/ 3159
623. (1864) De la critique littéraire pp. 1-13

Les uns lui reprochent de n’entendre point leur métaphysique, et, quand il s’y aventure, d’en déconcerter le délicat agencement par ses mouvements lourds et mal appris. […] Pour la langue, ma théorie est celle de Martine : Quand on se fait entendre, on parle toujours bien. Mais ce n’est pas une chose si unie que de se faire entendre, de ne dire que ce qu’on veut, et de le dire clairement. Il y a tant de manières de mal exprimer sa pensée : le néologisme, l’abus des images, les termes techniques, les tours barbares ou étrangers, défauts qui mènent tous à n’être point entendu.

624. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

Claude Larcher est mort, et nous n’entendrons plus ses étonnants aphorismes. […] On s’entendait à merveille, et avec Bonvalot les choses ne traînent jamais. […] Car le chef a tout organisé, et il s’y entend. […] Le Braz l’entendit chanter par les marins de Port-Blanc, est à donner le frisson. […] Les gens de la maison entendent remuer les escabeaux.

625. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Non, c’est sous un angle très déterminé que j’entends les étudier. […] À ce moment il entendit un coup de sonnette. […] Il y avait des tas de choses que Proust désirait, voulait et même s’entendait à obtenir. […] Je sentais qu’il m’entendait venir, qu’il me voyait, mais qu’il ne voulait ni parler ni bouger. […] Une minute s’écoula, puis j’entendis Marcel qui m’appelait.

626. (1914) Boulevard et coulisses

Que de fois, dans ma jeunesse, j’ai entendu dire cette phrase : « Ah ! […] Or, un après-midi, j’entendis à une table un grand bruit de conversation. […] J’en ai oublié les détails, bien entendu. […] Elle sera actrice, c’est une affaire entendue. […] Comment entendiez-vous la vie ?

627. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre V. Des orateurs anciens et Modernes. » pp. 223-293

Il fit entendre sa voix éloquente dans Athènes, tandis que Philippe attaquoit leur liberté & celle de toute la Grèce. […] ) que Trajan ait entendu celui de Pline. […] ne l’entendoit jamais sans être sensiblement frappé des vérités fortes & pathétiques qu’il lui annonçoit. […] L’usage qu’il fait de l’Ecriture sainte, prouve qu’elle lui est plus familiere, qu’à beaucoup d’autres Orateurs du même ordre, & qu’il entend l’art des applications. […] Une raison supérieure s’est faite entendre dans nos derniers jours du pied des Alpes & des Pyrenées au Nord de la France.

628. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « V » pp. 19-21

J'ai entendu un acte de la première et toute la seconde. […] — Pour Lucrèce, je l’ai entendue tout entière, mercredi matin, 12, chez madame d’Agoult.

629. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Bien entendu, je parle dans l’hypothèse où nos critiques ne seraient pas poètes, c’est-à-dire créateurs. […] Plusieurs Allemands disent qu’il n’y a point de poésie quand la réalité est peinte telle qu’elle est, quand la raison gouverne et tempère l’imagination, quand des médecins, des avocats ou des professeurs de mathématiques ne font pas au poète l’honneur de ne l’entendre point. […] Aujourd’hui elle admire, elle aime les objets de ses colères d’autrefois, et, avec la même prétention absolue, elle entend que l’humanité entière partage son culte pour eux309. […] Je voudrais que Socrate l’entendit. […] Uranie va rester jusqu’à la fin de ce chapitre la personnification de la critique telle que l’entend la présente école.

630. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

Qu’il est doux, pendant que la brise tiède en chuchotant nous caresse de son souffle, —  appuyés sur des couches d’amarante et de moly1521, —  nos calmes paupières à demi baissées, —  sous les voûtes sacrées du ciel sombre, —  de suivre la longue rivière brillante qui traîne lentement — ses eaux en quittant la colline empourprée ; —  d’entendre les échos humides qui s’appellent — de caverne en caverne à travers les épaisses vignes entrelacées ; —  d’entendre les eaux qui tombent avec des teintes d’émeraude, —  à travers les guirlandes tressées de l’acanthe divine ; —  entendre et voir seulement dans le lointain la vague étincelante ; —  rien que l’entendre serait doux ; —  rien que l’entendre et sommeiller sous les pins1522. […] Celui-ci les a sentis, non pas toujours ; mais deux ou trois fois du moins il a osé les faire entendre. […] » Et pleurant : « Il y a longtemps que je t’aime. » L’Amour prit le sablier du Temps et le retourna dans ses mains étincelantes. —  Chaque moment, sous la secousse légère, s’écoula en sables d’or… Bien des matins, sur la bruyère, nous avons entendu les taillis frémir ; —  et son souffle faisait affluer dans mes veines toute la plénitude du printemps. […] » — « Puis, comme un pauvre petit oiseau innocent — qui n’a qu’un simple chant de quelques notes, —  répète son simple chant et le répète toujours, pendant toute une matinée d’avril, jusqu’à ce que l’oreille — se lasse de l’entendre, ainsi l’innocente enfant — allait la moitié de la nuit répétant : « Faut-il que je meure1536 ?  […] Mais comme ils s’y entendent !

631. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

Il en a des remords cuisants dans le cœur, et il pleure quand il entend un écho provençal à travers les oliviers de son hameau. […] La France, qui te raille et qui t’outrage aujourd’hui, t’entendra peut-être demain. […] Enfin l’amoureux propose à Mireille de le suivre au pays de la Camargue, où l’on entend la mer à travers les rameaux sonores des pins. […] Mireille, qui entend tout, dit à son père : « Vous me tuerez donc, car c’est moi qui l’aime ! […] Et sans cesse on entendait quelque brebis bêlant… « D’autres chassaient les mères qui n’ont plus d’agneau vers le trayeur.

632. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

Dans les premiers mois de la république, il m’apportait plus de plans de finances qu’un gouvernement en fusion ne pouvait en entendre et en écarter. […] Il parla en homme ferme, généreux, convaincu, contre les propos légers qu’il venait d’entendre ; il refoula éloquemment ces mauvaises pensées dans la bouche de ceux qui venaient de les laisser échapper. […] « — Tu n’entends donc pas comme c’est joli ? […] Je me souviens qu’il vint plusieurs fois ayant la fièvre de son succès chez moi pour me conjurer de l’entendre, de le voir, d’assister aux répétitions. […] Je l’ai entendu souvent, chez madame de Girardin, s’abandonner au torrent de sa belle et fougueuse indignation contre ces fausses fureurs et ces fausses promesses des oppositions aux gouvernements qui n’avaient d’autres crimes que de n’être pas aimés.

633. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

Cacault était persuadé, c’est ainsi qu’il s’exprimait, que si le premier consul entendait par lui-même les motifs du pape, Bonaparte se rendrait nécessairement à leur évidence. […] Le frère du premier consul ne parut pas moins étonné de m’entendre me prononcer ainsi. […] Il n’y eut rien au monde qu’il ne tentât pour m’amener à persuader aux autres d’intervenir ou tout au moins, — car il m’entendait répéter que cela n’était pas possible, — à intervenir moi-même. […] « En prenant congé de lui, on commit l’imprudence de lui donner à entendre qu’on avait fidèlement copié les expressions suggérées par les ministres, expressions qu’il eût été fort malheureux d’adopter. […] « Le cardinal Litta, qui habitait chez le cardinal Mattei, porta notre document au ministre des cultes, parce que Mattei ne parlait point français, et que le ministre n’entendait pas l’italien.

634. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1872 » pp. 3-70

Je lui sais gré de l’avoir entendu dire à Arago, avec une résolution que je n’attendais pas de lui : “Je veux, je veux absolument être averti, quand il n’y aura plus que dix jours de vivres, parce que, entendez-le bien, monsieur, je ne me reconnais pas le droit de faire mourir de faim deux millions de personnes. » Ferry, une nature énergique, un homme de résolution. […] J’entends la voix de Hugo se mêler aux rires des femmes, au bruit des assiettes. […] Je le vois prendre, à deux mains, son verre à Bordeaux, et l’entends dire : « Voyez le tremblement que j’ai dans les doigts !  […] Nous dînons, bien entendu, dans un cabinet, parce que Flaubert ne veut pas de bruit, ne tolère pas des individus à côté de lui, et qu’il lui plaît, pour manger, d’ôter son habit et ses bottines. […] J’entendais dire à l’abbé, précepteur des enfants, de Béhaine, qui est un très honnête catholique, et accomplissant rigoureusement ses devoirs religieux, je lui entendais dire, que tout serait sauvé avec un pape révolutionnaire.

635. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

Il doit cependant au commerce de son maître et ami, et à son propre sens, bien de bonnes pensées qu’il exprime heureusement : dès le début de son second livre, où il en vient à exposer les instructions et règles générales de sagesse, il remarque combien, telle qu’il l’entend et qu’il la conçoit, elle est chose rare dans le monde, et il le dit avec bien de la vivacité (je suppose que l’expression dans ce qui suit est de lui et non de Montaigne, car je n’ai pas tout vérifié, et l’on a toujours à prendre garde, quand on loue Charron, d’avoir affaire à Montaigne lui-même) : Chacun, dit-il donc, se sent de l’air qu’il haleine et où il vit, suit le train de vivre suivi de tous : comment voulez-vous qu’il s’en avise d’un autre ? […] » On ne voit pas, en effet, pourquoi, dans une institution et formation parfaite de l’homme, la piété, comme l’entendait dans l’antiquité un Énée selon Virgile, un Plutarque ou un Xénophon, et à plus forte raison comme l’entendent les vrais chrétiens selon l’Évangile, ne contribuerait pas, tout en couronnant et faisant fleurir la probité en nous, à l’arroser de plus et à la vivifier dès le principe et à la racine. […] Quant au fond, il recommande tout ce que son maître a également recommandé, de ne point laisser les valets ni servantes embabouiner cette tendre jeunesse de sots contes ni de fadaises ; de ne pas croire que l’esprit des enfants ne se puisse appliquer aux bonnes choses aussi aisément qu’aux inutiles et vaines : « Il ne faut pas plus d’esprit à entendre les beaux exemples de Valère Maxime et toute l’histoire grecque et romaine, qui est la plus belle science et leçon du monde, qu’à entendre Amadis de Gaule… Il ne se faut pas délier de la portée et suffisance de l’esprit, mais il le faut savoir bien conduire et manier. » Il s’élève contre la coutume, alors presque universelle, de battre et fouetter les enfants ; c’est le moyen de leur rendre l’esprit bas et servile, car alors « s’ils font ce que l’on requiert d’eux, c’est parce qu’on les regarde, c’est par crainte et non gaiement et noblement, et ainsi non honnêtement. » Dans l’instruction proprement dite, il veut qu’en tout on vise bien plutôt au jugement et au développement du bon sens naturel qu’à l’art et à la science acquise ou à la mémoire ; c’est à cette occasion qu’il établit tous les caractères qui séparent la raison et la sagesse d’avec la fausse science.

636. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

Mais M. de Richelieu avait commis la faute de prendre pour ministre de l’intérieur, sans le connaître, un ancien préfet de l’Empire, devenu singulièrement cher aux royalistes, M. de Vaublanc, esprit léger, présomptueux, ne doutant de rien, tranchant de l’homme d’État, se payant de paroles creuses, — « une outre gonflée de vent », comme on l’appelait, ou encore « une cymbale retentissante », — disant à qui voulait l’entendre : « J’aime les difficultés, je les cherche, j’en ai besoin, c’est mon fort. » Il se flattait en effet de résoudre toutes les difficultés par des moyens à lui et qu’il n’a jamais révélés. […] qui allait-on entendre ? […] se firent entendre de toutes parts. […] Mais se peut-il, comme je l’entends dire, que l’exemple de tant de fautes, de tant de folies avérées auxquelles vainement ils résistèrent, soit en pure perte et inutile ? […] Il la tenait toujours entre ses mains : s’il était content de ce qu’il entendait, il oubliait de prendre sa prise ; sinon, il prisait sans cesse et vidait sa tabatière.

637. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset. »

Il faut reconnaître que la paix selon Louvois et la paix selon l’Europe ne signifiaient point une seule et même chose : Louvois avait une façon d’entendre et de pratiquer la paix qui n’était véritablement qu’à lui. […] C’était au choix, et sauf aux propriétaires et détenteurs des deux villes à s’entendre entre eux et avec la France. […] On n’entendait pas déclarer et fulminer en un rien de temps une réunion sommaire et en bloc à la Couronne, ce qui eût fait crier en Europe ; on devait y aller plus doucement et pas à pas : « Je vous prie, lui disait Louvois, de vous bien mettre dans l’esprit qu’il n’est point question d’avoir réuni en un ou deux mois à la Couronne les lieux que l’on croit être en état de prouver qui en dépendent, mais bien de le faire de manière que toute l’Europe connaisse que Sa Majesté n’agit point avec violence, ne se prévaut point de l’état de supériorité où sa vertu l’a mise sur tous les princes de l’Europe pour usurper des États, mais seulement qu’elle rend justice à des Églises dont les biens ont été usurpés, desquelles Églises Sa Majesté est demeurée protecteur et souverain, eu même temps que, par le Traité de Munster, l’Empire a renoncé, en sa faveur, à tous les droits qu’il pouvait y avoir… « Il faut donc se contenter de faire assigner à la requête des évêques, abbés, etc., les maires et échevins des lieux qu’ils prétendent leur avoir été usurpés par les ducs de Lorraine ou avoir été engagés par leurs prédécesseurs. […] En lisant cette histoire de Louvois, en la voyant ainsi montrée à nu et comme par le revers de la tapisserie, je crois entendre continuellement ce mot de la tragédie grecque, qui résonne et se murmure de lui-même à mon oreille ; « S’il faut violer le droit, c’est pour l’empire et la domination, c’est en haute matière d’État qu’il est beau de le faire : dans tout le reste, observe la bonne foi et la justice. » Je paraphrase un peu là parole d’Euripide, cette parole si détestée de Cicéron. […] La lettre de M. de Chamilly, par laquelle il essaye de disculper sa femme de ce trop de zèle, porte les apostilles suivantes de la main même de Louvois, et c’est en ce sens qu’il dut lui être répondu ; on croit entendre une de ces lettres impératives et sensées comme nous en connaissons, écrites sous une dictée puissante : « Il est bon que Mme de Chamilly se mêle de son domestique et de rien autre chose sur les affaires de cette nature.

638. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid. »

Quand on parle de l’intuition historique de Corneille, il faut l’entendre dans ce sens-là, dans le sens large et non étroit. […] On sait les beaux vers grondeurs de Corneille, adressés à une belle qui avait assez mal accueilli ses hommages, et qui lui avait fait entendre qu’il était trop vieux pour un galant. […] Ces jugements des étrangers qui nous choquent et nous scandalisent, la première condition pour les réfuter en ce qu’ils ont d’injuste et de faux, c’est de les connaître, de ne pas se boucher les oreilles de peur de les entendre. […] Schiller, bien réellement, quoique cela puisse surprendre, d’après une vague ressemblance de génie qu’on leur suppose, Schiller, ne pouvait s’accommoder en rien des pièces de Corneille : « J’ai lu, écrivait-il à Goethe (31 mai 1799), j’ai lu Rodogune, Pompée et Polyeucte de Corneille, et j’ai été stupéfait des imperfections réellement énormes de ces ouvrages que j’entends louer depuis vingt ans. […] Aussi, messieurs, s’il vivait, je le ferais prince. » Quand Napoléon parlait ainsi de cette tragédie qui transporte et qui élève, il n’avait pas seulement entendu ou lu du Corneille, il avait vu Corneille par Talma.

639. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. par M. Le Play, conseiller d’État. (Suite et fin.) »

L’appel du grand tribun catholique fut peu entendu. […] Avec de tels hommes, pas plus avec celui qui rendait ses oracles d’un ton chagrin, négatif et répulsif, qu’avec celui qui nous lançait à la tête ses anathèmes à l’état de singularités et de boutades, il n’y avait moyen de s’entendre ; la guerre continuait ; les passions s’entretenaient par contraste et se réchauffaient : c’était une contre-révolution de toutes pièces qu’eux et leurs amis nous proposaient, ce n’était pas une réforme véritable. […] J’entends d’ici s’élever de toutes parts les objections. […] Le Play s’en sépare nettement par sa manière d’entendre les rapports du Clergé avec l’État, par ses idées en matière de presse, par tant de vues neuves qui prouvent à quel point il se confie en la vertu et la fécondité du principe moderne, tout favorable à l’initiative individuelle. Sa façon d’entendre la tolérance me paraît surtout supérieure et digne d’être méditée.

640. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VI. Pour clientèle catholique »

L’ombre n’avait pas entendu, car elle répétait avec complaisance sa banale pensée : — La courbe d’une destinée est une hyperbole. ? […] Barbey d’Aurevilly, écrivain et poseur admirable, noble sans doute, mais plus hautain que noble, et puissant par l’image, et par l’expression trouvée, et par le rythme bruyant et empanaché, et par la verve méprisante, mais dont la pensée est un squelette dont on entend à peine le pauvre cliquettement sous les pourpres triomphales qui le drapent, reproche continuellement lui aussi aux non-catholiques de ne point penser. […] Chacun des drames rencontrés dans la vie contribue à former le futur dramaturge ; chacun des personnages vus et entendus se transforme en l’esprit du jeune Shakspeare, s’harmonise et grandit jusqu’à l’intensité tragique. […] ce n’est pas grand-chose, la « critique catholique », telle que l’entend le chanoine Delfour. […] Si on lui permet d’étudier les philosophies hindoues, c’est à condition qu’il fera ressortir à chaque page leur infériorité en face de la doctrine de Jésus (telle, bien entendu, que l’enseigne l’Église avec un grand E).

641. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

Une ode de Malherbe qu’il entendit réciter lui révéla, dit-on, son talent poétique ; il lut nos vieux auteurs, il exprima le suc de Rabelais, il emprunta de Marot son tour, il aima dans Racan un maître ou plutôt un frère en rêverie, et y apprit les élévations de pensée mêlées aux nonchalances. […] Il y aura toujours deux choses qu’il aimera mieux encore que de rimer, et, par ces deux choses, j’entends rêver et dormir. […] À la fin de cette fable d’Un animal dans la Lune, La Fontaine célèbre le bonheur de l’Angleterre qui échappait alors aux chances de la guerre, et, dans cette première et pleine gloire de Louis XIV, il fait entendre des paroles de paix ; il le fait avec délicatesse et en saluant les exploits du monarque, en reconnaissant que cette paix si désirée n’est point nécessaire : La paix fait nos souhaits, et non point nos soupirs. […] Cette manière de l’entendre est étroite et bien peu poétique ; et si, parlant auprès des grands et des puissants, il ne retenait pas la leçon qui lui échappait sur eux, il songeait certes encore moins à flatter le peuple, ce peuple d’Athènes qu’il appelle quelque part l’« animal aux têtes frivoles ». […] Le Lac, si admirable d’inspiration et de souffle, n’est pas lui-même si bien dessiné que Les Deux Pigeons ; et, quand j’entends réciter aujourd’hui, à quelques années de distance, quelqu’une de ces belles pièces lyriques qui sont de Lamartine ou de son école, j’ai besoin, moi-même qui ai été malade en mon temps de ce mal-là, d’y appliquer toute mon attention pour la saisir, tandis que La Fontaine me parle et me rit dès l’abord dans ses peintures :         Du palais d’un jeune Lapin         Dame Belette, un beau matin,         S’empara ; c’est une rusée.

642. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre III. Zoïle aussi éternel qu’Homère »

Ailleurs La Harpe dit : « Shakespeare sacrifie à la canaille. » Voltaire, bien entendu, reproche l’antithèse à Shakespeare ; c’est bien. […] Les gens d’à présent entendent être de leur temps, et même de leur minute. […] Nous entendons marcher sans lisières, et sans principes. […] Collez votre oreille à ces colosses, vous les entendrez palpiter. […] On y entend des roulements de tonnerres.

643. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre V. Le génie et la folie »

Deux choses indispensables : 1° S’entendre avec soi-même sur le sens du mot génie, que le vulgaire emploie d’une manière confuse et indéterminée, comme tous les mots complexes ; analyser cette idée, afin de bien savoir de quoi l’on parle ; 2° ouvrir le corps d’un très grand nombre d’hommes de génie, disséquer leur cerveau, et montrer à nos sens une certaine modification particulière, qui, se rencontrant à la fois chez les idiots et chez les hommes de génie, et ne se rencontrant que chez eux, fasse défaut à tous les hommes médiocres et doués de raison. […] Nulle part d’abord il ne nous explique précisément ce qu’il entend par le génie. […] Tantôt c’est l’imagination qui s’exalte, qui a besoin de chants et de musique, et croit entendre des concerts divins : elle va même quelquefois jusqu’à produire des vers avec facilité et avec verve, ce dont elle était incapable dans l’état sain. […] Si je regarde attentivement dans la rue, je n’entends pas quelqu’un qui m’appelle à côté de moi ; si je suis occupé à quelque travail, je n’entends pas la pendule sonner.

