelligence, l’esprit militaire (s’en étonnera-t-on ?) […] Selon nous, ces espèces de capacités sont les meilleures, les plus nettes, les plus lumineuses qu’il y ait eu jamais parmi les hommes, et la littérature qui en est l’expression, soit sur les choses de la guerre, soit sur les choses de la politique et de l’histoire, est certainement la littérature où se trouvent relativement le plus d’œuvres supérieures et le moins d’œuvres médiocres… La cause de cela ne vient point seulement de ce que la vie militaire est une grande école pour le caractère, et qu’à une certaine profondeur le caractère et l’intelligence confluent et s’étreignent. […] Nul n’a mieux compris, et ne devait mieux comprendre, que cette intelligente tête d’officier, les mœurs familiales et guerrières de ces tribus qui se dressent encore avec tant de majesté devant les Européens, leurs vainqueurs et leur offrent, comme une leçon, le spectacle de Barbares qui ont conservé l’intelligence de la hiérarchie, quand les peuples éclairés, comme on dit, en ont perdu jusqu’à l’instinct… La Féodalité, qui n’existe plus qu’au désert, ce fragment du Moyen Age retrouvé vivant dans les sables du Sahara, a captivé singulièrement le Croisé de la civilisation, et, malgré ses réserves un peu trop discrètes de civilisé, l’on voit bien, aux caresses de son pinceau, l’ardeur attentive et charmée de sa sympathie !

306. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme et l’Enfant » pp. 11-26

Le sentiment d’ordre moral qui manque à tant d’intelligences de notre époque ne lui manque pas, quoiqu’il soit en lui troublé et confus. […] n’a pas vu, en raison de sa science ; car il n’est donné qu’à l’idée fixe d’une science quelconque de passer les yeux ouverts auprès des plus grosses vérités sans les voir, et seule, peut-être, une intelligence d’économiste ou de philosophe, émoussée par la préoccupation de la matière et de ses vaines combinaisons, devait attendre uniquement d’un peu de poussière : de la production matérielle, le soulagement de cette souffrance organisée et infinie qui constitue l’âme humaine, et à laquelle les hommes, par leurs institutions ou par leurs vices, ont trouvé moyen d’ajouter. […] Du reste, on le voit, ce livre, contre lequel on n’a pas beaucoup plus à dire que contre tous les autres ouvrages économiques de notre temps, n’apporte pas plus que ceux-là de solution nouvelle à cette question de la misère qui épouvante les intelligences sans religion et sans courage.

307. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

Combien je me réjouis qu’après une rencontre d’intelligence entre vous et moi si tardive, si peu prévue, nous devions désormais marcher deux ! […] Il ne laissa jamais de prise sur lui aux douleurs violentes ou éternelles ; il voulait conserver à tout prix le calme olympien de son intelligence. […] Considérons gravement ce que produira notre faible pouvoir ; car il faut mépriser l’homme sans intelligence qui ne réfléchit pas aux entreprises qu’il veut accomplir. […] Là où je découvre un corps, je pressens une intelligence ; là où je remarque un mouvement, je devine une pensée motrice. […] Ce mépris même est une grandeur de l’intelligence.

308. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Sceptique dilettante, il réduit sa magnifique intelligence à tout observer, à tout comprendre et à tout expliquer. […] Ils ne le sont ni en force, ni en intelligence, ni en quoi que ce soit. […] Elle rétrécit en quelque manière l’intelligence elle-même. […] Le bon critique est une intelligence toujours éveillée, prompte, compréhensive et sûre. Cette intelligence, pour être tout cela, il est nécessaire qu’elle ne soit asservie à rien.

309. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

Doué, par la nature, d’une intelligence vaste et capable de tout, plutôt que d’une vocation précise et impérieuse, c’est lui-même qui, par ambition et par choix, détermine la direction de cette intelligence et qui la porte décidément vers telle ou telle conquête. Ajoutant ainsi continuellement à son acquis, à son fonds de comparaisons et d’idées, assouplissant et gouvernant avec une dignité de plus en plus aisée sa noble manière, semblant justifier en lui cette définition, que le génie (une haute intelligence étant supposée comme condition première), c’est la patience, il est arrivé, sur les plus grands sujets qu’il soit donné à l’œil humain d’embrasser, à la plénitude de son talent de peintre et d’écrivain. […] Isidore Geoffroy Saint-Hilaire s’est occupé avec étendue de Buffon ; une comparaison qu’il établit de l’éloquent historien de la nature avec Linné, et où il marque vivement les contrastes des deux génies, se termine en ces termes : Linné, un de ces types si rares de la perfection de l’intelligence humaine, où la synthèse et l’analyse se complètent dans un juste équilibre, et se fécondent l’une l’autre : Buffon, un de ces hommes puissants par la synthèse, qui, franchissant d’un pied hardi les limites de leur époque, s’engagent seuls dans les voies nouvelles, et s’avancent vers les siècles futurs en tenant tout de leur génie, comme un conquérant de son épée !

310. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

Quoi qu’il en soit et telle qu’on nous la donne, toute mutilée qu’elle nous arrive, cette Correspondance est d’un haut intérêt pour l’explication de l’âme et de l’intelligence de Lamennais. […] Cette Correspondance nous le montre, jour par jour, pendant près de vingt années, et grâce à elle, nous assistons, dans ce cœur, dans cette intelligence supérieure et fébrile, à tous les flux et reflux, à toutes les pulsations du dedans. […] En même temps que la forme de son intelligence n’admet que le système absolu, la nature de son âme aussi n’est capable que d’affections extrêmes. […] « Il y a un désordre profond dans les esprits ; on ne s’entend sur rien : la société des intelligences est dissoute… Depuis que je suis ici (à Paris), je crois être à Charenton, et pis que cela. » (18 février 1826.)

311. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vie de Jésus, par M. Ernest Renan »

Gustave d’Eichthal, une intelligence élevée, consciencieuse, tenace, imbue d’une religiosité forte et sincère, en quête, dès la jeunesse, de la solution du grand problème théologique moderne sous toutes ses formes, s’était appliqué avec une incroyable patience à une comparaison textuelle des Évangiles et en avait tiré des conséquences ingénieuses qui ont, à la fois, un air d’exacte et rigoureuse, vérité2. […] Des cours publics, des romans même avaient favorisé et fomenté cette exaltation assez vague des intelligences. […] Cette Vie de Jésus, toute révérence gardée, a pris dans la classe moyenne des intelligences, comme le Petit Journal a pris parmi le peuple. […] Aux âmes simples, aux fidèles qui vivent rangés et soumis autour de la houlette pastorale, je ne conseillerai pas de le lire ; mais on sait que le nombre de ces fidèles et de ces humbles n’est pas infini ; et pour tous les autres, sceptiques, indifférents, hommes d’étude et d’examen, gens du monde, gens d’affaires, pour peu que vous ayez un coin sérieux de vacant et de libre en vous, je dirai avec confiance : Lisez et méditez, lisez et relisez ces beaux chapitres, Éducation de Jésus, Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus, Prédications du lac et apprenez le respect, l’amour et l’intelligence de ces choses religieuses auxquelles il n’est plus temps d’appliquer la raillerie et le sourire.

312. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre I. Composition de l’esprit révolutionnaire, premier élément, l’acquis scientifique. »

S’il est hors ligne, il n’est pas hors cadre, il est un animal parmi les animaux337 en lui et chez eux, la substance, l’organisation, la naissance, la formation, le renouvellement, les fonctions, les sens, les appétits, sont semblables, et son intelligence supérieure, comme leur intelligence rudimentaire, a pour organe indispensable une matière nerveuse dont la structure est la même chez eux et chez lui. — Ainsi enveloppé, produit, porté par la nature, peut-on supposer qu’il soit dans la nature comme un empire dans un empire ? […] Ainsi les sensations sont la substance de l’intelligence humaine comme de l’intelligence animale ; mais la première dépasse infiniment la seconde, en ceci que, par la création des signes, elle parvient à isoler, extraire et noter des fragments de ses sensations, c’est-à-dire à former, combiner et manier des notions générales  Cela posé, nous pouvons vérifier toutes nos idées ; car nous pouvons toutes les refaire, et reconstruire avec réflexion ce que sans réflexion nous avions construit.

313. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre II. Des idées générales et de la substitution simple » pp. 33-54

. — Différence de l’intelligence humaine et de l’intelligence animale. […] Ces deux idées régnantes, le zizi et le fafer, étaient deux points cardinaux de son intelligence, et il partait de là pour tout comprendre et tout nommer. […] En cela consiste la supériorité de l’intelligence humaine.

314. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

Gabriel-Honoré était né avec une intelligence prompte et souple, capable de tout recevoir et de tout garder, avec des appétits démesurés : il avait d’effrayants besoins d’action et de sensation, il lui fallait se dépenser et jouir plus que les autres hommes. […] Il arrachait par son intelligence et sa capacité de travail l’admiration de son oncle le bailli et, pendant leurs rares trêves, celle même de son père. […] Après tout, c’est par l’intelligence que vaut Mirabeau. […] C’était un robuste Champenois, aux formes athlétiques, au masque vulgaire et puissant, sensuel, débraillé, actif, hardi, d’intelligence claire et forte : il n’était pas grand discoureur, et il passa pour ignorant parce qu’il ne citait pas l’antiquité, et ne faisait pas d’amplifications creuses.

315. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

Quoique l’auteur, dans sa préface, annonce qu’il veut procéder en naturaliste et continuer, dans le domaine affectif, ce qu’il a fait pour l’intelligence, les appétits et les sensations, on ne trouve plus ici cette sûreté de méthode qui satisfait l’esprit, encore plus que ne le font les analyses et les découvertes. […] On peut donc aspirer à un progrès, non à un résultat définitif ; et voici les conditions de ce progrès : Il faudrait étudier l’évolution ascendante des émotions à travers le règne animal ; rechercher celles qui apparaissent les premières et coexistent avec les formes les plus inférieures de l’organisation et de l’intelligence. […] L’exercice de l’intelligence produit un certain nombre d’émotions, tandis que les associations par contiguïté, fondées sur une simple routine, nous laissent indifférents. […] L’orateur qui, au Parlement, remet et tire sans cesse son lorgnon, l’écolier qui, en récitant sa leçon, remue quelque chose entre ses doigts, les actes automatiques de certains avocats ou autres gens parlant en public : ce sont là autant d’exemples de la manière dont le trop plein des émotions peut se dépenser, et empêcher par suite qu’elles ne paralysent l’intelligence.

316. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VIII. De la clarté et des termes techniques »

Il y a une autre sorte de propriété du langage qui consiste non plus dans le rapport en quelque sorte théorique de l’idée et du mot, mais dans le rapport du mot à l’intelligence des gens auxquels on s’adresse. […] Mais dans les occasions où l’on veut être lu de tous, où l’on n’exclut d’avance aucune catégorie d’esprits de l’intelligence de ce qu’on écrit, cette clarté spéciale ne suffit plus.

317. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 181-190

Le Dialogue en est naturel, plein d’intelligence & d’adresse ; les caracteres en sont intéressans & soutenus. […] Il prétendoit que l’Homme raisonnable ne doit s’occuper que du vrai, considéré en lui-même ; que ce vrai peur seul perfectionner notre intelligence ; que l’étude de l’Homme est préférable à toute autre étude ; qu’il n’appartient enfin qu’à la Philosophie de nous le montrer, tel qu’il est, dans les idées primitives, dont l’Histoire ne nous présente, selon lui, que des copies imparfaites, ou des portraits défigurés.

318. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — II »

Beaucoup d’esprits se sentaient incapables de se satisfaire, je ne dis pas de l’ironie voltairienne qui représenta surtout une période de lutte, mais de cette austère formule d’observation dont s’allaient pourtant contenter de nobles et vigoureuses intelligences, parmi lesquelles M.  […] Le malentendu a pris de telles proportions que, dans ces dernières années, c’était devenu, chez les intelligences les plus averties, une habitude de soupçonner M. 

319. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VI »

C’est un analyste qui examine l’organe et qui dit : « Étant donné l’ensemble, il est tout naturel, il est nécessaire que la partie ait ce vice ; l’animal en pourra crever, mais nous aurons compris la nécessité de sa fâcheuse aventure. » Taine n’est pas parfait, mais il a une intelligence indépendante ; ses enfants tiennent directement de son tempérament et non point d’une politique adoptée pour obtenir soit la popularité, soit les faveurs du pouvoir. […]  » Selon eux, parmi ces organes, il en est un d’espèce supérieure, l’État, siège de l’intelligence : en lui seul réside la raison, la connaissance des principes, le calcul et la précision des conséquences ; dans les autres, il n’y a que des poussées brutes, tout au plus, un instinct aveugle.‌

320. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

L’union de l’art antique et de la raison moderne dans les hautes intelligences littéraires a produit ce merveilleux épanouissement. […] La vanité, chez lui, entravait l’ambition ; la passion déconcertait les calculs de l’égoïsme ; l’intelligence faisait hésiter la volonté : il était irrésolu, inconstant ; il paraissait peu sûr à son parti, qui ne lui pardonnait point de le juger parfois, et de se juger lui-même en tant qu’il y coopérait, avec trop de clairvoyance. […] Il convient de faire une place au roi354, qui dans ses Mémoires et dans ses Lettres, se montre à son avantage, avec son sens droit et ferme, son application soutenue aux affaires, sa science délicate du commandement : une intelligence solide et moyenne, sans hauteur philosophique, sans puissance poétique, beaucoup de sérieux, de dignité, de simplicité, une exquise mesure de ton et une exacte justesse de langage, voilà les qualités par lesquelles Louis XIV a pesé sur la littérature, et salutairement pesé. […] Il nous aide à nous figurer l’état d’esprit de ce public qui admirera un peu pêle-mêle Benserade, La Fontaine, Perrault, Boileau, plus sensible aux qualités effectives des œuvres qu’aux principes spéculatifs des théoriciens, plus sensible surtout à la convenance qu’à l’art, à la vérité qu’à la poésie, et parfaitement satisfait de toute œuvre qui parle clairement à son intelligence : il ne cherche dans les livres que des idées, et ses idées ; il ne se préoccupe guère des anciens. […] Elle la porte gaiement, bravement ; elle a une nature énergique où l’intelligence domine.

/ 1962