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2862. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

— C’était Anténor Joly, entrepreneur infatigable, qui avait la bosse de la direction théâtrale et aussi la rage du petit journal, et qui, pour enrôler notre ami dans je ne sais quelle feuille nouvelle, lui écrivait : « Je suis l’homme petit journal. […] » Et une autre fois, tandis qu’il écoute accroupi je ne sais quel prêcheur humanitaire debout qui s’exalte et pérore, les cheveux dressés sur la tête, ce court dialogue s’engage : « — … L’homme est le chef-d’œuvre de la création. » — « Et qui a dit ça ? » — « L’homme. » Gavarni se plaît à faire assister son Vireloque et à le faire applaudir aux jeux cruels des enfants, aux traits précoces de la méchanceté humaine. Ce Vireloque, au reste, comme il l’entend, exprime bien moins la haine des hommes que la haine de tous les mensonges humains. […] Mais que cet homme étendu sur le premier plan est donc admirablement jeté par terre, et comme on sent qu’il est tombé à la renverse, d’un seul coup, à l’improviste !

2863. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 193-236

Il crut que la faiblesse de mon âge me rendait trop pénible, ce soir-là, la vue d’un homme qui devait mourir le lendemain et dont on entendait déjà l’agonie tinter dans tous les clochers de Lucques et même aux villages voisins. […] monsieur, dans ce silence de tout un peuple qui retient son haleine en attendant la voix qui doit commander la mort d’un homme, vous me croirez si vous voulez, mais je ne crois pas avoir pâli ; la joie de l’idée qu’en mourant je mourais pour lui me possédait seule, et j’attendais le commandement de feu avec plus d’impatience que de peur ! […] Un homme s’élança en fendant le rang des soldats. […] Les caresses de ce pauvre animal m’attestèrent une fois de plus combien il prend part aux douleurs et aux joies de l’homme. […] Elle le regardait sans cesse comme pour voir si c’était un miracle ou un vrai enfant des hommes !

2864. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

Daunou avait mérité le prix à Lyon dans le concours où, si la distribution s’était faite, Bonaparte n’aurait eu vraisemblablement que le second rang, et jusqu’à la fin il continua de juger, au point de vue littéraire, ce singulier concurrent comme un homme qui a eu le prix juge celui qui n’a eu que l’accessit. […] Car, sachons-le bien, cet homme qui a fourni à tant de déclamations oratoires et autres, Napoléon, quand il écrit, est la simplicité même. […] Voici le portrait vrai, en quelques traits décisifs : Kléber était le plus bel homme de l’armée. […] Il était homme d’esprit, de courage, savait la guerre, était capable de grandes choses, mais seulement lorsqu’il y était forcé par la nécessité des circonstances ; alors les conseils de la nonchalance et des favoris n’étaient plus de saison. […] « Il fit faire les plans et les devis d’une mosquée assez grande pour contenir toute l’armée, le jour où elle reconnaîtrait la loi de Mahomet. » Ce n’était qu’un leurre, car « son opinion invariable, dit-il, était que tout homme doit mourir dans sa religion. » Mais de telles démonstrations étaient d’un bon effet.

2865. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, par George Sand. (1846-1850.) » pp. 351-370

Nous voilà tout de bon revenus aux champs ; George Sand, homme politique, est une fable qui n’a jamais existé : nous possédons plus que jamais dans Mme Sand le peintre du cœur, le romancier et la bergère. […] « Petite Marie, l’homme qui t’épousera ne sera pas un sot !  […] La petite Marie, en arrivant chez le fermier qui l’a louée comme bergère, court un danger sérieux de la part de cet homme brutal. […] qu’un poète sait donc de choses, surtout quand il lui a été donné d’être tour à tour homme et femme, comme à feu le devin Tirésias ! […] Ici du moins le rôle de l’homme n’est pas subordonné ni sacrifié ; mais c’est à titre de revanche pour le pauvre enfant trouvé, et parce que la société l’avait sacrifié déjà.

