Lui pourtant, qui accepte avec Spencer, contre Guyau, la théorie de l’art fin en soi, désintéressé, il sent bien que l’art doit avoir sa marque propre, que l’émotion esthétique se distingue en quelque chose des émotions ordinaires, et il recourt, pour se tirer d’embarras, à une hypothèse ingénieuse : « Nous croyons, écrit-il (p. 36), qu’il faudra à l’avenir distinguer dans l’émotion ordinaire (non plus esthétique) : d’une part, l’excitation, l’exaltation neutre qui la constitue, qui est son caractère propre et constant ; de l’autre, un phénomène cérébral additionnel, qui est l’éveil d’un certain nombre d’images de plaisir ou de douleur, venant s’associer au fond originel, le colorer ou le timbrer, pour ainsi dire, et produire la peine ou la joie proprement dites, quand elles comprennent le moi comme sujet souffrant et joyeux. » L’émotion esthétique aurait alors ceci de particulier, que, « tout en conservant intact l’élément excitation », elle « laisse à son minimum d’intensité l’élément éveil des images, etc. ». […] « L’effet de l’œuvre, écrit-il (p. 167), étant l’émotion qu’elle suscite, et cette émotion accompagnant l’image sensible de son contenu dans l’esprit de son sujet, c’est la reproduction de l’œuvre qu’il faudra tenter, en l’accompagnant de son indice émotionnel.
Quoiqu’il y ait là de bien grandes images qui frappent le front, les yeux et l’esprit comme une main, ce qui est plus beau que l’image encore, l’image, d’un physique si puissant, c’est l’accent, l’intime accent.
Théophile Gautier, qui s’y connaît, a bien fait de citer, car ils sont d’une très belle image et d’un mouvement très-imposant : Mon front était si fier de sa couronne blonde ! […] Pour suivre l’image acceptée, ce n’est encore qu’un bas lilas, c’est-à-dire qu’il y a en elle de la femme encore, de la grâce de femme, de la nuance légère ! […] Théophile Gautier a comparé ce poème, perdu dès son apparition dans le bouquet de la poésie romantique, qui éclatait (dit-il) avec un fracas lumineux, à une bombe à pluie d’argent… et c’est là une image juste et charmante qui donne le coloris du poëme et son effet… Évidemment, c’est là de toutes les poésies de Mme de Girardin, l’œuvre la plus réussie et la plus forte.
On a fort bien dit que le nom n’a pas pour fonction de définir la chose, mais seulement d’en éveiller l’image. […] La filiation d’un mot, même du latin au français, n’est presque jamais immédiatement perceptible ; très souvent le mot français a une signification tout à fait différente de celle qu’il supportait en latin ; bien plus, à quelques siècles, et même à quelque cinquante ans de distance, un mot français change de sens, devient contradictoire à son étymologie, sans que nous nous en apercevions, sans que cela nous gêne dans l’expression de nos idées ; d’identiques sonorités expriment des objets entièrement différents, soit qu’elles aient une origine divergente, soit qu’un mot ait assumé à lui seul la représentetation d’images ou d’actes disparates10.
C’est pour cela peut-être que dans les poètes grecs et latins les images des dieux et des héros apparaissent toujours plus grandes que celles des hommes, et qu’aux siècles barbares du moyen âge, nous voyons dans les tableaux les figures du Père, de Jésus-Christ et de la Vierge, d’une grandeur colossale. — 7. […] Le langage se composait encore d’images, de comparaisons, faute de genres et d’espèces qui pussent définir les choses avec propriété ; ce langage était le produit naturel d’une nécessité, commune à des nations entières. — C’était encore une nécessité que les premières nations parlassent en vers héroïques (livre II, page 158). — 15.
