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232. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 14, comment il se peut faire que les causes physiques aïent part à la destinée des siecles illustres. Du pouvoir de l’air sur le corps humain » pp. 237-251

En voilà suffisamment pour concevoir sans peine que l’air doit être sujet à une infinité d’altérations résultantes du mélange des corpuscules qui entrent dans sa composition, qui ne sçauroient être toujours les mêmes, et qui ne peuvent encore y être toujours en une même quantité. On conçoit aussi avec facilité que des altérations differentes ausquelles l’air est exposé successivement, les unes doivent durer plus long-temps que les autres, et que les unes doivent favoriser plus que les autres les productions de la nature.

233. (1860) Ceci n’est pas un livre « Les arrière-petits-fils. Sotie parisienne — Premier tableau » pp. 180-195

Vous concevez que je ne puis vous entendre tous à la fois. […] Vous concevez, il doit avoir une tenue convenable.

234. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VII. De la physique poétique » pp. 221-230

Sans doute ceux du Latium conçurent bien grossièrement l’être, puisqu’ils le confondirent avec l’action de manger. […] Ils conçurent aussi l’idée de subsister c’est-à-dire être debout, être sur ses pieds.

235. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Tel est l’esprit dans lequel fut conçu cet ouvrage. […] Nous concevons comment il les a eues, sans pour cela les excuser. […] On conçoit toujours toute la pensée de l’auteur, rarement on peut en contester la vérité. […] Il n’avait pas assez de force pour concevoir un vaste sujet ; son esprit n’était point frappé de l’ensemble des objets. […] Le panégyrique, ainsi conçu, est, comme on l’a souvent remarqué, un genre essentiellement froid et faux.

236. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

La dernière limite où l’on conçoit Mme de Krüdner possible avec ses facultés complètes et toute la convenance de son développement, c’est la fin du seizième ou le commencement du dix-septième siècle. […] Un grand poëte, le Tasse, sujet à l’illusion comme Mme de Krüdner et idéalement touchant comme elle, dut, ce me semble, offrir à sa pensée, dans le tableau qu’elle essaya, quelques tons de la même harmonie, et je me figure que cette Othilde pouvait être écrite et conçue dans la couleur de Clorinde baptisée. […] Vous n’êtes point captive dans les liens de la mort, comme tout ce qui n’a eu que le domaine du mal pour régner ou pour servir. » Et elle finit en montrant la Croix laissée dans ces lieux comme un autel magnifique qui doit tout rallier, et qui dira : « Ici fut adoré Jésus-Christ par le héros et l’armée chère à son cœur : ici les peuples de l’Aquilon demandèrent le bonheur de la France. » Ces pages expriment clairement en quel sens Mme de Krüdner concevait et conseillait la sainte-alliance ; mais ce qui était son rêve, ce qui fut un moment celui d’Alexandre, se déconcerta bientôt, et s’évanouit en présence des intérêts contraires et des ambitions positives, qui eurent bon marché de ces nobles chimères. […] Le malheur de certaines âmes, le tort de Mme de Krüdner n’est peut-être que d’avoir conçu le beau dans les choses humaines à un certain moment décisif et terrible, où il suffisait, en effet, d’un grand homme pour l’opérer. Mais l’homme a fait faute, et celui qui concevait le rôle n’est plus que visionnaire.

237. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

Comme penseur, il avait quelque chose du démon qui cherche à concevoir l’ange par la force de l’intellect, et qui, malgré ses étonnantes facultés soutire sous le poids de sa nature et aspire à la délivrance. […] C’est dans cette pensée qu’il conçut son Parsifal. […] Involontairement nous songeons à une autre œuvre du même auteur, qui se rapporte au même cycle de légendes, mais conçue dans la force de la jeunesse, comme un rêve de poésie et comme une véritable inspiration. […] » Il faut donc se rappeler que l’esthétique de Wagner tend à poser les lois du drame musical qu’elle conçoit comme l’œuvre d’art suprême, et nullement à édicter des règles générales sur la musique et la poésie. […] Nous ne pouvons concevoir que dans des formes déterminées : nous ne connaissons donc que les phénomènes, jamais les choses, ou plutôt (puisque nous devons faire abstraction de toute forme donnée de perception, donc, aussi, abstraction de la pluralité), la Chose.

238. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

Sur ce point, chrétiennement et toujours raisonnablement, repose toute l’éducation telle que la conçoit Mme de Maintenon et telle qu’elle voulut l’établir à Saint-Cyr : « Inspirer la religion et la raison, c’est là le solide de l’éducation de Saint-Cyr. » — « Le christianisme et la raison, qui est tout ce que l’on veut leur inspirer, sont également bons aux princesses et aux misérables. » Mais ceci demande quelque éclaircissement. […] Il a corrigé le chœur de Saint-Cyr et plusieurs autres endroits… — Quelques années après (1698), quand l’établissement fut en pleine prospérité, les charges s’étant trouvées supérieures aux revenus, il fut question de diminuer le nombre des demoiselles : mais le roi n’y voulut point entendre ; il n’aimait point à resserrer les idées qu’il avait une fois conçues et mises à exécution ; il maintint donc expressément le nombre de deux cent cinquante demoiselles qu’il voulait faire élever dans la maison, et pour qu’on les pût garder jusqu’à vingt ans, c’est-à-dire dans les années les plus périlleuses, il ajouta à la dotation première trente mille livres de revenu. […] Quand elle a ainsi rappelé toutes les conditions imposées et toutes les obligations, ce caractère où se confond le personnage de mère, de sœur aînée et de religieuse, et qui a pour objet de former de pauvres nobles jeunes filles destinées à édifier ensuite des maisons religieuses, mais surtout des familles, et à renouveler le christianisme dans le royaume ; des jeunes filles à qui l’on dit sans cesse : « Rendez-vous à la raison aussitôt que vous la voyez. — Soyez raisonnables, ou vous serez malheureuses. — Si vous êtes orgueilleuses, on vous reprochera votre misère, et si vous êtes humbles, on se souviendra de votre naissance » ; — quand elle a ainsi épuisé la perfection et la beauté de l’œuvre à accomplir, on conçoit que Mme de Maintenon, s’arrêtant devant son propre tableau, ajoute : « La vocation d’une dame de Saint-Louis est sublime, quand elle voudra en remplir tous les devoirs. » Tout ne se fit point en un jour ; il y eut des années de tâtonnement, et même où l’on sembla faire fausse route.

239. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite et fin.) »

Et ainsi, lorsque la prédication de Jésus commençait, lorsque après l’avoir vu, au retour du désert et de sa tentation triomphante, quitter de nouveau sa mère, Marie triste et résignée, on le suivait le long de la mer de Galilée allant recruter des pêcheurs pour disciples ; lorsque dans des scènes très plates et d’un langage délayé, mais assez naïves, on assistait à ces conversations, puis à ces conversions de pêcheurs, de gens de métier, chacun ayant sa physionomie et gardant assez bien son caractère ; lorsque le cortège des Douze se complétait ainsi à vue d’œil, avec sa variété, — parmi eux un seul noble, Barthélemy « en habit de prince », les autres dans leurs habits mécaniques ou de travail, saint Thomas en habit de charpentier, ayant jeté seulement ses outils, et Matthieu le publicain, à son tour, assis d’abord devant sa table, avec ses sacs d’argent rangés dessus, et cependant offrant dans sa maison un repas à Jésus qui l’accepte, — il y avait certainement, à cette suite de scènes familières, un intérêt que l’on conçoit encore très-bien aujourd’hui, et qui consistait dans l’extrême détail, dans le naturel minutieux du développement, dans l’imitation et la copie de la vie. […] En la rapprochant du même type conçu au xiie  siècle, tel qu’on le trouve dans un drame liturgique d’un latin farci, où elle est présentée comme une pécheresse vulgaire et une femme de mauvaise vie, baragouinant du mauvais allemand et chantant du latin grossier, on distinguerait un progrès notable de délicatesse. […] On comprend, on peut mesurer par la scène de notre Mystère le progrès, non littéraire, tout moral, que l’humanité avait fait depuis lors dans la manière de concevoir la pitié chez un dieu.

240. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Sur la reprise de Bérénice au Théâtre-Français »

Le prestige dont parle Voltaire avait cessé, et Geoffroy, qui a le langage un peu cru, nous dit : « Il est constant que Bérénice n’a point fait pleurer à cette représentation, mais qu’elle a fait bâiller ; toutes les dissertations littéraires ne sauraient détruire un fait aussi notoire. » Talma pourtant goûtait ce rôle d’Antiochus ou celui de Titus, tel qu’il le concevait, et il en disait, ainsi que de Nicomède, que c’étaient de ces rôles à jouer deux fois par an, donnant à entendre par là que ce ton modéré, et assez loin du haut tragique, détend et repose32. […] Quatremère de Quincy, a fait comprendre à merveille que les statues, les objets d’art de la Grèce, rangés et classés dans nos musées, n’avaient ni tout leur prix ni leur vrai sens ; que, voués avant tout à une destination publique et le plus souvent sacrée, c’était dans cet encadrement primitif qu’il fallait les replacer en idée et les concevoir. […] On ne conçoit pas, en effet, que la représentation eût été possible sous l’Empire après le divorce ; on y aurait vu trop d’allusions.

241. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

Le genre idyllique, en effet, peut se concevoir d’une manière plus étendue, plus conforme, même dans son idéal, à la réalité de la vie et de la nature. […] Le xviiie  siècle ne concevait rien de plus galant que ce prix-là : ……..Pocula ponam Fagina, caelatum divini opus Alcimedontis La tabatière était alors le meuble indispensable, l’ornement de contenance, la source de l’esprit, fons leporum. […] Dans cette âme imbue des idées philanthropiques de son siècle, les désappointements furent grands, on le conçoit, surtout lorsqu’il eut à exercer des fonctions austères, à maintenir et à distribuer la justice.

242. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

La dépopulation de la France était conçue par la féroce ambition de Robespierre, exécutée par la bassesse de ses agents ; mais cette affreuse idée était admise par l’esprit de parti lui seul, et l’on a dit, sans être un assassin, il y a deux millions d’hommes de trop en France. […] Jamais il ne peut en coûter à l’esprit de parti, d’abandonner des avantages individuels dont on sait la mesure, pour un but tel que cette passion le fait concevoir, pour un but qui n’a jamais rien de réel, de jugé, ni de connu, et que l’imagination revêt de toutes les illusions dont la pensée est susceptible : la démocratie ou la royauté sont le paradis de leurs vrais enthousiastes ; ce qu’elles ont été, ce qu’elles peuvent devenir n’a aucun rapport avec les sensations que leurs partisans éprouvent à leur nom, à lui seul il remue toutes les affections ardentes et crédules dont l’homme est susceptible. […] Cette passion étouffe dans les hommes supérieurs les facultés qu’ils tenaient de la nature, et cette carrière de vérité, indéfinie comme l’espace et le temps, dans laquelle l’homme qui pense jouit d’un avenir sans bornes, atteint un but toujours renaissant ; cette carrière se referme à la voix de l’esprit de parti, et tous les désirs, comme toutes les craintes, vouent à la servitude de la foi les têtes formées pour concevoir, découvrir et juger.

243. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

. — Pour ce qui est des sensations, les spécimens significatifs ont été donnés par les, sensations de la vue et surtout par celles de l’ouïe ; grâce à ces documents et grâce aux récentes découvertes des physiciens et des physiologistes, on a pu construire ou esquisser toute la théorie des sensations élémentaires, avancer au-delà des bornes ordinaires jusqu’aux limites du monde moral, indiquer les fonctions des principales parties de l’encéphale, concevoir la liaison des changements moléculaires nerveux et de la pensée. — D’autres cas anormaux, empruntés également aux aliénistes et aux physiologistes, ont permis d’expliquer le procédé général d’illusion, et de rectification dont les stades successifs constituent nos diverses sortes de connaissances. — Cela fait, pour comprendre la connaissance que nous avons des corps et de nous-mêmes, on a trouvé des indications précieuses dans les analyses profondes et serrées de Bain, Herbert Spencer et Stuart Mill, dans les illusions des amputés, dans toutes les illusions des sens, dans l’éducation de l’œil chez les aveugles-nés auxquels une opération rend la vue, dans les altérations singulières auxquelles, pendant le sommeil, l’hypnotisme et la folie, est sujette l’idée du moi. — On a pu alors entrer dans l’examen des idées et des propositions générales qui composent les sciences proprement dites, profiter des fines et exactes recherches de Stuart Mill sur l’induction, établir contre Kant et Stuart Mill une théorie nouvelle des propositions nécessaires, étudier sur une série d’exemples ce qu’on nomme la raison explicative d’une loi, et aboutir à des vues d’ensemble sur la science et la nature, en s’arrêtant devant le problème métaphysique qui est le premier et le dernier de tous. […] Ainsi les événements physiques ne sont qu’une forme rudimentaire des événements moraux, et nous arrivons à concevoir le corps sur le modèle de l’esprit. […] Un écoulement universel, une succession intarissable de météores qui ne flamboient que pour s’éteindre et se rallumer et s’éteindre encore sans trêve ni fin, tels sont les caractères du monde ; du moins, tels sont les caractères du monde au premier moment de la contemplation, lorsqu’il se réfléchit dans le petit météore vivant qui est nous-mêmes, et que, pour concevoir les choses, nous n’avons que nos perceptions multiples indéfiniment ajoutées bout à bout. — Mais il nous reste un autre moyen de comprendre les choses, et, à ce second point de vue qui complète le premier, le monde prend un aspect différent.

244. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre IV. Poésie lyrique »

Telle qu’elle devint trop vile, avec sa technique compliquée et sa froide insincérité, avec l’insuffisance esthétique de son élégance abstraite et de sa banale distinction, que réparait la nature d’une langue chaude et sonore, la poésie provençale n’en avait pas moins un grand prix : c’était la première fois, depuis les Romains, que la poésie était un art, que le poète concevait un idéal de perfection formelle, et se faisait une loi de la réaliser en son œuvre. […] Si on analyse le contenu de cette forme originale de l’amour dont les Provençaux ont enrichi la littérature, elle repose sur l’idée de la perfection conçue comme s’imposant à la fois à l’intelligence et à la volonté, devenant en en même temps que connaissance, et sur la préférence désintéressée qui fait que le moi subordonne son bien au bien de l’objet aimé, selon l’ordre des degrés de perfection qu’il découvre en soi et dans l’objet. […] Mais il est à noter que si l’Infini, réalisé en l’image d’un Dieu personnel, et pourtant conçu en son incompréhensible et inimaginable essence, peut contenter l’âme qui s’y élance et s’y absorbe, il n’en va pas tout à fait de même de l’amour humain.

245. (1890) L’avenir de la science « XII »

Il y a une merveilleuse grandeur et une profonde philosophie dans la manière dont les anciens Hébreux concevaient le gouvernement de Dieu, traitant les nations comme des individus, établissant entre tous les membres d’une communauté une parfaite solidarité, et appliquant avec un majestueux à-peu-près sa justice distributive. […] Il n’y a là rien à apprendre en fait de vues et d’idées philosophiques et je ne conçois guère, je l’avoue, que le résultat d’une éducation complète soit de savoir par cœur La Bruyère, Massillon, Jean-Baptiste Rousseau, Boileau, qui n’ont plus grand-chose à faire avec nous, et qu’un jeune homme puisse avoir terminé ses classes sans connaître Villemain, Guizot, Thiers, Cousin, Quinet, Michelet, Lamartine, Sainte-Beuve. […] On conçoit d’après cela un état où écrire ne formerait plus un droit à part, mais où des masses d’hommes ne songeraient qu’à faire entrer dans la circulation telles ou telles idées, sans songer à y mettre l’étiquette de leur personnalité.

246. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Madame Récamier. » pp. 121-137

Elle ne concevait point de parfait bonheur hors du devoir ; elle mettait l’idéal du roman là où elle l’avait si peu rencontré, c’est-à-dire dans le mariage ; et plus d’une fois en ses plus beaux jours, au milieu d’une fête dont elle était la reine, se dérobant aux hommages, il lui arriva, disait-elle, de sortir un moment pour pleurer. Telle je la conçois dans le monde et dans le tourbillon, avant la retraite. […] Cousin sur Madame de Sablé, 1854, fin du chapitre ier , p. 63 : « Elle avait, dit-il de Mme de Sablé, de la raison, une grande expérience, un tact exquis, une humeur agréable. — Quand je me la représente telle que je la conçois d’après ses écrits, ses lettres, sa vie, ses amitiés, à moitié dans la solitude, à moitié dans le monde, sans fortune et très en crédit, une ancienne jolie femme à demi retirée dans un couvent et devenue une puissance littéraire, je crois voir, de nos jours, Mme Récamier à l’Abbaye-aux-Bois. »

247. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre troisième. L’appétition »

Primitivement, nous ne désirons pas les choses parce qu’elles sont conçues bonnes ou agréables en elles-mêmes, indépendamment de notre désir, mais nous les concevons bonnes et agréables, comme dit Spinoza, parce que nous les désirons. […] On ne peut donc, en dernière analyse, concevoir le sujet voulant et pensant que comme une action.

248. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

L’affabulation à mettre là-dedans me faisait si peu, que, quelques jours avant de me mettre à écrire le livre, j’avais conçu Madame Bovary tout autrement. […] Le poète se laissera aller peu à peu à chercher ses sujets en dehors du monde véritable ; tout au moins, il se plaira à exagérer jusqu’à l’outrance, à concevoir les fantaisies les plus tourmentées, et ce sera même une de ses tendances habituelles. […] Pour le croyant, accoupler l’idée d’une jouissance essentiellement fugitive et l’idée de douleurs atroces et sans fin, c’était réaliser l’antithèse la mieux déterminée qui se puisse concevoir. […] Nous savons que leur façon d’écrire consistait à méditer et à arrêter ensemble le sujet d’un chapitre, pour l’exécuter divisément et refondre ensuite leurs premiers essais en une épreuve définitive aussi parfaite qu’ils pouvaient la concevoir. […] Ses ouvrages de jeunesse, demeurés longtemps inédits, indiquent assez, par le peu que nous en savons, par les quelques fragments publiés, par leur titre seul, dans quel esprit ils ont été conçus et à quelle catégorie ils appartiennent.

249. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIII : Affinités mutuelles des êtres organisés »

Cet exemple me paraît donner une idée assez juste de l’esprit selon lequel nos classifications doivent quelquefois être conçues. […] On conçoit aisément que les caractères dérivés de l’embryon doivent être de la même importance que ceux qu’on emprunte à l’adulte : naturellement nos classifications doivent comprendre tous les âges des individus de chaque espèce. […] Si nous supposons que l’animal progéniteur de tous les mammifères, et ce qu’on pourrait appeler leur archétype, ait eu les membres construits d’après le plan général actuel, quel qu’ait été alors l’usage auquel ils servissent, nous pouvons concevoir du premier coup la signification toute naturelle de la structure homologue des membres chez tous les représentants de la classe. […] Néanmoins, on peut concevoir que le plan général d’un organe ait pu s’altérer au point de se perdre complétement par l’atrophie de plus en plus marquée et finalement par la résorption complète de certaines parties, ou par la soudure, la réduplication ou la multiplication des autres, variations que nous savons être toutes dans les limites du possible. […] Enfin l’importance des caractères embryologiques et des organes rudimentaires en matière de classification est aisée à concevoir, en partant de ce point de vue qu’une classification n’est naturelle qu’autant qu’elle est généalogique.

250. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXIX » pp. 319-329

Madame Scarron tut sans folie concevoir l’espérance de loucher le cœur du monarque, et surtout en concevoir le désir ; et madame de Montespan dut ressentir, dans son âme altière, une secousse de jalousie qui ne pouvait manquer d’avoir des suites.

251. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 29, qu’il est des païs où les ouvrages sont plûtôt apprétiez à leur valeur que dans d’autres » pp. 395-408

Concevons-nous aujourd’hui qu’on ait mis durant un temps Monsieur Mignard à côté de Monsieur Le Brun ? […] Il ne sçauroit concevoir tout le prix de l’ouvrage qu’après l’avoir vû plusieurs fois, ni lui donner la préeminence dont il est digne, qu’après avoir comparé durant un temps le plaisir qu’il lui fait, avec le plaisir que lui font ces ouvrages excellens qu’une longue approbation a consacrez.

252. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Avellaneda »

Mais, comme les plus gracieux convolvulus peuvent jeter leurs clochettes d’argent et d’azur sur les toits de chaume ou d’argile, comme les chèvrefeuilles peuvent tordre leurs couleuvres de fleurs autour d’un tronc mort et rabougri, M. de Lavigne, avec beaucoup de goût et d’adresse, a caché les indigences de son auteur sous les élégances d’une traduction faite avec un soin plus que pieux… On le concevrait le lendemain de la tentative d’Avellaneda, quand, dans l’air qu’avaient traversé les types de Cervantes, brûlaient encore les flammes de son inspiration. […] à ce moment, on concevrait qu’on passât une tunique de soie au cadavre qui n’eût pas froidi et qu’on piquât des roses sur le drap funèbre d’un cercueil.

253. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre II. Des éloges religieux, ou des hymnes. »

Dans ces temps d’effroi, les hymnes durent être animées par l’imagination et respirer l’enthousiasme ; car l’homme aux prises avec la nature conçoit des idées plus grandes par la vue de sa faiblesse même ; alors tout s’exagère à ses yeux ; ses expressions s’élèvent avec ses idées, il peint tout avec force, il emprunte de toute la nature des images pour louer celui à qui la nature est soumise. […] Mais comment l’esprit humain osa-t-il concevoir le projet de louer Dieu ?

254. (1904) Zangwill pp. 7-90

La belle antiquité conçut avec raison l’immolation de l’animal destiné à être mangé comme un acte religieux. […] « Parfois, je conçois ainsi Dieu comme la grande fête intérieure de l’univers, comme la vaste conscience où tout se réfléchit et se répercute. […] « Oui, je conçois la possibilité de la résurrection, et je me dis souvent comme Job : Reposita est hæc spes in sinu meo. […] On conçoit ainsi une conscience qui résume toutes les autres, même passées, qui les embrasse en tant qu’elles ont travaillé au bien, à l’absolu. […] Ajoutons que si le mouvement a existé de toute éternité, on ne conçoit pas que le monde n’ait pas atteint le repos, l’uniformité et la perfection.

255. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

L’amour ainsi conçu touche de près à la folie, car il paralyse, il anéantit toutes les facultés. […] Une argumentation ainsi conçue n’est certainement pas à l’abri de toute blessure et serait frappée à mort par le premier coup sérieux. […] Valtone, George et Henri, sont conçus très simplement, et agissent de façon à ne jamais violer les lois de la vraisemblance. […] Valtone, conçus aussi simplement que Noëmi et Marianna, ne sont pas dessinés avec une moindre habileté. […] Ces deux récits, conçus dans de moindres proportions, offrent la même élégance, la même clarté, le même intérêt.

256. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Se représenter le néant consiste ou à l’imaginer ou à le concevoir. […] On nous accordera que nous n’imaginons pas une abolition de tout, mais on prétendra que nous pouvons la concevoir. […] L’idée d’abolition n’est donc pas une pure idée ; elle implique qu’on regrette le passé ou qu’on le conçoit regrettable, qu’on a quelque raison de s’y attarder. […] Ainsi s’implante en nous l’idée que la réalité comble un vide, et que le néant, conçu comme une absence de tout, préexiste à toutes choses en droit, sinon en fait. […] Il nous semble qu’une certaine perfection étant donnée, toute la continuité des dégradations est donnée aussi entre cette perfection, d’une part, et d’autre part le néant que nous nous imaginons concevoir.

257. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

Il eût conçu, il a conçu la chose autrement ; mais je préfère cette manière-ci. […] Gérome a été enlevée ; elle subissait une crise heureuse quand elle a conçu son César seul, étendu devant son trône culbuté, et ce cadavre de Romain qui fut pontife, guerrier, orateur, historien et maître du monde, remplissant une salle immense et déserte. […] Je sais bien que l’imagination humaine peut, par un effort singulier, concevoir un instant la nature sans l’homme, et toute la masse suggestive éparpillée dans l’espace sans un contemplateur pour en extraire la comparaison, la métaphore et l’allégorie. […] Mais, en supposant qu’il n’y ait pas trop d’injustice dans ce reproche, il faut remarquer que nos expositions de peinture ne sont pas propices à l’effet des bons tableaux, surtout de ceux qui sont conçus et exécutés avec sagesse et modération. […] Quel cerveau bien portant peut concevoir sans horreur une peinture en relief, une sculpture agitée par la mécanique, une ode sans rimes, un roman versifié, etc. ?

258. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre V : Lois de la variabilité »

On pourrait citer des cas où la même variété s’est reproduite sous des conditions de vie aussi différentes qu’on peut le concevoir, et, d’autre côté, différentes variétés sont parfois dérivées de la même espèce sous des conditions toutes semblables, au moins en apparence. […] S’il en est ainsi, on conçoit donc que la sélection naturelle vienne constamment en aide au défaut d’exercice pour rendre l’atrophie de l’œil de plus en plus complète. […] On conçoit, en effet, que des graines ne puissent devenir graduellement ailées par sélection naturelle, que si les fruits qui les produisent s’ouvrent d’eux-mêmes. […] On conçoit aisément, en effet, que de rares individus de la Bathyscia aveugle des cavernes aient pu accidentellement en sortir par quelque fissure, et qu’ils se soient multipliés au dehors, dans des endroits sombres qui leur rappellent un peu les conditions de vie de leurs ancêtres, et où ils sont exposés à une concurrence moins vive de la part de rivaux ou d’ennemis clairvoyants. […] Maison conçoit que dans les caractères de grande importance physiologique la sélection naturelle doit souvent avoir à détruire.

259. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre II. Les sensations totales de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher et leurs éléments » pp. 189-236

On peut en concevoir de plusieurs sortes. — Elles peuvent être anatomiques : telle est la réponse des physiologistes précédents, de Landry, de Brown-Séquard, de Lhuys. […] Enfin, si l’on suit jusqu’au bout les analogies, on arrive à concevoir la sensation excitée par chaque onde élémentaire éthérée sur le modèle de la sensation excitée par chaque onde élémentaire aérienne, c’est-à-dire comme une série infinie de sensations successives infiniment courtes et croissantes d’un minimum à un maximum à travers une infinité de degrés. […] Cette analyse dégage trois principes importants. — Le premier est que deux sensations successives qui, séparées, sont nulles pour la conscience, peuvent, en se rapprochant, former une sensation totale que la conscience aperçoit. — Le second est qu’une sensation indécomposable pour la conscience, et en apparence simple, est un composé de sensations successives et simultanées, elles-mêmes fort composées. — Le troisième est que deux sensations de même nature et qui diffèrent seulement par la grandeur, l’ordre et le nombre de leurs éléments, apparaissent à la conscience comme irréductibles entre elles et douées de qualités spéciales absolument différentes. — Armés de ces trois principes, nous concevons la nature et la diversité des sensations des autres sens. […] Nous concevons, d’après les trois principes posés, que les sensations élémentaires des cinq sens peuvent être elles-mêmes des totaux composés des mêmes éléments, sans autre différence que celle du nombre, de l’ordre et de la grandeur de ces éléments, et que, partant, comme les diverses sensations de l’ouïe ou de la vue, elles peuvent se réduire à un type unique. […] Une particule avait telle situation par rapport aux autres ; cette situation change, rien de plus ; au bout des toutes les sciences qui traitent des corps, on n’aperçoit jamais que la mécanique ; en sorte que les diverses actions nerveuses qui provoquent les diverses sensations ne peuvent être conçues que comme des systèmes de mouvements : ainsi toutes ces actions, diverses en quantité, sont les mêmes en qualité

260. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

Quand nous concevons tel homme vivant, Pierre, Paul, ou nous-mêmes, quelle idée y a-t-il en nous, et de quels éléments se compose cette idée ? […] Si à certains égards, eux et moi, nous avons changé, à d’autres égards, eux et moi, nous n’avons pas changé, et je conçois en eux comme en moi quelque chose qui est resté fixe. […] Si nous ne sommes pas détrompés par une analyse sévère, nous tombons dans l’illusion métaphysique ; nous sommes enclins à le concevoir comme une chose distincte, stable, indépendante de ses modes et même capable de subsister après que la série d’où il est tiré a disparu. […] Il faut en outre que nous acquérions l’idée des pouvoirs, capacités ou facultés de cette substance ; partant, que nous classions nos événements selon leurs diverses espèces ; que, par l’expérience plus ou moins prolongée, nous démêlions leurs conditions externes et internes ; que, constatant ou présumant la présence des conditions, nous concevions ces événements comme possibles, et enfin que, isolant cette possibilité, nous nous l’attribuions sous le nom de pouvoir, capacité ou faculté. — L’idée du moi est donc un produit ; à sa formation concourent beaucoup de matériaux diversement élaborés. […] Nous frappons un chien, et aussitôt nous l’entendons crier ; entre cette condition de douleur et ce signe de douleur perçus tous deux avec certitude, nous insérons, par conjecture, une douleur semblable à celle que nous aurions ressentie en pareil cas. — Grâce à ces suggestions et à ces vérifications continues, l’univers extérieur, qui n’était encore peuplé que de corps, se peuple aussi d’âmes, et le moi solitaire conçoit et affirme autour de lui une multitude d’êtres plus ou moins pareils à lui.

261. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre premier. Les caractères généraux et les idées générales. » pp. 249-295

Lorsque Oken, rencontrant un squelette de mouton, imagina que le crâne est un composé de vertèbres élargies et soudées, lorsque Goethe, observant des étamines pétaloïdes, supposa que tous les organes de fleur sont des feuilles transformées, lorsque Newton, voyant une pomme tomber, conçut la lune comme un corps pesant qui tend aussi à tomber sur la terre, ils répétaient l’opération mentale et retrouvaient le ravissement du petit garçon qui, voyant des chiens sur l’abat-jour, criait oua-oua. — Entre une vertèbre et le crâne, entre la feuille verte et un pistil ou une étamine, entre la pomme qui tombe et la lune qui chemine dans le ciel, entre le chien de chair et aboyant et la petite figure de l’abat-jour, la dissemblance est énorme ; il semble que les deux représentations diffèrent du tout au tout. […] Sur cette indication de l’expérience, nous n’avons pas de peine à concevoir un mobile absolument homogène, analogue à un pur solide géométrique, partant divisible en deux moitiés composées chacune du même nombre de particules toutes exactement semblables. […] Ainsi naît notre dernière idée élémentaire, celle de la masse, qui se trouve être une quantité comme la vitesse, et désormais nous mesurons la force de deux façons, soit par la grandeur de la masse à qui elle imprime telle vitesse, soit par la grandeur de la vitesse qu’elle imprime à telle masse. — Avec ces éléments, notés au moyen de lignes, de chiffres et de mots, nous pouvons construire une infinité de composés mentaux différents, concevoir d’abord un mobile en repos auquel ne s’applique aucune force, puis un mobile en repos auquel s’applique une force, ensuite, par une complication plus grande, imaginer un mobile auquel s’appliquent deux ou plusieurs forces égales ou inégales, qui le dirigent sur la même ligne dans un même sens ou dans des sens contraires, ou qui le dirigent sur des lignes différentes, etc. […] De même enfin, nous concevons de l’eau ou de l’oxygène absolument purs, du platine ou du plomb exempts de tout alliage, sans être sûrs qu’en aucun cas la nature les fournisse ou que l’art les obtienne tels que nous les concevons. — Parmi les types mentaux ainsi fabriqués, il y en a qui nous intéressent plus particulièrement ; ce sont ceux auxquels nous souhaitons que les choses se conforment, et dans ce cas le besoin de conformité devient pour nous un ressort d’action. Nous construisons l’utile, le beau et le bien, et nous agissons de manière à rapprocher les choses, autant que possible, de nos constructions. — Par exemple, étant données des pierres éparses et brutes, nous les supposons équarries, transportées, empilées à l’endroit où nous voulons habiter, et, conformément à l’idée du mur ainsi construit, nous construisons le mur réel qui nous préservera du vent. — Étant donnés les hommes qui vivent autour de nous, nous sommes frappés d’une certaine forme générale qui leur est propre ; nous remarquons à un plus haut degré, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, les signes extérieurs de telle qualité ou disposition bienfaisante pour l’individu ou pour l’espèce, agilité, vigueur, santé, finesse ou énergie93 ; nous recueillons par degrés tous ces signes ; nous souhaitons contempler un corps humain en qui les caractères que nous jugeons les plus importants et les plus précieux se manifestent par une empreinte plus universelle et plus forte, et, s’il se trouve un artiste chez qui ce groupe de conditions conçues aboutisse à une image expresse, à une représentation sensible, à une demi-vision intérieure, il prend un bloc de marbre et y taille la forme idéale que la nature n’a pas su nous montrer. — Enfin, étant donnés les divers motifs qui poussent les hommes à vouloir, nous constatons que l’individu agit le plus souvent en vue de son bien personnel, c’est-à-dire par intérêt, souvent en vue du bien d’un autre individu qu’il aime, c’est-à-dire par sympathie, très rarement en vue du bien général, abstraction faite de son intérêt ou de ses sympathies, sans plus d’égard pour lui-même ou pour ses amis que pour tout autre homme, sans autre intention que d’être utile à la communauté présente ou future de tous les êtres sensibles et intelligents.

262. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Ainsi déjà l’avait conçu De Maistre, lorsqu’au début de ses Considérations il disait : « Ce qu’il y a de plus frappant dans la Révolution française, c’est cette force entraînante qui courbe tous les obstacles. […] Nous dirons tout à l’heure comment il conçoit ce système dans son universalité ; mais, à cette époque et en cette crise de notre révolution, cela lui devenait plus évident encore. […] L’homme, il faut bien se le dire, n’atteint en rien la réalité, le fond même des choses, pas plus en histoire que dans le reste ; il n’arrive à concevoir et à reproduire que moyennant des méthodes et des points de vue qu’il se donne. […] Nous avons à dire quelques mots des principaux écrits que nous venons d’énumérer ; mais, avant tout, nous parlerons de la manière dont M.Mignet conçoit en général l’histoire elle-même.

263. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre IV. L’espace et ses trois dimensions. »

Est-il impossible de concevoir les phénomènes physiques, les phénomènes mécaniques, par exemple, autrement que dans l’espace à trois dimensions ? […] Quoi que l’on doive penser de cette hypothèse, qu’on soit séduit par sa simplicité, ou rebuté par son caractère artificiel, le seul fait que Hertz ait pu la concevoir, et la regarder comme plus commode que nos hypothèses habituelles, suffit pour prouver que nos idées ordinaires, et, en particulier, les trois dimensions de l’espace, ne s’imposent nullement au mécanicien avec une force invincible. […] Néanmoins, ce n’est qu’une association et on peut concevoir qu’elle soit rompue ; de sorte qu’on ne peut pas dire que la sensation ne peut entrer dans la conscience sans entrer dans l’espace, mais qu’en fait elle n’entre pas dans la conscience sans entrer dans l’espace, ce qui veut dire, sans être engagée dans cette association. […] Si, en effet, j’ai bien compris la théorie, il me suffira de l’exposer pour qu’on comprenne qu’il est impossible de concevoir une expérience qui la confirme.

264. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Tout le monde conçoit sans peine que, si les hommes chargés d’exprimer le beau se conformaient aux règles des professeurs-jurés, le beau lui-même disparaîtrait de la terre, puisque tous les types, toutes les idées, toutes les sensations se confondraient dans une vaste unité, monotone et impersonnelle, immense comme l’ennui et le néant. […] Renversez la proposition, et tâchez de concevoir un beau banal ! Or, comment cette bizarrerie, nécessaire, incompressible, variée à l’infini, dépendante des milieux, des climats, des mœurs, de la race, de la religion et du tempérament de l’artiste, pourra-t-elle jamais être gouvernée, amendée, redressée, par les règles utopiques conçues dans un petit temple scientifique quelconque de la planète, sans danger de mort pour l’art lui-même ? […] De l’empereur Napoléon j’aurais bien envie de dire que je n’ai point retrouvé en lui cette beauté épique et destinale dont le dotent généralement ses contemporains et ses historiens ; qu’il m’est pénible de ne pas voir conserver le caractère extérieur et légendaire des grands hommes, et que le peuple, d’accord avec moi en ceci, ne conçoit guère son héros de prédilection que dans les costumes officiels des cérémonies ou sous cette historique capote gris de fer, qui, n’en déplaise aux amateurs forcenés du style, ne déparerait nullement une apothéose moderne.

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