2866. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

C’est ce caractère de l’homme et du littérateur que nous tâcherons d’établir et de mettre en vue. […] Un homme honorable, illustré depuis par une heure de grand courage, Boissy d’Anglas, son ami, prit la plume pour le défendre, et il écrivit, dans le Mercure de France du 20 février 1790, une lettre dans laquelle il rétablissait à l’honneur de La Harpe les faits qu’on dénaturait et qui se rapportaient à sa première jeunesse ou à sa naissance. […] Il était évident que, dans ce cas comme dans bien d’autres, l’instinct du critique, de l’homme qui se sent une idée juste et qui ne résiste pas à la dire, l’avait emporté chez lui sur les considérations secondaires. […] Sur l’Antiquité, il ne fait que courir sans doute, il est léger ; pour un homme aussi instruit et dont c’est le métier de l’être, il a des ignorances singulières et des oublis ; il n’en a pas de moins fortes et de moins frappantes à nos yeux sur les époques intermédiaires qu’il franchit rapidement, et où son auditoire ne lui demandait du reste que des esquisses, très suffisantes alors. […] Cette conversion soudaine de La Harpe, ce qu’elle laissa subsister du vieil homme en lui, ce qu’elle y modifia peut-être par endroits, mériterait toute une étude morale.

2867. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Charles Perrault. (Les Contes des fées, édition illustrée.) » pp. 255-274

J’y vois surtout de l’originalité, et les hommes les plus compétents qui jugent aujourd’hui de Claude Perrault, médecin, physicien et architecte, lui accordent, sans hésiter, du génie pour ses vues dans l’anatomie comparée et la physiologie, dans la mécanique, et pour ses nobles conceptions dans les beaux-arts. […] Un homme entendu à tout, voilà Perrault. […] Il y exprimait pourtant une idée très philosophique, c’est qu’il n’y a pas de raison pour que la nature ne crée pas aujourd’hui d’aussi grands hommes qu’autrefois, et qu’il y a place, dans sa fertilité inépuisable, à un éternel renouvellement des talents. […] Ce qu’avait fait Descartes en philosophie, d’autres le faisaient dans l’ordre des lettres ; et ces hommes d’un goût léger et scabreux, mais hardi, Perrault, Fontenelle, y concouraient vivement à leur manière. […] L’auteur y mêlait, par une diversité agréable et judicieuse, les princes, les cardinaux, les ministres d’État, les hommes de guerre, les savants, les poètes, les ingénieurs, les artistes, ceux qu’on appelait encore à cette date les artisans.

2868. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

Qu’on y voie la grotte où ce grand homme vécut abandonné des Grecs qu’il avait servis, son pot de bois, … l’arc et les flèches d’Hercule… Et il compose ainsi tout un effet moral qui gagne à un certain éloignement et devient plus auguste à distance, « parce que faire du bien aux hommes, dit-il, et n’être plus à leur portée, est une ressemblance avec la Divinité ». […] L’athée, au xviiie  siècle, était un genre à part, une condition ; on disait de tel homme en le désignant du doigt : « C’est un athée » ; et par conséquent de tel autre : « C’est un déiste. » Ces deux systèmes étaient naïvement en présence. […] Inconnu, rebuté et indigent la veille, l’auteur passa en quelques jours à l’état de grand homme et de favori de l’opinion. […] Il en jugeait pourtant très nettement dans les faits particuliers ; il remarque quelque part « que la plupart des hommes n’obéissent qu’à la crainte ». […] La meilleure lecture au sortir de là, l’antidote le plus direct à prendre, c’est Pascal qui fait, à chaque instant, crier dans l’homme la contradiction éternelle, et qui, dans son langage ferme et nu, est le moins asiatique des écrivains.