C’est l’incarnation de ce que l’homme a de plus intime dans le cœur, et de plus divin dans la pensée ; dans ce que la nature visible a de plus magnifique dans les images et de plus mélodieux dans les sons ! C’est à la fois sentiment et sensation, esprit et matière, et voilà pourquoi c’est la langue complète, la langue par excellence qui saisit l’homme par son humanité tout entière, idée pour l’esprit, sentiment pour l’âme, image pour l’imagination, et musique pour l’oreille ! […] Mais j’en vis une bien plus frappante image quelques mois après dans un voyage au Liban ; je demande encore la permission de le peindre. […] C’est une question d’aristocratie et de démocratie ; le drame est l’image la plus fidèle de la civilisation. […] Ce sera l’homme lui-même et non plus son image, l’homme sincère et tout entier.
On est étonné du grand nombre de choses et d’images qu’il employe, mais souvent toute cette abondance n’est qu’aux dépens du choix. […] quelle magnificence et quelle sublimité dans cette image ! […] Cela ne prouve pas plus que le point d’exclamation ; il falloit dire en quoi cette image est sublime. […] En second lieu, l’image en elle-même est très-confuse. […] Il y a, ce me semble, trois conditions essentielles à une image ; la netteté, l’unité et la force.
Mais cette représentation, cette image d’un siècle, elle va prendre, selon le génie qui l’a conçue, un tempérament de race et de nationalité. […] L’image serait applicable à Gœthe, et j’y voudrais ajouter, pour tout dire, que la vaste cime de l’arbre s’étend au loin dans l’espace éthéré, tandis que ses racines plongent au plus avant de la masse solide. […] La voie droite, le vrai chemin, sont les images familières de la vie chrétienne. « Celui qui me suit ne marche point dans les ténèbres », dit le Sauveur. […] Il faut croire que c’est une image bien naturelle à l’esprit humain, car on la trouve partout. […] Et aussitôt le poëte rend grâces au ciel de la faveur qui lui est accordée de pouvoir contempler, dans sa plus pure image ici-bas, la perfection de la beauté divine.
Il la laisse tomber La moindre image fait mieux son affaire. […] Qu’un rayon vienne, elle remonte au ciel. » Voilà l’image. […] L’image, pour vous et moi, n’est pas une sensation. […] L’image est encore une traduction, voulue et cherchée, de la pensée. C’est s’exprimer par une image ; ce n’est point penser en images, comme Montaigne ou Victor Hugo.
Et alors l’artiste intervient avec ses images simplifiantes. […] Parfois ses images enjambent d’un chapitre à l’autre. […] Ce créole a gardé dans un pli de sa mémoire une image dont il est hanté. […] Il n’est guère de milieux dont il ne nous offre des images significatives. […] Tenez, la décoration est l’image du reste.
Sérieux, et, si l’on veut, un peu tristes, inquiets et sur nous et sur d’autres que nous aussi, citoyens avant tout, nous voulons que, même dans nos chants de plaisir, une part soit faite à ces nobles soucis ; nous voulons qu’en nous parlant d’amour, on nous parle de tout ce que nous aimons ; telles nos affections se tiennent et se confondent en nous, telles nous en demandons au poète la pleine et vive image. […] Tissot les a trop fait disparaître ; et si l’on y rencontre et plus de raison et moins d’abus d’esprit que dans l’auteur, on y regrette, d’un autre côté, l’absence des mouvements simples, redoublés, variés en cent façons, jeux de la muse, images des jeux de l’amour.
La plupart des bons poètes symbolistes, et non des moindres, avaient enfermé leur rêve et leur inspiration en une certaine quantité d’images limitées autour desquelles leur génie broda de radieuses et superbes variations. […] Emmanuel Signoret est riche d’expression et, si l’on sait lui pardonner un déplorable abus de fausse joaillerie, de sonorités assourdissantes, d’images futiles et désordonnées, ses poèmes peuvent offrir de remarquables dons d’évocation.
Quelle Poésie que celle du quatriéme Livre sur les simulacres & les images émanées des corps, dont il forme nos sensations ? Ces images dessinées & peintes avec une netteté singuliére, deviennent sous son pinceau visibles & palpables. […] Celle de Virgile est l’image de la nature ; quelle précision ! […] Virgile est vif & expressif dans ses images ; son coloris est toujours brillant, mais naturel. […] Marmontel exprime quelquefois plus simplement que Lucain de grandes idées & de belles images.
