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568. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite et fin.) »

Bibliothécaire de titre plutôt que de fait au Palais-Royal, et depuis au ministère de l’Intérieur, sauf les quelques heures du milieu du jour qu’il livrait à son emploi, il vivait volontiers retiré, solitaire, — non pas trop solitaire pourtant : il aimait à habiter dans des quartiers éloignés, au fond d’un jardin, dans quelque pavillon un peu mystérieux, rimant dès l’aurore, récitant ses rimes aux oiseaux, cultivant et prolongeant quelque amour, — un amour sur lequel la fidélité avait passé. […] Le sonnet est bon, il n’est pas excellent : il ne vivra pas. […] vivrait-il, même quand il serait parfait et excellent ? […] , il vivait si en dehors du monde, que j’ai été seul de ses anciens amis à son convoi.

569. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

Elle ne peut vivre qu’à Paris. […] Elle a l’air de se moquer de d’Erfeuil, dans Corinne : mais il y a beaucoup d’elle encore dans ce Français qui ne saurait se passer de la société, et pour qui causer, c’est vivre. […] Léonce et Delphine, Oswald et Corinne ne vivent pas, ils sont vagues et fades. […] Le livre de l’Allemagne (1810) est vraiment un beau et fort livre, si on ne cherche dans un livre que de la pensée : c’est le livre par lequel Mme de Staël vivra.

570. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

Elle est dangereuse à moins qu’elle ne s’asservisse à la religion laïque qui n’est pas encore promulguée, mais pour la Bible de laquelle tant de fidèles demandent à souscrire ; la science est dangereuse parce qu’elle est autonome, et que nul ne saurait prévoir les conclusions qu’elle commandera et qui contrediront peut-être les dogmes moraux improvisés ; l’art est à proscrire aussi, s’il ne veut pas servir, s’il prétend vivre pour lui-même, non pour l’adorable je ne sais quoi dont de tendres consciences ont cure. […] Il laissera les autres se développer librement, et vivra de son mieux, satisfaisant ses instincts sociaux les plus spontanés, sans étouffer, dévotement, le culte humain de la raison. […] Cette défense n’est pas impossible ; on peut vivre très longtemps derrière des digues : voyez la Hollande. […] Il s’agit de préférer à son être son idée, de mettre la pensée devant la force et le renoncement devant la joie de vivre.

571. (1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

* * * La Science qui tue la poésie de rêverie (celle-là seule, car celle qui se lève l’appelle au contraire et prend en elle son principe rationnel), la Science et son positivisme n’avaient étreint les fronts encore pour le doute fécond, et tout naturellement la Poésie s’accommodait-elle des songeries des philosophes prioristes ne gênant ses religiosités, ou le plus souvent les ignorait-elle même : et le bonheur de vivre, troublé de seules mélancolies d’amour, s’épanchait aux mots sonores, et la douceur des légendes des cultes était en tout poème, en tout cantique d’amour. […] Et dire qu’une prétendue école novatrice voulut vivre sur cette prétendue trouvaille. […] Le Soin de vivre. — V.  […] ou n’a plus satisfait ma pensée plus positive qui ne voulut vivre de paradoxe et d’orgueil petit : les insultes (pas trop hautes), et les vains et secrets sarcasmes, raisons de l’impuissance et de la sottise, ne m’ont pas été épargnés.

