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2223. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 26, que les jugemens du public l’emportent à la fin sur les jugemens des gens du métier » pp. 375-381

Car, comme le dit Quintilien, des phrases qui débutent par blesser l’oreille en la heurtant trop rudement, des phrases, qui, pour ainsi dire, se présentent de mauvaise grace, trouvent la porte du coeur fermée. […] Quoique les gens du métier n’en puissent pas imposer aux autres hommes assez pour leur faire trouver mauvaises les choses excellentes, ils peuvent leur faire croire que ces choses excellentes ne sont que médiocres par rapport à d’autres.

2224. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVII »

Eh bien, non : « Il demanda quelle heure il était », je trouve cela affreusement lourd et inharmonique, et je préfère, moi : « Il s’enquit de l’heure ». — Les larmes amères, les magnifiques ombrages, une douce extase, une activité dévorante, une impatience fiévreuse, etc., etc. […] »‌ Or, non seulement je ne le proscris pas, ce genre de phrases, mais j’ai déclaré formellement ceci, de peur qu’on ne se méprenne :‌ « Cela ne veut pas dire qu’on doive proscrire ces expressions, Il y a des cas où il les faut, où elles sont très belles et où rien ne peut les remplacer… On peut se permettre ces locations et on les trouve chez les meilleurs écrivains ; mais c’est la continuité qui crée la banalité et le caractère incolore du style. »‌ Pourquoi nos adversaires tronquent-ils toujours notre pensée et ne rapportent-ils que la moitié de nos opinions ?

2225. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Le poète, à cet égard, est astreint à la même règle que l’historien, qui n’invente ni ne choisit les choses qu’il raconte, mais qui les prend ainsi qu’il les trouve, et qui les expose sans déguisement et sans altération. […] Énée la trouve rappelant la présence de son époux à sa tendresse, et retraçant la vue de sa patrie à ses regrets trompés par une imitation touchante qui lui en offre la ressemblance. […] Milton, de qui la fable n’exigeait que deux acteurs humains, a trouvé dans son génie inventif l’occasion de faire un dénombrement de personnages imaginaires afin de signaler leurs traits et leurs mœurs. […] Je me suis donc abstenu de prononcer sur lui aucune sentence avant que des confrontations avec les anciens m’aient acquis des certitudes contre les choses que j’y trouvais à condamner. […] « Vous trouverez en vous une prudence extrême ; « Vous trouverez en moi la fidélité même ; « Vous trouverez en vous cent attraits tout puissants ; « Vous trouverez en moi cent désirs innocents ; « Vous trouverez en vous une beauté parfaite ; « Vous trouverez en moi l’aise de ma défaite ; « Vous trouverez en moi, vous trouverez en vous, « Et le cœur le plus ferme et l’objet le plus doux.

2226. (1930) Le roman français pp. 1-197

Qu’on ne s’attende à trouver dans ce qui va suivre aucune érudition. […] Vous ne trouverez pas le même trait chez les personnages du roman anglais de la même époque, ni plus tard chez les Russes. […] Mais quand Barrès réussit, il trouve des accents d’une intensité qui saisit. […] Encore que l’exemplaire porte de sa main la dédicace la plus flatteuse, je trouve ça idiot ! […] Vous la trouverez donc chez M. 

2227. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

Donc, cet attristé, que tant d’oisifs eussent trouvé mûr pour le suicide était assis, ce soir là, devant certain notable commerçant — qui, jambes croisées en face de lui, l’observait curieusement, aux lueurs d’une morne chandelle, en lui souriant d’un air familier. […] Ce n’est point, certes, dans le monde qui l’entourait, qu’il aurait pu trouver cette compréhension de son art, ni dans l’esprit, tout superficiel, qui avait créé les formes extérieures de cet art. […] Nous serions heureux de pouvoir, pour cette fin, trouver un renseignement précieux dans la contemplation des procédés que suivit Beethoven vers le développement de son génie musical. […] Et dans un tel monde, Beethoven, bien plus que Mozart, s’est trouvé, toujours, empêché de plaire par la beauté de ses œuvres. […] On trouve dans cette étude une intelligence de la musique Wagnérienne et une hardiesse bien remarquables, si l’on songe combien étaient, en 1869, rares et insuffisants les moyens de connaître l’œuvre de Wagner, et combien périlleux le rôle de wagnériste.

