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1045. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

L’auteur atteint souvent à une élévation morale qui rentre dans l’émotion dramatique.

1046. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

Le bruit retentissant de l’italien ne dispose ni l’écrivain, ni le lecteur à penser ; la sensibilité même est distraite de l’émotion par des consonances trop éclatantes.

1047. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

La gloire des écrits ou celle des actions est soumise à des combinaisons différentes ; la première, empruntant quelque chose des plaisirs solitaires, peut participer à leurs bienfaits ; mais ce n’est pas elle qui rend sensibles tous les signes de cette grande passion ; ce n’est pas ce génie dominateur, qui, dans un instant, sème, recueille et se couronne ; dont l’éloquence entraînante, ou le courage vainqueur décident instantanément du sort des siècles et des empires ; ce n’est pas cette émotion toute puissante dans ses effets, qui commande en inspirant une volonté pareille, et saisit dans le présent, toutes les jouissances de l’avenir.

1048. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

C’est bien là certainement l’une des causes de la pitié ; mais l’inconvénient de cette définition, comme de toutes, est de resserrer la pensée que faisait naître le mot qu’on a défini : il était revêtu des idées accessoires et des impressions particulières à chaque homme qui l’entendait, et vous restreignez sa signification par une analyse toujours incomplète quand un sentiment en est l’objet ; car un sentiment est un composé de sensations et de pensées que vous ne faites jamais comprendre qu’à l’aide de l’émotion et du jugement réunis.

1049. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre II. Rapports des fonctions des centres nerveux et des événements moraux » pp. 317-336

Tyndall155, que tous les grands penseurs qui ont étudié ce sujet, sont prêts à admettre l’hypothèse suivante : que tout acte de conscience, que ce soit dans le domaine des sens, de la pensée ou de l’émotion, correspond à un certain état moléculaire défini du cerveau ; que ce rapport du physique à la conscience existe invariablement, de telle sorte que, étant donné l’état du cerveau, on pourrait en déduire la pensée ou le sentiment correspondant, ou que, étant donnée la pensée ou le sentiment, on pourrait en déduire l’état du cerveau.

1050. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXe Entretien. Souvenirs de jeunesse. La marquise de Raigecourt »

Cette mort soudaine et terrible avait frappé la société du faubourg Saint-Germain d’une émotion qui durait encore.

1051. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre 2. La littérature militante »

Car le défaut de la Pléiade, c’était le pastiche, l’artificiel ; et il ne fut pas mauvais que les poètes fussent rappelés à l’actualité, sollicités de vivre de la vie de leur temps, de tirer de leurs âmes les communes émotions de toutes les âmes contemporaines.

1052. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

De là vient qu’elle est incapable de prendre ses propres émotions comme matière d’art, de les réaliser directement dans une forme expressive.

1053. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « J.-J. Weiss  »

Le Supplice d’une femme est « du trois-six d’éthique et d’émotion », et la Visite de noces est « de l’éthique absolue à cent degrés Gay-Lussac ».

1054. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

Nous l’avons vu expansif, bon garçon, bavard intarissable, racontant au premier venu, devant un bock, ses projets d’art, ses songes, ses émotions, ses amours, galvaudant tout ce que l’homme bien né garde pour lui ou de très rares intimes, étalant son intérieur comme son extérieur : en réalité, sous cette bonhomie ripailleuse, très dénigreur, rongé d’envie, se sachant impuissant, mais retenu dans un monde de ratés par une énorme vanité qui est encore du bourgeoisisme exaspéré, la vanité de serrer des mains célèbres, de figurer parmi les gens de lettres, et de passer pour un martyr de l’idéal.

1055. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « La Religieuse de Toulouse, par M. Jules Janin. (2 vol. in-8º.) » pp. 103-120

L’émotion que causèrent ces dernières scènes fut vive dans le public, et il en est resté sur cet institut de l’Enfance une impression du genre de celles qui s’attachent aux touchantes et tragiques infortunes.

1056. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

Mignet, qui a dû examiner toutes choses en historien et ne donner à l’émotion que de courts passages, a très bien exposé et démêlé les différentes phases de cette captivité de Marie Stuart et les ressorts qui furent en jeu aux divers moments : il a particulièrement éclairé d’un jour nouveau, et à l’aide des papiers espagnols provenant des Archives de Simancas, les préparatifs si lents de l’entreprise tentée par Philippe II, de cette croisade infructueuse et tardive qui ne se décida qu’après la mort de Marie Stuart, et qui aboutit au naufrage fastueux de l’invincible Armada.

1057. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Ducis. » pp. 456-473

J’en sens l’influence dans mes ouvrages ; une émotion puissante me transporte sur les hauteurs de mon sujet.

1058. (1912) L’art de lire « Chapitre IV. Les pièces de théâtre »

Il faut donc, en lisant Sophocle et Euripide, celui-là surtout, restituer et tenir sous notre vue le groupement des personnages aménagés pour produire une émotion esthétique.

1059. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

Je n’ai que mon émotion.

1060. (1903) Considérations sur quelques écoles poétiques contemporaines pp. 3-31

Gustave Kahn qui contiennent des poèmes d’un sens exquis, tels ces Paysages de Provence que je ne puis parcourir sans émotion, malgré qu’en vers libres.

1061. (1887) La banqueroute du naturalisme

Car, ces jurons ou ces blasphèmes, si l’homme du peuple les profère avec cette regrettable facilité, c’est qu’ils ne sont pour lui qu’on signe ou qu’une traduction habituelle de ses émotions.

1062. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

Un souffle puissant pousse et soutient cette vaste machine ; suspendue deux fois, elle reprend son mouvement sans peine, par les tours les plus naturels et les plus simples : l’émotion va croissant ; elle est si vraie et si bien justifiée, qu’elle autorise deux mots qui ailleurs seraient emphatiques.

1063. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Un peu plus loin, vous voyez l’orateur se lever subitement au milieu d’une citation, et s’interrompre pour exprimer avec une sorte de grandeur poétique l’émotion qui l’a saisi.

1064. (1881) Études sur la littérature française moderne et contemporaine

Il y a nécessairement, à côte de l’inspiration, de la pensée vraie et de l’émotion sentie, la part de l’étude, de la science, du caprice, en un mot de l’alexandrinisme. […] Le plus souvent, sa poésie respire une émotion douce, saine et fortifiante. […] Le détail l’égare quelquefois, et dans la vision d’une Bataille il aperçoit, au milieu de la mêlée, des « papillons jaunes striés de noir », qu’il a tort de noter ; mais la fin de cette pièce est d’une profondeur d’émotion qui touche au sublime ; c’est vraiment une des grandes et belles pages de la poésie contemporaine : … Et lorsque la bataille eut apaisé son bruit, La lune, qui montait derrière les collines, Contempla tristement, vers l’heure de minuit, Ce que l’œuvre d’un jour peut faire de ruines. […] Régal perpétuel des oreilles et des yeux, son style est toujours en fête ; aucune ombre ne l’obscurcit ; jamais note mal en unisson avec les autres ne vient trahir une âme à qui l’émotion puisse faire oublier le juste rapport des sons musicaux. […] On a dit de Bossuet qu’il se laisse emporter par son grave enthousiasme dans une région où, loin de songer qu’on est artiste, on oublie même s’il y a un art ; on a dit de Fénelon qu’il s’élève par l’émotion au-dessus de l’art, traversant le beau littéraire pour aller plus loin : c’est exactement le contraire pour M. 

1065. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Destouches sentit le côté faible de son théâtre ; il y chercha un remède et crut le trouver dans l’emploi de l’émotion et du pathétique. […] donc, j’aurai peut-être une émotion ; ça m’amusera… » Oh ! […] Le docteur Soto fait observer que, si Juana n’est pas démente, elle pourrait le devenir sous le coup d’une émotion imprévue. Reste à lui procurer cette émotion. […] Cela est un grave inconvénient ; car cela use, en l’interrompant chaque fois, l’émotion antérieurement accumulée.

1066. (1889) Ægri somnia : pensées et caractères

Bon nombre d’hommes trouvent en eux-mêmes un certain bonheur sans émotion, semblable à « l’indolence » où les stoïciens faisaient consister le souverain bien. […] Il était dans son cabinet, assis à son bureau, et, quoique déjà informé, sans apparence d’émotion et écrivant. […] Il nous raconta l’aventure, simplement, sans émotion apparente, mais non sans une pointe d’ironie amère. […] Je n’avais pas lu ce passage sans émotion, ni — est il besoin de le dire ? […] On arrive à la fin de ces Souvenirs, épuisé d’émotions, mais sans haut-le-cœur, juste à temps pour les leçons à en tirer, si nous étions gens à tirer des leçons de quelque chose.

1067. (1892) Portraits d’écrivains. Première série pp. -328

Comme le joueur qui recherche moins le gain que l’émotion, il ne se soucie pas d’une victoire facile. […] Et je sais, encore aujourd’hui, des gens de goût pour prétendre que cette première manière est celle où se montre le plus au naturel le talent d’Augier : un talent fait de belle humeur, d’émotion facile et d’ingéniosité. […] L’auteur est un maître dans l’art de nouer une intrigue, d’en embrouiller les fils, de porter jusqu’à leur dernier degré la curiosité et l’émotion. […] Il a l’esprit et il a aussi l’émotion ; l’ironie, mais une ironie compatissante. […] Pour un peu de force qu’il y manque, il s’en dégage tant de grâce spirituelle et tant d’émotion !

1068. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

D’ailleurs, cette cérémonie funèbre et guerrière porte d’avance au fond de tous les cœurs, et mieux que toutes les paroles, des émotions fortes et profondes. […] Il cherche les tableaux sublimes plus que les raisonnements victorieux ; il sent et ne dispute pas ; il veut unir tous les cœurs par le charme des mêmes émotions, et non séparer les esprits par des controverses interminables : en un mot, on dirait que le premier livre offert en hommage à la religion renaissante fut inspiré par cet esprit de paix qui vient de rapprocher toutes les consciences. […] Ils ne contestent plus à la doctrine et aux pompes de l’Église romaine leurs effets touchants et sublimes ; ils conviennent que l’éloquence et la poésie en peuvent tirer de puissantes émotions et de riches tableaux. […] « Le soleil levant, et le soleil à son coucher, la nuit et l’astre qui l’enchante, ne pouvaient faire sentir aux Grecs et aux Romains les émotions qu’ils portent à notre âme. […] Le désert où sont ensevelies Thèbes, Palmyre et Babylone, me frappera d’une plus profonde émotion, si j’y vois la pénitence et la prière à genoux sur des ruines ; si, dans quelque décombre de ces villes, agitées autrefois par toutes les passions, un anachorète vit en paix avec Dieu, et médite sur la mort, aux mêmes lieux où tant de grandeurs coupables ont disparu.

1069. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Cependant, le jeu et l’or que je vois rouler me causent quelque émotion. […] Je n’ai eu, dans ma vie, que peu d’émotions aussi douces. […] Des passions générales ont souvent été rendues avec une vérité si flagrante, qu’il ne semblait pas que le poète eût pu les peindre mieux, les eût-il lui-même éprouvées ; mais je ne crois pas qu’il en puisse être de même des émotions positivement chrétiennes. […] Ses émotions, à travers le voile romanesque qui les couvre, ne laissent-elles pas transparaître le même mot qui sert de titre à l’ouvrage ? […] L’écrivain, en racontant l’histoire de ces races bénies, n’a réprimé ni dissimulé son émotion ; nulle part il ne s’est montré plus uni à son sujet, ni ne s’en est rendu plus solidaire.

1070. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Ducis, vers le munie temps, écrivait à Thomas au retour d’une course dans les montagnes du Dauphiné, et plein encore de l’impression magnifique qu’il en avait rapportée : « Le poème des Jardins, dont vous me parlez avec tant de goût, avec le goût de l’âme qui est le bon, ne m’a point donné de ces émotions-là. » Un peu avant la publication et au sortir d’une séance de l’Académie où Delille avait lu des morceaux, le même Ducis écrivait : « Parlons un peu du poème des Jardins  ; on ne peut pas se tromper sur le charme de la lecture. […] alors, comme l’émotion croissante succédait !

1071. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (2e partie) » pp. 5-80

Je ne puis penser à Florence sans émotion ; la raison, le devoir, le caractère de mon attachement peut-être ne permettent pas à une tristesse violente de s’emparer de moi ; c’est seulement une mélancolie qui ne peut nuire à mes travaux. […] Y en a-t-il qui donnent en quelques traits de pinceau une émotion si profonde et si durable au cœur ?

1072. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

Il y écrivit sa tragédie de Don Carlos, œuvre estimable, réfléchie, mais tiède, où la politique tient la place de l’émotion. […] Un sonnet de lui fait foi de cette émotion contenue, mais forte.

1073. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

Je ne raconterai pas non plus la vive émotion qu’il manifesta en apprenant les motifs qui rendaient cette résolution inébranlable. […] On peut imaginer les émotions qu’éprouvèrent les treize, tant par leur expulsion qu’à cause de ce qu’on leur rapportait des faits et des gestes de l’Empereur.

1074. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

., tout cela c’était agir selon l’intention de Wagner, c’était ramener toutes les manifestations éparpillées à un seul point de vue artistique ; c’était tenter une théorie générale de l’art, — Je sais bien que le tort qu’ont eu mes deux amis, c’est qu’ils intitulaient leur Revue « wagnérienne », tandis que le point de vue spécial d’où ils partaient pour juger l’art, était l’exact antipode de celui d’où part Wagner : ils sont littérateurs, exclusivement littérateurs, tout art est pour eux une chose abstraite, un jeu de signes conventionnels quelconques, le théâtre idéal c’est le cerveau d’un homme isolé, qui rêve, etc… — Wagner, lui. est l’ennemi de toute littérature, parce qu’elle tue l’art ; la pensée, selon lui, ne doit pas commander aux émotions, elle doit au contraire les suivre, l’œuvre d’art n’existe réellement « qu’à l’instant de sa pleine réalisation sensuelle ». […] — se croient autorisés à porter des jugements avant d’être parvenus à une claire vue d’ensemble et de s’être abandonnés tout entiers à la loyauté des émotions profondes, — il semble qu’à tous la figure du maître se soit voilée, avec l’intelligence de son œuvre.

1075. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

§ VII L’autre, Juvénal, a tout ce qui manque à Lucrèce, la passion, l’émotion, la fièvre, la flamme tragique, l’emportement vers l’honnêteté, le rire vengeur, la personnalité, l’humanité. […] Quant au réel, nous y insistons, Sheakespeare en déborde ; partout la chair vive ; Shakespeare a l’émotion, l’instinct, le cri vrai, l’accent juste, toute la multitude humaine avec sa rumeur.

1076. (1894) Textes critiques

Mais c’est un beau livre, décors et musique, points marquant les silences où nous inscrirons nos émotions. […] Quoique nous préférions à ce tourisme des sites et monuments, sans comparaison, l’émotion esthétique de la vitesse dans le soleil et la lumière, les impressions visuelles se succédant avec assez de rapidité pour qu’on n’en retienne que la résultante et surtout qu’on vive et ne pense pas, nous ne pouvons que glorifier ce livre, série d’itinéraires pratiques avec une profusion de très bonnes photographies de tous les cyclistes depuis la porte de Suresnes jusqu’à la cathédrale de Chartres.

1077. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

Si Boileau avait écrit avec cette perfection sur un sujet sérieux, religieux ou héroïque, il aurait fait une œuvre immortelle au lieu d’une fugitive plaisanterie ; au lieu du sourire, il aurait arraché l’émotion au cœur humain. Mais c’était une de ces inspirations qui descendent et qui ne montent pas : le sourire vient de l’esprit, l’émotion vient de l’âme.

1078. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

C’est que l’émotion et la beauté y sont complètes et pour ainsi dire infinies. […] L’émotion n’est-elle pas produite ici par le Dante en quelques vers plus complétement que par tout un poème ?

1079. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

Je vous somme, au nom de Dieu, de ne nous frauder plus, ou je serai témoin contre vous en son Jugement. » Religion égarée, fanatisme opiniâtre sans doute, et sourd aux raisons de prudence et d’humaine sagesse ; appel, sous le nom du Christ, à la vengeance du sang par le sang ; générosité pourtant et grandeur d’âme, comme il en est en tout sacrifice absolu de soi : c’est ce qui respire en cette scène nocturne, digne des plus grands peintres, et d’Aubigné, qui en a senti toute l’émotion, nous l’a conservée et, on peut dire, nous l’a faite de manière à n’être point surpassé.

1080. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

ne m’approchez pas moi-même, lorsque, considérant d’un humble désir ce petit tableau hollandais, ce paysage de Winants, cette cabane de bûcheron à l’entrée d’un bois, Pauperis et tugurî congestum cespite culmen, une émotion dont je ne sais pas bien la cause me gagne et me tient là devant à rêver de paix, de silence, de condition innocente et obscure.

1081. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Sénecé ou un poète agréable. » pp. 280-297

Telle épigramme de Clément Marot sur l’exécution de Semblançay, telle de Le Brun sur La Harpe aux prises avec le grand Corneille, a de l’émotion et donne le sentiment du sublime.

1082. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

C’est là, sous la tente, qu’il écrivit ce premier discours, en se livrant cette fois à l’émotion de ses sentiments, et en raisonnant aussi sur la situation extraordinaire qui s’ouvrait à l’improviste : « Si jamais j’ai eu sujet de joindre mes regrets avec ceux de la France, c’est à la mort malheureuse de Henri le Grand, pleine de tristesse et d’accidents funeste ?

1083. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Dans la dernière moitié de l’ouvrage qui n’est pas moins étudiée ni moins exactement exprimée que la première, je signalerai un inconvénient qui a trop éclaté ; c’est que, sans que l’auteur y ait visé certainement, mais par l’effet même de sa méthode qui consiste à tout décrire et à insister sur tout ce qui se rencontre, il y a des détails bien vifs, scabreux, et qui touchent, peu s’en faut, à l’émotion des sens ; il eût absolument fallu s’arrêter en deçà.

1084. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Des prochaines élections de l’Académie. »

Lacordaire fut mort depuis près d’une semaine, et que la première émotion de cette triste nouvelle fût passée, l’Académie, assemblée un jeudi, — le premier jeudi depuis qu’on avait reçu la lettre de faire part, — leva incontinent sa séance, après cette lettre entendue.

1085. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier »

Dans ce duel inégal qu’elle soutint et qui, même avec de légers torts, fait son éternel honneur, elle ne résiste pas à César comme un Caton ni comme la femme de Brutus, elle résiste comme une femme française et de la haute société ; on voit l’émotion, le sein palpitant ; on entend la plainte.

1086. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

N’oublions pas que les hommes, y compris les femmes, ne sont pas tout d’une pièce, qu’il y a des temps d’émotion générale où une démarche, un mouvement qui ne sera pas entièrement d’accord avec l’ensemble de la ligne suivie, peut paraître la chose la plus naturelle ; et, dans ce cas-ci, le mouvement qui aurait porté Mme de Staël à écrire la lettre en question, serait infiniment honorable, et, par conséquent, digne d’elle.

1087. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Je sais la part qu’il faut faire à une première émotion, à la fougue et à l’entraînement naturels à toute jeunesse ; mais les chefs de cette jeunesse, car elle en a, ils réfléchissent plus qu’elle, et ils peuvent la conseiller.