2869. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

Toutes les oreilles, tous les yeux sont tendus vers l’homme du fauteuil : vous causez ! […] Si les imbéciles étaient de l’avis des gens d’esprit, il ne vaudrait pas la peine d’être un homme spirituel. […] Saint-Marc. — Les autres préfèrent voir l’homme et l’artiste tout à la fois, et si l’âme de l’instrument se réfléchit dans sa physionomie, leur émotion en est doublée. […] Je suis loin de vouloir soutenir qu’on ne peut être à la fois hommes de lettre et homme d’ordre, — que les hasards de l’amour libre sont plus favorables que le mariage aux créations de l’esprit, que l’art enfin se trouve mal assis au foyer domestique et mal couché sur le lit conjugal. […] Et je le trouve fort conséquent, quoi qu’on dise, d’aimer d’un amour égal Ingres et Delacroix : l’homme de style explique parfaitement le critique d’art.

2870. (1900) La province dans le roman pp. 113-140

Les journaux, du moins certains d’entre eux, cultivent la même distinction entre les hommes et la rééditent à chaque instant. […] L’homme qui vivait là était fils ou petit-fils de laboureurs. […] Mais ce que je vois clairement, c’est que, grâce à la presse, les hommes qui habitent les régions les plus différentes sont occupés des mêmes événements ou des mêmes incidents presque aux mêmes heures. […] Les romanciers retardent donc quand ils nous peignent ces soirées de province où des hommes, qui semblent descendus des cadres d’un musée, s’entretiennent de niaiseries de village avec des femmes prétentieuses, sans grâce et sans esprit. […] Il y a des hommes et des femmes, en grand nombre, qui trouvent que le bonheur n’a pas de patrie nécessaire, que la joie et le souci d’une fortune à faire ou à augmenter, d’une famille à élever, d’une âme à ennoblir, d’une place à tenir dans l’amitié de quelques-uns et dans l’estime de tous, suffisent amplement à remplir les heures et à les rendre brèves.

2871. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Appendice » pp. 511-516

“J’ai éprouvé par l’expérience qu’il n’y a rien de mieux pour les hommes qu’une certaine facilité et de la douceur” ; ainsi parle, chez Térence, un de ces vieillards d’autrefois, celui qui se repent d’avoir été trop sévère. […] Laya le redit à sa manière, presque dans les mêmes termes : “Mon père a le meilleur cœur du monde ; mais il n’a pas ces allures larges, cette science des hommes qui se résume en un mot : l’indulgence.” Pourtant il faut savoir encore sur quelle terre elle tombe, cette semence aisée qui demande si peu de culture, cette doctrine du laisser-faire et du laisser-aller ; car, comme le dit, chez Térence encore, le vieillard le plus indulgent : “Il y a bien des marques dans l’homme d’après lesquelles on peut distinguer lorsque deux personnes font une même chose, et qui permettent souvent de dire : ‘Celui-ci peut le faire, celui-là ne le peut pas ; non que la chose soit différente en elle-même, mais c’est que ceux qui la font sont différents.’” […] Le ministre, homme de bien, qui a laissé une mémoire si honorée8, en recommandant expressément aux auteurs dramatiques, à la date de 1851, une direction morale formelle et un enseignement d’une utilité presque directe, portait secours là où il y avait encore danger ; il cherchait à proportionner le contrepoids à la force de l’entraînement qui avait précipité les esprits en sens contraire.

2872. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXVIII » pp. 266-276

Ce qui est la passion plus ou moins cachée de beaucoup se trouve représenté assez au naïf et sous forme de manie dans les écrits d’un homme de Lettres célèbre de ce temps. […] Eh bien, c’est le secret du cœur qui échappe en cela à la plume de l’écrivain ; il ne fait que traduire naïvement dans ses récits romanesques les vœux, les espérances, les illusions de plus d’un grand homme en herbe et de plus d’un millionnaire en fumée. […] Le stoïcisme en effet n’avait pas la charité, et Port-Royal faisait tout, même ce qui peut sembler le plus rigoureux, en vue de la charité et de l’amour des hommes en Jésus-Christ. […] Giraudeau de Saint-Gervais, homme d’esprit, qui a vu là un beau sujet d’enseigne.