2228. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

C’est ainsi que fréquemment, à défaut d’un vocable nombreux, il modifie par une virgule la prononciation d’un mot indifférent, contraignant à l’articuler tout en longues : « Ça et là un phallus de pierre se dressait, et de grands cerfs erraient tranquillement, poussant de leurs pieds fourchus des pommes de pin, tombées. » Joints enfin par des transitions ou malhabiles ou concises et trouvées, telles que peut les inventer un écrivain embarrassé du lien de ses idées, les paragraphes se suivent en lâches chapitres qu’agrège une composition Ou simple et droite comme dans les récits épiques, ou diffuse, et lâche comme dans les romans. […] Des intérieurs sordides apparaissent dans ses livres, de la cahute près d’Yonville, où Mme Bovary trouva l’entremetteuse de ses liaisons, à la mansarde dans laquelle Dussardier blessé fut soigné par cette énigmatique personne, la Vatnaz. […] Prudhomme qui trouve que la plus belle église serait celle qui aurait à la fois la flèche de Strasbourg, la colonnade de Saint-Pierre, le portique du Parthénon, ètc. […] Quand je découvre une mauvaise assonance ou une répétition dans une de mes phrases, je suis sûr que je patauge dans le faux ; à force de chercher, je trouve l’expression juste qui était la seule et qui est, en même temps, l’harmonieuse. » (Ib. […] Quand l’œil de Flaubert était braqué sur la réalité, les détails importants des choses et des hommes fidèlement enregistrés trouvaient dans le vocabulaire de l’écrivain une série de mots exactement adaptés, qui les rendaient d’une façon précise et du premier coup, en phrases telles que chacune enveloppant l’idée à exprimer, entière, il ne fût nul besoin d’y revenir.

2229. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

Nos poètes et nos écrivains ont perdu leur temps, mais la nation a gagné une langue ; c’est à nous et à nos neveux de rendre à cette langue le caractère d’originalité, non plus puérile, mais virile, que chaque grand peuple trouve tôt ou tard à l’âge de sa maturité. […] Pascal n’imite rien, parce qu’il ne trouve rien à imiter dans l’antiquité. […] Le caractère tout à fait gaulois de ce poète lui a fait trouver grâce et faveur dans sa postérité gauloise comme lui, malgré ses négligences, ses immoralités, ses imperfections et ses pauvretés d’invention. […] Mais dans quel autre avez-vous trouvé le commandement plus honnête ? […] L’instrument survit à l’artiste souverain qui l’a touché, et, quand il naît un autre artiste, il trouve l’instrument tout monté sous sa main.

2230. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le Roman de Renart. Histoire littéraire de la France, t. XXII. (Fin.) » pp. 308-324

Un des plus jolis épisodes de l’ancien Renart est l’aventure du maître fourbe avec Chanteclair, le Coq ; les avantages y sont également balancés, et Renart à la fin y trouve sa leçon. […] Un autre vaisseau, le vaisseau du bien, construit par le roi Noble, et offrant le symbole de toutes les vertus et qualités, tient la mer et lutte contre celui de Renart ; mais le traître regagne toujours ses avantages par la ruse ; il amène le roi à une fausse paix et signale par là son triomphe : le roi consent, pour s’en retourner chez lui, à monter sur le navire de Renart, et il s’y trouve mieux que dans le sien propre. […] L’un d’eux, Charuel, change de couleur à cette idée, et déclare honni celui qui ne maintiendra pas la cause du duc légitime (Charles de Blois)e, et qui s’en ira sans donner de coups d’épée. — « Cette chose m’agrée, dit Beaumanoir ; allons à la bataille, ainsi qu’elle est jurée. » Il revient à Bombourg, qui lui représente encore que c’est folie à lui d’exposer ainsi à la mort la fleur de la duché ; car, une fois morts, on ne trouvera jamais à les remplacer. — « Gardez-vous de croire, répond Beaumanoir, que j’aie amené ici toute la chevalerie de Bretagne, car ni Laval, ni Rochefort, ni Rohan et bien d’autres n’y sont ; mais il est bien vrai que j’ai avec moi une part de cette chevalerie et la fleur des écuyers… » Bombourg reprend la bravade et l’invective. […] Quand les Argiens revinrent, ils trouvèrent le trophée debout, l’inscription encore fumante, et Othryades qui rendait l’âme à côté ; mais la victoire était acquise et consacrée : la religion défendait de renverser un trophée.

2231. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

Je ne prendrai pas pour exemple, dans ce volume même, tout ce qui tient au blocus continental et à ces questions de douanes qu’il fait suffisamment comprendre, à la seule condition d’y donner tout leur développement : mais si l’on s’attache à cette expédition de Masséna en Portugal, expédition ingrate s’il en fut, pleine de mécomptes, où tout avorte, où les combats acharnés restent indécis, où personne n’a d’illusions, et où, si peu qu’on en ait, le résultat trouve encore moyen de tromper un reste d’espérance ; si l’on suit cette expédition dans l’Histoire de M.  […] Je ne trouve pas mauvais que l’empereur la fasse occuper par un autre ; je resterai son ami et son frère dans la retraite, comme si la grandeur n’eût jamais existé. […] Chacun, s’il se laisse aller, parle bien ou assez bien de ce qu’il sait à fond, de ce qu’il a vu, de ce qu’il a compris en détail ; et s’il, laisse courir sa plume avec naturel, il trouve moyen d’intéresser. […] Dans la figure d’un vieux prince de l’Église, au nez rouge et boursouflé, au visage sensuel, aux yeux petits mais perçants, il n’apercevait rien de laid ou de repoussant, cherchait la nature, l’admirait dans sa réalité, se gardait d’y rien changer, et n’y mettait du sien que la correction du dessin, la vérité de la couleur, l’entente de la lumière, et ces mérites, il les trouvait dans la nature bien observée, car dans la laideur même elle est toujours correcte de dessin, belle de couleur, saisissante de lumière.