1088. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

Ce n’est plus cette liturgie dramatique du chœur et du sanctuaire où éclate en hymnes si richement rimées et comme en rosacés magnifiques le talent et le bel esprit d’un saint Bernard ; c’est déjà le régal et l’émotion de la foule.

1089. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite) »

J’en sens l’influence dans mes ouvrages : une émotion puissante me transporte sur les hauteurs de mon sujet.

1090. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

. — Théophile Gautier a dû à Grenade et à son ciel enchanté des heures de mélancolie, — « d’une mélancolie sereine bien différente de celle du nord. » Le poète plastique, tout occupé de « donner une fête à ses yeux », et leur recommandant de bien saisir chaque forme, chaque contour des tableaux qui se développaient devant eux et qu’ils ne reverraient peut-être plus, s’y révèle avec une vivacité de sentiment et d’émotion qui témoigne d’une organisation particulière.

1091. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise par M. Taine. »

Après avoir montré avec beaucoup d’art et de finesse en quoi le langage employé dans la Princesse de Clèves est parfaitement délicat et comment il ressemble fort peu à ce qui, chez des poëtes ou des romanciers spirituels de nos jours, a été salué de la même louange ; après avoir reconnu l’accord et l’harmonie des sentiments et des émotions avec la manière de les exprimer, et avoir donné plus d’un exemple des scrupules et des exquises générosités de l’héroïne jusque dans la passion, M. 

1092. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

« Madame ma chère fille, la maladie de Mercy (l’ambassadeur) ne pouvait venir plus mal à propos ; c’est dans ce moment-ci où j’ai besoin de toute son activité et de tous vos sentiments pour moi, votre maison et patrie, et je compte entièrement que vous l’aiderez dans les représentations différentes qu’il sera peut-être obligé de vous faire sur différents objets majeurs, sur les insinuations qu’on fera de toutes parts de nos dangereuses vues, surtout de la part du roi de Prusse qui n’est pas délicat sur ses assertions, et qui souhaite depuis longtemps de se rapprocher de la France, sachant très bien que nous deux ne pouvons exister ensemble : cela ferait un changement dans notre alliance, ce qui me donnerait la mort, vous aimant si tendrement. » Quelques-unes de ces lettres sonnent véritablement l’alarme, et chaque ligne est comme palpitante de l’émotion qui l’a dictée : « Vienne, le 19 février 1778.

1093. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet »

« Il m’avait reçu d’abord avec de grandes démonstrations de joie ; mais, lorsque je fus près de le quitter, son visage vénérable se couvrit de larmes ; il me retint par mon habit, et prenant ce ton de dignité qui sied si bien à la vieillesse, s’apercevant, malgré sa cécité, de ma grande émotion, il me dit : « Attendez » ; puis il se mit à genoux, pria Dieu, et, m’imposant ses mains sur la tète, il me donna sa bénédiction. » Ce vieux soldat, Jacques Des Sauts, comme on l’appelait (probablement parce qu’il habitait près de la chute de l’Oyapock), est-il réellement l’original qui a suggéré l’idée de Chactas, également aveugle, également contemporain du siècle de Louis xiv, et qui se souvenait toujours de Fénelon, « dont il avait été l’hôte ? 

1094. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

Un célèbre poëte de nos jours, qu’on a souvent comparé à La Fontaine pour sa bonhomie aiguisée de malice, et qui a, comme lui, la gloire d’être créateur inimitable dans un genre qu’on croyait usé, le même poëte populaire qui, dans ce moment d’émotion politique, est rendu, après une trop longue captivité, a ses amis et à la France, Béranger, n’a commencé aussi que vers quarante ans à concevoir et à composer ses immortelles chansons.

1095. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Il en est sorti toutefois, il s’est mêlé depuis aux émotions contemporaines par son drame touchant de Chatterton et par ses ouvrages de prose, dans lesquels il n’a cessé de représenter, sous une forme ou sous une autre, cette pensée dont il était rempli, l’idée trop fixe du désaccord et de la lutte entre l’artiste et la société.

1096. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre IV »

M. le Dr Féré (Pathologie des émotions, préface) a retrouvé d’ailleurs la filiation bibliographique de cet épisode, il fut signalé au célèbre écrivain par le Dr Liouville qui lui même l’avait découvert dans une note déjà très ancienne de la Gazette des Hôpitaux.

1097. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Il faut consacrer le goût en littérature à l’ornement des idées ; son utilité n’en sera pas moins grande ; car il est prouvé que les idées les plus profondes, et les sentiments les plus nobles ne produisent aucun effet, si des défauts de goût remarquables détournent l’attention, brisent l’enchaînement des pensées, ou déconcertent la suite d’émotions qui conduit votre esprit à de grands résultats, et votre âme à des impressions durables.

1098. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VI. De la philosophie » pp. 513-542

L’instinct et la raison nous enseignent la même morale : la Providence a répété deux fois à l’homme les vérités les plus importantes, afin qu’elles ne pussent échapper ni aux émotions de son âme, ni aux recherches de son esprit.

1099. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

Rhétoriciens excellents — mais purs rhétoriciens, — ils font apparaître les anciens, et même Homère, Comme d’incomparables maîtres de rhétorique : en dix ans de commerce assidu avec les chefs-d’œuvre latins ou grecs, un jeune homme acquiert un trésor de pensées belles à citer dans leur forme parfaite, et l’art d’étendre lui-même des lieux communs ou de les condenser en sentences ; jamais il n’aura senti vivre dans un texte grec l’âme de la Grèce, ou de tel Grec ; il ne se doutera pas qu’on peut tirer d’une phrase d’orateur ou d’une période poétique des émotions aussi profondes et de même ordre que celles qu’excite un temple ou une statue.

1100. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

Il s’en faut pourtant qu’il soit indifférent ; il a l’émotion que donne la vue du désordre à l’historien de l’ordre.

1101. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Mais quoique les éléments psychiques, les idées, les désirs, les émotions et l’immense foule obscure d’états inconscients ou presque inconscients qui les soutient soient mieux harmonisés dans l’individu que les hommes dans la société, cependant les conflits sont continuels parmi eux.

1102. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « La génération symboliste » pp. 34-56

Ce livre produit une émotion considérable.

1103. (1886) De la littérature comparée

Je pourrais dire aussi de quelles émotions et de quelles craintes est remplie pour moi l’heure d’aujourd’hui : vous voudrez bien me dispenser de traduire un sentiment dont l’expression serait nécessairement banale, mais dont vous comprenez, j’en suis sûr, la sincérité, vous qui avez connu l’homme éminent qui m’a précédé dans cette chaire.

1104. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VI. Pour clientèle catholique »

Comme on évoque, avec leur escorte d’émotions incertaines, les heures où l’on ne distinguait pas encore dans la bien-aimée la courtisane ou l’empoisonneuse, je reviens au passé frémissant de Léon Daudet, à l’époque où je l’aimais d’espérance.

1105. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

L’attente était au comble de l’émotion et de la terreur.

1106. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

Pourtant, tout avertit qu’on est dans un monde imaginaire : ces personnages s’attendrissent pour rien ; leurs genoux fléchissent, ils soupirent, ils chancellent sans qu’il y ait de quoi ; l’émotion prodiguée n’est que dans les mots.

1107. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Ce spectacle me causait une émotion profonde : en voyant les hommes encore bons sur un sol bouleversé et teint de sang, j’ai souvent eu peine à retenir mes larmes.

1108. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le surintendant Fouquet. (Article Fouquet, dans l’Histoire de Colbert, par M. P. Clément.) 1846. » pp. 294-312

On a la gazette et le compte rendu du procès par Mme de Sévigné pendant les cinq semaines que dura l’interrogatoire et que l’accusé fut sur la sellette (14 novembre — 20 décembre 1664) ; elle rend compte jour par jour des moindres incidents et des diverses émotions à M. de Pomponne, cet ami de Fouquet, et enveloppé alors dans sa disgrâce : Aujourd’hui (18 novembre), notre cher ami est encore allé sur la sellette.

1109. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

Guizot, qu’on juge de l’effet, de l’intérêt du spectacle mêlé à la satisfaction de l’esprit ; qu’on y répande cette émotion générale et communicative qui régnait aisément pendant toute cette fin de la Restauration, et qui faisait croire à l’unité d’une opinion publique à la fois juste et puissante, et l’on comprendra ce qu’ont été ces fêtes de l’intelligence, dont les livres mêmes qui en sont sortis ne donnent qu’une idée froide et décolorée.

1110. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Étienne, ou une émeute littéraire sous l’Empire. » pp. 474-493

Il y avait une petite intention de mazarinades sous cet appareil d’émotion littéraire.

1111. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Les Faux Démétrius. Épisode de l’histoire de Russie, par M. Mérimée » pp. 371-388

L’histoire de l’abbé Prévost commence déjà elle-même à ne plus être de notre temps ni de notre civilisation ; on passe encore sur le manque de cœur de Manon, mais il est difficile de pardonner l’avilissement du chevalier, et il faut le parfait naturel de l’auteur pour nous amener à l’émotion à travers les scènes dégradantes où il nous conduit.

1112. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

Sortira-t-il de la lutte amoindri et tant soit peu diminué en définitive, et cette belle poésie première de Lamartine, qui a excité tant d’émotions, fera-t-elle baisser d’un cran la sienne, si naturelle, si précise et si parlante ?

1113. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre V. Le génie et la folie »

Il n’y a rien de si facile que de se faire illusion sur l’importance de certaines idées, lorsqu’elles sont exprimées avec une certaine émotion et dans des conditions extraordinaires.

1114. (1912) Le vers libre pp. 5-41

Sous l’appel de l’émotion, les leitmotiv peuvent être précipités, ainsi on peut rimer en fin de vers et de la même rime une strophe ou diluer les rappels de sonorités à intervalles lointains dans le corps du poème, selon le sens et le goût, surtout d’après le sens (les rappels pour le sens sont nécessaires), mais aussi en arabesque, selon les timbres, les consonances, les allitérations, au gré du poète, à distance du machinalisme et de l’écholalie.

1115. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Michelet »

Trublet leste, jamais ennuyeux comme le bêta dont se moquait Voltaire, mais comique plutôt ; car il a l’impayable émotion de cette science acquise hier et si contente d’être aujourd’hui, qui, comme l’Ève de Milton, mais plus drôle qu’elle, se régale des premières ivresses de la vie !

1116. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

et, malgré le sophisme qui y rase de si près l’émotion, son livre, voyez-vous !

1117. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Cette miss aimait à parler des soldats de son pays : et elle le faisait si fièrement et avec une telle émotion, que la voix lui manquait à la fin, et elle fondait en larmes. […] Pour moi, ils ne font là que rehausser la qualité de l’émotion. […] * … Un professeur qui se mêle de théâtre éprouve-t-il la plus grande émotion de sa vie le jour où il parvient à franchir le seuil d’une loge d’actrice ? […] … Depuis quelques années, mon émotion n’est plus qu’une pensée triste, âpre et souriante à la fois… Sur la table, dans un vase grossier, — un bouquet. […] Je fus cet homme ce jour-là et j’allumai avec émotion le mince cierge fuselé devant l’image, récemment revernie, du grand Saint-Georges.

1118. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Guizot a raconté la même histoire ; mais vous reconnaissez dans son livre le jugement calme et l’émotion impartiale d’un philosophe. […] La véritable éloquence est celle qui achève ainsi le raisonnement par l’émotion, qui reproduit par l’unité de la passion l’unité des événements, qui répète le mouvement et l’enchaînement des faits par le mouvement et l’enchaînement des idées. […] Là, Siddons, dans toute la fleur de sa majestueuse beauté, regardait avec émotion une scène qui surpassait toutes les imitations du théâtre.

1119. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLe entretien. L’homme de lettres »

Ensuite elle ouvrit son coffre et en tira un verre ébréché, qu’elle posa doucement auprès de son hôte, en lui disant: « C’est celui de votre mère. » Il le reconnut en effet, et cette vue le remplit d’une telle émotion, qu’il ne pouvait manger et que des larmes involontaires venaient mouiller ses yeux. […] Assis à ses côtés, il ne regrettait ni les grandeurs de la Russie ni les délices de la Pologne ; ce qu’il eût voulu ressaisir de lui-même, c’étaient les premières émotions de son enfance et les mouvements si purs d’une âme encore innocente. […] On n’éprouve ni émotion ni surprise.

1120. (1904) Zangwill pp. 7-90

Au nord »,… Circuit, le mot n’est pas de moi, le mot est de Taine ; cette méthode est proprement la méthode de la grande ceinture ; si vous voulez connaître Paris, commencez par tourner ; circulez de Chartres sur Montargis, et retour ; c’est la méthode des vibrations concentriques, en commençant par la vibration la plus circonférentielle, la plus éloignée du centre, la plus étrangère ; en admettant qu’on puisse obtenir jamais, pour commencer, cette vibration la plus circonférentielle ; car on voit bien comment des vibrations partent d’un centre, connu ; on ne voit pas comment obtenir la vibration la plus circonférentielle, ni même comment se la représenter, si le centre est par définition non connu, et si un cercle ne se conçoit point sans un centre connu ; pétition de principe ; c’est le contraire de ce qui se passe pour les ondes sonores, électriques, optiques, pour toutes les ondes qui se meuvent partant de leur point d’émission ; c’est le contraire de ce qui se passe quand on jette une pierre dans l’eau ; c’est une spirale commencée par le bout le plus éloigné du centre ; à condition qu’on tienne ce bout ; ce sont les vastes tournoiements plans de l’aigle, moins l’acuité du regard, et le coup de sonde, et, au centre, la saisie ; je découpe ici mon exemplaire, et je cite au long, pour que l’on voie, pour que l’on mesure, sur cet exemple éminent, toute la longueur du circuit : « Au nord, l’Océan bat les falaises blanchâtres ou noie les terres plates ; les coups de ce bélier monotone qui heurte obstinément la grève, l’entassement de ces eaux stériles qui assiègent l’embouchure des fleuves, la joie des vagues indomptées qui s’entre-choquent follement sur la plaine sans limites, font descendre au fond du cœur des émotions tragiques ; la mer est un hôte disproportionné et sauvage dont le voisinage laisse toujours dans l’homme un fond d’inquiétude et d’accablement. — En avançant vers l’est, vous rencontrez la grasse Flandre, antique nourrice de la vie corporelle, ses plaines immenses toutes regorgeantes d’une abondance grossière, ses prairies peuplées de troupeaux couchés qui ruminent, ses larges fleuves qui tournoient paisiblement à pleins bords sous les bateaux chargés, ses nuages noirâtres tachés de blancheurs éclatantes qui abattent incessamment leurs averses sur la verdure, son ciel changeant, plein de violents contrastes, et qui répand une beauté poétique sur sa lourde fécondité. — Au sortir de ce grand potager, le Rhin apparaît, et l’on remonte vers la France. […] On peut sortir en toute saison, vivre dehors sans trop pâtir ; les impressions extrêmes ne viennent point émousser les sens ou concentrer la sensibilité ; l’homme n’est point alourdi ni exalté ; pour sentir, il n’a pas besoin de violentes secousses et il n’est pas propre aux grandes émotions. […] Il n’en raisonne point, il n’arrive point à des jugements nets ; mais toutes ces émotions sourdes, semblables aux bruissements innombrables et imperceptibles de la campagne, s’assemblent pour faire ce ton habituel de l’âme que nous appelons le caractère.

1121. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

Évidemment, ce sont encore là les spectacles d’un peuple enfant, que l’on surprend par la brutalité naïve des émotions, que l’on soulève par le gros rire, que l’on enchante par l’éblouissement des yeux et les splendeurs de la mise en scène. […] Et quand les contemporains de Corneille, quand Saint-Évremond, par exemple, ou Mme de Sévigné, résistaient à l’enthousiasme de la jeune cour pour le jeune poète, quand ils résistaient même contre leur propre émotion, ce n’était pas seulement le cher souvenir de leur propre jeunesse qu’ils aimaient en Corneille, c’était vraiment un autre théâtre, d’autres mœurs dramatiques, et d’autres sources d’inspiration. […] C’est ici qu’il faut se souvenir de la leçon de Molière et ne pas discuter son plaisir ou chicaner son émotion. […] S’il est vrai que la profondeur de la conception, que la perfection de la forme, que l’émotion et la sincérité du sentiment aient fait défaut à Voltaire, d’autres les ont possédées, dans l’histoire de notre littérature et de notre race, d’autres à qui n’a manqué presque aucune des qualités du génie de Voltaire, mais qui, par un accord heureux, n’ont oublié d’y joindre ni la décence du langage, ni la probité du caractère, ni la dignité de la vie. […] Nul siècle n’a été plus complètement dénué de poésie : dans Voltaire lui-même, combien trouvera-t-on de vers qui partent du cœur, combien d’émotions vraiment vécues ?

1122. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

Les sentiments, les émotions sincères ne sont pas des articles de commande. […] Après ces longues courses, dont il retraça les émotions dans ses Souvenirs d’Orient, etc., un besoin de villégiature bourgeoise le prit, mais alors il ne put éviter l’ennui, l’ennui, ce désespoir de toute heure. […] C’est un fac-similé de la nature, soit ; mais cela vous donne-t-il la millième partie de l’émotion que produit sur vous le spectacle de la nature ? […] Qu’une symphonie captive un peintre et un romancier, et l’émotion du premier prendra urne tournure picturale, tandis que celle du second prendra une tournure littéraire.

1123. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

Sachant tout cela, ce n’est pas sans émotion que j’ai lu la phrase que je viens de citer. […] Content de gagner, il n’est pas extrêmement contristé par la perte, et même n’est pas toujours sans y trouver une âpre émotion. […] C’est de l’amour triste, mais c’est encore de l’amour, et cela vaut mieux que rien pour ces fanatiques de l’émotion. Chez certains sujets, ce besoin d’émotion est si violent qu’il veut se satisfaire malgré tous les obstacles, en dépit de toutes les souffrances. […] Que l’on songe aussi à la théorie de l’expression des émotions de Darwin, où presque tous les mouvements faciaux de l’animalité aboutissent au visage humain.

1124. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

Mais, avant d’entrer dans ce morne désert, qu’est l’histoire de France depuis vingt-cinq ans, elle a été secouée par une émotion dont elle ressentira toujours le contrecoup. […] Il fut conduit, un soir, par son ami Adolphe de Leuven, dans la loge de Talma, et il manqua de défaillir d’émotion en voyant, réunies dans cet étroit espace, toutes les gloires dont l’éclat et le bruit lui faisaient envie. […] La verve de ce récit est un peu trop exempte d’émotion. […] Il éprouva, dans cet instant, l’émotion que ressent un amoureux lorsqu’il rencontre une ancienne maîtresse dont il se croyait abandonné. […] Ceux qui connaissent leurs vases n’en voient que le dessin, la belle composition régulière, le mérite classique ; il reste à retrouver le coloris, l’émotion, la vie… » Plus récemment, M. 

1125. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Habituellement, et quand il a la plume à la mainj, il est vrai de dire que ce genre d’émotion et d’inspiration lui est étranger.

1126. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Cette délicieuse petite pièce dit tout, la joie et l’émotion pure de Cowper entre ces deux femmes, leur union passagère et fragile, et la rose qui se brise par mégarde, avant que l’une ait achevé de l’offrir à l’autre.