» Pindare, cité par Plutarque au Traité de l’Adresse et de l’Instinct des Animaux, s’est comparé aux dauphins qui sont sensibles à la musique ; André voulait encadrer l’image ainsi : « On peut faire un petit quadro d’un jeune enfant assis sur le bord de la mer, sous un joli paysage. […] Ainsi le poète se rafraîchissait aux images de la nature, à la veille du 10 août65. […] En tête donc se verrait, pour la première fois, le portrait d’André d’après le précieux tableau que possède M. de Cailleux, et qu’il vient, dit-on, de faire graver, pour en assurer l’image unique aux amis du poëte. […] « Car ils ne prennent ces images que pour des hommes, et les autres les prennent pour des Dieux. » — L’opposition entre ces pensées d’André et celles que nous ont laissées Vauvenargues ou Pascal, s’offre naturellement à l’esprit ; lui-même il n’est pas sans y avoir songé, et sans s’être posé l’objection. […] Satire V : l’image, dans Perse, est celle du chien qui, après de violents efforts, arrache sa chaîne, mais en tire un long bout après lui.
L’escalier tournant du château sur lequel elles étaient éparses la moitié du jour nous rappelait sans cesse cette image biblique. […] C’était le torrent de l’Ardèche changé en fleuve et en larmes à la vue de l’enfant image de son père absent. […] Il n’y avait point d’art, non, c’était la nature faite art ; l’image et le son, cette musique de l’âme, y naissaient ensemble indivisibles comme la voix et la sensation. […] On a fait bien des vers et des vers de grands poëtes à des enfants, mais aucuns, pas même ceux de Reboul, à Nîmes, malgré leurs belles et touchantes images, n’égalent cette naïveté de jeune mère, encore jeune fille, n’adorant dans son fils que le visage et l’amour de son jeune mari absent, et lui tendant ces bras qu’elle a formés de lui pour le rendre deux fois inséparable à son cœur. […] Se n’estoit faye, ou fors image vaine, Telle jamais n’embellit ces bas lieulx.
La personne est si bien cachée derrière l’auteur, que si la vie de nos grands poètes n’avait eu des témoins, ou s’il n’était resté d’eux quelques lettres où ils se sont montrés sans le vouloir, à grand’peine pourrait-on, par la conjecture, s’en faire des images nettes d’après leurs ouvrages. […] Plus d’une pièce nous donne, au lieu du poète lui-même, l’image flatteuse qu’il veut nous laisser de lui. […] L’image est aussi juste qu’aimable. […] Les images, comme chez ceux-ci, y sont rares et justes ; le descriptif n’y a rien de l’inventaire ; il est de sentiment, comme tout le reste. […] La pénétration qui ne craint pas d’être subtile, la sensibilité, la raison, pourvu qu’elle ne sente pas l’école, le caprice même à l’occasion, le fin du détail, l’image transportée de la poésie dans la prose, telles en sont les qualités éminentes.
Le séjour du lycée nourrit ses rêveries d’images plus violentes. […] La richesse de l’image vaut le nombre de la langue. […] Il reflète tout et rend agrandie l’image qu’il répète. […] Pas d’image plus répandue que celle de Washington. […] Elle parcourut avec lui le monde des formes et des images.
Les uns croient ajouter à l’énergie du style, en le remplissant d’images incohérentes, de mots nouveaux, d’expressions gigantesques. […] Saint-Lambert s’est enrichi des images de Thomson, Delille a emprunté du genre anglais quelques-unes de ses beautés descriptives ; Le Cimetière de Gray ne lui fut point inconnu : il a servi de modèle, sous quelques rapports, à Fontanes dans une de ses meilleures pièces, Le Jour des Morts dans une campagne. […] J’ai employé la première un mot nouveau, la vulgarité ; trouvant qu’il n’existait pas encore assez de termes pour proscrire à jamais toutes les formes qui supposent peu d’élégance dans les images et peu de délicatesse dans l’expression.