2873. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XI » pp. 89-99

Mais le moyen de faire jouer le rôle d’un céladon à l’homme de France le plus antipathique avec toute affectation, avec tout jargon, avec tout ce qui était hors de la voie droite et nette de la raison et de la vertu ? À l’époque de son mariage, Montausier avait à peine trente-cinq ans ; depuis l’âge de vingt ans, il était au service et engagé dans des guerres successives, en Italie, en Lorraine, en Alsace ; en 1638, parvenu au grade de maréchal de camp, bien qu’âgé seulement de vingt-huit ans, il fut nommé gouverneur de l’Alsace, province alors d’une soumission équivoque, où le roi avait besoin d’un homme qui réunit l’art et le courage du guerrier au tarent et à la sagesse de l’administrateur ; en 1638, il se signala au siège de Brissac ; revenu à Paris pendant l’hiver de 1641, il fut rappelé à l’ouverture de la campagne par Guébriant devenu général en chef de l’armée d’Allemagne et peu après maréchal de France ; le maréchal, qui avait une grande confiance en Montausier, ayant été tué en 1643, celui-ci fut fait prisonnier, peu de temps après, à la déroute de Dillingen ; il ne recouvra la liberté qu’en 1644 ; alors enfin il lui restait encore un obstacle à franchir pour se marier ; c’était sa religion. […] Voiture, l’homme le plus à la mode du temps, le bel esprit le plus accrédité de la cour à l’Académie, le plus répandu chez les femmes de qualité, et le plus recherché des femmes de bel esprit, Voiture, en se rendant une fois, une seule fois au cercle d’une femme qui l’en avait prié, illustrait sa société : cette société se trouvait fondée. […] C’était un homme avec qui il fallait compter, pour qui le roi n’eut toujours des égards infinis et beaucoup de confiance, et monseigneur une déférence totale tant qu’il vécut, et qui bien que peu affligé de sa mort, a conservé toujours pour tout ce qui lui a appartenu, et jusques à ses domestiques, toutes sortes d’égards et d’attentions. » Saint-Simon ajoute à ces graves notions, celle-ci, qui n’est pas sans mérite : « La propreté de M. de Montausier, qui vivait avec une grande splendeur, était redoutable à sa table, où il avait été l’inventeur des grandes cuillers et des grandes fourchettes qu’il mit en usage et à la mode. »

2874. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXIX » pp. 319-329

Je ne veux pourtant pas en sortir encore ; trop de charmes m’y attachent, et à ma faiblesse, je sens que je ferais des efforts inutiles, on vous a dit vrai, si l’on vous a peint mon directeur comme un homme rigide ; mais vous ne devriez pas vous le figurer ridicule, Il ne défend point les plaisirs innocents ; mais il ne permet pas de traiter d’innocents ceux qui sont criminels. Sa piété est douce, gaie, point fastueuse ; mais il veut une vie chrétienne et active ; c’est un homme admirable ; je vous l’enverrai, si vous souhaitez, à vous et à Guébriant, Il commence pars emparer des passions, il s’en rend maître, et il y substitue des mouvements contraires, il m’a ordonné de me rendre ennuyeuse en compagnie, pour modifier la passion qu’il a aperçue en moi, de plaire par mon esprit. […] Quand elle dit de Gobelin : c’est un homme admirable, voulez-vous que je vous l’envoie ? […] Faites donc de votre mieux pour le service d’un roi qui, comme homme, le mérite.

2875. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VII. Des ouvrages périodiques. » pp. 229-243

Bonami, de l’Académie des inscriptions & belles-lettres, homme savant & poli. Les hommes qui cultivent les arts & les sciences, sont considérés comme ne faisant qu’une seule république. […] Deux hommes distingués par leurs talens, conduisent cet excellent Journal, dont la réputation s’étend dans tous les lieux où le nom françois a pénétré. […] Nous en avons en effet beaucoup en France ; mais il est bon d’avertir les jeunes gens que des extraits de livres ne forment pas plus le véritable homme de lettres, que des lambeaux de différentes étoffes ne feroient un habit convenable.