1127. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance inédite de Mme du Deffand, précédée d’une notice, par M. le marquis de Sainte-Aulaire. » pp. 218-237

Je viens vous rendre ce qui est à vous… » On peut juger de l’émotion de Mme de Choiseul en racontant cette visite inattendue ; des larmes altéraient sa voix.

1128. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire. »

Mais pourtant, en ce qui est de Shakespeare, la bataille semble bien gagnée en effet ; on vient, on applaudit, on s’intéresse, on frémit de bon cœur, on ne se scandalise plus ; la bataille est gagnée, dis-je ; mais qui nous rendra l’heure brûlante et l’émotion du combat ?

1129. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

« Ces préparatifs peuvent n’avoir rien d’horrible, lorsque l’homme, altéré par la haine ou le ressentiment, a soif de la vengeance ; mais, lorsque le cœur est sans fiel et que l’imagination n’a pas usé toutes les douces émotions, il faut, pour ne pas s’effrayer de la pensée toujours affreuse d’un duel, toute la force d’un préjugé qui résiste aux lois mêmes qui le condamnent. » Le duel, malgré sa menace, n’a rien ici de fratricide : le pistolet à la main, Émile fait des excuses à Édouard ; un témoin s’en étonne à haute voix plus qu’il ne convient, et c’est lui qu’Émile choisit à l’instant pour adversaire, priant Édouard lui-même de lui servir de témoin.

1130. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite et fin.) »

Pope s’est montré trop artificiel en traduisant Homère, mais ce qui n’était pas artificiel, c’était son émotion sincère en le lisant.

1131. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

J’avoue que le frisson d’horreur me reprit plus que jamais à cette idée ; mais comme, en le voyant, on pouvait résumer en une demi-heure beaucoup d’idées dont il faudrait rechercher le détail en cent lettres éparses, et qu’on pouvait s’entendre et se concerter sur toute chose une bonne fois pour toutes, j’ai consenti à une entrevue secrète, j’ai donc vu le monstre ces jours derniers avec une émotion à être malade, mais que son langage a bien vite contre-balancée sur le moment.

1132. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

Pour moi, je reste froid ; je ne puis entrer dans cette émotion à la lecture : l’habitude n’y est pas.

1133. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

De quelque côté qu’on la prenne et qu’on essaye de la retourner, l’action n’est pas belle ; c’est une perfidie, et si l’espèce de fureur dont est saisi Saint-Simon toutes les fois qu’il y revient peut faire sourire, n’oublions pas qu’il est meilleur juge que personne de la noirceur du tour, puisqu’il savait seul à quel semblant de bonne grâce, d’émotion et de tendresse à son égard s’était portée, dans le tête-à-tête, la reconnaissance du duc de Noailles pour les offices généreux qu’il lui avait rendus.

1134. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Pourquoi se retrancher, s’interdire à soi et aux autres, quand il y a lieu, l’agrément, l’émotion bienfaisante et salutaire ?

1135. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

» Cependant, si invulnérable qu’il affectât de paraître, il n’était pas tout à fait à l’abri du côté où il se gardait le moins : devant les colères foudroyantes de Napoléon, il ne témoignait point la moindre émotion ; mais quand Louis XVIII, à Mons, déjà en voiture pour rentrer en France, vers trois heures du matin, le remercia gravement et lui signifia qu’il se passait de lui comme ministre, Talleyrand fut un moment décontenancé.

1136. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

Ses sentiments affectifs trouvèrent à s’employer sans contrainte dans le foyer domestique ; les événements de la Révolution commencèrent bientôt de les distraire et d’y introduire des émotions nouvelles.

1137. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

Sa mission est de faire aspirer les hommes au monde invisible et supérieur, de faire proférer le nom suprême à toute chose, même muette, et de remplir toutes les émotions qu’il suscite dans l’esprit ou dans le cœur de je ne sais quel pressentiment immortel et infini, qui est l’atmosphère et comme l’élément invisible de la Divinité.

1138. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIIe entretien. Tacite (1re partie) » pp. 57-103

Tacite raconte la sédition des prétoriens à la vue d’Othon, en homme qui a vu les émotions populaires et les défections soldatesques.

1139. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

On appelle de ce nom au xviiie  siècle la réflexion de l’intelligence sur les émotions, réelles ou possibles, de la sensibilité : c’est moins le sentiment que la conscience et surtout la notion du sentiment.

1140. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Henry Rabusson »

Il n’y a aucune émotion dans ses romans.

1141. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

Ce n’est pas à nous de discuter ici ce sentiment, et de voir s’il n’introduit pas dans la parole sacrée, au milieu de beaucoup d’émotion et d’éclat, quelque prestige.

1142. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Ces impressions de l’enfance, ressaisies plus tard dans les jugements ou dans les peintures, s’y font sentir par un fonds d’émotion singulière, et sont précisément ce qui y donne la finesse et la vie.

1143. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Son organisation, délicate et faite pour le bonheur, n’avait pu résister à l’ébranlement de tant d’émotions.

1144. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Il avait reçu de la nature, nous dit son fils, un cœur délicat et sensible, avec un sang vif qui s’allumait aisément ; et, comme la promptitude n’est pas incompatible avec la plus grande bonté, il aurait pu être fort prompt, s’il se fût laissé aller à son tempérament ; mais ce n’était que son visage qui trahissait, malgré lui, une émotion entièrement involontaire.

1145. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

Pour nous tirer de l’émotion présente, pour reprendre un peu de lucidité et de mesure dans nos jugements, relisons chaque soir une page de Montaigne.

1146. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

Il n’eut que le temps d’écrire une première lettre où se trahit une émotion violente ; il s’excuse, il se justifie ; il a parlé de Voltaire, dit-il, comme il eût parlé d’un classique, d’un ancien ; il a parlé de Zulime comme il eût fait de l’Othon de Corneille, sans prétendre rabaisser le génie du poète lui-même.

1147. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « De la poésie et des poètes en 1852. » pp. 380-400

Qu’il nous permette d’ajouter que la grandeur et l’élévation dont il fait preuve si aisément, et qui lui sont familières, amènent bientôt quelque froideur ; il n’a pas assez d’émotion et de ces cris qui font songer qu’on est un homme d’ici-bas ; il n’a pas assez de ce dont M. de Musset a trop64.

1148. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame Sophie Gay. » pp. 64-83

Ne connaissant l’amour que par récit, le premier qui leur en parle émeut toujours leur cœur en leur inspirant de la reconnaissance ; et, dupes de cette émotion, elles prennent le plaisir de plaire pour le bonheur d’aimer.

1149. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Saint François de Sales. Son portrait littéraire au tome Ier de l’Histoire de la littérature française à l’étranger par M. Sayous. 1853. » pp. 266-286

Je remarquerai seulement, pour achever notre vue de saint François de Sales, que Mme de Chantal, ainsi que tous ceux qui ont parlé de lui, n’oublient jamais un certain éclat que l’on voyait reluire sur son visage aux heures de recueillement et de prière, une splendeur radieuse qui, sous la contenance pacifique, trahissait l’émotion profonde du dedans.

1150. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1880 » pp. 100-128

Et je me rappelais, avec une douloureuse émotion, la larme tremblante au bout d’un de ses cils, quand Flaubert m’embrassa en me disant adieu, au seuil de sa porte, il y a quelques semaines.

1151. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers libre  »

Le poète, qui se croyait tenu à de certaines règles typographiques, s’est dégagé de ces règles et aussi de la rime obligatoire ; au lieu de chercher, par la rime, à donner l’illusion qu’il perpétuait la tradition de l’alexandrin, il se libère et d’un usage absurde et du souci de duper l’oreille ; maintenant il coupe le vers, non plus au commandement du nombre Douze, mais quand le sens s’y prête, d’accord avec un rythme secret et propre à dire une émotion particulière ; s’il use de la rime ou de l’assonance, c’est en vue soit de renforcer le rythme, soit de donner à la pensée une signification plus musicale.

1152. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

. — Les autres préfèrent voir l’homme et l’artiste tout à la fois, et si l’âme de l’instrument se réfléchit dans sa physionomie, leur émotion en est doublée.

1153. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre V. Séductions pour la compréhension de la psychologie indigène. — Conclusion »

A côté du désir sexuel, il y a place pour l’amour véritable, né d’une émotion esthétique en présence de la beauté soit physique soit morale.

1154. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

et nos poètes n’ont-ils pas incessamment puisé dans ces inépuisables sources d’émotions profondes ?

1155. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

Dans cette Histoire des Pays-Bas, qui rappelle les histoires de cet historien, si gravement terne, et où il se trouve trois ou quatre grandes figures qu’elle devrait aimer et trois ou quatre autres qu’elle devrait haïr et qu’elle décrit sans émotion quelconque, a-t-elle, une seule fois  accouché, frémissante, d’une page chaude ?

1156. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Saint-Bonnet » pp. 1-28

Dans ce livre métaphysico-théologique, la beauté du style qu’il s’y permet est adéquate à la beauté de la pensée, et le tout tremble d’une émotion adorable, que ceux qui n’aiment pas Dieu comme cette âme privilégiée comprendront, s’ils sont capables d’un autre amour.

1157. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

« Heureux, ajoute-t-il, qui s’en tient aux seules émotions de l’âme, aux habitudes du foyer, aux simples soirs du pays natal… mais combien pourraient dans la vie et dans l’art négliger la science et impunément se passer d’elle ? 

1158. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iii »

Elle est dans le ciel, dans les cœurs, et crée une émotion de fraternité.

1159. (1900) La province dans le roman pp. 113-140

Mais la nouveauté de tels romans, je le répète, serait due à d’autres causes plus profondes, et d’abord à cette constatation que la vie humaine est partout digne du même intérêt, capable de provoquer les mêmes émotions, les mêmes colères, les mêmes admirations.

1160. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

Là même, vous le savez, une émotion poétique, plus forte que son abstraite doctrine, le ramène aux crédulités du culte national.

1161. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIII. »

Et quand, pour accabler cette nation Il désabusée, les rois, comme des démons mis en ligne par la baguette d’un enchanteur, marchèrent au combat dans un mauvais jour, et que la Grande-Bretagne se joignit au funeste armement, quoique bien des amitiés, bien de jeunes amours, eussent soulevé en moi l’émotion patriotique et fait briller sur nos collines et nos forêts une magique lumière, cependant ma voix non changée dénonça défaite à tous ceux qui braveraient la lance levée contre les tyrans, et prédit la honte à leur retraite impuissante et tardive.

1162. (1900) La vie et les livres. Cinquième série pp. 1-352

S’il a écrit dès l’âge, le plus tendre, ce fut simplement pour fixer les émotions qui ont inquiété son cœur, ou bien pour arrêter au vol les spectacles qui hantaient ses yeux. […] Autour d’eux, il groupe, avec beaucoup d’art et d’émotion reconnaissante, les braves gens qui furent pour eux ce qu’ont été pour lui ses chefs et ses camarades de l’armée d’Afrique : par exemple, ces capitaines des régiments de Picardie et de Piémont, qu’on appelait à l’armée de Rocroi, les « petits vieux » ; le marquis de la Barre, excellent artilleur ; le vénérable Gassion, cuirassier insigne ; le beau Bois-Dauphin, tué devant Dunkerque ; Baradat, ancien chanoine devenu capitaine de cavalerie ; le gros Senneterre, qui, blessé à la cuisse, se faisait attacher sur son arçon ; tant d’autres, qui faisaient la « guerre en dentelles », et qui auraient pu chanter cette vieille chanson de route : Messieurs les maîtres, dit Lauzun, Assurez vos chapeaux chacun, Nous allons charger en bataille. […] Selon Ruskin, l’Italie est faite pour procurer aux Anglais des émotions esthétiques et des impressions morales. […] André Theuriet fut novateur par ses émotions de sylvain modéré et de faune tranquille.

1163. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

Et l’art n’empêche pas l’émotion ; je ne dis pas qu’il la seconde : il lui est docile. […] Mais pas de vaines émotions ! […] L’émotion qui l’étreint, toute une foule bienfaisante l’éprouve. […] L’émotion le débarrasse de toute coquetterie empruntée ; il n’a plus besoin de personne. […] Des chefs-d’œuvre d’émotion.

1164. (1923) Nouvelles études et autres figures

Asin a cités, et dont plusieurs sont fort beaux, pas un ne m’a donné l’émotion dont m’étreignent deux vers de Dante. […] Il remplace le plus possible l’image par l’émotion ; et l’épithète morale prolonge la sensation que l’épithète de couleur circonscrit et emprisonne. […] Mats tous les bruits sont notés, le mouvement est rendu, l’atmosphère morale créée ; et aucune image ne serait plus prenante que l’émotion des dernières lignes qui nous jettent dans la rêverie. […] Mais l’émotion qui nous étreint vient aussi du problème que posent tous les drames de l’amour et qui n’est autre que celui de la liberté humaine. […] Ses analyses sont des interprétations, en même temps que la confidence de ses émotions.

1165. (1890) Les romanciers d’aujourd’hui pp. -357

Daudet, dans L’Immortel cette misanthropie y laisse encore une petite place à l’émotion ; il y a le coin des larmes jusque dans cette œuvre de colère. C’est par là qu’il nous prendra toujours, et il ne faut point chercher ailleurs que dans l’émotion le secret de ce charme extraordinaire qui lui attache toutes les âmes sentimentales ou passionnées de ce temps. […] Enfin, l’acuité de vision et la facilité de notation, qui sont, à défaut d’émotion, ses vertus marquantes, font de M.  […] Nous emprunterions aux Russes cette foi, cette émotion, cette pitié sincère pour les humbles, ce souci passionné des hauts mystères qui rachète leur amour pour l’inconscient et l’obscur ; nous leur donnerions en retour nos habitudes de précision et de méthode. […] Son talent, éclairé et façonné par ces émotions intimes, prenait la couleur et le contour, sans qu’il sût positivement ce qu’il faisait, sans qu’il se fatiguât en efforts. » 82.

1166. (1908) Après le naturalisme

C’est notre émotion qui en décrète. Pour les âmes supérieures et de haute connaissance, le genre d’émotion s’élève. […] Une émotion forte les poussera davantage à la résolution.

1167. (1896) La vie et les livres. Troisième série pp. 1-336

À Dieu ne plaise que j’attribue à Wordsworth, à Lamartine les émotions ni les sensations qu’il a chantées ! […] Pour moi, c’est un bonheur qui m’étourdit : c’est une émotion physique. […] Déjà désabusée, incapable décoléré, blasée d’émotion, vaccinée contre la colère par le spectacle quotidien de la pleutrerie ? […] Œuvre digne de respect, pourtant, et d’émotion. […] Vraiment l’émotion de pensée enivre l’admirateur.

1168. (1888) Études sur le XIXe siècle

« Aujourd’hui, 20 décembre 1871, recroquevillé devant le foyer et les membres raidis, je me rappelle avec émotion les scènes d’une vie passée où tout souriait, au plus magnifique spectacle que j’ai jamais vu !  […] » D’ailleurs, les Mille avançaient de succès en succès : Calatafimi, Palerme, Milazzo, Garibaldi rappelle tous ces noms avec une dramatique émotion. […] Le récit de son entrevue avec Victor Hugo est plus caractéristique encore : pour traduire son émotion au moment où la gouvernante du poète vient lui annoncer qu’il serait reçu, M. de Amicis est obligé de remonter jusqu’à ses années de collégien, quand, après une longue attente, il voyait sortir de la salle des délibérations un secrétaire qui lui disait : « Admis !  […] Mais M. de Amicis l’accepte tout de même et en prend occasion, soit dit en passant, pour écrire quelques-unes de ses meilleures pages : de même que les grandes émotions semblent lui être interdites, de même il n’est à l’aise que dans les cadres resserrés. […] Il choisit de très petits sujets attendrissants, puis il les divise méthodiquement en très petits chapitres, et il les traite avec un luxe inouï de détails sur un ton de perpétuelle émotion.

1169. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

Tout cela fût tombé à froid devant la chaleureuse émotion de M. de  Vigny. […] On n’abrége pas l’émotion, on n’analyse pas une larme.

1170. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

La conversation fut enjouée et variée ; toutes les cloches de la ville cependant commençaient à retentir ; madame de Goethe me regardait ; nous parlions à haute voix, pour éviter que ces sons de mort ne l’ébranlassent douloureusement, car nous pensions qu’il partageait nos émotions. […] … « Trop d’émotions et de souvenirs se pressaient dans son âme ; il ne put se maîtriser, et des larmes abondantes s’échappèrent de ses yeux. »

1171. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

On ne peut lire sans émotion ce court Essai sur la destinée des gens d’église37, où il montre, avec tant d’esprit et tant d’amertume, le succès assuré de la médiocrité servile et universellement bienveillante de Corusodes et l’abaissement d’Eugenio, opprimé par son talent. […] La politique, rabaissée dans le voyage de Lilliput aux débats d’une fourmilière, disparaît devant la calme sagesse des habitants de Brobdingnag et de ce roi philosophe qui, prenant dans sa main et caressant doucement le panégyriste éloquent des institutions et des mœurs de l’Angleterre, lui dit, sans émotion, que d’après ses propres peintures, « la plupart de ses compatriotes sont la plus pernicieuse vermine à qui la nature ait jamais permis de ramper sur la surface de la terre ».

1172. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

Il faut avoir partagé l’émotion de cette soirée, dramatique, s’il en fut, pour arriver à un juste idée de ce que peut être une réunion d’honnêtes gens qui aiment sincèrement les beaux-arts. […] ainsi l’émotion était double.

1173. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

J’avoue que peu de choses, depuis que je vis, m’ont autant consolé de vivre et m’ont rendu plus d’estime pour mon pays, et surtout pour la saine multitude de mon pays, que cette émotion de Paris et que ces funérailles ! […] Ce cœur, véritablement collectif, était le cœur d’un pays plus encore que le cœur d’un homme ; tout y vibrait d’une émotion plus universelle que personnelle.

1174. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

, il affirme de plus en plus son mode personnel, par la richesse des images, la subtilité des sensations, la vision nette des contours et des couleurs ; à la magnificence de l’expression, il joint un art raffiné et sévère ; peu ou pas d’idées, des émotions purement sensuelles, mais enfin c’est la jeunesse enivrée de soleil et d’amour ; sa forme, toute vibrante d’énergie contenue, semble une lame d’acier au poing d’un conquérant. […] Quand le sujet s’y prête, et quand le poète est pourvu du lyrisme nécessaire, les chœurs apportent une sorte de détente psychologique, une émotion nouvelle, et contribuent à la beauté architecturale de l’ensemble ; mais on ne saurait en faire une obligation ; leur emploi judicieux sera même restreint par la force des choses.

1175. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — II. (Fin.) » pp. 452-472

Quelques lettres même, les dernières, ont des accents d’émotion qu’on n’attendrait pas ; celle qu’il écrit à lord Sheffield à la première nouvelle de son malheur, et au moment de partir pour le rejoindre, est belle et touchante ; on dirait presque qu’un éclair de religion y a passé.

1176. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

Personne mieux que moi ne peut comprendre, ma chère Louise, ce que vous avez dû sentir à Heidelberg ; je ne peux pas y songer sans la plus vive émotion ; mais je ne veux pas en parler ce soir, cela me rend trop triste et m’empêcherait de dormir.