2232. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

La première partie du moins, qui contient la narration de sa vie jusqu’à l’âge de cinquante-cinq ans, est tout à fait intéressante ; on est bien aise d’y trouver quantité d’anecdotes littéraires ou historiques qui ne sont point ailleurs. […] Dans un autre voyage et séjour à Forges, bien des années après, on le voit conversant de toutes sortes de sujets, et notamment de l’astrologie judiciaire, dans la chambre de la princesse avec les doctes visiteurs qu’il y rencontre : « C’est ainsi, ajoute-t-il après le résumé d’un de ces entretiens où il a brillé, que nous agitions tous les jours quelque belle question pour le divertissement de celle qui nous ordonnait de parler, et qui se plaisait en cette sorte d’entretiens. » Pendant vingt ans et plus (1623-1645) l’abbé de Marolles fut ainsi l’homme de lettres familier, le latiniste ordinaire, une façon de bibliothécaire de la princesse Marie ; sa curiosité y trouvait son compte. […] Il y avait encore, disait-il, à voir les titres du grand cabinet, ceux du trésor de l’hôtel de Nevers, et enfin une table générale devenait indispensable pour ces derniers inventaires ; on lui demanda ce nouvel effort, et il s’y mit : « L’affection que j’ai toujours eue pour cette princesse ne m’a rien fait trouver de difficile ni d’ennuyeux, où il s’agissait de son service, et puis j’étais bien aise d’avancer toujours dans ma curiosité, pour y faire de nouvelles conquêtes quand l’occasion s’en offrait. » Depuis qu’il eut son logement en ce lieu d’honneur et d’étude, il semble qu’il ne lui manquait plus rien. […] Quelquefois le jeu y était admis, mais il avait ses limites ; et la lecture des bons livres y trouvait son temps, aussi bien que la piété solide, aux heures qui lui sont principalement dédiées.

2233. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Il disait encore, et du ton de la sincérité, au terme de sa carrière : « Je ne cherche point la gloire ; je ne l’ai jamais cherchée, et, depuis qu’elle est venue me trouver, elle me plaît moins qu’elle ne m’incommode. […] Aucun d’eux n’a su, je ne dis pas peindre la nature, mais même présenter un seul trait bien caractérisé de ses beautés les plus frappantes. » Là encore, à ceux même qui n’aimeraient ni la grenouille ni le hanneton, je dirai : « Je passe condamnation sur le peu d’élégance de l’expression, mais trouvez-moi dans le siècle un jugement de plus de bon sens. […] Autant qu’il m’est permis d’avoir un avis en telle matière, je ne trouve pas que Buffon ait en rien manqué à la reconnaissance ni à l’hommage qu’il leur devait, et que, ce me semble, il leur a très équitablement payés en temps et lieu convenable : ce qui n’empêche pas qu’après coup il ne soit intéressant de se rendre mieux compte des services qu’il a dus à chacun d’eux. […] Vous le trouverez instruit de mes motifs.

2234. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — II » pp. 231-245

Lui ployait le fort et consolait le faible, et les génies les moins proportionnés entre eux le trouvaient tous également à leur portée ; il ne haranguait point d’un ton pompeux, mais ses discours familiers brillaient de la plus, ravissante éloquence, et ses instructions étaient des apologues, des entretiens pleins de justesse et de profondeur. […] En revanche, je ne crains ni d’avouer mes erreurs, ni de réparer mes fautes… » Le sentiment qu’inspire la lecture suivie des lettres et pensées qu’on trouve ici rassemblées telles quelles, est celui d’une pitié profonde. […] Si vous-même vous êtes né pauvre et assujetti, si, aux prises avec la vie commune, vous ne rougissez pas d’en nommer les moindres détails, et si vous ne vous rebutez pas aux misères mêmes de la réalité ; si, en revanche, vous ne faites pas fi des joies bourgeoises ou populaires, si les souvenirs de l’enfance n’ont pas cessé de vous émouvoir, si l’aspect de la vallée ou de la montagne natale, le seuil de la ferme où vous alliez, enfant, vous régaler de laitage et de fruits les jours de promenade, rit en songe à votre cœur, alors vous trouverez votre compte avec Rousseau, même dans ces quelques lettres qu’on nous donne ici ; vous lui passerez bien des préoccupations vulgaires en faveur des élans de sensibilité et d’âme par lesquels il les rachète ; vous l’aimerez pour ces accents de cordialité sincère que toute son humeur ne parvient pas à étouffer. […] Je regrette de trouver dans ce volume, notamment dans Mon Portrait (page 285), des fautes de transcription et, par suite, d’impression, qui m’en font craindre d’autres moins faciles à apercevoir en d’autres endroits.