2876. (1865) Du sentiment de l’admiration

Mais de nos jours combien d’hommes, tristes fanfarons de scepticisme, se font un jeu cruel d’ébranler toutes les convictions, « Ubi soliludinem faciunt sapientiam appellant. » Le mot terrible de Tacite suffit à les définir ces artisans de ruines qui ne s’arrêtant devant aucun objet de croyance se gardent bien de ménager le culte du génie : race éternelle des iconoclastes en qui je reconnais ces soldats d’Alarik qui, violents contemplateurs des Phidias et des Praxitèle, trouvaient leurs plus doux plaisirs à décapiter les marbres des dieux. […] Combien au dehors du Lycée avez-vous rencontré déjà de ces détracteurs systématiques ; combien en rencontrerez-vous surtout quand, à votre entrée dans le monde, vous serez traités en hommes et par suite exposés à l’assaut de tous les sophismes ? […] Or quiconque se voue à l’étude zélée des maîtres fait abdication d’un esprit de critique envieuse et d’un orgueil trop fréquent chez les hommes ; il se détache en quelque sorte de lui-même pour se livrer à plus grand que lui. […] Placez avec moi devant ces classiques aimés le jeune homme qui sait admirer : transporté par l’essor de l’imagination dans les régions supérieures, il habite, cet adolescent épris de Sophocle et de Corneille, il habite une cité idéale qui n’est pas encore la cité de Dieu mais qui n’est déjà plus la cité des hommes.

2877. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Michel Van Loo » pp. 66-70

C’est le maître des hommes ; c’est le maître des dieux. […] Mon joli philosophe, vous me serez à jamais un témoignage prétieux de l’amitié d’un artiste, excellent artiste, plus excellent homme. […] Dieu merci, les voilà réconciliés, et ce Falconnet, cet artiste si peu jaloux de sa réputation dans l’avenir, ce contempteur si déterminé de l’immortalité, cet homme si disrespectueux de la postérité, délivré du souci de lui transmettre un mauvais buste. […] Et qu’il réussit mieux les portraits d’hommes.

2878. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Henri Rochefort » pp. 269-279

Lisez son livre, et voyez si déjà, dans ce jeune homme d’hier, il n’y a pas assez de pénétration, assez de profondeur prématurée, assez de mépris admirablement exprimé, pour arriver très vite à cet état de l’âme dont les hommes ont fait une fatalité, — la misanthropie. […] Rabelais, Regnard, Voltaire, Beaumarchais, ce n’est pas de cette lignée d’esprits que descend l’auteur des Français de la décadence ; mais s’il n’est pas leur descendant, s’il est apparenté à d’autres, il est cependant trop du même pays pour ne pas savoir quelle force la plaisanterie donne à la pensée et quelle fortune c’est pour un homme que de la manier avec supériorité. […] Le prince de Ligne, le plus Français des hommes par le génie, était Belge ; pourquoi la plaisanterie d’Henri Rochefort, qui est parfaitement Français, ne serait-elle pas anglaise ? […] l’esprit de Voltaire lui-même, l’homme pourtant le mieux organisé pour elle, avec son activité aux cent plumes, ne pourrait pas y résister.

2879. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « J.-K. Huysmans »

La passion, qui fait les romans, troublait cet équilibre et aliénait la liberté de l’homme, mais elle ne la supprimait pas. […] Nous n’en sommes plus, il est vrai, à l’homme plante de La Mettrie ou à la main bête d’Helvétius. Nous ne disons plus avec la grossière brutalité de Cabanis : « La pensée n’est dans l’homme qu’un excrément de son cerveau » Mais nous disons philosophiquement et exactement la même chose, avec des mots différents et un autre style. Nous, c’est avec de la moelle épinière et des nerfs que nous expliquons l’homme tout entier.