1177. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

J’ai distingué des passages propres à causer l’émotion la plus vive, s’ils m’eussent été présentés avec la magie du vers, ainsi qu’ils doivent l’être dans l’original.

1178. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — I » pp. 139-158

En les lisant, on n’y retrouve pas seulement l’affectueuse émotion qui serait dans le cœur de bien des fils à la vue de ce qui ramène vers les années heureuses, mais on y reconnaît aussi ce qu’il y avait de particulièrement sensible, de tendrement sensitif et douloureux dans cette nature de Cowper, qui avait avant tout besoin de la tiédeur et de l’abri du nid domestique : En recevant le portrait de ma mère Oh !

1179. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — II » pp. 316-336

Le tout se faisait avec accompagnement d’assemblées et avec tenue habituelle de colloques, comme il était nécessaire dans une entreprise républicaine, et qui s’appuie non seulement sur le consentement, mais sur l’émotion des peuples.

1180. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Maine de Biran. Sa vie et ses pensées, publiées par M. Ernest Naville. » pp. 304-323

Il serait temps de rejeter à leur place, c’est-à-dire dans quelque note finale imperceptible, ces interminables histoires de papiers, ces aventures et odyssées d’une malle, ces pistes perdues et retrouvées, qui donnent des émotions à l’éditeur, mais auxquelles le public est parfaitement indifférent.

1181. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Merlin de Thionville et la Chartreuse du Val-Saint-Pierre. »

Dom Colignon m’avait préparé à cette scène par ses leçons : il ne parut pas s’apercevoir de mon émotion.

1182. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

On devine bientôt le secret : la mère d’Aurélie, séparée de son mari par incompatibilité d’humeur et par ennui de se voir incomprise, est une personne célèbre, qui a fait le contraire de ce que Périclès recommandait aux veuves athéniennes, qui a fait beaucoup parler d’elle, qui a demandé à ses talents la renommée et l’éclat, à ses passions les émotions et l’enivrement à défaut de bonheur.

1183. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid(suite et fin.)  »

Elle espère bien qu’il sera vainqueur, elle veut qu’il l’espère aussi ; elle va lui faire voir qu’elle le désire, mais par degrés et comme sous le coup d’une contrainte morale : et lui qui a le soupçon, et plus que le soupçon, de ce désir qu’elle forme, il vient, je le répète, moins pour s’en assurer (car au fond il en est sûr) que pour s’en donner l’émotion, la joie et l’orgueil, et il est résolu à le lui faire dire nettement.

1184. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

En quittant la terre natale et au moment de franchir la frontière de l’empire, probablement à Augsbourg, la jeune princesse écrit à son auguste mère une lettre remplie des meilleurs et des plus naturels sentiments : « Madame ma chère mère, « Je ne quitte pas sans une vive émotion et un serrement de cœur la dernière ville frontière de votre empire ; avant de traverser les derniers États qui me séparent de ma nouvelle patrie, je demande à couvrir vos mains de mes baisers et vous remercier comme je le sens pour toutes les bontés maternelles dont vous m’avez entourée.

1185. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite.) »

Je secouai toutes mes préventions, tous mes doutes, et me voilà partageant son émotion, louant ses projets, son courage, exaltant ses moyens ; mais ma péroraison le mit en colère : « Vous réparerez mieux que personne, lui dis-je, le mal que vous avez fait. » — « Non », me répondit-il en relevant la tête, « je n’ai pas fait le mal volontairement : j’ai subi le joug des circonstances où je me suis trouvé malgré moi.

1186. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Les métaphores elles-mêmes, les images prolongées qui ne sont en jeu que pour traduire une pensée ou une émotion, n’ont pas toujours besoin d’une rigueur, d’une analogie continue, qui, en les rendant plus irréprochables aux yeux, les roidit, les matérialise trop, les dépayse de l’esprit où elles sont nées et auquel, en définitive, elles s’adressent ; l’esprit souvent se complaît mieux à les entendre à demi-mot, à les combler dans leurs négligences ; il y met du sien, il les achève.

1187. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

Bailly, le grave Bailly, en son Éloge de Gresset (car Bailly a fait l’Éloge de Gresset, et il eut même pour concurrent Robespierre), a très-finement déduit comme quoi ce gracieux petit poème n’est qu’un transparent à travers lequel on devine les passions, les émotions chères au cœur, qui prennent ici le change pour éclore et s’amusent à ce qui leur est permis : Et dans le vrai c’était la moindre chose Que cette troupe étroitement enclose, A qui d’ailleurs tout autre oiseau manquait, Eût pour le moins un pauvre Perroquet.

1188. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

De très-bonne heure, à Brunswick et depuis, on peut remarquer que l’émotion et le malin plaisir de sa sensibilité consistaient à se partager, à se jeter dans des complications trop réelles, dont les embarras, les tiraillements et les déchirements même ravivaient pour lui l’ennui de l’existence ; il affectionna en un mot, de tout temps, cette situation entre les trois déesses, comme la définissait très-heureusement madame de Charrière.

1189. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

pendant ce long séjour aux champs, en proie aux infirmités du corps qui, laissant l’âme entière, la disposent à la tristesse et à la rêverie, pas un mot de conversation, pas une ligne de correspondance, pas un vers qui trahisse chez Boileau une émotion tendre, un sentiment naïf et vrai de la nature et de la campagne3.

1190. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Aloïsius Bertrand »

Son épisode de Jenny introduit et personnifie la chasteté de l’émotion ; la Bible, lue tout haut, renvoie sur toute la scène une lueur religieuse.

1191. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

On n’a qu’un très petit nombre de ses sermons : c’en est assez, avec ses Entretiens spirituels qu’on a recueillis, pour nous faire juger cette éloquence solide et insinuante, qui semble une causerie aisée, soudaine, enlevée jusqu’au pathétique par une émotion intérieure : c’est parfois un commentaire chaleureux de quelque texte sacré, parfois une libre instruction sans ordre apparent, ou divisée sans subtilité.

1192. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre IV »

Augier est une œuvre de sentiment et de beau langage ; peu d’action, des situations simples, l’entrain et les incidents de la vie commune, mais des émotions vraies, des indignations généreuses, la chaleur de l’idée, l’esprit du détail, et, par-dessus tout, le charme du style.

1193. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

Législateur doublé d’un grand capitaine (ce qui était bien nécessaire alors), mais aussi compliqué d’un conquérant, il aimait avant tout son premier art, celui de la guerre ; il en aimait l’émotion, le risque et le jeu.

1194. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Adrienne Le Couvreur. » pp. 199-220

De l’éclat, du roman, une destinée d’émotion, de dévouement et de tendresse, un touchant malheur, voilà ce qui attache à ces poétiques figures, et ce qui, une fois transmises et consacrées, leur procure dans l’imagination des âges un continuel rajeunissement.

1195. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Dans l’habitude de la vie, Buffon affectait de respecter tout ce qui est respectable, et quand il était à Montbard, il observait même régulièrement les pratiques du culte : il était homme à y prendre part avec une sorte d’émotion sincère, par l’imagination et la sensibilité 50.

1196. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

Je préparais les esprits à assister à une espèce d’action dramatique plutôt qu’à une séance de législateurs ; je peignais les personnages avant de les mettre aux prises ; je rendais tous leurs sentiments, mais non pas toujours avec les mêmes expressions ; de leurs cris je faisais des mots, de leurs gestes furieux des attitudes, et, lorsque je ne pouvais inspirer de l’estime, je tâchais de donner des émotions.

1197. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

Pour mettre sa sensibilité plus à son aise, par un singulier et subtil accommodement il supposait que c’était d’un autre que lui qu’il parlait : C’est d’un moi que je parle, et non pas de moi ; car, loin des hommes, au pied des hautes montagnes, au bruit d’une onde monotone qui ne présente d’autre idée que la marche égale du temps, et sans autre aspect qu’une longue solitude, une retraite silencieuse que bordent déjà les ombres d’une éternelle nuit, je n’ai plus de rapport avec ce ministre naguère emporté par les événements, agité par les passions du monde, et sans cesse aux prises avec l’injustice ; je n’ai plus de rapport avec lui que par les émotions d’une âme sensible… Il revient à chaque instant, avec des cris de David ou de Job, sur cette calamité, qui véritablement n’était pas si grande qu’il le supposait : Quelquefois seulement, au pied de ces montagnes où l’ingratitude particulière des représentants des Communes m’a relégué, et dans les moments où j’entends les vents furieux s’efforcer d’ébranler mon asile, et renverser les arbres dont il est environné, il m’arrive alors peut-être de dire comme le roi Lear : « Blow, winds, … Soufflez, vents impétueux !

1198. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Zola, suffira à rendre compte des procédés et des émotions apparemment contraires que nous avons séparées dans son œuvre.

1199. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre I. »

Procédés les plus usités pour provoquer l’intérêt et l’émotion.

1200. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ernest Hello » pp. 207-235

Je ne chicane pas sur le mot : belles de tout point, — de substance, d’émotion, de poésie, de vérité, d’éclair.

1201. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Avec quelle émotion douloureuse il la tentait, ses paroles seules peuvent le dire83.

1202. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

L’apologétique proprement dite, sans théologie, sans philosophie, faite d’émotions, d’impressions, d’allusions, s’en va en lambeaux. […] Nous n’aurions plus guère devant le Génie que l’émotion historique qu’on éprouve devant une date, s’il n’y avait pas la troisième partie : Beaux-Arts et Littérature, où Chateaubriand a fondé une part de la critique moderne, et la meilleure. […] Comment définirez-vous l’émotion que causent les chants d’Ossian, l’église de Saint-Pierre, la méditation de la mort, l’harmonie des sons ou celle des formes ? […] Il y a aussi des beautés relatives qui n’en sont pas moins réelles pour être appropriées à certaines circonstances locales, pour être dans un rapport particulier avec les mœurs, les institutions, les penchants et les émotions habituelles d’un peuple. […] Mais rien de cette spéculation faustienne ne transgresse le cadre, le corps, l’émotion, l’intimité d’un Hermann et Dorothée français.

1203. (1891) Impressions de théâtre. Cinquième série

Car alors je suis bien sûr que c’est uniquement par la force de leur pensée la justesse de leurs peintures ou la sincérité de leur émotion qu’ils agissent sur moi. […] Une révolution d’âme, du plus grand intérêt et du plus général, y est exposée avec force, avec hardiesse, et avec une sorte d’émotion et d’emportement farouche. […] J’avais alors trois ou quatre ans, et jamais, jamais je ne retrouverai émotion pareille. […] Par quel moyen nous rendre la complexité de ses sentiments pendant sa promenade au Musée du Louvre avec René, et comme quoi elle prend pour une émotion esthétique (qu’elle traduit par des formules apprises) la poussée soudaine et secrète de sa sensualité ? […] Lorsqu’un de ses amis lui dit par politesse : « Tu as dû passer par de rudes émotions », il répond : « Ah !

1204. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Et c’est encore elle, vraie comme l’enfance, docile à la Fiction comme la forêt au vent, qui vibre aux émotions profondes des poëtes, qui écoute, accrédite, dore des sincérités de ses admirations et perpétue les belles légendes, — la Foule, cliente de Shakespeare […] Enfin il a tous les dons qui désignent le grand Poëte, il a la force qui reste gracieuse, il a l’ingéniosité innée, il a l’esprit lyrique, la science de la composition, le mouvement même, et le sentiment, et l’émotion, tous les dons sauf un seul sans quoi tous les autres mentent : il manque d’une vie intérieure. […] En somme — et jusqu’aux lâchetés du cœur et de la chair qui l’arrêteraient sans doute en deçà — il préférerait au récit l’émotion réelle des crimes qu’il raconte. […] Elle et la Lumière prolongent la Comédie de la Scène à la Salle, échangent du geste qui se voit aux visages qui regardent une sympathie, une émotion qui reviennent en afflux fécondants au Geste même qui les a causées.

1205. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Lamartine se rappelait, non sans sourire, son émotion lorsque l’auteur tragique avait daigné lui faire, de son front couronné, une inclination distraite. […] Bientôt, comme accablé par l’émotion, il s’endort. […] L’émotion était instantanée ; l’intérêt pour les personnages, l’adoration pour les divinités représentées, se confondaient avec l’enthousiasme pour le talent qui les figurait aux yeux. […] Mais dans ces vagues contours où l’émotion tremble encore, quel charme, et que cette morte adorée nous apparaît touchante en son linceul ! […] De la main gauche, il saisit, non sans émotion, un couteau de poche qu’il porte sur lui ; il le lance dans l’espace.

1206. (1939) Réflexions sur la critique (2e éd.) pp. 7-263

Bertrand : « Toute pénétrée qu’elle est d’émotion lyrique, elle (la description de Flaubert) plane au-dessus des lieux et du temps. Elle a traduit hier, elle traduira demain la splendeur de l’aube se levant sur une grande ville orientale et méditerranéenne. » Il est possible qu’il y ait là de l’émotion lyrique, mais tellement réfrénée et latente qu’elle paraît plutôt vouloir exister négativement. […] À moins d’abuser étrangement des mots, je n’y sens pas un caractère d’« ode », ni une « émotion » qui « grandit de phrase en phrase ». […] Les pères y sont peints en général avec délicatesse et émotion. […] M. de Gourmont, sans songer d’ailleurs à Voltaire, nous fait comprendre cela très finement : « Dans un début de roman aussi vulgaire que : C’était par une radieuse matinée de printemps, il peut y avoir une émotion vraie.

1207. (1901) Figures et caractères

Deux arts y adossent, l’un son émotion laconique, l’autre sa sécheresse démonstrative. […] Anatole France le toise de son scepticisme souriant, c’est avec une certaine émotion que l’un le juge et que l’autre le raconte. […] Je craindrais de manquer envers elle à mon intime devoir si je faisais autre chose que de fixer l’émotion immédiate que son fantôme brusquement définitif donne à ceux qui ont connu le cher vivantr. […] Il a conservé sa même énergie, son même goût du danger, des fortes émotions de la mer et de la guerre, de ce qui porte l’homme à son plus haut point de tension vitale et fait saillir, si l’on peut dire, les musculatures de l’âme ; mais quelque chose l’emplit d’un âpre bien-être. […] Quand le rideau se lève sur le décor du drame ou de la comédie, on continue à vivre par les personnages de la fiction réelle, avec plaisir ou émotion.

1208. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Nous la voyons, bien : mais à la voir avec émotion nous l’amplifions. […] Tant y a qu’on lira avec émotion les lettres d’amour de Casimir Delavigne. […] L’émotion contenue de Victorine, je dis l’émotion de Victorine tant qu’elle est contenue, et toute la partie du rôle qui est en demi-teintes n’est pas tout à fait, ce me semble, dans les moyens de Mlle Bergé, dans sa nature ; mais elle s’en tire encore avec honneur et elle est excellente quand sa passion éclate enfin et se déclare sous le coup de la douleur et du désespoir. […] Sylvain n’est pas assez grand, peut-être, dans ce rôle de Vanderk père, qu’en somme Sedaine a voulu grand ; mais il est très naturel, très « humain » comme on dit, et son émotion, à certains moments, est profonde et très sincère. […] J’ai nommé M. de Féraudy, étonnant de vérité, de réalité même aux moments où il était, de par son rôle, dans l’invraisemblance, puissant d’émotion, d’indignation et de colère sans cesser d’être le brave homme gauche et comique qu’il est au fond, enfin réalisant une merveille décomposition.

1209. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Quand à l’émotion, il la possède sous la forme la plus noble et la plus haute : il est riche en émotions intellectuelles. […] Mais il y a pour le cœur de l’homme des émotions plus intimes et plus douces ; et celles-là, quoi qu’on dise et quoi qu’il dise, ne sont pas absentes de son œuvre. […] Michelet a retracé avec beaucoup de poésie l’émotion et la tristesse de ces déchiffrements inspirés par tant de piété et si vainement essayés. […] En contemplant ces beaux restes, il fut saisi d’une généreuse émotion et, songeant à l’art grec et à ses paisibles merveilles, il s’écria avec Chandler : « Il a disparu, ce banquet des yeux, et il n’en reste rien de plus que d’un songe !  […] Comment voulez-vous qu’à des heures aussi critiques on puisse voir sans émotion un petit « potache » allant, matinal, le nez en l’air, ses livres sur le dos, à son lycée ?

1210. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Il fallait bien, pour donner de telles émotions, que ces images à demi comiques, à demi sacrées, eussent une âme, une petite âme de joujou. […] Ils ne connaîtront plus les troubles de la chair ni les émotions du cœur. […] Ces petits signes noirs que nous jetons sur le papier vont donc répandre par le monde l’émotion qui nous agitait quand nous les tracions. […] Thiers dans lequel la campagne de France est racontée avec une patriotique émotion. […] C’est pour lui que l’abbé Raynal composait avec émotion l’Histoire philosophique des sauvages américains.

1211. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

S’il s’intéresse à ses personnages, Marivaux ne les aime pourtant pas ; ce sont plutôt pour lui des sujets d’expérience que des êtres de chair et de sang, aux émotions de qui son cœur batte ou s’arrête, se dilate ou se serre ; il ne vit pas enfin de leur vie, et ne met rien en eux de la sienne. C’est pourquoi, même dans son théâtre, dans les chefs-d’œuvre de son théâtre, les traces d’émotion sont rares ; il y en a moins encore dans ses romans ; et, pour la passion, nous pouvons dire qu’elle en est à peu près absente. […] Mais ce qui ne pouvait pas dépendre d’un changement heureux ou malheureux, c’est la qualité foncière du style : une vivacité qui n’est égalée que par le naturel et une simplicité qui ne le cède qu’à l’émotion. […] Ambroise-Firmin Didot, qui nous l’apprend, ajoute « qu’il avait la naïveté et l’incurie d’un enfant pour tout ce qui concernait sa personne… » et que, pour lui éviter l’ennui des comptes et des émotions résultant de son défaut d’ordre et de sa prodigalité, un crédit lui était ouvert chez le boucher et chez le boulanger. […] Ne nous en plaignons pas à la légère : il y a peut-être des raisons qui justifient cette inégalité, celle-ci par exemple, qu’après tout il y a plus de bons romans que de chefs-d’œuvre de la scène ; et puis, cette autre encore que l’homme — animal politique ou sociable — est toujours plus profondément agité par les émotions qu’il éprouve en commun.

1212. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

Rappelez-vous votre adolescence ; pour mon compte, les plus grandes émotions que j’ai eues au théâtre m’ont été données par une troupe ambulante de quatre demoiselles qui jouaient le vaudeville et le drame, sur une estrade au fond d’un café ; il est vrai que j’avais onze ans. […] L’Espagne chevaleresque et catholique rencontre ses interprètes dans des enthousiastes et des don Quichotte, dans Calderon soldat, puis prêtre ; dans Lope, volontaire à quinze ans, amoureux exalté, duelliste errant, soldat de l’Armada, à la fin prêtre et familier du Saint-Office, si fervent, qu’il jeûne jusqu’à s’épuiser, s’évanouit d’émotion en disant la messe, et ensanglante de ses flagellations les murs de sa chambre. […] Ainsi composé et ainsi muni, ce théâtre a pu mettre au jour le plus intime fonds de l’homme, et mettre en jeu les plus puissantes émotions humaines, amener sur la scène Hamlet et Lear, Ophélie et Cordélia, la mort de Desdémone, et les meurtres de Macbeth.