2235. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps. Par M. Guizot. »

Je m’étonnerais donc (si je ne le savais si absolu dans sa manière de voir) qu’aujourd’hui qu’il examine à loisir ces affaires du passé, il ne se soit point posé un seul moment cette question : Que serait-il arrivé en 1830, si dans les rangs de ce ministère Laffitte, ou à côté, il s’était trouvé à temps un homme véritable, un Casimir Perier du mouvement et d’une politique plus hardie, agressive et non plus défensive ? […] Ce qui n’a pas trouvé d’issue au dehors lui fait coup de sang au dedans ; il a des abcès par tout le corps. […] … Je fais ma partie de roi, que mes ministres fassent la leur comme ministres ; si nous savons jouer, nous nous mettrons d’accord. » On assure qu’il dit un autre jour, moins noblement : « ils ont beau faire, ils ne m’empêcheront pas de mener mon fiacre. » Il disait, en parlant de Casimir Perier, qu’il avait trouvé sous sa main bien à propos : « Savez-vous que si je n’avais trouvé M. 

2236. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

de ces diverses qualités et conditions, réputées par lui essentielles dans un homme de gouvernement, la seconde, la fécondité de l’esprit, lui a manqué ; il n’a su que résister avec une obstination magnifique, sans varier les moyens, sans trouver les ressources ou les expédients. […] Molé, seul ou presque seul, tenant tête à tous avec bon sens, noblesse, vivacité et même vigueur ; — montant et remontant coup sur coup à la tribune, où il trouvait des éclairs à lancer, sinon des tonnerres ; — et non loin de lui, M. de Lamartine, un volontaire brillant et magnifique, un chevalier auxiliaire, venu tout exprès d’Asie, qui eût dit volontiers en brisant une lance pour la défense du plus faible et en le couvrant de sa protection : « Je suis, moi ministériel et anti-dynastique : gloire aux courtois et aux généreux !  […] Les romantiques, s’il m’en souvient, lui trouvaient le style un peu pâteux ; c’était leur mot. […] Guizot, qu’il en cherche évidemment l’emploi et les occasions, et qu’à propos des morts de chaque année qu’il passe en revue, il trouve moyen de jeter le filet sur des noms qu’il ne rencontrerait pas directement dans son chemin : on ne se plaint pas du hors-d’œuvre.

2237. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poème des champs, par M. Calemard de Lafayette (suite et fin) »

Le meilleur des hommes est celui qui trouve en soi et de lui-même la sagesse ; vient ensuite celui qui est capable de l’entendre et de la recevoir d’autrui. Qui ne sait ni la trouver ni l’écouter, n’est bon à rien, ni à personne. […] Les conseils économiques y sont tout à fait déjà dans le sens du Bonhomme Richard et à la Franklin, sur les fruits du travail, sur les petits profits accumulés, sur l’importance du bon voisinage à la campagne, sur le prêté rendu des services mutuels où l’intérêt trouve son compte en même temps que la morale : rien pour rien ; avarice ou générosité, selon l’occasion, en vertu d’un seul et même principe, l’intérêt bien entendu. […] Pourquoi, après une invocation pieuse, cette attaque et cette sortie contre les rhéteurs, contre les utopistes, parmi lesquels je trouve de beaux noms ?

2238. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Poésies, par Charles Monselet »

Que si, dans cette disposition d’esprit, il vient à ouvrir par curiosité quelque volume de la collection de ces feuilles maudites, il est surpris tout d’abord d’y trouver du bon sens, de la modération même (une modération relative et qui nous paraît telle à distance) ; il ne s’explique pas les fureurs dont fut l’objet le folliculaire vivant, et il est tout porté alors à le venger après coup, à le justifier en tout point, à lui refaire une réputation posthume. […] Fréron, même quand il eût été plus prudent, plus mesuré à l’égard de Voltaire, n’aurait pas trouvé grâce sans doute auprès de lui, ni triomphé de la position difficile que lui faisait sa fonction de journaliste. […] Ne vous attaquez pas au poëte ; quelqu’un l’a dit : « Tout vrai poëte a dans son carquois une flèche d’Apollon. » Percé donc et transpercé de flèches, écorché tout vif, le malheureux Fréron excita le rire et ne trouva pas même indulgence auprès de tous ceux qui haïssaient son vainqueur16. […] Un jeune homme de mérite, pauvre, cherchait du travail dans les journaux ; il s’adressa à Mercier qui dirigeait alors les Annales patriotiques et littéraires (1795), et dont le langage philanthropique lui avait inspiré confiance : « Je lui communiquai, nous dit le jeune homme, quelques morceaux que j’avais écrits : il parut enchanté de ma manière ; il y trouva tout réuni, force de style, imagination, philosophie.

