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686. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Mais, à ce jeu, que devient la conscience et que devient la vérité ? Que deviennent aussi la dignité, la gravité, « qui sont la vie même de l’histoire » ? […] elles deviennent ce qu’elles peuvent ; M.  […] « L’église de Saint-Vincent, dit-il, achetée par Chaux (un sans-culotte du temps) pour la société des Jacobins de Nantes, devint une vraie église où vinrent jurer les martyrs. » Traduisons cela. […] S’il n’y avait de dangereux que les chefs-d’œuvre, la Critique pourrait devenir sans inconvénient une bonne fille et le nouveau livre de M. 

687. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

L’idéal ne vaut même, dans l’art, qu’autant qu’il est déjà réel, qu’il devient et se fait : le possible n’est que le réel en travail ; or il n’y a pas d’idéal en dehors du possible. […] Le plus grand d’apparence peut devenir le plus mesquin, et le plus mesquin le plus grand ; les derniers échangent leur place avec les premiers. […] Tout pour lui devient symbole, tout se change et se grandit. […] Donc tout ce qui arrive à nous à travers l’histoire nous apparaît dans sa simplicité ; au contraire, l’utile de chaque jour, avec sa surcharge de trivialité, reste prosaïque ; et voilà pourquoi l’utile devenu historique devient beau. […] Le momentané, l’exceptionnel ne devient objet d’art qu’à la condition d’être aperçu d’un point de vue large, et comme par l’œil d’un philosophe, d’être ramené aux lois de la nature humaine et de devenir ainsi, en quelque sorte, une des formes de l’éternel.

688. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

Est simple, pour le premier, tout principe dont les effets se prévoient et même se calculent : la notion d’inertie devient ainsi, par définition même, plus simple que celle de liberté, l’homogène plus simple que l’hétérogène, l’abstrait plus simple que le concret. […] Une sensation, par cela seul qu’elle se prolonge, se modifie au point de devenir insupportable. […] Ces directions deviennent ainsi des choses, de véritables chemins auxquels aboutirait la grande route de la conscience, et où il ne tiendrait qu’au moi de s’engager indifféremment. […] Mais vous ne prouvez plus ainsi que Paul ait prévu l’action de Pierre ; vous constatez seulement que Pierre a agi comme il a fait, puisque Paul est devenu Pierre. […] C’est que nous le connaissons déjà ; c’est que, arrivé au terme du progrès qui constitue son existence même, le fait psychologique devient une chose, qu’on peut se représenter tout d’un coup.

689. (1893) Alfred de Musset

sont exposés à devenir des Rolla. […] Musset repentant devenait doux et soumis comme un enfant. […] Dieu sait maintenant ce que deviendront ma tête et mon cœur. […] , je deviens presque folle, je couvre mon oreiller de larmes. […] Il est devenu bien plus mystique.

690. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

S’il continue à s’éloigner, la tristesse devient désespoir. […] Une émotion très vive devient une passion. […] Devient-elle plus forte, plus vive, c’est une passion. […] L’instinct n’est pour lui qu’une expérience devenue peu à peu habitude et instinct. […] Le plaisir devient donc de moins en moins vif, la sensibilité s’émousse.

691. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 69-70

On voit, par ces Ouvrages élementaires, devenus classiques, que personne ne connoissoit mieux le mécanisme de la langue d’Homere & de celle de Virgile. […] Mais il est encore temps d’apprendre aux jeunes gens, susceptibles d’être dirigés vers les sources du génie, qu’on ne peut devenir un grand Homme, qu’en s’attachant à la lecture des grands Modeles, & que ce n’est qu’en allumant son flambeau aux rayons du soleil, qu’on peut, comme Prométhée, communiquer à ses Ouvrages le feu qui leur donne la vie.

692. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Bérénice menaçant de se tuer, il devient comme égaré. […] Seulement sa gaieté devenait un peu aigre et sarcastique. […] le voilà qui devient socialiste… ou chrétien… Oh ! […] Et que deviennent Othon, Sénécion, Acté, Sénèque ? […] Ces idées sont devenues courantes.

