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469. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — Se connaître »

Devant tant de grandeur et de prospérité, je me suis surpris à faire, malgré moi, de douloureuses comparaisons…54 » L’aveu est net, bien que plus loin, pour pallier sans doute le mauvais effet produit sur le lecteur par son aveu naïf de mélancolie. […] Le temps des grandes naïvetés est passé, et il est grand temps d’étudier les causes de la grandeur et de la faiblesse des autres peuples ; il faut apprendre aussi à connaître les dessous des choses ».‌

470. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre V. Les figures de lumière »

Considérons la grandeur. […] 1° Effet transversal ou « dilatation du temps »   Donnons à la vitesse v des grandeurs croissantes à partir de zéro.

471. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVII. Des éloges en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Russie. »

Il paraît fait pour le pays où il y a le plus de rangs, de titres, de grandes, de moyennes ou de petites souverainetés, où la vanité humaine attache le plus de prix à toutes les représentations de la grandeur, vraies ou fausses. […] On a de lui un éloge funèbre de Cromwell, plein d’imagination et de grandeur : le même homme loua ensuite Charles II.

472. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VI. »

Sur cette zone privilégiée, les originalités natives dans la grandeur commune, les formes diverses d’imagination et de goût se marquaient par un ou deux degrés de latitude, quelques vallées ou quelques chaînes de montagnes, quelques stades d’intervalle du continent aux îles ou d’une île à l’autre. […] Elle était une république ; elle avait des institutions libres, des partis politiques, des guerres civiles ; et, quand elle fut lasse de tant d’épreuves, elle eut pour maîtres, d’abord un sage, puis, longtemps après, le peuple athénien, qui, dans sa victoire, l’admit au partage de ses lois généralement humaines et modérées, et lui rendit plus, en exemples de grandeur, en amour du travail et de la gloire, qu’il ne lui ôtait en stérile indépendance.

473. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tailhède (Raymond de la) = La Tailhède, Raymond de (1867-1938) »

. — Si elles rappellent, pour vrai, la grandeur des odes malherbiennes, elles sont néanmoins d’une originalité absolument personnelle.

474. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 122-127

Ces distinctions accordées aux talens, prouvent que les talens ont une grandeur personnelle, que l'on peut croire égale à celle de la naissance & des dignités.

475. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Préface »

Nos arts lui doivent aujourd’hui leur tristesse, leur ferveur, leur grandeur, d’être devenus de gravité presque septentrionale dans leurs chefs-d’œuvre et d’avoir perdu en gaîté narquoise, en faconde conteuse.

476. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XII. Suite des machines poétiques. — Voyages des dieux homériques. Satan allant à la découverte de la création. »

Quoi qu’il en soit du génie d’Homère et de la majesté de ses dieux, son merveilleux et sa grandeur vont encore s’éclipser devant le merveilleux du christianisme.

477. (1854) Causeries littéraires pp. 1-353

L’éternel combat de la mer et de l’homme, cet atome intelligent luttant contre cette immensité, ce problème de grandeur dans la faiblesse et d’infirmité dans la grandeur, ces voix plaintives et funèbres s’élevant de chacun de ces flots comme l’hymne de deuil de l’humanité vaincue, tout ce que ces récifs et ces orages ont soulevé de douleurs et de sanglots, tout ce que ces flots cachent, dans leurs profondeurs, de trésors, de cadavres et de débris, tout cela a été fouillé et saisi par M.  […] un manoir d’Allemagne, Les chants tyroliens, la paix de la campagne, Toute cette innocence et toutes ces candeurs ; À lui qui tomberait du faîte des grandeurs ! […] Nul ne ressemble moins que lui à un héros de roman ; il est veuf, il a, de son premier mariage, une fille de dix-sept ans ; il ne manque pas de magnificence, d’esprit de conduite et de bon conseil, mais tout cela sans séduction et sans grandeur. […] Dès lors la philosophie de Descartes, dans ce qu’elle a peut-être de trop excitant pour l’esprit humain, était tempérée et contenue ; il n’en restait que la grandeur et les nobles aspirations ; le péril en disparaissait. […] Il ne songeait déjà plus aux grandeurs passées ; il était heureux de vivre, et il n’était rappelé aux soucis que par les larmes qu’il apercevait quelquefois dans les yeux de sa mère.

478. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

Et c’est là le sceau de sa grandeur, le signe de sa supériorité, le triomphe de sa force ! […] Vautrin aussi, le voleur, le faussaire, l’assassin, porte au front, grâce à cette affection étrange, le sceau de la grandeur morale. […] Les brigands de Schiller et plus tard les héros de Byron avaient donné la vogue à ce type poétique, où l’idée du crime se trouvait associée à l’idée de grandeur morale et de supériorité intellectuelle. […] À chaque pas vous y rencontrez de ces héros hasardeux, archanges foudroyés, empreints d’une grandeur satanique, filous magnanimes, bandits généreux, assassins sublimes, qui sortent du bagne pour monter au Panthéon. […] Charles Moor dit ainsi anathème à la loi, à la société ; il invoque ainsi la liberté comme la source de toute force et de toute grandeur : « Emprisonner mon corps dans un corset, et soumettre ma volonté à l’étreinte de la loi ?

479. (1904) Zangwill pp. 7-90

Les humanités déistes et particulièrement chrétiennes, ces singulières humanités, qui ne nous paraissent ordinaires et communes que parce que nous y sommes habitués, ces singulières humanités, où l’homme occupe envers Dieu une si singulière situation de grandeur et de misère, si audacieuse au fond, et si surhumaine, — l’homme fait à l’image et à la ressemblance de Dieu, — et Dieu fait homme, — avaient séparément le sens du parfait et de l’imparfait, du fini et de l’infini, du relatif et de l’absolu ; elles connaissaient donc les limitations de l’humanité ; ajouterai-je que généralement ces humanités étaient à la fois intelligentes et profondes, et que la constatation même des contrariétés intérieures, de la grandeur et de la misère, faisait peut-être le principal objet de leurs méditations ; dans ces humanités l’homme était reconnu créature et limité aux limites humaines ; l’historien demeurait un homme. […] … « Partout, dans ce circuit, éclate la grandeur ou la force. […] Plus de grandeur ni de puissance ; l’air sauvage ou triste s’efface ; la monotonie et la poésie s’en vont ; la variété et la gaieté commencent. […] Mais, si on l’ouvre pour examiner l’arrangement intérieur de ses organes, on y trouve un ordre aussi compliqué que dans les vastes chênes qui la couvrent de leur ombre ; on la décompose plus aisément ; on la met mieux en expérience ; et l’on peut découvrir en elle les lois générales, selon lesquelles toute plante végète et se soutient. » Je me garderai de mettre un commentaire de détail à ce texte ; il faudrait écrire un volume ; il faudrait mettre, à chacun des mots, plusieurs pages de commentaires, tant le texte est plein et fort ; et encore on serait à cent lieues d’en avoir épuisé la force et la plénitude ; et je ne peux pas tomber moi-même dans une infinité du détail ; d’ailleurs nous retrouverons tous ces textes, et souvent ; c’était l’honneur et la grandeur de ces textes pleins et graves qu’ils débordaient, qu’ils inondaient le commentaire ; c’est l’honneur et la force de ces textes braves et pleins qu’ils bravent le commentaire ; et si nul commentaire n’épuise un texte de Renan, nul commentaire aussi n’assied un texte de Taine ; aujourd’hui, et de cette conclusion, je ne veux indiquer, et en bref, que le sens et la portée, pour l’ensemble et sans entrer dans aucun détail ; à peine ai-je besoin de dire que ce sens, dans Taine, est beaucoup plus grave, étant beaucoup plus net, que n’étaient les anticipations de Renan ; ne nous laissons pas tromper à la modestie professorale ; ne nous laissons d’ailleurs pas soulever à toutes les indignations qui nous montent ; je sais qu’il n’v a pas un mot dans tout ce Taine qui aujourd’hui ne nous soulève d’indignation ; attribuer, limiter Racine au seul dix-septième siècle, enfermer Racine dans le siècle de Louis XIV, quand aujourd’hui, ayant pris toute la reculée nécessaire, nous savons qu’il estime des colonnes de l’humanité éternelle, quelle inintelligence et quelle hérésie, quelle grossièreté, quelle présomption, au fond quelle ignorance ; mais ni naïveté, ni indignation ; il ne s’agit point ici de savoir ce que vaut Taine ; il ne s’agit point ici de son inintelligence et de son hérésie, de sa grossièreté, de son ignorance ; il s’agit de sa présomption ;  il s’agit de savoir ce qu’il veut, ce qu’il pense avoir fait, enfin ce que nous voyons qu’il a fait, peut-être sans y penser ; il s’agit de savoir, ou de chercher, quel est, au fond, le sens et la portée de sa méthode, le sens et la portée des résultats qu’il prétend avoir obtenus ; ce qui ressort de tout le livre de Taine, et particulièrement de sa conclusion, c’est cette idée singulière, singulièrement avantageuse, que l’historien, j’entends l’historien moderne, possède le secret du génie. […] Ainsi avertis parmi nous, comment nos camarades historiens ne renieraient-ils pas aujourd’hui les primitives ambitions, les anticipations de l’un, les assurances de l’autre, et les infinies présomptions qui ont pourtant institué toute la pensée moderne ; comment ne les renieraient-ils pas, avertis qu’ils sont dans leur propre travail ; et comment travailleraient-ils même s’ils ne les reniaient pas incessamment ; sachons-le ; toutes les fois qu’il paraît en librairie un livre, un volume d’un historien moderne, c’est que l’historien a oublié Renan, qu’il a oublié Taine, qu’il a oublié toutes ces grandeurs et toutes ces ambitions ; qu’il a oublié les enseignements des maîtres de la pensée moderne ; et les prétentions à l’infinité du détail ; et que, tout bêtement, il s’est remis à travailler comme Thucydide.

480. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Aubanel, Théodore (1829-1886) »

» Et, en effet, je sentais bien moi-même, dans l’œuvre d’Aubanel, de la grandeur, de la simplicité, de la poésie, et une flamme partout répandue.

481. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 223-229

un Ouvrage, où la richesse des détails, la grandeur des événemens, la vérité des caractères, la sublimité de la morale, l’harmonie de la prose, l’emportent sur la pompe de la versification, & prouvent qu’un Ecrivain de génie peut s’en passer dans un Poëme épique !

482. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 240-246

Comme un roc sourcilleux tombe dans la campagne, Arraché par les vents du haut d'une montagne, Ou du long cours des ans incessamment miné, Et par l'eau de l'orage enfin déraciné, Son énorme grandeur, par son poids emportée, Avec un bruit horrible en bas précipitée, Roule à bonds redoublés en son cours furieux, Et rompt comme roseaux les chênes les plus vieux ; Tel on vit, &c.

483. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre II. Vue générale des Poèmes où le merveilleux du Christianisme remplace la Mythologie. L’Enfer du Dante, la Jérusalem délivrée. »

Le dessin des caractères n’est pas moins savant : la férocité d’Argant est opposée à la générosité de Tancrède, la grandeur de Soliman à l’éclat de Renaud, la sagesse de Godefroi à la ruse d’Aladin ; il n’y a pas jusqu’à l’ermite Pierre, comme l’a remarqué Voltaire, qui ne fasse un beau contraste avec l’enchanteur Ismen.

484. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre premier. Que le Christianisme a changé les rapports des passions en changeant les bases du vice et de la vertu. »

Chez les anciens, par exemple, l’humilité passait pour bassesse, et l’orgueil pour grandeur ; chez les chrétiens, au contraire, l’orgueil est le premier des vices, et l’humilité une des premières vertus.

485. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre VII. Des Saints. »

N’entendra-t-on jamais que des blasphèmes contre une religion qui, déifiant l’indigence, l’infortune, la simplicité et la vertu, a fait tomber à leurs pieds la richesse, le bonheur, la grandeur et le vice ?

486. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre IX. Application des principes établis dans les chapitres précédents. Caractère de Satan. »

Lorsque, avec la grandeur du sujet, la beauté de la poésie, l’élévation naturelle des personnages, on montre une connaissance aussi profonde des passions, il ne faut rien demander de plus au génie.

487. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

Je dirai mieux, il l’aurait cimentée d’une de ses larmes, car il avait trop de grandeur pour être envieux, trop de justice pour être exigeant, trop de tendresse pour garder rancune, même à ce qu’il considérait comme une faiblesse humaine. […] VIII L’amour filial qu’il portait à sa mère, les premiers vers qu’il avait composés dans ses loisirs militaires et qui lui faisaient justement espérer une autre grandeur, le consolèrent de cette interruption de sa carrière naturelle. […] Byron n’avait rien de plus désespéré ; Hugo, rien de plus stoïque ; Moïse semblait avoir ressuscité pour se plaindre de sa grandeur. […] Des arbres noirs et touffus entourent de tous côtés cet ancien manoir, et de loin ressemblent à ces plumes qui environnaient le chapeau du roi Henri ; un joli village s’étend au pied du mont, sur le bord de la rivière, et l’on dirait que ses maisons blanches sortent du sable doré ; il est lié au château, qui le protège par un étroit sentier qui circule dans le rocher ; une chapelle est au milieu de la colline ; les seigneurs descendaient et les villageois montaient à son autel : terrain d’égalité, placé comme une ville neutre entre la misère et la grandeur, qui se sont trop souvent fait la guerre. […] Ils sont toujours peu nombreux, et je ne puis me refuser à croire qu’ils ont quelque valeur, puisque l’humanité est unanime sur leur grandeur, et les déclare immortels sur quelques vers : quand ils sont morts, il est vrai.

488. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

Ils font leurs prières et leurs purifications aux temps marqués, et dans la dévotion la plus apparente: ils tiennent les plus sages discours et les plus pieux qu’il se puisse, parlant continuellement de la gloire et de la grandeur de Dieu dans les plus excellents termes, et avec tout l’extérieur de la foi la plus ardente. […] J’en demandai le sujet à un seigneur qui était là présent. « C’est par grandeur, me répondit-il, et pour garder davantage le respect de la majesté royale ; et puis, ajouta-t-il en riant, on se souvient de ce qu’un de ses compatriotes fit à une célèbre audience qu’il eut du feu roi. » Je demandai aussitôt ce que c’était. […] Chaque invité n’eut qu’un bassin, mais d’une grandeur au-dessus de tous ceux dont on se sert dans nos pays. […] Chardin raconte avec la même naïveté et la même grandeur les autres somptuosités de l’empire. […] Le 18, le roi partit pour continuer son voyage, et alla mettre pied à terre à deux lieues, à un gros bourg nommé Deulet-Abad, c’est-à-dire l’Habitation de la grandeur.

489. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

Je cherchai donc, à mon tour, à l’aide des données communes, et sans inventer ce que je ne pouvais découvrir, à retracer en quelques pages cette existence dont une ambition constamment déçue fait l’unité, à exposer et à étudier ces œuvres dont l’épanchement d’un cœur blessé fait la principale grandeur, et je soumets maintenant cet essai, avec une juste défiance, à ce petit nombre de personnes qui me récompensent amplement de mon travail en voulant bien me juger. […] On se plaint de ce que des prédicateurs soient payés par l’État, pour tonner un jour sur sept contre la poursuite des richesses, du plaisir et de la grandeur, qui occupe tous les hommes vivants pendant les six autres jours. […] Pope félicitait Swift sans détour : « Je prédis, écrivait-il, que ce livre fera désormais l’admiration de tous les hommes. » Swift, lui-même, avait le sentiment de la grandeur de son œuvre, lorsqu’au mois d’août 1727, répondant à une lettre où l’abbé Desfontaines s’excusait d’avoir altéré Gulliver pour le rapprocher du goût de la France, il écrivait au timide traducteur : « Si les livres du sieur Gulliver ne sont calculés que pour les îles britanniques, ce voyageur doit passer pour un très pitoyable écrivain. […] Prendre au sérieux le monde et les grandeurs du monde, la vie et les occupations de la vie, la science, la politique, les passions, les plaisirs ; se plaire dans cette mêlée, désirer et craindre avec emportement, voilà un des penchants de l’âme humaine, une des habitudes de sa pensée, et le mouvement perpétuel du monde en découle. […] Ce mépris, plus complet et plus profond que les autres, puisqu’il enveloppe les idées mêmes qui servent de fondement aux autres, ce mépris amer et désespéré a aussi sa grandeur et son triste repos.

490. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre II : La psychologie »

L’œil saisit non-seulement la couleur, la grandeur et la forme, mais la distance dans l’espace, le mouvement, son espèce, sa direction, sa rapidité. […] Si nous passons de la comparaison des grandeurs à celle des intensités, « de la coextension à la cointensité », la précision disparaît. […] Il montre que la figure est résolue en rapport de grandeur, la grandeur en rapports de position ; et que tous les rapports de positions peuvent être finalement réduits aux positions de sujet percevant et d’objet perçu. […] L’espace s’enflait et devenait d’une grandeur infinie, inexprimable. » Il n’est pas du tout rare, chez les sujets nerveux, d’avoir des perceptions illusoires, dans lesquelles le corps semble s’étendre énormément, au point même de couvrir un acre de terrain.

491. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

C’est alors que Prométhée commence le récit épique qui le révèle dans toute sa grandeur ; non plus seulement donateur du Feu, mais sauveur des hommes, inventeur de toute civilisation et de toute science. […] Mais cette grandeur avait peu duré. […] L’attitude d’Hermès vis-à-vis de Prométhée est celle d’un lâche foulant un héros à terre, d’une petitesse qui s’exhausse sur une grandeur abattue. — « C’est à toi que je parle, menteur et rebelle, rebelle à outrance, offenseur des Dieux ! […] Envisagée sons le seul aspect de l’art et du drame, elle est déjà d’une grandeur unique. […] Mais le Prométhée d’Eschyle n’a pas seulement la grandeur, il a le mystère.

492. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

La grandeur de ce talent est dans sa finesse ; c’est un poète politique et philosophique, exquis dans ses proportions. […] Or, la politique étant de sa nature une chose courte, temporaire, mobile comme les événements, les systèmes, les factions qui sont les éléments de la politique, la grandeur et l’immortalité du sujet manquent souvent au poète politique. […] Il devinait tout parce qu’il sentait tout : une grandeur ou une douleur de la patrie, un tambour battant la charge à des grenadiers sur quelque champ de bataille de la République ou de l’Empire, un tocsin du 14 juillet appelant les citoyens à l’assaut de la Bastille, un coup de canon de Waterloo mutilant les débris des derniers bataillons décimés de Moscou ou de Leipsick, un adieu funèbre de César vaincu à ses légions anéanties dans une cour de Fontainebleau ; le déchirement d’un dernier drapeau tricolore qui déchirait, avec ce même lambeau, l’orgueil et le cœur d’un million de vétérans humiliés ; un soupir du Prométhée impérial enchaîné sur son rocher, apporté par le vent à travers l’Océan du rivage de Sainte-Hélène ; un bruit de pas des bataillons étrangers sur le sol de la patrie, un murmure encore sourd du peuple contre la moindre atteinte à sa révolution ; un gémissement de proscrit de 1815, le bruit d’un coup de feu d’un peloton de soldats dans l’allée de l’Observatoire, dans la plaine de Grenelle, à Toulouse, à Nîmes, à Lyon, balle sous laquelle tombait un maréchal, un colonel ou un sergent des vieilles bandes françaises ; une plainte de prisonnier dans le cachot, un cri de faim dans la chaumière, de souffrance dans la mansarde, une agonie du blessé dans un lit d’hôpital ; une mère pressant ses trois enfants contre sa mamelle épuisée près de son mari mort sur son grabat, sans suaire, dans un grenier ; un sanglot étouffé de veuve dont le fisc emporte la chèvre nourricière ; une voix d’enfant aux pieds nus sur la neige, collant ses mains roidies aux grilles du palais du riche pour y respirer de loin l’haleine du feu de ses festins : tout cela retentissait dans l’âme de Béranger, comme si un autre Asmodée avait découvert à ses yeux les toits des capitales ou le chaume des huttes. […] Ma famille a conservé précieusement les titres de cette filiation dans nos pauvres archives domestiques ; elle s’en est toujours entretenue, à portes fermées, avec une certaine vanité pieuse de grandeur déchue, qui est de la niaiserie, si vous voulez, mais la niaiserie vénérable des souvenirs. […] XXXVI On voit que le chantre futur de l’amour de la gloire sentait déjà le néant de la gloire et de l’amour, et qu’il avait le pressentiment lointain de ce détachement des grandeurs humaines, qui devint longtemps après la sagesse de ses vieux jours.

493. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

Renouvelez cette opération des milliards de fois dans les cieux, ce sera toujours la même chose, et sa grandeur ou sa petitesse relative à nous n’atteint que deux forces : une force incréée qui donne, une force créée qui reçoit. […] Je suis loin de nier la justesse de ces réflexions, mais je pense que ceux qu’un long et intime commerce avec la nature a pénétrés du sentiment de sa grandeur, qui, dans ce commerce salutaire, ont fortifié à la fois leur caractère et leur esprit, ne sauraient s’affliger de la voir de mieux en mieux connue, de voir s’étendre incessamment l’horizon des idées comme celui des faits. […] Pour bien saisir la grandeur du Cosmos, il ne faut pas subordonner la partie sidérale, que Kant a appelée l’histoire naturelle du ciel, à la partie terrestre. […] L’état imparfait des sciences auxiliaires dans lesquelles il devait puiser ne pouvait pas répondre à la grandeur de l’entreprise.

494. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Tant de grandeur le frappe d’admiration, et il proclame l’homme supérieur à l’univers ; mais bientôt tant de misères le confondent, et il met l’homme au-dessous du néant. […] » Dans cette solitude de Port-Royal, au sein de fortes études théologiques et littéraires, il concentra toutes ses pensées sur ce sujet vivant, l’homme, dont il portait en lui toutes les grandeurs et toutes les misères : non pas l’homme tel que Montaigne le peint, arrivant par le doute universel à ne croire qu’à lui-même ; ni l’homme selon Descartes, qui se contente de savoir qu’il y a un Dieu, qu’il existe une âme distincte du corps, et qui s’arrange dans ce monde de façon à y vivre le plus agréablement et le plus longtemps possible ; mais l’homme tel que le christianisme l’a expliqué, l’homme dont Montaigne n’avait pas vu toute la grandeur, ni Descartes toute la petitesse. […] Enfin, dans toutes ses pensées mélancoliques, dont quelques-unes semblent capricieuses, et dont aucune n’est indifférente, je reconnais le doute de notre temps, non ce doute des esprits médiocres qui n’est qu’impuissance de penser et de vouloir, mais celui qui est au fond des esprits les plus élevés et des caractères les plus fermes, après deux siècles qui ont vu tant de grandeurs et tant de chutes.

495. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Pourquoi Rome a-t-elle conquis le monde, pourquoi l’empire a-t-il succédé à la république, quelles sont les vraies causes, les causes premières de la grandeur et de la décadence romaines ? […] Il en est tout autrement dans l’histoire moderne, où cette fatalité éclate dans des proportions en rapport avec la grandeur des théâtres sur lesquels elle joue son rôle à-côté de la volonté et de l’intelligence humaines. […] La vraie grandeur des personnages historiques n’est ni dans l’égoïsme qui fait les tyrans, ni dans l’entraînement qui fait les tribuns : elle est dans la force de la pensée, dans l’énergie du caractère, mises au service des idées justes, des sentiments généreux, des intérêts légitimes des sociétés que représentent ces individus. […] Si ce n’est point en étudiant les lois de la nature et en contemplant l’infinie grandeur, l’universel harmonie du cosmos, que l’on contracte le goût des choses morales et politiques, la connaissance des lois historiques et la contemplation philosophique de l’histoire universelle ne sont pas non plus très-propres à nous intéresser, comme acteurs, aux événements.

496. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal de Dangeau. tomes III, IV et V » pp. 316-332

Au milieu de la grandeur, la gaieté de la Cour, la légèreté même survivent et se perpétuent, grâce surtout à ces charmantes filles du roi, la princesse de Conti et Mme la duchesse. […] Dangeau, pas plus en cette dernière occasion qu’en aucune autre, ne se permet le moindre commentaire : mais ce qu’il y a d’un peu lourd ou de peu svelte jusque dans la force et la grandeur de Louis XIV, paraît bien dans le détail journalier de sa relation.

497. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Les Chants modernes, par M. Maxime du Camp. Paris, Michel Lévy, in-8°, avec cette épigraphe. « Ni regret du passé, ni peur de l’avenir. » » pp. 3-19

Toute la diatribe contre l’Académie est de ce ton-là : « Aussi nous l’avouons sans pâlir, dit l’auteur en parlant de quelques académiciens qu’il désigne sans les nommer, nous les haïssons de toute la force de notre amour pour les lettres et de notre respect pour les grandeurs de l’esprit humain. » Non, tout cela n’est pas juste, et M. du Camp, qui, malgré ses violences de parole, a de la générosité dans le talent et dans le cœur, ne saurait nourrir de ces haines contre des gens qu’il ne connaît pas. […] Dans ses rimes M. du Camp se donne trop de facilités, et de celles dont la monotonie ne se dérobe point au lecteur ; il fera rimer, par exemple, accroissements et affaissements, éducateurs et régénérateurs, rumeurs et clameurs, splendeurs et grandeurs, honoré et révéré, des roseraies et des palmeraies, des cotonniers et des citronniers.

498. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

Cousin, dans l’esquisse pleine de feu qu’il a tracée dès femmes du xviie , leur a décerné hautement la préférence sur celles de l’âge suivant ; je le conçois : du moment qu’on fait intervenir la grandeur, le contraste des caractères, l’éclat des circonstances, il n’y a pas à hésiter. […] Pourtant comme, en fait de personnes du sexe, la force et la grandeur ne sont pas tout, je ne saurais pour ma part pousser la préférence jusqu’à l’exclusion.

499. (1894) Propos de littérature « Chapitre III » pp. 50-68

L’immobilité de l’attitude, en niant toute idée de temps, garde à l’œuvre une grandeur qu’on peut alors sentir pérennelle et que certifie l’équation parfaite de la chose à exprimer avec le mode qui l’exprime. […] Sans qu’on puisse autrement comparer, M. de Régnier, comme lui amant de la Forêt, en a pénétré moins complètement les fondantes apparences ; mais il nous a mieux fait connaître son âme silencieuse et sa grandeur.

500. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

Cette misère est l’effet direct de la grandeur qui précède. […] C’est une étape dont il faut reconnaître la grandeur et la nécessité, tout en constatant qu’elle est en conflit avec la mentalité actuelle de l’Europe. — En Italie, la monarchie est libérale au point de toucher à la république ; en Allemagne, elle repose sur une hiérarchie si forte qu’elle touche à l’absolutisme ; la nation s’y est constituée en partie, et forcément, contre la France, c’est-à-dire contre l’esprit de la Révolution ; c’est un anachronisme, mais l’équilibre se fera ; question de temps et de collaboration patiente.

501. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Appendice — Début d’un article sur l’histoire de César »

Les premiers, si l’on considère le grand Jules, qui en est le type, sont le génie même dans toute son étendue et sa diversité, l’humanité même dans ses hauteurs, ses grandeurs, ses hardiesses heureuses, dans son brillant et son séduisant, dans ses habiletés, ses souplesses, ses fertilités, ses intrigues et ses vices.

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