2239. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

Nous n’y trouvons rien pourtant qu’un œil impartial et exercé n’ait déjà pu entrevoir même sous l’éclat des premiers triomphes. […] Un moment elle espéra avoir trouvé ce chantre divin dans M. […] et l’Amérique est trouvée. […] Mais si le temps m’épargne et si la mort m’oublie, Mes mains, mes froides mains, par de nouveaux concerts, Sauront la rajeunir, cette lyre vieillie ; Dans mon cœur épuisé je trouverai des vers, Des sons dans ma voix affaiblie ; Et cette liberté, que je chantai toujours, Redemandant un hymne à ma veine glacée, Aura ma dernière pensée, Comme elle eut mes premiers amours.

2240. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

N’eût-il pas trouvé plus simple et plus conforme à sa nature de retirer tout d’abord la passion du milieu de ces embarras étrangers dans lesquels elle aurait pu se perdre comme dans le sable, en s’y versant ; de la faire rentrer en son lit pour n’en plus sortir, et de suivre solitaire le cours harmonieux de cette grande et belle élégie, dont Esther et Bérénice sont les plus limpides, les plus transparents réservoirs ? […] Si maintenant l’on m’objecte que cette théorie conjecturale serait admissible peut-être si Racine n’avait pas fait Athalie, mais qu’Athalie seule répond victorieusement à tout et révèle dans le poëte un génie essentiellement dramatique, je répliquerai à mon tour qu’en admirant beaucoup Athalie, je ne lui reconnais point tant de portée ; que la quantité d’élévation, d’énergie et de sublime qui s’y trouve ne me paraît pas du tout dépasser ce qu’il en faut pour réussir dans le haut lyrique, dans la grande poésie religieuse, dans l’hymne, et qu’à mon gré cette magnifique tragédie atteste seulement chez Racine des qualités fortes et puissantes qui couronnaient dignement sa tendresse habituelle. […] Duncan arrive avec sa suite au château de Macbeth ; il en trouve le site agréable, et Banco lui fait remarquer qu’il y a des nids de martinets à chaque frise et à chaque créneau : preuve, dit-il, que l’air est salubre en cet endroit. […] On remarquera que dans ses tours il conserve par moments des traces légères d’une langue antérieure à la sienne, et je trouve pour mon compte un charme infini à ces idiotismes trop peu nombreux qui lui ont valu d’être souligné quelquefois par les critiques du dernier siècle.

2241. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Il aime et admire Regnier, mais il le range après Malherbe, et trouve qu’il ne lui a manqué que le bonheur de naître sous le règne de Louis le Grand. […] présentement (1716), qui sache faire des vers marqués au bon coin. » Au même moment, il traite l’auteur du Diable boiteux comme un faquin du plus bas étage : « L’auteur, écrit-il, ne pouvoit mieux faire que s’associer avec des danseurs de corde : son génie est dans sa véritable sphère. » Réfugié à Bruxelles en 1724, il prie son ami l’abbé d’Olivet de lui envoyer un paquet de tragédies ; en voici la liste : elle serait plus complète et plus piquante, si Rotrou ne s’y trouvait pas : Venceslas, de Rotrou ; Cléopâtre, de La Chapelle ; Géta, de Péchantré ; Andronic, Tiridate, de Campistron ; Polyxène, Manlius, Thésée, de La Fosse ; Absalon, de Duché. […] Puis vient la comparaison avec Orphée et la prière aux trois sœurs filandières pour le comte du Luc ; on y trouve quelques strophes assez touchantes, que La Harpe, d’ordinaire peu favorable à Jean-Baptiste, mais attendri cette fois comme Pluton, a jugées tout à fait dignes d’Orphée. […] Si nous avions trouvé le nom de Jean-Baptiste sommeillant dans un demi-jour paisible, nous nous serions gardé d’y porter si rudement la main ; ses malheurs seuls nous eussent désarmé tout d’abord, et nous l’eussions laissé sans trouble à son rang, non loin de Piron, de Gresset et de tant d’autres, qui certes le valaient bien.