1213. (1925) Dissociations

Telle est la supériorité de la fausse nouvelle sur la vraie, qu’elle donne des émotions sans dommage pour personne. […] Une femme nue ne danse plus seulement avec ses gestes, mais avec ses muscles, les frissons de son épiderme qui font d’elle comme un vivant miroir de toutes les émotions qui traversent son organisme et viennent aboutir là. […] oui, je veux bien qu’il y ait des miracles, mais ce ne sont pas les choses extraordinaires qui sont miraculeuses, mais celles de tous les jours : le soleil qui se lève, la feuille qui s’ouvre, le grain de blé qui lève et nous-mêmes, qui vivons, qui pensons, qui sentons le chaud et le froid, dont l’émotion constricte le cœur et tout le reste.

1214. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

Duclos avait encore présentes certaines scènes de 1711, de 1712, et en avait gardé les poignantes émotions, comme nous avons eu celles de 1812 et de 1814 ; les victoires de Marlborough, les menaces et les outrageuses espérances du prince Eugène, l’épuisement de la France dans cette lutte extrême60, la carte du démembrement projeté, il rend cela avec nerf et dans un sentiment patriotique : c’est lorsqu’il en vient aux portraits des personnages qu’il s’en remet purement à Saint-Simon.

1215. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

Comme l’émotion, la verve, l’inspiration et tout ce qui y ressemble lui étaient choses complètement étrangères, il n’a pas su les voir en autrui ; il n’a rendu les armes de près ni de loin à cette puissance créatrice qui porte au premier rang un petit nombre d’hommes, et on pourrait le définir, au milieu de tous les éloges qu’il mérite pour l’originalité de ses vues, pour la variété et la gentillesse de ses œuvres, « celui qui n’a senti ni Homère ni Molière ».

1216. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

Ce Saint-Alban, dont la vie s’est passée dans un cercle de plaisirs et d’émotions agréables, est décidé à ne pas attendre que la Révolution vienne le prendre au collet, et l’atteignant dans sa personne le soumettre à une série d’épreuves cruelles et de tortures : il porte toujours sur lui un poison subtil pour s’y soustraire à temps.

1217. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

La fin générale que s’est proposée Racine dans ses tragédies, c’est le plaisir de ses auditeurs : il a donc voulu plaire, en excitant dans les âmes ces émotions vives qui naissent de l’admiration, de la compassion, de la terreur.

1218. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Souvenirs militaires et intimes du général vicomte de Pelleport, publiés par son fils. » pp. 324-345

Il le fera, et dans un récit qui, sur quelques points, atteint, à force de simplicité, à l’émotion.

1219. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

. — Il croyait aimer Mme de Staël, et il n’aimait que les émotions qu’elle lui donnait.

1220. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Cette idée, toute bête qu’elle est, ne laisse pas de me procurer une bonne petite émotion. » Ce Rabadabla, c’est le bruit cher à son petit-fils, c’est le nom même qu’il lui donne dans cette langue primitive et imitative qui recommence sans cesse auprès des berceaux.

1221. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Essai de critique naturelle, par M. Émile Deschanel. »

Villemain excita en lui jusqu’à l’exaltation tout ce qu’il avait d’inclination littéraire ; il eut au plus haut degré le sentiment de sa vocation en ce genre ; il eut comme une vision de tout l’avenir qui lui était réservé s’il eût cultivé exclusivement les Lettres ; il lut page à page toute cette histoire de travaux, d’émotions, de succès, d’influence, qui aurait pu être la sienne aussi, et que son dévouement à des devoirs religieux avait tout entière annulée ; il vit à la fois tout ce qu’il avait sacrifié, et fut tenté (car c’est bien ainsi qu’il voyait la chose) d’un amer et indicible regret.

1222. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

S’étant présenté aux Tuileries, il y trouva la famille royale réunie et plus tranquille qu’il ne s’y attendait ; mais l’émotion de la reine et de Madame Élisabeth n’était que plus sensible si elles voyaient quelqu’un dont le dévouement leur fût connu.

1223. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Mais comment reprocher à des hommes de vingt-cinq ans qui, en présence d’une littérature contemporaine futile, fade, puérile, triviale ou sophistiquée, viennent de se plonger dans ces belles lectures de l’Antiquité dont l’art de l’imprimerie ressuscitait les textes désormais tout grands ouverts et accessibles, comment leur reprocher d’en être tout remplis, d’en vouloir communiquer l’émotion généreuse, d’en vouloir verser la sève et comme transfuser le sang dans une langue moderne qui, certes, à cette date (je ne parle ni de Rabelais ni de sa prose), laissait si fort à désirer pour les vers et pour toute élocution sérieuse, élevée ?

1224. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo en 1831 »

Mais nous avons bientôt pensé que, même au milieu des plus enivrantes acclamations dramatiques, il y aurait toujours dans l’âme de Victor Hugo un lyrisme caché, plus sévère, plus profond peut-être, plus vibrant encore par le refoulement, plus gravement empreint des images dispersées et des émotions d’une jeunesse irréparable.

1225. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

Pas une émotion n’altère l’ironique sérénité des conteurs, tandis qu’ils nous défilent cet interminable chapelet de ruses souvent brutales, et même meurtrières : ils n’ont d’applaudissement que pour la force, force du corps ou force de l’esprit : de réelle sympathie, ils n’en ont pour personne.

1226. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

L’apparente incohérence de l’œuvre de Marguerite se réduit facilement à quelques traits principaux : 1° Elle a ouvert la source du lyrisme, qui est dans l’émotion personnelle ; quelques élans de foi ou d’amour fraternel nous le montrent168.

1227. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre IV. Le patriarche de Ferney »

Pendant trois mois, Voltaire se rassasia de sa gloire : c’était trop pour son âge ; l’émotion, la fatigue, le travail le brisèrent ; il mourut dans la nuit du 30 au 31 mai.

1228. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

Selon lui, ni Bossuet, dont La Bruyère n’a pas les élans ni les traits sublimes ; ni Fénelon, dont il n’a pas le nombre, l’abondance et l’harmonie ; ni Voltaire, dont il n’a pas la grâce brillante et l’abandon ; ni Rousseau, dont il n’a pas l’émotion, n’ont au même degré la variété, la finesse, l’originalité des formes et des tours, qui étonnent dans La Bruyère.

1229. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

. — On ne peut nier non plus que, si les faits présentés, si peu alourdis qu’ils soient de complications matérielles, se distinguent des ordinaires accidents ressassés, par une idée, — il en résulte souvent un ensemble capable d’offrir des ressources d’émotion et d’intérêt, mille fois plus puissantes sur le cœur que ne l’ont jamais été sur l’imagination les ficelles du roman à physionomie unilatérale, comme le roman d’aventures, par exemple.

1230. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

Je crois qu’en étudiant l’histoire de ce que nous pourrions appeler les méthodes d’expressions poétiques, nous en arriverions assez aisément à conclure que la principale et la plus habituellement usitée fut à peu près celle-ci : La poésie consistait donc à ce que le poète cherchât, par les moyens en son pouvoir, à imposer au lecteur son émotion et sa pensée.

1231. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

Il y a là comme une contagion d’émotions qui circule dans les rangs d’une foule et qui semble à certains moments créer une âme unique à cet être multiple.

1232. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

Cela entraine des conséquences graves : d’abord un dédain profond des classes subalternes, un parti pris d’écarter ce qui peut rappeler les vulgarités de la vie domestique ou populaire ; puis, entre les privilégiés admis sur un terrain de choix, un code très sévère de bienséances : peu parler de soi ; épargner l’amour-propre d’autrui ; flatter ou ménager les travers des gens en leur présence, ce qui n’interdit pas — au contraire — de les railler en leur absence ; beaucoup de tact et de circonspection ; adoucir les angles de son caractère ; mettre une sourdine aux émotions trop vives, aux convictions trop fortes ; laisser entendre ce qu’on ne peut pas dire tout haut ; s’habituer ainsi à une fine analyse des sentiments, à une psychologie déliée qui permet de reconnaître à un froncement de sourcils, à un regard, à une inflexion de voix les plus subtils mouvements du cœur.

1233. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVIII. Formule générale et tableau d’une époque » pp. 463-482

L’ode se transforme en un effort de lyrisme factice, où l’émotion vraie est remplacée par « un beau désordre » qui n’est le plus souvent qu’« un effet de l’art ».

1234. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

Il en résulte bien des tiraillements, des détonations et des discordances ; mais, en somme, la pièce marche, elle arrive, elle se retrempe, après avoir langui, pendant deux actes inutiles, dans une dernière scène pleine d’émotion et de chaleur, et ce dénouement achève le succès que le premier acte avait commencé.

1235. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Broglie. » pp. 376-398

Il ne vota pas sans faire de grandes réserves, sans adresser au gouvernement des paroles sévères et pleines d’émotion au sujet des troubles de juin.

1236. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Biographie de Camille Desmoulins, par M. Éd. Fleury. (1850.) » pp. 98-122

L’enfant gamin que nous connaissons, le drôle à imagination effrénée et libertine, revient se jouer jusqu’au milieu de l’émotion.

1237. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

Que lui importait, pourvu qu’elle se fît du bruit à elle-même, qu’elle se donnât toute son émotion, et qu’elle régnât ?

1238. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

Dans les romans de Mme de Girardin, on retrouverait le même genre d’esprit que dans ses feuilletons, des portraits et des scènes de société, des observations fines, force paradoxes, quelque charge, peu d’émotion, peu d’action, une grande science du monde à la mode, l’art et jusqu’au métier de l’élégance.

1239. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame de La Vallière. » pp. 451-473

Tels étaient les propos du monde, qui aime à rabaisser et à dénigrer tout ce qui a brillé, sauf à s’apitoyer plus tard sur l’objet même de sa rigueur : on a ainsi joué de toutes les cordes de l’émotion et de la conversation.

1240. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

Ce sont ces sentiments si vrais, si naturels et si pleins d’émotion, qu’on n’était pas accoutumé à rattacher au nom de M. de Maistre, et qui vont désormais donner à sa physionomie un caractère plus aimable et plus humain.

1241. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Quelque jugement qu’on porte sur ce genre d’émotion singulière que confesse ici La Harpe et qui rappelle beaucoup d’autres exemples analogues dans l’ordre spirituel, on n’en saurait suspecter la sincérité, et il est dommage que sa conduite n’ait pas mieux répondu dans la suite à une révolution de cœur décrite d’une manière si touchante.

1242. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — II. (Suite.) » pp. 23-46

À force de présence d’esprit, d’émotion et de cordialité, il ramène à l’ordre ce corps d’armée, qui reprend les armes et le salue d’un dernier cri.

1243. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

Là où il est sur son terrain, dans l’ordre de sa vocation, et véritablement maître, c’est quand, à propos du Manuscrit de 1814 du baron Fain (25 avril 1830), il parle des choses de la guerre, de l’art et du génie qui y président : Dans une belle opération de guerre, il y a une partie de savoir et de calcul qui n’est pénétrée que par quelques esprits ; mais il y en a une autre qui produit dans toutes les imaginations l’émotion du beau, et qui est toute en spectacle.

1244. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

Chérubin, à lui seul, est une création exquise et enchanteresse de Beaumarchais ; il y a personnifié un âge, un premier moment de la vie de chacun, dans toute cette fraîcheur et cette émotion naissante, fugitive, irréparable : il n’a jamais été plus poète que ce jour-là.

1245. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

pourquoi se pencher au-dedans et fouiller dans son esprit pour y noter du doigt avec satisfaction je ne sais quel ressort interne, et qui, dans tous les cas, disparaît et s’oublie à cette heure d’émotion puissante ?

1246. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

» dit tout à coup la femme, dont l’émotion se traduit par cette originale sensation.

1247. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Introduction »

Le philosophe n’est pas plus que tout autre homme affranchi de ces émotions et de ces inquiétudes ; mais la réflexion modère, si elle ne calme pas entièrement, une anxiété si légitime.

1248. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre I. La critique » pp. 45-80

André Gide, la netteté et l’émotion contenue de M. 

1249. (1920) Action, n° 4, juillet 1920, Extraits

C’est dans ce paysage de toute aménité, créé pour aiguiser et raffiner les émotions, que je reçus une lettre d’Apollinaire.

1250. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

… Consultez, si vous le voulez, la littérature européenne : tous les historiens, sans exception, de la Révolution française, en ont parlé avec leurs émotions, auxquelles leur raison ajoutait des sophismes et leurs passions des lâchetés.

1251. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

Mais Chasles, qui les a rapportés, a-t-il tordu et pressé ces détails, comme l’eût fait Stendhal, pour en faire jaillir les plus profondes émotions dans l’âme ?

1252. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

Sainte-Beuve, accru et mûri par la vie, eût toujours eu avec lui-même cette sincérité poétique du Joseph Delorme, quel poète ne serait-il pas devenu, quelles autres émotions ne nous eût-il pas données encore !

1253. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

S’il a l’idée, s’il a l’émotion, s’il a le rythme, pourquoi son poème n’est-il pas de tout point un chef-d’œuvre ?

1254. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Chez les républicains, l’éloquence était un spectacle ; les citoyens demeuraient des jours entiers à écouter leurs orateurs, avides des émotions qu’ils recevaient, et impatients d’être agités.

1255. (1900) La culture des idées

Je ne puis admettre comme clichés chaleur bienfaisante, perversité précoce, émotion contenue, front fuyant, chevelure abondante ni même larmes amères car des larmes peuvent être amères et des larmes peuvent être douces. […] Émotion contenue n’est pas plus ridicule qu’émotion dissimulée ; quant à front fuyant, c’est une expression scientifique et très juste qu’il suffit d’employer à propos. […] Ce n’est pas seulement, dit Villemain, par imitation du grec ou du latin fremere que nous avons fait le mot frémir ; c’est par le rapport du son avec l’émotion exprimée. […] Je me souviens de n’avoir pu voir sans émotion ce que les calvinistes de Hollande ont fait de leurs cathédrales. […] C’est au nom du christianisme que, cette année même, les juges anglais poursuivent comme obscènes les livres de libre philosophie scientifique édités par l’University Press : la Pathologie des émotions, la Psychologie sexuelle, le Vieil et le nouvel Idéal, le Rythme des pulsations, Responsabilité de déterminisme.

1256. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

À parcourir leur journal, on demeure étonné de l’absence d’émotion tout au contraire, de l’insignifiance — il faut bien répéter le mot — des impressions enregistrées. […] Je me rappelle encore de quelle émotion il nous remplissait à Louis-le-Grand, en 1871, quand notre professeur, M.  […] Car c’en est un, de vie ou de mort, de désastre ou de guérison… En lisant ces pages, nous suivons le chirurgien d’émotion en émotion. […] Jean-Louis Faure aurait pu citer, suffisent à justifier sa thèse « qu’aucun homme au monde ne reçoit plus souvent que le chirurgien, l’empreinte d’émotions puissantes, quelquefois très douces, souvent tragiques et douloureuses, mais d’une variété infinie et dont peut-être la diversité seule permet de supporter sans défaillance l’incessante répétition ». […] « La séance », dit Henri Martin avec une émotion naïve, « avait commencé à 8 heures du soir.

1257. (1864) Le roman contemporain

Ce sont de nouvelles émotions pour Paris et la France, qui n’ont nul besoin, pour occuper des loisirs qui leur manquent, de porter à leurs lèvres la coupe enivrante où le roman verse sa liqueur capiteuse. […] L’auteur vient du monde, c’est un enfant du dix-neuvième siècle : il a emporté le souvenir des passions qui y règnent et des émotions poignantes que ces passions excitent. […] Mais cet immense orgueil de la richesse, cette satisfaction qu’elle a d’elle-même et qui arrive à l’émotion, cette obéissance absolue qu’elle impose, ce respect qu’elle imprime même à ceux qui n’ont rien à lui demander, rien du moins à espérer d’elle, c’est la nature même prise sur le fait. […] Figurez-vous l’émotion d’un homme qui, dans un rêve, tomberait pendant plusieurs heures de suite des tours de Notre-Dame, en rebondissant d’angle de pierre en angle de pierre, et qui arriverait en bas sans être mort. […] Octave Feuillet d’avoir faite sur la littérature réaliste et immorale, en donnant aux âmes honnêtes et pures l’occasion de connaître, sans de grands inconvénients, « les voluptueuses émotions de l’abîme », sauf à les retirer en arrière au moment où le vertige va les gagner ?

1258. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Ai-je besoin de résumer l’Histoire de Sibylle, de rappeler ce qu’elle excita d’émotion en son temps, ce qu’elle provoqua de vives controverses ? […] De telle sorte que, dans le roman comme dans la tragédie, la qualité des personnages a cet effet singulier, mais certain de modifier à la fois la qualité de la psychologie, celle du drame, et, conséquemment, celle de l’émotion. […] et l’émotion qu’il avait ressentie de l’arrivée de madame Raffraye, pour avoir changé de nature, n’en est que plus violente, plus tumultueuse, plus désordonnée. […] Cette explication difficile, c’est la mère qui la reçoit, mais, par un hasard mortel à son amour, Henriette l’entend, et peu s’en faut qu’elle ne succombe sous le poids de son émotion. […] Encore, quand on parle, et que l’on s’anime, l’expression du ton de la voix, l’éloquence physique du geste, la circulation d’émotion qui va de l’orateur à l’auditoire et de l’auditoire à l’orateur peuvent-elles suppléer à l’insuffisance des mots, qui sont alors comme devinés avant qu’on les prononce, ou suscités au besoin par la sympathie du public.

1259. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

L’intelligence, selon nous, n’est ni supérieure ni inférieure dans l’histoire : elle est nécessaire ; mais l’émotion qui fait sentir, la pensée qui fait réfléchir, et la conscience qui fait juger, ne sont ni plus ni moins nécessaires que l’intelligence. […] Thiers semble préférer à tout ; avec l’intelligence, l’émotion, la pensée, la conscience et le talent de bien écrire, vous aurez la grande histoire.

1260. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Je n’étais pas en France, je n’en eus pas les émotions sur place, j’en eus les tristesses réfléchies ; elles furent en moi profondes, elles le sont toujours. […] J’ajoute qu’il me parla avec une éloquence raisonnée et suprême dont je ne le croyais pas susceptible, qu’il éleva cette éloquence du dégoût jusqu’au pathétique ; qu’il s’attendrit lui-même jusqu’à l’émotion qui mouillait ses yeux ; qu’il serrait mes genoux entre ses genoux avec ce geste familier et pressant d’un homme qui veut conquérir un autre homme ; que je restai moi-même souvent sans réplique à ses instances ; que mes refus persistants et mes efforts pour me lever de ma chaise et pour me retirer de sa présence ne le découragèrent pas de me retenir et de recommencer ses instances ; qu’il renvoya deux ou trois fois ses aides de camp, et, entre autres, l’excellent comte d’Houdetot, qui entrouvrait la porte pour lui annoncer tels ou tels survenants et même les ministres ; qu’en sortant, pour aller présider un moment le conseil, il m’enferma à clef dans la salle d’audience, me conjurant en souriant de ne pas profiter de son absence pour m’évader, et de réfléchir jusqu’à son retour ; qu’il revint bientôt après reprendre l’entretien où il l’avait laissé, et qu’enfin, de guerre lasse : « Eh bien, me dit-il, ne vous ai-je donc pas convaincu ?