693. (1895) La vie et les livres. Deuxième série pp. -364

Comment le cénacle des Apôtres est-il devenu l’Église universelle ? […] Elle mérite de devenir l’idée fixe de tous les esprits vivants et généreux. […] Thomas Graindorge est devenu historien sans cesser d’être un poète satirique et amer. […] Que deviendraient le dévouement et le sacrifice au milieu du bonheur universel ? […] D’artiste bibelotier, curieux et pervers, il devient soudain catéchumène.

694. (1890) Causeries littéraires (1872-1888)

Devenue par son mariage Bretonne de cœur, la mère de M.  […] En quelques semaines, on est devenu un jeune vieillard. […] Et alors, dédaignés, ils deviennent dédaigneux. […] Bourget ne s’inquiète même plus de ce qu’il deviendra. […] de l’homme qui devait devenir le beau-père d’André.

695. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

Et plus la rêverie se prolongera, moindre y deviendra la part du souvenir. […] Elle le deviendra dans certaines conditions. […] Notre pensée devient aberrante. […] La comparaison est devenue digression. […] La phrase devient plus variée de tournures, et par conséquent plus expressive.

696. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre I. Les Saxons. » pp. 3-71

Çà et là, un jet de soleil s’abat sur les hautes herbes avec un éclat violent, et la splendeur de la verdure devient éblouissante et brutale. […] Il leur fallait vivre en chasseurs et en porchers, devenir, comme auparavant, athlétiques, féroces et sombres. […] — Car bientôt tu deviens hideux,  — et odieux à regarder. » Jérémie Taylor a-t-il trouvé une peinture plus lugubre ? […] Que va devenir entre ses mains la noble morale platonicienne, l’adroite interprétation imitée de Jamblique et de Porphyre ? […] Alfred lui-même est presque le dernier des hommes cultivés ; il ne l’est devenu, comme Charlemagne, qu’à force de volonté et de patience.

697. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

Or, avec la disposition entraînée de Mme de Longueville, qu’on songe à ce qu’elle dut devenir en conduite dès l’instant que ce je ne sais quoi de M. de La Rochefoucauld fut son étoile : et autour de cette étoile, comme autant de lunes, ses propres caprices. […] Ceci devient piquant, et j’oserai tout révéler. […] elle devient plus difficile et on la sent qui se complique davantage à mesure qu’elle avance et qu’elle se dénue. […] Si l’on se demandait à quelle occasion particulière on a commencé à lire dans tel ou tel cœur, on trouverait que c’est presque toujours en une circonstance intéressée où l’amour-propre en éveil est devenu perçant ; mais il n’importe avec quelle vrille on ait fait le trou à la cloison, pourvu qu’on voie. […] La Rochefoucauld l’a dit : En vieillissant on devient plus fou et plus sage.

698. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 321-384

Le capitaine n’a que d’honnêtes intentions ; n’aimeriez-vous pas bien, ma belle enfant, à changer cette robe de bure brune et ces sandales sur vos jambes nues contre de riches robes de soie, de fins souliers à boucles luisantes comme l’eau de cette cascatelle, et à devenir une des dames les plus regardées du duché de Lucques, où il y en a tant de pareilles à des duchesses ? […] C’était pourtant notre étoile, à nous, et la source parut devenir sombre depuis que l’enfant ne s’y mirait plus à côté de son cousin. […] Ce fut bien là le malheur ; ces enfants s’aimaient trop pour que la fille devînt une grande dame de Lucques, et pour que le garçon fît une autre fortune que dans le cœur d’une fille des châtaigniers. […] malheureux que nous sommes, si cela devait arriver jamais, que deviendrions-nous ? […] Hyeronimo devenait le plus bel adolescent de toute la plaine de Lucques ; quant à Fior d’Aliza, la force de la jeunesse est telle qu’elle florissait d’autant mieux sous nos larmes qu’elle avait plus de peine, comme ces herbes du bord de la cascade, qui sont d’autant plus riches et d’autant plus rouges qu’elles sont plus souvent mouillées par l’écume et resséchées par le rayon de soleil.

699. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Souviens-toi que le Méonide, Notre modèle et notre guide, Ne devint grand qu’après sa mort. […] Le lecteur devient complice de l’auteur. […] « Il fallut quitter le toit paternel, devenu l’héritage de mon frère : je me retirai avec Amélie chez de vieux parents. […] « Cette vie, qui m’avait d’abord enchanté, ne tarda pas à me devenir insupportable. […] Mon chagrin était devenu une occupation qui remplissait tous mes moments : tant mon cœur est naturellement pétri d’ennui et de misère !

700. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Il pataugeait exprès, pour nous égayer, dans les parties devenues surannées. […] L’intuition du devenir, dans l’histoire comme dans la nature, était dès lors l’essence de ma philosophie. […] Que devient ce miracle, si fort admiré de Bossuet : « Cyrus nommé deux cents ans avant sa naissance » ? […] Les grains de sable de mes doutes s’agglomérèrent et devinrent un bloc. […] Carbon fut peiné ; il vit combien ma situation allait devenir difficile et me promit de chercher pour moi une position tranquille et honnête.

701. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIV » pp. 126-174

Mais la paix a tout ranimé ; et il n’est pas facile de dire comment elles sont devenues si communes. […] Nous allons voir ce qu’il devint, et, en apprenant le sort du mot, nous apprendrons celui des personnes qu’il désigne. […] Les Italiens affluaient à Paris, et il devint à la mode d’aller visiter Rome et l’Italie. […] Sa ruelle devint pour le parti le centre de ralliement, l’école normale, le château fort des précieuses de mauvais goût. […] Je trouvai qu’elle était devenue joueuse.

702. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

que voulez-vous qu’on devienne ? […] Ces désinences, que l’on ne savait plus varier, devinrent un embarras que l’on supprima. […] Cela même devient un trait caractéristique de l’esprit du temps. […] Puis, il devenait archer ou homme d’armes. […] Le-provençal devint pour eux la langue littéraire.

703. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — II. (Suite.) » pp. 155-174

nous l’adorerons tous, et lui seul rétablira la France ; il y a plus de six ans que je l’ai dit, et Villandry avait même opinion que moi. » Ce sont là des mots qui ne s’inventent pas, et qui deviennent des pronostics après que l’histoire les a confirmés. […] Henri, qui, à cette journée de Coutras, venait de prendre rang de capitaine, montra au lendemain qu’il avait encore à faire pour devenir le politique qu’on l’a vu depuis. […] Il ne dira pas de bien soit des protestants zélés, plus attachés que lui à la cause des Églises et à l’esprit religionnaire, soit des catholiques devenus royalistes à leur corps défendant, soit du tiers parti et de ces hommes politiques qui « nagent tant qu’ils peuvent », dit-il, « entre deux eaux », Villeroi, Jeannin. […] Il faut une adresse et des précautions infinies pour le faire entrer au Conseil des finances (1596) et pour l’y installer en pied : il n’y devient maître qu’un an ou deux après. Il est fait grand maître de l’artillerie en février 1601 ; il ne devient duc de Sully qu’en mars 1606, quatre ans avant la mort de son maître.

704. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Avec les années, Gibbon devint grotesquement gras et replet ; mais la charpente osseuse chez lui était des plus minces et des plus frêles. […] J’ai jasé environ un quart d’heure avec elles ; j’ai parlé de Lausanne et suis devenu si familier et si à mon aise que j’ai tiré ma tabatière, ai tapé dessus, ai prisé deux fois (crime inouï jusque-là dans la salle de réception !) […] Il se rompit à écrire correctement tant en français qu’en latin, et, en acquérant une égale facilité à s’exprimer en diverses langues, il perdit moins une originalité d’expression pour laquelle il semblait peu fait, qu’il n’acquit l’élégance, la lumière et la clarté qui deviendront ses mérites habituels. […] Durant ce séjour à Buriton, il prend possession de la bibliothèque de son père, qui était d’abord bien inégalement composée ; il l’accroît, il l’enrichit avec soin, et en forme par degrés une collection à la fois considérable et choisie, « base et fondement de ses futurs ouvrages, et qui deviendra désormais la plus sûre jouissance de sa vie, soit dans sa patrie, soit à l’étranger ». […] Selon Gibbon, les Géorgiques de Virgile ont eu un grand à-propos sous Auguste, un but politique et patriotique mêlé à leur charme : il s’agissait d’apprivoiser aux travaux de la paix et d’attacher à la culture des champs des soldats vétérans devenus possesseurs de terres, et qui, avec leurs habitudes de licence, avaient quelque peine à s’y enchaîner : « Qu’y avait-il de plus assorti à la douce politique d’Auguste, que d’employer les chants harmonieux de son ami (son ami est une expression un peu jeune et un peu tendre) pour les réconcilier à leur nouvel état ?

705. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Il devint intendant général de la Grande Armée en octobre de cette même année. […] Qu’il se glisse dans ses calculs la moindre erreur, et les plus heureuses combinaisons de stratégie sont manquées, des foules de braves périssent en pure perte, la patrie même peut devenir victime d’une seule de ses fautes… Et il continue cette définition et ce tableau en l’élevant à toute sa hauteur. […] L’industrie s’en est mêlée, l’homme de lettres, même le plus glorieux, est devenu un vendeur comme un autre. […] À merveille, mon cher confrère, lui écrivait le vieux Cailhava, partisan déclaré de Molière et de l’ancienne comédie, et qui ne parlait qu’avec sourire de ce qu’il nommait la nouvelle école, devenue bien vieille pour nous aujourd’hui ; — à merveille ! […] Devenu directeur de l’Opéra après l’avoir été du théâtre Louvois, il concevait encore le vague espoir de faire quelque œuvre considérable avant la fatigue et le déclin du talent : J’ai dans la tête, écrivait-il en septembre 1812 à M. 

706. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « II » pp. 21-38

Il en rabattit après quelques années ; Ferney devint et resta son séjour unique et suffisant. […] Que deviendrait-on si on perd son temps à dire : Nous avons perdu Pondichéry, les billets royaux perdent soixante pour cent, etc. ? […] Il devient à la longue le plus grand des plaisirs et tient lieu de toutes les illusions qu’on a perdues. […] Bordes, à qui Voltaire écrivait ainsi, était un ancien ami de Jean-Jacques Rousseau, et qui était devenu, depuis, son réfutateur et son adversaire. […] Ce qui avait pu ne paraître qu’inquiétude fébrile devint à la fin une sollicitude noble pour des intérêts généraux.

707. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — III — Toujours Vauvenargues et Mirabeau — De l’ambition. — De la rigidité » pp. 38-55

Qu’est devenue cette passion des grandes choses dont ils se sont tant de fois entretenus ? […] J’ai dit que le plus jeune frère de Mirabeau servait dans le régiment du roi ; Vauvenargues était quelquefois prié de le surveiller, de lui donner des conseils : « Ayez soin du petit », lui écrivait le fougueux aîné devenu père de famille. […] , la perdit, quitta la France, et s’en alla chercher fortune en Allemagne à la petite cour de Baireuth, où il se remaria et devint chambellan et conseiller privé. […] C’est là ce qui m’a donné cet air de philosophie, qu’on dit que je conserve encore, car je devins stoïcien de la meilleure foi du monde, mais stoïcien à lier ; j’aurais voulu qu’il m’arrivât quelque infortune remarquable, pour déchirer mes entrailles, comme ce fou de Caton, qui fut si fidèle à sa secte. […] De toute cette effusion éloquente, Vauvenargues ne prétend pas conclure qu’il faille que le chevalier de Mirabeau devienne un stoïcien, car c’est plutôt le contraire qu’il lui conseille ; il n’a fait qu’obéir à un impérieux souvenir, et sa plume, qui ne cherchait qu’une occasion, l’a emporté.

708. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Charles-Quint après son abdication, au monastère de Saint-Just »

Quelques années après, devenu empereur, il avait changé de devise, il était entré résolument dans sa destinée, avec ce mot audacieux qui faisait mentir les colonnes d’Hercule : Plus ultra (c’est-à-dire, passons outre et au-delà) ! […] En retour de cette touchante déférence du père pour le fils devenu roi, il ne serait pas exact de dire que celui-ci se montra ingrat ; mais, si Philippe II paraît toujours fils respectueux, il n’est jamais tendre. […] On n’est jamais sûr de rien avec ces diables de conquérants, même devenus ermites, avec ces lions, même vieillis, s’ils restent libres et si on leur montre leur proie. […] qu’il est donc possible d’être grand homme d’État et grand politique, sans devenir à aucun degré philosophe ! […] Charles-Quint avait eu en 1545, d’une jeune et belle fille de Ratisbonne, un fils naturel, celui qui devint si célèbre sous le nom de Don Juan ; il l’avait ôté de bonne heure à sa mère et l’avait fait adopter en dernier lieu par la femme de son majordome Quivada.

709. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

Le duc Pompée n’a rien de cela ; c’est un aimable et gracieux libertin, séduisant, facile, abandonné ; il n’est pas né méchant, et il ne l’est pas devenu. […] Si je provoque le scandale, je hais le mensonge ; jamais, pour triompher d’une résistance, je n’ai eu recours à la comédie de l’amitié ; jamais je n’ai prodigué les feintes promesses ni les faux serments d’une éternelle flamme ; jamais je n’ai séduit, jamais je n’ai trompé… » Morale facile, morale commode, mais qui va devenir rare encore en ce siècle, s’il continue dans la voie où il est depuis quelque temps engagé, — et où il semble faire des progrès chaque jour, celle du faux-semblant convenu et de l’hypocrisie utile. […] Je ne marche en ceci que d’accord avec tous les vrais moralistes : « La durée de nos passions, a dit le plus grand, ne dépend pas plus de nous que la durée de notre vie. » Ce même moraliste (La Rochefoucauld) a dit encore : « Il y a dans le cœur humain une génération perpétuelle de passions, en sorte que la ruine de l’une est toujours l’établissement d’une autre… On pourrait dire que les vices nous attendent dans le cours de la vie, comme des hôtes chez lesquels il faut successivement loger. » Or ceci me devient une lumière, et je la propose humblement au comte Herman, afin de mieux assurer son bonheur et de fortifier sa constance ; car, comme tous les Almavivas convertis, il me paraît de sa nature un peu fragile. […] Elle est toute trouvée : « L’ambition, a dit un autre moraliste des plus consommés, Senac de Meilhan, est une passion dangereuse et vaine, mais ce serait un malheur pour la plupart des hommes que d’en être totalement dénués ; elle sert à occuper l’esprit, à préserver de l’ennui qui naît de la satiété ; elle s’oppose dans la jeunesse à l’abus des plaisirs qui entraînerait trop vivement, elle les remplace en partie dans la vieillesse, et sert à entretenir dans l’esprit une activité qui fait sentir l’existence et ranime nos facultés. » Qu’Herman donc, s’il veut rester fidèle à sa femme, au moins dans l’essentiel (car je néglige tout ce qui ne tire pas à conséquence), devienne ambitieux ; il le faut à tout prix, et ce n’est que de ce jour-là que sa conversion me paraîtra assurée. Tout immensément riche, qu’il est, qu’il se crée des devoirs, des obligations, des gênes ; qu’il devienne député, diplomate, ambassadeur, administrateur d’une grande ligne de chemins de fer, que sais-je ?

710. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

Des deux frères qui étaient dans l’armée en même temps que lui, l’un mourut au siège de Lille en 1667 ; l’autre appelé Croisilles, avec qui il resta lié de tout temps d’une étroite tendresse, était capitaine au régiment des gardes ; retiré du métier des armes pour cause de santé et à la suite de blessures, il devint le tendre ami de Fénelon et paraît avoir été doué de toutes les délicatesses morales ; il refusa d’être sous-gouverneur du duc de Bourgogne. […] Catinat, même plus tard devenu général, se montra toujours d’une rare intrépidité personnelle, d’une bravoure presque excessive dans un chef ; cet homme si prudent et concerté dans ses mouvements et sa stratégie en tant que commandant d’armée, se retrouvait sur le terrain, en un jour de bataille, le capitaine du régiment des gardes, et s’exposait comme un simple grenadier jusqu’à se faire plus d’une fois réprimander par Louis XIV. […] Les officiers généraux sont les supérieurs du major général ; mais il devient en effet leur supérieur lorsqu’il est l’ami du général. […] Cependant le marquis de Boufflers était chargé du commandement des troupes qui devaient prendre possession de Casal, dont Catinat allait devenir à l’instant gouverneur. […] Ici Catinat va devenir négociateur ; on le charge d’une assez vilaine besogne et d’obtenir, d’arracher d’une manière ou d’une autre, et bon gré, mal gré, ce qui n’était pas dû en parfaite bonne foi.

711. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

Il y a là un art de poëte qui prend le soin d’interrompre, par une touche sensible, ce qui deviendrait un badinage trop prolongé. […] dit l’enfant, nous sommes donc devenus riches ?  […] » Depuis qu’il fait des vers, en effet, Jasmin, pour parler en pose, grâce au bon débit de ses productions et à l’intérêt bien entendu qu’y ont mis les Agenais, a pu, sans quitter son état, devenir propriétaire de la maison qu’il habite et obtenir une petite aisance, qui paraît le comble de ses vœux. […] La partie politique de son recueil est celle qui a le moins d’originalité : la langue d’abord en devient aisément toute française, car le patois n’a point, dans son fonds, ce vocabulaire moderne. […] Dans une jolie pièce de vers, adressée à un riche agriculteur de Toulouse qui lui donnait ce conseil, il réfute agréablement les raisons flatteuses par un tableau de ses goûts et de ses simples espérances : « Dans ma ville, où chacun travaille, laissez-moi donc comme je suis ; chaque été, plus content qu’un roi, je glane ma petite provision d’hiver, et après je chante comme un pinson, à l’ombre d’un peuplier ou d’un frêne, trop heureux de devenir cheveux blancs dans le pays qui m’a vu naître.

712. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. Casimir Delavigne. » pp. 169-192

Homme de lettres accompli et qui n’a été que cela, poëte à la fois populaire et modéré, d’une pureté inaltérable, habile et fidèle dispensateur d’un beau talent, bon ménager d’un grand renom, il eût offert en tout temps une existence littéraire bien distinguée et bien rare ; elle le devient encore plus, à la considérer aujourd’hui. […] Un de ses oncles était lié avec Andrieux et lui montra ces premiers vers de Casimir : « Qu’il laisse les vers, répondit Andrieux, c’est un vilain métier : qu’il fasse son droit et devienne un bon avocat !  […] Un beau talent lyrique, si élevé qu’il soit, et souvent à cause de cette élévation même, devient difficilement populaire. […] Un frère, un aîné, homme d’esprit et de talent, s’oubliait avec bonheur en ce frère préféré, qui devenait le chef des siens. […] Il semblait qu’il était devenu pour tous avec le temps un de ces biens égaux et continus, une de ces douceurs acquises et accoutumées, qu’on ne se remet à ressentir tout d’un coup qu’en les perdant.

713. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

L’hospitalité et l’amour de Phémius, l’intérêt de l’enfant touchèrent à la fois le cœur de la jeune femme ; elle devint l’épouse du maître d’école et la maîtresse de la maison dont elle avait abordé le seuil en suppliante, quelques années avant. […] Il devint aveugle. […] Son âme avait passé tout entière dans leur mémoire avec ses chants ; en la rendant aux dieux il ne l’enlevait pas à la terre : elle était devenue l’âme de toute la Grèce ; elle allait devenir bientôt celle de toute l’antiquité. […] Il sent éclore en lui des milliers de pensées, d’images, de sentiments qui lui étaient inconnus ; de matériel qu’il était, un moment avant d’avoir ouvert ce livre, il devient un être intellectuel, et bientôt après un être moral. […] À peine la mort eut-elle interrompu ses chants divins que les rapsodes ou les homérides, chantres ambulants, l’oreille et la mémoire encore pleines de ses vers, se répandirent dans toutes les îles et dans toutes les villes de la Grèce, emportant à l’envi chacun un des fragments mutilés de ses poèmes, et les récitant de génération en génération aux fêtes publiques, aux cérémonies religieuses, aux foyers des palais ou des cabanes, aux écoles des petits enfants ; en sorte qu’une race entière devint l’édition vivante et impérissable de ce livre universel de la primitive antiquité.

714. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Hugo devient largement représentatif. […] Ainsi la pensée devient hallucination, le raisonnement description : au lieu d’un philosophe nous avons un visionnaire. […] Absolument dénué du sens psychologique, il ne peut voir l’individu : un pauvre qu’il rencontre devient tout de suite le pauvre 873. […] Vers 1850, la poésie est devenue moins personnelle, elle s’est imprégnée d’esprit scientifique ; elle veut rendre les conceptions générales de l’intelligence, plutôt que les accidents sentimentaux de la vie individuelle. […] Pair de France sous Louis-Philippe, député de Paris en 1848, exilé au 2 Décembre, il est devenu républicain et démocrate vers 1850 : il avait été d’abord légitimiste, puis libéral, très bien vu de la maison d’Orléans.

715. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

* * * Beaucoup d’hommes ressemblent au verre, si uni, si poli et si doux au toucher tant qu’on ne le froisse ni ne le brise, mais qui devient alors singulièrement tranchant, et dont tous les éclats blessent. […] L’étude solitaire et passionnée de la nature dans un philosophe moral devait en effet produire presque nécessairement une association d’idées qui menait tout droit au style symbolique : car quand ce philosophe veut exprimer une pensée morale, voilà qu’une image physique s’offre en même temps à son esprit, donne un corps à son idée abstraite, en devient la formule et l’emblème. […] Et par cela même qu’il a pris deux objets de comparaison, il montre assez qu’il ne sacrifiera pas une de ses deux images à l’autre, et qu’il n’en prolongera aucune jusque dans l’objet spirituel, ce qui est la condition du symbole ; car nécessairement l’autre image deviendrait un hors-d’œuvre, et ne pourrait que nuire à l’effet. […] Ainsi la statue de Pygmalion prend vie et devient Galatée sans changer de forme. […] Le génie, ses tourments intérieurs, les blasphèmes qui le poursuivent d’abord, les adorations qui succèdent aux blasphèmes, toutes ces pures conceptions de l’intelligence, sont devenus visibles.

716. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — II. (Suite et fin.) » pp. 421-440

Elle conseille à Mme des Ursins de se former pour remuer les enfants à l’avenir, d’apprendre de l’accoucheur, qu’on envoie de Paris, à connaître la consistance du lait , et de devenir matrone experte en ce genre. […] Cette paix, dont la timide et raisonnable Mme de Maintenon parle sans cesse, va devenir dans les années suivantes la pierre d’achoppement avec Mme des Ursins, qui en est beaucoup moins pressée, et qui ne la veut qu’à des conditions plus hautes. […] Je vais à Saint-Jean-de-Luz pour me reposer un peu et savoir ce qu’il plaira au roi que je devienne. […] Elle s’était rendu compte à l’avance de tout ce néant humain ; elle se dit, en sachant ses ennemis triomphants et ses amis consternés, qu’il n’y avait pas lieu à tant s’étonner ; que ce monde n’était qu’une comédie où il y avait souvent de bien mauvais acteurs ; qu’elle y avait joué son rôle mieux que beaucoup d’autres peut-être, et que ses ennemis ne devaient pas s’attendre à ce qu’elle fût humiliée de ne le plus représenter : « C’est devant Dieu que je dois être humiliée, disait-elle, et je le suis. » Après avoir quitté la France, où Louis XIV mourait et où le duc d’Orléans, qu’elle avait pour ennemi déclaré, devenait le maître, elle alla habiter Rome, son ancienne patrie, la ville des grandeurs déchues et des disgrâces décentes. […] La publication des pièces officielles et des dépêches des ambassadeurs de France, pendant la durée de l’influence de Mme des Ursins à Madrid (si cette publication se fait un jour), pourra seule achever de déterminer avec précision toute l’importance et la qualité de son action politique ; nous en savons déjà assez pour porter sur elle une appréciation morale ; et quant à son mérite littéraire, nous osons dire qu’il ne manque à ce qu’on a de Mme des Ursins que des éditeurs moins négligents pour qu’elle devienne un de nos classiques épistolaires.

717. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Disons vite que l’intention du gouvernement d’alors ne paraît jamais avoir été que l’arrêt de mort fût exécuté : le baron de Damas, devenu à ce moment ministre de la Guerre, croyait pouvoir répondre de la grâce et de la clémence du roi ; mais c’était une grâce, et Carrel, fort de la capitulation et des paroles données, croyait pouvoir réclamer pour lui et pour ses compagnons de fortune un droit. […] À partir de ce jour, il devint plus hardi, plus content, plus dégagé, à mesure que la responsabilité s’aggravait et qu’elle ne reposait que sur lui seul. […] Cette sérénité trop passagère, cette liberté d’allure, dont il fit preuve quelque temps au milieu des luttes de chaque jour, s’altéra de nouveau en lui vers la fin, quand les difficultés de la situation devinrent plus fortes et que les gênes de toutes parts recommencèrent. […] J’ai omis de dire, parmi les tentatives précédentes de Carrel, qu’il avait essayé avec deux hommes, devenus depuis des administrateurs distingués13, de fonder une librairie ; il y eut commencement d’exécution, mais point de suite. […] Ce général (s’il l’avait été, en naissant vingt-cinq ans auparavant) aurait certainement écrit tôt ou tard ; il aurait raconté ses campagnes, les guerres dont il aurait été témoin et acteur, comme on l’a vu faire à un Gouvion Saint-Cyr ou à tel autre capitaine de haute intelligence ; mais ici, dans l’ordre littéraire ou historique, ce n’est pas seulement ce qu’il a senti et ce qu’il a fait que Carrel doit exprimer ; il est obligé d’accepter des sujets qui ne le touchent que par un coin, de s’y adapter, de s’y réduire, d’apprendre l’escrime de la plume, la tactique de la phrase ; il y devient peu à peu habile, et, dès qu’un grand intérêt et la passion l’y convieront, il y sera passé maître.

718. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

Née au château d’Angoulême le 11 avril 1492, deux ans avant son frère qui sera François Ier, elle reçut auprès de sa mère Louise de Savoie, devenue veuve de bonne heure, une éducation vertueuse et sévère. […] La petite Margot me ressemble, qui ne veut être malade ; mais ici, m’a-t-on assurée qu’elle a fort bonne grâce et devient plus belle que n’a été Mlle d’Angoulême. […] Ces services rendus par Marguerite furent réels ; mais ce qui est un sujet d’éloges de la part des uns lui devient une source de reproches de la part des autres. […] » Ce c’était moi, répété plusieurs fois et sur plus d’un ton, devient comique comme un mot de la farce de Patelin ou d’une scène de Regnard : mais il y a très peu de ces mots-là dans les contes de Marguerite. […] C’est à ce point précis de la société, et pour ce monde devenu plus chatouilleux, que La Fontaine a donné le précepte encore plus sûrement que l’exemple, en d’agréables vers souvent cités : Qui pense finement et s’exprime avec grâce        Fait tout passer, car tout passe ;        Je l’ai cent fois éprouvé :        Quand le mot est bien trouvé, Le sexe, en sa faveur, à la chose pardonne : Ce n’est plus elle alors, c’est elle encor pourtant.

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