C’était un abandon volontaire des réformes promises par les républicains avant leur arrivée au pouvoir ; c’était, sous l’étiquette équivoque d’opportunisme, le dessein bien arrêté de subordonner toute application de principes à l’intérêt du moment ; c’était, par crainte des aventures et de l’inconnu, une prédilection avouée pour une politique d’affaires qui risquait fort de dégénérer en une politique d’expédients. […] Et le philosophe de s’écrier : « Messieurs, parlons de l’éléphant ; c’est la seule bête un peu considérable dont il soit permis de parler. » L’histoire du xviiie siècle est pleine d’écrivains arrêtés ou exilés, d’ouvrages mis au pilon, lacérés, brûlés par la main du bourreau : l’Eglise et l’Etat, la Sorbonne et les Parlements collaboraient il cet étouffement.
Charlemagne arrête le soleil comme Josué ; il a un ange à ses côtés qui le guide de ses conseils ; il reçoit du ciel des songes qui l’avertissent de ses périls futurs ! […] Mais je m’arrête : j’en ai dit assez pour indiquer de quelles teintes diverses la même secte, suivant qu’elle est triomphante ou traquée, militante ou apaisée, peut colorer les œuvres littéraires composées sous son influence.
D’autre part, de même que dans la marche d’un fleuve, à côté du grand courant qui entraîne la masse clés eaux vers la mer, il se produit sur les bords ou dans les profondeurs des remous et des contre-courants, de même dans l’évolution d’une société, à côté de la tendance maîtresse qui est suivie par le gros des esprits, il existe aussi des tendances secondaires qui la contrarient et la limitent sans pouvoir l’arrêter. […] La monarchie absolue, incarnée dans le grand roi, leur paraît le but grandiose vers lequel la France n’a cessé de s’acheminer depuis Clovis ; et maintenant qu’elle y est arrivée, elle n’a plus qu’à s’y arrêter pour toujours.
On frise à tout moment le mot vif, le mot propre, et on s’arrête à temps. […] À bien étudier pourtant sa manière à froid et sans plus de prévention politique, sans rien apporter à cette lecture d’étranger à l’œuvre même, j’en suis venu à croire qu’il est plutôt heureux pour lui d’avoir rencontré sur son chemin tous ces petits canaux et jets d’eau et ricochets de chanson, qui ont l’air de l’arrêter et qui font croire à plus d’abondance et de courant naturel dans sa veine qu’elle n’en aurait peut-être, en effet, livrée à elle seule.
Quand une chose ou un homme lui déplaisait, ou ne valait pas la peine qu’il s’y arrêtât plus longtemps, il se détournait et portait son regard ailleurs dans ce vaste univers où il n’avait qu’à choisir ; non pas indifférent, mais non pas attaché ; curieux avec insistance, avec sollicitude, mais sans se prendre au fond ; bienveillant comme on se figure que le serait un dieu ; véritablement olympien : ce mot-là, de l’autre côté du Rhin, ne fait pas sourire. […] Ravi de sa façon d’écouter et de son approbation franche et naïve, il la reconduisit jusque chez elle, et il lui disait mille choses de l’art en chemin : Il parlait si haut et s’arrêtait si souvent, raconte-t-elle, qu’il fallait du courage pour rester à l’écouter ; mais ce qu’il disait était si inattendu, si passionné, que j’oubliais que nous étions dans la rue.
Quand on fut en vue du camp, malgré la défense expresse que la reine avait faite que personne ne la précédât, Mme de La Vallière n’y put tenir, et elle fit courir son carrosse à toute bride à travers champs, tout droit au lieu où elle croyait trouver le roi : « la reine le vit ; elle fut tentée de l’envoyer, arrêter et se mit dans une effroyable colère ». […] « Celui qui aime, court, vole et se réjouit ; il est libre et rien ne l’arrête. » C’est l’Imitation de Jésus-Christ qui le dit : Mme de La Vallière, qui avait si bien senti cela dans l’ordre des sentiments humains, put bientôt se le redire à elle-même dans la suite de son progrès céleste.
. — Croyez-moi, monsieur le marquis, si ce n’est qu’ainsi qu’on veut m’arrêter, ma course n’est pas finie, car je suis ennuyé plutôt que las, et las plutôt que découragé ou blessé ; et si l’on continue à me nier le mouvement, pour toute réponse je marcherai. […] Mirabeau, à chaque fois, ne cesse de sonner le tocsin pour réveiller la Cour de sa torpeur, le roi de son inertie, pour amener la reine à mettre à ses idées autant de suite qu’elle y met de cœur : Quatre ennemis arrivent au pas redoublé, écrit-il à la date du 13 août 1790, l’impôt, la banqueroute, l’armée, l’hiver… Encore une fois, c’est la conception d’un grand plan qu’il faut arrêter, et pour cela il faut avoir un but déterminé.