2242. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre II »

. — « Avril : Absorption complète, refus de parler, toute l’après-midi, son chapeau de paille lui barrant la vue, il reste assis en face d’un arbre, dans une immobilité tristement farouche. » 8 avril : « Peu à peu il se dépouille de l’affectuosité, il se déshumanise ; les autres commencent à ne plus compter pour lui et recommence en lui le féroce égoïsme de l’enfant. » 16 avril : « Ce qu’il y a d’affreux dans ces abominables maladies de l’intelligence, c’est qu’elles détruisent souterrainement et à la longue, chez l’être aimant qu’elles frappent, la sensibilité, la tendresse, l’attachement, c’est qu’elles suppriment le cœur… cette douce amitié qui était le gros lot de notre vie, de notre bonheur, je ne la trouve plus, je ne la rencontre plus… Non je ne me sens plus aimé par lui, et c’est le plus grand supplice que je puisse éprouver, et que tout ce que je puisse me dire n’adoucit en rien… ! […] Flaubert avait trouvé, dans sa famille même et mêlées à ses souvenirs d’enfant, de sérieuses leçons anatomiques : son père, ancien prosecteur à l’hospice de Rouen, habitait un logement enclavé dans l’Hôtel-Dieu et s’était installé un véritable laboratoire où, quotidiennement, il professait en famille. […] Nous devons donc, pour trouver un sincère emploi de cette méthode, reculer à des temps moins avertis : jusqu’à Shakespeare, par exemple, le protagoniste parfait de ce procédé superbe. […] Aujourd’hui que l’on s’occupe beaucoup de cette question dans notre monde médical, j’ai trouvé intéressant de signaler ce fait, auquel n’ont probablement pas songé les auteurs du roman, ils ont fait mourir leur héroïne d’un rhume négligé, mais ils ont tracé les caractères et la marche du mal d’une manière que ne renierait pas l’auteur du meilleur Traité de clinique médicale que nous possédions. » Questionné à ce sujet précis par le Dr Cabanès, Ed. de Goncourt répondit textuellement dans une lettre : « Pour Germinie38 ça s’est passé ainsi dans la nature, la pleurésie a précédé la tuberculose », et une autre fois « … j’ai décrit un cas de pleurésie prétuberculeuse, c’est bien l’expression technique ?

2243. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

Il fallait ce sentiment, qui fait trouver le bonheur dans le sacrifice de soi-même. […] Heureux si nous trouvions, comme à l’époque de l’invasion des peuples du Nord, un système philosophique, un enthousiasme vertueux, une législation forte et juste, qui fût, comme la religion chrétienne l’a été, l’opinion dans laquelle les vainqueurs et les vaincus pourraient se réunir ! […] Si l’on ne considère cette époque de la renaissance des lettres que sous le seul rapport des ouvrages de goût et d’imagination, l’on trouvera sans doute que près de seize cents ans ont été perdus, et que depuis Virgile jusqu’aux mystères catholiques représentés sur le théâtre de Paris, l’esprit humain, dans la carrière des arts, n’a fait que reculer vers la plus absurde des barbaries ; mais il n’en est pas de même des ouvrages de philosophie. […] Les progrès de la pensée ont fait trouver en peu de temps les principes du vrai beau dans tous les genres, et la littérature ne s’est perfectionnée si vite que parce que l’esprit était tellement exercé, qu’une fois rentré dans la route de la raison, il devait y marcher à grands pas.

2244. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

trouver la résistance dans un caractère formé par les mœurs qu’on vient de décrire   Avant tout, pour se défendre, il faut regarder autour de soi, voir et prévoir, se munir contre le danger. […] Pour trouver de ces lutteurs, ils font chercher trois ou quatre hommes de race ou d’éducation différente, tous ayant roulé et pâti, un plébéien brutal comme l’abbé Maury, un satyre colossal et fangeux comme Mirabeau, un aventurier audacieux et prompt comme ce Dumouriez qui, à Cherbourg, lorsque la faiblesse du duc de Beuvron a livré les blés et lâché l’émeute, lui-même hué et sur le point d’être mis en pièces, aperçoit tout d’un coup les clés du magasin dans les mains d’un matelot hollandais, crie au peuple qu’on le trahit et qu’un étranger lui a pris ses clés, saute à bas du perron, saisit le matelot à la gorge, arrache les clés et les remet à l’officier de garde en disant au peuple : « Je suis votre père, c’est moi qui vous réponds des magasins322 ». […] Hippeau, IV, 86 (23 juin 1773), représentation du Siège de Calais à la Comédie-Française : « Au moment où Mlle Vestris a prononcé ces vers : Le Français dans son prince aime à trouver un frère, Qui, né fils de l’État, en devienne le père. […] « L’homme instruit et impartial qui soumettrait au calcul les probabilités du succès de la Révolution trouverait qu’il y avait plus de chances contre elle que contre le quine à la loterie ; mais le quine est possible et malheureusement cette fois il fut gagné. » (Duc de Lévis, Souvenirs.