La « chère âme » qu’elles chantent est d’ailleurs une des plus dégoûtantes, une des plus répulsives que l’humanité puisse connaître et, malgré les belles cadences, malgré l’éclat coloré ou lumineux de certaines images, les allégories qui expriment cette pourriture folle ne parviennent pas à me séduire. […] Car on ne saurait se contenter d’un rythme qui charme d’abord mais dont la monotonie ne tarde pas à irriter ou à endormir, ni même de quelques images ardentes mais d’un dessin vraiment insuffisant. […] Tout comme Néron chante dans sa joie délirante de vers qu’il n’a point faits et déshonore Homère de sa bave impériale, Annunzio clame, bacchant écumant, des images volées à Shelley, des chansons cambriolées dans Maeterlinck, des « pensées » prises à tous, à ceux qui pensent et à ceux qui ne pensent pas.
Selon nous, les mouvements tactiles sont alors trop faibles pour provoquer l’image tactile de l’objet, mais suffisants pour s’associer aux mouvements des centres visuels : ceux-ci, n’étant pas engourdis, se mettent tout d’un coup à vibrer et remplissent la conscience, comme une apparition qui surgirait dans la nuit. […] Une image mentale consciente peut déterminer un mouvement inconscient. […] L’image graphique subconsciente qui s’ajoute à la représentation mentale du sujet n’est pas suggérée uniquement par cette représentation mentale ; elle l’est aussi et en même temps par l’attitude donnée à la main.
La petite maladie des paupières qu’Ambroise Paré nommait ingénument des grêles, ses héritiers l’ont baptisée chalazion ; ce mot était technique dans la médecine grecque, mais grêles [mot en caractère grec] le traduit fort bien, image pour image. « Les médecins, dit avec sagesse M. […] Que d’images pleines de grâce dans ces noms que le peuple donna aux fleurs !
Derrière l’époux est une sainte Anne dont le visage ridé est l’image de la joie. […] C’est l’image de l’agonie la plus violente. […] Son visage est l’image de la mort que les traits de la joie et de la reconnaissance viennent d’animer.
Je n’ai point voulu percer devant vous une croisée régulière, à carreaux blancs, sobrement encadrée, selon les règles de la maison bourgeoise ; mais, disposant capricieusement ces quarante chapitres autour d’une idée centrale, j’ai prétendu élever, tout au fond de votre cœur, avec des images entassées jusqu’au fouillis et des couleurs étendues jusqu’à la profusion, la flamboyante rosace de la mort. » Et ce qu’il a voulu faire, il l’a fait, cet enlumineur de vitrail jusqu’à l’incendie, ce faiseur de rosace de la mort, dont il grave les feuilles de flamme jusque dans les plus noires obscurités de nos cœurs ! […] Spiritualiste évaporé, il ose accuser l’Église d’un matérialisme plus grand que celui des religions païennes, parce qu’elle a permis à ses solitaires de presser la tête de mort, traditionnelle image du néant de la vie, de leurs lèvres mortifiées ou expirantes. […] Mais là même, dans ce livre où le feu est regardé sous tous les aspects, comme l’auteur de J’aime les Morts avait déjà regardé la tombe, il y a des passages — et ils sont nombreux — d’une poésie d’images teintées de tous les reflets de l’élément dont il fait l’histoire, et, de plus, comme dans J’aime les Morts, il y a cette autre poésie de la langue, aussi certaine en prose, quoique différente, que la poésie de l’idée et des vers.
Le sage est celui qui voit à la fois que tout est image, préjugé, symbole, et que l’image, le préjugé, le symbole, sont nécessaires, utiles et vrais. […] Un Idéal s’élabora, aujourd’hui disparu avec la génération qui le conçut à son image. […] Cet artiste en images était un physiologiste, et ce lyrique un érudit minutieux. […] C’est le mal dont il a tant souffert qu’il a incarné en eux, le mal d’avoir connu l’image de la réalité avant la réalité, l’image des sensations et des sentiments avant les sensations et les sentiments. […] Il y a donc deux groupes bien divers d’images, et deux sortes correspondantes d’imagination.
