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62. (1893) Alfred de Musset

Guyot-Desherbiers faisait des vers à ses moments perdus. […] Lui-même avait pris soin d’avertir qu’on y perdrait sa peine et son temps. […] Il écrit à George Sand qu’il a trop présumé de lui-même en osant la revoir, et qu’il est perdu. […] Qu’elle ne craigne rien ; il n’y a plus en lui ni jalousie, ni amour-propre, ni orgueil offensé ; il n’y a plus qu’un désespéré qui a perdu l’unique amour de sa vie, et qui emporte l’amer regret de l’avoir perdu inutilement, puisqu’il la laisse malheureuse. […] Je meurs d’amour, d’un amour sans fin, sans nom, insensé, désespéré, perdu.

63. (1870) La science et la conscience « Chapitre IV : La métaphysique »

Il résulte de là que le dernier degré d’abaissement comme le plus haut point d’élévation peuvent également se lier à deux états de l’âme où elle perd également sa personnalité ; mais dans l’un c’est pour se perdre en Dieu ; dans l’autre, c’est pour s’anéantir dans la créature40. » Cette troisième vie, dernier effort de l’âme humaine, le philosophe l’appelle la « vie de l’esprit ». […] Si le sentiment ne prouve rien, si la conscience est impuissante à saisir la réalité elle-même, l’homme perd ou voit s’affaiblir sa notion d’être moral. […] Quand nous aurons tout perdu en vous, ô mon Dieu, nous retrouverons tout en vous. […] Enfin, pourquoi les sciences morales elles-mêmes semblent-elles se perdre aujourd’hui dans un déterminisme aussi dangereux que le matérialisme ? […] Pourquoi l’économie politique risque-t-elle de se perdre dans les détails de la statistique ?

64. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

La liberté, la servitude de l’univers, se conquièrent, se perdent, se jouent pendant un demi-siècle en lui, autour de lui ou avec lui. […] Et ils conseillent les épurations à leur patrie, pour rester seuls à la perdre et à la flatter jusqu’à la fin ! […] Ses poèmes, perdus aujourd’hui, étaient, dit-on, dignes de son éloquence. […] Rome misérable, si elle perd un tel défenseur ! […] Pompée, fugitif d’Italie, alla perdre la bataille de la république en Épire.

65. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

» « Comment j’y pénétrai », continue le poète, « je ne saurais le dire, tant j’étais plein de sommeil quand je perdis la vraie voie !  […] « “Mais, puisque tu as un si violent désir de connaître jusqu’à sa première racine l’amour qui nous perdit, je parlerai comme celui qui parle en pleurant. […] « “À plusieurs pages cette lecture nous éclipsa le jour dans les yeux et nous décolora d’un frisson le visage ; mais une seule image fut celle qui nous fit succomber et qui nous perdit. […] Là chaque muraille forme une dent qui se perd en s’ébréchant dans le bleu sans fond du firmament. […] Le poète s’y perd dans la métaphysique la plus subtile et la moins poétique.

66. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Je jouai, je jouai mal, je fus grondé, et je perdis mon argent. […] … mais si l’homme ne se peut définir… tout est perdu. […] S’il est rare de trouver un homme qui sache perdre, combien il est plus rare d’en trouver un qui sache gagner ! […] Souffrez-vous à perdre, me disait-il ? […] Imaginez à droite la cime d’un rocher qui se perd dans la nue.

67. (1903) Légendes du Moyen Âge pp. -291

Pendant ce temps, l’écuyer « ne cessait jour et nuit de regretter les grands biens qu’il avait laissés », et s’efforçait de décider son maître à retourner au « paradis » perdu. […] Ne t’ai-je pas dit aussi : Ne te fais pas de chagrin de ce que tu auras perdu ? […] je t’avais déjà dit qu’il ne fallait pas s’affliger d’une chose qu’on perd. […] Un des préceptes, le premier, s’est d’ailleurs perdu. […] Le loup est aussi devenu un renard, et la fable a perdu son sens premier dans Odon de Sherrington, n° LXXIII (Hervieux, p. 626 ; cf.

68. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

La contradiction, auparavant extérieure, qui divisait les Dieux, devint intérieure, et les héros perdirent leur belle solidité plastique. […] Mais justement Molière a perdu là une belle occasion d’être comique. […] Quand il perd son or, incapable de se consoler philosophiquement de sa ruine, il se roule à terre avec des gémissements et des sanglots. […] Comment retrouver l’idéal perdu de la nature libre et du grand homme ? […] De même dans Hamlet, on voit par l’apparition de Fortinbras que le destin du royaume danois n’a pas été perdu de vue .

69. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

Lorsque plus tard j’ai vu que le monde était réellement comme je l’avais pensé, il m’ennuya, et je perdis toute envie de le peindre. […] — Il y a longtemps qu’elle est perdue, répondis-je. […] — Quand on veut faire monter l’érable en arbre, on lui retire les nœuds, ou en grossissant il les perd de lui-même. […] Car si un oiseau perdait à l’aile gauche trois pennes sans les perdre aussi à l’aile droite en même temps, l’équilibre serait rompu et l’oiseau ne serait plus le maître de ses mouvements. […] Vers le sud, on apercevait plusieurs lieues du beau cours de la Saale qui se perd de temps en temps dans des bouquets de bois.

70. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

— Ainsi s’est perdue en ces tempêtes, la comédie aussi bien que la royauté d’autrefois. […] jetez-vous, à corps perdu, dans les bras de la fée lumineuse embrassez-la, qu’elle vous aime, vous encourage et vous console ! […] Pauvre société perdue à force d’esprit, d’élégance, de scepticisme ! […] Ce jour-là, il perdit, en vingt-quatre heures, sa supériorité incontestable, incontestée ; il perdit sa popularité dans toute l’Europe, la perle de sa couronne est tombée. […] s’il faut plaindre l’une de ces femmes, ne plaignez pas celle qui n’a perdu que le trône de France ; plaignez l’autre, hélas !

71. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Tout était menacé, sinon perdu. […] Il eût été, du reste, taillé pour les grandes circonstances et jeté dans le moule perdu des Aquaviva, qu’il n’est pas prouvé qu’il eût sauvé l’Institut. […] Nous l’avons dit, qu’on ne le perde pas de vue ! […] dernière ressource perdue de la politique italienne ! […] Enveloppé dans un cercle qui chaque jour s’enflammait davantage en se rétrécissant, Clément XIV perdait le sens même de sa situation.

72. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

La louange et le blâme ont perdu leur valeur ; ils sont devenus des assignats. […] Les couleurs se perdent avec le temps, et l’esprit, ne trouvant plus dans la mémoire que des objets décolorés, se ternit.  […] Il a trop bonne opinion de moi pour que je ne perde pas à me montrer. […] Ce qui s’est perdu de richesses autographes du cabinet de Bonstetten ne peut s’imaginer. […] C’est ainsi que se sont perdus sans retour les précieux manuscrits complémentaires du Voyage dans le Latium.

73. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Il s’attacha à elle, lui rendit des soins de chaque jour, et perdit tout en la perdant. […] Il n’avait pas moins de quatre-vingt-six ans quand il la perdit : il avait dès longtemps passé l’âge où l’on recommence. […] Vous y perdez une de vos meilleures amies : vous ne sauriez croire combien elle a été regrettée du public et des particuliers. Elle a eu tant d’indifférence pour la vie qu’on aurait cru qu’elle n’était pas fâchée de la perdre. […] Les opinions religieuses, — on les débite aussi, et, dans tous les cas, elles ont perdu l’obligation et l’attrait du mystère.

74. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Rancé était une âme forte, une grande âme ; il comprit du premier jour qu’il avait perdu ce qu’il ne recouvrerait jamais, que recommencer sur les brisées d’hier une vie moindre, c’était indigne même d’une noble ambition humaine. […] À un certain moment, comme il jugea l’affaire perdue, il se crut inutile, et, laissant le reste de la conclusion à son confrère, il s’échappa dans l’impatience de retrouver sa chère solitude. […] Rancé, fidèle au principe d’obéissance, repartit sans murmurer de Lyon pour Rome, y reprit la négociation sans espoir, y subit jusqu’au bout toutes les lenteurs, et ne revint qu’après le procès perdu, ayant bien mérité, encore une fois, son désert. […] Le groupe des poètes n’avait rien perdu : Boileau célébrait le passage du Rhin ; Racine, au milieu de sa course, reprenait haleine par Bajazet. […] Malheur à l’âge pour qui la nature a perdu ses félicités !

75. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XV »

Mauriceau avec le docteur Rémonin, un vieil ami de jeunesse, qu’il a perdu de vue depuis dix-huit ans. […] Elle a perdu la partie. […] Si elle refuse, tout est perdu, même l’honneur : alors un suicide à deux le leur rendra, par l’expiation. […] L’avoué voudrait au moins lui faire embrasser son fils ; elle refuse, avec une sèche insouciance ; on peut la croire bien perdue. […] — Je vais trop loin… » — L’enfant s’attache à sa robe, comme s’il pressentait qu’il va perdre sa mère s’il la laisse aller.

76. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

Mais la note tendre se perd vite et se noie dans un gazouillement brillanté et insipidea. […] On a cru me perdre en prouvant que j’avais fait des vers jusqu’à trente-deux ans (ailleurs, il semble dire trente-cinq) : on ne m’a fait qu’honneur, et je voudrais de tout mon cœur en avoir encore le talent comme j’en ai conservé le goût ; mais je suis plus heureux de lire les vôtres que je ne l’ai été d’en faire. […] Pour moi, je crois que ce qui perd les États, c’est cette prétendue sagesse qu’on attribue à tous ceux qui n’osent pas courir les risques qu’il y a toujours à vouloir procurer le plus grand bien possible. On veut trop faire fortune aujourd’hui, et on craint trop de la perdre quand on l’a faite : c’est le mal général qui afflige aujourd’hui l’Europe ; car, Dieu merci, on a beau dire, nous ne sommes pas les seuls qui méritions des reproches. […] Lamartine en ses plus faibles moments, la note tendre se perd vite et se noie dans un gazouillement brillanté et insipide

77. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De l’état de la France sous Louis XV (1757-1758). » pp. 23-43

Croirait-on qu’en apprenant ce malheur, on n’ait pensé à Versailles qu’à ce pauvre général qui s’était laissé battre : « On n’a vu à la Cour dans la bataille perdue que M. de Soubise, et point l’État. […] En attendant, tâchez de faire sentir à M. de Kaunitz deux choses également vraies : c’est que le roi n’abandonnera jamais l’impératrice, mais qu’il ne faut pas que le roi se perde avec elle. […] Il faut jouer le même rôle vis-à-vis de son frère, sans quoi tout est perdu ; on veut s’en aller et mettre tout en confusion. […] Les instances que j’ai faites pour vous remettre ma place m’ont perdu ; j’ai prouvé par là, d’une manière bien funeste pour moi, la confiance que j’avais en vous. […] Il avait réparé le temps perdu.

78. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Adrienne Le Couvreur. » pp. 199-220

Adrienne joua quelque temps encore dans l’enceinte du Temple, sous la protection du grand prieur de Vendôme ; puis on sait qu’elle reçut des leçons du comédien Le Grand, et on la perd de vue. […] Il est cependant nécessaire que vous sachiez au vrai mes sentiments, et, s’il m’est permis de dire quelque chose de plus, que vous ne dédaigniez pas d’écouter mes très humbles remontrances, si vous ne voulez pas perdre monsieur votre fils. […] Il se la fit lire, et seulement alors il put connaître en entier le cœur de l’amie qu’il avait perdue. […] Difficile à acquérir, mais plus difficile à perdre. […] Difficile à acquérir, mais plus difficile à perdre : telle est la vraie devise de l’amitié, et c’est un mérite que le cœur élevé de Mlle Le Couvreur mettait bien au-dessus des rapides caprices et des flammes passagères.

79. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

On dit que le ciel nous inspire : Mais c’est en parcourant les cieux Que j’ai perdu pinceaux et lyre. Il ne les perdit jamais entièrement ; il a de tout temps des impromptus comme celui-ci : Vous me croyez donc tous aux cieux,     Étranger sur la terre ? […] Il retrouva la grâce, la légèreté qui sont inséparables de notre nation, et la philosophie qui naissait pour suppléer à tout ce que nous perdions. […] Les sciences ont perdu ces deux hommes illustres dans la force de leur âge ; une mort prématurée a terminé leurs travaux et leurs succès, et m’a privé des ressources sur lesquelles j’avais fondé mes espérances. […] À travers ces digressions et ces détours, Bailly arrive, et cherche à amener avec lui son lecteur, ou Voltaire qui le représente, à sa pensée favorite d’un peuple perdu, mais nécessaire, auteur d’un système astronomique complet et dont on n’a retrouvé que des fragments.

80. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

La douleur du maréchal fut profonde : il perdait son bras droit, son conseil et une moitié de lui-même. […] J’ai perdu le seul protecteur, ce n’est rien, mais le plus tendre et le plus sincère ami que j’eusse. […] Il ne prévoit rien et est peu affecté des dangers présents, s’amuse d’une bagatelle et perd le temps à des promenades inutiles. […] On fit notamment ce couplet qui se chantait dans la galerie de Versailles, à la cantonade : J’ai perdu ma femme et mon fils, Après le chevalier mon frère ; Je suis sans parents, sans amis. […] je vais le perdre encor Sans dire mon Confiteor.

81. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame, duchesse d’Orléans. (D’après les Mémoires de Cosnac.) » pp. 305-321

L’influence du chevalier de Lorraine, à la fin de la campagne de 1667, ruina ses efforts, et cet indigne favori, qui vit en lui un ennemi naturel, ne négligea rien pour le perdre et pour l’éloigner. […] Feuillet près de son lit ; ce bon religieux voulait lui parler et se perdait en longs discours. […]  » Prière de Bossuet prosterné à genoux au lit de mort de Madame, épanchement naturel et prompt de ce grand cœur attendri, vous fûtes le trésor secret où il puisa ensuite les grandeurs touchantes de son Oraison funèbre, et ce que le monde admire n’est qu’un écho retrouvé de ces accents qui jaillirent alors à la fois et se perdirent au sein de Dieu avec gémissement et plénitude ! […] Pour la perte de ma fortune, je n’y fus pas trop sensible ; je n’avais jamais pu me persuader que les espérances que l’on me donnait fussent solides, quoiqu’à juger par toutes les apparences, le succès en fût indubitable ; mais perdre une si grande, si parfaite, si bonne princesse, une princesse qui pouvait réparer le tort que ma chute m’avait fait ; non, si j’avais eu le cœur véritablement délicat et sensible, il m’en devait coûter la vie. […] Avec cette princesse, je perdis l’envie et l’espérance de mon retour, et, pleinement dégoûté du monde, je tournai toutes mes vues du côté de mon ministère.

82. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 35, de l’idée que ceux qui n’entendent point les écrits des anciens dans les originaux, s’en doivent former » pp. 512-533

Celui d’ Hospes ne perd-il pas une partie de la dignité qu’il a en latin, où il signifie un homme lié avec un autre par l’amitié la plus intime, un homme lié avec un autre jusqu’à pouvoir user de la maison de son ami comme de la sienne propre, quand on le rend en françois par le mot d’ hôte, qui signifie communément celui qui loge les autres, ou qui loge chez les autres à prix d’argent. […] Les images et les traits d’éloquence perdent toujours quelque chose quand on les transplante de la langue en laquelle ils sont nez. […] Ceux qui lisent pour s’instruire ne perdent que l’agrément du stile de l’historien, quand ils le lisent dans une bonne traduction. […] Un poëme perd dans la traduction l’harmonie et le nombre que je compare au coloris d’un tableau. Il y perd la poësie du stile que je compare au dessein et à l’expression.

83. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « EUPHORION ou DE L’INJURE DES TEMPS. » pp. 445-455

Quelques écrits ont hérité avec bonheur de ceux que la ruine a engloutis ; quelques noms glorieux, plus nettement dessinés, et répétés sans cesse, sont devenus pour nous la représentation et comme le symbole subsistant des autres à jamais perdus en eux. […] Combien de fois, si l’on avait tant soit peu jour sur ce qui s’est perdu, ne recevrait-on pas de ces démentis ! […] On imprime de plus en plus, il est vrai, mais il ne se perdra rien de ce qu’on aura imprimé. Le pire qui nous puisse arriver, c’est que nous serons tous plus ou moins immortels, et bien loin que quelques-uns d’un peu intéressants se perdent tout entiers, dignes et moins dignes nous vivrons tous avec part au soleil et presque ex æquo.

84. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

L’origine de ces femmes se perd dans la nuit des Mille et une Nuits. […] Mais tout espoir n’est pas perdu, puisqu’elle pleure et qu’elle sait pleurer ; l’eau des larmes est un philtre avec lequel les femmes opèrent des magies. […] Je vous assure que c’est une terrible sortie que celle de cette femme à jamais perdue qui reprend, d’un pas si leste et si fier, le sentier qui mène aux abîmes. […] Elle est bien fine, la baronne d’Ange, elle est « d’une jolie force », comme lui dit, quelque part, le jeune Olivier ; mais c’est justement son excès de ruse et de dissimulation qui la perd. […] Ici, le paradoxe est flagrant : l’auteur avait besoin de déshonorer Jean Giraud, cela rentrait dans le plan et dans la moralité de sa comédie, et il n’a reculé devant aucune extrémité pour le perdre.

85. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

Bobèche perdit tout, en perdant ses tréteaux ; il perdit sa gaieté, il perdit sa verve imprudente, il perdit la liberté de son sarcasme, il fut soumis à la censure comme eût pu l’être un sénateur, il fut oublié le jour même où il ne fut plus qu’un jocrisse. […] l’infortuné perd le fil de sa douce gaieté ; et il se jette à tête perdue, dans les cent mille détours de ses diverses comédies ! […] — Notre jeune homme l’a perdue de vue ? […] Tout n’est pas perdu, nous aurons encore de la comédie !  […] Il n’y a que les honteux qui perdent.

86. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

Il y a donc peu de tems à perdre. […] Je n’ai point perdu de vuë le degré de fermeté où les livres saints nous le peignent. […] Il n’y a que trop de tragedies où des actes entiers se perdent en préparations. […] perfide, je le voi, tu compte les momens que tu perds avec moi. […] Quel dommage que tout ce mérite soit perdu pour le théatre !

87. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Réponse à M. Dubout. » pp. 305-316

Charité perdue, comme vous l’avez vu par le factum qui encombre ce numéro, et qui est sans aucun doute ce que la Revue 6 a publié de plus mauvais depuis sa fondation. […] Mais je ne veux plus perdre mon temps à corriger vos fautes de grammaire, et j’arrive à un point plus intéressant. […] Mais il paraît que Prétextat, vieux prêtre blanchi dans le saint ministère, et plein d’une terrible expérience, — d’ailleurs préparé au choc par les précédents aveux de la reine, déjà si semblables à de cyniques défis, — doit être surpris par sa dernière révélation, au point d’en perdre subitement et complètement la tête. […] La littérature, il faut l’aimer ; mais le mieux est de l’aimer sans en faire ; et, quand on en fait, les bénéfices que notre vain orgueil en attend ne valent pas que l’on devienne méchant à cause d’elle ni que, pour elle, on perde son âme.

88. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 9, des obstacles qui retardent le progrès des jeunes artisans » pp. 93-109

Mais si l’on perd ces années précieuses, si l’on les laisse écouler sans les mettre à profit, la docilité des organes se passe sans que tous nos efforts puissent jamais la rappeller. […] Nous avons déja perdu cette docilité pour les conseils des autres, qui tient lieu aux enfans de bien des vertus ; et notre perseverance aussi foible que notre raison, n’est point à l’épreuve des dégoûts. […] Elle fait perdre beaucoup de temps, et met encore un jeune artisan hors d’état de faire un bon usage de celui qu’elle lui laisse. […] L’extrême besoin dégrade l’esprit, et le génie, réduit par la misere à composer, perd la moitié de sa vigueur.

89. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Marie-Antoinette » pp. 171-184

Comprenant que l’ancienne inimitié de la France et de l’Autriche n’avait plus de raison pour exister, elle pensait, en regardant cette belle enfant, par l’éducation faite française, à opposer l’épouse, qui sauve tout, à ces maîtresses qui avaient tout perdu dans cette maison de Bourbon, l’humiliation vivante des Reines, et ainsi à relever, par les mœurs et par la famille, cette monarchie qui périssait par la famille et par les mœurs ! […] Avec cette pensée de relever la royauté avilie dans le cœur d’un Roi devenu fidèle, la vie de Marie-Antoinette prend un sens qu’elle ne perdra plus. […] Il fallait les battre avec leurs propres armes, ces coquines charmantes et amusantes, qui avaient ôté cette ceinture, par trop serrée, de l’étiquette, à ces sultans lassés qu’elle blessait… Il fallait que la vertu, chez soi, fût aussi aimable que le vice, sans cesser d’être la vertu ; et ce jeu difficile et dangereux, que seule une femme pure et trempée dans le Styx de sa propre innocence pouvait se résoudre à jouer, elle le joua hardiment, presque héroïquement, et elle perdit… Dieu ne voulut pas que la fille de Marie-Thérèse épargnât à la France et à la maison de Bourbon le châtiment qu’elle méritait pour avoir subi des Pompadour. […] Elles virent que l’empire, leur empire à elles, allait rester à celle qui ne l’usurpait pas ; et de terreur, de désespoir, ce fut un déchaînement de fureur, d’atrocités et de perfidies, comme des femmes qui perdent le sceptre doivent en inventer.

90. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XII. Marie-Antoinette, par MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 283-295

Comprenant que l’ancienne inimitié de la France et de l’Autriche n’avait plus de raison pour exister, elle pensait, en regardant cette belle enfant, par l’éducation faite française, à opposer l’épouse, qui sauve tout, à ces maîtresses qui avaient tout perdu dans cette maison de Bourbon, l’humiliation vivante des Reines, et ainsi à relever, par les mœurs et par la famille, cette monarchie qui périssait par la famille et par les mœurs ! […] Avec cette pensée de relever la royauté avilie, dans le cœur d’un Roi, devenu fidèle, la vie de Marie-Antoinette prend un sens qu’elle ne perdra plus ! […] Il fallait les battre avec leurs propres armes, ces coquines charmantes et amusantes, qui avaient ôté cette ceinture, par trop serrée de l’étiquette, à ces sultans lassés qu’elle blessait… Il fallait que la vertu, chez soi, fût aussi aimable que le vice, sans cesser d’être la vertu ; et ce jeu difficile et dangereux, que seule une femme pure et trempée dans le Styx de sa propre innocence pouvait se résoudre à jouer, elle le joua hardiment, presque héroïquement, et elle perdit… Dieu ne voulut pas que la fille de Marie-Thérèse épargnât à la France et à la maison de Bourbon le châtiment qu’elle méritait pour avoir subi des Pompadour. […] Elles virent que l’empire, leur empire à elles, allait rester à celle qui ne l’usurpait pas ; et de terreur, de désespoir, ce fut un déchaînement de fureur, d’atrocités et de perfidies, comme des femmes qui perdent le sceptre doivent en inventer !

91. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Il perdit sa mère à neuf ans, son père à quatorze ; ce père était notaire et greffier comme celui de Boileau. […] Quand il parut, la duchesse lui dit sèchement qu’il lui avait fait perdre plus d’une heure à l’attendre : « Eh bien ! […] Gil Blas, devenu secrétaire et favori de l’archevêque de Grenade, se perd ici, comme il s’était perdu près du vieux fat amoureux, en disant la vérité. […] Si c’est là de la sagesse pratique, on ne saurait disconvenir que le talent perd toujours un peu à ne pas avoir un très haut idéal en vue. […] [NdA] Sa surdité presque complète ne l’avait nullement empêché, durant des années, de suivre la représentation de ses pièces : il n’en perdait presque rien, et disait même qu’il n’avait jamais mieux jugé du jeu et de l’effet que depuis qu’il n’entendait plus les acteurs.

92. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

L’éloquence dans les livres est à peu près comme la musique sur le papier, muette, nulle, et sans vie ; elle y perd du moins sa plus grande force ; et elle a besoin de l’action pour se déployer. […] On y demandait, comme dans nos tribunaux, plus de raisons que de pathétique ; et les juges d’Athènes, ainsi que les nôtres, eussent fait perdre à Cicéron la plupart des causes qu’il avait gagnées à Rome. […] L’expression même la plus brillante perd de son mérite dès que la recherche s’y laisse apercevoir. […] Ainsi la clarté est l’apanage de notre langue, en ce seul sens qu’un écrivain français ne doit jamais perdre la clarté de vue, comme étant prête à lui échapper sans cesse. […] Quelque agréable que l’harmonie soit en elle-même, elle perdra beaucoup de son prix, si elle n’est employée qu’à orner un style lâche et diffus.

93. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Cette vogue, cette faveur, tant attendue, lui venait enfin, mais elle avait perdu de sa grâce. […] Ce n’est pas que je n’aie la date d’un ancien attachement ; vous me l’aviez inspiré avant de vous avoir vu, et, quoi que vous en disiez, vous ne perdez pas dans le commerce. […] Je me flatte que je ne vous perdrai pas ; non, cette idée n’est jamais venue affliger mon esprit ; depuis que vous m’avez promis d’avoir de l’amitié pour moi, il ne m’est pas venu à l’esprit que vous puissiez me l’ôter. […] Dans sa jeunesse, il avait servi avec distinction dans le régiment d’Auvergne et dans le régiment de Verdelin, et avait perdu un œil d’un coup d’épée. […] Veut-on causer, on ne trouve pas une idée dans cette tête, ou, dans d’autres moments, on en découvre une foule de si petites, si petites, qu’elles se perdent en l’air avant que d’arriver à votre oreille.

94. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Je n’ai plus rien à perdre, et tes vœux sont comblés. […] Le meilleur s’en est perdu en passant par leur bouche. […] Pour vouloir être trop rare, Marivaux s’est perdu dans ses propres finesses. […] Plus d’une des impertinences de Figaro a perdu le mérite de l’à-propos. […] Philinte sera sauvé de la ruine par Alceste, mais il perdra son amitié.

95. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VI, « Le Mariage de Figaro » »

Là-haut les idées sont le divertissement des esprits : ici, elles en sont la nourriture, l’espérance ; elles donnent une raison de vivre ; ici, Voltaire perd, et Rousseau gagne. […] Beaumarchais est alors dans une situation critique : il sort à peine du For-l’Évéque ; l’arrêt d’appel dans l’affaire La Blache la condamné ; ce n’est pas la ruine, c’est l’infamie, puisqu’il ne peut perdre son procès sans être reconnu pour faussaire. […] Il lâche ses épigrammes meurtrières contre les privilèges et les privilégiés : même dans ce fameux monologue, qui ne sert de rien à la pièce et sans lequel la pièce perdrait sa valeur, Figaro fait le procès à la société avec une amertume d’ironie, une âpreté de colère, qui donnent à l’explosion de ses rancunes personnelles une singulière ampleur. […] Ils révélaient leur impuissance : une société est perdue quand elle n’a plus foi en son droit, et se moque des principes qui la soutiennent. […] En 1770 commencent les procès qui vont lui donner la gloire : à propos de son règlement de comptes avec Paris-Duverney, mort le 17 juillet 1770, le comte de la Blache, petit-neveu et héritier du vieux banquier, accuse Beaumarchais de faux et lui réclame 139 000 livres : il perd en première instance, gagne en appel, et enfin, après cassation de l’arrêt d’appel, perd définitivement ; il est débouté, condamné sur tous les points, et en outre à des dommages-intérêts pour raison de calomnie.

96. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

N’est-elle pas, après tout, une femme perdue par sa première faute ? […] Rien de chaste et rien de touchant comme cet élan d’une jeune âme blessée, ressaisissant la vie, se rattachant au bonheur qu’elle croyait perdu. […] Il tâtonne, il frappe à côté, il dévie, par un étrange égarement, de l’inflexible voie qu’il s’était tracée et se perd dans un terrain vague, sans issue et sans direction. […] C’est ici que le drame commence à se perdre. […] Le drame perd toute logique et toute raison d’être ; sa conception vigoureuse se termine par une déception.

97. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le surintendant Fouquet. (Article Fouquet, dans l’Histoire de Colbert, par M. P. Clément.) 1846. » pp. 294-312

S’il avait voulu sauver quelque portion de son crédit et de son pouvoir, il n’aurait pas eu un moment à perdre, et peut-être il était déjà trop tard. […] Un rapporteur de l’édit s’alla malheureusement promener aux champs, un autre perdit sa femme ; on tomba dans les fêtes, et, après la vérification même, les expéditions de l’Épargne étaient longues par la multitude des quittances et des contrats. […] Ce qui perdit Fouquet au degré de chute où il s’abîma, ce n’est pas tant encore le désordre et la dilapidation dont il s’était rendu coupable, ce fut ce qui perdit tant d’autres hommes spirituels et habiles, je veux dire l’excès de présomption et la vanité. […] Louis XIV, pour perdre plus sûrement Fouquet, avait employé un artifice dont nous avons peine à supporter l’idée. […] Et de quoi n’aurais-je point été capable, de quoi ne le serais-je point, si Votre Majesté avait mieux aimé, si elle aimait mieux encore me corriger que me perdre ?

98. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VIII. De la clarté et des termes techniques »

La précision vient ici non pas de ce que l’auteur emploie, mais de ce qu’il connaît les termes techniques, et, les ayant dans la pensée, leur choisit des équivalents intelligibles à tous, qui ne laissent rien perdre de leur sens. […] Fontenelle disait de ses Entretiens sur la pluralité des mondes : « Je ne demande aux dames, pour tout ce système de philosophie, que la même application qu’il faut donner à la Princesse de Clèves, si on veut en suivre bien l’intrigue, et en connaître toute la beauté. » Dans un dialogue de Diderot, le philosophe Crudeli, au moment d’entamer une discussion sur les matières les plus ardues avec la Maréchale, qui n’avait jamais lu que ses heures, répond à ses inquiétudes en disant : « Si vous ne m’entendiez pas, ce serait bien ma faute » ; et il fait toute sa démonstration en transposant dans le langage d’une femme ignorante les idées des plus obscurs métaphysiciens, sans que, dans cette conversion, la profondeur perde ce que gagne la clarté. […] Mais le procédé ne vaut que par la rareté de son emploi : s’il tourne en habitude, il perd son efficacité, il nuit au lieu de servir.

99. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIIe entretien. Revue littéraire de l’année 1861 en France. M. de Marcellus (1re partie) » pp. 333-411

On résume en un clin d’œil sa vie et ses œuvres ; on se demande : Qu’avons-nous perdu ? C’est ainsi que nous fûmes frappé non-seulement au cœur, nous-même, ami, collègue et voisin de campagne, presque contemporain d’années de M. de Marcellus, il y a quelques mois, en recevant le billet de faire-part qui nous convoquait inopinément à ses obsèques, mais frappé à l’esprit ; c’est ainsi qu’en nous interrogeant quelque temps après avec plus de sang-froid sur ce que la France venait de perdre en lui, nous nous répondions : « La France vient de perdre non un orateur, non un poète, non un écrivain de profession, non un savant de métier, mais plus qu’un orateur, plus qu’un poète, plus qu’un écrivain, plus qu’un érudit ; elle vient de perdre un homme de goût ! […] voilà ce que la France littéraire venait de perdre avec M. de Marcellus. […] Une république qui joue à la peur entre un peuple effrayé et un chef ambitieux a bientôt perdu la liberté. […] Dans ce démembrement de notre propre légation, j’avais perdu de vue la charmante ambassadrice.

100. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (3e partie) » pp. 81-152

C’était une petite femme dont la taille, un peu affaissée sous son poids, avait perdu toute légèreté et toute élégance. […] Vous qui avez perdu une femme adorée, vous pouvez concevoir ce que je sens. J’ai tout perdu, consolation, soutien, société, tout, tout. […] J’ai tout perdu : c’est comme si on m’avait arraché le cœur ! […] Je ne vivais que pour un seul objet, et je l’ai perdu.

101. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

En vivant quelques années de plus, Forneron avait pris la jeunesse ; ce qui ne veut pas dire qu’il ait perdu de sa virilité. […] C’est que, tel coup joué, et même tous les coups joués par Philippe II dans la politique de son temps, ont été mal joués ; — car il a perdu la partie, car le Catholicisme, la Papauté, le monde chrétien organisé pendant tant de siècles, sont maintenant perdus, et ce n’est plus avec ces sublimes enjeux qu’on recommencerait la partie ! […] il l’a perdue. […] Elle y a perdu également de sa justice et de sa beauté. […] innocents, mais petitement et misérablement coupables ; car ils se perdirent par l’intrigue, l’agitation, l’aveuglement, la jalousie.

102. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

Nous nous étonnons et nous nous réjouissons qu’il y ait eu un si honnête homme dans un pays si perdu, parmi tant de coquins et d’imbéciles, aux yeux d’un juge si pénétrant, si curieux, si sévère. […] Trahi, presque perdu par un mensonge, décrié auprès de toute la noblesse, il fit ferme, démentit l’homme publiquement « de la manière la plus diffamatoire et la plus démesurée », sans relâche, en toute circonstance, pendant douze ans. […] C’est à ce prix qu’est le génie ; uniquement et totalement englouti dans l’idée qui l’absorbe, il perd de vue la mesure, la décence et le respect. […] Les passions viles s’y étalent jusqu’à l’extrême ; du premier mot on y aperçoit tout l’homme ; ce n’est pas le mort que l’on pleure, c’est un pot-au-feu perdu. […] Les plus politiques, les yeux fichés en terre et reclus dans des coins, méditaient profondément aux suites d’un événement aussi peu attendu, et bien davantage sur eux-mêmes. » Le duc de Berry, qui perdait tout et d’avance se sentait plié sous son frère, s’abandonnait.

103. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MADAME TASTU (Poésies nouvelles.) » pp. 158-176

A sept ans et demi, elle perdit sa mère, qui avait voulu aller mourir à Metz au milieu de sa famille ; car, atteinte d’une maladie de poitrine incurable, cette femme de vertu ne s’abusa pas un moment sur son état, et se disposa à la mort avec calme, comme pour un voyage. […] Enfant, sous son air calme, elle était passionnée, peu flexible, violente même ; elle perdit un jour, à onze-ans, son prix de sagesse, pour un soufflet donné. […] Ne perdons point ceci de vue, en appréciant un talent à demi voilé, qui n’est allé qu’à une gloire décente sous le contrôle du devoir. […] Le moindre succès des Chroniques se perdit bientôt pour Mme Tastu dans des adversités obscures et poignantes qui vinrent assujettir à des emplois obligés ce talent si sobre et si choisi. […] L’un, dès les premiers tons de sa lyre animée, A senti sa voix frêle et son chant rejeté, Comme une vierge en fleur qui voulait être aimée Et qui perd sa beauté.

104. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « L’abbé Prevost et les bénédictins. »

J’aimois un corps auquel j’étois attaché par mes promesses ; je souhaitois d’y être aimé ; et, fait comme je suis, j’aurois perdu la vie plutôt que de commettre quelque chose d’opposé à ces deux sentiments. […] J’ai perdu chez vous, dans l’espace de huit ans, ma santé, mes yeux, mon repos, personne ne l’ignore ; c’est être assez puni d’y avoir demeuré si longtemps. […] Le Ciel m’est témoin que c’eût été pour moi une très-vive satisfaction, et que j’ai fort regretté de l’avoir perdue. […] Cependant j’avoue que le respect humain auroit été capable de me retenir dans mes chaînes, si je n’eusse fait réflexion, que la moitié du monde vaut bien l’autre, et que la même démarche qui me feroit peut-être perdre quelque estime en France m’en attireroit beaucoup en Angleterre et en Hollande. […] Ce qui paraîtra plus digne d’un homme, c’est cette réflexion si juste, que la moitié du monde vaut bien l’autre , et que ce qu’on perd dans l’opinion sur une rive de l’Escaut, on le regagne en estime sur l’autre rive.

105. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — Se connaître »

J’ai recueilli dans cet ordre d’idées une opinion, que je considère comme infiniment précieuse et qu’il eût été cruel d’abandonner à l’oubli : c’est celle d’un directeur d’institution qui, dans un discours de distribution de prix, parlant de l’enseignement des langues vivantes, prétendait avec un bel accent de conviction patriotique, que leur étude était d’un mince intérêt pour la France, attendu qu’elle avait tout à perdre et rien à gagner en étudiant les œuvres étrangères !! […] Perdue dans son rêve de suprématie, au milieu des nuages d’encens dont elle s’entoure, « l’âme idéaliste de la France », pour répéter une expression typique récemment employée à la tribune de la Chambre, ne laisse apercevoir qu’une pitié dédaigneuse à l’égard des « barbares » qui avoisinent son territoire sacré. […] Mais en même temps que la vérité se fait jour en eux, la fierté gauloise qui fait partie de leur existence intime, justement émue de cette aube de conscience dangereuse pour elle et ne pouvant consentir à perdre un pouce de terrain qu’elle occupe dans le cœur de tout Français, se redresse avec énergie, pour faire entendre sa voix toute puissante au-dessus des appels de la réalité. […] » se demande-t-il ; est-il vrai que la France ait perdu sa situation dans le monde ? […] Quand nous saurons exactement ce que nous sommes, quel est notre état positif, ce que nous possédons et ce qui nous manque, il est impossible que nous ne consacrions pas toutes nos forces à nous guérir et à reconquérir le terrain perdu.

106. (1928) Les droits de l’écrivain dans la société contemporaine

Cette œuvre s’y offre à nous dans une intimité qu’elle perd à être imprimée. […] Le ministre une fois arrêté, la police a ouvert ses coffres-forts, et a saisi des notes personnelles qu’il avait jetées librement sur le papier à des moments perdus. […] Ainsi, de son vivant, ses écrits n’étaient pas protégés (ses lettres tout au moins) ; maintenant ils le sont tellement mal qu’ils risquent d’être incompris, cachés, perdus ou détruits. […] Pareil à certains corps radioactifs, il dégagera une énergie perpétuelle sans rien perdre de sa puissance. […] En lui faisant perdre la conscience de son incompétence habituelle, nous l’érigeons en tyran.