Un jour, au siège devant Gravelines, les maréchaux de Gassion et de La Meilleraye, qui commandaient, avaient eu querelle, et leur démêlé allait jusqu’à partager l’armée : leurs troupes étaient près d’en venir aux mains lorsque le marquis de Lambert, alors simple maréchal de camp, se jeta entre les deux partis et ordonna aux troupes, de la part du roi, de s’arrêter : « Il leur défendit de reconnaître ces généraux pour leurs chefs. […] On croit sentir en plus d’un de ses conseils un commencement d’aveu et comme une expérience arrêtée à temps : Il y a à chaque dérèglement du cœur une peine et une honte attachées qui vous sollicitent à le quitter.
Mais toutes ces intentions premières furent interceptées et arrêtées avant le temps par le malheur des circonstances, et surtout par l’esprit du siècle dans lequel Rivarol vécut trop et plongea trop profondément pour pouvoir ensuite, même à force d’esprit, s’en affranchir. […] Il les montre possédés d’une manie d’analyse qui ne s’arrête et ne recule devant rien, qui porte en toute matière sociale les dissolvants et la décomposition : Dans la physique, ils n’ont trouvé que des objections contre l’Auteur de la nature ; dans la métaphysique, que doute et subtilités ; la morale et la logique ne leur ont fourni que des déclamations contre l’ordre politique, contre les idées religieuses et contre les lois de la propriété ; ils n’ont pas aspiré à moins qu’à la reconstruction du tout, par la révolte contre tout ; et, sans songer qu’ils étaient eux-mêmes dans le monde, ils ont renversé les colonnes du monde… Que dire d’un architecte qui, chargé d’élever un édifice, briserait les pierres, pour y trouver des sels, de l’air et une base terreuse, et qui nous offrirait ainsi une analyse au lieu d’une maison ?
Marmont dépêche, à la minute, un aide de camp et va partir lui-même pour tout arrêter, lorsqu’un autre officier survient annonçant que le 6e corps doit être, en ce moment, arrivé à Versailles, et qu’il est trop tard. […] Laffitte, celui même qui avait parlé si vivement pour les Bourbons le soir du 30 mars 1814 dans le salon du maréchal, rue Paradis-Poissonnière, s’adressant à lui encore, lui dit : « Monsieur le maréchal, nous venons nous adresser à un général qui a le cœur français, pour lui demander de faire cesser l’effusion du sang. » Le maréchal répondit qu’il était prêta arrêter le feu des troupes si les hostilités cessaient du côté des habitants.
J’avais lu et entendu répéter que de tous les moyens d’orner l’esprit et de former le jugement, le plus efficace était de voyager : j’arrêtai le plan d’un voyage ; le théâtre me restait à choisir : je le voulais nouveau, ou du moins brillant. […] Croirait-on qu’après s’être arrêté très au long sur les ruines de Balbek et de Palmyre, il continue en ces termes : « À deux journées au sud de Nâblous, en marchant par des montagnes qui, à chaque pas, deviennent plus rocailleuses et plus arides, l’on arrive à une ville qui, comme tant d’autres que nous avons parcourues, présente un grand exemple de la vicissitude des choses humaines. » Cette ville qui est, selon lui, comme tant d’autres, c’est Jérusalem.
Et si ces mémoires étaient fabriqués, pourquoi s’arrêteraient-ils en chemin ? […] Seulement, alors je croyais à une suite autographe des Mémoires, peut-être perdue, peut-être enfouie dans quelque collection inconnue ; à l’heure présente je n’y crois plus guère ; je suis presque convaincu que la paresseuse artiste, que l’écriture n’amusait pas, s’est arrêtée à la quatorzième page, et que les mémoires manuscrits que j’ai entre les mains, — sauf le commencement, — par un certain Talbot, sur la commande de Loiseau, n’ont pas été rédigés, dis-je, sur un brouillon de la chanteuse, mais bien d’après ses confidences et ses conversations.
. — Il était homme à ne reculer devant rien, à n’être arrêté par aucun scrupule. — Aveuglé par son amour paternel, C… ne suivit pas les progrès incessants du mal, cette gangrène morale qui s’empare du cerveau d’abord pour descendre ensuite au cœur. — Il faut que jeunesse se passe. » Voilà le genre. […] Il y a donc deux classes de clichés, ceux qui représentent des images dont l’évolution, entièrement achevée, les a menés à l’abstraction pure ; et ceux dont la marche vers l’état abstrait s’est arrêtée à moitié chemin, — parce qu’ils n’avaient reçu à l’origine qu’un organisme inférieur et une forme médiocre, parce qu’ils manquaient d’énergie et de beauté.