1261. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIIe entretien. Balzac et ses œuvres (3e partie) » pp. 433-527

Quoique le travail que nécessitent les idées pour être exprimées ait contenu ces anciennes émotions qui me font tant de mal quand elles se réveillent trop soudainement, s’il y avait dans cette confession des éclats qui te blessassent, souviens-toi que tu m’as menacé si je ne t’obéissais pas ; ne me punis donc pas de t’avoir obéi. […] En harmonie avec cette vie reposée et sans autres émotions que celles données par la famille, ces lieux communiquaient à l’âme leur sérénité.

1262. (1925) La fin de l’art

Toute émotion prévue ou imprévue peut guérir certains états nerveux sous la dépendance desquels évoluent certaines maladies ou du moins certains maux. […] Ce sont eux qui les premiers contemplèrent ses montagnes avec un regard désintéressé, avec l’espoir d’y trouver une émotion.

1263. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

Nous venons de citer des exemples types : dans le premier, l’imagination domine évidemment ; dans les trois autres, la passion semble pure de tout mélange ; mais rarement la passion s’éveille sans éveiller en quelque mesure l’imagination ; la raison en est que rarement l’objet de la passion est purement intellectuel, c’est-à-dire d’ordre général, scientifique ou politique ; quand je n’ai d’autre société intérieure qu’une société abstraite, consistant dans des concepts que parcourt mon entendement, mêlés à des noms propres de personnages ou de pays que je ne connais que par ouï-dire et qui valent pour mon esprit des abstractions, alors je suis, à vrai dire, seul avec ma pensée, je n’ai point de société véritable, et, d’ordinaire, je reste calme228 ; l’émotion, presque toujours, me fait rentrer dans la vie réelle, dans la vie sociale ; ce qui m’émeut en joie ou en tristesse, c’est quelque objet concret de la nature, le plus souvent quelque personne humaine, dont mon souvenir reproduit l’image plus ou moins nette, et, avec cette image, le son spécifique. […] Parfois l’imagination développe à sa manière le thème fourni par la passion, de façon à occuper presque seule toute la scène de l’âme et à rejeter dans l’ombre le sentiment même qu’elle exprime ; d’autres fois, l’image évoquée est simple : elle représente soit l’objet direct de l’émotion, soit, quand la passion est surtout intellectuelle, un interlocuteur destiné à nous entendre bien parler du sujet qui nous anime et à se laisser convaincre sans résistance.

1264. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

Mais enfin Werther, malgré sa facile composition à bâtons rompus, est un livre qu’on peut ouvrir encore avec un intérêt d’intelligence et peut-être une émotion de sensibilité, tandis que le Wilhelm Meister et les Affinités électives ne sont pas des livres, même mauvais, mais des choses sans nom, inénarrables, illisibles, — et à aucun degré quelconque des compositions. […] C’était un vieux peintre de beaucoup d’esprit et de talent, lequel gouvernait un musée : « Voyez-vous, — disait-il, tout pâle d’émotion, tremblant, chevrotant, mais sublime, parce qu’il était ému et vrai, — voyez-vous cette vieille main ?

1265. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Son émotion, toutes les fois qu’il s’agissait d’une condamnation capitale, était vive : il n’hésitait pas dans la sentence quand il la croyait dictée par la conscience et par la vérité ; mais ses scrupules, son anxiété à ce sujet, démentent assez ceux qui, s’emparant de quelque lambeau de page étincelante, auraient voulu faire, de l’écrivain entraîné une âme peu humaine. […] Si l’on cherchait à y surprendre les premières impressions, les premières émotions de l’homme public et de l’écrivain, on devrait y reconnaître surtout l’influence de Rousseau. […] Madame de Staël, qui, à la rigueur, avait déjà débuté par ses Lettres sur Jean-Jacques, et qui devait accomplir un jour sa course généreuse par ses éloquentes et si sages Considérations, laissait échapper alors ses réflexions, ou plutôt ses émotions sur les choses présentes, dans son livre de l’Influence des Passions sur le Bonheur  ; mais ce titre purement sentimental couvrait une foule de pensées vives et profondes, qui, même en politique, pénétraient bien avant.

1266. (1925) Proses datées

Juin 1914 Devant Stamboul Personne n’a pu lire sans émotion l’éloquent et magnifique appel à la pitié lancé par Pierre Loti en faveur de la Turquie agonisante et nul non plus n’a dû s’étonner qu’allassent vers elle les sympathies attristées de l’illustre auteur d’Aziyadé et de Fantôme d’Orient. […] Ce soir-là, Pierre Loti, au retour, nous parla avec une émotion et une grâce voilée de cette Turquie qu’il aimait si passionnément, si profondément, si mélancoliquement ! […] Elle est le reflet et l’écho immédiats de la vie ; elle nous en rend l’impression à peine transposée, l’émotion directe. […] De là, l’intense, la poignante émotion qui s’en dégage à travers leur beauté verbale et rythmique, de là leur portée psychologique et leur accent de passion désespérée. […] Aussi est-ce avec une respectueuse émotion que nous écoutons ce qu’il nous dit de sa vie, quand il nous en confie les circonstances et nous rappelle les nobles labeurs qui l’ont rendue féconde en la faisant illustre.

1267. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

Aussi, l’instrument fier et sonore de sa poésie a-t-il quelquefois des cordes d’airain, dont la vibration grave et enveloppante s’enroule puissamment autour des cœurs pour les faire remonter dans les poitrines, et quand une émotion vient à les briser, ces cordes cruelles, c’est encore une beauté de plus ! […] » On soufflait, on était haletant, l’émotion faisait gronder sourdement le diaphragme populaire. […] Il s’est représenté avec émotion l’état cruel d’un malheureux homme qui revient à la santé, qui se détire douloureusement entre un pot de chambre et une garde-malade avec l’arrière-goût de l’horrible ipécacuanha, sans consolation d’aucune sorte et non encore assez robuste pour lire sans danger du Zola ou du Montépin. […] Mais si l’énorme génie anglais a pu être émasculé par l’exigence mécanique du théâtre, que penser et que dire des modernes Guignols de l’arrangement dont tout l’art consiste à soutirer le demi-quart d’une émotion bête de l’un ou l’autre des trois sentiments primordiaux assis dans l’âme humaine, les pieds sur la foudre, et qui ne parviendraient jamais à s’élancer du néant si un autre art que le leur n’intervenait pas. […] Dieu sait qu’il disait beaucoup de sottises, mais enfin il y avait une espèce d’émotion, un semblant de générosité miséricordieuse dans ces quelques pages et M. 

1268. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

La figure d’étrangeté et de mystification, le ton de catholicisme goguenard sont incorporés de façon parfaite à la plus âcre émotion, font leur partie dans cette symphonie de l’inutile, du renoncement et du vide, dans ce spectre d’une journée passée sur l’aride pavé parisien… Ces vers rythmés par les coups mêmes de la pendule qui sonne minuit nous touchent plus que les crises de désespoir oratoire auxquelles se livre Musset quand il rentre chez lui dans le même état. […] « Il aurait voulu que tout se vît sans offusquer la vue, sans blesser le goût ; que le trait fût vif, sans insistance de main ; que le coloris fût léger plutôt qu’épais ; souvent que l’émotion tînt lieu de l’image. […] « Il faut trouver, dit Fromentin du peintre orateur, dans le monde du vrai celui qu’il parcourt en maître ; et, dans le monde aussi de l’idéal, cette région des idées claires, des sentiments, des émotions, où son cœur autant que son esprit le porte sans cesse. […] Madeleine absente se comporte pour Dominique exactement comme les paysages d’Égypte, selon un passage du Journal des Goncourt cité plus haut, se comportaient pour Fromentin : « Je revis mille choses que j’ignorais d’elle et qui ne m’avaient pas frappé… Tout cela revivait avec une lucidité surprenante, mais en me causant une autre émotion que sa présence, comme un regret, agréable à caresser, des choses aimables qui n’étaient plus là. […] S’il y a une grande différence entre les auteurs, moins d’art et plus d’émotion directe chez Fromentin, entre Mme Arnoux et Mme de Nièvres il y a surtout une différence de monde : chez la bourgeoise plus de calme et de santé, chez Madeleine plus de souple finesse et autant de force réelle.

1269. (1895) Impressions de théâtre. Huitième série

Mais on y sent une émotion, un respect sincère. […] Et quelle émotion et quelle tendresse, finement graduées et appropriées, dans ses rencontres successives avec son porcher, avec son fils, avec son chien, avec sa femme, avec son père ! […] Et, à la suite de l’émotion éprouvée, le lait de Mme Solness a tourné, et les deux jumeaux qu’elle nourrissait sont morts. […] Le blessé n’est pas mort ; on le fera évader, et Lefebvre ne sera plus jaloux… Tout ce prologue est un bijou d’adresse et, vers la fin, d’émotion. […] Les dames avaient tiré leur mouchoir, s’essuyaient les yeux, la face droite, en s’honorant de leur émotion.

1270. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

Encore une fois, si je trouvais ces témoignages de Roederer dans des pages imprimées ou faites pour l’être, je me les expliquerais, mais j’y attacherais moins de valeur : ici c’est l’émotion prise à sa source et sans mélange.

1271. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

L’artiste, qui devait son premier succès à cet affectueux patron, aima toujours à le lui rapporter ; et à des amis de Bonstetten qui le visitaient trente ans après, il disait en les conduisant avec émotion à un endroit de son atelier, alors tout peuplé de marbres glorieux : « Voilà la place où était le Jason ! 

1272. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

Mais, d’autre part, j’ai un jeune ami des plus distingués à qui, dans un mouvement d’explosion sincère, il est arrivé de dire devant moi, à propos de ce même historien : « Le jour où M*** disparaîtrait, je sentirais une fibre se briser dans mon cœur. » J’ai compris dès lors que, pour être ainsi aimé et chéri, pour exciter en des âmes d’élite de tels tressaillements, il fallait que cet homme aux brillants défauts, à la parole pénétrante, eût quelque chose d’à part et de profond qui m’échappait, je ne sais quel don d’attrait et d’émotion qui a ou qui a eu sa vertu, et depuis ce jour je me suis mis à le respecter et à respecter en lui ceux qui le sentent si tendrement et qui l’aiment.

1273. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Membre de la première Assemblée, ministre du prince-président pendant cinq mois (2 juin — 31 octobre 1849), Tocqueville ne prit que peu de part aux discussions de la seconde Assemblée à laquelle il appartenait aussi : sa santé altérée par l’intensité des émotions et par la fatigue des affaires l’obligea à chercher un climat plus doux, le ciel de Sorrente.

1274. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

Tout ce qui me le rappelle de près ou de loin me cause une émotion que je ne suis pas le maître de modérer. » De telles lettres publiées deviennent des pièces biographiques ineffaçables ; une page comme celle du 25 juin représente la pierre angulaire de toute une vie.

1275. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

L’ouverture du roman a vraiment de la beauté : la douceur du paysage qu’admirent les deux enfants, la ferme de Saint-Andéol, le repas de famille et l’autorité patriarcale du père de Cavalier, l’arrivée des dragons et des miquelets sous ce toit béni, les horreurs qui suivent, la mère traînée sur la claie, tout cela s’enchaîne naturellement et conduit le lecteur à l’excès d’émotion par des sentiments bien placés et par un pathétique légitime.

1276. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES FRAGMENTS ET LETTRES DE BLAISE PASCAL, Publiés pour la première fois conformément aux manuscrits, par M. Prosper Faugère. (1844). » pp. 193-224

M. de Schlegel caractérise dignement les beautés pathétiques et pieuses de cette scène : « Nous voyons, dit-il, la majesté immortelle auprès de la jeunesse expirante, les déchirements du repentir auprès des émotions d’une âme pure.

1277. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

Nos pères aimaient cette émotion suffisante, vive, non prolongée ; Bertaut a des couplets de cette sorte charmants, de vraies naïvetés enchantées.

1278. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

Avec cette facilité excessive aux émotions, et cette sensibilité plus vive, plus inquiète de jour en jour, on explique l’effet mortel que causa à Racine le mot de Louis XIV, et ce dernier coup qui le tua ; mais il était auparavant, et depuis longtemps, malade du mal de poésie : seulement, vers la fin, cette prédisposition inconnue avait dégénéré en une sorte d’hydropisie lente qui dissolvait ses humeurs et le livrait sans ressort au moindre choc.

1279. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

La vérité de l’émotion ne prévient pas en lui l’effort du langage ; mais il a de l’âme et du talent ; il peint de traits énergiques, sans être assez simples, le chancelier de L’Hôpital, et il ajoute encore à l’admiration pour Henri IV. » Si quelque chose peut servir à marquer l’esprit et l’intention qui ont dicté la pétition de Saint-Étienne, c’est la proscription d’un tel livre, tout en l’honneur de la tolérance.

1280. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Elle ne permet plus aux mots de se suivre selon l’ordre variable des impressions et des émotions ; elle les dispose régulièrement et rigoureusement selon l’ordre immuable des idées.

1281. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

Il aura l’art de ménager l’intérêt, dans un court épisode, d’engager, de conduire, de conclure le récit d’une aventure vraisemblable : il dira à merveille les émotions d’une demoiselle qui erre la nuit, sous la pluie, par les mauvais chemins, ne voyant pas les oreilles de son cheval, et invoquant tous les saints et saintes du paradis.

1282. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Mais ici l’émotion humaine se mêle au mystère incompréhensible, et nos vieux poètes ont senti dans la Vierge une mère qui aimait son fils comme toutes les mères.

1283. (1921) Enquête sur la critique (Les Marges)

Le critique doit se pencher sur les livres et leurs auteurs avec les mêmes facultés et émotions non seulement de découverte mais de création que le poète sur les fleurs, les insectes, les petites filles… ou les grands sujets nationaux.

1284. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

…………………………………………… Le passé s’estompait au lointain Mais son vers séduit par une clarté diaphane en laquelle il se dissout, ne laissant de la parole envolée qu’un rythme et le souvenir de l’émotion qui le suscita.

1285. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Le Mondain est sa véritable ode ; il y est plus lyrique que dans ses odes sur certains événements publics, où l’émotion n’est pas moins factice que la poésie.

1286. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

» Il dit à son amie : « Je veux voir votre âme que me cachent vos pensées. » Pour exprimer ses émotions, il lui vient aux lèvres les frêles et merveilleuses métaphores liturgiques : Causa nostræ lætitiæ Stella matutina.

1287. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

I « Si le mot esprit veut dire quelque chose, il signifie ce qui sent. » Les phénomènes qui le manifestent sont les sensations, les idées, les émotions et les volitions81.

1288. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XV »

Mais il revient, l’émotion passée.

1289. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

Il est fort à craindre en effet que quand on aborde la politique à ce point de vue, dans ces dispositions d’un génie désœuvré qui veut faire absolument quelque chose et se désennuyer en s’illustrant, on n’y cherche avant tout des émotions et des rôles.

1290. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

On annonça le marquis de Lancefoudras, et, sous ce nom formidable, parut hardiment Mirabeau, dont la vue causa une telle émotion à Sophie, que sa mère en devina tout de suite le sujet.

1291. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1861 » pp. 361-395

Ces journées où les émotions se précipitent en vous !

1292. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Qu’à l’exemple de notre vieux et immortel Corneille, il attache le pathétique au sublime, et enivre nos âmes de ces fières émotions qui l’agrandissent.

1293. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre x »

Regardons vivre, respirer et se nuancer leurs jeunes sensibilités, et de jour en jour, en lisant leurs lettres, en suivant leurs émotions qu’ils envoient à leurs familles, nous distinguerons que leurs instincts s’engrènent et s’organisent.

1294. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Ainsi tous les hommes commencent par les mêmes infirmités : dans le progrès de leur âge, leurs années se poussent les unes les autres, comme les flots ; leur vie roule et descend sans cesse à la mort par sa pesanteur naturelle ; et enfin, après avoir fait comme des fleuves un peu plus de bruit, et traversé un peu plus de pays les uns que les autres, ils vont tous se confondre dans ce gouffre infini du néant, où on ne trouve plus ni rois, ni princes, ni capitaines, ni tous ces noms qui nous séparent les uns des autres, mais la corruption et les vers, la cendre et la pourriture qui nous égalent. » C’est ainsi, c’est avec un semblable regard mélancolique et vaste, que souvent, à l’occasion d’une prouesse vulgaire et d’un nom sans souvenir, le poëte thébain suscite une émotion profonde par quelque leçon sévère sur la faiblesse de l’homme et les jeux accablants du sort.

1295. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

Seulement, nous voilà loin de compte, et les idées de Boileau, au lieu d’aboutir, comme on eût pu croire avec nos théoriciens, à la suppression de la poésie de sentiment et d’émotion, aboutissent juste à la déclaration des droits de cette poésie, méconnue ou mal entendue par les artistes antérieurs à 1660. […] Elle jette dans une certaine émotion un peu tremblante. […] Nous sommes, pour des causes tout autres, dans la même situation littéraire qu’en 1815, c’est-à-dire, en présence d’une génération littéraire qui n’a pas fait ses humanités, ou qui les a faites très superficiellement, sans passion, sans foi certainement, est sans émotion. […] Surtout on sentait qu’il adorait le théâtre, et il n’est rien pour avoir de l’action sur le public que d’avoir une émotion. […] L’orateur intervient de sa personne, de ses émotions, de sa sensibilité, dans ses discours.

1296. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

Il avait l’émotion et la pudeur faciles et rougissait aisément. […] Tous ces livres, devenus si rares, si introuvables, si précieux, qui atteignent dans les ventes à de telles enchères, nous les aurions pour rien, sans nous donner la moindre peine, avec l’eau-forte, le bois, le portrait, la lettre ornée, tout ce qui fait heureux le bibliophile dans cette chasse innocente et lui procure de si douces émotions. […] Notre émotion n’a pas été moindre jeudi dernier. […] — Allions-nous retrouver l’émotion des jeunes années, le naïf et confiant enthousiasme, la consonance parfaite avec l’œuvre, tous les sentiments qui nous animaient alors ? […] Nous ne possédons pas un morceau du fameux habit vert qui fut déchiré sur le dos d’Alexandre Dumas, comme il le raconte lui-même, par des admirateurs trop ardents qui voulaient garder un souvenir, une relique de lui ; mais nous étions vivement ému, et cette émotion nous l’avons en partie éprouvée samedi soir.

1297. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

La tragédie n’est pas pour cette école ce qu’elle est pour le bonhomme Gilles Shakespeare, par exemple, une source d’émotions de toute nature ; mais un cadre commode à la solution d’une foule de petits problèmes descriptifs qu’elle se propose chemin faisant. […] Il ferait passer à chaque instant l’auditoire du sérieux au rire, des excitations bouffonnes aux émotions déchirantes, du grave au doux, du plaisant au sévère.