2880. (1868) Curiosités esthétiques « III. Le musée classique du bazar Bonne-Nouvelle » pp. 199-209

David, Guérin et Girodet sont restés, débris inébranlables et invulnérables de cette grande école, et Gérard n’a laissé que la réputation d’un homme aimable et très-spirituel. […] C’est un homme qui court sur les toits. » Gros et Géricault, sans posséder la finesse, la délicatesse, la raison souveraine ou l’âpreté sévère de leurs devanciers, furent de généreux tempéraments. […] Ary Scheffer est un homme d’un talent éminent, ou plutôt une heureuse imagination, mais qui a trop varié sa manière pour en avoir une bonne ; c’est un poëte sentimental qui salit des toiles. […] L’épicier est une grande chose, un homme céleste qu’il faut respecter, homo bonæ voluntatis  !

2881. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Dans ses relations de l’ordre princier (car elle en eut), il en était une toute de comédie et de sourire, et qu’on ne saurait compter : je veux parler de la familiarité du prince Florestan de Monaco, celui qui régnait en ce temps-là, homme excellent et faible, grand ami du théâtre et des comédiens, flatté de l’incognito, qui exigeait quand il venait chez elle qu’on l’appelât M.  […] Une fois en ma vie, mais pas longtemps, un homme d’un talent immense m’a un peu aimée, jusque-là de me signaler, dans les vers que je commençais à rassembler, des incorrections et des hardiesses dont je ne me doutais pas. […] Les hommes… les voilà dans le sang jusqu’aux yeux. […] Puisse l’humanité arriver un jour à triompher parmi les hommes ! […] Il est mort selon son vœu : il disait un jour, en pleine santé, qu’il fallait que l’homme de lettres mourût comme Eugène Delacroix, en ne laissant tomber le pinceau qu’au dernier moment.

2882. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mendès, Catulle (1841-1909) »

. — L’Homme tout nu, roman (1887). — Pour lire au couvent, contes (1887) […] Catulle Mendès, qui est avant tout un homme d’art, a-t-il pu vouloir descendre jusqu’à jouer le rôle d’un moraliste ? […] Or, c’est la forme suprême, incontestablement ; et celle qui prouve son homme. […] Les hommes se ruent aux femmes, à l’argent, à la nourriture, au trône et à Dieu en se grisant de fanfares ou de voix d’orgues. […] Plusieurs scènes en sont vraiment belles : la scène, entre autres, où, à contempler le sabre qu’il a dérobé, par jeu, au Marchand d’habits, Pierrot conçoit l’idée du meurtre, et celle où, tandis qu’il tient enlacée Musidora, lui apparaît le spectre de l’homme assassiné.

2883. (1890) L’avenir de la science « VIII » p. 200

Il est indubitable au moins que de tels hommes ont exercé une influence bien plus directe que ceux qu’on appelle proprement philosophes. […] Comte croit que l’homme se nourrit exclusivement de science, que dis-je ? […] Il s’imagine que l’humanité a bien réellement traversé les trois états du fétichisme, du polythéisme, du monothéisme, que les premiers hommes furent cannibales, comme les sauvages, etc. […] Tantôt je me console en jetant un regard sur ce chef-d’œuvre ; tantôt je l’embrasse, et je m’écrie en soupirant : Grand homme ! […] Le seul homme inculte (inhumanis) est celui qui n’a pu participer ni à la culture pratique, ni à la culture scientifique.

2884. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

Tous les états de fortune relèvent de lui ; tous les hommes sont bénéficiaires de l’effort. […] Il a vu dans la maison paternelle le port d’attache de l’homme, tendre abri aux heures de sérénité, refuge unique dans les jours de détresse. […] À l’époque parnassienne, les écrivains avaient une culture : ils avaient un grand passé de lectures, une éducation d’hommes de lettres. […] Depuis qu’il y a des romans, depuis l’Odyssée, le romancier se place à son point de vue d’homme. […] Et jusqu’à présent, quand des femmes faisaient des romans, elles se plaçaient au même point de vue puisqu’elles imitaient l’homme : c’est, notamment, le cas de George Sand.