C’est s’arrêter à la superficie des choses que d’y voir seulement des effets à saisir et à rendre, de confondre la nature avec un musée, de lui préférer même au besoin un musée. » Le grand art est celui qui traite la nature et la vie « non en illusions, mais en réalités », et qui sent en elles le plus profondément « non pas ce que l’art humain peut le mieux rendre, mais ce qu’il peut au contraire le plus difficilement traduire, ce qui est le moins transposable en son domaine. […] Il y a de la poésie dans la rue par laquelle je passe tous les jours et dont j’ai, pour ainsi dire, compté chaque pavé, mais il est beaucoup plus difficile de me la faire sentir que celle d’une petite rue italienne ou espagnole, de quelque coin de pays exotique. » Il s’agit de rendre de la fraîcheur à des sensations fanées, « de trouver du nouveau dans ce qui est vieux comme la vie de tous les jours, de faire sortir l’imprévu de l’habituel ; » et pour cela le seul vrai moyen est d’approfondir le réel, d’aller par-delà les surfaces auxquelles s’arrêtent d’habitude nos regards, d’apercevoir quelque chose de nouveau là où tous avaient regardé auparavant. « La vie réelle et commune, c’est le rocher d’Aaron, rocher aride, qui fatigue le regard ; il y a pourtant un point où l’on peut, en frappant, faire jaillir une source fraîche, douce à la vue et aux membres, espoir de tout un peuple : il faut frapper à ce point, et non à côté ; il faut sentir le frisson de l’eau vive à travers la pierre dure et ingrate. » Guyau passe en revue et analyse finement les divers moyens d’échapper air trivial, d’embellir pour nous la réalité sans la fausser ; et ces moyens constituent « une sorte d’idéalisme à la disposition du naturalisme même ».
Avec ces éléments, en puisant au trésor poétique de toute une race, il a composé ses œuvres les plus pures, les plus impersonnelles, les plus lues en Allemagne, des lieds vagues et charmants que pénètre toute la songerie diffuse et la mélancolie des populations du Nord, de merveilleuses petites pièces, d’un dessin moins arrêté que les quelques joyaux de l’Anthologie, mais plus émues et d’un chant plus profond. […] Le poète raconte la joie des premières adorations, un cœur débordant prenant à témoin de sa félicité le printemps et le monde ; des doutes arrêtent cet essor passionné ; la bien-aimée est plus belle que bonne ; ses perfidies détruisent une à une toutes les promesses de ses yeux ; l’amant, abîmé de douleur, ne pouvant être aussi oublieux que sa maîtresse, se plaît à aigrir sa souffrance par ces éternelles plaintes qu’échangent les amants déçus.
Arrêtons-nous sur ce mot. […] Après quoi, ils s’arrêteront.
Quelques-uns essayent d’arrêter cette progression aux questions métaphysiques et spéculatives, comme ils les appellent, et voudraient sauver la morale ; mais c’est une contradiction, et d’après l’échelle précédente on sera forcé de dire que celui qui nie la morale est plus libre penseur que celui qui l’affirme ; par la même raison, celui qui nie tout principe en politique sera plus libre penseur que celui qui en reconnaît quelques-uns, par exemple la liberté et la justice. […] Il est, dit-on, une limite où la pensée doit nécessairement s’arrêter : c’est lorsqu’elle rencontre la parole divine, l’autorité de la révélation.
Quand on considére une grande partie des difficultés que cet auteur avoit entrepris de résoudre, on n’en trouve guéres qui puissent arrêter aujourdhui un François instruit de sa langue. […] Un défaut d’ailleurs remarquable dans le Dictionnaire de le Roux, & dans les autres où l’on rapporte nos proverbes, c’est qu’on s’arrête à expliquer certaines façons de parler, certains proverbes si intelligibles, qu’ils s’entendent d’eux-mêmes ; & qu’on en abandonne à la pénétration du lecteur, d’autres dont l’intelligence est beaucoup plus difficile.
En scandant, par exemple, les vers hexamètres, nous nous arrêtons sur la dernière syllabe des dactyles ; cependant cette dernière syllabe est une brève ; c’est comme si dans une mesure composée d’une noire et de deux croches, on s’arrêtait et on appuyait sur la dernière croche ; on scande nos vers comme si les dactyles au lieu d’être une longue suivie de deux brèves, étaient deux brèves suivies d’une longue.
