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416. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

Et quand ils voulurent exprimer dans une seule figure la suprême beauté intellectuelle et morale, ils sculptèrent la figure d’un vieillard, le vieil Homère, visage presque sépulcral sur lequel la cécité même, infirmité des sens, ajoute à la beauté intellectuelle, morale et recueillie en dedans du vieillard ; car s’il est beau d’être jeune, s’il est beau d’être mûr, il est peut-être plus beau encore de vieillir avec les fruits amers, mais sains de la vie dans l’esprit, dans le cœur et dans la main. […] Menacé de la Bastille après l’emprisonnement de Fouquet, son ami, Saint-Évremond se réfugia d’abord en Hollande ; il y connut Spinosa dont la fréquentation ajouta une teinte de philosophie sceptique, mais non athée, à la voluptueuse licence de sa vie. […] Et si on y ajoute enfin les grands esprits littéraires de l’Angleterre qui semblaient avoir fleuri de la même floraison sous les rayons de la paix européenne, esprits qui subissaient le contrecoup intellectuel de la France, et dont la France à son tour subissait l’influence ; si on y ajoute les Canning, les Byron, les Walter Scott les Moore, les Wordsworth, les Coleridge, les poètes des lacs, ces thébaïdes anglaises de la poésie de l’âme, on aura une idée approximative vraie de la situation de la littérature au moment où Alfred de Musset naissait aux vers. […] Ils ont ajouté l’impiété à la débauche dans ce caractère. […] « La passion vint, ajoute-t-il ; elle éclaira un instant ce génie si bien fait pour elle ; mais elle le ravagea.

417. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Robert » pp. 222-249

Il n’en faut réserver que celles qui ajouteront à la solitude et au silence. […] Je quitterai le fond de cet antre et j’y laisserai la mémoire importune du moment, dit une femme, et elle ajoute : si l’on m’a trompée et que la mélancolie m’y ramène, je m’abandonnerai à toute ma douleur. […] Je n’ajouterai rien de plus, car il faudrait revenir sur les mêmes éloges qui vous fatigueraient autant à lire que moi à les écrire. […] Je dois ajouter que cette lueur rougeâtre se mêlait si parfaitement avec les lumières, les ombres et les objets du tableau, que je demeurai persuadé qu’elle en était, jusqu’à ce que, le soleil venant à descendre sous l’horizon, l’effet disparût. […] Une autre chose qui ajouterait encore à l’effet des ruines, c’est une forte image de la vicissitude.

418. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

Ajoutons pour être vrai : Comme pour la moitié au moins de l’autre demi-quart !  […] Il faut bien, ajoutai-je lentement, que l’affliction soit de quelque profit aux hommes, puisque Dieu si bon a pu se résoudre à les affliger. » XV Ainsi finit le livre par une réflexion morose sur la vie, et par une réflexion juste et consolante, pleine de confiance en Dieu qui a fait ou permis la douleur. […] — Pour nous mieux pénétrer de la bonté de votre cause, ajoutai-je, ne trouverez-vous pas à propos de prononcer lentement, de vous arrêter de temps à autre, et même de traduire quelquefois en passant, comme si ce que vous lisez ne devait pas toujours parvenir du premier coup à l’intelligence de votre auditoire ? […] Que de notes naïves, tendres, pathétiques, n’a-t-elle pas ajoutées à ses notes tragiques ! […] » Puis, se tournant vers moi, dit M. de Marcellus, il ajoute : « Les sentiments sont si naturels, le sens si clair, que celui de nous qui n’a pas appris le grec en naissant n’a nul besoin d’interprète.

419. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

Au commencement, il ne fit que l’éluder il ne se trouvait pas assez savant, et il voulait ajouter à ses connaissances. […] Le troisième livre parut en 1546, avec privilège du roi, conférant à l’auteur le droit de réimprimer les deux premiers, « corrompus et pervertis en plusieurs endroits, y est-il dit, au grand desplaisir et detriment du suppliant. » Ainsi Rabelais trouvait moyen de se faire connaître impunément pour l’auteur des deux premiers livres de Gargantua, par le même acte qui désavouait d’avance, comme ajouté et interpolé, tout ce qui pouvait ultérieurement paraître malsonnant aux censeurs de la Sorbonne. […] Certains critiques, en voulant trouver le sens historique de l’ouvrage de Rabelais et expliquer toutes ses énigmes, ont ajouté à ses obscurités celles de leurs propres contradictions. […] Ajoutez à cela le goût des ouvrages curieux et rares, et des monstruosités intellectuelles ; peut-être un grain de folie ; pourquoi n’oserais-je pas le dire ? […] Dans une lettre latine à Geoffroy d’Estissac, il raconte qu’ayant comparé ses traductions d’Hippocrate et de Galien, qu’il avait expliqués à Montpellier devant un nombreux auditoire (frequenti auditorio), avec un manuscrit grec fort ancien et très-élégamment écrit en lettres ioniques, il y a trouvé beaucoup d’omissions et d’inexactitudes ; et il qualifie ces fautes de crimes, le plus petit mot ajouté ou retranché, dit-il, le moindre accent devant ou derrière, dans des livres de médecine, pouvant faire mourir des milliers d’hommes.

420. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre septième. »

Les écrivains secondaires n’y ajoutent que fort peu de traits. […] Dans l’histoire, nous faisons passer les particularités avant la moralité ; nous cherchons l’individu sous le héros, et nous sommes plus curieux de ce qui diminue l’autorité des grands exemples que de ce qui peut y ajouter. […] Aussi Montaigne appelle-t-il le latin et le grec au secours de l’écrivain : « Et que le gascon y arrive, ajoute-t-il, si le françois n’y peut aller. » C’est la théorie de Ronsard. […] Ajoutez-y toutes les grâces d’un style approprié à la matière, abondant et coloré dans tout ce qu’il emprunte d’images à la nature extérieure délicat et exquis dans de chastes peintures des passions, insinuant et suave pour rendre la piété aimable, efficace parce qu’il est affectueux. […] C’est du reste, un trait ajouté dans l’édition de 1594, On s’explique qu’il ait manqué dans les premières copies qui coururent en 1593, avant la mort de ce de Rieux.

421. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Tout cela s’écrivait de fougue, je le veux bien, et d’une plume « à qui on a mis la bride sur le cou » ; mais cette facilité même pouvait être un piège de plus, car à la louange d’écrire des choses charmantes s’ajoutait celle de les écrire vite. […] Il voyait un Etat ruiné, la médiocrité dans les conseils et à l’armée, l’hypocrisie religieuse, et tout ce qu’elle ajoute d’odieux aux vices communs à tous les temps, le peu qui restait de génie, disgracié, s’il ne s’abaissait pas à faire sa cour par la dévotion. […] C’est, en tout cas, un exemple qui doit nous rendre indulgents pour les vrais politiques, et nous faire estimer ces qualités de gouvernement qui n’excluent ni l’honnêteté, ni l’amour du vrai, ni l’indépendance, mais qui les accommodent à la nécessité des affaires, et qui n’ajoutent pas aux difficultés des choses en offensant les personnes. […] Tout ce mouvement autour du mourant, d’abord de respect et d’intérêt pour une vie de si grande importance, puis, à mesure que les chances de guérison diminuent, d’ambition et de précautions avec le règne futur ; ces appartements du duc d’Orléans encombrés, « à n’y pas mettre une épingle », quand le roi est désespéré, vides et déserts sur le bruit qu’il est mieux ; ces valets qui pleurent, les seuls vrais amis du monarque ; la froide et triste octogénaire qui assiste l’œil sec à sa longue agonie, profitant des courts répits du mal pour faire ajouter à la part des bâtards, et quand le roi n’est plus qu’un moribond qui ne peut plus ni ôter ni donner, n’attendant pas la fin et se sauvant à Saint-Cyr ; ces grandes et touchantes paroles du roi ; cette attente de la mort dans la majesté qu’il mettait à toutes ses actions, sans défaillances, sauf celles de la nature quand le combat va finir ; cette inquiétude du chrétien, qui craint que ses souffrances ne soient une trop faible expiation de ses fautes ; tout cela raconté au jour le jour, dans l’ordre où chaque chose arrive, parmi des détails sur le service intérieur, l’étiquette, les allées et les venues des courtisans et des gens de service, les messes entendues dans le lit et les derniers repas du mourant ; tout cela, dans son abandon, égale l’art le plus consommé. […] A quoi il faut ajouter ce qu’il dit au premier chapitre des Histoires : Omnem potentiam ad unum conferri pacis interfuit.

422. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

et qu’est-ce que ces deux bêtes ajoutent à la beauté de la partition ? […] Ajoutons que le chœur des Walkyries a été superbe. […] La raison en est simple et nous renvoyons à tous les traités de physiologie pour l’explication du phénomène dans lequel un carré lumineux détaché sur fond noir paraît plus grand qu’il ne devrait : ajoutons que, les dimensions du tableau grandissant, l’intensité de la lumière qui y est répartie devrait diminuer proportionnellement ; mais l’obscurité presque absolue qui entoure la scène fait encore paraître la lumière assez vive, bien que toujours douce et fondue. En même temps que l’ensemble grandit, chaque détail grandit, et d’autres illusions viennent s’ajouter à la première. […] Wilder pour faire un beau vers de douze pieds a ajouté plusieurs notes, ils sacrifient souvent l’alexandrin de M. 

423. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

Nous croyons devoir même ajouter, que du côté de la morale & d'un certain ton d'Humanité qui respire dans toutes ses Tragédies, l'Auteur de Zaïre l'emporte sur les autres Poëtes tragiques ; mais il falloit, pour conserver cet avantage, qu'il respectât les vrais principes, & se défiât de la manie de débiter à tout propos & hors de propos, des sentences & des maximes. […] S'ils ajoutent que Corneille n'a que neuf ou dix Pieces restées au Théatre, nous répliquerons que celles de ce Poëte qui ont été rejetées, sont bien supérieures aux Tragédies de M. de Voltaire, qui ont eu le même sort, malgré le charme du style. […] Ajoutons seulement, qu’on aura peine à croire, en le lisant, qu’un Auteur ait pu débiter tant de faussetés manifestes, travestir tant d’événemens, les présenter d’un profil si contraire à la bienséance & à la vérité, sous les yeux d’une infinité de gens, témoins oculaires des faits qu’il y dénature. […] Nous conviendrons que Candide & le Huron sont de son invention, & que l’invention, du premier sur-tout, est originale ; mais nous sommes obligés d’ajouter que ces deux Romans, dépourvus de machines & de nœuds, n’offrent qu’une suite d’événemens décousus & le plus souvent invraisemblables ; que la hardiesse & l’obscénité en forment l’intérêt principal ; & que ces défauts ne sauroient être rachetés par l’agrément des détails & les graces du style. […] Ajoutons à toutes ces raisons, qu’il n’est aucun Auteur plus agréable, plus varié, plus commode.