2885. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIIe entretien. Littérature politique. Machiavel (2e partie) » pp. 321-414

Sa conscience lui disait que la guerre n’était pas chrétienne, et qu’il valait mieux être un pontife de paix irréprochable devant Dieu qu’un grand tribun armé de l’Italie devant les hommes. […] Un homme, digne par son caractère du nom de Washington vénitien, Manin, la gouverna pendant cette tempête par la seule autorité morale d’une âme plus grande que sa destinée. […] » répondit-il en soupirant et après un long silence, « un homme peut s’estimer heureux quand il réussit à faire une belle action, bien que les apparences n’en soient pas toutes également belles. […] Un de mes amis de cette époque, Sylvain de Costa, homme de fidélité inébranlable, écuyer du prince de Carignan, fut porteur de cette déclaration menaçante adressée au prince. […] Ce rôle du prince de Carignan avait assez d’ambiguïté pour perdre deux hommes en un !

2886. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XVI. Des Livres nécessaires pour connoître sa Religion. » pp. 346-352

Ignorer sa Religion, c’est méconnoître les véritables biens de l’homme. […] Colbert, Evêque de cette ville, étoit un homme du premier mérite. […] C., le plus bel ouvrage qui soit sorti de la main des hommes, dit Fontenelle, & certainement le plus propre à calmer les troubles du cœur & les inquiétudes de l’esprit.

2887. (1911) Psychologie de l’invention (2e éd.) pp. 1-184

Le besoin de produire une œuvre n’est pas moins réel chez un artiste que celui de manger chez n’importe quel homme. […] D’abord il a imaginé une conspiration pour délivrer un pays de ses oppresseurs, et il a fait des deux hommes deux conspirateurs. […] Joly, « Psychologie des grands hommes » (Revue philosophique, t.  […] L’énergie et l’initiative d’un homme avaient été nécessaires pour l’invention pratique et son développement. […] Daudet, Souvenirs d’un homme de lettres, p. 51-55.

2888. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

Je vois un homme malade, je le soulage autant qu’il m’est possible : s’il meurt, quel qu’il soit, cela me touche peu. Je vois un autre homme qui commet des fautes ; je le reprends, je lui donne les conseils les plus conformes à la raison : s’il ne les suit pas, tant pis pour lui ! […] Il parlait d’elle légèrement, dit-on, comme un homme qui a quitté un drapeau et aspire à servir sous quelque autre. […] Regarde-t-on marcher un homme qui marche tout simplement, quand on est accoutumé à ne voir que tours de force, que sauts périlleux ?  […] après trente ans, qui n’a lu dans bien des intérieurs d’hommes, sans parler du sien, et qui n’a compris ?

2889. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre II : La psychologie »

« La vie du corps et la vie mentale sont des espèces dont la vie proprement dite est le genre. » Et tandis que la psychologie ordinaire, fondée exclusivement sur l’observation intérieure et l’emploi de la méthode subjective, en vient à se restreindre à l’étude de l’homme, sans nul souci des formes inférieures de la vie intellectuelle, la psychologie expérimentale aspire à découvrir, décrire et classer les divers modes de la sensation et la pensée, à en suivre l’évolution lente et continue, depuis l’infusoire jusqu’à l’homme blanc et civilisé. […] Nous ne pouvons suivre ici les détails de ce progrès, qui, chez l’homme civilisé, conduit aux plus surprenants résultats. […] Si, à la naissance, il n’existe rien qu’une réceptivité passive d’impressions, pourquoi un cheval ne pourrait-il pas recevoir la même éducation qu’un homme ? […] On le voit clairement dans cette oscillation entre deux états, qui constitue la forme de conscience la plus simple qu’on puisse concevoir ; on le voit aussi dans ces pensées très complexes des hommes les plus savants. […] Il en est de même pour les classes d’hommes dont les efforts réunis ont conduit noire connaissance de l’univers à l’état cohérent et compréhensif qu’elle possède actuellement.

2890. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

La poésie est la langue naturelle du genre humain ; les premiers hommes furent, de par la nature, de sublimes poètes (Estetica, p. 31). […] Il incombe à l’homme conscient de trouver sa loi et de s’y soumettre. […] L’homme qui a écrit Il Fuoco, en y ajoutant ou en retranchant des pages dans les circonstances qu’on sait, cet homme peut avoir de grandes qualités artistiques, il n’a pas le respect de son art. […] Celui-là aime à rire et se plaît dans les animalités de l’homme. […] « Un homme de lettres italien.