Si nous pouvions nous arrêter à des détails, nous aurions ici quelques remarques singulières à faire sur la solennité de Balzac, qui n’a point été égalée, sur la magnificence du style de Buffon, et la plénitude de celui de Thomas ; tentatives plus ou moins heureuses du génie de la langue française qui s’agitait dans les liens de la prose. […] Sans passé, sans avenir, son regard s’est arrêté sur un seul moment.
Il se trouble, vacille et s’arrête, et de ce trouble et de cette ignorance il résulte un dommage immense pour le poème. […] Et comme cette poésie de l’expression enivrée, ne saurait, sans entrer dans une sphère qui ne serait plus la sienne, être dépassée, fût-ce par celui qui l’a produite avec cette supériorité d’exécution, de verve et de souplesse, il faut nécessairement s’arrêter et ne plus vouloir y ajouter encore par des tentatives qui fausseraient la conception de cette poésie, et même de toute poésie.
M. de Lamartine, dans de fort belles méditations et dans sou dernier chant de Childe-Harold, avait point à merveille les grands traits des horizons et des paysages, l’idéal en quelque sorte élyséen de ce ciel, de cette mer de Naples, de cette éternelle enchanteresse au sein de laquelle l’auteur des Martyrs nous avait déjà introduits un moment avec saint Augustin, Jérôme et Eudore ; mais dans ces harmonieux tableaux de M. de Lamartine, les hommes avec leurs variétés et leurs contrastes, les monuments avec leurs caractères, n’étaient pas touchés : la nature envahissait tout, et encore la nature dans sa plus vague plénitude, sans contours arrêtés, sans détails curieux et distincts, telle en un mot qu’elle se réfléchit dans un cœur que remplit l’amour ; ce n’étaient que chauds soleils, aubes blanchissantes, comme dans Claude Lorrain, firmaments étoilés, murmures, vapeurs et ombrages.
Mais vous m’avez trop généreusement donné de votre temps pour que je veuille vous en dérober ; et j’aime mieux, monsieur, employer le reste de cette lettre à vous dire combien, sous d’autres rapports que ceux qui frapperont tout le monde, il m’est précieux d’avoir un moment arrêté votre attention.
Nous avons insisté sur ce poème, parce que l’éclat et la multiplicité des détails auraient pu dérober au lecteur l’harmonie de la composition ; nous l’avons analysé et souvent traduit en prose, parce que le voile de poésie est si brillant chez M. de Lamartine que l’œil est tenté parfois de s’y arrêter, comme l’oreille à l’enchantement de sa mélodie, sans trop s’inquiéter de pénétrer au-delà.
Tout cela joue, se rapproche, se concerte, se complique à merveille, jusqu’à ce que Gerfaut, qui touche au triomphe, se trouve arrêté devant le soupçon tout d’un coup éveillé du baron.
Quintilien a réuni ses propres pensées à celles de Cicéron ; il part du point où Cicéron s’est arrêté.
La galanterie des Maures, l’existence qu’elle donnait aux femmes, auraient pu approcher à quelques égards les Espagnols de l’esprit français ; mais les superstitions auxquelles ils se sont livrés, ont arrêté parmi eux tous les genres de progrès aimables ou sérieux ; et l’esprit paresseux du Midi a tout abandonné à l’activité du sacerdoce.
(Il s’en va, Mascarille l’arrête.)
Lorsque ce comique en donnoit, que le peuple y couroit en foule, & que Socrate disoit le moindre mot contre la pièce & l’auteur, les défenseurs de celui-ci l’accusoient d’avoir mis en jeu tous les ressorts imaginables pour arrêter l’enthousiasme des Athéniens, & nuire à l’illusion théâtrale.
De toutes ces accusations, dont la moindre feroit regarder Bayle comme un monstre, si l’on ignoroit dans quel égarement de raison tomba son adversaire, il n’en est qu’une qui mérite qu’on s’y arrête, celle d’impiété.
Je n’examine pas si ces reproches sont fondés ; mais, en supposant qu’ils le fussent, on pourrait facilement renvoyer l’objection à ceux qui la font, car il leur arrive souvent à eux-mêmes, en vertu d’un préjugé contraire, de tomber dans l’erreur inverse : ils sont autant prévenus contre l’existence de l’âme que les autres en faveur de cette existence ; ils arrangent aussi les choses pour les accommoder leur hypothèse favorite, et si quelqu’un fait par hasard allusion à quelque être métaphysique distinct des organes, ils l’arrêtent aussitôt en lui disant que cela n’est pas scientifique.
Enfin il finit par s’arrêter sur l’idée la plus affligeante pour le roseau, et la plus flatteuse pour lui-même.
On serait tenté de passer la main sous ce menton, si l’austérité de la personne n’arrêtait et l’éloge et la main.