107. (1875) Premiers lundis. Tome III « Instructions sur les recherches littéraires concernant le Moyen Âge »

Parmi les anciens poètes provençaux, plusieurs s’occupèrent de mathématiques ; mais leurs ouvrages ont été perdus. […] Des correspondances, des manuscrits scientifiques inédits existent encore ou peuvent se retrouver, bien qu’on les ait supposés perdus. On avait déclaré perdue la correspondance de Peiresc, qui intéresse autant l’histoire de la littérature que celle des sciences ; elle a été recouvrée depuis. […] Pour bien s’assurer de ce qui est réellement inédit, on devra consulter l’Histoire littéraire de France, où l’article concernant chaque auteur se termine par une énumération des ouvrages inédits et même des ouvrages réputés perdus.

108. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Charles Baudelaire. Les Fleurs du mal. »

Théophile Gautier pour son maître, est de cette école qui croit que tout est perdu, et même l’honneur, à la première rime faible, dans la poésie la plus élancée et la plus vigoureuse. […] Baudelaire, chaque poésie a, de plus que la réussite des détails ou la fortune de la pensée, une valeur très-importante d’ensemble et de situation qu’il ne faut pas lui faire perdre, en la détachant. […] Au point de vue de l’art et de la sensation esthétique, elles perdraient donc beaucoup à n’être pas lues dans l’ordre où le poète, qui sait bien ce qu’il fait, les a rangées. Mais elles perdraient bien davantage au point de vue de l’effet moral que nous avons signalé au commencement de ce chapitre.

109. (1874) Premiers lundis. Tome II « Étienne Jay. Réception à l’Académie française. »

Pendant que les destinées du pays, sa stabilité comme sa gloire, se trouvent plus que jamais remises en question par l’aveuglement d’une coterie triomphante ; pendant que les violences succèdent aux fautes, que les leçons de quarante années de révolution se perdent en un jour, et que les constitutions naissantes auxquelles on croyait quelque vie reçoivent, de la main de leurs auteurs, d’irréparables ébranlements ; pendant, en un mot, que la capitale de la France est en état de siège, et que les conseils de guerre prononcent peut-être quelque nouvelle condamnation à mort, aujourd’hui mardi, l’Académie française tenait sa séance solennelle, et M.  […] Enfin on a beaucoup agité la question de savoir s’il était, ou du moins s’il se croyait véritablement académicien : car, interrogé un jour sur un fait ou sur un vote relatif à l’Académie, M. de Montesquiou avait répondu avec ce tact exquis, particulier, comme on sait, aux gens de sa qualité, et dont la tradition se perd de jour en jour, il avait répondu, dis-je : « Suis-je donc académicien ?  […] Sans doute il est trop vrai de dire que la langue, dans ce qu’elle avait d’excellent, se déforme, se perd de jour en jour ; qu’elle est à la merci de tous, tiraillée, gonflée, bigarrée en cent façons, et qu’au train dont on la mène, on ne peut savoir, d’ici à cinquante ans, ou seulement à vingt-cinq, ce qui en arrivera.

110. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre VI. Harmonies morales. — Dévotions populaires. »

Leurs pleurs ne sont point perdus : la religion les reçoit dans son urne, et les présente à l’Éternel. […] Les filles qui ont perdu leurs fiancés, ont souvent, au clair de la lune, aperçu les âmes de ces jeunes hommes dans ce lieu solitaire ; elles ont reconnu leurs voix dans les soupirs de la fontaine. […] Une mère perdait-elle un fils dans un pays lointain, elle en était instruite à l’instant par ses songes.

111. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

qu’ils aient perdu le regard, Non, non, cela n’est pas possible ! […] Mais, à force de « panthéisme » et d’« objectivité », le poète a fini par perdre ce don de l’émotion sympathique qui fait le fond même de la poésie. […] Les trois spectres sont là qui dardent leurs prunelles Je revois le soleil des paradis perdus ! […] Mais ce peu de lumière à ce néant fidèle, C’est le reflet perdu des espaces meilleurs ! […] La blague a perdu son tranchant A force de frapper le nez des dieux fossiles.

112. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 289-290

Félicité passée, Qui ne peux revenir, Tourment de ma pensée, Que n’ai-je en te perdant, perdu le souvenir ! […] Le sort plein d’injustice, M’ayant enfin rendu Ce reste, un pur supplice ; Je serois plus heureux, si je l’avois perdu.

113. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

Bonaparte l’a dit plus tard, l’idéologie et la métaphysique ont perdu la France. […] La famille de Pelleport avait perdu toute sa fortune, et regarderait comme la plus belle des fortunes l’union du plus grand philosophe religieux et du plus sensible poëte du siècle. […] Vous avez perdu la plus aimable des filles, qui aurait été la plus digne des femmes. […] Mon fils, voyez que tout change sur la terre, et que rien ne s’y perd. […] J’ai traversé les mers pour obéir à mes parents ; j’ai renoncé aux richesses pour conserver ma foi ; et j’ai mieux aimé perdre la vie que de violer la pudeur.

114. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

Elle est de celles d’ailleurs dont on a beau médire, la raison y perd ses droits ; il en est de son cœur comme de sa beauté, qui, avec bien des défauts, avait un éclat, une façon de langueur, et un charme enfin, qui attachaient. […] Il voulut se venger et manœuvra si bien que Mme de Châtillon reconquit M. de Nemours sur Mme de Longueville, et qu’en veine de triomphe, elle fit encore perdre à celle-ci le cœur et la confiance du prince de Condé qu’elle s’attacha également. […] M. de La Rochefoucauld fut puni tout le premier de sa vilaine action ; il reçut, au combat du faubourg Saint-Antoine, cette mousquetade qui lui perça le visage et lui fit perdre les yeux pendant quelque temps. […] Vinet semble moins convaincu : on fera, dit-il, ce qu’on voudra de ces passages de Mme de Sévigné, témoin de ses derniers moments : « Je crains bien pour cette fois que nous ne perdions M. de La Rochefoucauld ; sa fièvre a continué ; il reçut hier Notre-Seigneur : mais son état est une chose digne d’admiration. […] Il est vrai que, de leur côté, ceux qui en ont bien usé, c’est-à-dire sobrement, ont intérêt à ne pas perdre le fruit de leur économie.

115. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 385-448

Nous perdîmes la raison à ce bruit ; il nous sembla que chaque coup du tranchant des haches nous emportait un morceau de nos cœurs. […] Hyeronimo arrêta le sang que perdait Zampogna en entourant l’os de sa pauvre jambe coupée d’une terre glaise, et en retenant cette terre humide autour de l’os nu avec une bande arrachée de sa manche de chemise. […] Ne perds pas un instant ; embrasse-nous et recommande-toi à Dieu et à ses saints. […] et pour un enfant que nous avons perdu, veux-tu nous faire perdre encore le seul enfant que Dieu nous laisse ? […] à ce que j’allais faire, toute seule ainsi et toute perdue, dans les rues de la grande ville, d’où j’entendais déjà les cloches et les bruits formidables monter dans l’air avec le soleil du matin.

116. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Théophile Gautier pour son maître, est de cette École qui croit que tout est perdu, et même l’honneur, à la première rime faible, dans la poésie la plus élancée et la plus vigoureuse. […] Baudelaire, chaque poésie a, de plus que la réussite des détails ou la fortune de la pensée, une valeur très importante d’ensemble et de situation qu’il ne faut pas lui faire perdre, en la détachant. […] Au point de vue de l’Art et de la sensation esthétique, elles perdraient donc beaucoup à n’être pas lues dans l’ordre où le poète, qui sait bien ce qu’il fait, les a rangées. Mais elles perdraient bien davantage au point de vue de l’effet moral que nous avons signalé au commencement de cet article. […] le temps mange la vie, Et l’obscur ennemi qui nous ronge le cœur Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

117. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Le journal de Casaubon » pp. 385-404

Le manuscrit (dont un cahier malheureusement s’est perdu) légué par Méric ou Émery Casaubon, son fils, à la Bibliothèque de l’Église de Cantorbéry, s’y était conservé et n’a été mis en lumière qu’il y a dix ans ; on ne le connaissait jusqu’alors que par des fragments. […] Ainsi ferai-je pour mes citations ; je traduirai tout uniment, et si l’on y perd la broderie, on aura du moins l’étoffe, je veux dire la pensée courante, le sentiment ému, l’effusion, ce qui fait réellement le prix de cet écrit sincère. […] Je me suis levé un peu tard pour cause d’indisposition, et j’ai perdu la meilleure partie des heures du matin. […] Ce jour-là les études ont tort, ce jour-là et les jours suivants ; et pendant bien du temps encore, l’image de cette aimable et gentille petite créature viendra passer et repasser devant les yeux paternels, et se placer entre lui et son Athénée, qu’il a rouvert. — Que sera-ce quand il perdra par la suite une autre de ses filles, sa bien-aimée Philippe, âgée de dix-huit ans et demi ? […] Mais Commynes est pour l’impôt librement consenti, pour le droit des communes, et non pour ce droit divin, pour ces prérogatives absolues que revendiquait Jacques, et dont la chimère obstinément poursuivie perdit sa race.

118. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Le maréchal de Villars. »

Celui-ci arrivait avec l’éclat de ses victoires en Allemagne et sur le Rhin : il voulut s’opposer au siège de Mons, livra la bataille de Malplaquet, y fut grièvement blessé et la perdit. Mais cette bataille perdue avait cela de particulier, à la différence des précédentes, qu’on y avait combattu avec une valeur acharnée, qu’on y avait fait plus de mal encore aux ennemis qu’ils n’étaient parvenus à nous en faire, et que le moral des troupes était relevé. […] Il eut le déboire, il est vrai, de perdre Bouchain presque sous ses yeux, sans pouvoir le secourir ; désagréable échec, et même assez grave en ce qu’il livrait passage à l’ennemi entre l’Escaut et la Sambre, et lui permettait désormais de porter la guerre sur une partie de la frontière moins susceptible de défense. […] Il se rendit à mes raisons, et nous continuâmes notre marche, après avoir perdu une heure de temps. » Telle est la version de Montesquiou, désobligeante pour Villars. […] Moi qui ne pouvais approuver ce retard, je voulus persister dans mon attaque, voyant que le temps pressait ; sur quoi M. de Contades me sollicita si vivement d’amitié de ne point attaquer sans parler à M. le maréchal de Villars, qui n’était pas éloigné, m’assurant que j’étais un homme perdu si l’attaque ne réussissait pas, que j’y consentis et fus le trouver à cinq cents pas.

119. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

de Talleyrand : « Ce ministre, qui posséda si éminemment, dit-il, l’art de la société, et qui en a si souvent usé avec succès, tantôt pour imposer à ceux qu’on voulait détruire, en leur faisant perdre contenance, tantôt pour attirer à lui ceux dont on voulait se servir, fit à M. de Senfft un accueil assez froid (avril 1806). » Ce ne fut qu’un peu plus tard, lorsque M. de Talleyrand eut quitté le ministère et perdu la faveur, que Mme de Senfft, personne distinguée et généreuse, — ce qu’on appelle une belle âme, — se sentit prise pour lui d’une sorte d’attrait et de beau zèle, d’un mouvement admiratif qui n’échappa point au personnage et qui fixa pour l’avenir l’agrément de leurs relations. […] Cette désagréable mais indispensable question suffisamment éclaircie et vidée, revenons à la politique et ne perdons pas de vue notre objet. […] Il se joignait à ces raisons irritantes d’autres circonstances encore que le comte de Senfft nous fait entrevoir ; car les intrigues de divers genres à cette cour impériale étaient plus nombreuses et plus entrecroisées qu’on ne le suppose généralement : Napoléon voulut avertir et faire un exemple : « L’orage éclata sur M. de Talleyrand, qui perdit alors sa place de grand chambellan avec toutes les marques de la disgrâce. […] c’est perdre une partie à beau jeu. […] Cependant M. de Talleyrand ne perdait pas de vue son hôte : Napoléon était encore debout et menaçant.

120. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — II. (Fin.) » pp. 476-495

D’une santé délicate, d’un cœur aimant, ayant perdu une épouse qui lui était chère, et au retour d’un voyage de consolation et d’étude qu’il avait fait en France, en Angleterre et en Hollande, il attira l’attention de Frédéric, alors prince royal, qui se l’attacha. […] Pour Jordan, quand le roi l’eut perdu, il y eut toujours un regret plus constant, plus avoué. […] j’en ai perdu deux (Jordan et Keyserlingk) que je regretterai toute ma vie et dont le souvenir ne finira qu’avec ma durée… Selon ma façon de penser, l’amitié est indispensable à notre bonheur. […] Quand le frère de Jordan vint, le lendemain matin, lui annoncer la triste nouvelle, la première chose qui frappa ses yeux, en entrant dans le cabinet du roi, fut le portrait de celui qu’ils avaient perdu. […] Mais j’ai perdu tous mes amis, s’écrie-t-il, mes proches et mes plus intimes connaissances.

121. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Baudelaire  »

Par la langue et le faire, Baudelaire, qui salue à la tête de son recueil Théophile Gautier pour son maître, est de cette école qui croit que tout est perdu, et même l’honneur, à la première rime faible, dans la poésie la plus élancée et la plus vigoureuse. […] dans le livre chaque poésie a, de plus que la réussite des détails ou la fortune de la pensée, une valeur très importante d’ensemble et de situation, qu’il ne faut pas lui faire perdre en la détachant. […] Au point de vue de l’art et de la sensation esthétique, elles perdraient donc beaucoup à n’être pas lues dans l’ordre où le poète, qui sait bien ce qu’il fait, les a rangées. Mais elles perdraient bien davantage au point de vue de l’effet moral que nous avons signalé en commençant. […] Toute cette observation minutieuse d’états pathologiques misérables, dans lesquels l’homme a perdu l’équilibre et la possession de soi-même et n’a trouvé jamais que le bonheur sot de la sensation, est revêtu de l’expression qui ferait tout lire et presque tout pardonner.

122. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Marsolleau, Louis (1864-1935) »

Marsolleau, Louis (1864-1935) [Bibliographie] Les Baisers perdus (1886). — L’Amour et la Vie […] Paul Zahori Louis Marsolleau, c’est l’auteur des Baisers perdus  ; c’est le chansonnier de la Bataille ; c’est le « patronet » de la Petite République ; c’est un Breton absolument parisianisé et pourvu du don rare : il démolit — en riant et d’un mot — les imbéciles les plus graves.

123. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Le Comte Walewski. L’École du Monde »

Walewski est dans le cas de nous tous, journalistes et littérateurs par goût, par convenances (qu’il le sache bien, car en bonne compagnie les nécessités mêmes s’appellent des convenances), littérateurs à nos moments perdus (et nous en perdons beaucoup) ; il ne faut pas qu’il s’imagine que nous soyons plus contraints au métier que lui ; nous sommes tous des amateurs, et il est étrangement venu à nous dire : « La presse qui semblait devoir, au moins par générosité, accueillir avec indulgence un homme du monde et lui faire les honneurs de la république des lettres, la presse, c’est-à-dire une partie de la presse, s’est montrée peu courtoise. » La presse ne devait et ne doit rien à M.  […] Walewski depuis qu’il observe le monde, c’est le danger, dit-il, auquel se trouve exposée une jeune femme qui, jetée sans défense parmi les médisances des salons, peut voir, dès le premier pas, sa réputation compromise et son avenir perdu : il en a fait le sujet de sa pièce.

124. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Bilan des dernières divulgations littéraires. » pp. 191-199

Car un homme de lettres ne laisse rien perdre. […] * * * Je ne vous dirai pas si Musset et Sand ont gagné ou perdu, mais assurément Victor Hugo a beaucoup gagné aux récentes divulgations. […] En résumé, Marceline et Victor Hugo gagnent personnellement aux récentes indiscrétions ; Musset, Sand et Sainte-Beuve n’y perdraient que si nous avions eu beaucoup d’illusions sur eux.

125. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre II. « Faire de la littérature » » pp. 19-26

En notre temps notoirement pratique, où, si peu de chose se créent, du moins aucune ne se perd, le jeune homme qui sait tourner avec une égale aisance, et au gré du jury, une « lettre de Varius à Virgile pour lui faire compliment des Géorgiques », ou un « billet de Maucroix à La Fontaine pour le féliciter de ses Fables », le jeune bachelier songe à ne pas laisser inexploité l’heureux produit d’un naturel de choix et d’une éducation de luxe. […] Cette genèse banale du jeune écrivain, je ne la conclurai pas par les exhortations d’usage, par le prenez-garde traditionnel et indiscret : je ne pourrais que répéter, avec moins de grâce, les pages exquises sur l’Homme de lettres publiées par Édouard Thierry dans un numéro perdu d’une pauvre revue, La Mosaïque. […] On oublia que le poème ne gagne pas plus à la valeur sociale des idées qu’il exprime, que l’opéra de Wagner ne perd à l’inauthenticité des légendes germaniques évoquées.

126. (1759) Salon de 1759 « Salon de 1759 — La Grenée » p. 97

Au lieu de cela, c’est une grande toile nue, où quelques figures oisives et muettes se perdent. […] Le reste, c’est de la couleur, de la toile et du temps perdus.

127. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

Voilà tout ce qu’on vous demande, et non pas des dissertations et de la rhétorique à perdre haleine. […] Mon maître, a perdu tant d’honnêtes femmes que je puis bien avoir une inclination ! […] Avertir de sa ruine, Don Juan qui se perd ! […] Je ne veux pas de ce jargon de femme-de-chambre à propos de la vertu perdue !  […]Perdre ton amour (c’est la première fois qu’elle lui parle !)

128. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre IV. La langue française au xviie  »

Celles que les précieux tentèrent furent parfois heureuses ; on leur doit des locutions telles que : avoir l’âme sombre, être d’une vertu sévère ou commode, dire des inutilités, perdre son sérieux, fendre la presse, être brouillé avec le bon sens, faire ou laisser mourir la conversation, faire figure dans le monde, etc. […] Mais une des règles de Malherbe, et la plus claire, la plus bienfaisante aussi, est perdue de vue : l’usage du peuple (dans les régions de la France où la langue française est indigène ; ainsi, à Paris). […] Il avait si bien mis en train le Dictionnaire, que sa mort ne perdit pas l’entreprise. […] L’exact Vaugelas lui-même reconnaissait — non sans regret — qu’on avait perdu la moitié du langage d’Amyot.

129. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 272-292

« La Poésie, dit-il, perd plus qu’elle ne gagne par les rimes. Elle perd beaucoup de variété, de facilité & d’harmonie. […] Les Poëmes épiques écrits en vers perdent beaucoup dans la Traduction, tandis que le Télémaque conserve ses beautés originales dans les Langues où on l’a traduit. La Jérusalem délivrée, le Parais perdu, la Henriade, fatiguent, dégoûtent même dans une longue lecture par la monotonie de la versification.

130. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme au XVIIIe siècle » pp. 309-323

Mais tout en écrivant ces romans avec un procédé littéraire de pointillement dans le détail que je trouve inférieur, et qu’ils avaient pris dans le genre d’étude qu’ils avaient fait du xviiie  siècle, ils perdirent peu à peu le sentiment moral qui se révoltait souvent en eux contre le siècle même qu’ils aimaient tant, et dont ils n’avaient entrepris de faire l’histoire que parce qu’ils l’aimaient. […] ils perdirent cette flamme de moralité éloquente. […] Ces femmes perdent un homme pour le perdre.

131. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Benjamin Constant »

Tandis que Madame Récamier, qui a perdu tant de cœurs, restera éternellement dans l’ombre incertaine de la sienne et tourmentera l’admiration et la curiosité des hommes comme une serrure à secret qui n’a pas de clé. […] Caroline de Naples craignant de perdre le royaume de son mari et cherchant un publiciste imposant pour faire valoir ses droits devant les Souverains alliés, Madame Récamier avait nommé Benjamin Constant, et il était venu chez Madame Récamier pour cette grave affaire… Mais il y eut pour lui chose plus grave. […] Elle lui dit qu’il n’était plus Benjamin Constant, qu’il se dissolvait, qu’il tombait par morceaux, qu’il était changé à faire peur, qu’il perdait son talent, qu’il n’avait plus d’esprit, qu’il devenait bête et idiot, lui, le Voltaire du temps ! […] Benjamin Constant, l’inconsistant et le vaniteux homme d’esprit à qui on ne croyait guères que de l’esprit, y gagne une âme, et l’exquise Juliette Récamier y perd quelque peu, si ce n’est tout, de la sienne, laquelle semblait divine et qui, véritablement, l’était trop pour nous… Benjamin Constant, qui a écrit ces lettres, y abdique comme écrivain dans les mains de l’homme, et l’homme y abdique à son tour dans les mains de l’amoureux.

132. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XII. MM. Doublet et Taine »

Cousin ne dit plus rien, perdu sous les affiquets des grandes dames du dix-septième siècle. […] L’homme tombe ; il perd Dieu, la lumière, l’intelligence. Qui peut lui rendre ce Dieu perdu ? […] On est impatient de sortir de la science telle qu’il nous la montre dans ce profil perdu, mais qui fait trembler, et de rentrer dans la famille, dans l’ordre, dans l’histoire, toutes choses ignorées du bourgeois célibataire, jongleur et parisien, lequel cherche à chercher un objet de recherche d’un goût recherché, car voilà toute la philosophie de M. 

133. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Auguste Barbier »

Alfred de Musset3, Victor Hugo, Lamartine et Auguste Barbier, sont, de fait, en possession, tous les quatre encore, de cette gloire acquise qu’on ne perd pas en France une fois qu’on l’a et quand même on ferait tout ce qu’il faut pour la perdre, les moutons de Panurge ne revenant jamais de la route qu’ils ont une fois enfilée ! […] Comme après La Curée, après ces douze chefs-d’œuvre que nous venons d’énumérer si le poète des Iambes était mort, il aurait laissé une immortalité d’autant plus belle que le regret, le regret de l’avoir perdu dans la plénitude de sa force, aurait ajouté à ses œuvres finies la poésie d’œuvres qu’il n’aurait pas faites. […] On y trouve beaucoup de pièces d’avant La Curée, que l’auteur gardait en portefeuille, qu’il aurait bien dû y laisser, et qu’il a publiées pour ne rien perdre.

134. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

Alfred de Musset est mort, et chaque jour il assiste à son propre enterrement ; son talent est irrémissiblement perdu. […] Alfred de Musset a-t-il perdu son talent parce qu’il est entré à l’Académie ? Est-il entré à l’Académie parce qu’il avait perdu son talent ? […] Quand un corps constitué, payé, médaillé, ne sert à rien et entrave la marche des progrès qu’il devrait aider, il perd sa raison d’être et doit être supprimé. […] Rien n’est encore perdu, rien n’est même compromis.

135. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — III » pp. 90-104

On apprenait donc à Sienne l’arrivée d’une nombreuse artillerie amenée de Florence, et il fallait parer au découragement des Siennois qui provenait surtout de l’état de santé de Montluc et de la crainte de le perdre : « Que ferons-nous ? […] Nous sommes perdus : toute notre fiance, après Dieu, est en lui ; il n’est possible qu’il en échappe. » Montluc avait donc à persuader d’abord qu’il était guéri et le mieux portant des gouverneurs. […] Pour rester dans les règles toutefois, il était convenable que le gouverneur stipulât directement, et en son nom, sa capitulation avec le marquis de Marignan ; mais au premier mot qui lui en fut dit de la part de ce dernier, il s’enflamma et parut se révolter, déclarant qu’il aimerait mieux perdre mille vies, et que le nom de Montluc ne se trouverait jamais en capitulation. […] — Dans l’action enlin, il était prompt à saisir le joint et le moment, et à marquer l’instant décisif de donner sans perdre une minute. […] On se le figure bien en ce prieuré perdu, en quelque âpre gorge ou sur un rocher nu des Pyrénées, plongeant son regard tour à tour sur l’Espagne et la France, vieillard tout chenu et à la face meurtrie, dur envers lui-même, se mortifiant, expiant le sang versé ; et cette âme de colère, apaisée enfin, se fixant opiniâtrement à la méditation des années éternelles.

136. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

Ces folies qui maintenant remplissent tout un poëme n’entreront dans les œuvres de l’avenir que comme assaisonnement utile, et même la noblesse, la pureté qui sont maintenant bannies, seront bientôt rappelées avec d’autant plus d’enthousiasme. » Et cela ainsi entendu, et toutes réserves faites, il revenait avec plaisir sur Mérimée de qui il disait : « C’est vraiment un rude gaillard » ; et sur Béranger qu’il ne sépare jamais de lui54, et dont il saisit, dont il analyse tout, jusqu’aux moindres finesses, sans en rien perdre. […] Et ce sentiment se reproduisait encore avec bien de l’ampleur et de l’énergie dans ces paroles, lorsqu’il disait dans son aversion pour la politique étroite : « Dès qu’un poëte veut avoir une influence politique, il faut qu’il se donne à un parti, et, dès qu’il agit ainsi, il est perdu comme poëte ; il faut qu’il dise adieu à la liberté de son esprit, de son coup d’œil : il se tire jusque par-dessus les oreilles la chape de l’étroitesse d’esprit et de l’aveugle haine. […] C’est pour ne pas avoir eu cette puissance qu’il s’est égaré, et on peut dire avec justesse qu’il s’est perdu faute d’un frein. — Il s’ignorait trop lui-même. […] Se permettant tout et n’accordant rien aux autres, il devait se perdre et soulever le monde contre lui. […] « Je ne connais aucun livre plus riche en leçons que ces Mémoires ; par eux notre regard pénètre profondément dans les recoins les plus cachés de l’époque, et Mirabeau, ce miracle, devient un être naturel ; mais le héros ne perd rien cependant de sa grandeur.

137. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Jeune, on lit tout naturellement les romans de sa jeunesse ; on en lit à tort et à travers, on lit tout : mur, on peut ne pas perdre de vue et suivre encore avec intérêt ce genre agréable chez ceux qui mûrissent avec nous et qui ne font que continuer. Plus tard pourtant, et peu à peu, tout ce qui est romans, nouvelles, commence à vous échapper, surtout venant d’auteurs jeunes, et, une fois le fil perdu, on ne le rattrape pas aisément. […] Au moment où le docteur allait se prendre et sortir de son rôle en y entrant trop bien ; où la femme surtout, la tête en feu, se croyait déjà perdue sans retour, tout est sauvé par un effort heureux et un tour de clé habile du romancier. […] On vient déranger la dame et l’appeler : c’est le curé, un jeune homme de cinquante-neuf ans, et dont le docteur a tout l’air d’être un peu jaloux : il le laisse voir à sa vieille amie dès qu’elle reparaît, et aussi, par haine du rival, il se fait ce soir-là plus esprit-fort que jamais, surtout après qu’il a perdu sa partie de dames ; car il la perd.

138. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

L’homme éclairé, qui d’abord adopta la cause des principes, parce que sa pensée n’avait pu s’astreindre à respecter des préjugés absurdes, alors qu’il embrasse une vérité avec l’esprit de parti, perd la faculté de raisonner, ainsi que le partisan de l’erreur, et bientôt emploie des moyens semblables. […] Dans l’Assemblée Constituante, les membres du côté droit auraient pu faire passer quelques-uns des décrets qui les intéressaient, s’ils eussent laissé la parole à des hommes plus modérés qu’eux, et par conséquent plus agréables au parti populaire ; mais ils aimaient mieux perdre leur cause, en la faisant soutenir par l’abbé Maury, que de la gagner en la laissant défendre par un orateur qui ne fut pas précisément de leur opinion sous tous les autres rapports. […] Lorsque les Constitutionnels luttaient contre les Jacobins, si les Aristocrates avaient adoptés le système des premiers ; s’ils avaient conseillé au roi de se livrer à eux, ils auraient alors renversé l’ennemi commun, sans perdre l’espoir de se défaire un jour de leurs alliés. […] Ce qu’ils ont fait pour faire triompher leur parti, a perdu leur réputation individuelle ; ceux mêmes qui les applaudissaient, lorsqu’ils croyaient être préservés par eux de quelques dangers, veulent l’honneur de les juger, lorsque le péril est passé ; la vertu est tellement l’idée primitive de tous les hommes, que les complices sont aussi sévères que les juges, lorsque la solidarité n’existe plus ; et les vaincus et les vainqueurs sont réconciliés ensemble quand les uns renoncent à leur absurde cause, et les autres à leurs coupables chefs. […] Aussi se réveilleront-ils un jour ceux qui seuls sont sincères, ceux qui seuls méritent les regrets ; accablés de mépris, tandis qu’ils auraient besoin de considération ; accusés du sang et des pleurs, tandis qu’ils seront encore capables de pitié ; isolés dans l’univers sensible, tandis qu’ils pensaient s’unir à toute la race humaine ; ils éprouveront ces douleurs alors que les motifs qui les ont entrainés auront perdu toute réalité, même à leurs yeux, et ne conserveront de la funeste identité, qui ne leur permet pas de se séparer de leur vie passée, que les remords pour garants ; les remords, seuls liens des deux êtres les plus contraires ; celui qu’ils se sont montrés sous le joug de l’esprit de parti ; celui qu’ils devaient être par les dons de la nature.

139. (1759) Observations sur l’art de traduire en général, et sur cet essai de traduction en particulier

Les écrivains dont le caractère est dans la pensée, sont ceux qui perdent le moins en passant dans une langue étrangère. Corneille doit donc être plus facile à traduire que Racine, et, ce qui peut-être semblera paradoxe, Tacite doit l’être plus que Salluste : Salluste dit tout, mais en peu de mots, mérite qu’une traduction a peine à conserver ; Tacite sous-entend beaucoup et fait penser son lecteur, mérite qu’une traduction ne peut faire perdre. […] La nature ne perd jamais ses droits sur nous ; les productions auxquelles elle a présidé seule, sont toujours celles qui nous touchent davantage. […] Les morceaux que j’avais déjà publiés sont retouchés en plusieurs endroits, et la plupart des changements ont pour but de rendre la traduction encore plus énergique et plus concise, sans rien perdre du sens de l’original, et sans donner au style de la dureté et de la sécheresse. […] En vain lui reprochera-t-on que sa traduction manque d’une justesse rigoureuse, si on ne lui fait voir qu’il pouvait conserver cette justesse sans rien perdre du côté de l’agrément ; en vain prétendra-t-on qu’il n’a pas rendu toute l’idée de son auteur, si on ne lui prouve qu’il le pouvait sans rendre la copie faible et languissante ; en vain accusera-t-on sa traduction d’être trop hardie, si on n’y en substitue une autre plus naturelle et aussi énergique.

140. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 437-438

Nous devons tous deux nous connaître : S’il perd un fichu Serviteur, Ma foi je perds un fichu Maître.

141. (1895) La comédie littéraire. Notes et impressions de littérature pp. 3-379

Coppée estime que la France pleure sa gloire perdue. […]perdue ! […] En ne parlant pas, elle perd l’homme qu’elle adore. […] Le régiment est perdu si l’artillerie ne vient pas à son secours. […] La bataille est perdue.

142. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Il prit une autre route, et heureusement son génie a semblé n’y rien perdre. […] Son éclat commença à se ternir quand il eut perdu ce noble cortège. […] Un caractère tel que le sien a tout perdu en adoptant la philosophie à laquelle il s’attacha. […] Ses passions peuvent l’entraîner, sans qu’il perde cette bonne opinion de lui-même, première source de ses erreurs. […] Outre le but général que Rousseau avait donné à son roman, il ne voulut pas perdre une occasion de dogmatiser.

143. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

En même temps, comme il prévoyait une guerre générale prochaine, il observait de près le caractère des généraux de l’empire, qu’il connaissait déjà depuis son premier voyage de 1685, et auxquels il comptait bien avoir affaire, surtout le prince Louis de Bade et le prince Eugène ; et il ne se perdait point de vue en les dépeignant. […] — Le prince de Bade perdit ses munitions, abandonna dans les bois son artillerie, et ne put rallier ses troupes qu’à six lieues au-delà. […] Il pouvait se faire qu’une bataille gagnée devînt une bataille perdue. Tout cela fut réparé ; les ennemis perdirent plus de quarante drapeaux et étendards, et l’armée du roi n’en laissa pas un des siens ; seulement, le temps qu’il fallut pour remettre quelque ordre dans l’infanterie sauva celle des impériaux et nuisit à la poursuite. […] Il redonna aux troupes (et moins aisément aux officiers généraux qu’aux soldats) l’entrain qu’on avait perdu depuis MM. de Turenne et de Créqui pour les campagnes d’hiver.

144. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Bayle, autrement favorisé et pétri selon un plus doux mélange, se trouva, dès sa première flamme jetée, une nature tout aussitôt réduite et consommée, et à partir de là il ne perdit plus jamais son équilibre. […] J’ai été autrefois touché de cette même avidité, et je puis dire qu’elle m’a été fort préjudiciable. » Mais voilà, au moment même du reproche, qu’il l’encourt de plus belle ; il voudrait tout savoir, même les détails rustiques, lui qui tout à l’heure regrettait le temps perdu à la chasse ; il demande mainte observation à son frère sur les verreries de Gabre, sur le pastel du Lauraguais. […] Bayle lui-même remarque, à ce sujet des périodes du Père Maimbourg, que ceux qui s’inquiètent si fort des règles de grammaire, dont on admire l’observance chez l’abbé Fléchier ou le Père Bouhours, se dépouillent de tant de grâces vives et animées, qu’ils perdent plus d’un côté qu’ils ne gagnent de l’autre. […] On a son œuvre propre derrière soi à l’horizon ; on ne perd jamais de vue ce clocher-là. […] S’il a perdu à ce manque d’émotions tendres quelque délicatesse et finesse de jugement, il y a gagné du temps pour l’étude131, une plus grande capacité pour ces impressions moyennes qui sont l’ordinaire du critique, et l’ignorance de ces dégoûts qui ont fait dire à La Fontaine : Les délicats sont malheureux.

145. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Les contemporains d’une révolution perdent souvent tout intérêt à la recherche de la vérité. […] Mais si vous prenez du raisonnement ce qui trouble l’instinct, sans atteindre à ce qui peut en tenir lieu, ce ne sont pas les qualités que vous possédez qui vous perdent, ce sont celles qui vous manquent. […] La plupart des hommes, épouvantés des vicissitudes effroyables dont les événements politiques nous ont offert l’exemple, ont perdu maintenant tout intérêt au perfectionnement d’eux-mêmes, et sont trop frappés de la puissance du hasard pour croire à l’ascendant des facultés intellectuelles. […] Peut-être finirait-on par perdre jusqu’à l’estime de soi. […] Si tous les efforts devaient être inutiles, si les travaux intellectuels étaient perdus, si les siècles les engloutissaient sans retour, quel but l’homme de bien pourrait-il se proposer dans ses méditations solitaires ?

146. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre I »

En Auvergne, les campagnes se dépeuplent journellement : plusieurs villages ont perdu, depuis le commencement du siècle, plus d’un tiers de leurs habitants625. « Si on ne se hâtait pas d’alléger le fardeau d’un peuple écrasé, dit en 1787 l’assemblée provinciale, l’Auvergne perdrait à jamais sa population et sa culture. » Dans le Comminges, au moment de la Révolution, des communautés menacent de faire abandon de leurs biens si on ne les dégrève pas626. « Personne n’ignore, dit l’assemblée de la Haute-Guyenne en 1784, que le sort des communautés les plus imposées est si rigoureux, qu’on a vu plusieurs fois les propriétaires en abandonner le territoire627. […] Le peuple ressemble à un homme qui marcherait dans un étang, ayant de l’eau jusqu’à la bouche ; à la moindre dépression du sol, au moindre flot, il perd pied, enfonce et suffoque. […] Celui-ci peut se dire que la parcelle aliénée n’est pas perdue pour lui, puisqu’un jour, par droit de rachat, il pourra la reprendre, et puisqu’en attendant il touchera un cens, des redevances, le profit des lods et ventes. […] Tant qu’il était simple journalier et n’avait que ses bras, l’impôt ne l’atteignait qu’à demi : « où il n’y a rien, le roi perd ses droits ». […] L’oppression et la misère commencent vers 1672  À la fin du dix-septième siècle (1698), les mémoires dressés par les intendants pour le duc de Bourgogne disent que beaucoup de districts et provinces ont perdu le sixième, le cinquième, le quart, le tiers et même la moitié de leur population.

147. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

« Les vertus se perdent dans l’intérêt comme les fleuves se perdent dans la mer. — Les vices entrent dans la composition des vertus comme les poisons entrent dans la composition des remèdes. » Voilà la note, et l’essence du livre. […] La paix des Pyrénées le convainquit que la partie était irrémédiablement perdue. […] Il est difficile, quand on a perdu de telles parties, de vivre, de vieillir avec dignité : Retz y réussit. […] Et si l’horizon de Mme de Sévigné est plus large, si elle a des inquiétudes plus hautes et plus philosophiques, Mme de Maintenon a une expérience sûre et profonde de la nature humaine et des tempéraments individuels, une de ces expériences d’institutrice et de directrice d’âmes à qui rien ne se dérobe : on aime à entendre une personne de si bon sens et si bien informée, qui a perdu ses illusions sans en trop vouloir à autrui. […] Marie de Rabutin-Chantal (1626-1694) perdit son père à dix-huit mois, sa mère à sept ans et demi ; elle fut élevée par son oncle de Coulanges, abbé de Livry, le Bien bon.

148. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviiie entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

À cause d’elle beaucoup de héros devaient perdre la vie. […] Bien des guerriers depuis en perdirent la vie. […] D’inquiétude Hagene avait presque perdu la raison. […] J’imaginais que nous l’avions perdu par la force de Brunhilt. […] vous y pourrez perdre et la vie et l’honneur.

149. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

perdue ! perdue ! […] Au milieu de cette vie simple et occupée, le Paradis perdu, si longtemps médité, s’acheva promptement. […] Ici la passion est la vertu même ; et la volupté semble un des biens célestes que l’homme a perdus. […] Dupré de Saint-Maur, longtemps après, fit paraître une traduction on prose du Paradis perdu.

150. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

Ne l’embrassez pas, mon ami, ne l’embrassez pas, si vous pouvez, ou vous êtes perdu. […] dis-je, tu as perdu pour toujours, va. […] Je joignis ma compagnie, et je perdis dans la foule la petite charrette et ses pauvres habitants. À mon grand regret, c’était pour toujours que je les perdais. […] Les actions viriles n’ont rien perdu, en France, de leur vigueur antique.

151. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

L’animal, pour tromper leur course suspendue, Bondit, s’écarte, fuit, et la trace est perdue. […] Le jeune homme se perd dans un tas de projets comme s’il devait vivre mille ans. […] Qu’ai-je à gagner ou à perdre à la puissance de l’Empereur ?  […] Pars avant son retour ; Lève-toi ; pars, adieu ; qu’il n’entre, et que ta vue Ne cause un grand malheur, et je serais perdue !  […] La préface que le poëte aurait esquissée pour le portefeuille perdu, et qui a été introduite pour la première fois dans l’édition de 1833 (tome I, page 23), prouverait au plus un projet de choix et de copie au net, comme en méditent tous les auteurs.

152. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

Sans parler de cette confusion du droit spirituel et du droit temporel dans leurs mains, oubliez-vous ce que la papauté souveraine à Rome a perdu d’alliés ou de sujets catholiques depuis Jules II dans le monde actuel ? […] Iront-ils perdre volontairement ces noms ou ce nom collectif de leur patrie dans le nom féodal des chefs militaires d’une chaîne des Alpes ? […] XXII Il s’appuie et il s’appuiera nécessairement sur l’Angleterre, nous le savons ; mais, pour tout esprit sérieusement politique, c’est précisément ce patronage suspect de l’Angleterre qui le perdra et qui perdra momentanément avec lui l’Italie annexée à une seule couronne. […] Mais la pensée du Piémont est courte ; la pensée de l’Angleterre mériterait de porter un nom plus pervers ; les souvenirs immortels de chaque glorieuse nationalité de l’Italie se soulèveront contre ces annexions qui les confisquent ; ces nationalités ne consentiront pas longtemps à perdre leurs noms, leur histoire, leurs monuments dans le nom et dans les camps de Turin. […] que d’autres vous flattent et vous perdent.

153. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VI »

» Soyez sûrs qu’il n’en perdra pas un coup de dent ! […] Navarette, qui a son projet, lui a donné un faux renseignement ; il perd huit cent mille francs, il est ruiné et déshonoré ! […] Mais, la jeune femme n’ayant pour lui qu’un goût modéré, ses chances sont nulles et absurdes ; il joue une partie perdue d’avance, avec des cartes dont on voit le dessous pipé. […] Depuis deux actes, le public a presque perdu de vue l’ingénieur ; il n’apparaît que pour disparaître, et, au théâtre aussi, les absents ont tort. […] Un million perdu le jette à la côte, et il y échoue dans la fange, entre les bras de la coquine qui a machiné son naufrage.

154. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 78-80

Si, comme cet Auteur le dit lui-même dans un Vers des plus prosaïques, Qui n'est pas né Poëte, à rimer perd son temps. on pourroit assurer qu'il a perdu celui qu'il a employé à faire ses Poésies.

155. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Elle avait perdu sa mère depuis plusieurs années. […] Mmc Swetchine, dès sa jeunesse, ne lisait que la plume à la main et faisait d’abondants extraits de ses lectures ; on en possède, sans compter ce qui s’est perdu, 35 cahiers reliés. […] Et si ce moi se retrouve, quelle région, quelle félicité pourrait lui faire perdre ce qui lui était identifié ? […] » Et c’étaient des effusions de tendresse qui, dans leur vivacité, contrastaient avec un désabusement personnel profond ; elle souhaitait passionnément à son amie ce qui lui avait manqué à elle-même : « Chère Roxandre, il faut bénir la Providence quand on a comme vous beaucoup à perdre ; il faut la bénir encore quand on a comme vous mille chances réparatrices. […] il y a beaucoup de faiblesse dans mon fait, et, qui pis est, de la faiblesse organisée, de la faiblesse en système, de la faiblesse qui a pris la forme d’une multitude de qualités apparentes ; si je perds ce défaut, me restera-t-il une vertu ?

156. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

C’est comme un contemporain retardé par accident, venu un siècle après, et qui va compenser par surcroît d’efforts le temps perdu ; c’est un serviteur posthume de cette gloire dans laquelle, comme au premier jour, il va tout replacer. […] Le plus léger des deux, Vert-Vert, est peut-être celui qui, à cette distance, a le moins perdu dans son ensemble : il se retrouve d’un bout à l’autre agréable et charmant. […] L’honorable biographe s’est tellement appliqué et a si bien réussi à retrouver tous les canevas et projets qui ont pu passer dans l’esprit ou s’ébaucher sous la plume de l’auteur sommeillant et indécis, que nous nous perdons avec lui dans cette multitude d’essais oiseux, de dédicaces sans but et de faciles avortements. […] Quand on retrouverait la totalité des manuscrits perdus, quand ce fameux portefeuille de Gresset qu’avait eu entre les mains M. […] Nous eûmes ce jour-là un spectacle extraordinaire : toute l’Académie en corps dans l’appareil le plus respectable, une assemblée nombreuse, un vieillard qui ajoutait à sa réputation par ses cheveux blancs, qui fut précédé par des applaudissements généraux, et dont toutes les paroles étaient attendues comme des oracles ; et qui trouva moyen de perdre en un quart d’heure toute la masse d’estime littéraire qu’il s’était acquise depuis si longtemps ; le Vert-Vert et le Méchant restent, mais l’auteur n’est plus. » (Notice sur la Vie et les Écrits de G.

157. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

Hier encore, un estimable journal, du très-petit nombre de ceux dont les jugements comptent, le Semeur 86, tout ému de charmantes lettres d’amour écrites en 1814 par Benjamin Constant, et dont M.de Loménie a publié des extraits, semblait en conclure que nous avions perdu notre cause, comme si nous nous étions mêlé de cette délicate matière, et comme si nous avions rien dit qui pût faire injure à ces tendres billets. […] Pour ne pas nous perdre ici en des apologies de détail dont le lecteur n’a que faire, nous poserons tout d’abord un principe, et ce principe est celui-ci : Il faut avoir l’esprit de son âge, dit-on : cela est vrai en avançant ; mais surtout et d’abord il faut en avoir la vertu : des mœurs et de la pudeur dans l’enfance, de la chevalerie, de la chaleur de conviction et de la générosité de pensée dans la jeunesse. […] — C’est en ce sens que Buffon disait : « Je n’estimerais pas un jeune homme qui n’aurait point comme ncé par l’amour. » Quelqu’un de très-spirituel l’a dit encore : On doit faire dans la vie comme pour un voyage ; il faut toujours se mettre en route avec trop de provisions, au moral aussi ; on ne saurait être trop en fonds au départ, on a bien assez d’occasions de perdre et de dépenser. […] Je joue et je perds mon argent à la roulette. — Établissement à Gottingue, 8 novembre. […] « Cette université, je veux dire Gottingue, a, sous le rapport matériel, plutôt gagné que perdu à toutes les révolutions qui ont agité ce coin de l’Europe.

158. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre IV »

Augier a repris les couleurs que sa lymphatique Gabrielle lui avait fait perdre. […] Dix de moins, et son infamie perdait toute excuse : c’est une erreur d’addition. […] Sa femme lui a persuadé qu elle a le génie de la trouvaille et du bon marché : il a la foi du tapissier ; c’est la foi qui perd. […] Mais la dame courait d’une jambe leste et svelte que Bordognon a eu le temps d’admirer au vol ; elle courait… elle court encore… N’oubliez pas cette serviette perdue, nous sommes sur la piste de la lionne pauvre en maraude. […] Son amant ne les a pas, et il perd l’argent qui lui reste à une table de lansquenet où elle l’a poussé par les deux épaules.

159. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Doyen » pp. 178-191

Derrière ce groupe, un peu plus vers la gauche, sur le fond au pied du massif, à l’endroit où l’escalier descend et perd de sa hauteur, les têtes suppliantes d’une foule d’habitans. […] Premièrement, ces trois femmes et leur maîtresse font un amas confus de têtes, de bras, de jambes, de corps, un chaos où l’on se perd et qu’on ne saurait regarder longtemps. […] J’ai vu l’artiste ; vous ne le croiriez pas, il joue la modestie à merveille ; il fait tout ce qu’il peut pour réprimer la bouffissure de l’orgueil qui le gagne ; il reçoit l’éloge avec plaisir, mais il a la force de le tempérer ; il regrette sincèrement le temps qu’il a perdu avec les grands et les femmes, ces deux pestes du talent ; il se propose d’étudier. […] Il a du feu, mais trop de petits effets qui nuisent à l’ensemble ; il perd à être détaillé, mais il sent, mais il sent fortement, c’est un grand point. […] Vien a moins perdu à saint-Roch que Doyen.

160. (1875) Premiers lundis. Tome III « Nicolas Gogol : Nouvelles russes, traduites par M. Louis Viardot. »

C’est le nom d’un chef cosaque zaporogue, et, dans ce caractère sauvage, féroce, grandiose et par instants sublime, le romancier a voulu nous offrir un portrait de ce qu’étaient encore quelques-uns de ces chefs indépendants des bords du Dnieper durant la première moitié du xviie  siècle, date approximative à laquelle se rapportent les circonstances du récit : « C’était, dit-il, un de ces caractères qui ne pouvaient se développer qu’au xvie  siècle, dans un coin sauvage de l’Europe, quand toute la Russie méridionale, abandonnée de ses princes, fut ravagée par les incursions irrésistibles des Mongols ; quand, après avoir perdu son toit et tout abri, l’homme se réfugia dans le courage du désespoir ; quand sur les ruines fumantes de sa demeure, en présence d’ennemis voisins et implacables, il osa se rebâtir une maison, connaissant le danger, mais s’habituant à le regarder en face ; quand enfin le génie pacifique des Slaves s’enflamma d’une ardeur guerrière, et donna naissance à cet élan désordonné de la nature russe qui fut la société cosaque (kasatchestvo). […] Dès ce moment il est perdu pour sa religion, pour sa race, pour son père. […] … Il le contemplait du milieu de la foule sans perdre un seul de ses mouvements. […] La petite histoire intitulée un Ménage d’autrefois, et qui peint la vie monotone et heureuse de deux époux dans la Petite-Russie, est pourtant d’un contraste heureux avec les scènes dures et sauvages de Boulba : rien de plus calme, de plus reposé, de plus uni ; on ne se figure pas d’ordinaire que la Russie renferme de telles idylles à la Philémon et Baucis, de ces existences qui semblent réaliser l’idéal du home anglais et où le feeling respire dans toute sa douceur continue : Charles Lamb aurait pu écrire ce charmant et minutieux récit ; mais vers la fin, lorsque le vieillard a perdu son inséparable compagne, lorsque le voyageur, qui l’a quitté cinq années auparavant, le revoit veuf, infirme, paralytique et presque tombé en enfance, lorsqu’à un certain moment du repas un mets favori de friandise rappelle au pauvre homme la défunte et le fait éclater en sanglots, l’auteur retrouve cette profondeur d’accent dont il a déjà fait preuve dans Boulba, et il y a là des pages que j’aimerais à citer encore, s’il ne fallait se borner dans une analyse, et laisser au lecteur quelque chose à désirer. — En homme, le nom de M. 

161. (1895) Histoire de la littérature française « Avant-propos »

Mais il ne faut pas perdre de vue deux choses : l’histoire littéraire a pour objet la description des individualités1 ; elle a pour base des intuitions individuelles. […] En littérature, comme en art, on ne peut perdre de vue les œuvres, infiniment et indéfiniment réceptives et dont jamais personne ne peut affirmer avoir épuisé le contenu ni fixé la formule. […] Mais il ne faut jamais perdre de vue deux choses : l’une, que celui-là sera un mauvais maître de littérature qui ne travaillera point surtout à développer chez les élèves le goût de la littérature, l’inclination à y chercher toute leur vie un énergique stimulant de la pensée en même temps qu’un délicat délassement de l’application technique ; c’est là qu’il nous faut viser, et non à les fournir de réponses pour un jour d’examen ; l’autre, que personne ne saura donner à son enseignement cette efficacité, si, avant d’être un savant, on n’est soi-même un amateur, si l’on n’a commencé par se cultiver soi-même par cette littérature dont on doit faire un instrument de culture pour les autres, si enfin, tout ce qu’on a fait de recherches ou ramassé de savoir sur les œuvres littéraires, on ne l’a fait ou ramassé pour se mettre en état d’y plus comprendre, et d’y plus jouir en comprenant. […] Je ne pouvais, en aucune partie de ce travail, perdre de vue ni laisser oublier que tous les secours de l’érudition et de la critique, toute l’écriture amassée autour des textes, celle des autres comme la mienne, ont pour fin dernière la lecture personnelle des textes.

162. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre I. Vue générale du seizième siècle »

Les âmes au fond desquelles vivait encore une foi intense, avaient perdu l’enthousiasme : les nobles avaient ruiné la féodalité, les gens d’Église étaient en train de perdre l’Église et la religion : les grandes idées périssaient par les hommes qui les représentaient. […] Mais rien n’aboutissait : dans la littérature, qui seule doit nous occuper, tous les efforts individuels se perdaient dans l’inerte masse des débris du passé. […] La poésie, qui se perdait dans l’imitation artificielle et les froides éruditions, se rapprocha de la réalité, elle apprit à puiser aux vraies sources des sentiments profonds et généraux : la foi catholique de Ronsard, le zèle protestant de d’Aubigné tira d’eux le meilleur et le plus pur de leur poésie.

163. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre II. Mademoiselle Mars a été toute la comédie de son temps » pp. 93-102

ce fut justement à ce moment-là de son triomphe (derniers moments du bonheur poétique, moments sacrés de cette pure joie des beaux-arts ; pour ces moments-là le dernier bandit des Abruzzes aurait de l’enthousiasme et du respect), qu’un homme caché, perdu dans la foule, attendait mademoiselle Mars, le poignard à la main. […] Mais si quelques gens de cœur n’avaient pas été, pour ainsi dire, les gardes de mademoiselle Mars, il y a longtemps que le Théâtre-Français l’eût perdue : et comptez donc combien de grands hommes, combien de grands drames qui n’auraient pas vu le jour ! […] Ingrat public, qui ne comprend pas tout ce qu’il va perdre ! […] elfe a retrouvé l’urbanité française, qui s’était perdue dans les tempêtes, et voilà par quelles couronnes nous la récompensons ! 

164. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre premier. Astronomie et Mathématiques. »

L’an de Rome 591, le sénat rendit un décret pour bannir les philosophes de la ville ; et, six ans après, Caton se hâta de faire renvoyer Carnéade, ambassadeur des Athéniens, « de peur, disait-il, que la jeunesse, en prenant du goût pour les subtilités des Grecs, ne perdit la simplicité des mœurs antiques ». […] Ce qui perdra toujours la foule, c’est l’orgueil : c’est qu’on ne pourra jamais lui persuader qu’elle ne sait rien au moment où elle croit tout savoir. […] Sa maxime était que cette application nous désaccoutume insensiblement de l’usage de notre raison, et nous expose à perdre la route que la lumière nous trace155. » Cette opinion de l’auteur de l’application de l’algèbre à la géométrie est une chose digne d’attention. […] Pour un seul génie qui marche par les voies sublimes de la science, combien d’autres se perdent dans ses inextricables sentiers !

165. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Jacques Cœur et Charles VII »

Ce besoin, du reste, qui n’est — si l’on veut y réfléchir — que de l’individualisme encore ; ce besoin qui a produit tant de métaphysique vaporeuse, de synthèses, de formules, et qui, surexcité jusqu’à la rage par la vanité de chacun, ne nous a saisis tous que parce qu’il ne sied qu’à quelques-uns, c’est-à-dire aux maîtres, aux grands esprits, à ceux-là enfin qui se donnent seulement la peine de naître, pourrait faire croire à nos descendants que nous avons perdu le bon sens proverbial de nos pères, n’étaient quelques livres d’histoire fermes, nets, circonscrits, et dans lesquels il sera possible de le retrouver. […] Mais, si cela est, on peut dire que l’économiste s’est heureusement perdu en chemin, et qu’en face de l’illustre commerçant du xve  siècle il n’est resté qu’un historien, un historien exact avec scrupule, inquiet de la noble inquiétude du vrai juste et doux, mais, pourquoi ne pas le dire ? […] Les bêtes errant dans les campagnes, entendant le tocsin, prenaient la fuite et gagnaient d’elles-mêmes leurs retraites… » Ce fut le temps des Retondeurs et des Écorcheurs, plus terribles au pays que l’Anglais même… En l’an 1000, on avait cru généralement à la fin du monde, mais sous les premières années du règne de Charles VII, on aurait pu croire à la fin de la France, infailliblement perdue sans Jeanne d’Arc, et l’on peut ajouter aussi : sans Jacques Cœur. […] N’était ce dernier coup d’œil jeté sur l’effort perdu des enfants de Jacques Cœur pour réhabiliter, comme on dit aujourd’hui, sa mémoire, Clément, fidèle au titre de son livre, n’aurait point dépassé la limite de sa double biographie.

166. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Dargaud »

perdu le goût, il nous l’a fait sentir dans son livre avec une force nouvelle d’empoisonnement et de douce saveur. […] Il nous l’a dit dans tous ses détails, tous ses accidents, toutes ses nuances, avec la fidélité de la mémoire du cœur et cette mélancolie des biens perdus qui rend l’aveugle si éloquent lorsqu’il parle de la lumière. […] La critique écrit le mot du poète : les plaisirs perdus sont les mieux sentis. Elle récrit avec plus de regret encore : car les plaisirs manqués sont les plus tristes d’entre tous les plaisirs perdus.

167. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Edmond About » pp. 91-105

Il a ce don terrible de facilité qui peut perdre les plus beaux génies, et ses succès ont été presque aussi faciles que ses œuvres. […] Il perd la tête, ce grand médecin, devant la crise finale qui doit sauver Germaine, et il écrit à madame Chermidy qu’enfin la malade est perdue ; agréable nouvelle qui arrive à la Chermidy accompagnée d’une autre, la mort de son mari, tué par les Chinois ! […] Ainsi toujours c’est le manque de sérieux et de conscience et la démangeaison d’être drôle qui perdent M. 

168. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « APPENDICE. — M. DE VIGNY, page 67. » pp. -542

Le roi se prêta à tout ; mais, ne se fiant pas entièrement à cette haute amitié, si souvent impuissante, Cinq-Mars, pour perdre le ministre, se laissa persuader par le duc de Bouillon de traiter avec l’Espagne, qui lui fournirait au besoin une armée. […] Milton y débite en anglais des morceaux du Paradis perdu ; seulement on a eu la précaution de mettre sur la table une traduction à l’usage des académiciens. […] Avenel, « il y a dans l’affaire de Cinq-Mars deux choses fort distinctes : une intrigue et un crime ; une intrigue pour faire perdre au cardinal la confiance du roi, un crime dont le but était d’ouvrir la France aux ennemis.

169. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Milton, et Saumaise. » pp. 253-264

Les Anglois lui donnent le surnom de divin, & c’est principalement à cause de son Paradis perdu. […] Le libraire Tompson eut de la peine à se charger de l’impression du Paradis perdu ; &, si cet ouvrage a depuis enrichi sa famille, Tompson lui-même ne trouva pas de lecteurs pour le vendre. […] Le judicieux Addisson voulut lire le Paradis perdu, sur l’éloge que lui en firent quelques amateurs.

170. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — De la langue Latine. » pp. 147-158

Porée fut interrompu, au milieu d’une de ses harangues, par un homme qui se leva brusquement, & qui s’écria, dans un transport d’indignation : la latinité est perdue en France. […] voilà sept ans perdus, & vous perdrez encore tout autant d’années que vous en mettrez pour cela, parce qu’il n’est pas possible qu’un moderne soit jamais au fait d’une langue morte, qu’il connoisse parfaitement la propriété des termes, l’harmonie & la grace du discours.

171. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence du barreau. » pp. 193-204

Ils plaidèrent pour l’érudition qu’ils croyoient perdue en France, parce qu’elle ne seroit plus où elle ne devoit pas être. […] On trouve, dans ceux qui furent appellés les deux lumières du barreau, des applications forcées, un assemblage d’idées singulières & de mots emphatiques, un ton insupportable de déclamateur ; quelques belles images, il est vrai, mais souvent hors de place ; le naturel sacrifié à l’art, & l’état de la question presque toujours perdu de vue. […] J’ai perdu tant de bonnes causes, & j’en ai gagné tant de mauvaises, qu’aujourd’hui je me charge de toutes.

172. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « A Monsieur Naigeon » pp. 9-14

Les années ne m’avaient laissé aucune de ces passions qui tourmentent, rien de l’ennui qui leur succède : j’avais perdu le goût de ces frivolités auxquelles l’espoir d’en jouir longtemps donne tant d’importance. […] Plus jaloux de préparer des regrets après ma mort, que d’obtenir des éloges de mon vivant, je m’étais dit : « Quand le peu que j’ai fait et le peu qui me reste à faire périraient avec moi, qu’est-ce que le genre humain y perdrait ? qu’y perdrais-je moi-même ? 

173. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLIXe Entretien. L’histoire, ou Hérodote »

Celui qui, dans le cours de la vie, se maintient avec le plus grand nombre de ces avantages, et arrive au terme sans les avoir perdus, est celui seul qui, à mon avis, est digne de porter le nom d’heureux. […] L’enfant mort aura la sépulture destinée aux fils des rois, et l’enfant qui existe ne perdra pas le jour. » « Le pâtre se rendit à l’avis de sa femme, et fit sur-le-champ ce qu’elle conseillait. […] Nous devons donc considérer, avant tout, ce qui touche à la stabilité de votre empire ou à la durée de votre existence, et, si nous apercevons quelque danger, ne pas perdre un moment pour vous l’indiquer. […] Cyrus reçut le lièvre, et l’ayant ouvert lui-même, trouva et lut les tablettes qui portaient ces mots : « Fils de Cambyse, les dieux ne vous perdent pas de vue ; s’il en était autrement, votre conservation n’eût pas été si miraculeuse. […] Il fait ensuite prendre les armes à tous les habitants d’Ecbatane, jeunes et vieux, restés dans la ville, les mène contre les Perses, livre une bataille, la perd, et tombe vivant au pouvoir de l’ennemi : son armée y fut entièrement détruite.

174. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

Il perdit ce frère chéri en 1772. […] Mais ne peut-on pas lui dire comme à Titus : Il n’est pas perdu, ô Poëte, le jour où tu as dit si bien que tu le perdais ! […] L’auteur du Télémaque et Massillon prêchaient éloquemment ce qu’elle était obligée de taire devant le Génie des conquêtes, impatient de tout perdre et de se perdre lui-même dans l’excès de sa propre ambition. […] Il s’occupait de tout à l’île d’Elbe, et n’avait pas perdu de vue M. de Fontanes. […] Il ne fit rien d’ailleurs pour reconquérir la situation considérable qu’il avait perdue.

175. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Benjamin Constant et madame de Charrière »

Je lui payerai ce qu’il pourra perdre pour l’impression des trois premières. S’il continue à perdre, basta, adieu les feuilles ! […] qu’est-ce que j’y perdrai, je vous en prie ? […] Il y réussissait de temps en temps, il lui arrivait d’autres fois de garder ou de perdre les manuscrits. […] « Un sujet de plaisanterie que nous aurons perdu, c’est la littérature allemande.

176. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

Hâtez-vous, ou vous êtes perdus ; vos délais, vos incertitudes sont funestes ; mes cheveux frissonnent ; le froid du matin se fait sentir. […] L’intention de l’auteur est sans doute que Marguerite périsse, et que Dieu lui pardonne ; que la vie de Faust soit sauvée, mais que son âme soit perdue. […] L’amour, qui débordait de son cœur comme de son esprit, avait trouvé tard, semblable à un repentir des jours perdus, son aliment dans un homme épris lui-même d’une sérieuse passion pour elle. […] Madame de Staël avait donné sa main, mais sans perdre le nom sous lequel elle avait illustré son génie. […] Il rappelle qu’il y a eu une vertu publique, et que si le peuple en a perdu la formule, la langue du moins en a conservé le retentissement.

177. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

C’était en effet la merveille du désert, la fabuleuse Balbek qui sortait tout éclatante de son sépulcre inconnu pour nous raconter des âges dont l’histoire a perdu la mémoire. […] Quelques-uns de ces monuments déserts semblaient intacts et sortis d’hier des mains de l’ouvrier ; d’autres ne présentaient plus que des restes encore debout, des colonnes isolées, des pans de muraille inclinés, et des frontons démantelés ; l’œil se perdait dans les avenues étincelantes des colonnades de ces divers temples, et l’horizon trop élevé nous empêchait de voir où finissait ce peuple de pierre. Les sept colonnes gigantesques du grand temple, portant encore majestueusement leur riche et colossal entablement, dominaient toute cette scène et se perdaient dans le ciel bleu du désert, comme un autel aérien pour les sacrifices des géants. […] Plus loin, dans la plaine, c’était un océan de ruines qui ne se perdait qu’à l’horizon ; on eût dit des vagues de pierre brisées contre un écueil, et couvrant une immense plage de leur blancheur et de leur écume. […] En se prolongeant vers le nord, la Vallée des Saints se creusait de plus en plus et s’élargissait davantage ; puis, à environ deux milles du point où nous étions placés, deux montagnes nues et couvertes d’ombres se rapprochaient en s’inclinant l’une vers l’autre, laissant à peine une ouverture de quelques toises entre leurs deux extrémités, où la vallée allait se terminer et se perdre avec ses pelouses, ses vignes hautes, ses peupliers, ses cyprès et son torrent de lait.

178. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre III »

Il a perdu, dans le naufrage de la monarchie, son costume, ses ordres, ses privilèges, le plus souvent sa fortune ; il est, comme le dernier paysan de la seigneurie qu’il n’a plus, le très humble sujet du code à cinq tranches. […] On parle d’une certaine affaire de houilles dont sa réputation est sortie tout embarbouillée, à telles enseignes que sa famille, à lui, M. de Trélan, a perdu cinquante mille francs dans les charbons frelatés de M.  […] En effet, à force d’aller et de revenir, M. de Trélan finit par perdre quelque peu de son héroïsme. […] Cette fille perdue qui médite de se perdre encore, cette mère, crapuleuse et bouffonne, qui lui sert à la fois de jouet et d’idole, pareille à ces manitous que les sauvages adorent et cassent tour à tour, cet aigrefin qui s’est fait son chevalier… d’industrie, cette conversation qui respire la gaieté malsaine des cabinets particuliers et des tables d’hôtes équivoques, tout cela est peint à cru, calqué sur le vif ; tout cela est d’un comique amer qui donne à l’âme la nausée de l’empoisonnement. […] Dès lors, il avait perdu tout droit de la tuer.

179. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

L’Archaïsme, qui était un système pauvre et faux, et qui devint en Ronsard une véritable monstruosité de manière, le perdit misérablement, et la même chose, le système, le parti pris, la pénurie de cerveau qui fait que le système ne se modifie pas, qu’il est identiquement le même en 1856 qu’en 1830, l’adoration de sa manière, parce que c’est l’adoration de sa propre personnalité, perdront également M.  […] Les strophes qui ont été citées partout et avec une juste admiration sur la mort de cette enfant si cruellement perdue, et dans lesquelles, pour la première fois, le panthéiste et le druide (M.  […] reviennent envahir l’esprit éperdu et perdu du poète. […] Hugo est aussi corrompue et perdue que sa conscience de chrétien. […] J’étais perdu, j’étais le ver sous le pavé, etc.

180. (1845) Simples lettres sur l’art dramatique pp. 3-132

Vous avez le droit d’interroger, j’ai perdu celui de ne pas répondre. […] Harel n’a ni perdu ni gagné à l’Odéon, seulement il a fait pendant quatre ans de l’Odéon le premier théâtre français. […] La France ayant perdu à l’extérieur toute influence politique, ne fallait-il pas aussi, pour que la pensée qui la faisait agir fût conséquente avec elle-même, que la France perdit toute influence littéraire. […] — Il va — ne perdez pas un mot de cela, — il va chez M.  […] Buloz lui-même, ce que j’ai perdu en gagnant ces 79 000 fr. de primes, de droits et de vente de manuscrits.

181. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

L’optimisme perd presque contenance devant certains êtres. […] Par cela même aussi ce sentiment, sans perdre de sa profondeur, a quelque chose de plus intellectuel, de moins nerveux, finalement de plus calme. […] On agit, et l’on gagne ou l’on perd à mesure. […] Ce juge, — ce marchand, — fâché de perdre une heure. […] Le suprême bonheur de la vie, c’est la conviction qu’on est aimé malgré soi-même ; cette conviction, l’aveugle l’a… Ce n’est point perdre la lumière qu’avoir l’amour.

182. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LIII » pp. 206-208

— Madame Benjamin Constant s’inquiète peu de son mari, perd ses papiers et ne réclamera sans doute rien : elle est toujours bergère à soixante-douze ans. […] Voici la suite : « Enfant par la foi, vieillard par l’expérience, homme par le cerveau, femme par le cœur, géant par l’espérance, mère par la douleur et poëte par les rêves ; à toi qui es encore la Beauté, cet ouvrage où ton amour et ta fantaisie, ta foi, ton expérience, ta douleur, ton espoir et tes rêves sont comme les chaînes qui soutiennent une trame moins brillante que la poésie de la pensée, que le poëme gardé dans ton âme, semblable à l’hymne d’un langage perdu dont les caractères irritent la curiosité des savants. »

183. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

C’est donc que je me suis perdu dans le détail. […] Le meilleur peut-être en est perdu. […] Pas un instant on ne doit perdre de vue le modèle. […] Nous perdrions notre temps à les convaincre. […] Que de temps perdu en recommencements stériles !

184. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — I. » pp. 381-397

Tant que les Vénitiens croient que le roi de France n’avancera pas en Italie et qu’il ne réussira pas dans ses projets de conquête, ils protestent volontiers de leur amitié et de leurs services désintéressés pour lui ; quand ils le voient s’avancer et vaincre au-delà de leurs prévisions, ils s’effrayent, travaillent à nouer la ligue et dissimulent, non pas si bien toutefois que Commynes, le jour où ils lui apprennent la reddition du château de Naples aux Français, ne lise la consternation sur le visage des principaux dans la chambre du doge : « Et crois que quand les nouvelles vinrent à Rome de la bataille perdue à Cannes contre Annibal, les sénateurs qui étaient demeurés n’étaient pas plus ébahis ni plus épouvantés qu’ils étaient. » Patience ! […] Les Vénitiens, peuple marchand, n’y perdirent pas ; à défaut d’argent, ils se firent payer des croisés en corvée et en nature. […] L’émotion fut grande parmi le peuple et les pèlerins, d’autant que ce digne chef avait toute raison de demeurer chez soi s’il l’eût voulu : Car il était vieil homme, et, bien qu’il eût de beaux yeux en la tête, il n’y voyait pas, ayant perdu la vue autrefois par le fait d’une blessure. […] Daru, que cette quatrième croisade n’eut guère pour résultat définitif que d’agrandir la suprématie maritime de Venise : « Le reste de l’Europe y perdit beaucoup de vaillants hommes et de monuments précieux, et n’y gagna que l’introduction de la culture du millet, dont le marquis de Montferrat envoya des graines en Italie. » S’il était vrai que la prise de Constantinople par les croisés et le sac de cette ville eussent fait périr, comme il est trop probable, des monuments de l’ancienne littérature grecque qui avaient échappé précédemment, il faudrait, nous les lettrés et les disciples des doctes, le déplorer avec regret, avec amertume : mais vouloir que toute une époque soit heureuse de la manière dont nous l’entendons, et que les chevaliers du siècle de Villehardouin conçoivent l’emploi de leurs facultés et de leur temps comme les hommes de cabinet de nos jours, c’est demander beaucoup trop. […] Si les uns y perdent, les autres y gagnent, et les grandes luttes naturelles ne sont pas finies.

185. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

Nulle part ce premier et principal dessein qu’a l’auteur de railler les livres de chevalerie, de les décrier et d’en ruiner l’autorité dans le monde et parmi le vulgaire, ne se perd de vue ni ne se laisse oublier ; il est ramené sans cesse. […] Cervantes, en effet, n’y perd pas une occasion de remettre sur le tapis sa poétique. […] Il est arrivé en grand à Cervantes pour son Don Quichotte, ce qui est arrivé à La Fontaine avec ses Fables, entreprises d’abord pour un but particulier ; à mesure qu’il avançait, il a insensiblement, non pas perdu de vue, mais agrandi, étendu et serré de moins près son premier objet ; il a fait entrer toute la vie humaine dans son cadre et nous a rendu cette vaste comédie « aux cents actes divers. » Le plan de Don Quichotte n’a rien d’exact, et il a varié sensiblement dans le cours de l’exécution. […] Bouterwek avait commencé, et il attribuait à Cervantes une idée plus haute que celle d’avoir voulu décréditer les mauvais romans de chevalerie, bien qu’il lui reconnût aussi cette dernière intention, mais seulement comme occasionnelle et secondaire ; il la réduisait au point de la subordonner tout à fait à je ne sais quelle vue supérieure : « On ne saurait supposer, disait-il, que Cervantes ait eu l’absurde pensée de vouloir prouver l’influence fâcheuse des romans sur le public, par la folie d’un individu qui aurait pu tout aussi bien perdre la tête en lisant Platon ou Aristote. […] Il faut savoir lire, particulièrement les livres du xvie  siècle ; il y a dans presque tous, à cause des menaces pendantes sur la liberté de pensée, un secret qu’il faut ouvrir et dont la clef est souvent perdue : Rabelais a un sous-entendu, Cervantes a un aparté, Machiavel a un double fond, un triple fond peut-être.

186. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

L’Europe, et en particulier la France, ont failli perdre tous les avantages du génie naturel par l’imitation des écrivains de l’Italie. […] Dans quelque genre que ce soit, tous les mots qui ont servi à des idées fausses, à de froides exagérations, sont pendant longtemps frappés d’aridité ; et telle langue même peut perdre entièrement la puissance d’émouvoir sur tel sujet, si elle a été trop souvent prodiguée à ce sujet même. […] Depuis que ce pays a perdu l’empire du monde, on dirait que son peuple dédaigne toute existence politique, et que, suivant l’esprit de la maxime de César, il aspire au premier rang dans les plaisirs, plutôt qu’à de secondes places dans la gloire. […] Pétrarque perdit sa mère lorsqu’elle n’avait encore que trente-huit ans ; il fit un sonnet sur sa mort, composé de trente-huit vers, pour rappeler, par l’exactitude de ce nombre, d’une manière assurément bien touchante et bien naturelle, le regret qu’il avait d’avoir perdu sa mère à cet âge.

187. (1785) De la vie et des poëmes de Dante pp. 19-42

Ayant perdu son père de bonne heure, il passa à l’école de Brunetto Latini, un des plus savants hommes du temps ; mais il s’arracha bientôt aux douceurs de l’étude, pour prendre part aux événements de son siècle. […] Le Sénat, afin d’éteindre ces dissensions, attira autour de lui les principales têtes de la discorde ; mais ce levain, au lieu de se perdre dans la masse de l’État, aigrit tellement les esprits, qu’il fallut bientôt être Noir ou Blanc à Florence comme à Pistoie : c’étaient chaque jour des affronts et des atrocités nouvelles. […] Observons encore ici qu’une spirale et des cercles sont une de ces idées simples, avec lesquelles on obtient aisément une éternité : l’imagination n’y perd jamais de vue les coupables et s’y effraye davantage de l’uniformité de chaque supplice : un local varié et des théâtres différents auraient été une invention moins heureuse. […] C’est une colline dont le sommet se perd dans le ciel, et qui peut avoir en hauteur ce qu’a l’Enfer en profondeur. […] L’effet qu’il produisit fut tel, que, lorsque son langage rude et original ne fut presque plus entendu, et qu’on eut perdu la clef des allusions, sa grande réputation ne laissa pas de s’étendre dans un espace de cinq cents ans, comme ces fortes commotions dont l’ébranlement se propage à d’immenses distances.

188. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

Seules les choses vulgaires perdent à ce qu’on les explique. […] L’œuvre poétique y perdra, et d’autant plus qu’elle sera plus poétique. […] Je crois qu’à la critiquer ainsi ils perdent leur temps. […] J’étais donc perdu dans cette extase. […] Quoi que l’on fasse, quelque chose en sera toujours perdu.

189. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre III. La Phèdre de Racine. »

Virgile ne place pas Phèdre aux Enfers, mais seulement dans ces bocages de myrtes, dans ces champs des pleurs, lugentes campi , où vont errant ces amantes, qui, même dans la mort, n’ont pas perdu leurs soucis . […] Un dieu cruel a perdu ta famille : Reconnois sa vengeance aux fureurs de ta fille.

190. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Ce grand xvie  siècle, si fécond en idées et en hommes, était menacé à son issue d’être comme étranglé, de perdre tout honneur et toute grandeur, et de passer sous les fourches caudines de Philippe II. […] Toutefois, en pourvoyant ainsi au plus pressé, il demeurait dans une position fausse et féconde en périls : il ne pouvait abjurer immédiatement sans s’avilir aux yeux de ses nouveaux sujets, sans se perdre aux yeux de son ancien parti ; et retarder cette conversion comme il le devait faire, c’était tenir incertaine et pendante la chance des événements et laisser la carrière ouverte à toutes les ambitions. […] Plus d’un laboureur dut se dire comme le vieillard de la comédie grecque, chez cet antique Philémon dont on n’a que des fragments : Les philosophes cherchent, à ce qu’on m’a dit, et ils perdent à cela beaucoup de temps, quel est le souverain bien, et pas un n’a encore trouvé ce que c’est. […] En manquant cet établissement honnête et fait pour contenter un bon sens secondaire, la France de l’Ancien Régime a perdu peut-être en bonheur, mais non en gloire. […] Noblesse généreuse et brave, bien française, et qui a su accepter depuis et pratiquer l’égalité sur tous les champs de bataille ; mais si quelques descendants de cet ordre, qui était le préféré du prince dans l’État, pouvaient, dans des considérations rétrospectives, regretter la forme intérieure de monarchie qui parut possible un moment sous Henri IV, ils ne feraient qu’obéir à des instincts ou à des intérêts particuliers de race : les fils du peuple, les enfants du tiers état, arrivés à la vraie égalité, et qui n’ont pas perdu pour attendre, n’ont rien à y voir ; ce sont vœux et utopies en arrière38.

191. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. »

75 Le général Soult, qui ne le perdait pas de vue, le fit nommer colonel en novembre 1803, lors de la formation du camp de Boulogne. […] Il y servait sous le général Reynier : il se trouvait à la malencontreuse bataille de Sainte-Euphémie, livrée avec imprudence aux Anglais à peine débarqués, et qu’on ne mit pas une demi-heure à perdre (4 juillet 1806). […] D’étape en étape, à travers la province de Salamanque, évitant les villes ou ne les traversant que de nuit, constamment entourés d’argus, sur des chevaux harassés, on perdait toute chance de secours ou d’évasion. […] Les matelots et le capitaine avaient perdu la tête : ce fut le général et son aide de camp qui montèrent sur le pont et qui, par leur sang-froid, rendirent du cœur à l’équipage. […] Le médecin, le visitant l’avant-veille de sa mort, eut l’imprudence de dire en espagnol à l’aide de camp Bernard, assez haut pour être entendu : « Il est perdu : déjà les extrémités sont mortes. » Le général avait saisi les fatales paroles, et, avec le sourire le plus doux et le plus gracieux, il répondit au médecin par le vieil adage du pays : « Asi s’accavi la cuenta ! 

192. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo en 1831 »

L’incertitude planant sur les premières années d’un grand homme semblera peut-être à certaines gens plus poétique : pour moi, je ne vois pas ce que perdraient Corneille et Molière à ce que leurs commencements fussent mieux connus. […] il se perd ; il promettait tant ! […] Lebrun, il écrivait : « En général, une chose nous a frappé dans les compositions de cette jeunesse qui se presse maintenant sur nos théâtres ; ils en sont encore à se contenter facilement d’eux-mêmes ; ils perdent à ramasser des couronnes un temps qu’ils devraient consacrer à de courageuses méditations ; ils réussissent, mais leurs rivaux sortent joyeux de leurs triomphes. […] Victor Hugo perdit sa mère en 1821 : ce fut pour lui une affreuse douleur, tempérée seulement par l’idée que son mariage n’était plus désormais si impossible. […] La chute de M. de Chateaubriand mit la désunion dans les rangs royalistes, et une bouffée perdue de cet orage emporta en mille pièces le pavillon couleur de rose, guitares, cassolettes, soupirs et mandores : il ne resta debout que deux ou trois poëtes.

193. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

Au sortir de Saint-Cyr, quand déjà la mort de Louis XIV entraînait la chute des pouvoirs élevés par ce roi avec le plus de complaisance, Mlle d’Aulquier, qui perdait l’appui de Mme de Maintenon, fut demandée en mariage par un gentilhomme breton qui la rencontra à la terre de sa tante et en devint soudainement amoureux. […] Cet esprit si fin, cette âme si tendre, qui avait eu tous ses avantages dans les préambules de la passion, se reposait volontiers maintenant et se perdait dans les flammes de son amie, comme l’étoile du matin dans une magnifique aurore. […] Une lettre encore de l’époux arrivait à de certains intervalles, et ramenait, au sein de leur certitude habituelle, une crainte, un point noir à l’horizon, que Mme de Pontivy écartait vite de sa passion, comme un soleil d’été repousse les brouillards, mais que lui, moins ardent quoique aussi sensible, ne perdait jamais entièrement de vue. […] Le souvenir de la passion perdue m’est plus beau qu’une tiède jouissance. […] Laissez, je veux ressusciter en vous l’Amour, cet enfant mort qui n’était qu’endormi. » Elle écoutait avec charme et silence, et, soulevant du doigt, pendant qu’il parlait, la dentelle noire qui la voilait à demi, elle ne perdait rien de ce qu’ajoutaient les regards. « Oh !

194. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. Joubert »

De loin ou même de près, on les perd aisément de vue ; au sein de cette gloire voisine, unique et qu’on dirait isolée, ils s’éclipsent, ils disparaissent à jamais, si cette gloire dans sa piété ne détache un rayon distinct et ne le dirige sur l’ami qu’elle absorbe. […] des esprits tout envahis d’eux-mêmes, de leurs prétentions rivales, de leurs intérêts d’amour-propre, et, pour le dire d’un mot, des esprits trop souvent perdus de tous ces vices les plus hideux de tous que la littérature seule engendre dans ses régions basses. […] La classe libre d’intelligences actives et vacantes qui se sont succédé dans la société française à côté de la littérature qu’elles soutenaient, qu’elles encadraient, et que, jusqu’à un certain point, elles formaient ; cette dynastie flottante d’esprits délicats et vifs aujourd’hui perdus, qui à leur manière ont régné, mais dont le propre est de ne pas laisser de nom, se résume très-bien pour nous dans un homme et peut s’appeler M.  […] Sa jeunesse dut être celle d’alors : « Mon âme habite un lieu par où les passions ont passé, et je les ai toutes connues », nous dit-il plus tard ; et encore : « Le temps que je perdais autrefois dans les plaisirs, je le perds aujourd’hui dans les souffrances. » Les idées philosophiques l’entraînèrent très-loin : à l’âge du retour, il disait : « Mes découvertes (et chacun a les siennes) m’ont ramené aux préjugés. » Ce qu’on appelle aujourd’hui le panthéisme était très-familier, on a lieu de le croire, à cette jeunesse de M.  […] Et sur les formes particulières des styles, sur Cicéron qu’on croit circonspect et presque timide, et qui, par l’expression, est le plus téméraire peut-être des écrivains, sur son éloquence claire, mais qui sort à gros bouillons et cascades quand il le faut  ; sur Platon, qui se perd dans le vide, mais tellement qu’on voit le jeu de ses ailes, qu’on en entend le bruit  ; sur Platon encore et Xénophon, et les autres écrivains de l’école de Socrate, qui ont, dans la phrase, les circuits et les évolutions du vol des oiseaux, qui bâtissent véritablement des labyrinthes, mais des labyrinthes en l’air, M. 

195. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Après quelques visites qui suivirent le dîner de Versailles, ils se perdirent quelque temps de vue, et ne se retrouvèrent qu’aux États généraux. […] Le gouvernement me repousse, et je ne puis que me placer dans le parti de l’opposition, qui est révolutionnaire, ou risquer de perdre ma popularité, qui est ma force. […] Mais Richelieu avait son capucin Joseph ; ayez donc aussi votre éminence grise ; ou vous vous perdrez en ne nous sauvant pas. […] Ce qui les perdra irrémédiablement, c’est d’avoir peur des hommes, et de transporter toujours les petites répugnances et les frêles attraits d’un autre ordre de choses dans celui où ce qu’il y a de plus fort ne l’est pas encore assez ; où ils seraient très forts eux-mêmes, qu’ils auraient encore besoin, pour l’opinion, de s’entourer de gens forts. […] Mirabeau montre que cet homme soi-disant nécessaire, en paralysant tout, perd tout, et qu’il laisse descendre petit à petit la monarchie et la société avec elle, jusqu’à une entière désorganisation.

196. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Lambert et madame Necker. » pp. 217-239

Elle perdit son père en bas âge. […] Il est d’usage de vivre longtemps, à l’Académie ; c’est là une habitude qui ne s’est pas perdue, et qui, jointe à tant d’autres avantages, ne laisse pas d’avoir son prix. […] Ceux qui sont au-dessus de lui, elle lui recommande de les juger par ce qu’ils sont en réalité, et non par la montre : « Mais ne perdons point de vue un nombre infini de malheureux qui sont au-dessous. […] Ce ne sont pas toujours les fautes qui nous perdent, c’est la manière de se conduire après les avoir faites. […] Plus de quarante ans après, d’Alembert, écrivant dans ses Éloges académiques celui de M. de Sacy, y traçait un tableau touchant de cette amitié qui l’unissait à Mme de Lambert, et, en le faisant, il se représentait à lui-même, par une allusion sensible, sa liaison de cœur avec Mlle de Lespinasse qu’il venait de perdre.

197. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre II. Shakespeare — Son œuvre. Les points culminants »

Un homme suspect de soupçon était perdu. […] Aucune de ses ondulations n’est perdue pour sa dimension. […] Une fois que Macbeth a mordu, il est perdu. […] Enfin la catastrophe arrive, la forêt de Birnam se met en marche ; Macbeth a tout enfreint, tout franchi, tout violé, tout brisé, et cette outrance finit par gagner la nature elle-même ; la nature perd patience, la nature entre en action contre Macbeth ; la nature devient âme contre l’homme qui est devenu force.” […] se sentir oublié dans le départ, avoir perdu sa raison d’être ici-bas, être désormais un homme qui va et vient devant un sépulcre, pas reçu, pas admis ; c’est une sombre destinée.

198. (1874) Premiers lundis. Tome II « Charles de Bernard. Le nœud Gordien. — Gerfaut. »

Son observation si pénétrante et d’une qualité presque magique s’obscurcit tout d’un coup, et se perd, en croyant se continuer, dans toutes les aberrations de l’invraisemblable. […] Sans nous engager dans les autres nouvelles, la plupart connues, du Nœud gordien, nous retrouvons dans Gerfaut toutes les qualités que promet la Femme de quarante ans, et qu’on est sûr de ne plus perdre avec M. de Bernard, tant il les possède de source avec abondance et netteté. […] Gerfaut, c’est comme un composé un peu idéalisé de M. de Balzac et de M. de Bernard lui-même ; véritable gentilhomme, qui, au faubourg Saint-Germain, se nomme le vicomte de Gerfaut, et qui, ailleurs, donne à corps perdu, en vrai lion, dans la moderne orgie littéraire.

199. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre II. La langue française au xvie siècle »

» Personne ne s’en fit scrupule : l’enrichissement de la langue était une nécessité liée au développement de l’esprit ; puisque la formation populaire avait laissé perdre du latin tout ce qui représentait la haute culture, il fallait bien aller l’y rechercher, maintenant qu’on voulait s’approprier cette culture. […] Outre les savants, nul ne se fait faute de prendre des mots à sa fantaisie : le faux principe de Ronsard que la perfection d’une langue est en proportion du nombre de ses mots, abuse tout le monde, et par dévouement à la langue nationale, on en vient à perdre tout respect de son génie et de sa pureté. […] L’Italie avait été un trop actif agent de notre Renaissance, pour ne pas avoir imprimé fortement sa marque jusque sur notre langage ; l’Espagne à la fin du siècle regagne du côté de l’influence intellectuelle ce qu’elle perd en influence politique ; elle nous insinue de ses manières et de ses façons de parler.

200. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VIII. La mécanique cérébrale »

Par quelle série d’états intermédiaires les centres nerveux élémentaires reviendront-ils à cet équilibre un instant perdu ? […] De même que dans les expériences de Plateau les états successifs d’un organe sensitif tendent au repos par une suite de phases alternatives, de même nous voyons l’esprit tendre à l’équilibre perdu par des mouvements oscillants entre le passé et le présent. […] « Il est bien vrai, dit-il, que les changements organiques du cerveau font quelquefois disparaître la mémoire des faits qui se rapportent à certaines périodes ou à certaines classes de mots, tels que les substantifs, les adjectifs ; mais cette perte ne pourrait être expliquée au point de vue matériel qu’en admettant que les impressions se fixent d’une manière successive dans des portions stratifiées du cerveau, ce à quoi il n’est pas permis de s’arrêter un seul instant… La faculté de conserver ou de reproduire les images ou les idées des objets qui ont frappé les sens ne permet pas d’admettre que les séries d’idées soient fixées dans telles ou telles parties du cerveau, par exemple, dans les corpuscules ganglionnaires de la substance grise, car les idées accumulées dans l’âme s’unissent entre elles de manières très-variées, telles que les relations de succession, de simultanéité, d’analogie, de dissemblance, et ces relations varient à chaque instant. » Müller ajoute : « D’ailleurs, si l’on voulait attribuer la perception et la pensée aux corpuscules ganglionnaires et considérer le travail de l’esprit, — quand il s’élève des notions particulières aux notions générales, ou redescend de celles-ci à celle-là, — comme l’effet d’une exaltation de la partie périphérique des corpuscules ganglionnaires relativement à celle de leurs parties centrales ou de leur noyau relativement à leur périphérie, si l’on prétendait que la réunion des conceptions en une pensée ou en un jugement qui exige à la fois l’idée de l’objet, celle des attributs et celle de la copule, dépend du conflit de ces corpuscules et d’une action des prolongements qui les unissent ensemble ; si l’on prétendait que l’association des idées dépend de l’action soit simultanée, soit successive, de ces corpuscules, — on ne ferait que se perdre au milieu d’hypothèses vagues et dépourvues de tout fondement72. » De tout ce qui précède, je ne crois pas qu’il soit bien téméraire de conclure que nous ne savons rien, absolument rien, des opérations du cerveau, rien des phénomènes dont il est le théâtre lorsque la pensée se produit dans l’esprit.

201. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mon mot sur l’architecture » pp. 70-76

On dit de Saint Pierre de Rome que les proportions y sont si parfaitement gardées que l’édifice perd au premier coup d’œil tout l’effet de sa grandeur et de son étendue, en sorte qu’on en peut dire, Magnus esse, sentiri parvus. […] On accorde que tout étant égal d’ailleurs, un homme mince et élancé paraîtra plus grand qu’un homme bien proportionné ; mais on demande encore quel est de ces deux hommes celui qu’on admirera davantage ; et si le premier ne consentirait pas à être réduit aux proportions les plus rigoureuses de l’antique, au hasard de perdre quelque chose de sa grandeur apparente. […] On réplique qu’il n’est pas étonnant que l’homme consente à perdre de sa grandeur apparente, en acceptant des proportions rigoureuses, parce qu’il n’ignore pas que c’est de cette exactitude rigoureuse dans la proportion de ses membres, qu’il obtiendra l’avantage de satisfaire le plus parfaitement qu’il est possible, aux différentes fonctions de la vie, que c’est d’elle que dépendront la force, la dignité, la grâce, en un mot la beauté dont l’utilité est toujours la base ; mais qu’il n’en est pas ainsi d’un édifice qui n’a qu’un seul objet, qu’un seul but.

202. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Satire contre le luxe, à la manière de Perse » pp. 122-126

Le reste s’est perdu de débauche par l’imitation et l’influence du libertinage des grands. […] A-t-on crié dans les rues un édit qui promette un intérêt décuple à un capital ; l’enfant de la maison pâlit ; l’héritier frémit ou pleure ; ces masses d’or qui lui étaient destinées, vont se perdre dans le fisc public, et avec elles l’espérance d’une opulence à venir. […] L’emploi du tems est trop précieux pour le perdre à des spéculations oisives.

203. (1912) L’art de lire « Chapitre X. Relire »

J’aimais les romans à vingt ans, Aujourd’hui je n’ai plus le temps ; Le bien perdu rend l’homme avare ; J’y veux voir moins loin mais plus clair : Je me console de Werther, Avec la reine de Navarre. […] C’est un peu pour cela qu’il faut les relire, pour se relire, pour se rendre compte de soi, pour s’analyser, pour se connaître par comparaison et pour savoir ce qu’on a perdu. Non pas toujours ce qu’on a perdu.

204. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La défection de Marmont »

S’il est touché, il est perdu. […] Rapetti, qui ne se contente pas de discuter le fait unique de cette défection dans laquelle tous les autres actes plus ou moins glorieux de la vie de Marmont se sont perdus comme dans un abîme, nous a résumé, en quelques pages fermes et profondes, cette existence que le maréchal nous a fastueusement étalée dans plusieurs volumes de Mémoires, et c’est de l’ensemble étreint de toute cette vie que le vigoureux et habile critique a déduit et fait sortir la défection. […] Il faudrait s’étonner, plutôt, si cette défection n’avait pas eu lieu… Rapetti, en nous la racontant, a fait l’histoire vraie de ce jour qui perdit l’Empereur, mais il l’a refaite avec l’histoire faussée, sophistiquée, pervertie par l’intérêt du coupable, et, pour la refaire et la ramener au vrai, il n’a pas eu besoin de révéler des faits inconnus et de se retirer derrière des négations inattendues.

205. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Jules Vallès » pp. 259-268

et il ne perdra pas un seul grain de la charge de son fusil ! […] les petits, — et encore les petits de Paris, visibles seulement à Paris, connus uniquement entre le Gros-Caillou et les Buttes-Montmartre, et dont l’espèce est perdue — entièrement perdue — et n’existe plus passé la banlieue et ses derniers cabarets.

206. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXV. De Paul Jove, et de ses éloges. »

En France, Godefroi de Bouillon, chef de la seule croisade qui ait réussi ; Charles VIII, qui conquit et perdit le royaume de Naples avec la même rapidité ; Louis XII, qui fut tour à tour dupe de ses amis et de ses ennemis, mais à qui on pardonna tout, parce qu’il était bon ; François Ier, qui, à beaucoup de défauts, mêla des qualités brillantes ; le maréchal de Trivulce, sur la tombe duquel on grava : Ici repose celui qui ne reposa jamais ; le maréchal de Lautrec, également opiniâtre et malheureux ; Gaston de Foix, si connu par son courage brillant et par la bataille de Ravenne qu’il gagna et où il perdit la vie ; enfin, ce connétable de Bourbon, si terrible à son maître, et dont l’âme altière eut à la fois le plaisir et le malheur d’être si bien vengé. […] Les empereurs n’avaient point perdu de vue ce fantôme d’empire romain, que de temps en temps ils voulaient faire revivre.

207. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIX. M. Cousin » pp. 427-462

Il a pratiqué Mme de Chevreuse, et le grand seigneur, lui, ne perd pas la tête devant la grande dame. […] elle perdait la partie ! […] Il y perdra son savon. […] Mais tout ce qui n’était pas Mme de Hautefort n’existe pas pour le peintre, absorbé, perdu dans la contemplation de son modèle. […] J’ai perdu sans murmurer tous les prix de ma vie (avec le 2 décembre !)

208. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Chateaubriand, François René de (1768-1848) »

. — Le Paradis perdu de Milton (1836). — Le Congrès de Vérone (1838). — La Vie de Rancé (1844). — Les Mémoires d’outre-tombe (1849). […] Il a perdu son instrument, son élément.

209. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — IX. Chassez le naturel… »

Tâchons, toi et moi, de rester immobiles, celui qui bougera le premier aura perdu son pari ». […] Nul de nous n’a gagné le pari et nul de nous ne l’a perdu ».

210. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXIXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 129-192

CCXVII Mais, tout en prenant patience, ajouta le sage frère quêteur, je n’ai pas pourtant perdu mon temps et toutes mes peines à Lucques et aux environs pendant la semaine. […] Dieu, que deviendrions-nous si nous venions à nous perdre dans cet infini où tu me chercherais éternellement, comme dit l’histoire de Francesca de Rimini. […] Vous nous perdriez tous, et vous, hélas ! […] Et maintenant, son fils condamné pour homicide, au fond d’un cachot, sur la paille, attendant le jour du supplice ; son frère ayant perdu la lumière du firmament ; moi, flétrie et pâlie par les soucis, loin de ma fille que j’allais retrouver sans qu’il me fût permis de l’embrasser seulement quand je la reverrais ! […] Tout fut perdu ; mes jambes me manquèrent sous moi ; mais le bargello ne s’aperçut pas de ma pâleur, parce qu’il ne faisait pas jour encore dans le vestibule grillé du préau.

211. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Le cardinal, dupe du subterfuge, n’hésita pas à la payer deux cents écus romains ; mais, ayant été bientôt informé de la vérité, il perdit avec son illusion toute son admiration pour la statue. […] Michel-Ange y avait perdu son temps, sa fortune et ses yeux ; sa vue resta plusieurs années affaiblie par l’attitude forcée de la tête, qu’il avait dû renverser en peignant la voûte. […] Jusque-là il n’avait point aimé ; une femme qu’il avait épousée et perdue dans sa jeunesse lui avait laissé, si l’on en juge par quelques expressions de ses lettres, un souvenir amer du mariage. […] Celui qui semble vous éloigner et vous priver de moi perd par sa grande terreur la jouissance de son grand crime. […] Et n’est-ce pas une trop grande infamie à toi, ô destinée, de t’acharner sur celui qui a déjà perdu le souffle et la vie ! 

212. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre I. Les chansons de geste »

Nous sommes donc réduits à ressaisir, par une divination délicate, l’âme et les membres épars de l’épopée perdue au milieu de toutes les inventions dont la fantaisie romanesque de l’âge suivant l’a surchargée et dénaturée. […] Adenet, Jean Bodel, Jendeus de Brie, Bertrand de Bar-sur-Aube ne veulent pas perdre le bénéfice de leur travail ; s’ils tiennent au profit, ils aiment aussi la gloire, dont la recherche est un des symptômes caractéristiques de l’individualisme : cela seul nous avertirait que les temps épiques sont passés. […] Une fois surtout que l’histoire, la chronique en vers, puis en prose, s’est détachée du tronc de l’épopée, les chansons de geste se vident en quelque sorte de leur solide substance historique ; elles perdent de plus en plus leur caractère de commémoration héroïque du passé pour devenir l’expression vulgaire du présent. […] Ils perdent toute dignité, toute grandeur, toute réalité, toute consistance aussi. […] Helgaire tire tout ce qu’il dit du poème populaire, d’une vie perdue de saint Chilien, rédigée au xiiie  siècle.

213. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

Ils faisaient ainsi de la religion une chose vivante et populaire : tant pis si elle y perdait sa pureté, sa fière et divine idéalité. […] Là on le perd de vue. […] Il perd Talmont, relient à grand’peine Argenton, paie d’énormes amendes. […] Elle perd de son prix si l’on songe que la chronique de Louis XI fut écrite dans les premières années de Charles VIII : il n’eût pas fait bon pour Commynes mettre trop en lumière son importance. […] Biographie : Né en 1391, fils de Louis d’Orléans et de Valentine Visconti, il épousa Isabelle de France, veuve de Richard II, qu’il perdit en 1409, puis Bonne d’Armagnac, qui mourut en 1415.

214. (1854) Causeries littéraires pp. 1-353

Pas une de ses paroles n’est perdue pour celui qui l’écoute. […] Ce qui acheva de perdre Démétrius, ce fut son mariage. […] Pourtant, on ne saurait se le dissimuler, tous trois sont perdus pour la poésie. […] On le voit, après cette série d’œuvres contestées ou contestables, rien n’était encore perdu pour M.  […] » — Les bienséances eussent été sauvées, et la morale n’y eût rien perdu.

215. (1890) L’avenir de la science « IV » p. 141

Le malheur est que la frivolité générale les condamne à former un monde à part et que l’aristocratie du siècle, qui est celle de la richesse, ait généralement perdu le sens idéal de la vie. […] Ce qui avilit, ce qui dégrade, ce qui fait perdre le sens des grandes choses, c’est le petit esprit qu’on y porte ; ce sont les petites combinaisons, les petits procédés pour faire fortune. […] Pourquoi perdre ainsi cette liqueur ? […] L’égoïsme est dominant, le sens du grand dévouement et de l’apostolat désintéressé est perdu.

216. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

Les poètes, pour la plupart, ont perdu le sens du monde, c’est à nous de le leur rendre. […] Est-il possible de perdre de vue les indices partout renouvelés, partout visibles ? […] Ce que les physiciens observent sous le nom de polarité et d’attraction, les esthéticiens ont à l’étudier sous le nom de destin et de fatalité ; il est impossible de nier la morale, comme il est impossible de nier les sciences pratiques : « Il peut arriver, a écrit quelqu’un, que nous oubliions les lois de la terre, mais celles-ci ne nous perdent jamais vraiment de vue. […] Ne perdons pas une minute, car tout instant porte son bien.

217. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 15, le pouvoir de l’air sur le corps humain prouvé par le caractere des nations » pp. 252-276

Leur peau y devient blanchâtre, et l’on peut croire qu’une colonie de négres établie en Angleterre y perdroit enfin la couleur naturelle aux négres, comme les portugais du Cap-Verd ont perdu la leur dans les païs voisins de la ligne. […] Ils sçavent vivre de peu, et ils craignent autant de perdre la gravité que les autres hommes de perdre la vie. […] Quand les chévres d’Ancyre ont perdu le pâturage de leurs montagnes, elles ne se couvrent plus de ce poil si prisé dans l’orient, et connu même en Europe.

218. (1864) De la critique littéraire pp. 1-13

S’ils me lisent, je suis perdu ; « haro sur le baudet !  […] Elle perd de jour en jour le goût de l’art ; non seulement elle ne le comprend plus, mais elle le méprise ; elle n’a pour lui que la froideur de l’indifférence ou le sourire protecteur du dédain. […] Mais peut-être la critique découvrira-t-elle quelque génie perdu dans la foule et que le monde n’estime pas à son prix ? […] L’esprit perd son ressort, l’imagination se fane, et quand on veut faire appel à son génie, on reconnaît avec douleur que le génie est mort ou bien malade.

219. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Nous aimons cet impassible joueur qui rejoue la carte sur laquelle il a perdu, et nous nous demandons avec intérêt : À présent, gagnera-t-il ?… Mais, s’il perd encore la partie, il faut au moins que la Critique, qui aime le talent partout où il est et qui doit le montrer aux autres, sous peine de n’être qu’une grande sotte à vue basse, il faut que la Critique dise bien haut que la carte était belle et qu’il n’y avait ni obstination, ni infatuation, ni même présomption à la jouer. […] Dans un tel état de choses, la Critique n’a donc pas à se préoccuper des probabilités d’une thèse qui perd son caractère en perdant sa rigueur. […] — une humanité pensante sur le bout du doigt, nous trouvons des pages d’une grande vie qu’il faut citer pour donner une idée de ce que la préoccupation de d’Arpentigny nous fait perdre.

220. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VII. »

Attirée par d’injustes manœuvres, elle suit contre son gré, et bientôt se perd sous la malédiction. […] Le peuple athénien, ayant perdu l’île de Salamine dans une guerre malheureuse, avait défendu, sous peine de mort, tout écrit et tout discours qui en proposerait de nouveau la conquête. […] Lorsque, tombant au premier rang, il a perdu la vie, il comble de gloire la ville, ses concitoyens et son père ; car, à travers la poitrine, le bouclier et la cuirasse, il est percé de coups par devant. […] Mais des guerriers qui se troublent ont perdu toute force.

221. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

Médite la parole divine, ne la perds jamais de vue ; dirige vers elle toute la force intellectuelle de l’âme. […] Tout le monde pleurait du fond du cœur : ainsi la France perdait un homme de goût, un homme d’étude, un homme d’honneur, un homme religieux, et ceux qui chérissent la haute littérature, — moi, — j’avais perdu un ami ! […] comme le lépreux est deux fois lépreux après avoir perdu sa compagnie dans son enclos ! […] Ce n’est pas un badinage que de perdre cruellement ce qui vous a aimé ! […] Nous nous perdîmes dans la foule pendant mes années politiques et troublées de tribun sur la place publique.

222. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

…………………… — Ta lèvre sûrement N’a pas de ses baisers sitôt perdu la trace ? […] Un secret remords de talent perdu semble par moment l’avertir qu’il ne faut pas ainsi répandre la poésie, cette huile des parfums, sur les pieds des courtisanes. […] Tout trahir et tout perdre était ta destinée ; Tu fis ton dieu mortel, et tu l’en aimas mieux. Qu’on te rende le ciel, tu le perdras encore. […] Comme le poète retrouve dans le détail, la vérité et le pathétique perdu dans l’ensemble !

223. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

Et ici remarquez qu’il ne fait pas comme dans le discours de Metz où il songeait bien plus à diviser, à approfondir son sujet qu’à le rendre manifeste ; il ne raisonne plus pour lui seul, il pense à ses auditeurs, il ne les perd pas de vue un seul instant : «Ô largeur, ô profondeur ! […] Cousin ne se soit jamais posé une seule fois cette question : « Qu’aurait gagné, qu’aurait perdu mon propre talent, ce talent que l’on compare tous les jours à celui des écrivains du Grand Siècle, qu’aurait-il gagné ou perdu, cet admirable talent (J’oublie que c’est lui qui parle), si j’avais eu à écrire ou à discourir, ne fût-ce que quelques années, en vue même de Louis XIV, c’est-à-dire de ce bon sens royal calme, sobre et auguste ? Et ce que j’y aurais gagné ou perdu dans ma verve et mon éloquence, ne serait-ce pas précisément ce qui y fait excès et aussi ce qui y manque en gravité, en proportion, en mesure, en parfaite justesse, et, par conséquent, en véritable autorité ?  […] Dans l’époque auguste et si définie au sein de laquelle il parlait, Bossuet, sans rien perdre de son étendue ni de ses hardiesses de coup d’œil à distance, trouvait partout autour de lui ce point d’appui, cette sécurité, et cet encouragement ou avertissement insensible dont le talent et le génie lui-même ont besoin.

224. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

Henri IV, dans les Mémoires particuliers de l’auteur, nous est montré par d’assez vilains côtés et qui tendraient à le rapetisser ; on l’y voit atteint et accusé d’envie, d’avarice : il n’est rien de tel dans la grande Histoire, et ces petits griefs personnels et de domesticité s’évanouissent : d’Aubigné y replace le héros et le politique à sa juste hauteur, et l’ayant perdu, le regrettant avec larmes, il lui redevient publiquement favorable et fidèle. […] Ou plutôt qui n’a vu l’un de ces braves guerriers et intrépides serviteurs de l’Empire, mais serviteurs vers la fin moroses et grondeurs envers leur grand chef trop infatigable, et qui, dès qu’ils l’eurent perdu et vu tomber, retrouvèrent l’enthousiasme pur et le culte ? […] L’auteur n’y perd jamais de vue un plan de composition et même une symétrie extérieure qu’il s’est imposée : c’est ainsi qu’il termine tous ses livres (et il y en a cinq dans chaque tome) par un traité de paix, ou, quand la paix fait faute, par quelque édit ou trêve qui y ressemble : il tient à couronner régulièrement chaque fin de livre par ce chapiteau. […] Parlant d’un brave tué à l’une des premières affaires, en 1589 : « Le roi de Navarre, dit-il, perdit à ce siège le mestre de camp Cherbonnières, esprit et cœur ferré, homme digne des guerres civiles… » D’Aubigné dit cela comme on dirait en d’autres temps : « homme digne de servir contre les ennemis de la France ». […] Quand on a beaucoup lu ces auteurs du xvie  siècle et des précédents, après qu’on a rendu justice à toutes les qualités de couleur, d’abondance, de franchise, de naïveté ou de générosité première qu’ils ont volontiers ; après qu’on a payé un tribut de regret sincère à ce qui s’est, à cet égard, retranché depuis et perdu, il reste pourtant une qualité qui est nôtre, qui est celle de tout bon écrivain depuis Pascal, et qu’on arrive à goûter, à estimer, j’ose dire à bénir de plus en plus ; qualité bien humble et bien essentielle, imposée désormais aux médiocres comme aux plus grands, et que Vauvenargues a appelée le vernis des maîtres, je veux parler de la netteté.

225. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — II » pp. 39-56

Santeul publiait leurs lettres pour se justifier et s’en décorer, et en même temps il ne perdait pas l’occasion de faire amende honorable à Bossuet dans une pièce de vers imprimée, en tête de laquelle une vignette le représentait à genoux, et reçu à pénitence par le grand évêque de Meaux. […] On ne lui donnait point l’exemple de la mesure, et il la perdait à tout moment. […] Il était là sur un théâtre où rien de lui n’était perdu, et où il figurait au premier rang. […] À ce récit de Saint-Simon, on peut opposer quelques autres témoignages contemporains, notamment celui de La Monnoye, présent à cette mort, et qui écrit, dans une lettre du 13 août 1697 à un ami : Ma joie est moindre que mon deuil, J’ai gagné mon procès, mais j’ai perdu Santeuil. […] monsieur, s’écria-t-il du moment qu’il me vit, je suis perdu ; ils m’ont donné de l’émétique par deux fois ! 

226. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Sénecé ou un poète agréable. » pp. 280-297

En redevenant ainsi poète mâconnais, il ne se doutait pas qu’il travaillait peut-être plus sûrement pour sa mémoire que s’il fût resté poète à Versailles, comme perdu et noyé parmi tous ces demi-dieux et ces naïades ; car en étant d’un lieu et d’une cité particulière, et en y laissant sa tradition, il a trouvé, après plus d’un siècle, des investigateurs curieux et presque des fidèles pour en recueillir le souvenir, et il a eu cet honneur que M. de Lamartine, tout jeune, entendant réciter de ses vers marotiques a fait un dizain à sa louange et un peu à son imitation. […] L’Espagnol Gongora prétend savoir le bon chemin et l’indique ; Annibal Caro et les Italiens, parmi lesquels Chiabrera, en indiquent un autre ; puis des Allemands, parlant un latin gothique, veulent en suivre un troisième : on les laisse aller, ils se perdent chacun de son côté ; les Espagnols, dans des taillis de pointes épineuses ; les Italiens sur des hauteurs et des escarpements lyriques qui mènent à des précipices ; les Allemands, dans des marécages. Le gros de la troupe, qui n’a pas suivi ces enfants perdus, après avoir tenu conseil, se résout, sur la proposition de Catulle, à prendre Virgile pour guide. […] Le plus célèbre est celui qui s’intitule La Confiance perdue, ou le serpent mangeur de kaïmack et le Turc son pourvoyeur. […] La Fontaine intitulée Les Deux Perroquets, le roi et son fils : il y a des outrages après lesquels offenseur et offensé ne se pardonnent pas, et la confiance une fois perdue ne se peut retrouver. « Ce conte, à quelques endroits près, a dit Voltaire, le meilleur juge du mondeab, est un ouvrage distingué » ; et il accorde à Sénecé une imagination singulière.

227. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Si saisissantes qu’en fussent les parties, il devait y perdre, et surtout la pensée générale, la conception devait en souffrir. […] Cependant chaque jour elle s’en approche d’un pas, et elle finit par être égarée et follement perdue. […] Cette soirée où Emma est reçue avec la politesse qui attend partout une jeune et jolie femme, et où elle respire en entrant ce parfum de vie élégante, aristocratique, qui est sa chimère et pour laquelle elle se croit née, cette soirée où elle danse, où elle valse sans l’avoir appris, où elle devine tout ce qu’il faut, et où elle réussit très convenablement, l’enivre et contribuera à la perdre : elle s’est comme empoisonnée dans le parfum. […] Une fois qu’elle a fait le premier pas décisif, Mme Bovary va vite et regagne le temps perdu. […] » Bientôt après, quand il a trouvé le paquet de lettres tant de Léon que de Rodolphe, il pardonne tout, il aime encore l’ingrate et l’indigne qu’il a perdue, et il meurt de douleur.

228. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

Les liens de l’estime et de la confraternité ne peuvent plus exister entre nous et ceux qui professent des principes contraires, et si l’honneur pouvait être solidaire entre des hommes qui exercent la même profession à des distances Considérables, je me hâterais de protester contre un pareil abus, et je vous dirais hautement : L’avocat qui « chargé volontairement. de défendre un guerrier traître et rebelle à son roi, s’oublie jusqu’à justifier l’action en elle-même, qui cite comme un titre de gloire pour l’accusé le nom d’une bataille (celle de Waterloo) où il acheva de se rendre criminel en combattant contre son maître ; qui invoque à son secours le témoignage d’autres rebelles et les excite à rappeler les moyens qu’ils avaient pour forcer leur roi à la clémence ; l’avocat qui, s’entourant de honteux détours, de méprisables subterfuges, d’ignobles entraves, enlève ainsi au prévenu, autant qu’il est en lui, son dernier honneur, celui du courage, cet avocat a perdu son titre à nos yeux : je me sépare à jamais de lui. » On a beau dire que tout moyen est bon à un avocat pour sauver son client, M. de Martignac passait ici toute mesure, et il est difficile d’admettre qu’il n’obéissait pas lui-même, en s’exprimant de la sorte, à un accès de la fièvre politique qui sévissait partout autour de lui. […] Elle communiqua avec eux tant qu’elle put à travers les geôliers et ne les perdit pas de vue jusqu’au dernier instant. […] Il y avait des niais et quelques sots panachés dont je ne parle pas, ils vivent peut-être encore ; puis, à côté, les malins : — et ce Vitrolles, hardi, osé, peu scrupuleux, qui avait un pied dans les camps les plus opposés, qui visait à un premier rôle, qui jouait son va-tout sur une seule carte, la confiance intime de Monsieur ; qui perdit et qui se fera beaucoup pardonner un jour en jugeant dans ses Mémoires avec esprit les gens qui l’ont mal payé de son zèle ; — et Michaud ; engagé parmi les violents du parti, on ne sait trop pourquoi, si ce n’est parce qu’il s’en était mis de bonne heure et de tout temps ; raisonnable et même assez philosophe dans ses écrits historiques et dans ses livres, incorrigible dans ses feuilles ; de qui Napoléon avait dit que c’était « un mauvais sujet » ; avec cela homme d’esprit et les aimant, indulgent même pour la jeunesse ; journaliste avant tout et connaissant son arme, muet dans les assemblées et pour cause, avec un filet de voix très-mince, un rire voltairien, et qui passa sa vie à se rendre compte des sottises qu’il favorisait, qu’il provoquait même, et qu’il voyait faire41. […] Sera-t-il donc vrai qu’en France l’exemple des pères est toujours perdu pour les enfants, et que l’expérience ne se transmet pas d’une génération à l’autre ? […] Et tout cela serait perdu derechef, tout cela serait comme non avenu !

229. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis du Belloy (suite et fin.) »

pourquoi nous perdez-vous ce jeune homme ? […] Quand il arrive sur la scène, comme un jeune chien en défaut, courant, hors d’haleine, ayant perdu la piste de la beauté qu’il suivait, qu’il brûlait d’aborder, qu’un maudit fâcheux lui a fait tout d’un coup manquer, quel jeu de passion ! […] pas un curieux, pas un ami, personne Qui s’attache à mes pas, me tourmente et s’étonne, Demande d’où me vient ce bonheur, cet habit, Où je vais, d’où je sors, si j’ai perdu l’esprit ? […] As-tu perdu l’esprit ? […] Au xviiie  siècle, la race des attiques se perd : Voltaire est, quand il le veut, le modèle de l’urbanité ; mais l’atticisme léger, cette grâce un peu nue, cette exquise simplicité n’a plus sa place.

230. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

  Mais j’en viens, il en est temps, à la seconde partie de mon dire, et j’ai à expliquer, sans trop vouloir le défendre, le mot qui m’a été amicalement reproché : « Les Anciens, je le crains, perdront tôt ou tard une partie de la bataille. » I. […] L’admiration, en définitive, pour être plus éclairée et moins commandée, n’y perd pas : j’aurais trop de regret, pour mon compte, à voir disparaître cette forme de critique émue, éloquente, telle que les Cicéron, les Quintilien, les Longin, nous en ont donné des modèles, et telle que M.  […] Quelques-uns seulement y auront perdu : Aristarque, je le sais, tel que l’analyse nous l’offre, ne répond plus tout à fait à l’idée proverbiale et grandiose qu’en avaient conçue les Anciens ; c’est le sort et le malheur des plus excellents critiques, dont les services se consomment en quelque sorte sur place, et qui travaillent à se rendre inutiles. […] L’Antiquité ne perd pas au point de vue historique ; là-dessus je suis tranquille ; la Grèce, ainsi considérée comme un anneau d’or dans la chaîne des temps, se classe et se coordonne de plus en plus ; mais, au point de vue du goût et pour le sentiment direct, pour la familiarité véritable entretenue avec les sources, je suis moins rassuré, et je ne m’en prends de cela à personne ; je considère simplement les circonstances où nous vivons. […] Psyché parut, plus brillante et plus belle ; L’Amour la vit, l’Amour brûla pour elle : L’Amour, bientôt, la mit au rang des dieux… C’est ce même rimailleur soi-disant classique qui, dans une pièce critique et satirique de 1825, qu’il s’est bien gardé de perdre et qu’il a tenu à conserver, débutait par ces mots : Et j’ai dit dans mon cœur : « Notre ami Lamartine Définitivement a le timbre fêlé… » Et ce sont les auteurs de pareilles inepties et platitudes qui se mêlent de juger à première vue les plus délicats d’entre les poètes de l’Éolie et de l’Ionie !

231. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Et comment ne serait-ce point M. de Talleyrand qui, après avoir vu de près l’Amérique, l’avoir observée si peu d’années après son déchirement d’avec la mère patrie, et l’avoir, non sans étonnement, retrouvée tout anglaise, sinon d’affection, du moins d’habitudes, d’inclinations et d’intérêts, aurait lui-même écrit ou dicté les remarques suivantes : « Quiconque a bien vu l’Amérique ne peut plus douter maintenant que dans la plupart de ses habitudes elle ne soit restée anglaise ; que son ancien commerce avec l’Angleterre n’ait même gagné de l’activité au lieu d’en perdre depuis l’époque de l’indépendance, et que par conséquent l’indépendance, loin d’être funeste à l’Angleterre, ne lui ait été à plusieurs égards avantageuse. » Appliquant ici le mode d’analyse en usage chez les idéologues et tout à fait de mise à l’Institut en l’an III, il partait de ce principe que « ce qui détermine la volonté, c’est l’inclination et l’intérêt », et que ces deux mobiles s’unissaient des deux parts pour rapprocher les colons émancipés et leurs tyrans de la veille : « Il paraît d’abord étrange et presque paradoxal de prétendre que les Américains sont portés d’inclination vers l’Angleterre ; mais il ne faut pas perdre de vue que le peuple américain est un peuple dépassionné ; que la victoire et le temps ont amorti ses haines, et que chez lui les inclinations se réduisent à de simples habitudes : or, toutes ses habitudes le rapprochent de l’Angleterre. […] Un tel voyage est une sorte d’analyse pratique et vivante de l’origine des peuples et des États : on part de l’ensemble le plus composé pour arriver aux éléments les plus simples ; à chaque journée, on perd de vue quelques-unes de ces inventions que nos besoins, en se multipliant, ont rendues nécessaires ; et il semble que l’on voyage en arrière dans l’histoire des progrès de l’esprit humain. […] Talleyrand ne supposait pas que Napoléon en eut perdu le souvenir ; mais l’influence de la société du Manège avait fait renvoyer ce ministre : sa position était une garantie. […] Talleyrand d’ailleurs employa toutes les ressources d’un esprit souple et insinuant pour se concilier un suffrage qu’il lui importait de captiver20. » Par son action et ses démarches auprès des principaux personnages en jeu, auprès des partants et des arrivants, Sieyès et Barras, par son habile entremise à Paris dans la journée du 18, par ses avis et sa présence à Saint-Cloud le 19 au moment décisif, par son sang-froid qu’il ne perdit pas un instant, il avait rendu les plus grands services à la cause consulaire : aussi, les Consuls à peine installés, il fut appelé au Luxembourg avec Rœderer et Volney, et « tous trois reçurent collectivement de Bonaparte, au nom de la patrie, des remerciements pour le zèle qu’ils avaient mis à faire réussir la nouvelle révolution21. » Une grande carrière commençait pour Talleyrand avec te siècle : c’est sa période la plus brillante, et une fois introduit sur la scène dans le premier rôle, il ne la quitta plus, même lorsqu’il parut s’éclipser et faire le mort par moments.

232. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

Il faut de plus qu’ils soient mal montés pour qu’ils n’aient point de regret de perdre leurs chevaux, ou mieux il faut qu’ils n’aient pas de chevaux du tout, pour n’être pas tentés de s’en servir. […] On passe la nuit dans les transes, se croyant perdu si l’ennemi reparaît au matin. […] Il perdit sa peine et ses avis à tâcher de le modérer et à vouloir lui insinuer sa jeune prudence. […] Il était à table ; il perdit subitement la parole ; il voulait s’approcher de la fenêtre ; mais, croyant bien faire, on l’en empêcha, et on le retint près du feu. […] Après avoir mis en regard, par exemple, les malheurs qui frappèrent, vers le même temps, la maison de France et celle de Castille : « Et semble, dit-il, que Notre Seigneur ait regardé ces deux maisons de son visage rigoureux, et qu’il ne veut point qu’un royaume se moque de l’autre. » À partir de la mort de Louis XI, les Mémoires de Commynes perdent sensiblement en intérêt.

233. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

Il fut élevé avec distinction et en gentilhomme ; il finissait ses exercices à l’Académie quand il perdit son père, et il se trouva maître d’une partie de sa fortune. […] Elle voit Zelmis, et, dès le premier instant, elle est touchée pour lui, comme lui pour elle : « Elle disait les choses avec un accent si tendre et un air si aisé, qu’il semblait toujours qu’elle demandât le cœur, quelque indifférente chose qu’elle pût dire ; cela acheva de perdre le cavalier. » Cette jolie phrase : Il semblait toujours qu’elle demandât le cœur, est prise textuellement d’un petit libelle romanesque du temps sur les amours de Madame et du comte de Guiche. […] Dans Le Joueur, le caractère principal a beaucoup de vérité : cet homme, qui a joué, qui joue et qui jouera, qui, toutes les fois qu’il perd, sent revenir sur l’eau son amour, mais qui, au moindre retour de fortune, lui refait banqueroute de plus belle, cet homme est incurable ; il a beau s’écrier dans sa détresse : Ah ! […] il ne mérite pas de la posséder, et il a mérité au contraire de la perdre, non point tant encore pour avoir mis le portrait de sa maîtresse en gage que parce que, le pouvant et averti par son valet, il a refusé de le dégager et a répondu : Nous verrons ! […] Mais il m’a semblé que cette leçon se perd dans le rire ; on oublie de la tirer, et la folie de la forme emporte le fond.

234. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

Il y a donc, malgré les déviations, les temps perdus, les erreurs passagères, les dépenses inutiles, une résultante favorable au bien public. […] Avec l’égalité, les manières perdent, il est vrai, de leur politesse ; la délicatesse, la distinction s’efface : en revanche les hommes se connaissent mieux, puisqu’ils sont sans cesse mêlés les uns aux autres. Si les classes les plus élevées perdent quelque chose de leur élégance, les plus basses perdent de leur grossièreté ; un esprit de cordialité et de familiarité, plus vulgaire, mais plus humain, remplace la politesse des anciens temps ; les mœurs deviennent plus douces et plus fraternelles. […] De là vient que les uns réclamaient la liberté de la commune, la liberté de l’enseignement, la liberté de l’association, espérant ressaisir, ainsi leur influence perdue ; les autres, au contraire, que leurs principes auraient dû conduire à défendre toutes les libertés, ne voyaient dans certaines d’entre elles qu’un piège de la féodalité, du clergé et de l’aristocratie.

235. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

La critique, au milieu de ses conquêtes, a perdu le plus précieux, le plus essentiel de ses privilèges : l’autorité. […] Serait-ce que le public aime à voir une œuvre dramatique se perdre dans les nuages ? […] … » Il s’agit souvent d’un galérien en rupture de ban ou d’une fille perdue qui s’amuse aux dépens d’un vieux libertin ; n’importe ! […] Si la critique perd ses droits là où il n’y a rien, elle les perd aussi là où il y a trop, là où elle ne pourrait s’aventurer sans se salir, et balayer les immondices sans attraper les éclaboussures. […] Hugo a consacré un chant entier à la fille qu’il a perdue.

236. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Appendice. — Un cas de pédanterie. (Se rapporte à l’article Vaugelas, page 394). »

Armand Paulin, l’ami médecin que nous perdions le 7 septembre 4 857, était une figure originale et une nature avant tout sympathique. […] Sainte-Beuve, l’un des plus anciens amis du docteur Paulin, a prononcé sur la tombe les paroles suivantes : « Messieurs, vous avez désiré que nous ne quittions pas, sans lui adresser un dernier adieu, les restes du médecin habile, de l’ami excellent, du cœur dévoué que nous perdons. […] « Depuis qu’il l’eut perdue, il continua de faire le bien comme auparavant, avec le même zèle, avec plus d’empressement encore s’il se pouvait.

237. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vigny, Alfred de (1797-1863) »

La belle imagination de l’auteur s’est fortifiée en se purifiant ; son style, sans rien perdre de sa flexibilité, de sa fraîcheur et de son éclat, a perdu les défauts qui le déparaient. […] Mais, du moins, dans cette victoire du Doute, il n’a pas perdu le sentiment de la grandeur du Dieu auquel il ne croit plus.

238. (1898) Le vers libre (préface de L’Archipel en fleurs) pp. 7-20

Fatalement tu es voué à l’emprisonnement dans ces caves, en communion de misère avec une foule d’êtres dont les uns sont comme toi beaux efforts et gardent aux yeux une étincelle de la lumière perdue, dont les autres, nés dans le souterrain, du désir de deux misérables, sont rachitiques, lugubres, et ne roulent au fond de leurs yeux que la morne obscurité d’un désespoir séculaire. […] Ou bien, supposant que tu seras un agréable valet, ils te poliront, ils te ponceront, ils te châtreront, ils te feront donner de l’Éducation. — Dans ce cas, tu es perdu : tu deviendras l’amuseur du Prêtre et du Mage, du Roi et de la Reine, du Capitaine des Gardes et du Trésorier, du Grand Juge et du Propriétaire… c’est-à-dire la chose du Menteur et du Niais, du Soudard et du Voleur, du Prévaricateur et du Satisfait « Si par ta propre Volonté — car tu possèdes la volonté — tu échappes à la cave et à l’Éducation, tu te réfugieras dans le monde des poètes. […] Et tel est le besoin d’aller en troupe, de s’enquérir des Systèmes et des Procédés que l’Éducation développa chez les poètes, qu’ils perdent ou dilapident le plus pur de leur être, qu’ils étouffent la voix innée en eux pour psalmodier à l’imitation d’un Maître.

239. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XI » pp. 89-99

Quelques années avant, elle avait perdu, comme nous l’avons dit, son second fils, mort de la peste entre ses bras. Elle perdit son mari en 1653. En 1654 elle perdit son fils ainé, tué à l’âge de 31 ans, à la bataille de Nortlingen.

240. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes petites idées sur la couleur » pp. 19-25

On voit des tableaux modernes perdre leur accord en très peu de temps ; on en voit d’anciens qui se sont conservés frais, harmonieux et vigoureux, malgré le laps du temps. […] Pendant un temps infini, l’élève copie les tableaux de ce maître, et ne regarde pas la nature ; c’est-à-dire qu’il s’habitue à voir par les yeux d’un autre, et qu’il perd l’usage des siens. […] Voyez ce que devient Bachelier quand il a perdu de vue sa rose, sa jonquille et son œillet.

241. (1762) Réflexions sur l’ode

Toute poésie, on en convient, perd à être traduite ; mais la plus belle peut-être est celle qui y perd le moins. […] La faveur que l’ode semble avoir perdue, l’épître paraît l’avoir gagnée.

242. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVI. Mme de Saman »

Les femmes n’ont désappris la pudeur et la rougeur sainte, elles n’ont perdu les brûlantes beautés de la honte que parce qu’elles ont appris autre chose… Ces envieuses de l’homme ont mis, comme elles mettent un bonnet, ses vices avec ses sciences. […] Et quoique les amours qui suivirent celui-là et se succédèrent les uns aux autres avec une précision et une rapidité presque militaires, fussent des amours plus passionnés, il ne faut jamais perdre de vue qu’ils étaient toujours plus ou moins des amours de bas-bleu, dans lesquels le galimatias philosophique et littéraire se mêlait sans cesse au galimatias involontaire de la passion. […] Mais elle a beau me parler de l’héroïque sincérité de l’âme ardente et forte dont elle recommande le volume présent au public ; elle a beau m’exalter cette âme indépendante et fidèle, qui n’oublie aucun de ses amours en les variant et qui ne combat rien dans son âme par la très morale raison que le temps qu’on perd à combattre contre soi, on ne fait pas Corinne, si on fait Mme de Staël, je me connais trop en logomachie pour ne pas reconnaître les idées, les façons de dire, les affectations du bas-bleu moderne, cette espèce à part et déjà si commune et pour être infiniment touché du spectacle que me donnent, à la fin de cette préface sur laquelle on a compté, ces deux antiques Mormones du bas-bleuisme contemporain dont l’une couronne l’autre de roses à feuilles de chêne, avec un geste tout à la fois si solennel et si bouffon !

243. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIII. Éloges donnés aux empereurs, depuis Auguste jusqu’à Trajan. »

Ovide qui enfin, pendant dix ans, perdit ses vers et ses bassesses, et ne se rebuta jamais, quel nom lui donner ? […] Polybe était du nombre, et il venait de perdre un frère. […] « Puisque Claude respire, dit-il, il ne vous est pas permis de vous plaindre : Claude est vivant, toute votre famille est vivante, vous n’avez rien perdu.

244. (1883) La Réforme intellectuelle et morale de la France

L‘élément qui a fait ailleurs la vie parlementaire, la petite noblesse de campagne, a perdu son importance. […] Il était comme un joueur qui jouerait à la condition d’être fusillé s’il perd une partie. […] Mais telle est la faiblesse d’un État dénué de base morale, qu’un jour de folie suffit pour tout perdre. […] Tout se perdait dans une mollesse générale, dans un manque complet d’attention et de précision. […] Peut-être ; mais alors, je vous l’assure, la France est perdue.

245. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

que te voilà perdue, impuissante et vieillotte ! […] Il est perdu ! […] chers auditeurs, pardonnez la comparaison, mais ce n’est pas moi qui l’ai faite ; et d’ailleurs, tout n’est pas encore perdu. […] Orgon, allait être perdu par sa dévotion. […] Alceste l’honnête homme, perdu au milieu de ces jeunes fats, aux pieds de cette coquette, se sera trompé de porte.

246. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « Appendice »

Car si à la vérité nous délivrions Ou renvoyions toi maintenant, Certes et dans la suite tu viendrais Vers les vaisseaux rapides Des Achéens Ou devant espionner, Ou devant combattre ouvertement ; Mais si dompté par mes mains Tu venais à perdre la vie, Toi tu ne serais plus jamais Un fléau pour les Argiens ensuite. […] Si nous acceptons le prix de ton affranchissement et si nous te renvoyons, certes, tu reviendras auprès des nefs rapides des Akhaiens, pour espionner ou combattre ; mais, si tu perds la vie, dompté par mes mains, tu ne nuiras jamais plus aux Argiens ?

247. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

Moi, j’ai perdu la tête et je crie « Nanette ! […] Sa vie était brisée, l’idole à bas, la confiance pour toujours perdue. […] Elle a eu une existence houleuse : c’était une femme perdue. […] Il était le fils d’une femme perdue ! […] Il ne le perdit jamais de vue.

248. (1913) Le bovarysme « Deuxième partie : Le Bovarysme de la vérité — II »

Ceux-ci ne perdent pas courage lorsque quelque mensonge particulier leur devient apparent et les meilleurs s’efforcent seulement de le retrancher. […] Dès lors, l’idée perd tout crédit au regard de la connaissance analytique : il nous faut réformer tous les jugements que nous avons portés lorsque nous subissions son influencé et nous en laissions imposer par son prestige.

249. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Épilogue »

Les Bas-bleus sont trop d’un monde qui a perdu sa virilité pour ne pas croire, en se regardant et en se comparant, que les femmes sont égales aux hommes comme X est égal à X en algèbre, et pour craindre le ridicule devant lequel, — avec une pareille prétention, — elles auraient tremblé autrefois. […] Mais les époques ne sont qu’un jour dans la durée, et le ridicule individuel qui se perd dans le ridicule de toute une société et y devient imperceptible, l’Histoire le voit, le ramasse et le soufflette de sa lumière, L’Histoire ne fait pas toujours aux hommes l’honneur d’être sévère… Il est des décadences qui ne méritent que le rire de son mépris.

250. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Saint-Arnaud. Ses lettres publiées par sa famille, et autres lettres inédites » pp. 412-452

Que de temps perdu ! pas si perdu pourtant qu’on le croirait. […] Il perdit sa première femme en 1836. […] Aucune force humaine ne se perd, et les plus naturellement indisciplinés, sous cet aiguillon incessant, se rangent au devoir. […] J’ai peu d’envie de perdre 40000 hommes à ma première affaire.

251. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Bonaparte jouait la France en Saxe contre son orgueil obstiné ; il perdait le monde à Leipzig. […] Chateaubriand se conduisit en grand écrivain, et moi en honnête homme ; il fut un écrivain du premier ordre, et moi un bon citoyen ; il inventa la coalition de 1827 pour se grandir, au risque de perdre la monarchie ; j’inventai la république unanime et modérée pour sauver la France et l’Europe : qu’on juge par le résultat. […] Cela était d’autant plus nécessaire, que des affaires d’argent perdu dans des affaires de bourses étrangères avaient, disait-on, compliqué et aggravé des affaires de cœur entre M. de Chateaubriand et une des personnes, objet de ses nombreux attachements. […] Il la perdit un an avant sa propre mort. […] Voltaire et Jean-Jacques Rousseau n’étaient plus ; Mirabeau, Danton, Vergniaud avaient joué leur vie contre leurs doctrines et l’avaient perdue.

252. (1914) Enquête : Les prix littéraires (Les Marges)

Ce qu’on gagnera d’un côté, on le perdra par ailleurs. […] Maintenant, le public s’y perd ! […] Ce serait perdre notre peine que de réclamer leur suppression. […] Si la littérature n’est plus un métier hasardeux, injuste, bizarre et parfois effroyable, elle y perd en beauté. […] D’autre part la tentation de conquérir vite une somme d’argent appréciable et une notoriété qui sans cela se feraient attendre, incite certains auteurs à travailler en vue d’un prix donné et à perdre ensuite leur temps, si ce n’est leur dignité, en démarches et en intrigues.

253. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

La science attifée, pomponnée, enrubannée ne perd pas seulement le charme austère et viril qui lui convient ; elle est sujette à perdre du même coup la précision, qui est sa qualité essentielle. […] En se fixant ce but lointain, cet idéal perdu dans les brumes de l’avenir, elle a dû changer de méthode. […] Qui s’attache aux faits positifs d’une étreinte trop exclusive, qui se cantonne dans la recherche trop méticuleuse des notions exactes, risque fort de perdre l’élan, l’essor ailé, l’allure souple et légère. […] J’aime mieux, je l’avoue, ce que nous fait entrevoir la science actuelle : les tumultueux bouillonnements de la vie à la surface de notre planète ; la formation lente du végétal et de l’animal dans la vase épaissie et solidifiée ; puis l’homme, ce nain intelligent, perdu d’abord au milieu de ces monstres dont les débris gigantesques nous épouvantent encore, l’homme errant, muet et sombre, parmi ces terribles compagnons, disparaissant dans l’épaisseur des prairies comme la fourmi qui chemine dans les hautes herbes d’aujourd’hui, rencontrant tout autour de lui une nature hostile, des forêts inextricables où le jour pénétrait à peine, des torrents grondants aux eaux fangeuses et au lit changeant, des marais énormes et grouillant de reptiles, séjour de la fièvre et de la mort, des montagnes abruptes cachant dans la nue leur tète neigeuse ou vomissant leurs entrailles en feu. […] Tantôt elle s’occupe avec prédilection de la vie mentale ; elle scrute, à l’aide de la conscience, ce microscope interne, les pensées, les aspirations, les rêves de l’âme ; elle s’envole dans l’au-delà, poursuit l’absolu, s’aventure dans l’infini, vogue en plein ciel au risque de se perdre dans les nues.

254. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1883 » pp. 236-282

» Le dîner se termine dans une causerie sur ce pauvre Tourguéneff, que Charcot déclare perdu. […] Elle avait, une nuit, perdu une grosse somme d’argent. Son partner au jeu lui dit : « Je vous joue ce que vous avez perdu, contre les esquisses, que vous avez chez vous, de votre mari. » Elle joua et perdit. Alors le gagnant lui dit : « Je vous joue tout ce que vous avez perdu, contre votre maison de terre ferme et les fresques, qu’elle contient ». […] La femme joua encore et perdit.

255. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — II. (Fin.) » pp. 98-121

C’est là une grande prédisposition pour l’historien en tant que narrateur et peintre, et, s’il peut joindre à cette faculté première et indispensable une réflexion plus secrète, la recherche des causes, ce sera tant mieux, et il s’élèvera alors à toute la hauteur de sa mission, quoiqu’il y ait toujours un peu à craindre qu’avec cette qualité de plus, avec ce fonds philosophique, le tableau du premier plan ne perde quelque chose de sa sincérité et de sa fraîcheur, et que la représentation des événements qu’on est jaloux d’expliquer ne conserve pas la même netteté involontaire, la même franchise. […] Froissart, qui ne perd aucune occasion de nous faire assister au spectacle, nous montre pendant ces heures de répit le roi de France qui fait tendre sur le terrain, dans le lieu même où il s’est arrêté, un pavillon de soie vermeille, très élégant et très riche ; le roi rompt et congédie pour le reste du jour ses divers corps d’armée, sauf les deux troupes du connétable et des maréchaux. […] Tandis que le bon cardinal se démène ainsi tout le dimanche et perd ses peines, le preux chevalier messire Jean Chandos, l’ami et le conseiller du prince de Galles, gentil et noble de cœur, et de « sens imaginatif », profite de la trêve pour côtoyer l’armée des Français ; et de même fait du bord opposé messire Jean de Clermont, maréchal de France, et, se rencontrant, ils se prennent de paroles comme deux héros d’Homère. […] On apprend ce qui les fit perdre, on s’en rend compte. […] Il me semble que l’honorable érudit s’est laissé en ceci dévoyer et tromper par le détail : il s’est perdu par excès de recherches et par trop de conscience.

256. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

Ce n’a pas été sans adresse que nous avons dû remonter à travers ce dédale croisé de pseudonymes, le long de ces sources assez peu limpides qui se perdaient ou changeaient de nom à chaque pas. […] Le commencement en est vif, naturel, attachant ; mais l’intérêt se perd bientôt dans le fantasque et l’orgiaque. […] Souvent la phraséologie flexible, où il se joue, entraîne M. de Balzac, et il nous file de ces longues phrases sans virgules à perdre haleine, comme on en peut reprocher parfois à la plume savamment amusée de Charles Nodier. […] Quel homme n’a pas plusieurs de ces vierges souvenirs qui, plus tard, se réveillent, toujours plus gracieux, apportant l’image d’un bonheur parfait ; souvenirs semblables à ces enfants perdus à la fleur de l’âge, et dont les parents n’ont connu que les sourires ?  […] Enfin je commençai à craindre que ma joie ne me fît perdre la raison.

257. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Ce vice le perdit. […] Il y perdit le plus séduisant des hommes, Julien, frappé à côté de lui sur les marches de l’autel. Ce danger et cette mort lui valurent l’enthousiasme du peuple ; la nation vit qu’il fallait aimer celui que les grands et les étrangers voulaient perdre. […] Il fit même pour cela de telles dépenses, que non seulement ses contemporains et ce siècle, mais la postérité ont immensément perdu en perdant un tel homme. […] Dans la nuit de la mort de Laurent, une étoile plus grande et plus brillante qu’à l’ordinaire, se levant sur le faubourg de la ville dans lequel mourut Laurent, parut perdre peu à peu de son éclat et s’éteindre au moment même où l’on apprit qu’il venait de quitter la vie.

258. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

Et, en effet, Bussy avait été excellent, dans le principe, pour mettre sa jolie cousine en humeur et en veine de style épistolaire : il était l’homme qu’il lui fallait pour lui renvoyer le volant, comme on dit ; mais il ne s’apercevait pas, en avançant, qu’elle pouvait très bien se passer de lui, dire à d’autres les mêmes jolies choses, en répandre de tous côtés et en retrouver sans cesse, et qu’il n’était plus lui-même assez vif et assez alerte pour ne pas perdre au vis-à-vis devant cette grâce supérieure et naturelle. […] Le duc de Saint-Aignan avait perdu son fils, et Louis XIV lui avait fait je ne sais quelle faveur pour le consoler : J’ai su si bon gré au roi, écrit Bussy au duc, de la manière dont Sa Majesté vous a consolé, que ce maître-là m’a paru digne du service de toute la terre. Ce n’est qu’auprès de lui seul au monde qu’on peut trouver des douceurs à perdre ses enfants, quelque honnêtes gens qu’ils soient. […] Dans cette indiscrétion si coupable qui avait causé sa ruine, il entrait beaucoup de cette sollicitude paternelle de l’homme de lettres qui ne veut rien laisser perdre de ce qu’il a une fois écrit, et qui entend bien en retirer louange, même au prix de quelque estime. […] Bref, pour conclure littérairement sur Bussy, il a sa date dans l’histoire de la langue ; il est grammairien, puriste, cherchant et trouvant la propriété des termes : « Il écrivait avec peine, a dit quelqu’un qui l’a bien connu39, mais les lecteurs n’y perdaient rien ; ce qu’il écrivait ne coûtait qu’à lui. » Il y a du Vaugelas en Bussy ; et de plus, dans le genre épistolaire, il fait le lien de Voiture à Mme de Sévigné.

259. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IX. Eugénie de Guérin »

Si l’on en croit les conteurs et les poëtes, les fées sont indifféremment vieilles et jeunes, parce qu’elles sont fées, et Mlle de Guérin, qui était de cette race merveilleuse, ne pouvait rien perdre à vieillir. […] Mlle Eugénie de Guérin avait quatorze ans quand elle perdit sa mère, Gertrude de Fontenilles, d’une famille du Languedoc, fort ancienne et renommée pour la sainteté de ses membres. […] Elle ne lui lisait pas la Bible, en hébreu, comme les filles du poëte anglais la lisaient à ce grand Attentif qui roulait, sous l’arcade pure et fière de son front éteint, les rêveries qui devaient plus tard devenir le Paradis perdu ; mais, plus âgée que Maurice de quelques années, elle apprenait à l’auteur futur de la Bacchante et du Centaure à épeler ses premiers mots dans la Bible de la nature. […] que Mlle de Guérin étreignit si bien contre elle l’âme de son frère, que cette âme et la sienne ne perdirent plus la marque de cette vive étreinte. […] Malvina égarée, aux yeux blancs, perdus dans la nue, elle a tendu une main hagarde à la bague d’alliance… Mlle Eugénie de Guérin n’a eu ni mari ni enfant qui l’ait distraite de son frère, ou qui l’en ait consolée.

260. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Je me souviens qu’un dimanche j’étais monté au sommet d’une colline, d’où la vue s’étendait, presque infinie, sur des terres toutes cultivées où les villages ne semblaient que des points blancs perdus dans la moisson. […] Non seulement il ne s’élève pas par de semblables lectures, mais il y perd le goût de la vie réelle, de celle qu’on ne rêve pas, et qu’on subit. […] Croyez bien, en outre, que si les gens du peuple perdent quelques-unes des finesses d’esprit ou de style que les lettrés goûteront, ils ne les perdront pas toutes ; qu’il y aura des qualités maîtresses, les qualités d’âme et de cœur qui ne leur échapperont pas. […] Non seulement je repousse, comme erronée, l’affirmation qu’il ne saurait exister de grande littérature et de grand art populaire, mais je me demande si notre littérature, et particulièrement le roman français, n’a pas perdu beaucoup à se confiner dans les salons, à se spécialiser, à ne pas s’adresser à ces vastes publics qui exigent tant de clarté, de tendresse et de salubrité. […] » Et soyez sûrs que votre labeur ne sera pas perdu.

261. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

Il voit autour de lui tout périr, tout changer ; À la race nouvelle il se trouve étranger, Et lorsqu’à ses regards la lumière est ravie, Il n’a plus en mourant à perdre que la vie. […] Après avoir relevé la fadeur et le vague des tons, quelques beaux vers perdus dans une foule de vers communs, la vie champêtre vue de trop loin, regardée de trop haut, sans étude et sans connaissance assez précise, il se demande comment M. de Saint-Lambert, qui passe une partie de sa vie à la campagne, n’a pas mieux vu, n’a pas mieux saisi et rendu tant de scènes réelles, de circonstances familières et frappantes : Pourquoi M. de Saint-Lambert n’a-t-il pas trouvé tout cela avant moi ? […] Mais non, ce printemps sera tout à fait perdu pour moi ; et cependant, à mon âge, un printemps est bien quelque chose ! […] Ce noble et bon vieillard a écrit dans ses dernières années d’admirables lettres où respire la poésie de la solitude, de la campagne, de la famille regrettée et perdue, de l’amitié toujours accueillie, et de la patrie céleste de plus en plus prochaine et souhaitée ; mais le même homme, qui a sous sa plume en prose des paroles douces et fortes comme le miel des déserts, ne trouve plus dans ses vers de la même date que des couleurs mêlées, inégales, et où le talent se relâche trop dans la bonhomie : ici, c’est l’art et l’originalité de forme qui a manqué. […] Car tous, attachés qu’ils sont aux affaires et enchaînés à la rame qu’il est donné à si peu de pouvoir quitter, tous, quand déjà le flot de la vie sensiblement se retire et baisse, aspirent à quelque abri aux champs, sous les ombrages, là où, mettant de côté les longues anxiétés, ou ne s’en ressouvenant plus que pour ajouter un embellissement et comme un sourire à ce qui était doux déjà, ils puissent posséder enfin les jouissances qu’ils entrevoient, passer les années du déclin au sein de la quiétude, réparer le restant de leurs jours perdus, et, après avoir vécu dans la bagatelle, mourir en hommes.

262. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Ce besoin et ce droit se personnifient dans la figure et dans l’âme de Louis XIV, qui, plein de son objet, put excéder sans doute et vouloir dépasser le but, mais qui en définitive l’a atteint, et, même après toutes ses fautes et ses grands désastres, n’a rien perdu d’essentiel de ce qu’il nous avait une fois acquis. […] Entre tant de personnages qui, vus de près et saisis en pleine action, tantôt y gagnent et tantôt y perdent, et dont quelques-uns n’accroissent pas leur réputation, ou même la déshonorent, il en est un du moins qui, en chaque rencontre, ne fait que gagner à être de plus en plus connu et mis en lumière, et qui mérite, plus encore que Turenne peut-être, qu’on dise de lui qu’il fait honneur à la nature humaine : c’est Vauban. […] Vous lui témoignerez qu’il doit mettre en pratique son industrie pour faire faire les ouvrages à bon marché et très-promptement, afin que l’on puisse faire voir au roi que les mauvais offices qu’on lui a rendus sur cela sont mal fondés. » Ces mauvais offices rendus à Vauban par un intendant d’Alsace, cousin de Colbert, faillirent perdre cet illustre ingénieur et guerrier au début de sa grande carrière. […] Ce n’est pas à réussir sur l’heure et pour un jour qu’il vise, comme cela suffit aux charlatans, c’est à s’acquérir l’estime des connaisseurs et de ceux qui en jugeront plus tard à l’usage : « Ce n’est pas ici un jeu d’enfants, écrivait-il à propos de ce même Dunkerque, et j’aimerais mieux perdre la vie que d’entendre dire un jour de moi ce que j’entends des gens qui m’ont devancé. » Plein de bonnes raisons, et de celles qu’il donne, et de celles qu’il garde par devers lui dans un art qui a ses secrets, il s’impatiente et s’irrite même des chicanes et des objections qu’on élève quand il a le dos tourné ; il s’en plaint au ministre et d’un ton parfois un peu brusque. […] Je suis sûr qu’ils n’appréhendent rien là-dessus ; mais, quand cela serait, pour un perdu, deux recouvrés.

263. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Histoire du roman dans l’Antiquité »

dès que j’eus entendu prononcer ce nom de magicienne qui m’avait toujours séduit, loin de songer à me précautionner contre Pamphile (l’hôtesse elle-même), je me sentis au contraire l’envie d’aller de ce pas la prier de m’initier à son art, quoi qu’il pût m’en coûter, et il me tardait de me jeter à corps perdu dans cet abîme. […] Non que le sens y soit tout à fait absent : il y en a un d’ordinaire, mais vague, flottant, fuyant ; on l’a à peine saisi et entrevu, qu’aussitôt on le perd ; le fil se brise entre vos doigts. Oui, sans doute, dans Psyché, il y a cette idée vaguement répandue que, quand on est heureux, il n’est rien de plus sage que de cacher son bonheur ; que, dès qu’on a trop bien vu ce que c’est que l’amour, on court risque de le perdre : Tout est mystère dans l’amour, Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance. […] Psyché a désobéi à l’Amour, elle a cédé aux conseils perfides de ses deux méchantes sœurs jalouses ; elle a voulu voir de ses yeux le monstre qui était son époux ; elle l’a vu, elle l’aime de ce moment plus que jamais, mais au même instant elle l’éveille par la goutte d’huile brûlante qui tombe de sa lampe, et elle le perd. […] L’auteur ne perd aucune occasion ni aucun prétexte d’insérer une historiette, une tragédie domestique, une jolie nouvelle.

264. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Saint-Simon qui l’avait pris un jour la main dans le sac et en flagrant délit de machination, pour perdre au début d’un règne quelqu’un dont il pouvait redouter la rivalité ou la contradiction, savait à quoi s’en tenir sur sa qualité morale, sur sa fibre de cœur : il suffit d’une seule occasion pareille pour avoir son jugement fixé sur la valeur morale foncière d’un homme qui peut, d’ailleurs, éblouir son monde et jeter de la poudre aux yeux des autres70. […] Elles assiègent la fortune à la sape, quand les hommes d’un vrai mérite perdent la leur par des orages ; et s’il arrive que quelques-uns de ces grands seigneurs se fassent une réputation d’application et de bons mots, on les charge d’affaires, et on en fait les premiers personnages du théâtre. […] Il devint favori de Mme de Maintenon ; il épousa son héritière, et sans perdre sa confiance ni celle du feu roi, il sut pourtant se ménager la faveur du duc d’Orléans par ses utiles manœuvres. […] Il faillit perdre deux fois l’État : l’une à Dettingen, l’autre au passage du Rhin par le prince Charles de Lorraine. À la guerre, il est avantageux, c’est-à-dire faux brave ; à la Cour, sa grande politique est de protester beaucoup d’amitié à ceux qu’il veut perdre.

265. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, par M. A. Chéruel »

On est même allé jusqu’à contester cette entière probité et délicatesse qu’aucun des contemporains n’avait soupçonnée, et, s’autorisant d’un passage des Mémoires du duc de Luynes, on a dit que « l’incapacité complète de Saint-Simon en matière d’affaires ne l’empêcha pas, à un moment donné, de faire perdre cinquante pour cent à ses créanciers, en substituant habilement 40,000 livres de rente à sa petite-fille, la comtesse de Valentinois ». […] Saint-Simon, qui n’entendait rien, en effet, aux affaires d’argent et qui avait perdu dans sa femme un utile économe, mourut réellement insolvable et ses créanciers perdirent moitié, « parce qu’il y avait pour 40,000 livres de rente de terre substituées qui passèrent à Mme de Valentinois sans être tenues des dettes ». […] mon fils, s’écria-t-il, ce n’est pas moi qu’il faut pleurer, c’est la mort de ce grand homme ; vous allez, selon toute apparence, perdre un père ; mais votre patrie, ni vous, ne retrouverez jamais un pareil général.” — En achevant ces mots, les larmes lui tombaient des yeux. — “Que vas-tu devenir, pauvre armée ?” […] Je donnerai aux troupes de Votre Majesté un autre commandant, si Elle le désire, mais elles auront perdu à mes yeux la moitié de leur valeur. »

266. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

Elle perdit de bonne heure ses parents ; les souvenirs du couvent furent ses souvenirs de famille ; cette éducation première influa, nous le verrons, sur toute sa pensée, et chacun de ses écrits en retrace les vives images. […] Assises dans la campagne, les deux sœurs s’abandonnaient à de longues rêveries, se perdaient dans de vagues pensées, et, sans avoir été distraites, revenaient moins agitées. » Et un peu plus loin : « M. de Revel, dans la vue de distraire sa famille, se plaisait à lui faire admirer les riches pâturages du Holstein, les beaux arbres qui bordent la Baltique, cette mer dont les eaux pâles ne diffèrent point de celles des lacs nombreux don le pays est embelli, et les gazons toujours verts qui se perdent sous les vagues. […] lui dit celle-ci le lendemain ; et, ce qui est pis encore, risquer de perdre sur parole ! […] Madame la Duchesse peut boire beaucoup sans perdre la raison : ses filles veulent l’imiter, mais sont bientôt ivres et ne se savent pas gouverner comme leur mère. » Oh !

267. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIIe entretien. Tacite (1re partie) » pp. 57-103

Les peuples mûrs et touchant à la décadence veulent des portraits peints en traits de sang, des retours vers la vertu antique, des larmes amères sur la corruption présente, des sentences brèves, mais succulentes, jaillissant de l’événement comme le cri des choses, enfin une philosophie à la fois plaintive et amère, qui consterne et qui relève l’âme par l’honnête et douloureux contraste entre l’image de la vertu antique et le désespoir de la liberté perdue ! […] Écoutons Tacite, c’est ainsi qu’il commence son premier livre : XI « J’entreprends une œuvre riche en vicissitudes, atroce en batailles, déchirée en séditions, sinistre même dans la paix : « Quatre empereurs tranchés successivement par le glaive, trois guerres civiles, plusieurs guerres extérieures, quelques autres tout à la fois civiles et étrangères ; « Nos armes, prospères en Orient, malheureuses en Occident ; l’Illyrie troublée, les Gaules mobiles, la Grande-Bretagne conquise et perdue presque au même moment ; les races suèves et sarmates se ruant contre nous ; les Daces illustrés par des défaites et par des victoires alternatives ; l’Italie elle-même affligée de calamités nouvelles ou renouvelées des calamités déjà éprouvées par elle dans la série des siècles précédents ; des villes englouties ou secouées par les tremblements de terre sur les confins de la fertile Campanie ; Rome dévastée par les flammes ; nos plus anciens temples consumés ; le Capitole lui-même incendié par la main de ses concitoyens ; nos saintes cérémonies profanées ; des adultères souillant nos plus grandes familles ; les îles de la mer pleines d’exilés ; ses écueils ensanglantés de meurtres ; des atrocités plus sanguinaires encore dans le sein de nos villes ; noblesse, dignités, acceptées ou refusées, imputées à crime ; le supplice devenu le prix inévitable de toute vertu ; l’émulation entre les délateurs, non-seulement pour le prix, mais pour l’horreur de leurs forfaits ; ceux-ci revêtus comme dépouilles des consulats et des sacerdoces, ceux-là de l’administration et de la puissance de l’État dans les provinces, afin qu’elles supportassent tout de leur violence et de leur rapacité ; les esclaves corrompus contre leurs maîtres, les affranchis contre leurs patrons, et ceux à qui il manquait des ennemis pour les perdre, perdus par la trahison de leurs amis. » XII « Toutefois le siècle n’est pas assez tari de toute vertu pour ne pas fournir encore de grands exemples : « Des mères accompagnant leurs fils poursuivis, dans leur fuite ; des femmes s’exilant volontairement avec leurs maris ; des proches courageux ; des gendres dévoués ; la fidélité des serviteurs résistant même aux tortures ; des hommes illustres bravant les dernières extrémités de l’infortune ; l’indigence elle-même héroïquement supportée ; des sorties volontaires de la vie comparables aux morts les plus louées de nos ancêtres. […] XVI On se perd quand on analyse ce sublime discours d’empire dans les profondeurs de raison, de pénétration, de prévoyance, de connaissance du cœur humain et de l’opinion des différentes classes du peuple qu’il révèle chez le vieux Galba.

268. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre IV. L’unification des sociétés »

Ils devaient du moins, s’ils l’apportaient, la perdre facilement. […] À mesure que les États modernes grandissent, on les voit étouffer les personnalités collectives qu’ils embrassent ensemble ; les provinces perdent leurs franchise, la noblesse ses privilèges, le clergé ses biens de mainmorte, les corporations leur monopole. […] Tocqueville reconnaît, à l’encontre de Spencer, que la démocratie ne va guère sans la centralisation ; mais il rappelle aussi que la liberté peut perdre, à cette centralisation, tout ce que l’égalité peut gagner. — Par là se trouverait levée toute contradiction entre notre thèse et celle de Spencer : il peut être vrai à la fois que les sociétés unifiées, comme il le prétend, oppriment les individus, et, comme nous le prétendons, les égalisent, — puisqu’il est vrai peut-être qu’elles les oppriment pour les égaliser. […] Ces groupements « uniques » risqueraient de perdre l’idée des droits, non seulement des hommes qui leur seraient étrangers, mais encore de leurs membres mêmes. […] Un État qui, comme disait Bodeau 225 « fait des hommes tout ce qu’il veut », doit bientôt perdre la notion de la valeur des hommes.

269. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mélanges de critique religieuse, par M. Edmond Scherer » pp. 53-66

Scherer nous offre, dans cette suite d’études premières, le spectacle d’une âme, d’une intelligence en travail, en marche continuelle, en évolution permanente : c’est une variante moins orageuse et sous forme toute scientifique, une variante qui a son intérêt pourtant, de la lutte et de la recherche que nous offre l’homme de Pascal dans les Pensées, avec cette différence qu’au lieu d’acquérir de la foi, il va la perdant, ce semble, de plus en plus, mais en s’obstinant à ne jamais la perdre tout à fait. […] Si l’on y gagne de connaître un peu mieux le personnage par des détails particuliers, on y perd en ne pouvant le plus souvent exprimer ce qu’on sent avec une entière netteté et franchise. […] Son talent d’écrivain y a même perdu. […] Après l’avoir beaucoup connu, je m’étais éloigné et l’avais perdu de vue pendant près de dix ans.

270. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Frochot, Préfet de la Seine, histoire administrative, par M. Louis Passy. »

» Frochot ne fit jamais comme d’autres qui après coup s’en vantèrent, et qui, en manière de créanciers, vinrent revendiquer ensuite leur part de fourniture dans cette glorieuse éloquence : il ne parla jamais, pour son compte, de ces bons offices de secrétaire bénévole, de ces humbles prêts de copie à fonds perdu, qui lui semblaient une dette naturelle envers le génie, et son biographe qui les recherche avec soin a quelque peine aujourd’hui à en déterminer l’exacte mesure. […] Le Gouvernement ne doit jamais perdre de vue un citoyen de ce mérite. » Avec Frochot on peut s’en tenir aux apparences directes et aux témoignages publics : homme sincère, il n’y a pas de double fond en lui. […] Frochot. » — On a des lettres écrites par Frochot dans ces premiers instants d’anéantissement à son ami Regnaud, à M. de Montalivet : elles sont vraies et touchantes5 ; elles ajoutent à l’idée honorable qu’on peut se faire de cet excellent homme, à qui il arriva comme à tel bon général de perdre en une seule et dernière journée de défaite une réputation justement acquise et jusque-là des mieux méritées. […] Il mourut six semaines après l’avoir perdu, le 29 juillet 1828. — Au résumé, ne le trouvez-vous pas ?

271. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

Il paraît peu, il se retire tout d’abord, on ne l’a envisagé dans cette première scène de colère que pour le perdre de vue aussitôt ; mais sa grande ombre est partout, son absence tient tout en échec. […] Les héros, sans en rien perdre, ont conservé toute leur fleur de jeunesse, de beauté à demi sauvage, et leur immortelle attitude. […] Elle fut achetée bien cher cette grandeur de quelques-uns : qu’elle ne soit pas tout à fait perdue pour nous ! […] C’est un aspect essentiel que la critique, en parlant d’eux, doit s’attacher à éclairer ; et je rappellerai, puisque je les rencontre, ces paroles magnanimes en même temps que naïves de Sarpédon à Glaucus, au moment de l’assaut du camp : « O ami, si nous devions, échappés une fois aux périls de cette guerre, vivre à toujours exempts de vieillesse et immortels, ni moi-même sans doute tu ne me verrais combattre au premier rang, ni je ne t’appellerais à prendre ta part en cette lutte pleine d’honneur ; mais maintenant, puisqu’il est mille formes imminentes de trépas, qu’il n’appartient aux mortels ni de fuir ni d’éluder, allons, et risquons ou de perdre le triomphe, ou de l’obtenir ! 

272. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « III. Quelques mots sur l’explication de textes »

Mais combien y a-t-il de gens qui savent lire avec attention même un article de journal, un avis de la Mairie, un fait divers, qui peuvent en répéter exactement le contenu, en expliquer le sens sans l’altérer, sans y ajouter, sans en perdre ? […] On peut trouver tout dans tout ; une chose mène à l’autre, et insensiblement on perd pied, on se noie dans sa richesse. […] Ce jour est venu quand les textes français sont devenus objets d’étude, quand ils ont, en vieillissant, perdu pour les nouvelles générations cette clarté apparente d’expression et d’idée dont le premier public se contentait ; enfin quand les écoles et les collèges s’en sont emparés pour en faire les instruments de l’éducation de la jeunesse. […] Leur tradition ne se perdit pas, et l’explication française prit pied dans un assez grand nombre de classes.

273. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Les femmes de France : poètes et prosateurs  »

Je crois la voir donner la main à Mme Dacier, cette autre Clorinde de la naïve érudition d’antan  Mlle de Montpensier est une héroïne de Corneille, très fière, très bizarre et très pure, sans nul sentiment du ridicule, préservée des souillures par le romanesque et par un immense orgueil de race ; qui nous raconte, tête haute, l’interminable histoire de ses mariages manqués ; touchante enfin dans son inaltérable et superbe ingénuité quand nous la voyons, à quarante-deux ans, aimer le jeune et beau Lauzun (telle Mandane aimant un officier du grand Cyrus) et lui faire la cour, et le vouloir, et le prendre, et le perdre  Le sourire discret de la prudente et loyale Mme de Motteville nous accueille au passage  Mais voici Mme de Sévigné, cette grosse blonde à la grande bouche et au nez tout rond, cette éternelle réjouie, d’esprit si net et si robuste, de tant de bon sens sous sa préciosité ou parmi les vigoureuses pétarades de son imagination, femme trop bien portante seulement, d’un équilibre trop imperturbable et mère un peu trop bavarde et trop extasiée devant sa désagréable fille (à moins que l’étrange emportement de cette affection n’ait été la rançon de sa belle santé morale et de son calme sur tout le reste)  A côté d’elle, son amie Mme de La Fayette, moins épanouie, moins débordante, plus fine, plus réfléchie, d’esprit plus libre, d’orthodoxie déjà plus douteuse, qui, tout en se jouant, crée le roman vrai, et dont le fauteuil de malade, flanqué assidûment de La Rochefoucauld vieilli, fait déjà un peu songer au fauteuil d’aveugle de Mme du Deffand  Et voyez-vous, tout près, la mine circonspecte de Mme de Maintenon, cette femme si sage, si sensée et l’on peut dire, je crois, de tant de vertu, et dont on ne saura jamais pourquoi elle est à ce point antipathique, à moins que ce ne soit simplement parce que le triomphe de la vertu adroite et ambitieuse et qui se glisse par des voies non pas injustes ni déloyales, mais cependant obliques et cachées, nous paraît une sorte d’offense à la vertu naïve et malchanceuse : type suprême, infiniment distingué et déplaisant, de la gouvernante avisée qui s’impose au veuf opulent, ou de l’institutrice bien élevée qui se fait épouser par le fils de la maison ! […] C’est une chose unique et précieuse, dans sa monotonie et quelquefois dans sa puérilité dévote, que ce Journal d’Eugénie de Guérin, ces impressions innocentes d’une jeune fille pauvre et noble, pieuse, résignée, vivant presque d’une vie de paysanne dans un hameau perdu. […] et comme elles y perdent ! […] Des pharisiens ont prétendu que vos premiers romans avaient perdu beaucoup de jeunes femmes ; mais nous savons bien que ce n’est pas vrai, que celles qui ont pu tomber après avoir lu Indiana étaient mûres pour la chute et que, sans vous, elles seraient tombées plus brutalement et plus bas.

274. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Seconde partie. » pp. 35-56

Le tems écoulé & perdu pour l’homme de Lettres a passé dans la solitude. Le tems écoulé & perdu pour l’homme vulgaire existe encore pour lui. […] Tandis que l’ennemi des beaux Arts sur le déclin de ses années, à charge à lui-même & aux autres, éprouvera un vuide affreux, n’envisageant que le spectre de l’ennui, & les ombres horribles de la mort : l’homme éclairé jouira du spectacle de sa vie passée ; il aura sçû apprécier, ce que vaut l’existence, & fort par sa pensée, il ne redoutera point l’instant inévitable qui doit terminer sa carrière : ainsi le généreux Fénélon, qui montra à l’Univers le caractère rare & sacré d’une ame remplie à la fois d’une extrême vertu & d’une extrême douceur, ne perdit point dans les Cours la simplicité de ses mœurs, & conserva dans son exil cette égalité d’ame que rien ne pût corrompre. […] Si votre cause exige quelque chaleur, que ce soit avec noblesse avec honnêteté ; vos raisons ne perdront rien de leur force lorsqu’elle seront présentées avec modération ; on y reconnoîtra mieux le ton de la vérité.

275. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Dernière semaine de Jésus. »

Il serait singulier qu’un homme qui tenait la caisse et qui savait ce qu’il allait perdre par la mort du chef, eût échangé les profits de son emploi 1068 contre une très petite somme d’argent 1069. […] Mais si la folle envie de quelques pièces d’argent fit tourner la tête au pauvre Juda, il ne semble pas qu’il eût complètement perdu le sentiment moral, puisque, voyant les conséquences de sa faute, il se repentit 1072, et, dit-on, se donna la mort. […] Mais le disciple infidèle ne perdit pas contenance ; il osa même, dit-on, demander comme les autres : « Serait-ce moi, rabbi ?  […] Il est probable que dans certaines familles chrétiennes primitives, ce dernier rite obtint une importance qu’il perdit depuis 1083.

276. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Chefs-d’œuvre de la littérature française (Collection Didot). Hamilton. » pp. 92-107

Il faut qu’autour de lui tout soit disposé et lui prête faveur ; il faut que le climat, en quelque sorte, soit préparé ; qu’au milieu des sots et des grossiers dont le monde, et le plus beau monde, en tout temps fourmille, une élite d’esprits assortis se recueille, se rassemble dans un coin, et sache l’écouter et lui répliquer ; s’il parle à voix basse, que rien ne s’en perde ; s’il ne dit que ce qu’il faut, qu’on ne lui en demande pas davantage ni surtout trop. […] Au train dont y va le monde, l’espèce de ces esprits rares se perdra-t-elle ? […] Toutefois l’abbé Prévost lui-même n’a pas cru perdre entièrement dans l’esprit du lecteur son chevalier Des Grieux en lui prêtant de semblables peccadilles. […] Je passerais encore que le président Tambonneau, venu en Angleterre pour briller, et voyant qu’il y perd sa peine, retourne en France aux pieds de ses premières habitudes, c’est-à-dire de sa première maîtresse ; mais c’est trop que le fat Jermyn ne soit dans toute sa personne qu’un trophée mouvant des faveurs et des libertés du beau sexe.

277. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bossuet, et Fénélon. » pp. 265-289

Il s’exposoit à perdre sa place & ses espérances. […] Il perdit l’une & l’autre affaire. […] Il perd sa place de précepteur des enfans de France. […] La seule chose qui le perdit à la cour, c’est sa réputation de quiétiste & d’homme à projets.

278. (1761) Apologie de l’étude

Quoi qu’il en soit, ceux qui ont décrié la culture de l’esprit comme un grand mal, désiraient apparemment que leur zèle ne fût pas sans fruit, car ce serait perdre des paroles que de prêcher contre un abus qu’on n’espère pas de détruire : or, dans cette persuasion, je m’étonne qu’ils aient cru porter aux lettres la plus mortelle atteinte, en leur attribuant la dépravation des mœurs. […] Mais si on avait, comme je le suppose, un désir sincère de les convertir en les effrayant, on pouvait, ce me semble, faire agir un intérêt plus puissant et plus sûr, celui de leur vanité et de leur amour-propre ; les représenter courant sans cesse après des chimères ou des chagrins ; leur montrer d’une part le néant des connaissances humaines, la futilité de quelques-unes, l’incertitude de presque toutes ; de l’autre, la haine et l’envie poursuivant jusqu’au tombeau les écrivains célèbres, honorés après leur mort comme les premiers des hommes, et traités comme les derniers pendant leur vie ; Homère et Milton, pauvres et malheureux ; Aristote et Descartes, fuyant la persécution ; le Tasse, mourant sans avoir joui de sa gloire ; Corneille, dégoûté du théâtre, et n’y rentrant que pour s’y traîner avec de nouveaux dégoûts ; Racine, désespéré par ses critiques ; Quinault, victime de la satire ; tous enfin se reprochant d’avoir perdu leur repos pour courir après la renommée. […] C’est le propre des malheurs de ramener à la philosophie, comme le joueur qui a tout perdu revient à sa maîtresse ; cette philosophie, qui prétend nous dédommager de tout, m’ouvrait ses bras et me restait pour asile. […] Vos regards allaient se perdre sur des objets placés trop loin de vous : ramenez-les sur tant de merveilles qui vous environnent, et que vous n’avez pas voulu voir ; et l’esprit humain vous étonnera également par son étendue et par ses bornes.

279. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Eugène Fromentin ; Maxime du Camp »

Haouâ est une mauresque rencontrée, perdue, retrouvée, aimée par l’auteur, — on n’oserait pas le dire, tant la chose reste vague, mystérieuse, indécise, dans ce récit, chef-d’œuvre de gaze transparente et voilante à la fois ! […] Excepté les hommes qui ont besoin de consulter des catalogues de musée, qui achèvera ce livre vide et prétentieux, où l’auteur, du moins, n’a pas perdu de talent, car il n’en a pas mis, et où, comme dans le livre de Fromentin, qui, si lâché qu’il soit, a de l’accent, on ne retrouve pas ce timbre personnel qu’on ne peut confondre avec la manière de dire de personne ? […] Il y a dans les choses humaines beaucoup de bravoure et de talent perdus, et si ce n’est pas la gloire de l’homme, c’est la gloire de Dieu ! Mais ce qui ne sera pas perdu pour l’historien de la Commune, c’est, dans un récit nécessaire dont l’humanité ne pouvait se passer, d’être arrivé à temps, comme on arrive à temps dans la bataille, et du même coup dans la victoire et l’immortalité !

280. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre premier. Table chronologique, ou préparation des matières. que doit mettre en œuvre la science nouvelle » pp. 5-23

De la tribu chaldéenne, se forma sous Ninus la grande nation des Assyriens, et le nom de la première se perdit dans celui de la seconde. […] Ainsi errants et solitaires, ils perdirent bientôt les mœurs humaines, l’usage de la parole, devinrent semblables aux animaux sauvages, et reprirent la taille gigantesque des hommes antédiluviens. […] Par cette loi, les nobles perdirent leurs droits sur la personne des Plébéiens dont ils étaient créanciers. […] On sent ce qu’ont de sérieux ces communications entre les premiers peuples, qui, à peine sortis de l’état sauvage, vivaient ignorés même de leurs voisins, et n’avaient connaissance les uns des autres qu’autant que la guerre ou le commerce leur en donnait l’occasion.Ce que nous disons de l’isolement des premiers peuples s’applique particulièrement aux Hébreux. — Lactance assure que Pythagore n’a pu être disciple d’Isaïe. — Un passage de Josèphe prouve que les Hébreux, au temps d’Homère et de Pythagore, vivaient inconnus à leurs voisins de l’intérieur des terres, et à plus forte raison aux nations éloignées dont la mer les séparait. — Ptolémée Philadelphe s’étonnant qu’aucun poète, aucun historien n’eût fait mention des lois de Moïse, le juif Démétrius lui répondit que ceux qui avaient tenté de les faire connaître aux Gentils, avaient été punis miraculeusement, tels que Théopompe qui en perdit le sens, et Théodecte qui fut privé de la vue. — Aussi Josèphe ne craint point d’avouer cette longue obscurité des Juifs, et il l’explique de la manière suivante : Nous n’habitons point les rivages ; nous n’aimons point à faire le négoce et à commercer avec les étrangers.

281. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

Rabbe, je l’ai déjà dit, connaissait Oberman ; il le sentait passionnément ; il croyait y lire toute la biographie de M. de Sénancour, et il s’en était ouvert plusieurs fois avec lui : un livre qu’il avait terminé, assure-t-on, et auquel il tenait beaucoup, un roman dont le manuscrit fut dérobé ou perdu, n’était autre probablement que la psychologie de Rabbe lui-même, sa psychologie ardente et ulcérée, son Oberman. […] Une existence agitée est un suicide, si elle fait perdre le souvenir du monde meilleur ; et, quand on a conscience de sa dignité, il me semble que c’est une profanation d’employer son énergie et de ne pas lui laisser toute la sublimité des possibles… J’aime à vivre retiré, à faire les mêmes choses, à passer par les mêmes chemins : il me semble qu’ainsi je me mêle moins à la terre, et que je conserve toute ma pureté. […] jouissons du seul plaisir qui nous reste ; regardons couler nos jours rapides, savourons l’amère volupté de nous comprendre et de nous sentir tous entraîner pêle-mêle : du moins nous nous perdons ensemble, nous n’allons pas seuls vers la fin terrible ! 

282. (1874) Premiers lundis. Tome II « Henri Heine. De la France. »

Le cant doctrinaire qui menaçait d’envelopper une portion de la jeunesse ; qui faisait fi de tout ce qui sortait du diapason magistral, de tout ce qui était vif, pétulant, spontané, passionné, poétique, et, comme on disait, jacobin ; le cant doctrinaire, si opposé au génie net, actif, entreprenant et accommodant de la France, a cessé de peser sur la société ; ce que les hommes de ce bord ont gagné en pouvoir matériel et temporaire, ils l’ont à jamais perdu en autorité morale. […] Ainsi que me le faisait remarquer un ami, homme d’esprit, Robert a recueilli d’abord en lui les figures que lui offrait la nature, et de même que les âmes ne perdent pas dans les feux du purgatoire leur individualité, mais seulement les souillures de la terre, avant de s’élever au séjour des heureux, ainsi ces figures ont été purifiées dans les flammes brûlantes du génie de l’artiste, pour entrer radieuses dans le ciel de l’art, où règnent encore la vie éternelle et l’éternelle beauté, où Vénus et Marie ne perdent jamais leurs adorateurs, où Roméo et Juliette ne meurent jamais, où Hélène reste toujours jeune, où Hécube au moins ne vieillit plus davantage. » Voilà de la critique certainement éloquente, et je crois, très judicieuse.

283. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Note sur les éléments et la formation de l’idée du moi » pp. 465-474

En outre, « les objets avaient perdu leur aspect naturel ; tout ce qu’il voyait avait changé de manière d’être ». — « L’étrangeté de ce que je voyais, dit-il, était celle que je me croyais transporté sur une autre planète. » — « Il était constamment étonné, il lui semblait qu’il se trouvait en ce monde pour la première fois. […] Un peu plus tard, à Genève, je m’accrochais avec terreur au bras de mon ami, me sentant perdu s’il me lâchait un instant. […] En effet, selon le docteur Krishaber, « la perturbation particulière en vertu de laquelle le malade perd jusqu’à un certain point le sentiment de sa propre personne ne disparaît que lorsque les troubles sensoriels auxquels elle est liée ont disparu135 ». — À mon sens, ceci est décisif, et je trouve le petit récit qu’on vient de lire plus instructif qu’un volume métaphysique sur la substance du moi.

284. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Rome et la Judée »

Or, voilà que pour la première fois le visage de cette Clio se détendait, et, gardant sa noblesse, perdait seulement de sa rigidité. […] Enfin il a encore — nous ne voulons rien perdre de ce qui nous reste !  […] Il n’a pas à perdre ou à compromettre un passé qui proteste contre ses productions plus récentes.

285. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Louis Nicolardot » pp. 217-228

Il s’y est jeté, absorbé, perdu, anéanti, — comme tous les passionnés dans leur passion quelconque ! […] Je n’ai pas chassé », comme Titus disait : « J’ai perdu ma journée. » Et ces jours-là étaient peut-être de ces jours qui emportaient un morceau de son trône ou un fragment de sa couronne… Mais que lui importait ! […] Ce qui nous a suffi pour l’heure, c’est d’avoir prouvé par ce Journal que Louis XVI n’était pas uniquement de la pâte à victime, comme les écrivains de la Révolution l’avaient fait et voulaient le garder ; c’est d’avoir établi qu’il n’était pas l’espèce de mollusque royal qu’ils disaient, qu’il y avait en lui quelque chose d’intense qu’on ne soupçonnait pas, et qu’il s’est plus perdu par l’excès d’une passion que par l’ignavie qu’on lui a toujours reprochée.

286. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vitu » pp. 103-115

Auguste Vitu écrirait d’une manière charmante, très piquante, et pour le moment très utile, l’histoire comique de cette Révolution dont on nous a dit les horreurs et les infamies, mais dont les ridicules, perdus dans les horreurs, sont moins connus. […] III François Suleau est, en effet, une figure noyée dans l’ombre jusqu’ici, mais qui aujourd’hui a son peintre, son cadre et son rayon, qu’elle ne perdra plus. […] il était un de ces royalistes sans vasselage qui tenait plus à la monarchie qu’à une race, et qui éprouvait contre cette race la généreuse colère d’un homme qui voit la royauté se perdre elle-même, en n’osant pas se sauver.

287. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Swift »

Eh bien, nous qui n’avons pas les préjugés anglais de sir Walter Scott sur un écrivain encore tout à l’heure réputé grand dans son pays, nous ne craignons pas d’avancer qu’on ne lira pas Gulliver davantage, par la raison que c’est un livre dont il rie restera absolument rien quand la clef des allusions sur lesquelles il est bâti sera perdue. Or, cette clef se perd tous les jours. […] D’ailleurs, son bon sens, la master piece de ses facultés anglaises et utilitaires, il le perdit avant la vie.

288. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Deltuf » pp. 203-214

… La gloire de de Musset ce sillon rose dans l’air que le temps n’efface pas et qui traînera longtemps encore derrière ce jeune homme, lient autant à la légèreté de son esprit qu’à sa passion et à son éclat ; et, pour mon compte, je suis persuadé qu’un livre moderne, plein des choses modernes, qui aurait le bonheur d’être écrit avec la légèreté perdue des Mémoires du chevalier de Grammont, par exemple, nous paraîtrait un phénomène et nous tournerait la tête à tous, graves caboches du dix-neuvième siècle ! […] La vieille fille de La Famille Percier, qui perd un mari qu’elle adore avec la fureur d’un amour attendu trente-neuf ans, et qui le perd par un de ces dévouements mêlés de faiblesse à une famille qui la tyrannise, est la vieille fille, pur et vieux sang, sublime et ridicule tour à tour.

289. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

Ainsi les hommes veulent jouir du plaisir brutal, au risque de perdre les enfants qui naîtront, et il en résulte la sainteté des mariages, première origine des familles. […] Si la religion se perd parmi les peuples, il ne leur reste plus de moyen de vivre en société ; ils perdent à la fois le lien, le fondement, le rempart de l’état social, la forme même de peuple sans laquelle ils ne peuvent exister.

290. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XVII » pp. 70-73

(Il paraît qu’on perdait mille francs par jour ; le gérant, qui était un des actionnaires, a refusé de verser et a dit holà. […] On dit le Constitutionnel un peu déclinant à l’endroit des abonnés, et comme les propriétaires sont des gens riches et qui ne veulent rien perdre ni risquer, il pourrait bien, d’ici à un certain nombre de mois ou à un petit nombre d’années, s’en aller mourir de vieillesse.

291. (1874) Premiers lundis. Tome II « Le poète Fontaney »

La Revue des Deux Mondes et les écrivains qui y travaillent viennent de perdre un collaborateur qui était pour presque tous un ami. […] Ses contemporains, ses amis de dix ans déjà, perdent, en M. 

292. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. de Latena : Étude de l’homme »

La bienveillance habituelle qui règne dans son observation générale de l’homme, et qui ne permet point à l’amertume de se glisser sous le fruit de son expérience, n’empêche pourtant pas qu’il ne dise des choses assez vives à ce sexe qu’il paraît avoir bien connu : « Il n’est pas adroit de se montrer très-clairvoyant avec les femmes, à moins que ce ne soit pour deviner ce qui leur plaît. » « Il n’est pas rare de voir une femme, miraculeusement échappée aux dangers de la jeunesse et de la beauté, perdre le fruit de ses sacrifices en se donnant dès qu’on cesse de l’attaquer. […] L’âme s’attriste, la pensée s’assombrit, et les souvenirs de la jeunesse ne se présentent plus que comme les images d’un bonheur perdu sans retour.

293. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre III. Les questions que l’historien doit se poser. » pp. 16-17

Il s’ensuit que l’historien, sous peine de se perdre dans la myriade des changements infiniment petits et infiniment nombreux qui se succèdent dans la durée, doit déterminer des points de repère, ceux par exemple où une force nouvelle intervient, où un mouvement d’esprits se met en branle, s’arrête, ou bien change de direction. […] Mais il se réveille, reprend son élan, et tantôt lent, tantôt rapide, emporté à travers plaines et montagnes, entre des bords fleuris ou arides, toujours autre et toujours lui-même, il poursuit sa course jusqu’au terme lointain où il doit perdre son nom et son existence propre dans les flots de la mer immense.

294. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre VIII. Des Églises gothiques. »

Ces deux monuments, changés de place, auraient perdu leur principale beauté, c’est-à-dire leurs rapports avec les institutions et les habitudes des peuples. […] Dieu est la loi éternelle ; son origine et tout ce qui tient à son culte doit se perdre dans la nuit des temps.

295. (1910) Victor-Marie, comte Hugo pp. 4-265

Et on perd d’être un authentique paysan. […] Vous exposez-vous à perdre, allez-vous perdre au moins cette référence unique. […] Et on n’en veut rien laisser perdre. Et on ne veut perdre aucun temps. […] Sans nous, perdue.

296. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Le parlement a perdu, dans M.  […] Quel souvenir de la patrie perdue ! […] Lorsque tu perdis ta mère, peu de temps après ta naissance, je te pris sous ma garde. […] La religion perd ses plus généreux athlètes, mais elle triomphe. […] Il eût été cruel de perdre encore une admiration.

297. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Et le faune s’éplore ; c’était un rêve, à jamais perdu. […] Et la joie naturelle des libres créations s’est pour nous perdue. […] Car M. de Villiers est un prince, perdu au travers de nos démocraties. […] Mais alors les faits surnaturels perdent tout intérêt. […] J’y ai perdu mon adolescence.

298. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLe entretien. L’homme de lettres »

À l’aspect de cette foule bigarrée, M. de Saint-Pierre perd tout à coup son assurance. […] Pourquoi avons-nous perdu votre bonne mère ? […] Je descendis aussitôt au Port-Louis, où je trouvai des habitants de tous les quartiers, rassemblés pour assister à ses funérailles, comme si l’île eût perdu en elle ce qu’elle avait de plus cher. […] Comme je ne le perdais pas de vue, je me mis en marche après lui, et je dis à Domingue de prendre des vivres et de nous accompagner. […] Vernet ne veut rien perdre ; il prête toute son attention, et bientôt son silence devient plus éloquent que ses larmes et ses éloges.

299. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre second » pp. 200-409

Mourir, c’est quitter un jeu de hasard où il y a plus à perdre qu’à gagner. […] Comment la perdons-nous ? […] Quelque parti que prenne Sénèque, ce ne sera point l’adulation de lui-même qui le perdra. […] … « Je n’ai rien perdu… » Si tu n’as rien perdu, il faut que tu te sois étrangement isolé de tout ce qui nous est cher, de toutes les choses sacrées pour les autres hommes. […] Ces gens-là osent tout, parce qu’ils n’ont rien à perdre ni à craindre.

300. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Il avait perdu beaucoup d’illusions. […] relire ses chers poètes et n’être pas pour cela une femme perdue ! […] Que de temps perdu pour agir et pour vivre ! […] Je le perdrai et je perdrai aussi mon argent. » Pendant ce temps, le baron restait silencieux sur son siège et ne levait pas les yeux. […] « Perdu !

301. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XX » pp. 215-219

Un an après avoir perdu sa fille, la marquise de Rambouillet, âgée de quatre-vingt-deux ans, succomba elle-même à sa douloureuse vieillesse. […] « Cette calomnie, dit le président Hénault, en parlant de la lettre glissée dans le lit de la reine, fit perdre au mari et à la femme leur emploi… La duchesse fut obligée de se défaire de sa charge de dame d’honneur de la reine en faveur de madame de Montausier, pour 150 000 liv. » Hénault ajoute que le duc et la duchesse de Navailles étaient les plus honnêtes gens de la cour.

302. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « L’abbé Noirot »

Le livre de l’abbé Noirot, ou, pour parler mieux, ses idées peuvent donner l’espérance que philosophiquement notre pays n’a pas perdu tout à fait le sentiment de la vérité métaphysique, c’est-à-dire, en somme, de la plus haute vérité. […] Toutefois, nous ne craignons pas de l’avancer, si un tel phénomène a lieu, si la science philosophique reprend l’ascendant d’un enseignement qu’elle a perdu, cela n’arrivera guères que grâce à un prêtre ou à quelque esprit profondément religieux, à une intelligence sacerdotale, — celle de l’abbé Noirot ou toute autre, peu importe !

303. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

L’épopée y prendra plusieurs formes, mais ne perdra jamais son caractère. […] Le Paradis perdu est un drame avant d’être une épopée. […] Que pourraient donc perdre à entrer dans le vers la nature et le vrai ? Nous le demandons à nos prosaïstes eux-mêmes, que perdent-ils à la poésie de Molière ? […] Il perdrait au contraire sa longueur et sa monotonie actuelles.

304. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

Il s’en fallut peu que le poète fût perdu dans le chansonnier et que la poésie ne fût noyée dans son propre verre. […] Je ne le disais pas, je l’insinuais ; je voyais que cette révolution allait se perdre si on ne lui creusait pas vite son lit. […] il y a une heure dans la vie où il faut savoir dépenser et perdre toute la popularité acquise en soixante et dix ans de désintéressement ; autrement c’est un trésor d’avare, un trésor perdu, qui ne profite ni à vous ni aux autres. […] Je vais faire mes préparatifs afin que le peu que je laisserai en m’en allant ne soit pas perdu pour ma pauvre famille. […] La France avait perdu beaucoup, moi davantage.

305. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Certes, ce grand parti n’avait pas disparu, mais il avait perdu le terrain naturel sur lequel il pouvait manœuvrer, combattre, et sauver la France. […] Ce parti, en se faisant faction révolutionnaire, avait perdu sa nature nationale ; le pays alarmé, qui avait besoin de se rallier à quelque chose de solide, ne le trouvant plus à sa place, se ralliait à la monarchie bonapartiste ! […] Je sentais trop qu’à ce jeu de théâtre, sans autre but que des applaudissements de parterre, les légitimistes perdaient l’honneur et ne gagnaient aucune popularité sérieuse dans le fond du pays. […] Quelque parti qu’il essayât de prendre, il était perdu. […] Je la perdrais justement si je vous laissais croire que je partage vos principes et votre attachement à la dynastie de 1830.

306. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Lélia (1833) »

Est-ce un dernier écho perdu de la tentative saint-simonienne ? […] S’il en est de plus fortes, de plus puissantes d’essor, de plus orgueilleusement douées, sentant ainsi cette vie d’amour éteinte, elles doivent frémir de colère, se frapper, souvent la poitrine, redemander la flamme perdue à tous les êtres, et, dans leurs moments égarés, en vouloir aux hommes et à Dieu, à la société, à la création elle-même. […] J’attribue à la rapidité de l’exécution ce surcroît de talent qui, d’après ma conjecture, vient au secours de la pensée primitive et la perd bientôt de vue en allant au delà.

307. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — George Sand. Cosima. »

lui dit-elle tout d’abord, comme en continuant son rêve ; mais bientôt, à mesure que l’explication se déroule à ses yeux et que sa raison se ressaisit elle-même, elle recule peu à peu, elle regagne insensiblement le terrain qu’un instant de surprise lui avait fait perdre, elle finit par le congédier. […] Quand on met des finesses dans une pièce de théâtre, ce ne doit pas être comme dans un livre, où il suffit qu’elles soient en leur lieu et place ; il faut qu’à la scène elles soient développées, éclairées et symétrisées d’une certaine façon, afin qu’on ait le moment de les goûter et que les plus grossiers n’en perdent rien. […] Il importe qu’aux prochaines représentations les acteurs aillent plus vite, se concertent mieux, que la pièce semble rapide comme elle doit l’être, et qu’en gagnant d’ensemble, elle ne perde pas non plus ses meilleurs mots et ses finesses.

308. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 24-41

Après avoir promis de chanter la Grace, il laisse au Lecteur le soin de la chercher dans le premier Chant ; & lorsqu’il l’introduit dans le second, son apparition est si courte, qu’elle y disparoît, après une cinquantaine de Vers, pour aller se perdre dans une controverse aussi peu exacte qu’elle est déplacée. […] On peut aller plus loin, & ce ne sera pas un paradoxe que de soutenir qu’il est très-possible de faire perdre leur trivialité aux termes le plus en usage parmi le Peuple, pourvu qu’un Ecrivain soit assez courageux pour secouer le préjugé, & assez habile pour subjuguer la Langue, en ennoblissant des expressions qui seroient basses sous la plume d’un homme ordinaire. […] avant ce jour qui perdit nos neveux, Tous les plaisirs couroient au devant de ses vœux.

309. (1682) Préface à l’édition des œuvres de Molière de 1682

Aussitôt qu’il se sentit en cet état, il tourna toutes ses pensées du côté du Ciel ; un moment après il perdit la parole, et fut suffoqué en demie heure par l’abondance du sang qu’il perdit par la bouche. […] Après la mort de Monsieur de Molière, le Roi eut dessein de ne faire qu’une Troupe de celle qui venait de perdre son Illustre chef, et des Acteurs qui occupaient l’Hôtel de Bourgogne ; mais les divers intérêts des familles, des Comédies n’ayant pu s’accommoder, ils supplièrent sa Majesté d’avoir la bonté de laisser les Troupes séparées comme elles étaient, ce qui leur fut accordé ; à la réserve de la Salle du Palais Royal qui fut destinée pour la représentation des Opéras en Musique.

310. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Charles Monselet »

Monselet, qui doit aimer la supériorité et regarder par en haut, comme les têtes créées pour la lumière, s’est fait le Saint Vincent de Paul de tous les enfants perdus du xviiie  siècle, et il en a fait inutilement des enfants trouvés. […] Ils n’ont rien perdu à n’avoir point de renommée. […] Je le croyais perdu… Ce poète qui n’avait jamais appuyé sur rien, pas même sur les lèvres et le cœur de sa maîtresse, et qui, s’épaississant, était devenu (Dieu lui pardonne !)

311. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Armand Hayem »

Armand Hayem45 I Dans un temps où les mandarins des instituts s’imaginent diriger et gouverner l’Esprit humain, voici un livre qui aurait dû avoir leurs bonnes grâces et qui a perdu ses coquetteries à leur en faire… L’auteur de ce livre, Armand Hayem, est, je crois bien, parmi les jeunes écrivains de la génération qui s’élève quand le siècle finit, un des mieux faits pour avoir des succès d’institut. […]  » Et, ailleurs encore, avec la conscience de la petitesse des temps présents, l’auteur de l’Être social affirme que la micrographie (logomachie moderne), qui nous perd dans les infiniment petits de la science totale, n’est que la nécessité du moment. […] Mais la fureur de l’au-delà a perdu Armand Hayem.

312. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Corneille »

Les injustices de la Renommée, cette tête de femme qui est si souvent une tête perdue, les injustices de la Critique, parfois aussi tête perdue que la Renommée, y sont signalées avec un discernement supérieur. […] Mais cet Illuminé intérieur, ce Visionnaire du Paradis perdu, avait voyagé dans sa jeunesse, et il avait remporté dans ses souvenirs le ciel et le soleil de l’Italie pour en éclairer sa cécité et ses vers… Corneille n’avait besoin d’aucun soleil pour être le poète qu’il a été.

313. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre V. Des Grecs, et de leurs éloges funèbres en l’honneur des guerriers morts dans les combats. »

Son caractère ardent voulut donner à ses concitoyens un mouvement qu’ils n’étaient pas en état de suivre : leurs âmes, qui avaient perdu l’habitude des grandes choses, n’avaient plus que de l’imagination pour les sentir. […] Il les perdit en apprenant à leur tyran et à eux-mêmes le secret de leur faiblesse. […] On n’ignore point qu’elle fut livrée par les conseils de Démosthène, et qu’elle fut perdue.

314. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre V. »

Le fleuve Hélicon, après un cours de quelques lieues, s’abîme et semble se perdre sous terre pendant vingt-deux stades, pour renaître sous un autre nom qu’il porte jusqu’à la mer : les habitants racontaient que cette disparition datait du jour où, devant les meurtrières du poëte, qui voulaient laver le sang dont elles étaient souillées, le fleuve s’était enfui d’horreur pour ne pas servir à purifier le crime. […] Elles dorment aussi les tribus des oiseaux qui déployaient leurs ailes58. » Ne suffit-il pas de ce fragment de quelques vers, comme d’un débris d’inscription mutilée, pour donner à l’esprit curieux qui nous lira l’idée de cette poésie perdue ? […] C’est vous qui m’avez conduit vers la terre de Pélops, au rivage de Ténare, perdu que j’étais sur la mer de Sicile, et qui m’avez porté sur vos dos inclinés, fendant sur votre passage la plaine de Nérée, par un chemin que nulle trace ne sillonne !

315. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Qu’importe : elle est fatale et la peine serait perdue qu’on prendrait à s’efforcer de la prévenir. […] Toutes deux perdront jusqu’au soupçon de la Beauté et ne prêcheront qu’utilité. […] Elle était sans verbe ni sentiment, sans rhythme ni rime, une chose morte et sans nom, un idéal perdu. […] Je ne parle pas de la Gloire : la notion s’en est perdue dans le monde. […] Ceux qui aiment ces deux jeunes écrivains de réel talent regrettaient tant de peine perdue.

316. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre I. Des poëtes anciens. » pp. 2-93

Tantôt il s’éleve d’un vol soutenu ; on le perd de vuë. […] “Ce qui nous reste, ajoute-t’il, de Moschus & de Bion dans le genre pastoral, me fait extrêmement regretter ce que nous en avons perdu. […] Mais Ovide qui ennuye par ses répétitions, n’a presque rien perdu de son tour asiatique ; & le traducteur paroît trop souvent le paraphraste de son Auteur. […] Le Pere Brumoi, pour ne pas perdre le mérite de son travail, auprès de ceux qui n’entendent ou ne goûtent point le latin, a traduit en leur faveur son ouvrage en prose françoise. Ceux qui sont versés dans les deux langues, trouveront que la version est peu littérale, & que le traducteur se perd quelquefois de vue lui-même.

317. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

On a vu que les modifications des organes corporels apparaissent accidentellement, se développent par l’usage ou l’habitude, et diminuent ou se perdent par l’inactivité ; je ne puis douter qu’il n’en soit de même pour les modifications des instincts. […] Les instincts naturels se perdent à l’état domestique. […] D’autre part, les jeunes Poulets ont perdu, et cette fois entièrement par habitude, la crainte des Chiens et des Chats originairement instinctive dans leur espèce. […] Mais un pareil instinct chez nos poussins domestiques est maintenant sans utilité, les mères ayant perdu presque complétement l’usage de leurs ailes par l’effet de la domesticité. […] Ce qui appuie encore une pareille supposition, c’est que, d’après le témoignage du docteur Gray et de quelques autres observateurs, le Coucou européen n’aurait pas entièrement perdu tout amour maternel ni toute sollicitude pour ses petits.

318. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

Quoi qu’on fasse, on peut tout perdre, être un malfaiteur. […] Ces années, les perdit-il ? […] Donc il perdit ces douze ans. […] Donc il ne les perdit pas. […] Donc il les perdit… Comme vous voudrez.

319. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Il avait perdu sa mère à sept ans, et son père vivait assez isolé de ses enfants. […] Ayant perdu sa place avec l’appui de M.  […] Il y a de quoi se perdre dans ce dédale de remaniements, d’emprunts et de petites ruses. […] Ce temps que vous perdez en vaines discussions compte dans votre vie ; la vieillesse arrive, vos beaux jours s’écoulent : Amiamo, or quando, etc. […] Ce rôle a perdu beaucoup de son prix aujourd’hui.

320. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

À la beauté près, je ne saurais rien dire de plus d’une maîtresse qui m’aurait fait perdre le bon sens. […] Dès sa première lettre à Vauvenargues, il en insère une qu’il vient de recevoir d’une ancienne maîtresse avec laquelle il a rompu et qui, en apprenant la mort de son père, le marquis Jean-Antoine, lui a écrit cette charmante et spirituelle épître de condoléance : Je n’ose vous appeler, monsieur, de ces noms tendres qui nous servaient autrefois ; ils ne sont plus faits pour moi ; j’ai fait pour les perdre tout ce que je voudrais faire à présent pour les ravoir. […] Celui dont il est question avait des faces riantes ; j’entrais dans vos espérances, je m’en faisais un sujet de joie ; mais je les perds sans regret, et j’en conçois de plus grandes. […] Le coup a porté : Vauvenargues a beau dire, il est homme de lettres plus qu’il ne croit ; il est sensible plus qu’il ne le voudrait à cette idée de génie, à cette image d’une gloire sous sa main, et qu’il ne tient qu’à lui de cueillir : « Vous ne sentez pas vos louanges, écrit-il à Mirabeau, vous ne savez pas la force qu’elles ont, vous me perdez ! […] Quand vous ne prendriez que les mauvais tours de phrase et l’accent du Bordelais, et ne perdriez pas de cent autres côtés, vous seriez toujours blâmable du long séjour que vous y faites.

321. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers. »

La comtesse de Boufflers, si connue de tous les lecteurs familiers de Rousseau, a perdu depuis que celui-ci est moins en faveur ; elle est allée insensiblement où sont allées toutes ces admiratrices et ces patronnesses de Jean-Jacques, où sont allées toutes ces dames du temps jadis, chantées et plaintes par Villon ; son nom ne réveille, chez la plupart, qu’un vague écho, et ceux même qui sont le plus au fait, par un reste de tradition, de ces choses du xviiie  siècle, quand on leur parle de la comtesse de Boufflers, sont sujets à la confondre avec d’autres du même nom : on a quelque peine à les remettre exactement sur la voie. […] Son opposition dans le Parlement lui fit perdre de son ascendant et de sa faveur auprès du roi, et puis il est permis de soupçonner qu’il avait plus de brillant et plus de forme que de fond. […] » C’est dans cette même année, en octobre, que Mme de Boufflers perdit son mari et qu’elle se livra à une violente espérance bientôt déçue. […] « Vous pouvez penser que depuis mon retour à Paris, je n’ai cessé de tenir ouverts mes yeux et mes oreilles pour ne rien perdre de ce qui a rapport à votre affaire. […] Je traduirai du moins, sans en rien retrancher, la dernière moitié de cette belle et longue lettre, qui perd assurément à ne pas être présentée dans toute son étendue : « La perte d’un ami, celle d’une dignité ou de la fortune, admet quelque consolation, sinon par raison, au moins par oubli, et ces sortes de chagrins ne sont pas éternels.

322. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

« Cette crainte de perdre son crédit, qu’il estimait plus que la pourpre, fut peut-être, nous dit Legendre, ce qui le détermina à ne point garder de mesure » au risque de donner barre sur lui, en cette circonstance, à tous ses ennemis du dehors. […] Cet abbé se fit connaître encore de son temps par d’autres écrits, par des compositions historiques qui, sans grande nouveauté dès leur naissance, ont perdu aujourd’hui tout intérêt. […] On racontait qu’autrefois en sortant d’un couvent de Pontoise où il avait rendu visite à l’abbesse, Mme de Guenegaud, M. de Harlay était tombé dans un bourbier où il avait perdu son cordon d’or. […] On disait qu’étant archevêque de Rouen il avait perdu, un matin, une de ses pantoufles en sortant précipitamment de l’abbaye des Andelys ; on a déjà parlé du cordon d’or perdu à Pontoise. — Il avait eu aussi assez récemment (ce qu’on aurait pu indiquer) de grandes liaisons avec une maîtresse du roi d’Angleterre, la comtesse de Northumberland, qui était venue demeurer dans le monastère des Bénédictines de Conflans.

323. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

» Mais l’amour de la patrie luttait encore dans l’esprit des Vaudois contre la lumière qu’y faisaient pénétrer ces paroles et contre l’évidence désolante : « — Ce serait une lâcheté, s’écriaient-ils, de perdre courage devant Dieu, qui a si souvent délivré nos pères, et qui a sauvé de tant de périls le peuple d’Israël.  […] À la fin d’avril tout semblait terminé ; les troupes avaient ramassé plus de six mille prisonniers de tout âge et de toute condition qu’on poussait devant soi comme des troupeaux ; il ne restait plus que quelques malheureux échappés au carnage, des enfants perdus sur des hauteurs inaccessibles. […] Il remporta deux victoires en bataille rangée, celle de Staffarde (18 août 1690), et celle de La Marsaille (4 octobre 1693), eut quantité de beaux sièges, notamment celui de Nice et de Montmélian, n’éprouva que des échecs sans grande conséquence, ne compromit jamais rien, suffit à tout et maintint les affaires en tel point que le duc de Savoie revenu à résipiscence put lui dire en toute bonne grâce « qu’il avait reçu de lui des leçons et corrections dont il espérait profiter à l’avenir pour le service du roi. » Lorsque l’on considère l’ensemble de cette guerre après la conclusion, il semble qu’elle fasse un tout qui aurait perdu à être conduit autrement et qui est bien en harmonie avec les personnages en présence et avec les résultats obtenus. […] Aujourd’hui il est bien clair et démontré pour tous que Catinat, en 1690, aurait pu entrer plus tôt en campagne, qu’il perdit du temps avec le duc de Savoie ; il aurait pu assiéger Turin avant que le duc fût prêt. […] L’ennemi perdit 4 000 hommes environ, et nous en eûmes plus de 2 000 hors de combat.

324. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Étienne Pivert de Sénancour, né à Paris, en novembre 1770, d’un père contrôleur des rentes, semble avoir eu une enfance maladive, casanière, ennuyée. « Une prudence étroite et pusillanime dans ceux de qui le sort m’a fait dépendre a perdu mes premières années, et je crois bien qu’elle m’a nui pour toujours. » Et ailleurs : « Vous le savez, j’ai le malheur de ne pouvoir être jeune. […] Il la perdit, ainsi que son père, vers 1796. […] Le genre humain en masse est perdu sans retour ; il se rue en délire selon une pente de plus en plus croulante ; il n’y a plus de possible que des protestations isolées, des fuites individuelles au vrai : « Hommes forts, hâtez-vous, le sort vous a servis en vous faisant vivre tandis qu’il en est temps encore dans plusieurs contrées ; hâtez-vous, les jours se préparent rapidement où cette nature robuste n’existera plus, où tout sol sera façonné, où tout homme sera énervé par l’industrie humaine. » L’athéisme, le naturisme de ce Spinosa moins géométrique que l’autre, et poétiquement rêveur, nous rappelle toutefois le raisonneur enthousiaste dans sa sobriété chauve et nue, de même que cela nous rappelle, par l’effet des peintures, par l’inexprimable mélancolie qui les couvre et l’effroi désolé qui y circule, Lucrèce, Boulanger, Pascal et l’Alastor du moderne Shelley. — Shelley ! […] Vieillard austère qui, après un chef-d’œuvre de ta jeunesse, t’es arrêté on ne sait pourquoi, qui t’es heurté à faux depuis ce temps sur d’ingrats labeurs, et qui, sans rien perdre assurément de ta valeur  intrinsèque, n’as plus su aboutir d’une manière récréante, fructueuse et féconde ! […] Tout autre sentiment se perd dans ce sentiment profond ; toute pensée y ramène, tout espoir y repose.

325. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Il perdit sa mère en bas âge ; la famille était nombreuse et son père très-occupé ; le jeune enfant se trouva livré à lui-même, logé dans une guérite au grenier. […] Et puis les mœurs avaient perdu en saillie depuis que la régularité d’Henri IV avait passé dessus : Louis XIV allait imposer le décorum. […] Le sens du moyen-âge était complètement perdu ; l’âme seule d’un Milton pouvait en retrouver quelque chose, et Boileau ne voyait guère dans une cathédrale que de gras chanoines et un lutrin. […] Nous venons de dire que le sens du moyen-âge était déjà perdu depuis longtemps ; il n’avait pas survécu en France au xvie  siècle ; l’invasion grecque et romaine de la Renaissance l’avait étouffé. […] le loisir que je me suis trouvé aujourd’hui à Auteuil m’a comme transporté à Reims, où je me suis imaginé que je vous entretenois dans votre jardin, et que je vous revoyois encore comme autrefois, avec tous ces chers amis que nous avons perdus, et qui ont disparu velut somnium surgentis. » Aux infirmités de l’âge se joignirent encore un procès désagréable à soutenir, et le sentiment des malheurs publics.

326. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Armand-Louis de Gontaut-Biron, né en avril 1747, perdit sa mère en naissant, et fut élevé dans le boudoir de Mme de Pompadour, dont son père était l’un des grands courtisans. […] L’épisode de la princesse Czartoryska, de cette intéressante femme dont il a dit : « Rien n’était perdu avec une âme si tendre, on ne pouvait être plus aimable à aimer » ; cet épisode serait touchant s’il était le dernier, et s’il couronnait une vie de légèreté et d’erreurs par un sentiment fidèle et sincère. […] Un mot que la reine lui dit à une course où elle avait parié dans un sens et lui dans un autre, et où elle avait perdu : « Oh ! […] Les ennemis nombreux qu’il avait en cour, la petite coterie Polignac particulièrement, cette société intime de la reine, résolut une bonne fois de le perdre ; et pour cela on n’eut qu’à mettre en jeu avec un certain art, avec un certain concert, la foule de ses créanciers, car cette vie de chevaux, de courses, de paris à l’anglaise, de voyages et de train magnifique en tous pays, n’avait pu se mener sans de ruineuses profusions. […] Je n’ai voulu ici que faire entrevoir cette façon de les considérer ; il est, en toutes choses, une conclusion élevée et raisonnable, qu’il ne faut jamais perdre de vue.

327. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Ici l’abondance de ses points de vue le perd ; la désarticulation que son intelligence a subie dans son commerce avec la dialectique allemande, a débilité toute la charpente de son être. […] Il est capable de perdre son pain quotidien en abandonnant par dégoût l’homme dont il s’est fait le parasite, de dépenser son dernier argent dans une entreprise chimériquement humanitaire. […] Dans cette invasion d’idées adventices, il a perdu la condition première de toute vie sociale, l’aptitude à se tenir dans les rangs de ses compatriotes, l’instinct par lequel chaque individu se concerte avec d’autres pour un avantage dont une part lui reviendra. […] En sorte que ses fluctuations de caractère le perdent du même coup à ses yeux et dans l’esprit de sa fiancée. […] Ce que sa notion des hommes et des choses avait de menu, de nuancé, d’épais, de peu concluant, de peu poussé, le laissait comme en une sorte d’admiration rêveuse pour un spectacle qui lui apparaissait étrangement varié, singulier, multiple surtout et compliqué ; une douce sympathie lui venait pour les êtres qu’il avait connus intimement et confusément comme penché sur eux de trop près, l’intelligence de leurs erreurs, la tristesse de leurs fautes, l’étonnement navré de les apercevoir eux si intensément vivants et complexes, bornés, faibles, isolés, perdus et passagers en ce vaste monde dont le romancier ne parvenait à comprendre ni l’arrangement ni le but, ni l’infinie petitesse.

328. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

« Quand cet être si fort, si fier, si plein de lui-même, si exclusivement préoccupé de ses intérêts dans l’enceinte des cités et parmi la foule de ses semblables, se trouve par hasard jeté au milieu d’une immense nature, qu’il se trouve seul en face de ce ciel sans fin, en face de cet horizon qui s’étend au loin et au-delà duquel il y a d’autres horizons encore, au milieu de ces grandes productions de la nature qui l’écrasent, sinon par leur intelligence, du moins par leur masse ; lorsque, voyant à ses pieds, du haut d’une montagne et sous la lumière des astres, de petits villages se perdre dans de petites forêts, qui se perdent elles-mêmes dans l’étendue de la perspective, il songe que ces villages sont peuplés d’êtres infirmes comme lui, qu’il compare ces êtres et leurs misérables habitations avec la nature qui les environne, cette nature elle-même avec notre monde sur la surface duquel elle n’est qu’un point, et ce monde à son tour avec les mille autres mondes qui flottent dans les airs et auprès desquels il n’est rien : à la vue de ce spectacle, l’homme prend en pitié ses misérables passions toujours contrariées, ses misérables bonheurs qui aboutissent invariablement au dégoût. » Il se demande si la vie est bonne à quelque chose, et ce qu’il est venu faire dans le petit coin où il est perdu. […] Aujourd’hui, il a tout perdu, et il faut qu’il relève ce que la fatalité de la fortune a détruit. » II Cette reconstruction est la découverte de la destinée humaine. […] Or, la nature de l’homme est composée d’aspirations infinies que notre condition présente ne peut satisfaire : donc il y a pour nous une destinée future, et une série de vies où nous pourrons les contenter. » Confusion sur confusion ; tout est brouillé et tout est perdu.

329. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre X. »

Pindare vient, au milieu des concitoyens et des amis, saluer le jeune vainqueur, dans la maison de son père, riche citoyen d’Égine ; et tout aussitôt la pensée du poëte s’élève à la joie du patriotisme commun, comme pour y perdre le souvenir de la faute et du malheur de Thèbes. […] « Les Persanes en pleurs, souhaitant de voir l’hymen récent de leurs maris et les tissus moelleux de leur couche, plaisirs de la gracieuse jeunesse désormais perdus pour elles, se consument de gémissements sans fin ; et moi, je célèbre, comme je le dois, le sort lamentable de ceux qui ont déjà péri. […] Xercès les a perdus. […] et les navires les ont perdus, les navires fatalement heurtés l’un contre l’autre. […] celui-là ne perdit pas les hommes dans le désastre d’une guerre meurtrière ; et il fut nommé par les Perses le confident des dieux ; et il était lui-même bien conseillé par les dieux, puisqu’il conduisait heureusement notre armée. — ô seigneur antique, ô Baal !

330. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

S’obstiner à vouloir les convaincre serait perdre son temps et ses paroles. […] N’est-ce pas vraiment peine perdue ? […] En traduisant nettement l’impression que j’ai reçue, je ne crois pas perdre mes paroles. […] Craint-il de perdre son temps en engageant contre l’oubli une lutte inutile ? […] Remy exaspéré retrouve la force qu’il avait perdue et emmène son enfant.

331. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

« Je ne puis écrire autant que je le voudrais, mais jamais je ne vous perds de vue. […] C’était là une de ces manœuvres équivoques qui perdent plus que la fortune d’une cour, qui perdent son caractère. […] Tout est perdu. […] « Il me semble, lui dis-je, Général, que nous perdons du temps, car il ne s’agit nullement de moi dans cette affaire. […] Ne perdez jamais de vue cet axiome : Aucune nation n’obéit volontairement à une autre.

332. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

Vous pensez s’il est malheureux ; il perd son maître, et dans son maître son ami !  […] Je vous fais un triste présent que de vous donner le reste de ma vie ; mais prenez-le, et, si j’ai perdu des jours, j’ai de quoi rendre meilleurs ceux qui seront tout pour vous. […] Si vous ne venez pas, j’aurai perdu mon appui. […] « Il y a bien des choses dans ce Fontainebleau, mais je ne puis penser qu’à ce que j’ai perdu. […] Et moi, vil prosateur, qu’ai-je à perdre ?

333. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Le système du hasard n’explique rien, et il a ce très grand danger de porter les âmes à l’irréligion, mal social qui perd les individus et que le législateur doit énergiquement combattre. […] Mais, parvenu au premier moteur, il sent bien qu’on ne peut plus rien chercher en dehors de lui ; car ce serait se perdre dans l’infini. […] On ne voit pas trop ce qu’elle y a gagné ; mais on voit très clairement ce qu’y a perdu la vérité et le cœur de l’homme. […] Loin de perdre à l’obéissance, il y gagne une grandeur et une dignité que sans elle il n’a pas. […] Seulement, c’est un calcul en sens inverse des calculs vulgaires ; on perd tout au dehors pour tout gagner au dedans ; et, quand l’épreuve est bien tout ce qu’elle doit être, on se trouve avoir gagné beaucoup plus encore qu’on n’a perdu, jusqu’au sacrifice dernier ou l’existence peut être mise en jeu.

334. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (2e partie) » pp. 161-239

De même que le daim de Virginie et le karibou mâle, ces animaux jettent leur bois chaque année, vers le commencement de décembre ; mais, la première année, ils ne le perdent pas même au printemps4. […] Le 20 juillet enfin, je les retrouvai au Labrador, en me demandant de nouveau comment ils avaient fait pour atteindre ces rivages perdus et d’un si difficile accès. […] Mais tout cela fut peine perdue : je ne pus rien voir du tout dans l’intérieur de l’arbre, et ma gaule, d’au moins quinze pieds de long, avait beau s’y promener de droite et de gauche, elle ne touchait à rien qui pût me donner quelque renseignement. […] Le cygne s’affaiblit, se lasse, et perd tout espoir de salut. […] Il y a ici une apparente contradiction qui s’explique quand on sait que, tandis que les vieux élans déposent leur bois en décembre et janvier, les jeunes ne le perdent qu’en avril et mai ; mais la première année ils ne le perdent pas du tout, par conséquent pas même au printemps.

335. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

En tout cas, plus célèbre un moment que Montesquieu, et non moins populaire que Voltaire, Jean-Jacques Rousseau a le plus perdu par le temps. […] Jean-Jacques Rousseau a le plus perdu, parce que c’est celui auquel la mode a le plus prêté. […] Les collèges sont des ateliers où l’on fausse ce qui était naturellement droit : il n’y a pas une heure à perdre, il faut les fermer. […] Une société dont ce serait le train régulier que l’honnête homme y perdît son honnêteté, et que le pain y manquât à qui veut résolûment le gagner, ne subsisterait pas vingt-quatre heures. […] Pour être passées dans les mœurs et dans les lois, les vérités qu’il a défendues ou revendiquées n’ont rien perdu de leur à-propos ni du feu d’éloquence dont il en a animé l’expression.

336. (1767) Salon de 1767 « Peintures — La Grenée » pp. 90-121

Les peintres se jettent dans cette mitologie, ils perdent le goût des événements naturels de la vie ; et il ne sort plus de leurs pinceaux que des scènes indécentes, folles, extravagantes, idéales, ou tout au moins vuides d’intérêt. […] Homme de glace, artiste de marbre, c’est entre tes mains que la magicienne a bien perdu sa baguette. […] Peine perdue. […] Ah, mon ami, combien de beaux piés, de belles mains, de belles chairs, de belles draperies, de talent perdu ! […] Harmonie perdue, pour harmonie perdue, j’aimerois mieux que l’effet le plus violent du tems tombât sur les étoffes, et que leur entière destruction fît valoir les chairs et les autres parties essentielles, qui en reprendroient par comparaison une sorte de vie.

337. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

Les positions relatives font dans la société l’estime, la considération, la vertu… Dans les accès du désespoir et dans les délires du succès tout sentiment de l’honnête s’éteint, avec cette différence que le parvenu conserve ses vices et l’homme tombé perd ses vertus. » (Essai, etc., p. 466 et 601.) […] Beaucoup de ces déclassés de l’aristocratie se lancèrent à corps perdu dans le mouvement ; d’autres, plus prudents, plus timorés, René était de ceux-là, hésitèrent et attendirent les événements. […] Mais les René de 1802 avaient perdu cette naïve franchise du René de 1797 : ils cachaient cet amour replié sur soi-même sous des monceaux de phrases sentimentales, afin de faire accroire qu’ils déversaient leur cœur sur l’humanité et sur la nature toute entière. […] Chateaubriand habitait depuis 1793 l’Angleterre et étudiait sa littérature, quoi d’étonnant que son premier roman porte la trace de ses lectures : la mythologie des Natchez est tirée du Paradis perdu de Milton, qu’il traduisit. […] Mais victorieuse, elle fut si épouvantée de son œuvre, qu’elle voulut qu’on en perdît le souvenir : elle posa l’homme bourgeois avec ses passions, ses vices et ses vertus, comme le type immuable de l’espèce humaine passée, présente et future.

338. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal de Dangeau. tomes III, IV et V » pp. 316-332

L’attaque, même différée d’un jour, coûta cher pourtant : l’ouvrage à cornes fut pris d’abord, puis perdu ; il fallut revenir à la charge le lendemain. […] Le roi d’Angleterre lui ayant envoyé faire des compliments sur la mort de Louvois, il répondit à celui qui venait de sa part : « Monsieur, dites au roi d’Angleterre que j’ai perdu un bon ministre, mais que ses affaires et les miennes n’en iront pas plus mal pour cela. » Vraies paroles et vrai sentiment de roi ! […] Ce qui est bien sensible chez Dangeau, c’est qu’à l’instant où il perd Louvois, Louis XIV se met en devoir de s’en passer. […] Le roi en paraît fort touché, et a dit ce soir à M. mon frère : « Si nous sommes assez malheureux pour perdre ce pauvre homme-là, celui qui en porterait la nouvelle au prince d’Orange serait bien reçu » Et ensuite il a dit à M. 

339. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis de Belloy »

Delille, en traduisant le Paradis perdu, avait également ouvert la voie et donné le signal du côté des modernes ; Baour-Lormian, assez heureux avec Ossian et les poésies galliques, s’attaquait imprudemment à la Jérusalem délivrée. […] Tout cela revient à dire que la disposition particulière des esprits et le moment précis de culture littéraire qui favorisaient et réclamaient les traductions en vers sont passés et ont fait place à une autre manière de voir, à un autre âge ; et ici, comme dans des ordres d’idées bien plus considérables et bien autrement importants, il n’est que vrai d’appliquer ce mot d’un ancien sage que je trouve heureusement cité, à savoir qu’on ne retourne jamais au même point et que le cours universel du monde ressemble à « un fleuve immense où il n’est pas donné à l’homme d’entrer deux fois. » Les choses allant de la sorte, on doit savoir d’autant plus de gré aux esprits non pas attardés, mais foncièrement religieux à l’art ou obstinément délicats, qui n’ont pas perdu la pensée, même devant un public si refroidi, de lutter de couleur, de relief et de sentiment avec de désespérants modèles. […] « Je m’en réjouissais fort », dit le père. —  « Vous aviez bien raison, répond Sosie, qui ne perd jamais l’occasion de glisser son proverbe : je suis bien d’avis qu’il n’y a rien de plus utile dans la vie que rien de trop. » — Simon continue l’éloge de ce modèle de fils qui s’accordait si bien avec tous ceux de son âge, prenait sa part modérée dans leurs plaisirs, se prêtant à tous, ne se préférant à personne : manière sûre de se faire bien venir et d’acquérir des amis. — Le bon Sosie ne manque pas de glisser de nouveau son proverbe et de pousser, selon son habitude, l’idée de son maître jusqu’à en faire une maxime : « C’était bien sage à lui, dit-il, d’en agir ainsi ; car, par le temps qui court, la complaisance engendre l’amitié, la vérité fait des ennemis. » — « Cependant, poursuit le père, voilà bien trois ans de cela, arriva ici dans le voisinage une femme d’Andros, sans parents, pauvre, belle, à la fleur de l’âge. » — « Aïe ! […] Que ne ferait-il pas s’il m’avait perdu, moi, son père ? 

340. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. (Suite et fin.) »

Bignon, esprit net, positif, français de race, bonapartiste de sentiment, agent exact et fidèle, d’un esprit classique et orné, mais qui ne se perdait pas à découvrir de ces doubles et triples horizons. […] M. de Senfft, qui venait de perdre sa belle — mère, ne le vit lors de son passage à Dresde en avril 1811 que dans quelques conférences d’affaires. […] Aussi, peu de jours après, l’intrigue fut démasquée, et M. de Senfft, fait pour une destinée plus honorable, alla se perdre dans cette lie de transfuges qui entourait les souverains alliés, réduit à y jouer un personnage dont il ne tarda pas à rougir. […] Singulier mélange, en effet, que cet abbé de Pradt, instruit de tant de choses et qui croyait s’entendre à toutes ; homme d’Église qui l’était si peu, qui savait à fond la théologie, et qui avait à apprendre son catéchisme ; publiciste fécond, fertile en idées, en vues politiques d’avenir, ayant par moments des airs de prophète ; écrivain né des circonstances, romantique et pittoresque s’il en fut ; le roi des brochuriers, toujours le nez au vent, à l’affût de l’à-propos dans les deux mondes, le premier à fulminer contre tout congrès de la vieille Europe ou à préconiser les jeunes républiques à la Bolivar ; alliant bien des feux follets à de vraies lumières ; d’un talent qui n’allait jamais jusqu’au livre, mais qui avait partout des pages ; habile à rendre le jeu des scènes dans les tragi-comédies historiques où il avait assisté, à reproduire l’accent et la physionomie des acteurs, les entretiens rapides, originaux, à saisir au vol les paroles animées sans les amortir, à en trouver lui-même, à créer des alliances de mots qui couraient désormais le monde et qui ne se perdaient plus ; et avec cela oublieux, inconséquent, disparate, et semblant par moments sans mémoire ; sans tact certainement et sans goût ; orateur de salon, jaseur infatigable, abusant de sa verve jusqu’à l’ennui ; s’emparant des gens et ne les lâchant plus, les endoctrinant sur ce qu’ils savaient le mieux ; homme à entreprendre Ouvrard sur les finances, Jomini sur la stratégie, tenant tout un soir, chez Mme de Staël, le duc de Wellington sur la tactique militaire et la lui enseignant ; dérogeant à tout instant à sa dignité, à son caractère ecclésiastique, avec lequel la plupart de ses défauts ou, si l’on aime mieux, de ses qualités se trouvaient dans un désaccord criant ; un vrai Mirabeau-Scapin, pour parler comme lui, un archevêque Turpin et Turlupin.

341. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

On a beau vouloir s’endormir sur l’oreiller d’une molle tranquillité, le doute revient plus angoissant que jamais, et quiconque a essayé de se réfugier dans l’indifférence, s’il mérite le nom d’homme, se surprend à murmurer avec Musset : « Je ne puis…, malgré moi l’infini me tourmente. » * *   * C’est pour retrouver la sécurité et l’équilibre perdu que tes esprits s’agitent. […] Ce sont les mêmes qui veulent nous ramener à la foi ancestrale, sans prendre garde qu’ils ont perdu l’humilité chrétienne et le véritable sens de l’Écriture. […] On sait que le duc d’Orléans, devenu régent, et sa fille, la duchesse de Berry, qui se donnaient comme esprits forts, s’entouraient de sorciers et de nécromants, consultaient les tarots et ne reculaient pas d’aller se perdre la nuit dans les carrières de Montrouge pour évoquer Satan. […] Nous y gagnerions une certitude, mais les poètes y perdraient une belle source de pathétique.

342. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Despréaux, avec le plus grand nombre des écrivains de son temps. » pp. 307-333

        Il perd son emploi militaire. […] Boursault ne voulut pas que sa peine fut perdue. […] La fortune le trahit encore dans une autre occasion ; il perdit une pension de deux mille livres qu’il avoit de la cour, & fut mis à la Bastille pour s’être diverti sur le compte des RR. […] L’envie de briller & de dire des choses ingénieuses le perdit.

343. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Simple particulier, perdu dans la foule où je me suis fait une véritable solitude, je ne puis, pour justifier mes raisonnements et mes assertions, m’entourer du cortège imposant des faits et des témoignages. […] Ne disons cependant point comme ce preux chevalier qui mérita si bien d’être roi du beau pays de France, ne disons point, Tout est perdu, fors l’honneur  ; n’avons-nous pas sauvé plus que l’honneur, puisque nous avons sauvé, non point celles de nos institutions qui avaient vieilli, et qui étaient destinées à périr, mais celles d’où devaient naître nos institutions futures ; puisque nous avons sauvé ce qui toujours flatta le plus les nations, une existence qui se perd dans la nuit des temps ; une existence qui, pour nous, est antérieure à toutes les sociétés actuelles ; une existence de quatorze siècles ; puisque nous avons sauvé enfin notre magistrature sur l’Europe ? […] Le père de famille est revenu au milieu des siens ; il est revenu, envoyé par la Providence, pour consacrer nos droits, pour nous remettre en pleine possession de tant de belles prérogatives que nous étions menacés de perdre, à cause du mauvais usage que nous en avions fait ; dès lors nous avons pu jouir sans trouble d’une émancipation de fait, qui est devenue, par cette haute investiture, une émancipation légale.

344. (1940) Quatre études pp. -154

Or dans ses poèmes, au moment même où il risque de se perdre, où il semble parti vers la déraison, nous allons le voir se reprendre. […] Nous épargnent-ils les longs développements où le jaillissement du lyrisme risque de se perdre ? […] Tu perdras moins que je ne te rendrai. […] Il arrive à l’inconnu ; et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! […] Peut-être n’ont-elles pas perdu tout sentiment, toute mémoire de leur premier état.

345. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Appendice. »

Dames, plaignez ma jeunesse perdue, Fleur primtanière en sa tige mordue Et desséchée ! […] Grimblot, qui, dans ses missions et ses fonctions consulaires à l’étranger, ne perd jamais de vue la littérature, non content de rapporter du fond de l’Orient toute une bibliothèque sanskrite et sacrée dont il vient d’enrichir, d’armer la science et l’érudition françaises, veut bien lire nos simples essais d’un œil à la fois vigilant et amical, et il m’a souvent aidé par ses bons avis à les rendre moins imparfaits.

346. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XII. Du principal défaut qu’on reproche, en France, à la littérature du Nord » pp. 270-275

Quand vous rappelez des objets dégoûtants, vous excitez une impression fâcheuse, qu’on fuirait avec soin dans la réalité ; quand vous changez la terreur morale en effroi physique, par la représentation de scènes horribles en elles-mêmes, vous perdez tout le charme de l’imitation, vous ne donnez qu’une commotion nerveuse, et vous pouvez manquer jusqu’à ce pénible effet, si vous avez voulu le pousser trop loin : car au théâtre, comme dans la vie, quand l’exagération est aperçue, on ne tient plus compte même du vrai. […] Un beau trait, au milieu de négligences grossières, peut frapper davantage l’esprit ; mais l’ensemble y perd plus que ne peut y gagner l’exception.

347. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre IV. De l’analogie. — Comparaisons et contrastes. — Allégories »

Quand l’imagination est forte et capable de suivre dans leur développement parallèle une double série d’images successives, sans jamais en perdre de vue le rapport, la comparaison initiale aide puissamment à l’invention. […] Lorsque la comparaison se développe avec cette ampleur et cette richesse, sans perdre de sa précision, l’effet est merveilleux.

348. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 189-194

Après avoir lu ses Odes, ses Héroïdes, ses Contes, ses Fables, ses Romans, ses Comédies, ses Tragédies, son Poëme sur la déclamation, les Lecteurs éclairés sont forcés de regarder tant de Productions, comme des especes de phosphores qui éblouissent un instant, pour se perdre ensuite dans l’obscurité. […] Mais tous ces dons d’un esprit agréable sont-ils suffisans pour se soutenir, & peut-on ignorer que rien n’est plus sujet à perdre ses charmes ?

349. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

Le public lui-même a perdu en M.  […] Dans une visite qu’il fit à Londres dans l’automne de 1835, il lui adressait, comme au prochain traducteur du Paradis Perdu, une pièce de vers datée de Westminster et intitulée le Tombeau de Milton. […] Jules Macqueron, le 30 décembre 1835) ; mon pauvre ami, ma santé est à peu près perdue, et il est fort probable, du moins d’après les données de l’art, que mon pèlerinage sera court. […] chose essentielle et vraiment sacrée en littérature, et qui serait en danger de se perdre chez nous, si quelques-uns, comme élus et fidèles, n’y veillaient sans cesse et ne s’appliquaient à la maintenir ! […] Bernard y voyait, non sans raison, un précis historique très-net de la naissance, des progrès et des différentes péripéties de la Ligue ; il y voyait, d’un coup d’œil moins juste à mon sens, la ligne principale et comme la grande route de l’histoire à ce moment ; ce n’en était plus au contraire qu’un sentier escarpé et perdu, qui menait au précipice.

350. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre IV. Shakespeare l’ancien »

L’immense diffère du grand, en ce qu’il exclut, si bon lui semble, la dimension, en ce qu’« il passe la mesure », comme on dit vulgairement, et en ce qu’il peut, sans perdre la beauté, perdre la proportion. […] Il pourrait s’intituler Eschyle perdu. […] Ce que c’est qu’Eschyle perdu, indiquons-le. […] Au-delà d’une certaine limite, ils seraient perdus. […] Et encore Tacite est presque perdu.

351. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Première partie. De la parole et de la société » pp. 194-242

Seulement ce qui est incontestable c’est que nos langues dérivées ont perdu un grand nombre des propriétés qui distinguèrent les langues primitives, et qui excitent un si profond étonnement dans l’étude des langues indiennes. […] Mais il avoue en même temps que ce que les langues gagnent ainsi en philosophie et eu métaphysique, elles le perdent du côté de la poésie. […] Les langues ont subi aussi les épreuves du temps ; elles se sont détériorées, elles ont perdu de leur énergie propre et de leurs attributs en se succédant, comme les générations humaines se détériorent, comme les races royales perdent de leur ascendant et de leurs prérogatives. […] L’esprit des traditions primitives s’était d’abord perdu à Rome. […] La tradition ne s’en est même jamais perdue dans la société : seulement elle avait été obscurcie peu à peu ; il est même permis de dire que la théorie opposée, érigée en doctrine, est tout à fait moderne.

352. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [III] »

D’autres poètes aussi ont été gens d’affaires : l’abbé de Chaulieu, en son temps, fut comme l’intendant des Vendôme, et le spirituel épicurien, dit-on, n’y perdit point sa peine. […] Je vais, je viens, je cours, je ne perds point le temps, Je courtise un banquier, je prends argent d’avance ; Quand j’ai dépêché l’un, un autre recommence ; Et ne fais pas le quart de ce que je prétends. […] Ce désastre avec le parlement de Madame qui, à ce que j’entends, est pour s’en aller bientôt ès pays de Monseigneur le duc son mari, m’a tellement étonné et fait perdre le cœur que je suis délibéré de jamais plus ne retenter la fortune de la Cour, m’ayant nescio quo fato été jusques ici toujours si marâtre et cruelle, mais abdere me in secessum aliquem, avec cette brave devise pour toute consolation : Spes et fortuna, valete. Et qui seroit si fol de se vouloir dorénavant travailler l’esprit pour faire quelque chose de bon et digne de la postérité, ayant perdu la faveur d’un si bon prince et la présence d’une telle princesse, qui, depuis la mort de ce grand roi François, père et instaurateur des bonnes lettres, étoit demourée l’unique support et refuge de la vertu et de ceux qui en font profession ? […] Ces vers, que je n’ai vus nulle part imprimés, méritent de ne point se perdre ; on y reconnaît le tour philosophique du poète, élève d’Andrieux, en même temps qu’ils ont la marque certaine de son talent : Qu’on porte envie au pontife romain !

353. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre II. De la rectification » pp. 33-65

À ce moment, qu’un léger attouchement m’éveille, les images se défont ; les sons imaginaires perdent leur timbre et leur netteté ; les couleurs pâlissent, les contours deviennent vagues, et le travail hallucinatoire est enrayé en proportion ; les paysages, les maisons, les figures que l’on rêvait ne sont plus qu’entrevus et à travers un brouillard ; ils semblent perdre leur solidité et leur consistance. — Jusqu’ici, rien d’étrange. […] Pour que la sensation contradictoire s’éveille et les nie, il faut que les images perdent leur exagération, cessent de provoquer des sensations, redeviennent de simples images ; en d’autres termes, il faut que les petites sonneries cessent de faire tinter la grosse cloche. […] En cet état, on s’oublie, on a perdu conscience du présent ; on est devant la fantasmagorie intérieure comme au théâtre devant une bonne pièce. […] Dans cette opération, l’acte perd tout ce que l’objet gagne ; il se fait un transvasement de caractères, au détriment du premier, au profit du second. […] Mais, depuis, ces circonstances ont disparu ; la répétition et la distance les ont effacées20 ; l’image qu’alors je situais à tel endroit de mon passé a perdu les détails qui la situaient.

354. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

Nous savons de lui que sa mère était aussi vive, aussi impatiente à quatre-vingt-cinq ans qu’il le pouvait être lui-même ; il la perdit seulement dans l’été de 1784. […] On n’y pouvait distinguer qu’une certaine élégance naturelle « qui tenait à la sensibilité de la première jeunesse », sensibilité qu’il perdit bientôt et qui se flétrit comme la fraîcheur même de son visage. […] Aussi le jour où il perdra toutes ses pensions dans la ruine de l’Ancien Régime, sa passion l’emportant sur son intérêt, il bondira de joie, il se sentira soulagé et délivré. […] Ce que je connais de mieux en ce genre, c’est celle de Satan dans le Paradis perdu. » Mais il était difficile, on en conviendra, à l’ancienne société de deviner cet orgueil de Satan dans le sensible et anodin auteur de La Jeune Indienne, ou dans le peintre tragique si adouci de Zéangir. […] Il la perdit, et parut avoir enseveli avec elle les restes de son cœur.

355. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

Capefigue a perdu toute autorité et toute créance… Il le doit au xviiie  siècle. […] On se perd dans de telles confusions. […] Dans cet énervement de sa raison historique, il perd jusqu’à la fermeté de la langue de l’histoire. […] Comme les femmes tombées qu’on a le malheur d’adorer, il ne l’a plus vue, cette époque, il ne l’a plus comprise, il ne l’a plus jugée, et devant elle il a perdu toute raison et même tout libre arbitre. […] C’est le destin commun à toutes ces femmes que les rois subissent plus qu’ils ne les choisissent, dans cette sphère inouïe où ils vivent, et où tout, jusqu’au hasard même, est organisé autour d’eux, d’être les pions, plus ou moins sensibles, avec lesquels on perd ou l’on gagne des parties sur un échiquier mystérieux.

356. (1773) Discours sur l’origine, les progrès et le genre des romans pp. -

On les y souffroit d’autant plus volontiers, qu’on ne doutoit presque pas de leur existence ; & lorsqu’on s’avisa d’en douter, on les chercha encore dans les fictions, pour ne pas tout perdre à la fois. […] Il a depuis perdu l’à-propos, &, par la même raison, une partie de ses lecteurs. […] L’auteur le destine à l’édification des meres, & il ajoute que toute fille est perdue si elle en lit seulement quatre pages. […] Voilà Julie séduite & bientôt après mariée : l’ancienne Héloïse ne se maria point, quoique son amant fût perdu pour elle. […] Les Détracteurs des Romans disent encore que cette lecture nuit à des lectures plus solides ; qu’elle en fait perdre le goût à ceux qui l’avoient, & qu’elle empêche les autres de jamais l’acquérir.

357. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Valentine (1832) »

Il semblait que le succès de son aîné l’eût fait pousser et se produire à la hâte, comme un enfant précoce qui devance l’âge d’être homme, séduit et perdu qu’il est par l’exemple de son grand frère. […] Suivez-le vous-même à la fête ; conduisez avec lui la carriole dans la traîne si verte, si ombragée, si embaumée ; voyez-le déposer orgueilleusement sa fiancée au milieu d’un cercle d’admirateurs et d’envieux, et se perdre bientôt dans la foule, jusqu’à ce que, la rumeur publique lui annonçant ces dames de Raimbault, il monte, pour les mieux apercevoir, sur une croix de pierre, au grand scandale des curieux moins bien placés que lui.  […] Tous les détails de cette soirée, la présentation de Bénédict aux orgueilleux parents de Valentine, l’invitation à la danse, l’embarras du baiser, l’aisance de bel air de M. de Lansac, fiancé de Valentine, tout cela est délicieusement conduit ; et le départ ensuite, le retour, la manière dont Valentine s’égare, la rencontre des deux jeunes gens près des buissons fleuris de l’Indre ; cette voix limpide et nerveuse de Bénédict, qui le précède et l’annonce, et dont Valentine a de loin admiré le chant ; cette arrivée à la ferme par les jardins de derrière et à travers les haies, leurs deux haleines se confondant au passage dans les fleurs ; cette visite nocturne de Valentine à Louise, à sa sœur aînée, si longtemps perdue, si merveilleusement retrouvée, et qu’une faute amère, déjà bien ancienne, avait bannie d’un lieu qu’elle a voulu revoir ; — oui, tout, jusqu’à cette façon naturelle et rusée d’éconduire M. de Lansac, tout, dans cette première partie du récit, captive, enchante et satisfait.

358. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

Ce qui réussit aux unes perd les autres ; les qualités leur nuisent quelquefois, quelquefois les défauts leur servent ; tantôt elles sont tout, tantôt elles ne sont rien. […] Un grand talent triomphait de toutes ces considérations ; mais il était néanmoins difficile aux femmes de porter noblement la réputation d’auteur, de la concilier avec l’indépendance d’un rang élevé, et de ne perdre rien, par cette réputation, de la dignité, de la grâce, de l’aisance et du naturel qui devaient caractériser leur ton et leurs manières habituelles. […] Plusieurs avantages d’une grande importance pour la morale et le bonheur d’un pays, se trouveraient perdus si l’on parvenait à rendre les femmes tout à fait insipides ou frivoles.

359. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXII. Machinations des ennemis de Jésus. »

Sa conscience, par la faute des hommes et non par la sienne, avait perdu quelque chose de sa limpidité primordiale. […] Il avait revêtu sa charge l’an 25, et il ne la perdit que l’an 36. […] Il perdit ses fonctions l’an 14, à l’avènement de Tibère ; mais il resta très considéré.

360. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VII » pp. 56-69

Le premier discours est en partie le résumé, et en partie le développement d’une conversation sur la grandeur du caractère romain ; Balzac y peint, d’après Polybe et Tite-Live, l’âme d’un citoyen de la république ; après l’avoir montré impénétrable à la vanité, à la peur, à l’avarice, ensuite sensible à la faveur de l’étranger, ou d’un usurpateur, il le fait voir à la dernière épreuve de sa vertu ; c’est l’injustice de la république à son égard. « La république, madame, ne le peut perdre, quelque négligente qu’elle soit à le conserver ; il souffre non seulement avec patience, mais encore avec dignité, ses mépris et ses injustices. […] Ils ne se soucient ni de paye, ni de butin, ni de récompense ; ils ne songent ni aux fêtes de Rome, ni aux délices d’Italie ; ils ne veulent, ils ne demandent que le général ; ils appréhendent la fin de la guerre, de peur de le perdre à la paix ; ils murmurent contre le sénat qui le rappelle, et ne se peuvent consoler de la victoire qui leur ravit le victorieux. […] Les grâces parurent encore sous les empereurs, mais elles parurent seules, car la majesté des paroles se perdit avec la liberté. » L’auteur rapporte les paroles de Cassius à Brutus avant les ides de mars : « Ces paroles, madame, sont les dernières que prononça la république avant de rendre l’âme… C’était le caractère de l’esprit de Rome, citait la langue naturelle de la majesté. » L’auteur finit par des observations sur les monuments qui restent de la conversation et des mœurs privées des Romains ; il exprime ses regrets sur leur rareté.

361. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXII » pp. 222-236

Voltaire l’indique à l’année C’est plus de deux ans trop tard, « Dès l’an 1669, dit-il, madame de La Vallière s’aperçut que madame de Montespan prenait de l’ascendant sur le roi. » Si la liaison du roi avec madame de Montespan n’avait commencé qu’en cette année, deux événements principaux de la période que nous parcourons, perdraient leur caractère et leur importance, savoir : la maladie dont est morte madame de Montausier, et la représentation de l’Amphitryon de Molière. […] La nouvelle de cette mort, arrivée à la suite de trois années de retraite et de maladie, se perdit dans le mouvement et dans le bruit de la cour et du monde. […] Combien cette mort fait perdre de son esprit et de sa gaîté à l’Amphitryon de Molière !

362. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 326-344

Il seroit aisé de donner une idée de son travail, en se le représentant dans son Cabinet solitaire, occupé à se monter méthodiquement l'imagination, à bander avec fatigue les ressorts de son esprit, à s'essoufler jusqu'à perdre haleine pour enfanter, selon Horace, des Sesquipedalia verba, qui se perdent en fumée, quoiqu'il ait la Patrie à ses côtés, la Justice & l'Humanité devant lui, qu'il soit environné des fantômes des malheureux, agité par la pitié, que les larmes coulent de ses yeux, que les idées se précipitent en foule, & que son ame se répande au dehors *. […] Les métaphores, les phrases prétendues substantielles, les réflexions prodiguées y font perdre de vue l'objet principal.

363. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre neuvième. »

On est presque tenté de s’étonner que Lamotte ait perdu, à critiquer cette fable, un temps qu’il pouvait employer à la relire. […] D’après un trait de la vie de La Fontaine, que j’ai raconté, on a vu qu’il allait quelquefois entendre les charlatans de place, et on voit par cette fable qu’il ne perdait pas son temps. […] c’est une harangue perdue.

364. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Royalistes et Républicains »

Plus tard, quand fut fini le magnifique épisode de l’Empire qui, tout le temps qu’il dura, sut fort bien se passer, lui, de vos petites combinaisons et ne connut d’équilibre que celui qu’il fit perdre à toute l’Europe, le Royalisme de la Restauration recommença ce que le Royalisme d’après Thermidor avait fait ; comme aujourd’hui, dans l’effroyable situation où la révolution, la guerre, tous les malheurs et toutes les anarchies ont mis la France, il est prêt à le recommencer encore !   […] Louis-Philippe en meurt dix-huit ans après, et Napoléon III, l’homme de décembre qui descendait de l’homme de brumaire, en meurt aussi, pour l’avoir relevé et repris… Aujourd’hui, qu’il s’appelle République au lieu de s’appeler Monarchie, il n’en est pas moins toujours, malgré les mutilations qu’il a subies, le gouvernement parlementaire et fatal qui a perdu en cinquante ans trois dynasties, et qui n’a avancé qu’une seule question, des cent mille qu’il a stérilement agitées : celle du mépris qu’il a commencé d’inspirer ! […] Si nous ne sommes pas tout à fait perdus, tel sera le bénéfice définitif et compensateur qui sortira de ce gouvernement parlementaire, que la foi publique abandonne.

365. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ch. de Barthélémy » pp. 359-372

On ne lui fit jamais perdre le sien. […] Fréron, lui, avait des principes, et son enthousiasme se recueillait pour être plus profond ; Diderot était un des enfants perdus d’un siècle qui allait aux abîmes, comme l’astrologue allait au puits… À proprement parler, Fréron n’était pas de ce siècle-là. […] C’est une loi supérieure de la Providence, qu’il doive y avoir en ce monde des gloires perdue ?

366. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Sophie Arnould »

Nous n’y aurions guères perdu, et Sophie Arnould y aurait gagné ; car cette Correspondance est abominablement humiliante pour elle, l’héroïne de leur livre ! […] Mais Sophie Arnould, qui ne savait pas l’orthographe, n’était qu’une jouisseuse en toute chose, et elle laissait perdre la mousse de son esprit comme la mousse du vin de Champagne, sur le pied du verre, à souper… Spirituelle, n’étant que spirituelle en tout, cette diablesse d’esprit n’était pas jolie, et même le portrait qu’en donnent MM. de Goncourt, à la tête de leur ouvrage et d’après un dessin du xviiie  siècle, nous la crache fort laide. […] Edmond de Goncourt avait ajouté de ces choses qu’inspire la vie et qui nous font la mieux comprendre, à mesure que nous la perdons, le livre, œuvre éclatante et charmante, aurait pu devenir un chef-d’œuvre.

367. (1773) Essai sur les éloges « Morceaux retranchés à la censure dans l’Essai sur les éloges. »

Ce même duc, en 1630, gagne une bataille en Italie, et, en 1632, perd la tête sur un échafaud, pour s’être ligué avec le frère du roi contre le ministre : il est vrai qu’il avait été pris les armes à la main. […] En 1633, le commandeur du Jars et d’autres sont condamnés à perdre la tête ; un seul a sa grâce sur l’échafaud ; tous les autres sont exécutés. […] Tous ceux qui étaient amis de ses ennemis, tous ceux qui approchèrent, à quelque titre et de quelque manière que ce fût, de la mère ou du frère du roi, créatures, confidents, domestiques, médecins même, furent arrêtés, dispersés, condamnés, et perdirent ou la liberté ou la vie.

368. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

À vous entendre, l’un écrit trop peu, et il se perd ; un autre fabrique beaucoup trop, et il se perd. […] Il était perdu, cette fois ; il appartenait au bourreau ! […] dit-il, il ne saura jamais ce qu’il a perdu ! […] Comme tout cela s’est perdu, vous le savez. […] tout cela mort et à jamais perdu !

369. (1890) Dramaturges et romanciers

Les idées, en se multipliant, ont perdu une grande partie de leur puissance. […] Si nous avons beaucoup acquis, nous avons donc, en revanche, beaucoup perdu. […] Sans doute l’expérience ne sera pas perdue, mais je doute parfois qu’elle profite à l’art et à la littérature. […] Feuillet, et le diable perd-il grand-chose au prétendu sacrifice qu’elle fait de son amour ? […] Que Mme Laumel, née Cibot de Larive, éprouve la tentation de se perdre, cela n’a rien que de fort ordinaire, mais qu’elle se perde dans l’état d’âme où l’auteur l’a placée au moment de sa chute, cela est beaucoup plus inadmissible.

370. (1923) L’art du théâtre pp. 5-212

C’est même la récente victoire sur les Perses dont le peuple n’a pas perdu le souvenir. […] bien sûr : une œuvre dramatique qui sent l’huile perd une grande partie de son pouvoir. […] Le plaisir du spectacle, en devenant moins rare, perd son prix… et sa qualité. […] La mode et le succès facile l’ont perdu. […] il a perdu son instrument.

371. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Étienne de La Boétie. L’ami de Montaigne. » pp. 140-161

Sans doute les grands génies dont s’honore l’intelligence humaine ont subi cette épreuve, et l’une de leurs gloires est d’y avoir résisté ; mais les Sonnets de La Boétie ne le classeront pas avec Pindare, Anacréon, Horace… J’accorde qu’il ne perdra pas à être envisagé de près ; mais je crois qu’il gagnerait à être entrevu à distance. […] Il est à croire, puisqu’ils voulaient perdre notre Europe et la remettre en friche par les dissensions et par les guerres, que les dieux, dans leur indulgence, préparaient un asile aux peuples fugitifs, et que c’est à cette fin qu’aux approches de ce siècle, du sein des vastes mers, ils ont fait jaillir un monde : — un monde vierge, humide encore, qui d’abord ne pouvait, dit-on, supporter qu’à peine les traces légères de quelques races errantes, et où maintenant le sol facile appelle la charrue, où les champs illimités n’attendent qu’un maître. […] C’est bien alors que celui qui survit peut s’écrier avec Pline le Jeune : « J’ai perdu un témoin de ma vie… Je crains désormais de vivre plus négligemment. » Parler de La Boétie et de Montaigne, c’est nécessairement parler de l’amitié. […] Un homme qui est plus qu’on ne croit de la trempe de Montaigne, Saint-Évremond, trouva également dans sa vie un ami parfait, M. d’Aubigny ; mais Saint-Évremond alors n’était déjà plus depuis longtemps à cet âge où on lutte pour les hautes aspirations premières et pour l’idéal : il se contenta de chercher la sûreté, la douceur du commerce, le charme infini des entretiens ; et, quand il perdit M. d’Aubigny, il le pleura comme l’ami qui faisait sa joie, et dans la conversation duquel il trouvait un agrément universel. […] Quoi qu’on ait dit, elles connaissent entre elles la parfaite amitié ; et, pour m’en tenir aux témoignages que la littérature me prête, qu’on veuille relire à la fin des Mémoires d’une des femmes les plus spirituelles, Mme de Staal-Delaunay, ce qu’elle dit de sa dernière et intime amie Mme de Bussy, et de sa douleur pénétrée, de son accablement après l’avoir perdue.

372. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — III » pp. 81-102

Sans nulle difficulté on se loge le premier jour sur la contrescarpe ; on occupe en arrivant Léopolstadt, et si nous n’y avions trouvé que ce régiment de la garde ordinaire que j’ai vu battre par les écoliers de Vienne, ce n’eût peut-être pas été un siège de huit jours. » Notez que Villars comptait bien alors se tenir, par le Tyrol, en communication avec l’Italie et avec l’armée de Vendôme, dont un détachement l’aurait appuyé : « Ces troupes, écrivait-il au roi, auraient traversé le Tyrol comme l’on va de Paris à Orléans, si elles s’étaient mises en marche dès les premiers jours de juillet. » Les grandes idées des campagnes de 1805 et de 1809, Villars les a donc entrevues ; il avait pour principe qu’il faut qu’un seul et même esprit gouverne toute la guerre : « Votre Majesté saura un jour que l’empereur était perdu si on avait marché à Passau, et il n’y a que des gens gagnés par l’empereur, ou des ignorants, qui aient pu s’opposer à ce dessein. » Le prince Eugène, revoyant Villars à Rastadt, le lui dit en présence de témoins : si on avait suivi ce parti alors, la paix qui se fit en 1714 eût pu être conquise par la France neuf ans plus tôt. […] Mais en évitant de faire la seule grande chose, on arrivait à n’en pas faire même de médiocres ; « À la guerre, Sire, écrivait Villars, il n’y a que de certains moments à prendre et la diligence, sans quoi, au lieu d’avantages, il faut craindre des revers. » Les premiers et faciles succès que l’électeur était allé chercher dans le Tyrol se perdaient six semaines après dans une insurrection générale des paysans. […] Marcin plus souple vint le remplacer, et à moins d’un an de là on s’aperçut trop de l’absence de Villars, lorsqu’on perdit la seconde bataille d’Hochstett sur le même terrain où il avait gagné la première. […] Tout l’honneur de l’avoir conjuré revient à Villars, à sa fermeté, à son choix d’un bon poste, à sa sagesse à s’y maintenir, à l’esprit excellent dont il avait animé ses troupes, et qui fit perdre à l’adversaire l’idée qu’on les pût entamer. « Mes affaires, par le parti que vous avez obligé le duc de Marlborough de prendre, lui écrivait Louis XIV satisfait, sont au meilleur état que je les pouvais désirer ; il ne faut songer qu’à les maintenir jusqu’à la fin de la campagne ; si elle était heureuse, je pourrais disposer les choses de manière à la finir par quelque entreprise considérable. » Marlborough, en s’éloignant, crut devoir s’excuser auprès de Villars même (une bien haute marque d’estime) de n’avoir pas plus fait ; il lui fit dire, par un trompette français qui s’en revenait au camp, qu’il le priait de croire que ce n’était pas sa faute s’il ne l’avait pas attaqué ; qu’il se retirait plein de douleur de n’avoir pu se mesurer avec lui, et que c’était le prince de Bade qui lui avait manqué de parole. Villars avait pour maxime que « sitôt qu’on cesse d’être sur la défensive, il faut se mettre sur l’offensive. » Il se remit donc en campagne activement, et, réuni au maréchal de Marcin, il eut à opérer dans les mois suivants sur le Rhin et sur la Lauter, en face du prince Louis de Bade ; mais il eut la prudence de ne compromettre en rien le succès glorieux qu’il avait obtenu : Leurs généraux, écrivait-il au roi parlant des ennemis, sont persuadés que je ne perdrai pas la première occasion de les combattre : je n’oublierai aucune démonstration pour les confirmer dans cette opinion.

373. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

M. de Tracy perdit Mme de Tracy le 27 octobre 1850, et, dans son culte pieux pour sa mémoire, il a cru devoir recueillir, selon qu’elle l’avait désiré, quelques-uns des écrits où elle mettait de sa pensée et de son âme : c’est un portrait de plus, et le plus vivant, qu’il a voulu que les siens eussent toujours présent devant les yeux. […] Cela ne m’amuse guère… Mme de Coigny tâche de m’inspirer son goût pour Mockranowski, son admiration pour Radzivill, sa passion pour Braniki et tant de ki, toujours vaincus, toujours si malheureux, désolés, perdus, ruinés… » Elle ne peut s’empêcher (c’est bien l’image de la jeunesse) de se consoler de sa lecture en dansant toute seule sur les airs du bal d’en face qu’elle entend. […] Elle est d’avis que tous les âges ont leur joie, et, tout en sentant ce qu’elle a perdu, elle n’est pas envieuse contre la jeunesse : « J’aide à Mme de Coigny à finir ses petites bandes de tapisserie ; elle dit qu’il n’y a plus à présent d’autres fleurs pour elle dans le monde que celles quelle fait à l’aiguille, mais que le monde est tout plein devant moi de véritables fleurs. » Cependant la différence des sensations est continuelle, et l’on a sur chaque point comme une double note comparable entre les réflexions sensées de ce tiède hiver et les joies folâtres de ce jeune printemps : Avant dîner, nous avons été nous promener à la pluie, armées de parasols. […] Si l’on perd la danse à trente ans, on acquiert la liberté. […] Mais il faut bien parler des études principales que Mme de Tracy s’était réservées pour ses dernières années, et qui semblent au premier abord en contradiction avec la vocation de la femme ; elle nous dira elle-même pourquoi elle les avait entreprises : Il y a des jours où l’on éprouve un désir passionné de revoir ceux que l’on a perdus.

374. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

Ce rôle de l’infante qui, vers la fin, a perdu sa mère, qui n’est pas aimée de son frère, qui voudrait un tout petit royaume à elle, a, dans la pièce espagnole, une réalité qui disparaît dans la réduction analytique de Corneille, et l’on conçoit dès lors que, dans ce système de coupures et d’éviter à tout prix les longueurs, qui est ou était le nôtre, on n’ait pas résisté, bien qu’à tort peut-être, à la tentation de le supprimer. […] Un jour, ce critique si distingué que j’aime à nommer et qui s’est trouvé trop perdu pour nous dans la Suisse française, M.  […] Quand le comte, entêté de son importance, s’écriait : « Un jour seul ne perd pas un homme tel que moi », on croyait entendre le propos d’un Montmorency, d’un Lesdiguières, d’un Rohan : c’est ainsi que les derniers grands seigneurs, hier encore, avaient parlé. […] C’est spirituel, c’est ce que j’appelle le pot au lait de l’infante ; mais c’est de l’esprit perdu. […] Et Chimène s’écrie : « Le poursuivre, le perdre et mourir après lui ! 

375. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Liberté, royauté, aristocratie, démocratie, préjugés, raison, nouveauté, philosophie, tout se réunissait pour rendre nos jours heureux, et jamais réveil plus terrible ne fut précédé par un sommeil plus doux et par des songes plus séduisants. » Ainsi on ne se privait de rien en cet âge d’or rapide ; on était aisément prodigue de ce qu’on n’avait pas perdu encore ; on cumulait légèrement toutes les fleurs. […] C’est ce sérieux dissimulé sous des formes aimables qui en faisait le charme principal, et dont le secret s’est perdu depuis. […] Successivement nommé au Corps législatif, à l’Institut, au Conseil d’État et au Sénat, grand maître des cérémonies sous l’Empire, nous le perdons de vue à cette époque au milieu des grandeurs qui le ravissent aux lettres, mais non pas à leur amour ni à leur reconnaissance : une élégie de madame Dufrenoy a consacré le souvenir d’un bienfait, comme il dut en répandre beaucoup et avec une délicatesse de procédés qui n’était qu’à lui. […] « C’est un legs précieux, honorable, sacré… J’avais perdu par une goutte sereine un œil dans la guerre d’Amérique ; de longs travaux avaient affaibli l’autre ; les médecins me menaçaient de le perdre, si je l’exerçais trop.

376. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

“Généreux peuple, malheureux peuple, criait-il, on te trompe, on te perd, on immole tes meilleurs amis ! […] Mais il a voulu se perdre ! […] En le perdant la Montagne perdait son sommet. » Ôtez de là la conception des journées de septembre qui appartient au hasard ou à la commune, vous aurez le vrai Danton, un Mirabeau du peuple ! […] Et n’est-ce pas en grande partie à l’effet moral de ce livre dans le peuple de Paris que nous devons d’avoir trouvé, deux ans après, le peuple de Paris si bien préparé à recevoir les conseils de la modération et de la justice et à le détourner si facilement des voies de sang où la Convention l’avait précipité pour le perdre ? […] Le crime a tout perdu en se mêlant dans les rangs de la république.

377. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

. — Quand on regarde de haut l’histoire religieuse de la France, on s’aperçoit bien vite de deux grands faits qui s’en dégagent : l’un, c’est que du moyen âge à nos jours l’Église catholique perd peu à peu sa puissance, ses privilèges, son autorité sur les esprits ; l’autre, c’est qu’elle passe par des alternatives de grandeur et de décadence qui se succèdent avec une parfaite régularité. […] Le sérieux de l’auteur ne se dément pas et à travers tous les incidents scabreux il ne perd point de vue son but, qui est d’amener des fidèles à la benoîte Vierge Marie. […] Le Mystère de Troie la Grand annonce que la Renaissance est proche et que l’Église est menacée de perdre l’ascendant qui lui reste encore. […] Le contraste est d’autant plus fort que l’Église, ainsi déchue de sa royauté sur les esprits, n’a pas perdu l’appui du pouvoir séculier, et qu’elle voit les âmes lui échapper malgré les chaînes qu’elle essaie de leur forger avec l’aide de l’État. […] Elles sont si puissantes, ces habitudes imposées à la pensée par le catholicisme et le protestantisme, que la foi peut disparaître sans que le caractère national ou individuel perde le pli ainsi contracté.

378. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

Toute cette fleur de l’Ancien Régime venait applaudir à ce qui la perdait et la ridiculisait. […] Rien de charmant, de vif, d’entraînant comme les deux premiers actes : la comtesse, Suzanne, le page, cet adorable Chérubin qui exprime toute la fraîcheur et le premier ébattement des sens, n’ont rien perdu. Figaro, tel qu’il se dessine ici dès l’entrée et tel qu’il se prononce à chaque pas en avançant dans la pièce, jusqu’au fameux monologue du cinquième acte, est peut-être celui qui perd le plus. […] Le comte Almaviva, au milieu de situations qui perdraient et dégraderaient tout autre, sait conserver son grand air, sa noblesse et un fonds d’élévation qui n’est pas à l’usage ni à la portée de Figaro ; il est toujours dupe et jamais colère, ou du moins jamais rancunier ni méchant ; c’est l’homme qui supporte le plus décemment le ridicule ; il le sauve par la bonne humeur et par des sentiments qui se sentent de leur origine. […] L’influence de ces sobriquets parmi le peuple est plus importante qu’on ne pense ; ils ne se perdent presque jamais.

379. (1860) Ceci n’est pas un livre « Hors barrières » pp. 241-298

Un moment pourtant, Adolphe Maillet eut l’espérance de se faire adopter par LE BARON DE FILOUZE Ce baron, un fidèle des Allées Neuves, perdit son père à dix-huit ans — et sa fortune au lansquenet six mois plus tard. […] Je suis resté bien souvent une heure entière en contemplation devant cette figure froide et ratatinée, coupée en deux par un nez droit à l’arête aiguë où chevauchait une paire de lunettes dont les branches allaient se perdre dans les pattes d’oie des tempes. […] Je résolus de percer, — sans plus de retard, les ténèbres de ce pourquoi où se perdait ma pensée. […] Si je ne développe pas ma théorie, c’est que je me suis résolu à ne jamais l’écrire, — crainte de perdre mon manuscrit, comme il est arrivé pour la Théorie de la volonté de Balzac. […] Détachons pourtant cette pensée, jetée, en manière de conclusion, à la suite de considérations sur les finances de l’État, par un ex-caissier qui a perdu ses illusions : « En général, ceux qui prennent le sac sont ceux qui ne l’ont pas. » Mon Dieu !

380. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Il serait peut-être curieux de chercher comment l’éloquence, perdue depuis tant de siècles, après avoir régné à Athènes, à Rome et dans Byzance, reparut au bout de douze cents ans chez les descendants des Celtes, et dans un pays où il n’y avait ni liberté à venger, ni intérêts d’état à défendre. […] La langue française conserva pendant plusieurs siècles cette âpreté de sons, monument de son origine ; mais peu à peu elle perdit ses prononciations barbares, et se rapprocha par degrés de l’harmonie : car il en est des langues comme des sables qui roulent dans les rivières et qui s’arrondissent par le mouvement, ou comme de ces dés avec lesquels Descartes composait le monde, et dont les inégalités et les angles se brisaient en se heurtant. […] C’était peu pour la langue d’avoir perdu sa rudesse, il fallait encore qu’elle multipliât le nombre de ses mots. […] Alors elle perdit une foule de termes qui ne furent point remplacés ; et semblable à ces arbres que le fer émonde avec sécurité, non pour leur faire porter plus de fruits, mais pour satisfaire à un vain luxe de décoration, elle fut moins riche et plus soignée, elle acquit en même temps du goût, de la réserve et de la noblesse. […] Mais, dans l’époque qui précéda ces deux siècles, la langue perdit de sa richesse, sans gagner beaucoup du côté du génie ; et, par une espèce de hauteur, aspirant à la noblesse, elle fut tout à la fois dédaigneuse et pauvre.

381. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VII »

Jules Lemaître juge ainsi que du temps perdu les années passées au collège à « ne pas apprendre le latin »  ; mais il ne s’agit pas d’apprendre le latin : il s’agit de ne pas désapprendre le français. Il vaut mieux perdre son temps que de l’employer à des exercices de déformation intellectuelle.

382. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre X »

Il y a transformation de sens ; il n’y a pas déformation, puisque le mot reste identique à lui-même et n’a rien perdu de sa beauté plastique. […] Il n’est pas possible qu’une langue littérairement aussi vivante ait perdu sa vieille puissance verbale ; il suffira sans doute que l’on proscrive à l’avenir tout mot grec, tout mot anglais, toutes syllabes étrangères à l’idiome, pour que, convaincu par la nécessité, le français retrouve sa virilité, son orgueil et même son insolence.

383. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre III. Partie historique de la Poésie descriptive chez les Modernes. »

Flore revint avec sa corbeille, et les éternels Zéphyrs ne manquèrent pas de l’accompagner ; mais ils ne retrouvèrent dans les bois ni les naïades, ni les faunes ; et s’ils n’eussent rencontré les fées et les géants des Maures, ils couraient risque de se perdre dans cette immense solitude de la nature chrétienne. […] Elle y perdit par degrés ses manières affectées ; mais elle tomba dans un autre excès.

384. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Vernet » pp. 227-230

La fumée s’élève épaisse, se raréfie peu à peu, et va se perdre dans l’atmosphère à des distances immenses. S’il projette des objets sur le cristal des mers, il sait l’en teindre à la plus grande profondeur, sans lui faire perdre ni sa couleur naturelle, ni sa transparence.

385. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Il s’émeut, il s’amuse, et son esprit gagne en vivacité ce qu’il perd en logique et en précision. […] Il ne regrette rien de ce qu’il a perdu pour sa maîtresse. […] Le caractère de M. de Belnave ne perdrait rien de sa grandeur devant l’aveu spontané de Marianna. […] Il s’est trop pressé ; la fuite, au lieu de le sauver, le perdra. […] Ce château qu’il croyait perdu sans retour, elle l’a racheté.

386. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

En faisant l’autopsie au moment même de la mort, on doit donc toujours rencontrer des éléments organiques qui ont perdu leurs propriétés physiologiques ; mais d’autres qui les possèdent encore, et qui ne finissent par les perdre et par mourir à leur tour qu’à cause de la dislocation des fonctions nécessaires à leur existence. […] Ils y vivent comme les animaux aquatiques dans l’eau, et de même qu’il faut renouveler l’eau qui s’altère et perd ses éléments nutritifs, de même il faut renouveler, au moyen de la circulation, le sang qui perd son oxygène et se charge d’acide carbonique. […] C’est ce qui fait que, dans la science même, le connu perd son attrait, tandis que l’inconnu est toujours plein de charmes. […] Les lobes cérébraux ayant été enlevés chez un pigeon par exemple, l’animal perd immédiatement l’usage de ses sens et la faculté de chercher sa nourriture. […] Il importe de ne pas perdre de vue ces deux phases du travail physiologique.

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