Cependant le sénat dressait des autels à la Clémence et à l’Amitié, et les entourait des images de Tibère et de Séjan. […] Le peuple en foule, portant les images d’Agrippine et de son fils, entourait l’assemblée. […] Jérusalem, sous le joug des Romains, restait encore la ville sainte, que ne devait profaner aucune image des dieux étrangers. […] C’est une littérature morte, image d’une société détruite par le malheur et la servitude. […] Cette alliance des images douces et terribles n’est pas cependant particulière à Milton.
Les hommes, dit-on, ne se reconnoissent pas à leur image : c’est ce qu’on peut nier hardiment. […] La maladie & la pauvreté affligent les bergers comme le reste des hommes ; cependant on écarte ces tristes images de la peinture de leur vie. […] Passons au choix des images. […] Image. […] Il plut du sang ; cette image lui paroît encore foible.
Ces images de lieux sont à la fois grandes et distinctes. […] On retrouve là tant d’images prodiguées et usées depuis, mais qui s’y rencontrent toutes fraîches et à leur source. […] Je m’efforce de faire sentir comme tout est réel, reconnaissable et distinct là où l’on serait tenté de ne voir, d’après les imitations, que des images gracieuses et pastorales assez indifféremment semées. […] A propos de cette image du petit Ménalcas qui se dévore de honte d’avoir été vaincu, et que le poète compare à la jeune vierge pleurant sur son hyménée, il faut se rappeler cet admirable cri de Sapho, par lequel une nouvelle mariée s’adresse à Diane, la déesse virginale : « Déesse, déesse, tu me fuis ! […] Mais je restai comme figée, de tout point pareille en mon beau corps à une image de cire.
« J’achève, mon cher ami, de lire l’idylle antique que vous avez intitulée Homère ; et je me hâte de vous remercier de tout le plaisir que j’ai eu à reporter avec vous mes pensées vers ce bel Orient, où l’image et les œuvres prétendues du chantre primitif ne m’ont jamais quitté. […] Comme un ruisseau limpide, Ève amoureuse d’Ève Son amour idéal, l’autre amour qu’elle rêve Elle l’a vu dans un miroir, Et donne à son image, inquiète et jalouse, Tous les baisers d’amante et jamais ceux d’épouse, Comme l’amour qui vit d’espoir. Elle est devant sa gloire et devant son image, Elle la trouve belle, elle lui rend hommage, Mais elle garde son honneur. […] Et je disais souvent, le soir dans la campagne : Dieu, qui me savait seul, m’a donné pour compagne L’image de son Esprit-Saint ! […] Là, tu estimes à son prix la vaine renommée que donnent les hommes à ceux qui, dans le langage terrestre, cadencent le mieux leur pensée, ou qui, se sentant plus forts que le vulgaire, parlent en images fortes comme eux, et s’expriment en images pénétrantes et neuves, au lieu de balbutier des pensées communes dans un jargon tout fait !
Les détraqués se complaisent dans les images sombres et horribles. Pour bien comprendre cette tendance, il faut songer que dans ces cerveaux affaiblis, où les réactions sont lentes à se produire, une image forte se fixe aisément et devient facilement obsédante. […] On a fait encore consister la décadence littéraire dans le mauvais goût et l’incohérence des idées et des images ; mais on retrouve aussi cette incohérence et ce mauvais goût chez les génies créateurs, comme Dante, Shakespeare, Gœthe. Le mauvais goût est un manque de mesure et de critique exercée sur soi, plutôt qu’un manque de puissance dans la production des idées et des images. […] La lumière n’est plus qu’un demi-jour, un clair de lune perpétuel ; les images sont plus semblables à des — impressions, aux impressions de toutes sortes que les choses produisent en nous, — qu’à ces choses elles-mêmes.