424. (1913) La Fontaine « VII. Ses fables. »

Chacun trouve ridicules les autres et dit, par exemple, de l’éléphant qu’il faudrait ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles, mais, chacun pour soi-même, ils se trouvent tous très bien. […] Les qualités des animaux, pour y venir décidément, il les a vues ou cru les voir, et, en tout cas, il a agi comme un observateur poète, et les observateurs poètes ont cela de dangereux qu’ils ajoutent beaucoup à la réalité, mais ils ont cela de charmant tout au moins qu’une partie de la réalité, ils la voient, quand nous ne savons pas la voir, avec une puissance de vision, avec une force de perspicacité extraordinaires. […] A ces qualités des bêtes La Fontaine ajoute encore la patience profonde, la résignation aux coups du sort, ce caractère de tranquillité devant la mort  non pas devant le danger, car l’animal sait se soustraire au danger  mais tranquillité, quiétude devant l’inévitable, que La Fontaine a marqué encore quelquefois de traits justes, profonds et tout à fait pathétiques. […] Il y a un bien grand mot de Spencer, un peu impertinent, mais juste au fond : « Lorsque je verrai une femme, pour défendre son petit, s’élancer, ongles en avant, contre un éléphant, alors je dirai que la femme est aussi courageuse que la poule. » Vous me direz : « Mais vous ajoutez à La Fontaine, qui a peu parlé du dévouement à l’espèce chez les animaux, qui n’a presque pas parlé de leur patience, qui n’a parlé que de leur bonté, de leur solidarité, de leur stoïcisme devant la mort. » Il est vrai, j’en ajoute pour vous montrer ce que La Fontaine a produit, en quelque sorte, ce dont il a été l’initiateur.

425. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

On aime que l’histoire s’y ajoute et doive s’y ajouter, — l’histoire, c’est-à-dire la patrie, la sainte nationalité ! […] … C’est qu’il n’était critique que de pure description et d’infatigable analyse niant les principes tout aussi bien en esthétique qu’en morale et en gouvernement, cet homme que des esprits qui ne connaissant pas plus Goethe que lui, appelaient hier le plus grand critique qui ait existé depuis Goethe… Sainte-Beuve a toujours repris toutes ses idées en sous-œuvre pour y ajouter ou y retrancher, tant elles lui semblaient incertaines ! […] Composée surtout de notes ajoutées à des notes, son Œuvre critique me fait l’effet d’un interminable obélisque de notes sur notules et de notules, sur notes, sur la pointe duquel il y aura toujours de la place pour d’autres notulettes qui viendront… Sûr de rien et curieux de tout, comment voulez-vous qu’un homme puisse être jamais un critique, — un juge intellectuel de ce qui fait la beauté ou la laideur des œuvres humaines ? […] Si on est vraiment désintéressé dans cette question pourquoi cette cruelle mise en lumière de pauvretés qui n’ajoutent rien à la richesse qu’on a ?

426. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

Il est juste d’ajouter que M. de Bouhélier lui nie la « notion du divin » ; et cette remarque est importante à noter car nous verrons qu’elle est apparentée à celle que nous formulerons nous-même plus loin.‌ […] Ainsi donc, nous nous appuyons sur la physiologie, nous prenons l’homme isolé des mains du physiologiste, pour continuer la solution du problème et résoudre scientifiquement la question de savoir comment se comportent les hommes, dès qu’ils sont en société… En somme, tout se résume dans ce grand fait : la méthode expérimentale, aussi bien dans les lettres que dans les sciences, est en train de déterminer les phénomènes naturels, individuels et sociaux, dont la métaphysique n’avait donné jusqu’ici que des explications irrationnelles et surnaturelles8. »‌ En résumé, de même que, suivant Claude Bernard, la « méthode appliquée dans l’étude des corps bruts, dans la chimie et dans la physique, doit l’être également dans l’étude des corps vivants, en physiologie et en médecine », de même, suivant Zola, la méthode expérimentale qui conduit à la connaissance de la vie physique, « doit conduire aussi à la connaissance de la vie passionnelle et intellectuelle. » « Ce n’est qu’une question de degrés dans la même voie, ajoute le romancier, de la chimie à la physiologie, puis de la physiologie à l’anthropologie et à la sociologie. […] « Littérature d’embaumement, — art réactionnaire d’aristocratie et de révélation… Je comprends, ajoute-t-il, que vous ne vouliez pas être confondus avec un homme qui aime les halles, les gares, les grandes villes modernes, les foules qui les peuplent, la vie qui s’y décuple, dans l’évolution des sociétés actuelles. […] « Zola passe encore maintenant pour être chaste et pour être sobre — bien que l’on nous ait dit que sa face morose de mélancolie s’éclaire comme celle d’un gourmet au moment de se mettre à table — mais cette ancienne avidité à se repaître des spectacles aussi bien que des sons, et l’on peut ajouter même des odeurs du monde extérieur, s’est à la fin façonné en une méthode de routine. […] Les méthodes littéraires de Zola sont celles d’un « parvenu », qui s’est efforcé de pénétrer les choses de l’extérieur, qui ne s’est jamais assis à la table de la vie et qui n’a jamais réellement vécu… »‌ Et le critique ajoute quelques lignes plus loin : « Le jeune homme famélique dont les yeux étaient concentrés avec un désir ardent sur le monde visible a tiré un certain bénéfice de sa chasteté intellectuelle ; il a préservé des choses matérielles sa clarté de vision, une vision avide, insatiable, impartiale… La virginale fraîcheur de sa soif de vie, donne à son œuvre son souffle de vigueur et de jeunesse, son indomptable énergie ».

427. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Je révère l’opinion de Poe : nul vestige d’une philosophie, l’éthique ou la métaphysique, ne transparaîtra ; j’ajoute qu’il la faut, incluse et latente. […] J’ajoute que cette constance invincible, cette immobilité de l’Art est la condition essentielle de tous les progrès. […] Que lui ajouter, que lui retrancher, sans altérer sa nature ? […] — Ils répondent : La quantité n’ajoute et n’enlève rien à la qualité. […] Nous nous hâtons de recueillir, comme le plus précieux des héritages, la somme des certitudes acquises par ceux qui vinrent avant nous, dans le secret espoir d’ajouter au trésor ce qui lui manque… qu’est-ce à dire ?

428. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite.) »

Il veut bien reconnaître toutefois, dans ses Confessions, que ce grossier remercîment en retour d’une bonne grâce fut de sa part une sottise ; mais il ajoute aussitôt, toujours en ayant l’air de passer condamnation sur ses sottises, sauf à les recommencer dans un autre sens : « Si je ne fis pas celle de devenir son rival, il s’en fallut peu ; car alors  Mme de Boufflers était encore sa maîtresse, et je n’en savais rien. […] Ce fils paraît lui avoir causé quelque peine, car elle prend soin de noter un changement avantageux qu’elle croirait, dit-elle, remarquer en lui, « si elle n’avait interdit à l’espérance aussi bien qu’à la crainte tout accès dans son cœur ; mais ces deux passions, ajoute-t-elle, amollissent trop le courage, et on les doit bannir autant qu’il est possible, lorsqu’on s’engage dans quelque entreprise importante. » Elle parle d’une « mélancolie profonde et trop justement fondée, suivie de la rougeole et d’un long état de langueur, qui l’ont concentrée en elle-même » et l’ont empêchée d’écrire. […] Je ne résiste pas à donner encore ce post-scriptum ajouté à une lettre du 15 juillet 1764, qu’elle ne put reprendre pour la terminer que le 21, ayant été forcée d’interrompre : « Voilà, dit-elle, un grand intervalle causé par une multitude de petites affaires assez peu intéressantes : je ne sais plus où j’en suis. […] Ajoutez-vous foi si facilement aux trahisons ?

429. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Tout le reste, que nous y ajoutons de notre cru, n’est qu’invention et surcharge, pure broderie. […] Un de ces critiques qu’on méprise aujourd’hui et qu’on se flatte d’avoir enterrés, La Harpe, a dit à ce sujet excellemment : « Il est bien vrai que la gaîté qui tient à la licence est plus facile qu’aucune autre ; mais celle de Collé est si originale et si franche, qu’on pourrait croire qu’elle n’avait pas besoin de si mauvaises mœurs pour trouver où se placer. » Nous allons plus loin que La Harpe, et nous disons que ces mœurs mêmes, prises sur le fait et rendues avec cette touche facile et hardie, ajoutent, du point de vue où nous sommes, un prix tout particulier au tableau : elles y mettent la signature d’une époque. […] Panard, par suite de son abandon et de son peu de conduite, mourut, comme La Fontaine, dépendant des autres et à leur charge, recevant d’eux des secours payés par bien des dégoûts : « Mais je crois, ajoute Collé, qu’il y était assez insensible. […] Un vieillard jeune serait trop insolent. » J’aime sans doute les livres vrais, les livres qui sont le moins possible des livres et le plus possible l’homme même ; mais c’est à la condition qu’ils vaillent la peine d’être donnés au public et qu’ils ajoutent à l’idée qui mérite de survivre.

430. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Ajoutons que si, au point de vue militaire et immédiat, la victoire de La Marsaille ne parut guère rien changer à l’état général des affaires, l’effet moral fut produit. […] Rien n’est cependant plus du sien, et Sa Majesté est persuadée qu’il convient tout à fait à son service, de faire entrer son armée en Piémont la campagne prochaine… Vous devez avoir reçu une lettre de Sa Majesté par laquelle elle vous marque que, voulant absolument que son armée entre en Piémont la campagne prochaine, elle ne vous rendra en aucune façon responsable des événements de la campagne, et c’est ce qu’elle m’a encore ordonné de vous confirmer… Comme je crois que vous voulez bien me compter au nombre de vos amis, j’ai cru ne pouvoir vous donner une plus grande marque que j’en suis que de vous avertir pour vous seul, s’il vous plaît, que Sa Majesté est persuadée que, si votre goût n’était point aheurté à une guerre défensive, il ne se trouverait peut-être pas tant de difficultés à en faire une offensive cette année : ainsi, quoique je ne sois pas capable de vous donner des conseils, cependant je crois devoir vous donner celui de renouveler de soins et d’attentions pour essayer de rendre facile, par l’avancement de la voiture (du voiturage) des farines, une chose que le roi désire aussi ardemment. » Catinat répondait en remerciant Barbezieux de cet avis amical, et il protestait que la défensive n’était point chez lui un parti pris et que son goût n’était point aheurté à ce genre de guerre ; qu’elle lui tenait, au contraire, l’esprit dans une continuelle inquiétude dont il aimerait mieux se décharger en agissant ; il ajoutait : « Le roi me demande des mémoires sur les dispositions de l’offensive : je ne puis que me donner l’honneur de les lui envoyer aussi détaillés qu’il m’est possible avec les difficultés qui se rencontrent dans leur exécution, afin qu’il lui plaise de donner ses ordres pour les surmonter. » Louis XIV se rendait en dernier ressort aux raisons et démonstrations de Catinat ; mais il se formait de lui peu à peu une idée qui n’était plus aussi avantageuse qu’auparavant, ni aussi brillante. […] À tous les embarras dont le principe était en lui, il faut en ajouter un des plus singuliers et pour le moins égal : le duc de Savoie avait changé de parti ; il était en sa qualité de prince souverain le général en chef de toute l’armée, quand il y était présent ; mais il faisait toujours le même métier, un métier double ; il n’y allait pas franchement ; il s’entendait sous main avec le parti contraire et dénonçait, dit-on, nos mouvements à l’ennemi, bien que résolu dans le même temps de se battre en brave dans nos rangs et à notre tête. […] On a d’admirables lettres de lui à ce sujet, adressées à son frère, non plus son cher Croisilles (il était mort depuis peu, et la douleur de cette perte s’ajoutait aux autres douleurs), mais à son frère aîné, conseiller d’honneur au Parlement ; il lui disait : « Au camp d’Antignate, le 22 août 1701.

431. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite.) »

Soit qu’il fût ou non de bonne foi dans l’ouverture qu’il me faisait, je n’eus garde de la repousser, et je lui dis : « Monsieur, j’ai une telle opinion de vos lumières, que je ne balance pas à croire ce que vous me dites, et je suis très impatient d’attendre ce que vous allez y ajouter. » — « Ce que j’ai à ajouter est fort simple, me dit M. de Mirabeau. […] L’espèce de jeu de scène et de surprise qu’on ménagea et sur laquelle on comptait en cette circonstance ne pouvait qu’ajouter au mauvais effet. […] « Prenez bien garde, ajouta-t-il, que je suis le seul dans cette borde patriotique qui puisse parler ainsi sans faire volte-face.

432. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

Le succès de ce petit poème fut inimaginable ; la condition de l’auteur ajoutait au piquant. […] Pline le Jeune, parlant d’un vieux et aimable rhéteur, Isée, qui avait un prodigieux talent de parole et d’amplification, une élégance et une pureté de diction réputée attique, ajoute : « Il a plus de soixante ans, et il n’en est encore qu’à s’exercer au sein des écoles ; c’est dans cette classe d’hommes qu’on trouve le plus de simplicité, de sincérité et de bonté pure ; car, nous autres, qui passons notre vie au barreau et dans les contestations réelles, nous y apprenons, bon gré, mal gré, beaucoup de malice32. » Gresset, même dans le temps de ses plus grandes malices, fut toujours un peu un homme de cette nature, un scholasticus comme Pline le dit en bonne part du rhéteur Isée, et comme Voltaire l’a dit moins bénignement de lui dans ces vers si connus : Gresset doué du double privilége D’être au collége un bel-esprit mondain, Et dans le monde un homme de collége. […] Gresset, par exemple, dont Votre Majesté me parle, a deux emplois qui lui rendent deux mille écus ; il faut ajouter à cela une des plus jolies femmes de Paris pour maîtresse. » Frédéric espérait Gresset à Berlin et ne l’eut pas. […] Nous eûmes ce jour-là un spectacle extraordinaire : toute l’Académie en corps dans l’appareil le plus respectable, une assemblée nombreuse, un vieillard qui ajoutait à sa réputation par ses cheveux blancs, qui fut précédé par des applaudissements généraux, et dont toutes les paroles étaient attendues comme des oracles ; et qui trouva moyen de perdre en un quart d’heure toute la masse d’estime littéraire qu’il s’était acquise depuis si longtemps ; le Vert-Vert et le Méchant restent, mais l’auteur n’est plus. » (Notice sur la Vie et les Écrits de G.

433. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

» Et sur ce dernier mot je me suis permis d’ajouter que c’était là une fatale parole quand on la prononçait à vingt ans, et qu’on courait risque de ne s’en guérir jamais. […] Ce qui l’est davantage, c’est qu’il ajoute : le bonheur ou la dignité ! […] nous avons dû y ajouter ce supplément. […] « Adieu. » Nous aurions bien, si nous le voulions, à ajouter quelques petites choses encore ; il serait facile, à l’aide du carnet dont on a parlé, de contrôler, sans trop de désavantage, quelques-unes des pièces les plus triomphantes dont s’est armé M.de Loménie, ou du moins les inductions morales dont elles lui ont fourni le thème ; mais qui oserait le poursuivre de ce côté gracieux ?

434. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

Ajoutez qu’ils diffèrent par leur origine et par leurs alliances. […] La Fontaine ajoute en bourgeois et en paysan, et dans le style amusant de la fable :          Je voudrais qu’à cet âge     On sortît de la vie ainsi que d’un banquet,     Remerciant son hôte, et qu’on fît son paquet. […] Ajoutez enfin que cette mesure et cette mélodie peu sensibles mais perpétuelles laissent, parmi toutes ces émotions diverses, une émotion unique qui est très-douce, l’émotion musicale et poétique ; de même que, sous les bruits et les sons toujours changeants de la campagne, court un long et doux murmure qui calme et charme notre âme, et que nous ne remarquons pas. […] La construction grammaticale devient rigoureuse comme celle d’un discours d’orateur, et les vers s’ordonnent suivant une loi fixe, pour ajouter leur symétrie à son unité.

435. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

Mais n’y travaillez, ajoutait l’excellent critique, que lorsque vous en aurez vraiment le désir, et, sur toutes choses, oubliez toujours que vous faites un livre ; il sera aisé d’y mettre les liaisons ; c’est l’air de vérité qui ne se donne pas quand il n’y est pas du premier jet, et l’imagination la plus heureuse ne le remplace point. […] c’est un aigle dans une cage de gaze… Si je n’étais pas mourant, ajoutait-il en la regardant, je vous aurais dit tout cela en vers. […] Et comme la jeune femme voulait entrer dans quelques explications : « Oui, interrompit Mlle d’Ette, tout cela me confirme dans ce que je vous dis ; car c’est l’ennui du cœur que je soupçonne chez vous, et non celui de l’esprit. » — Voyant que je ne répondais pas, elle ajouta : « Oui, votre cœur est isolé ; il ne tient plus à rien ; vous n’aimez plus votre mari, et vous ne sauriez l’aimer. » — Je voulus faire un mouvement de désaveu ; mais elle continua d’un ton qui m’imposa : « Non, vous ne sauriez l’aimer, car vous ne l’estimez plus. » — Je me sentis soulagée de ce qu’elle avait dit le mot que je n’osais prononcer. […] Or, pour arriver à cet heureux résultat, il a suffi d’élaguer tout ce qui ne tenait pas nécessairement aux mémoires, de substituer aux deux cents premières pages, dénuées d’intérêt dans le manuscrit, une courte introduction qui mit le lecteur au fait des événements antérieurs au mariage de Mlle d’Esclavelle avec M. d’Épinay ; de supprimer entièrement un dénouement tout à fait romanesque, en le remplaçant par une simple note ; enfin d’ajouter çà et là, dans le courant du texte, quelques phrases servant à rapprocher les passages entre lesquels il avait été fait des coupures indispensables : en sorte que, nous pouvons l’affirmer, c’est bien le manuscrit copié sous les yeux de Mme d’Épinay, et apostillé de sa main, qui a été mis entre celles des imprimeurs, et qu’ils ont suivi exactement dans tout ce qui a été conservé.

436. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Arrivé en province, à Moulins, il s’aperçoit aisément que la proscription ne l’y atteindra pas : il aurait même pu se montrer sans danger et reparaître, s’il n’y avait pas vu une espèce de bravade, et par conséquent un défaut de convenance : « Mais, ajoute-t-il, il faut être poli, même avec les révolutions. » On doit déjà saisir le ton de cet esprit fin, ironique, épigrammatique, et légèrement impertinent jusque dans les choses sérieuses : son mérite est de renfermer bien du bon sens et des vues justes sous cette forme-là. […] Si, en imprimant, il n’a rien ajouté ni arrangé à sa Correspondance, il a vraiment du mérite d’avoir dit au Premier consul, en l’engageant à se conserver pour mener à bonne fin et accomplir toute sa destinée : « Que l’homme de nos jours ne ressemble pas aux hommes fameux de l’Antiquité, qui n’ont fait que donner au monde une grande secousse dont le monde s’est ensuite tiré comme il a pu. » Cette Correspondance, dans ces premières pages, résume ce qu’il y a eu d’honorable et de digne de souvenir dans la vie de M.  […] Fiévée, qui sait le monde, se méfie même des plus grandes folies, comme pouvant avoir action sur les cerveaux : On a pris l’habitude, dit-il, de monter les esprits si haut par de grands projets et d’incroyables découvertes, que, si demain les journaux annonçaient qu’on a trouvé le secret de refaire le monde sur un plan tout neuf, la moitié de l’Europe ajouterait foi au miracle, et se soulèverait pour en hâter l’accomplissement. […] Fiévée ajoutait : « Il en sera de même des nations qui s’obstinent à finir dans les bureaux » (les bureaux ministériels du Directoire) ; et nous dirions de même des nations qui s’obstinent aux intrigues parlementaires, qu’il y a pour elles une manière de finir dans les couloirs.

437. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Enfant, dans les voyages presque annuels qu’il faisait à Boulogne-sur-Mer, j’ai eu plus d’une fois le plaisir d’entendre au dessert son odyssée : et, ce qui me frappait déjà chez un homme qu’on était accoutumé à considérer comme un des chefs du parti royaliste et religieux, c’est qu’il ajoutait que dans sa prison, et se croyant à la veille de périr, il avait fait demander et avait lu, comme livre de consolation, les Essais de Montaigne. […] Le vainqueur de Denain, par cette faveur, s’estimait suffisamment payé de ses exploits : « On ne pourra s’empêcher d’avouer ici, ajoutait M.  […] Voltaire, en lui répondant sur d’autres articles, avait oublié celui-là : « Je rouvre ma lettre, ajoute-t-il en se le rappelant ; je me suis à grand peine souvenu de ma face ; j’en ai si peu !  […] Michaud poète, j’ajouterai cette remarque que je dois à un critique moraliste de ma connaissance : « Il y a des hommes qui n’ont pas assez de poésie pour l’exprimer par le talent et pour en faire preuve dans leur jeunesse : et pourtant cette poésie n’est pas entièrement perdue pour eux.

438. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — I. » pp. 224-245

Il n’a pas craint quelque part de comparer crûment la charge des peuples à celle des bêtes de somme, qui doit être proportionnée à leurs forces : « Il en est de même, ajoute-t-il, des subsides à l’égard des peuples ; s’ils n’étaient modérés, lors même qu’ils seraient utiles au public, ils ne laisseraient pas d’être injustes. » Dans tout ce que j’aurai à dire de Richelieu, je m’attacherai à le faire avec vérité, sans parti pris, sans idée de dénigrement : on est revenu, par expérience, de cette idée-là, qui tendait à méconnaître et à déprimer en lui l’un des plus généreux artisans de la grandeur de la France. […] Je ne la sens pas moins dans une autre lettre adressée à un M. de Préau, dans laquelle, lui parlant des troubles menaçants à l’intérieur (1612) et des présages de guerre au-dehors, il ajoute avec espoir : La sage conduite et l’affection et fidélité de plusieurs bons serviteurs nous garantiront des maux du dedans. […] Parlant de la manière infructueuse et vaine dont se terminèrent les États généraux de 1614, il ajoute : Toute cette Assemblée n’eut d’autre effet sinon que de surcharger les provinces de la taxe qu’il fallut payer à leurs députés, et de faire voir à tout le monde que ce n’est pas assez de connaître les maux, si on n’a la volonté d’y remédier, laquelle Dieu donne quand il lui plaît faire prospérer le royaume et que la trop grande corruption des siècles n’y apporte pas d’empêchement. […] Et Richelieu, qui nous démêle toutes ces intrigues et nous les peint avec plus d’un trait de Tacite, ajoute de ce Thémines qui arrêta ce jour-là le prince de Condé que, s’il fit bien, aussi crut-il l’avoir fait ; car depuis ce temps-là il ne fut jamais content, de quelques récompenses que le pût combler la reine : Elle le fit maréchal de France, lui donna comptant cent et tant de mille écus, fit son fils aîné capitaine de ses gardes, donna à Lauzières, son second fils, la charge de premier écuyer de Monsieur ; et, avec tout cela, il criait et se plaignait encore : tant les hommes vendent cher le peu de bien qui est en eux, et font peu d’estime des bienfaits qu’ils reçoivent de leurs maîtres !

439. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Il remarque que, quoiqu’il y ait dans les Essais une infinité de faits, d’anecdotes et de citations, Montaigne n’était point à proprement parler savant : « Il n’avait guère lu que quelques poètes latins, quelques livres de voyages, et son Sénèque, et son Plutarque » ; ce dernier surtout, Plutarque, « c’est vraiment l’Encyclopédie des anciens ; Montaigne nous en a donné la fleur, et il y a ajouté les réflexions les plus fines, et surtout les résultats les plus secrets de sa propre expérience. » Les huit pages que Grimm a consacrées aux Essais de Montaigne sont peut-être ce que la critique française a produit là-dessus de plus juste, de mieux pensé et de mieux dit. […] Pour excuser l’amour-propre de Montaigne, Grimm trouve une raison pleine d’observation et de finesse ; remarquant que l’amour-propre est moins fâcheux quand il se montre sans dissimulation et avec bonhomie, il ajoute : « Loin d’exclure la sensibilité pour les autres, il en est souvent la marque et la mesure la plus certaine. […] Dans l’espèce de biographie qu’il trace de Rousseau à l’occasion de l’Émile (15 juin 1762), Grimm s’arrête dans ses souvenirs à ce qui serait une révélation indiscrète et une violation de l’ancienne amitié ; et, après avoir retracé les principales époques de la vie de Rousseau, ses premières tentatives plus ou moins bizarres, il ajoute : « Sa vie privée et domestique ne serait pas moins curieuse ; mais elle est écrite dans la mémoire de deux ou trois de ses anciens amis, lesquels se sont respectés en ne l’écrivant nulle part. » Si Grimm avait été un perfide et un traître comme le croyait Rousseau, quelle belle occasion il avait là, dans le secret, de raconter, en contraste avec l’Émile, ce qu’avait fait Rousseau de ses propres enfants, et tant d’autres détails qu’on n’a sus depuis que par Les Confessions ! […] Il est même, à cet égard, en contradiction avec lui-même : car il a très bien remarqué quelque part qu’une des différences qui distingue le plus les modernes des anciens, c’est que, pour connaître ces derniers, « c’était beaucoup d’avoir acquis la connaissance de leurs lois, de leurs coutumes et de leur religion », tandis que l’on connaîtrait fort imparfaitement les modernes, si on ne les considérait que par ces relations-là : notre manière de penser et de sentir dépend de bien d’autres circonstances : « On en jugerait bien mieux, ajoute-t-il, par l’esprit de notre théâtre, par le goût de nos romans, par le ton de nos sociétés, par nos petits contes et par nos bons mots. » Sur de telles nations, sur la nôtre en particulier, les livres donc, les bons livres et surtout les mauvais, ont grande influence.

440. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Les sciences qui étudient les choses diverses et particulières peuvent accepter tout ce qui est acquis sans renoncer à y ajouter ; mais la science qui prétend atteindre au fond des choses ne peut pas admettre qu’il y ait deux manières de concevoir le fond des choses. […] Le poëte n’a pas besoin que son œuvre ait un objet en dehors de lui : c’est un monde qu’il ajoute au monde, c’est une création dans la création. […] La vraie philosophie consisterait, non pas à ajouter bout à bout les principes des divers systèmes, mais à les lier ensemble à l’aide d’un principe nouveau ; à l’éclectisme, en un mot, on propose de substituer la synthèse. […] Quelques grands hommes ont su joindre les deux philosophies, et à la gloire d’inventer et de créer ils ont ajouté celle de comprendre, de recueillir, de concilier.

441. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

Renan n’a rien ajouté à cette vue première, à cette piètre généralité dont il n’a pas caché le néant sous les applications historiques qu’il en a faites. […] « Les légendes des pays à demi ouverts à la culture rationnelle, dit-il page 63 du volume, ont été formées bien plus souvent par la perception indécise, par le vague de la tradition, par les ouï-dire grossissants, par l’éloignement entre le fait et le récit, par le désir de glorifier les héros, que par création pure comme cela a pu avoir lieu pour l’édifice presque entier des mythologies indo-européennes », et, suspendu entre le je ne sais qui et le je ne sais quoi, il ajoute alors cette incroyable phrase qu’il importe de recueillir : « Tous les procédés ont contribué dans des proportions indiscernables au tissu de ces broderies merveilleuses, qui mettent en défaut toutes les catégories scientifiques et à l’affirmation desquelles a présidé la plus insaisissable fantaisie. » Proportions indiscernables ! […] Ailleurs il ajoute avec une componction d’âme pénétrée : « la critique renferme l’acte du culte le plus pur. » C’est le mysticisme de la chose. […] … »« L’intelligence la plus claire et la plus pénétrante, ajoute-t-il ailleurs, fut le partage de l’homme au commencement », ce qui est vrai pour nous qui croyons à la Chute, ce qui est faux pour lui qui n’y croit pas et qui invente aujourd’hui un progrès abécédaire où rien n’est acquis ; où, plus on recule, plus on avance, et où il faut remonter à l’origine de tout pour avoir seulement quelque chose !

442. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DAUNOU (Cours d’Études historiques.) » pp. 273-362

Il semblera peut-être que ce soit venir bien tard aujourd’hui, et qu’il y ait peu de chose à ajouter aux hommages de plus d’une sorte qui lui ont été publiquement rendus. […] Si j’osais rendre toute ma pensée, j’ajouterais aux justes éloges que mérite ce premier et déjà savant travail, que c’est d’un point serré, fin, d’un fil bien déduit et ingénieux sans doute, mais je dirais aussi qu’on n’est point entièrement satisfait en finissant. […] Daunou tenait, pour sa part, la pierre de touche de la diction et ]e creuset de l’analyse moderne : ajoutez-y la grammaire générale toujours présente au fond, ce qui ne nuit pas. […] Mais quand il avait quelque chose de direct contre une personne, il n’en revenait jamais : ajoutons vite que si le jugement chez lui pouvait, en de certains cas, sembler vindicatif, le cœur lui-même ne l’était pas. […] Tout ceci est vrai à la lettre, et je n’ajoute rien. — Ce n’est pas ce jour-là que Bonaparte lui dit : Daunou, je ne vous aime pas, mais en une autre occasion, dans quelque comité.

443. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre V. La philosophie. Stuart Mill. »

. —  Tout l’effort de la science est d’ajouter ou de lier un fait à un fait. […] Ce sont là les seuls éléments de notre science : partant, tout l’effort de notre science sera d’ajouter des faits l’un à l’autre, ou de lier un fait à un fait. […] Vous me dites deux fois la même chose ; vous mettez le même fait sous deux termes différents : vous n’ajoutez pas un fait à un fait, vous allez du même au même. […] Ma conclusion ne m’apprend rien ; elle n’ajoute rien à ma connaissance positive ; elle ne fait que mettre sous une autre forme une connaissance que j’avais déjà. […] Ils ne sont pas un nouveau fait ajouté aux premiers ; ils en sont une portion, un extrait : ils sont contenus en eux, ils ne sont autre chose que les faits eux-mêmes.

444. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre premier. La Formation de l’Idéal classique (1498-1610) » pp. 40-106

Ils veulent dire tous les deux que, dans la nature, notre imagination ne trouve jamais de satisfaction entière ; que rien de naturel, en aucun genre, n’épuise l’idée que nous nous formons de sa perfection ; et qu’ainsi nous y pouvons toujours ajouter quelque chose de notre fonds. […] Et là-dessus d’ajouter : « Si le monde se plaint que je parle trop de moi, je me plains de quoi il ne pense seulement pas à soi. » Nous nous ignorons nous-mêmes ; et nous cachons notre ignorance ou nous la déguisons sous les moqueries que nous faisons de ceux qui étudient en eux l’histoire même de l’humanité ! […] Coste (celui qui rougissait quand on parlait devant lui de Montaigne), 3 vol. in-4 ; Londres, 1724, à laquelle s’ajoute, dans le même format, le volume des Voyages ; — l’édition de Naigeon, 4 vol. in-8, Paris, 1802, Didot, — et l’édition J. […] 2º L’Homme et l’Écrivain. — Injuste oubli dans lequel est tombé Du Vair ; — quoique d’ailleurs il ait été évêque-comte de Lisieux, — premier président du parlement de Provence ; — et deux fois garde des sceaux de France ; — ou peut-être pour l’avoir été. — Son rôle politique ne semble pas en effet avoir ajouté beaucoup à sa réputation [Cf.  […] Il faut noter ici, sans attendre davantage, que l’édition des Essais de-1580 ne comprend que les deux premiers livres de l’ouvrage, auxquels le troisième ne s’est ajouté pour la première fois que dans l’édition in-4 de 1588.

445. (1864) Le positivisme anglais. Étude sur Stuart Mill

Seulement, ajoutait-il, je crois que vous vous trompez en regardant ce point de vue comme particulièrement anglais. […] Ce sont là les seuls éléments de notre science : partant, tout l’effort de notre science sera d’ajouter des faits l’un à l’autre, ou de lier un fait à un fait. […] Vous me dites deux fois la même chose ; vous mettez le même fait sous deux termes différents : vous n’ajoutez pas un fait à un fait, vous allez du même au même. […] Ma conclusion ne m’apprend rien ; elle n’ajoute rien à ma connaissance positive ; elle ne fait que mettre sous une autre forme une connaissance que j’avais déjà. […] Ils ne sont pas un nouveau fait ajouté aux premiers ; ils en sont une portion, un extrait : ils sont contenus en eux, ils ne sont autre chose que les faits eux-mêmes.

446. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XIX » pp. 76-83

Par suite de la même activité, qui se porte actuellement sur de l’inédit, Cousin a publié ses Fragments littéraires, anciens discours académiques, ou éloges mortuaires, auxquels il a ajouté pour assaisonnement les lettres inédites de madame de Longueville (chassant ainsi sur mes terres et me tuant sans façon mon gibier) ; il a ajouté un petit commentaire à ces lettres, dont il s’est, je crois, exagéré un peu l’importance littéraire ; comme étude d’âme et de confessionnal, c’est curieux, (et j’en avais tiré parti dans mon étude). « Au fond, il n’y a de véridique, dit-il, si quelque chose l’est entièrement, que les correspondances intimes et confidentielles, les mémoires eux-mêmes sont toujours destinés au public, et ce regard au public, même le plus lointain, gâte tout ; on s’y défend ou on attaque, on se compose un personnage, on pense à soi, on ment. » — Ceci est dit à merveille comme Cousin sait dire, dans sa langue excellente et digne du xviie  siècle ; mais que serait-ce si on appliquait cette vérité à son éclectisme officiel, qu’il défendait et qu’il préconisait hier tout en attaquant Pascal ?

447. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Laurent Tailhade à l’hôpital » pp. 168-177

Je me hâte d’ajouter que Dubois-Desaulle était un honnête garçon qui ne s’était rendu coupable d’aucun délit de droit commun et que ses opinions libertaires seules (l’épidémie à la mode) avaient conduit aux compagnies de discipline. […] Dubois-Desaulle m’affirme qu’ils sont exacts, qu’il s’est borné à transcrire, sans y rien ajouter, tout ce dont il a été le témoin ; qu’il n’a pas même déguisé le nom de ses personnages.

448. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « A Monsieur Naigeon » pp. 9-14

En revanche, disposez de mon travail comme il vous plaira ; vous êtes le maître d’approuver, de contredire, d’ajouter, de retrancher. […] A cet avantage tâchons, mon ami, d’en ajouter un second, plus précieux peut-être : qu’il ne vous suffise pas d’avoir éclairci les passages les plus obscurs du philosophe ; qu’il ne me suffise pas d’avoir lu ses ouvrages, reconnu la pureté de ses mœurs, et médité les principes de sa philosophie : prouvons que nous avons su, l’un et l’autre, profiter de ses conseils.

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