2245. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXe Entretien. Souvenirs de jeunesse. La marquise de Raigecourt »

Elle avait trouvé moyen de faire porter par un domestique affidé une lettre à la poste prochaine adressée à sa mère à Paris. […] Royer-Collard ne trouva pas de bonnes raisons pour défendre l’adresse, et me parut un homme qui avait voulu conserver sa popularité à un prix trop dangereux et flatter les 221 au-delà de leur droit. Je trouvai cette explication confidentielle aussi subtile que l’adresse elle-même des 221 me semblait périlleuse. […] Il trouva en Suisse, dans la maison de Coppet, l’amitié la plus tendre, la religion la plus tolérante et toutes les consolations que les mêmes déceptions donnent aux illusions également trompées.

2246. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

Mais il est déplorable qu’ils n’y trouvent pas un suffisant bonheur et que, par besoin de soulagement supérieur, ils imposent la contagion de leurs accès. […] Mais il suffit de comprendre par surnaturel l’inexplicable ; tout fait nouveau serait donc provisoirement miraculeux, puis perdrait son caractère de prodige dès l’explication scientifique trouvée. […] Bérenger que je trouvé maladroitement mise en action. […] Paul Radiot a cru trouver une solution élégante du problème social.

2247. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « La Religieuse de Toulouse, par M. Jules Janin. (2 vol. in-8º.) » pp. 103-120

Parmi les modernes en français, je lui cherche des antécédents, des prédécesseurs, et j’ai peine à en trouver. […] Sur Scribe, sur Balzac, sur Eugène Sue, sur Théophile Gautier, sur Méry, il a écrit des jugements rapides, nuancés, trouvés à l’heure même, qu’on ne refera pas, et qu’il faudrait découper, isoler de ce qui les entoure. […] Je dirai, avant tout, qu’autant je trouverais inconvenant et irréfléchi qu’un romancier mît le pied dans Port-Royal, ce lieu de vérité et de sérieuse grandeur, autant il lui est permis peut-être de se glisser dans la maison de Toulouse qui s’intitulait la congrégation des Filles de l’Enfance, et qui n’offre pas les mêmes caractères de vertu et d’austérité. […] Il semble qu’avec les idées qui percent dans sa conduite et dans quelques articles de ses Constitutions, elle eût pu bien mieux s’entendre avec Mme de Maintenon, avec la fondatrice de Saint-Cyr, et que si, née plus tard, elle s’était appuyée de ce côté, elle aurait trouvé un ordre d’idées plus en accord avec ses inclinations, sans aller se heurter contre l’écueil où elle a péri.

2248. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

Et il ajoute, dans un sentiment excellent, qui trouve de lui-même l’expression simple : On ne peut attendre des belles-lettres d’autre récompense qu’un peu de consolation et d’espérance ; et si, par bonheur, les hommes et les esprits que j’aime se trouvent de moitié dans ma récompense, eh bien ! […] Cette fois, il parle encore de son présent ouvrage avec laisser-aller et en toute franchise : À faire un livre, je l’avoue, dit-il, il faut que je trouve mon compte, à savoir : la peine et le travail, la cadence et la recherche. […] Je ne vais pas continuer l’analyse bien longtemps : le château est trouvé, on y arrive à travers les fossés sur une planche fragile. […] Sur le romancier Balzac, que n’a-t-il pas trouvé de fin, de subtil, de sensé !

2249. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — II. (Suite.) » pp. 149-166

À cette époque, Franklin ne distinguait point entre ses deux patries ; il avait le sentiment des destinées croissantes et illimitées de la jeune Amérique ; il la voyait, du Saint-Laurent au Mississipi, peuplée de sujets anglais en moins d’un siècle ; mais, si le Canada restait à la France, ce développement de l’empire anglais en Amérique serait constamment tenu en échec, et les races indiennes trouveraient un puissant auxiliaire toujours prêt à les rallier en confédération et à les lancer sur les colonies. […] Il visita l’Écosse dans l’été même de cette année 1759, et il s’y lia avec les hommes de premier mérite dont cette contrée était alors si pourvue, et qui y formaient un groupe intellectuel ayant un caractère particulier, l’historien Robertson, David Hume, Ferguson et plusieurs autres : En somme, je dois dire, écrivait-il en revenant sur ce voyage d’Édimbourg, que ces six semaines que j’y ai passées sont, je le crois, celles du bonheur le mieux rempli et le plus dense que j’aie jamais eu dans aucun temps de ma vie ; et l’agréable et instructive société que j’y ai trouvée en telle abondance a laissé une si douce impression dans ma mémoire, que, si de forts liens ne me tiraient ailleurs, je crois que l’Écosse serait le pays que je choisirais pour y passer le reste de mes jours. […] Il ne faut donc pas blâmer vos compatriotes s’ils n’en désirent pas plus qu’ils n’en ont, et, si j’en ai quelque peu, il est juste certainement que je la porte là où, en raison de la rareté, elle trouvera probablement un débit meilleur. […] Franklin, que j’ai rapproché, pour la forme d’esprit littéraire et scientifique, de ses amis de l’école d’Édimbourg, avait un coin par lequel il en différait notablement : il était passionné et convaincu à ce point que le froid et sceptique David Hume lui trouvait un coin d’esprit de faction, touchant de près au fanatisme.