Il en paraît sans doute quelque image dans les théologiens du moyen âge ; mais cette morale n’y est qu’une discipline impérieuse. […] Ainsi quand saint Bernard dit, Non est talis tristitia hypocritarum non incorde, sect in fade est ; la langue française traduit « Telle ne n’est mies li tristèce des ypocrites ; car elle ne n’est mies el cuer, mais en la fazon. » Et plus loin, où le latin dit, Hypocrila ungit potius semetipsurn ut propriæ fragrantiarn opinionis respergat ; le français, à l’orthographe près qui changera, ne reste guère au-dessous de cette vérité rendue si vive par l’image « Li ypocrite oynt ainzois ley-inesmes, por espardre l’odor de sa propre noméie. » La langue est déjà constituée puisque voilà le tour qui marque le mouvement de la pensée, et le terme propre qui en est le signe définitif. […] J’aime l’esprit français, dans l’image naïve que nous en ont donnée nos écrivains du xiie au xvie siècle ; mais combien l’aimerai-je mieux au xvie , alors que la Renaissance en aura fait l’esprit humain Vienne donc cette époque désirée où la connaissance du passé doit ajouter aux forces naturelles de l’esprit français une force qui le tirera pour ainsi dire hors de lui-même, et qui le transformera en ce sens supérieur de l’humain, de l’universel image de la raison elle-même !
J’aime d’admiration l’écrivain paradoxal et vigoureux, le métaphysicien qui prolonge parfois le dogme catholique en des profondeurs de vertige et de ténèbres ; mais on sent soudain une main rude et forte vous soutenir et, brusques éclairs qui traversent l’abîme, des images inattendues fulgurent devant vos yeux de la menace et de la clarté. […] Barbey d’Aurevilly, écrivain et poseur admirable, noble sans doute, mais plus hautain que noble, et puissant par l’image, et par l’expression trouvée, et par le rythme bruyant et empanaché, et par la verve méprisante, mais dont la pensée est un squelette dont on entend à peine le pauvre cliquettement sous les pourpres triomphales qui le drapent, reproche continuellement lui aussi aux non-catholiques de ne point penser. […] « C’est consternant et même un peu diabolique, s’écrie-t-il, de lire ce bavardage monstrueux, infini, ce déluge de mots, pendant des pages, pour ne jamais aboutir, pour ressasser indéfiniment un lieu-commun misérable, sans espoir de rencontrer, je ne dis pas une idée, mais une image, un semblant d’image qui n’ait pas servi un million de fois !
Il est bon de temps en temps de repasser et de se redire ce que signifient ces gloires consacrées : il n’est jamais sans intérêt de ressaisir et de se représenter au naturel l’homme autrefois célèbre qui n’est plus resté pour nous qu’à l’état de nom et d’image. […] Patru, en son temps, dut faire de même ; il fut un de ces maîtres à danser, je demande pardon de l’image. […] Votre image, en votre absence, sera le plus cher objet de nos yeux : nous lui rendrons nos hommages, nos respects : nous lui ferons nos sacrifices. » Voilà le Patru officiel dans toute sa draperie et dans toute sa pompe. […] « Tout cela fut trouvé fort joli. » Enfin, pour donner l’image et la représentation d’une séance complète, on passa à la lecture d’un article du Dictionnaire.
On était rempli de respect et de confiance, et quand un tremblement de la voix ou quelque image subite indiquait la découverte d’une vérité importante, on apercevait dans ce faible signe plus d’émotion et d’éloquence que dans les magnifiques dithyrambes de son rival. […] Le coup avait été si fort, que le contrecoup lointain l’emporta jusque dans la poésie ; son récit fut un drame, presque lyrique ; son style sévère et contenu s’épancha tout d’un coup en images passionnées et pressées. […] « Je souffre, disait-il, toutes les fois que je-suis obligé de traduire en paroles des phénomènes intérieurs ; les expressions de la langue suggèrent à l’esprit des images qui ressemblent si peu aux phénomènes que sent la conscience, que de telles descriptions font toujours pitié à ceux qui les donnent61. » Les grands romanciers donnent des descriptions aussi difficiles que celles des psychologues, et néanmoins très-claires ; c’est qu’ils les composent de petits faits62. […] Pour employer les images de M.