572. (1887) La banqueroute du naturalisme

Épiques ou apocalyptiques, puisque c’étaient les qualités nouvelles qu’il fallait louer dans Germinal, par exemple, ou dans L’Œuvre, nous ne l’eussions pu faire d’ailleurs qu’aux dépens des anciennes, de celles que nous goûtions peu, mais que nous reconnaissions enfin dans L’Assommoir ou dans Le Ventre de Paris ; et, pour La Joie de vivre, en dépit des clameurs, nous n’y pouvions vraiment rien voir de plus obscène ou de plus incongru que dans Pot-Bouille ou dans Nana. […] Dans L’Œuvre, dans Germinal, dans La Joie de vivre, on pouvait encore, en y regardant bien, discerner quelque trace et reconnaître au moins quelque effort d’observation, mais ici, c’est vainement qu’on en chercherait l’ombre ; et les jésuites d’Eugène Sue, les mousquetaires d’Alexandre Dumas, les Burgraves eux-mêmes de Victor Hugo sont plus vrais, moins fantastiques, plus vivans peut-être que les paysans de M.  […] J’aimerais autant qu’un expéditionnaire affichât le mépris de l’orthographe et de la calligraphie, c’est-à-dire des instrumens mêmes du métier qui le fait vivre ! […] Quant à ceux qui ne lui reprochent que ses obscénités, il faut vraiment qu’ils aient oublié dans quel temps ils vivent, et les autres romans qu’ils lisent, et à quelle sorte d’histoires, sur leurs vieux jours, ils s’acharnent encore eux-mêmes.

573. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) «  Poésies inédites de Mme Desbordes-Valmore  » pp. 405-416

Quant à elle-même, portant et cachant son mal, ce mal, dit-elle, dont on n’ose souffrir, dont on n’ose ni vivre ni mourir, elle découvre tout au fond de son cœur, un jour, qu’il n’y a qu’un remède, un consolateur ; et comme elle a en elle de cette flamme et de cette tendresse qui transportait les Thérèse et les Madeleine, comme elle a sucé la croyance avec le lait, elle regarde enfin là où il faut regarder, et elle s’écriera dans des stances qui se peuvent lire, ce me semble, après certain sermon de Massillon : La couronne effeuillée J’irai, j’irai porter ma couronne effeuillée Au jardin de mon père où revit toute fleur ; J’y répandrai longtemps mon âme agenouillée : Mon père a des secrets pour vaincre la douleur. […] Pareille à l’espérance en d’autres temps rêvée, Ta voix ouvre une vie où l’on vivra toujours ! […] Pareille à l’espérance en d’autres temps rêvée, Ta voix ouvre une vie où l’on vivra toujours !

574. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Tallemant des Réaux »

Touché et séduit par l’idée qu’il eût pu, s’il avait vécu de son temps, étaler ses aiguillettes et ses canons à côté de la robe bouffante de madame de Fiesque ou de la marquise de Sablé, Paulin Paris n’a pas un mot profond, grave et vrai, sur ce xviie  siècle qui attend toujours son juge, et qui, pour des raisons diverses, impose à tant de gens, tous plus ou moins compromis dans cette conspiration contre l’Histoire qui dure depuis deux cents ans et que de Maistre a dénoncée, mais sans pouvoir la faire condamner. […] Il est le père de cet Enfant Prodigue qui a vécu parmi les pourceaux, et qui, plus mauvais que le fils prodigue des Saintes Écritures, ne reviendra jamais à la maison paternelle, car il l’a détruite de ses propres mains. […] Il va, il vient, il flâne, il trotte sur les pas de son vieux Tallemant, mais de repli véhément sur soi-même, de réflexion, d’appréciation pénétrante qui ouvre le flanc à cette société qui a la mort dans les entrailles et qui a l’air de vivre si fort, il n’y en a trace nulle part dans la préface ou dans les notes de ce bel esprit superficiel.

575. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Ch.-L. Livet »

Pendant qu’elle vivait, elle faisait chanter les Benserade, les Scudéry et les Voiture, et tous ces oiseaux légers de la fantaisie et de la flatterie toujours si près de s’envoler, en leur donnant toutes sortes de pâtées, — la pâtée de l’accueil, du sourire et des fêtes, et la pâtée de la pâtée ; car on soupait et on collationnait très bien à l’hôtel Rambouillet, et c’était assez pour qu’ils ramageassent leurs madrigaux et leurs sonnets. […] Homme de son temps (c’est l’éloge du temps), et voyant partout, comme les historiens de ce temps, des influences, il a pénétré celle qu’exerça la marquise de Rambouillet : « Sous cette influence — dit-il — les hommes commencèrent à rechercher la société des femmes, qu’ils n’avaient jamais recherchée jusque-là. » On le sait, ils vivaient dans les bois ! […] Virginité passé au verjus, elle aurait été en 48, si elle avait vécu, du Club des femmes.

576. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Xavier Eyma » pp. 351-366

… Xavier Eyma, qui a vécu en Amérique et de l’Amérique, car toute sa littérature est américaine, Xavier Eyma, qui a été un romancier américain avant d’être un historien américain, est certainement de sentiments, de volonté, de goût, d’admiration hautement et incessamment exprimée dans ce livre même, un apologiste très renseigné et très convaincu des choses et des hommes de l’Amérique. […] Mais l’Amérique, telle qu’elle s’est constituée et telle qu’elle a vécu depuis la déclaration de son indépendance, est-elle même une si grande chose qu’il faille effacer de son front la marque de son origine ? […] J’aurais dit que souvent, dans son livre, Florian pille Salvandy… Mais j’aime mieux finir par un regret qui eût fait, s’il eût vécu, peut-être réfléchir l’auteur de La République américaine.

577. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Athanase Renard. Les Philosophes et la Philosophie » pp. 431-446

Mais où commence la différence entre ces deux inconnus faits pour ne pas l’être, le voici : L’auteur des Ruines de la Monarchie française est mort dédaigneux de la publication de son livre, qu’il savait, de conception et de sujet, impopulaire, l’ayant gardé fermé sous son coude après l’avoir écrit, et achevé ainsi de vivre, la tête qui l’avait pensé dans sa main, ne demandant rien à son siècle… L’auteur des Philosophes et la Philosophie n’a pas eu, lui, cette indifférence, qui est une impertinence sublime ! […] Il n’est point pédant comme les philosophes qu’il combat, et dont quelquefois il se moque avec une bonhomie meurtrière… Du fond de sa province, où il est peut-être resté toute sa vie, — comme Rocaché, le grand médecin des Landes, cet immense praticien, plus haut que la fortune et que la gloire, inconnu à Paris, mais regardé comme un dieu de Bordeaux à Barcelone, où il régna cinquante ans sur la santé et sur la maladie, — le Dr Athanase Renard, dont j’ignore la valeur comme médecin, apparaît dans son livre comme un robuste penseur solitaire, et ce qui étonne davantage, comme un homme de la compétence la plus éclairée sur toutes les questions d’enseignement, de méthodes et de classifications de ce temps, et comme s’il avait vécu dans le milieu philosophique où ces questions s’agitent le plus… Par ce côté, il ressemble encore à Saint-Bonnet, le grand esprit métaphysique dont le rayonnement finira un jour par tout percer, et qui aussi vivait au loin de ce que les flatteurs ou les fats de Paris appellent insolemment la Ville-lumière.

578. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Maynard »

Toujours est-il qu’on avait l’air de ne pas oser… On vivait, non sur les vieilles histoires, mais à côté des vieilles histoires (car on ne les lisait guères) d’Abelly et de Collet, ces modestes garde-notes historiques qui n’eurent jamais, du reste, la prétention de s’élever à ce que nous autres modernes appelons de l’histoire, nous dont le seul mérite devant la postérité sera d’en avoir élargi la notion. […] Et pourquoi, puisqu’il s’agit ici d’un homme assez saint pour faire des miracles, saint Vincent de Paul, avec qui l’abbé Maynard a vécu intimement des années dans la contemplation de sa pensée et de sa vie, n’aurait-il pas été ce miraculeux coup de soleil ? […] Ôtez par hypothèse cette aide surnaturelle, mais évidente, d’un Dieu qui versait en son serviteur ce qui abrège tout en faisant voir tout, Vincent certainement ne suffira plus aux choses prodigieuses qu’il a accomplies, et ces choses, trop grandes ou trop nombreuses, déborderont de toutes parts, sans pouvoir y tenir, la coupe profonde des quatre-vingts ans qu’il vécut !

579. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Malot et M. Erckmann-Chatrian » pp. 253-266

N’avons-nous pas vu plus travaillées et plus rutilantes qu’ici les éternelles antithèses de la femme de vingt-sept ans et de la jeune fille de dix-sept, de la femme qui sait et de la jeune fille ignorante, de la brune enfin et de la blonde, pour que la physiologie, sans laquelle nous ne pouvons vivre même littérairement, y soit ? […] Chatrian n’a pas de plus grands ennemis de son livre que les souvenirs éveillés par son livre, et c’est la réminiscence qui le fait vivre qui le fait mourir ! […] Avoir fait d’Hoffmann et d’Edgar Poë une combinaison honnête, avoir fait d’Hoffmann, l’halluciné de fumée de pipe, le nerveux suraigu, le labes dorsal qui vécut des années avec une moelle épinière à feu, et d’Edgar Poë, plus étonnant encore, d’Edgar Poë, l’ivresse la plus noire et la plus rouge qui se soit allumée jamais dans une tête humaine sans la faire éclater, le mangeur d’opium arrosé d’eau-de-vie, le delirium tremens devenu homme jusqu’à ce que l’homme fût entièrement tué par le delirium tremens, faire de ces deux puissants génies malades une petite créature qui ne se porte pas trop mal, et qui nous trempe l’esprit comme une mouillette dans une mixture… sans inconvénient, n’est-ce pas un début magnifique ?

580. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iv »

La France doit vivre, la France vivra.‌ […] J’ai vécu ce soir l’heure merveilleuse de ma vie, celle pour laquelle j’étais préparé dès ma naissance.

581. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIX. Panégyriques ou éloges composés par l’empereur Julien. »

Sons lui le peuple des villes, heureux sans insolence, s’accoutumera à vivre dans l’abondance sans orgueil ; le peuple des campagnes, en cultivant ses champs, fournira le nécessaire à ceux qui, le fer à la main, défendent ses moissons. Tous, à l’abri de l’ennemi domestique et étranger, vivront dans une paix profonde, adorant leur souverain, qui est pour eux l’auteur de tant de biens, remerciant les dieux, et invoquant sur lui les faveurs célestes. […] Philosophe, orateur, qui que tu sois, veux-tu vivre ; traite des sujets, qui, à deux mille lieues de toi, et dans deux mille ans, intéressent encore !

582. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

Après le collège, il revient vivre à Milly, lisant au hasard, se promenant, chassant, rêvant. […] Il est excellent d’avoir vécu, ou même, simplement, de s’être laissé vivre, avant d’écrire. […] J’ai vécu ! […] Les méchants qui persistent, les méchants qui doivent demeurer impénitents pourquoi vivent-ils ? […] Être seul, c’est régner ; être libre, c’est vivre.

583. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le théâtre annamite »

Étant des magots qui vivent, ils sont beaucoup plus laids que des brutes, et plus inquiétants. […] On me dira : « Mais, monsieur, oubliez-vous que nous vivons au siècle de la critique et de l’histoire ?

584. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Chénier, André (1762-1794) »

On continuera à louer en lui ces images vives et brillantes que sa muse a répandues ; toutefois on ne le considérera plus comme notre seul et premier peintre poétique ; on n’oubliera pas que La Fontaine, Racine, Fénelon, et même Boileau, avaient ouvert, bien avant lui, la pure et vraie source des comparaisons et des images, sans jamais tomber dans la prodigalité ; on n’oubliera pas non plus que Chénier vécut dans un siècle descriptif et que ce don de peindre ou même de colorier les objets, qu’il a perfectionné sans doute, a pourtant été celui de plusieurs de ses contemporains. […] Peut-être l’habitude de l’antiquité nous égare, peut-être avons-nous lu avec trop de complaisance les premiers essais d’un poète malheureux ; cependant nous osons croire et nous ne craignons pas de le dire, que, malgré tous ses défauts, André de Chénier sera regardé comme le père et le modèle de la véritable élégie… Il est hors de doute que si André de Chénier avait vécu, il se serait placé un jour au rang des premiers poètes lyriques.

585. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Panurge » pp. 222-228

Avec son gros frère Jean des Entommeures, ce dont il se préoccupe en somme après avoir bu et raillé, c’est de choses plus personnelles, de la grande aventure qu’il appréhende, de son mariage, ou, plus précisément, de ne point « s’adonner à mélancholie », de chasser toute altération d’âme, de vivre gaillardement en une profonde quiétude d’esprit. « Remède à fâcherie ?  […] » Il faut jouir de vivre, en gens avisés, distraits, prompts d’intelligence.

586. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Clément Marot, et deux poëtes décriés, Sagon & La Huéterie. » pp. 105-113

Avant que de se lever, Honneur harangue la compagnie, & dit aux convives : De paix devriez être bons amateurs, Vivre en amour comme frêres & filz De Minerve, disant de Discord, sy ; Et vous tenir d’Apollo le begnin Vrays zélateurs, déchassant tout venin. […] Honneur dit ensuite : « Voulons & ordonnons que Clément Marot, Sagon & autres cy-présens, beuront ensemble devant partir de ce lieu : leur enjoignons cy-après estre bons amys, & vivre sans aucun contredit, sous les peines contenues èsdites conditions cy-devant déclarées ; plus, sur peine d’estre privé de la court de céans, sans nul espoir de jamais obtenir grace, & estre privé de tout honneur à son grand deshonneur.

587. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 6, que dans les écrits des anciens, le terme de chanter signifie souvent déclamer et même quelquefois parler » pp. 103-111

Section 6, que dans les écrits des anciens, le terme de chanter signifie souvent déclamer et même quelquefois parler Strabon qui a vécu sous le regne d’Auguste, nous apprend d’où procedoit la signification abusive que le mot de chant, celui de chanter et leurs dérivez avoient alors. […] Donat et Euthemius, qui ont vécu sous le regne de Constantin Le Grand, disent dans l’écrit intitulé : de tragedia et comedia commentatiunculae, que la tragedie et la comedie ne consistoient d’abord que dans des vers mis en musique, et que chantoit un choeur soutenu d’un accompagnement d’instrumens à vent.

588. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — IV. Les ailes dérobées »

Donc attends-toi à la mort car, dans un instant, tu auras cessé de vivre. […] Ils vécurent ainsi quelques années ensemble et Sakaye eut de la yébem trois enfants droits « comme un chemin »144 tous les trois et jolis comme des verroteries.

589. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre III. Trois principes fondamentaux » pp. 75-80

I Qu’on n’oppose point au premier de nos principes le témoignage de quelques voyageurs modernes, selon lesquels les Cafres, les Brésiliens, quelques peuples des Antilles et d’autres parties du Nouveau-Monde, vivent en société sans avoir aucune connaissance de Dieu35. […] Bayle a sans doute été trompé par leurs rapports, lorsqu’il affirme, dans le Traité de la Comète, que les peuples peuvent vivre dans la justice sans avoir besoin de la lumière de Dieu .

590. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

On aspirait à la médiocrité pour vivre. « Qu’as-tu fait pour vivre pendant la Convention ?  […] Or, une nation obligée de se rapetisser et de se taire pour vivre perd bientôt sa langue avec ses idées. […] J’avais vécu seul à Rome avec les livres pendant tout un hiver. […] Je me sentais fier de respirer le même air dont ils vivaient sur la même minute de temps. […] J’ai vécu pour la foule, et je veux dormir seul.

591. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIIe entretien. Revue littéraire de l’année 1861 en France. M. de Marcellus (1re partie) » pp. 333-411

Je suis mort d’aujourd’hui au monde, et voici mon tombeau, me dit-il en me montrant sa bibliothèque grecque ; j’y viens vivre avec Homère et Tacite, amis immortels des imaginations sensibles et des âmes fermes, qui nous consolent de survivre aux écroulements du temps ! […] Ce Marcellus romain, au lieu de mourir comme Caton ou Brutus, ou de plier de mauvaise grâce comme Cicéron, avait pris l’exil comme un intermédiaire entre la persécution et l’abjection ; il s’était retiré volontairement dans l’île de Mytilène ; il y vivait d’études compatibles avec la tyrannie et avec la liberté ; il avait conservé ses amis à Rome, et entre autres Cicéron qui lui écrivait sans cesse d’y rentrer afin d’avoir un complice de sa faiblesse. Mais Marcellus persistait à penser que la meilleure place sous un tyran aimable et doux était la plus éloignée ; il vécut à distance et mourut en paix, véritable homme d’honneur de la République. […] XXII Voilà comment les partis nous jugent et nous classent pendant que nous vivons ! […] Je les aime, et je continuerai de vivre avec eux.

592. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque. Deuxième partie. » pp. 225-303

Ce dogme vient évidemment du haut Orient ; il touche à ce qu’on appelle improprement panthéisme, panthéisme dont on pourrait également accuser le christianisme dans ces mots de saint Paul : Nous vivons en Dieu, nous nous mouvons en Dieu, nous sommes, nous existons en Dieu. […] La plupart, dans ces réunions, s’épuisent en plaintes et en regrets amers au souvenir des plaisirs de la jeunesse, de l’amour, des festins et de tous les autres agréments de ce genre : à les entendre, ils ont perdu les plus grands biens ; ils jouissaient alors de la vie, maintenant ils ne vivent plus. […] « Je veux qu’ils vivent ensemble, assis à des tables communes. « Dès qu’ils auraient en propriété des terres, des maisons, de l’argent, ils deviendraient économes et orgueilleux : de défenseurs de l’État, ils deviendraient ses ennemis et ses tyrans. […] Platon, de qui descendent, par une filiation de démence, ces niveleurs radicaux de nos jours, destructeurs en idée de la propriété, dont ils sont nés et dont ils vivent, Platon défend aux membres de son troupeau humain de rien posséder en propre. […] Elle a vécu, elle vit et elle vivra, parce qu’elle se transforme et qu’elle meurt et renaît sans cesse.

593. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Homère, Virgile, Tasse, Dante, Milton, Camoëns vivent, la Henriade est morte en moins de cent ans ; mais Voltaire vit éternellement, non dans la Henriade, non dans ses tragédies, mais dans l’universalité de son nom. […] L’héroïsme de Frédéric le Grand était un reproche tacite de la mollesse de Louis XV ; soit que les lettres qu’il recevait de Paris lui fissent redouter de vivre trop près de Versailles, soit qu’un avertissement secret de la cour lui interdît de s’en rapprocher sans exposer sa liberté, il résolut de chercher un asile hors de la portée de ces arbitraires des rois. […] C’est que Voltaire, il faut le reconnaître, ne vivait pas tant en lui-même que dans le monde toujours jeune qui ne devait pas mourir après lui ; c’est qu’il était en réalité un homme collectif et par conséquent un homme immortel. Il vivait par son immortalité dans le monde passé, présent, futur, et le monde vivait en lui ; voilà pourquoi il était toujours jeune. […] Rousseau, de Mirabeau dans leurs lettres ou dans leurs controverses, mais un polémiste incomparable par le don du rire comique ou du rire amer jeté comme le sel de la raison sur les ridicules des hommes ou sur les erreurs de l’humanité, le plus grand dériseur de l’esprit humain qui ait jamais vécu !

594. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

Une fois écartées ces infériorités qui intéressent le sérieux de l’existence (et elles tendent à s’éliminer elles-mêmes dans ce qu’on a appelé la lutte pour la vie), la personne peut vivre, et vivre en commun avec d’autres personnes. […] Il ne lui suffit pas de vivre ; elle tient à vivre bien. […] Il faut qu’elle change à chaque instant, car cesser de changer serait cesser de vivre. […] Pour peu qu’on y réfléchisse, on verra que nos états d’âme changent d’instant en instant, et que si nos gestes suivaient fidèlement nos mouvements intérieurs, s’ils vivaient comme nous vivons, ils ne se répéteraient pas : par là, ils défieraient toute imitation.

595. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

Ce père, homme hautain, vivait, depuis l’avènement de Louis XIV, retiré dans son gouvernement de Blaye, à la façon des anciens barons, si absolu dans son petit État que le roi lui envoyait la liste des demandeurs de places avec liberté entière d’y choisir ou de prendre en dehors, et de renvoyer ou d’avancer qui bon lui semblait. […] Il excellait en basses intrigues, il en vivait, il ne pouvait s’en passer, mais toujours avec un but où toutes ses démarches tendaient, avec une patience qui n’avait de terme que le succès ou la démonstration réitérée de n’y pouvoir arriver, à moins que cheminant ainsi dans la profondeur et les ténèbres, il ne vît jour à mieux en ouvrant un autre boyau. […] Il écrit avec emportement, d’un élan, suivant à peine le torrent de ses idées par toute la précipitation de sa plume, si prompt à la haine, si vite enfoncé dans la joie, si subitement exalté par l’enthousiasme ou la tendresse, qu’on croit en le lisant vivre un mois en une heure. […] Il n’est point de personnage qu’il ne fasse vivre, ni de lecteur qu’il ne fasse penser. […] Il écrivait seul, en secret, avec la ferme résolution de n’être point lu tant qu’il vivrait, n’étant guidé ni par le respect de l’opinion, ni par le désir de la gloire viagère.

596. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Le moine anglais Roger Bacon vécut à Paris plusieurs années studieuses. […] J’ai longtemps souhaité de vivre dans cette bourgade un rude mois de janvier. […] Il y avait vécu pendant des années, par l’esprit, par le cœur. […] Je ne puis plus vivre ainsi. […] C’est qu’il a vécu à une époque de déclin et de langueur pour la poésie.

597. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

Il a vécu dans l’ignominie, et sans nulle excuse. […] Ce sont les mots vivants ; ce sont les mots qui, ayant vécu, vivent encore. […] Elle n’a pas eu un autre projet que de vivre ; et, puisque les disciplines l’ont offensée, elle vivra sans discipline. […] Nous vivons, auprès de lui, sous le régime de l’arbitraire. […] va-t-il renoncer à vivre ?

598. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

La maison est construite pour son habitant et conformément à sa manière de vivre. […] Qu’aurait-il fait s’il eût vécu plus longtemps et s’il eût vu le protectorat de Cromwell ? […] Leur mort est conforme à leur vie ; ils meurent comme ils ont vécu, à la fois unis et séparés. […] Ses opinions sont celles du tory et de l’anglican le plus entêté qui ait jamais vécu sous la reine Anne. […] Et auriez-vous, chien d’enfer, la prétention de vivre maintenant mieux que nous ne vivons nous-mêmes ?

599. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Quoi qu’il dise ou qu’il fasse, Il se regarde vivre et s’écoule parler. […] Il sent que si Molière vivait il se moquerait de lui. » Rousseau est absolument sûr que si Molière vivait en 1770 il se moquerait de Rousseau et il est très avisé en en étant absolument sûr. […] Nietzsche dit : « Il faut vivre dangereusement ». […] , vivre de sa propre vie et selon son propre goût et qui, de plus, ne laisse pas de vouloir obliger les autres à vivre comme lui et à avoir le même caractère que lui. […] « Tant que les hommes vivront et aimeront à vivre, le médecin sera raillé, mais payé » ; tant que les hommes vivront et aimeront à vivre, ils croiront à l’immortalité de l’âme, et l’exploiteur de la peur de l’enfer sera peut-être raillé, mais choyé.

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