1298. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Cependant tout y est, tout s’y révèle ; et, dans une succession rapide, chaque objet à son tour émeut l’imagination, occupe l’attention et disparaît, laissant pour unique trace la confuse émotion du plaisir et une impression de vérité à laquelle on n’ose refuser ni accorder sa croyance. […] Il est des esprits formés de telle sorte que Corneille leur donnera plus d’émotions que Voltaire, et une mère se sentira plus troublée, plus agitée à Mérope qu’à Zaïre. […] Dans cette grande lutte des derniers élans d’une liberté mourante contre un despotisme naissant, il est allé chercher, pour lui donner la première place, un fait obscur, douteux, mais propre à lui fournir le genre d’émotions dont il avait besoin ; et c’est de la situation, réelle ou prétendue, de Brutus placé entre son père et sa patrie, que Voltaire a fait le fond et le ressort de sa tragédie. […] En revanche, l’expression, dans Pétrarque, est presque toujours aussi naturelle que le sentiment est raffiné ; et tandis que Shakspeare présente, sous une forme étrange et affectée, des émotions parfaitement simples et vraies, Pétrarque prête à des émotions mystiques, ou du moins singulières et très-contenues, tout le charme d’une forme simple et pure.

1299. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

Dans ce monde attaché au triste spectacle, qui ne s’en va pas, qui attend toujours, sautillent deux amputés d’une jambe, promenant, sur leurs béquilles, leurs croix toutes fraîches, et qu’on regarde longtemps par derrière, avec émotion. […] j’en suis pour mon émotion, toute cette terrible canonnade est la célébration par les Prussiens d’un anniversaire. […] Passy a l’aspect d’une sous-préfecture, à cent lieues de Paris, dans l’émotion d’une révolution de la capitale, dont elle ne sait rien. […] Je remarque à propos de l’absinthe bue hier soir, — j’avais déjà fait la même observation à l’occasion du Porto, — je remarque quelle réalité aiguë ces liqueurs opiacées mettent aux créations fantaisistes du sommeil, et comme les bizarreries qu’elles enfantent, se passent au milieu d’impressions, d’émotions d’une vie presque plus vivante, d’une vie presque plus sensibilisée, que celles de la vie éveillée.

1300. (1929) La société des grands esprits

En d’autres termes, elle symbolise à la fois le culte de la science et tout ce qui peut subsister d’émotion religieuse chez ceux qui n’ont pas d’autre religion. […] Si cette jeune fille savait regarder et voir, elle reconnaitrait son portrait dans tous les portails de nos églises gothiques, car elle est l’incarnation de notre style, de notre art, de notre France… » Et Rodin va, enivré d’une émotion sacrée, de Nevers au Mans, d’Amiens à Reims, de Laon à Chartres, — Chartres, la merveille des merveilles ! […] Il ne s’agit point de tendresse, de gratitude, ni de rien qui ressemble aux inclinations et aux émotions du cœur humain devant ses semblables. […] C’est un émerveillement perpétuel que ce style de Michelet, beaucoup moins chargé d’étrangetés d’expression ou de syntaxe qu’on ne l’a prétendu autrefois, et qui nous paraît presque simple, à nous qui en avons vu bien d’autres ; mais prodigieusement souple, sensitif, impressionniste au vrai sens du terme, c’est-à-dire modelé sur la pensée et l’émotion, toujours frémissant, aisé et en même temps aigu, fluide mais non pas comme l’eau (ce serait George Sand), fluide comme la flamme insinuante et subtile, qui anime, échauffe et par moments éclate. […] La Sorbonne a raison d’inculquer à ses étudiants le respect des faits, le souci de la précision, l’esprit critique et scientifique, qui, en aidant à comprendre, développe l’émotion esthétique ou tout au moins ne la diminue pas.

1301. (1893) Impressions de théâtre. Septième série

Seulement, cette émotion candide qu’il partage avec Mimi Pinson et que la grisette n’a point souci d’étudier dans sa nature et dans ses causes, le puissant critique éprouve naturellement le besoin de la définir et de la justifier. Il ne s’aperçoit pas que c’est tout simplement son âme fraîche, son âme aisément impressionnable et illusionniste d’enfant qui survit en lui, et que cette émotion est aussi irraisonnée et, en un sens, aussi déraisonnable chez lui que chez la fille du peuple. […] Ce qu’elle lui demande, c’est un arrangement charitable de la réalité, soit en vue de l’agrément sentimental, soit en vue de l’émotion et de la surprise amusante. […] Que si votre « état d’âme » vous permet de voir et d’aimer dans Athalie quelque chose de plus que l’exemplaire le plus parfait du drame historique, votre plaisir et votre émotion seront alors sans mesure. […] … Qu’est-ce alors, cette rage d’aller autour de lui, en quête d’émotions ?

1302. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

L’émotion d’une si grande catastrophe lui fit un peu oublier le passé.

1303. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

. — Je vous dois donc, monsieur, une très douce émotion… » — M. 

1304. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DES MÉMOIRES DE MIRABEAU ET DE L’ÉTUDE DE M. VICTOR HUGO a ce sujet. » pp. 273-306

Mais en même temps l’émotion est mêlée de retour sur soi-même et de tristesse.

1305. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Ses goûts, ses mœurs, la tournure secrète de ses idées et de ses désirs ; ce qu’il était dans la maturité de l’âge et de la pensée ; sa sensibilité intarissable au sein des plus arides occupations et sous les paquets d’épreuves de l’Encyclopédie ; ses affectueux retours vers les temps d’autrefois, son amour de la ville natale, de la maison paternelle et des vordes sauvages où s’ébattait son enfance ; son vœu de retraite solitaire, de campagne avec peu d’amis, d’oisiveté entremêlée d’émotions et de lectures ; et puis, au milieu de cette société charmante, à laquelle il se laisse aller tout en la jugeant, les figures sans nombre, gracieuses ou grimaçantes, les épisodes tendres ou bouffons qui ressortent et se croisent dans ses récits ; madame d’Épinay, les boucles de cheveux pendantes, un cordon bleu au front, langoureuse en face de Grimm ; madame d’Aine en camisole, aux prises avec M. 

1306. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Bruyère »

Ceux qui, par une certaine disposition trop rare de l’esprit et du cœur, sont en état, comme il dit, de se livrer au plaisir que donne la perfection d’un ouvrage, ceux-là éprouvent une émotion, d’eux seuls concevable, en ouvrant la petite édition in-12, d’un seul volume, année 1688, de trois cent soixante pages, en fort gros caractères, desquelles Théophraste, avec le discours préliminaire, occupe cent quarante-neuf, et en songeant que, sauf les perfectionnements réels et nombreux que reçurent les éditions suivantes, tout La Bruyère est déjà là.

1307. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

Mais Goethe a exagéré la note ; Chateaubriand y mêle trop de lamentations mélancoliques ; Bernardin de Saint-Pierre, quoique parfait et modeste, a été obligé d’aller chercher la source des larmes dans les îles de l’océan Indien, et d’emprunter leur émotion aux plus grandes tragédies de la nature : les tonnerres, les tempêtes, les naufrages, agents de ce drame qui n’avait eu jusqu’à lui aucun modèle dans l’antiquité.

1308. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

Quand nous fûmes assis ; il tira de sa poche un petit rouleau de papier écrit en très-mince caractère et me dit: « J’ai confiance en vous, voici un ouvrage manuscrit de moi qui, dans l’état actuel des affaires, pourrait produire une émotion dangereuse dans le peuple, et renverser peut-être ce misérable gouvernement.

1309. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Il faut une émotion au peuple pour que son cœur et son imagination s’attachent à un homme nouveau.

1310. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Je les leur lus sans difficulté, mais non sans que ma voix entrecoupée leur révélât l’émotion très-vive dont j’étais encore agité.

1311. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre IV. Racine »

Racine conçoit toutes les émotions, tous les états passifs comme mobiles, et principes d’activité ; il les exprime justement sous l’aspect où leur force d’impulsion ou d’inhibition se découvre le plus fortement : l’objet est toujours une résolution à prendre, qui est prise, rejetée, reprise, autant de fois que s’exercent l’impulsion ou l’inhibition, jusqu’à ce qu’une secousse plus forte amène l’action définitive.

1312. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

N’est-ce pas le pays où tel qui a assisté sans émotion visible à la représentation d’une pièce de théâtre rit tout à coup, à quelques jours de là, d’un trait comique, ou s’attendrit au souvenir d’un trait de sentiment, laissé par le poëte dans la pénombre, et que le spectateur a emporté chez lui, pour en jouir par une sorte de rumination ?

1313. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

La grâce y est plus rare ; j’entends par là l’expression naïve de sentiments personnels à l’homme, alors que, pour féconder un sujet imaginaire, il mêle aux formules de la poésie amoureuse de son temps le souvenir d’émotions qu’il a connues.

1314. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

Nous avons de beaux arts, nous produisons des effets sensitifs, nous communiquons des émotions vagues ou particularisées, mais nous ignorons l’art d’éclairer un parti, et de pousser à le prendre… Les discours qui se tiennent au Parlement d’Angleterre ont un but ; ils ne ressemblent point à notre style oratoire ; il n’y a point cette emphase, ce ton de dignité… Ce sont des gens qui ont des affaires ; nous sommes oiseux et nous nous arrêtons à faire les beaux.

1315. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1856 » pp. 121-159

Puis, il la distrait par des scènes continuelles, des consignations de gens à la porte, des sacrifices de toutes sortes, et la boude, la gronde, l’insulte, fait amende honorable, puis la réinsulte, — maintenant son adorée, tout le temps, dans l’émotion fiévreuse d’une liaison toujours au bord d’une rupture ou d’une réconciliation.

1316. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

En même temps une conviction est le principe de la sincérité, de la vérité, qui est l’essentiel même de l’art, le seul moyen de produire l’émotion et d’éveiller la sympathie.

1317. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

Là où la lésion cérébrale est grave, et où la mémoire des mots est atteinte profondément, il arrive qu’une excitation plus ou moins forte, une émotion par exemple, ramène tout à coup le souvenir qui paraissait à jamais perdu.

1318. (1887) Essais sur l’école romantique

Notre juridiction critique n’a pas le droit d’entrer dans votre cabinet de travail, ni de vous poursuivre dans vos promenades rêveuses, pour vous disputer ou vous mesurer vos émotions ; mais pour la forme vous retombez sous notre compétence, et nous devons vous dire, au risque d’un peu de pédanterie : Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. […] Il s’assied rêveur sur la pierre du cimetière que nous traversons pour abréger notre chemin ; il entre avec nous dans le temple, et, au pied de ces hautes colonnes, sa taille ne dépasse pas la nôtre ; mais son âme perce ces voûtes dont nous nous sentons écrasés, et il trouve des émotions nouvelles là où la routine, qui flétrit jusqu’à la piété, nous laisse recueillis, mais froids. […] Pour celui qui n’a l’honneur d’être ni de ceux qui méprisent philanthropiquement le passé, ni de ceux qui l’admirent savamment, mais qui se sent ému à la vue d’un monument qui rappelle des temps de foi et d’enthousiasme, pour celui-là l’illusion est facile ; il n’a besoin que de se souvenir de ses propres émotions ; il les retrouvera dans le poète, éclaircies par la méditation, et agrandies par le talent. […] Il m’a donné des émotions qui rendaient mon sacrifice peu méritoire. […] Rassasié de poignards, de fioles de poison, d’assassinats, ne demandera-t-il pas des émotions plus fortes, et n’obligera-t-il pas l’auteur, sous peine de ne pas aller à ses pièces, de faire, en guise de drames, des libretti de combats de gladiateurs ?

1319. (1903) Légendes du Moyen Âge pp. -291

On conçoit que l’émotion ait été grande : ce qui surprend, c’est qu’elle ait été aussi durable, ait survécu pendant des siècles, et se soit propagée bien au-delà du pays où elle avait été ressentie. […] Le style du poème du xie  siècle était, il est vrai, sans éclat, et ne portait pas la marque d’une forte personnalité poétique ; mais sa simplicité rendait le poème facile à comprendre et à traduire, et il suffisait à des auditeurs qui demandaient à la poésie non des impressions d’art, mais des émotions et des excitations guerrières. […] Quelle était encore, neuf siècles après l’événement du 15 août 778, l’émotion que produisait la vue de ces lieux devenus sacrés, c’est ce que nous fait comprendre le naïf récit d’un brave prêtre bolonais, Domenico Laffi, qui, de 1670 à 1673, fit trois fois le « saint voyage » de Galice. […] On pense, non sans émotion, au « charnier » dans lequel, d’après la Chanson, Charlemagne fit réunir les corps des Francs tués dans le combat. […] Il la méritait d’autant plus qu’on aimait à désigner comme des lais les chansons des oiseaux des bois, sans doute parce que, comme les lais celtiques que chantaient les bardes ambulants, elles remplissent le cœur d’une émotion tendre, douce et mélancolique, bien que l’esprit n’en perçoive pas le sens précis.

1320. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Quand je la vois, une émotion et des transports qu’on peut sentir, mais qu’on ne sauroit dire, m’ôtent l’usage de la réflexion : je n’ai plus d’yeux pour ses défauts, il m’en reste seulement pour tout ce qu’elle a d’aimable11. […] Corneille, en effet, Crébillon, Schiller, Ducis, le vieux Marlowe, sont ainsi sujets à des lutins, à des émotions directes et soudaines, dans les accès de leur veine dramatique.

1321. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

Quand je la vois, une émotion et des transports qu’on ne saurait dire m’ôtent l’usage de la réflexion. […] Quand je la vois, une émotion et des transports qu’on peut sentir, mais qu’on ne saurait exprimer, m’ôtent l’usage de la réflexion ; je n’ai plus d’yeux pour ses défauts ; il m’en reste seulement pour tout ce qu’elle a d’aimable.

1322. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

Le sang qu’on y répandoit en éloigna d’abord les femmes : mais lorsque ce sexe, sensible à la gloire autant qu’à la galanterie, fait pour n’éprouver & n’inspirer que de douces émotions, eût surmonté sa répugnance, il accourut en foule à ces spectacles ; l’honneur & l’amour devinrent l’ame de ces combats. […] Abondante sans superfluité, riche sans faux brillans, naturelle sans bassesse, simple avec majesté, élevée sans affectation, sublime sans efforts, leur éloquence mâle & nerveuse, tantôt préférant la force du raisonnement aux tours ingénieux & fleuris, s’attachoit moins à plaire qu’à instruire, qu’à convaincre & persuader ; tantôt s’élevant avec le vol de l’aigle jusqu’au sein de la Divinité dont elle sembloit être l’organe, elle étonnoit, ravissoit, arrachoit des larmes & des sanglots : dans les uns, pleine de candeur, animée du seul coloris des graces, tendre, harmonieuse & touchante, elle pénétroit l’ame de la plus douce émotion, & couvroit de fleurs les vérités qu’elle vouloit annoncer aux Peuples comme aux Rois ; dans les autres, brillante, énergique & pittoresque, elle traçoit les mœurs, les vices & les erreurs du temps, & prenoit des mains de la vérité les armes dont elle les combattoit.

1323. (1922) Gustave Flaubert

Flaubert, avec l’aide de Bouilhet, s’est appris à lui-même quelque chose d’analogue. « Méfions-nous, écrit-il, de cette espèce d’échauffement que l’on appelle l’inspiration et où il entre souvent plus d’émotions nerveuses que de force musculaire. […] En 1850, à Constantinople, Flaubert apprit la mort de Balzac, et dans une lettre à Bouilhet il exprime son émotion. […] Elle a conservé un fond de paysanne normande, « guère tendre, ni facilement accessible à l’émotion d’autrui, comme la plupart des gens issus de campagnards, qui gardent toujours à l’âme quelque chose de la callosité des mains paternelles ». […] « La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient, dans leur costume ordinaire, sans exciter d’émotion, de rire ou de rêverie. » Il suffira aux idées de tout le monde de s’endimancher, le jour du Comice agricole, dans la conversation de Rodolphe, pour exciter émotion, rire, rêverie, et d’autres choses encore, chez Emma : le trottoir de la rue, vu un jour férié. […] Comme en écrivant Un cœur simple, il cherchera la grande émotion d’art dans la pureté de la note.

1324. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

L’Harmonie ainsi réduite à la beauté physique des accords, & bornée à la simple émotion de l’organe, n’exige donc, comme l’Architecture, qu’un sens exercé par l’étude, éprouvé par l’usage, docile à l’expérience, & rebelle à l’opinion. […] Chaque genre a son degré d’intérêt & de pathétique : celui de l’églogue ne doit être qu’une douce émotion. […] La passion rejette la parure des graces, les graces sont effrayées de l’air sombre de la passion ; mais une émotion douce ne les rend que plus touchantes & plus vives : c’est ainsi qu’elles regnent dans l’élégie tendre, & c’est le genre de Tibulle. […] C’est donc à l’artiste à se mettre à la place de la nature, & à disposer les choses suivant l’espece d’émotion qu’il a dessein de nous causer, comme la nature les eût disposées elle-même, si elle avoit eu pour premier objet de nous donner un spectacle riant, gracieux, ou pathétique. […] Et combien ces grandes compositions laissent au-dessous d’elles tous ces morceaux d’une invention froide & commune, dans lesquels on admire sans émotion des beautés inanimées !

1325. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Jouffroy »

Un tel morceau, puissant de chaleur et minutieux de souvenirs, où revivent à côté des circonstances individuelles les émotions religieuses et politiques d’alors, serait la révélation biographique la plus directe, tant sur les deux amis que sur toute la génération d’élite à laquelle ils appartiennent.

1326. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

Je craignais que cette émotion, toute de reconnaissance et de bonne intention au début, ne gagnât de rue en rue la ville, n’accumulât une armée entière sur nos pas et ne rallumât dans la multitude l’apparence des séditions que nous nous félicitions d’avoir apaisées.

1327. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Ce n’est pas un dogme conçu par la raison, ni rien qui ressemble à un pareil dogme ; c’est une émotion, une passion plus ou moins fugitive.

1328. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

L’émotion y est sincère.

1329. (1902) Le culte des idoles pp. 9-94

L’émotion a été regardée pendant un demi-siècle comme une vulgarité en art.

1330. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

Le théâtre de la Monnaie restant réfractaire à la lumière nouvelle, c’est désormais à Bayreuth que l’on ira chercher les émotions qu’elle a le pouvoir d’engendrer.

1331. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

Il n’y a là ni passion qui trouble, ni drame qui entraîne, ni émotion qui aveugle : nous sommes en affaires, et les bons comptes font les bons succès.

1332. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

Ils ne sont pas dus à je ne sais quelle anticipation transcendantale de la réalité, mais ils sont la résultante de toute sorte d’impressions et d’émotions accumulées sans ordre, au hasard des circonstances, sans interprétation méthodique.

1333. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VII. M. Ferrari » pp. 157-193

Ferrari parle quelque part du talent palpitant d’émotion, ou superbe de sang-froid, qu’il a trouvé dans ces chroniqueurs qu’on ne lit plus, quand on n’est pas M. 

1334. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

Mais je me demandais avec anxiété si nous l’aurions longtemps encore, si nous aurions l’infatigabilité de l’émotion et de l’admiration à la troisième, ou à la quatrième, ou à la cinquième fois que Victor Hugo nous apporterait son stock d’épopées.

1335. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vii »

Quelle joyeuse émotion pour les deux amis qui jadis avaient fondé ensemble le journal Leurs Figures, et qui ne s’étaient pas vus depuis le 4 août 1914 !