644. (1912) Le vers libre pp. 5-41

Qu’on veuille bien remarquer que, sauf le cas d’élision, cet élément, l’e muet, ne disparaît jamais même à la fin du vers ; on l’entend fort peu, mais on l’entend. […] Le poète parle et écrit pour l’oreille et non pour les yeux, de là une des modifications que nous faisons subir à la rime, et un de nos principaux, désaccords d’avec Banville, car notre conception du vers logiquement mais mobilement vertébré nous écarte tout de suite et sans discussion de cet axiome « qu’on n’entend dans le vers que le mot qui est la rime ». […] Je veux bien que l’auditeur bercé par un grand discours en vers, surtout déclamé au théâtre par des gens qui disent mal, se raccroche aux rimes, pour distinguer si l’on entend des vers ou de la prose, et c’est vrai pour le vers pseudo-classique. […] Tous les peuvent entendre ; les lettrés y doivent trouver les moyens de donner la forme stricte de leur idée, les sentimentaux la forme de leur rêverie.

645. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Michelet »

Voilà comme il entend l’amour !  […] Le livre de Michelet nous a rappelé, en effet, certains traités que les casuistes catholiques avaient la prudence d’écrire en latin, — une langue fermée, — pour n’être entendus que du prêtre comme eux, du prêtre qui doit tout connaître de la misère de l’homme et de son péché. […] Et dites que Michelet ne s’entend pas aux précautions oratoires ! […] Je n’entends pas se faire le bruit distinct et montant d’un succès. […] Il y tombe jusqu’aux onomatopées, pour y peindre ou y faire entendre ce qu’il veut exprimer.

646. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

Vous avouerez que ces derniers n’ont pas su entendre « l’appel de toute la nature inférieure aux cœurs des hommes, l’appel du rocher, de la vague, de l’herbe, comme une part de la vie nécessaire de leurs âmes. »30. […] Il nous paraît profondément ironique d’entendre la critique, sur la foi des mots et des affirmations trompeuses, assimiler le préraphaélisme à un retour à la nature en art. […] Par réaliste, j’entends, dans un sens large, celui qui, ne méprisant aucun fragment, aucun aspect de la nature, en respectant la vie réelle des choses, de la communion même de ce monde extérieur avec son être propre, fait jaillir une expression vivante. […] Je n’entends pas dire par là qu’un artiste est moderne parce qu’il inonde sa toile des tons les plus aveuglants, comme quelques-uns le crurent, qui ne produisirent ainsi que des ébauches informes. J’entends que le peintre moderne ne détournant plus son regard des mille couleurs qui viennent le frapper, a cessé de méconnaître l’importance du rendu scrupuleux de la lumière.

647. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Une jeune fille ne doit demander le sang de personne : cela répugne au caractère de son sexe ; la nature ne lui a point donné une voix douce pour faire entendre des cris de mort. J’avoue que je ne suis point touché quand j’entends Chimène crier : Sire, sire, justice ! […] Il en est de même de Zaïre : cette petite chrétienne faite à la hâte gémit tout bas d’avoir rencontré si mal à propos un père et un frère de hasard qui n’entendent pas raison. […] Ne croit-on pas entendre don Quichotte parler à sa Dulcinée ? […] On n’entend pas bien comment la bassesse représente les premiers mouvements du cœur d’un héros : ces premiers mouvements sont-ils bas ?

648. (1896) Études et portraits littéraires

Mais Taine, nous savons ce qu’il entend par là : un groupe de puissances, ou mieux, de faits. […] Descotes n’a pas entendu composer avec rigueur. […] On ne perd pas son temps à l’entendre. […] Il faut aller l’entendre. […] Il croyait entendre expirer à la porte les bruits de la nature en travail.

649. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

Je lui parlais, il me parlait, nous nous entendions à demi-mot ; mais je n’osais pas lui demander son nom, de peur de paraître ignorer ce qu’on devait supposer que je connaissais. […] Pourquoi cela, sinon pour faire entendre que tout ce que le prince fait est toujours équitable et juste ?  […] Ce philosophe fut-il condamné sans avoir été entendu, comme il résulte du récit de Quinte-Curce ? […] Le messager ne comprit rien au motif de cette action ; mais Thrasybule, quand on l’en informa, entendit fort bien qu’il devait se défaire des citoyens puissants. […] Elle peut s’entendre du nombre et du mérite.

650. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

Où en serions-nous, à votre avis, si l’on eût suivi les longueurs tant pratiquées autrefois par ceux qui maniaient les affaires, et tant célébrées par je ne sais quels discoureurs qui ne parlent jamais avec plus d’assurance que quand ils parlent de ce qu’ils n’entendent point ? […] A entendre Balzac cette fois, on croirait vraiment qu’il est d’une autre école que Malherbe, qu’il est un homme tout de pensée, et qu’il a en profond dédain ceux qui prennent garde à leurs phrases. […] N’orra, n’entendra ; du verbe ouïr. […] L’habitude de trôner est une mauvaise chose ; le roi Voltaire s’y entendait mieux. […] Le voilà remis à sa place dans le jugement général de Malherbe ; il y a son compte. — En signalant cette exagération dont Du Vair a été récemment le sujet, je n’entends point parler du livre très-modéré et très-judicieux que lui a consacré M. 

651. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1875 » pp. 172-248

D’un côté du mur la vieille tapisserie fait la portière d’une autre pièce, dans laquelle on entend des cris d’enfants. […] La voix d’Alexandre Dumas se fait entendre. […] elle lui disait, que toutes, toutes, entendez-vous, rêvent de se marier. […] ” Mais avant que Patin eût pris la parole, on entendit sortir de la haute cravate de Royer-Collard, avec une intonation nasillarde et méprisamment moqueuse : “Messieurs, Cousin et Patin sont des messieurs qui savent du latin ! […] De la grande cravate on entendit encore sortir : “Dans les bons auteurs il n’y a pas de coin, pas de coin !

652. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

Le jardinier n’entend pas. […] Pour être entendus, les vainqueurs faisaient un solécisme. […] S’ils le faisaient en latin, on se demande comment le peuple les entendait. […] Il faut entendre ses adieux à son pays. […] Veuillez m’entendre comme je parle, et ne jamais songer à notre temps.

653. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

Qu’elle soit une personnification de la théologie ou l’ombre de celle qu’a aimée Dante, nous ne l’avons jamais vue, et c’est à peine si nous l’entendons. […] Victor Hugo voit et entend. […] C’est ce qu’un critique célèbre qui, lui aussi, a été un poète autrefois, entendait par la tour d’ivoire où vivait l’auteur d’Éloa. […] L’œil du poète plonge en des cercles infernaux encore inexplorés, et ce qu’il y voit et ce qu’il y entend ne rappelle en aucune façon les romances à la mode. […] Jamais Victor Hugo n’avait fait entendre sur la scène de plus majestueuses et de plus hautes paroles.

654. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Il fallait les entendre « Enfin venait d’apparaître une école nouvelle ! […] Elle s’écria, sans avoir cure de ceux qui l’entendaient « Mais c’est un orang-outang » Il était réservé à M.  […] C’était dans l’arrière-boutique d’un libraire, en catimini, qu’on demandait, à voix basse, dans la crainte d’être entendu, l’ouvrage proscrit. […] C’est donc une affaire entendue, M.  […] Une œuvre peut être vraie, peut être écrite avec talent, mais n’être pas morale à la façon dont l’entendent les bourgeois à courte vue.

655. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

Citons-en au moins les lignes suivantes : « Ce soir, dans le silence de la nuit, j’entends une petite voix qui sort des rideaux blancs du berceau. […] Sully Prudhomme pourra me dire, après ma réponse, comme il l’a laissé entendre il y a quelques années à M.  […] Nous ne pouvons plus nous intéresser naïvement aux légendes qui ont charmé nos pères ; nous-mêmes les avons trop entendues. […] C’est en ce sens qu’il faut entendre l’affirmation de sa liberté. […] Cherchons pour nous une autre gloire. » Et ces quelques mots encore, qu’il nous faut bien entendre : « Tout s’est écroulé derrière nous.

/ 3159