2891. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

Mais à peine sa sœur l’a-t-elle quittée, que la voilà qui retombe à nos yeux dans les incertitudes et les combats : la pudeur la ressaisit, et la crainte de se sentir méditer de telles choses contre son père et en faveur d’un homme ! […] Cela est si vrai, que le rôle de l’homme consiste plus souvent alors à le supporter qu’à le partager. L’homme se laisse faire, qu’il s’appelle Jason, Énée ou M. […] Je ne suis pas de ces hommes avantageux (il dit presque de ces fats) comme il y en a, et tel on ne m’a point vu lors même que j’habitais dans ma patrie. […] Jason décidément est un habile homme et plus rompu à la séduction qu’il ne veut paraître.

2892. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CIXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (1re partie) » pp. 5-79

Ce jour est arrivé ; un homme que je ne connais pas personnellement, et dont les opinions ne sont, dit-on, pas les miennes sur beaucoup de choses, M.  […] Gregorio, avant de mourir, en 1766, les confia à la tutelle du cardinal Negroni, homme distingué du sacré collège. […] C’était un homme d’un rare mérite : il connaissait la philosophie, les mathématiques, la théologie et les belles-lettres, et j’ai rarement vu quelqu’un digne de lui être comparé. […] Rome fut envahie par quinze mille hommes, sous les ordres du général Berthier. […] C’était la grandeur de l’homme de bien aux prises avec l’infortune.

2893. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

Décrits, analysés, mis en scène, avec une moquerie tacite, mais aussi avec la pénétration adroite d’un connaisseur d’hommes, ils donnent de la vie et de la société une image au demeurant exacte pour une bonne part de ce siècle. […] Quand cet homme, qu’excède visiblement lespectacle du monde moderne, s’adonne à l’évocation d’époques que son esprit apercevait éclatantes et grandioses, il ne peut dépouiller son réalisme et se sent impérieusement forcé d’étayer sa fantaisie du positif des données archéologiques. […] Des hommes gigantesques et primitifs, à l’àme concise et puisant dans cette rétraction de leur être une formidable énergie, accomplissent ou subissent d’effroyables forfaits. […] Que l’on prenne le niais anachorète de la Thébaïde ou les deux bonshommes de Chavignolles, ces êtres bornés, crédules, dociles et étonnés sont bien les représentants de la dupe qu’il y a en tout homme. […] Nous avons tenté deux essais : dans le premier, nous avons lu à l’hypnotique somnambule un fragment de la Tristesse d’Olympio et de l’Homme qui rit.

2894. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

L’homme d’intelligence et de sympathie littéraire élevée, qui a conçu l’idée de cette Anthologie et qui en a dirigé l’exécution, a pensé qu’entre ces deux écueils, le trop d’unité ou l’extrême diversité, il y avait pour une œuvre de ce genre bien plus d’inconvénients d’un côté que de l’autre. […] De tant que peut un homme un dard lancer, Pas un ne peut vers le feu approcher. […] Et dans l’épisode de la mort de Bégon, ces limiers fidèles qui s’acharnent éperdument au cadavre de leur maître, léchant ses plaies, brayant, hurlant et menant grand deuil ; ce qui fait dire aux assistants attendris : « Il faut que ce soit un bien gentil homme, puisque ses chiens l’aimaient tant !  […] Ainsi, dans la bouche de Bégon, qui, tout fort et redouté qu’il est en Gascogne, ne s’y sent pas chez lui, cette belle réponse à ceux qui lui vantent et lui énumèrent ses richesses : Le cœur d’un homme vaut tout l’or d’un pays. […] Tout en concevant le dédain qu’auront tout à l’heure les hommes de la Renaissance, et nourris des pures grâces d’Aristophane, pour cette poésie domestique de coin du feu et de cuisine, poésie de ménage et digne du voisinage des Halles, nous ne devons pas le partager.

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