1336. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

Selon Bain, les sentiments moraux sont d’un caractère très-complexe ; ils résultent en grande partie de la combinaison des affections sociales et des émotions sympathiques ou antipathiques.

1337. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

C’était l’expression des émotions les plus vives de la terreur ou de la joie.

1338. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Le bonhomme ne se sent pas d’émotion et de joie ; sa femme, très troublée, garde un silence douloureux. […] En savez vous qui contiennent à la fois plus d’émotions et d’idées ? […] Ce sont les scènes où Paula découvre le secret de sa mère, tombe foudroyée, puis est relevée et consolée par son vieil ami, et pardonne à sa mère, et sent qu’elle l’aime d’autant plus… Tout cela est excellent, simple, rapide, et d’une émotion intense. […] « Plus d’émotion… plus de larmes. […] Je crois bien que ce public ne rapporterait rien de plus d’un vaudeville de Meilhac que d’une chanson de Paulus ; et toute l’émotion esthétique dont il est capable, une romance amoureuse ou patriotique la lui procure aussi pleinement qu’une tragédie de Racine.

1339. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

comme l’émotion en est plus profonde, plus intense ! […] ne croyez point que, pour écrire ces vers, il ait suffi de parcourir des yeux une carte du ciel, ou, comme on eût fait il n’y a pas longtemps, comme le bon Hugo faisait en ses vieux jours, d’ouvrir un Dictionnaire, Mais plus beaux encore, comme de vrais vers de poète, de tout ce qu’ils suggèrent à l’imagination que de tout ce qu’ils contiennent, il fallait pour les trouver, eux, cette inspiration intérieure qui fait ici la beauté de l’énumération ; il fallait que l’émotion de la science se joignît à celle de la poésie ; et il fallait que la sensibilité s’y échauffât de la chaleur de l’intelligence. […] Et non seulement son domaine est le plus vaste peut-être qu’il y ait dans l’art, mais encore il ne lui est pas interdit d’empiéter sur celui des autres genres, et de nous procurer, s’il s’en trouve capable, jusqu’aux émotions de la tragédie ou de la poésie même. […] Il y a plus d’habileté, plus d’adresse, un désir plus évident de plaire, plus de concessions aussi, dans la Confession d’un amant ; il y a plus d’art, avec plus de réalité, et cependant plus de « romanesque » dans la Force des choses, plus d’émotion, plus de discrétion, plus de tendresse aussi ; et il y a enfin dans Daniel Valgraive plus de maturité, plus de volonté, plus de noblesse, — il y a plus de profondeur et d’élévation à la fois. […] Car ils deviennent une pièce dans la pièce ; et, sollicités que nous sommes par leur netteté même de les prolonger, pour en mieux jouir, au-delà de leur durée, si c’était l’attention qu’ils détournaient tout à l’heure, c’est maintenant le public lui-même qu’ils partagent, en interrompant la communication d’émotions qui est sans doute aussi l’un des plaisirs du théâtre.

1340. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

Lélia et Indiana, écrits dans un accès de lièvre, Valentine et André, ces deux poèmes des irrémédiables faiblesses, la dernière Aldini, le Secrétaire intime et surtout Mauprat, son chef-d’œuvre, où, tantôt parmi les aventures romanesques, tantôt parmi les peintures ingénues du cœur, respirent les émotions viriles, ne forment-ils pas autant de groupes distincts ? […] Ceux qui ont lu Doit et avoir n’ont pas oublié la jolie scène où Antoine se trouve, pour la première fois, en face de Léonore, dans le parc de Rothsattel, ni quelles émotions éveille en lui cette soudaine révélation des élégances du monde et des faciles grandeurs de la vie opulente. […] Flaubert, ressemble à une belle lame d’acier, polie, aiguë et froide, qui pénètre profondément dans les chairs et que remue à loisir, aux places douloureuses, une main sans émotion. […] Toute cette émotion n’a pas empêché les éditeurs qui viennent de nous donner, pour la première fois, un Saint-Simon complet et fidèle, de publier de nouveau le manuscrit de Clermont ; ç’a été, de leur part, rendre à l’histoire de nos mœurs un service capital, n’y ayant guère d’ouvrage qui en apprenne plus que celui-là sur le grand siècle. […] Aussi, malgré plusieurs scènes, en leur genre supérieures, l’ensemble de la comédie nous laisse froids ; on y cherche vraiment l’accent d’une émotion forte, et jusqu’à Je vous hais, tout s’y dit avec calme.

1341. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Il a tiré le plus grand parti de circonstances singulièrement convenables pour ses moyens et ses vues, du dégoût général de la popularité, de la terreur des émotions civiles, de la prépondérance rendue à la force militaire, où il porte à la fois le génie qui dirige les troupes et le ton qui leur plaît ; enfin, de la situation des esprits et des partis qui laissait craindre aux uns la restauration des Bourbons, aux autres la liberté publique, à plusieurs l’influence des hommes qu’ils ont haïs ou persécutés, à presque tous un mouvement quelconque, et l’obligation de se prononcer. […] » J’ai parlé du rôle et de ce qui s’y glisse inévitablement de factice à la longue, même pour les plus vertueux ; mais ici la solitude est profonde, la rentrée en scène indéfiniment ajournée ; au sein d’une agriculture purifiante, dans le sentiment triste et serein de l’abnégation, en présence des amis morts, tout inspire la conscience et l’affranchit ; ces pages du prisonnier d’Olmütz devenu le cultivateur de Lagrange ont un accent fidèle des mâles et simples paroles de Washington ; elles feront aisément partager à tout lecteur quelque chose de l’émotion qui les dicta.

1342. (1927) André Gide pp. 8-126

… » et lorsqu’il précise : « Multiplier les émotions… Que jamais l’âme ne retombe inactive ; il faut la repaître d’enthousiasmes… », on se demande s’il annonce Nietzsche et son « Vivre dangereusement !  […] L’émotion musicale n’est guère mesurable : l’écriture musicale obéit à des lois mathématiques.

1343. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre V. La philosophie. Stuart Mill. »

Nous pouvons bien admettre qu’il y a en nous une âme, un moi, un sujet ou « récipient » des sensations et de nos autres façons d’être, distinct de ces sensations et de nos autres façons d’être ; mais nous n’en connaissons rien. « Tout ce que nous apercevons en nous-mêmes, dit Mill1473, c’est une certaine trame d’états intérieurs, une série d’impressions, sensations, pensées, émotions et volontés. […] Quand je dis que le feu est chaud, je veux dire par là que, lorsque le feu est à portée de mon corps, j’ai la sensation de chaleur. « Quand nous disons d’un esprit qu’il est dévot ou superstitieux, ou méditatif, ou gai, nous voulons dire simplement que les idées, les émotions, les volontés désignées par ces mots reviennent fréquemment dans la série de ses manières d’être1475. » Quand nous disons que les corps sont pesants, divisibles, mobiles, nous voulons dire simplement qu’abandonnés à eux-mêmes, ils tomberont ; que tranchés, ils se sépareront ; que, poussés, ils se mettront en mouvement ; c’est-à-dire qu’en telle et telle circonstance ils produiront telle ou telle sensation sur nos muscles ou sur notre vue.

1344. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1863 » pp. 77-169

Elle énumère les actrices facilement dérangées par les émotions de la scène, les actrices breneuses, foireuses, diarrhéeuses, les comédiennes perdant leurs légumes, selon son expression, citant comme les modèles du genre Mlle Georges, Mlle Rachel, Mme ***. […] Ces pages me transportent d’émotion.

1345. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

Cette nature vibrante ne se révélait jamais plus intensivement que de plain-pied avec le marbre ou le tableau placés devant elle, et qui lui envoyaient cette émotion : — le « coup de hache » qu’ont à la tête tous les grands « artistes », a-t-il dit, et que lui aussi il y avait ! […] quand on a lu attentivement Diderot, quand on sort de la cahotante lecture de ses œuvres, on ne peut pas lui demander ce qu’il n’a pas ; on ne peut pas lui reprocher de n’avoir point mis dans ses lettres ce qu’il n’a pas mis dans ses livres : la grâce, l’élégance, la souplesse, la sveltesse, la délicatesse, la finesse, la distinction naturelle, l’émotion naïve, aucune enfin de ces qualités patriciennes inconnues à sa nature de bourgeois, aucun des mille charmes de ceux-là qui ont le talent de la lettre, qui n’est pas le talent des lettres, car ces deux talents peuvent être séparés comme ils peuvent être réunis.

1346. (1864) Le positivisme anglais. Étude sur Stuart Mill

« Tout ce que nous apercevons en nous-mêmes, dit Mill2, c’est une certaine trame d’états intérieurs, une série d’impressions3, sensations, pensées, émotions et volontés. » Nous n’avons pas plus d’idée de l’esprit que de la matière ; nous ne pouvons rien dire de plus sur lui que sur la matière. […] « Quand nous disons d’un esprit qu’il est dévot ou superstitieux, ou méditatif, ou gai, nous voulons dire simplement que les idées, les émotions, les volontés désignées par ces mots reviennent fréquemment dans la série de ses manières d’être4. » Quand nous disons que les corps sont pesants, divisibles, mobiles, nous voulons dire simplement qu’abandonnés à eux-mêmes, ils tomberont ; que, tranchés, ils se sépareront ; que, poussés, ils se mettront en mouvement ; c’est-à-dire qu’en telle et telle circonstance ils produiront telle ou telle sensation sur nos muscles ou sur notre vue.

1347. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

Bourget : je me permettrais d’en douter, et, quant à ceux qui sont en dehors du groupe, je ne crains pas d’affirmer qu’ils ont souvent, en lisant ces mêmes ouvrages, ressenti des émotions contraires. […] « Qui n’a goûté, s’écrie-t-il35, des minutes d’une émotion délicieuse devant le portrait d’une des princesses du temps jadis ?  […] Bourget est de pâte trop tendre pour rechercher les âpres émotions du combat. […] Il se soucie moins de peindre le monde extérieur que les impressions et les émotions qu’il en reçoit ; et, quand il veut rendre les caractères d’un site, la physionomie d’un paysage, c’est au monde moral qu’il emprunte le plus souvent ses traits.

1348. (1900) Molière pp. -283

Voyez plutôt la petite Louison, la fille du Malade imaginaire, qui fait si galamment la morte quand son père la menace du fouet, son père, qui est malade, ou que tout au moins elle croit malade, et qu’elle peut tuer en lui donnant cette émotion ; à force de regarder les allées et venues de Cléante et de Marianne, elle est devenue bien savante, elle dit si bien à son père ce qu’elle a vu ! […] Je ne sais pas comment vous êtes, mais, pour moi, je n’ai jamais pu lire sans émotion, sans me mettre du parti de cet avare si insensible, d’Harpagon, la scène où l’on vient de lui prendre sa cassette ; il n’y a rien de plus tragique : Au voleur ! […] Il faut surtout qu’il l’exerce sous l’inspiration ou le pressentiment d’événements considérables, et, autant que possible, dans un de ces moments de crise qui sont rares, en bien comme en mal, dans l’histoire des peuples, et où l’émotion universelle des cœurs se communique et se fond en une seule âme, l’âme des poètes. […] ALCIBIADE Je ne suis donc pas plus sage, Aspasie ; car sur un mot de ta bouche je conçois mille espérances ou mille craintes, mon cœur s’agite des émotions les plus diverses ; d’un mot tu me ravis, d’un mot tu me désoles.

1349. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Ce n’est jamais en tout cas une idée pure ; elle est toujours liée à une émotion, et toute émotion retentit au centre sexuel, soit pour le surexciter, soit pour le déprimer. […] Nous nous ennuyons lorsque notre esprit ne peut se fixer, s’arrêter sur rien, lorsque nous n’éprouvons aucune émotion vive, mais une série d’impressions monotones ou incohérentes ». […] L’intensité des émotions allonge le temps. […] Sur les grèves les plus dénuées d’hommes, on n’est jamais seul, et sur celles qui voient les plus grands rassemblements, c’est la mer qui est le grand personnage et le plus vivant, celui qui parle et que l’on considère avec émotion ou curiosité, même quand on ne comprend pas son langage.

1350. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. » pp. 124-157

Si quelqu’un a été soi dès le début, c’est bien elle : elle a chanté comme l’oiseau chante, comme la tourterelle gémit, sans autre science que l’émotion du cœur, sans autre moyen que la note naturelle.

1351. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

« Les femmes croient souvent aimer, encore qu’elles n’aiment pas : l’occupation d’une intrigue, l’émotion d’esprit que donne la galanterie, la pente naturelle au plaisir d’être aimées, et la peine de refuser, leur persuadent qu’elles ont de la passion, lorsqu’elles n’ont que de la coquetterie. »(Maximes.

1352. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Mais si l’on se reporte au fond de la situation, que de pathétique, que de passions et d’émotions naturelles en présence, dans ce déchirant spectacle !

1353. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 65-128

Je m’approchai avec un visage gracieux, compatissant, de la loge de la femme du galérien qui donnait le sein à son nourrisson ; je la plaignis, je la flattai d’une prochaine délivrance, de la certitude de retrouver son amant après sa peine accomplie ; je la provoquai à me raconter toutes les circonstances que déjà je connaissais de ses disgrâces ; je fis vite amitié avec elle, car ma voix était douce, attendrie encore par l’émotion que j’avais dans l’âme depuis le matin ; de plus nous étions du même âge, et la jeunesse ne se défie de rien, pas plus que l’amour et le chagrin.

1354. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXIXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 129-192

Son oncle pressait sa tête contre ses genoux chancelants d’émotion ; moi, je pleurais sans rien lui dire que son nom dans mes sanglots, en tenant sa main toute mouillée dans la mienne.

1355. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

XXII Les écrits qu’elle composa alors portent l’empreinte d’une généreuse émotion.

1356. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Il cherche les tableaux sublimes plus que les raisonnements victorieux ; il sent et ne dispute pas ; il veut unir tous les cœurs par le charme des mêmes émotions, et non séparer les esprits par des controverses interminables : en un mot, on dirait que le premier livre offert en hommage à la Religion renaissante fut inspiré par cet esprit de paix qui vient de rapprocher toutes les consciences. » En parlant ainsi, il caractérisait l’ouvrage tel qu’il l’avait autrefois conseillé à son ami, mais non pas tel tout à fait que celui-ci l’avait exécuté en bien des points : l’esprit de douceur et de paix n’y respirait pas avant tout, et il y avait plus d’éclat que d’onction.

1357. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

On peut dire que la moitié des pages éloquentes ou des émotions poétiques du xve  siècle (comme déjà du xive ) est un produit du patriotisme, l’expression d’un amour nouveau de la France, et de la tendresse ou de l’indignation que les misères des humbles et des laborieux excitent.

1358. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

Bref, une poésie sans pensée, à la fois primitive et subtile, qui n’exprime point des suites d’idées liées entre elles (comme fait la poésie classique), ni le monde physique dans la rigueur de ses contours (comme fait la poésie parnassienne), mais des états d’esprit où nous ne nous distinguons pas bien des choses, où les sensations sont si étroitement unies aux sentiments, où ceux-ci naissent si rapidement et si naturellement de celles-là qu’il nous suffît de noter nos sensations au hasard et comme elles se présentent pour exprimer par là même les émotions qu’elles éveillent successivement dans notre âme… Comprenez-vous Moi non plus.

1359. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Mme Desbordes-Valmore » pp. 01-46

Je voudrais te donner non l’émotion trop vive, mais la consolation qui reste d’une telle entrevue.

1360. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

Toutefois lorsque nous avons l’occasion d’entendre Œdipe à Colone, ou Œdipe-Roi, Horace, Athalie, Le Misanthrope, nous sentons qu’aucune lecture, fût-ce la plus belle de toutes, n’est capable de nous donner le ravissement, l’émotion supérieure, que nous éprouvons au spectacle d’un de ces chefs-d’œuvre.

1361. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Si j’avais pu croire que la théologie et la Bible étaient la vérité, aucune des doctrines plus tard groupées dans le Syllabus, et qui, dès lors, étaient plus ou moins promulguées, ne m’eût causé la moindre émotion.

1362. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre V : Règles relatives à l’explication des faits sociaux »

Les représentations, les émotions, les tendances collectives n’ont pas pour causes génératrices certains états de la conscience des particuliers, mais les conditions où se trouve le corps social dans son ensemble.

1363. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

Et c’est son émotion presque religieuse, quand elle est intense, qui fait, du même coup, la beauté de son talent et de son histoire.

1364. (1885) Les étapes d’un naturaliste : impressions et critiques pp. -302

Une émotion délicieuse lui piquait les yeux ; car malgré ses quarante ans passés, la vie politique si desséchante, il gardait encore, par un bénéfice de nature, beaucoup d’imagination, cette sensibilité de surface qui trompe sur le fond vrai d’un caractère. […] Vêtus de leurs plus beaux habits de gala, sur leur trente-un, graves comme des gens que leur chemise empesée étrangle, le cœur palpitant d’émotion, le père et le fils sont introduits dans le salon du grand personnage, qui daigne, après demi-heure d’attente, venir recevoir leurs hommages, en robe de chambre à chinoiseries, une grecque sur la tête et des pantoufles de couleur aux pieds. Le pays est charmant, la solitude et le repos délicieux, mais insupportables pour un homme habitué depuis plus de vingt années aux émotions de la vie de Madrid, aux combats de la politique, aux agitations du grand monde.

1365. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Supposez qu’Hélène lui fût apparue à travers les chocs des armes et dans la première émotion de sa vengeance, quand son cœur était emporté par les spectacles du meurtre ; le bandeau, qui eût aveuglé sa fureur, eût dérobé ses appas à sa vue, et l’eût rendu peut-être inflexible. […] S’il est agréable de suivre un moment la démarche embarrassée de la faible Herminie, si l’on sourit de la peine qu’elle éprouve à porter la lourde armure sous laquelle son sein palpite de crainte, c’est qu’on reconnaît en elle une amante périlleusement déguisée : l’esprit, qui l’accompagne avec plaisir dans sa fuite, partage tellement son émotion, qu’à l’heure où, refugiée sous la chaumière des pasteurs, elle y détache sa cuirasse, on croit soi-même en déposer le poids. […] comme alors l’habileté de Virgile prend soin de suspendre les émotions excitées, en profitant des hasards qui poussent Énée sur des bords où des solennités annuelles et des honneurs funéraires, consacrés par les peuples, s’allient à des jeux nobles et divertissants.

1366. (1902) Propos littéraires. Première série

Les couleurs changeantes que les jeux de la lumière étendaient sur son glacier, donnaient à la lourde masse un aspect de figure inquiète, que transforment de puissantes émotions. […] Paul Bourget publie aujourd’hui un petit chef-d’œuvre d’analyse morale et d’émotion délicate intitulé Deuxième amour. […] « un homme, sans aucun effort de sa part, reçoit-il en présence de l’œuvre d’un autre homme une émotion qui l’unit à cet autre homme et ci d’autres encore, recevant en même temps que lui la même impression ? […] Jamais on n’a parlé de la jeunesse en termes plus élevés ni avec une plus grande émotion religieuse. […] On devrait en avertir sur le livret. » C’est la pensée maîtresse de Ruel, en ces questions, que l’art est un créateur d’émotions nobles et que, quand c’est à quoi il ne réussit point, il n’est guère qu’un métier, ayant cette particularité qu’il est inutile.

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