2250. (1903) Zola pp. 3-31

Avant 1870 c’est Émile Zola qui s’essaye et qui se cherche ; de 1870 à 1893 c’est Émile Zola qui s’est trouvé et qui s’exprime ; depuis 1893 c’est Émile Zola déclinant et n’écrivant plus qu’avec ses procédés, ses recettes et ses manies. […] C’est là qu’on trouve, aveu naïf que l’auteur se serait gardé de faire plus tard : « Elle en vint à… par un lent travail d’esprit qu’il serait très intéressant d’analyser » ; et que l’auteur n’analysait point du tout. […] Il avait dans l’idée de peindre des gens de haute classe, des bourgeois, des ouvriers, des artistes, des paysans, comme tout romancier plus ou moins réaliste, et il trouvait ingénieux et de nature à donner un air scientifique à ses ouvrages, du moins aux yeux des commis-voyageurs, d’établir entre ces différents personnages des liens imaginaires et tout arbitraires de parenté et d’alliances. […] On n’avoue pas un livre purement sensuel ; on est heureux de pouvoir assurer aux autres et à soi-même qu’on a lu un livre licencieux à cause du talent qui s’y trouve.

2251. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Du Rameau » pp. 288-298

Mais je prétends que celui qui se jette dans l’allégorie s’impose la nécessité de trouver des idées si fortes, si neuves, si frappantes, si sublimes, que sans cette ressource, avec Pallas, Minerve, les grâces, l’amour, la discorde, les furies, tournés et retournés en cent façons diverses, on est froid, obscur, plat et commun. […] Mais ces chants terribles ou voluptueux qui au moment même qu’ils étonnent ou charment mon oreille portent au fond de mon cœur l’amour ou la terreur, dissolvent mes sens ou secouent mes entrailles, les savez-vous trouver ? […] On voit le saint sur son lit, on le voit de face, le chevet au fond de la toile, présentant la plante des pieds au spectateur, et par conséquent tout en raccourci ; mais la figure entière est si naturelle, si vraie, le raccourci si juste, si bien pris, qu’entre un grand nombre de personnes qui m’ont loué ce tableau je n’en ai pas trouvé une seule qui se soit apperçue de cette position, qui montre sur une surface plane le saint dans toute sa longueur, toutes les parties de son corps également bien dévelopées, la tête et l’expression du visage dans toute sa beauté. […] Je trouve aussi l’objet de ces sortes d’institutions trop limité, un petit esprit de bienfaisance étroite dans les fondateurs.

2252. (1912) L’art de lire « Chapitre IV. Les pièces de théâtre »

De quelque art, du reste, qu’il s’agisse, le secret du dilettante, c’est d’attraper l’état d’esprit où l’artiste a été lui-même en composant son oeuvre et de savoir plus ou moins pleinement le garder et s’y maintenir. « Je ne trouve pas cette femme si belle, disait un Athénien devant une statue de Phidias. — C’est que tu ne la vois pas avec mes yeux, lui dit un autre. — Es-tu donc l’auteur ? […] Il ne suffit pas de lui donner un style laconique ; il faudrait qu’il ne dît rien ; ce n’est pas un personnage de théâtre. » Il est plus difficile de trouver le style d’un caractère que d’inventer le caractère lui-même. Bellac, du Monde où l’on s’ennuie, n’était pas difficile à inventer, puisqu’il est toujours dans la réalité et qu’il suffisait de s’en aviser ; ce qui était malaisé, c’était de lui trouver son style, et c’est à quoi Pailleron a admirablement réussi. […] Cela veut dire : « Cléante a raison, non seulement parce qu’il raisonne bien ; mais parce qu’Orgon ne trouve pas un mot à lui répliquer ; et donc Orgon n’obéit qu’à sa passion et Cléante obéit à son jugement ».

2253. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

Rousseau, que l’on trouve sur le chemin de toutes les vérités, lorsqu’il n’est pas contraint d’en sortir par l’esprit de système, Rousseau avait bien compris l’obstacle de l’union des sexes dans l’état absolu d’ignorance ; et c’est même une des objections qu’il se propose dans son Discours sur l’Inégalité des conditions : cependant cela ne l’empêche point, dans son Contrat social, de se hâter de dissoudre les liens de famille sitôt que, selon lui, le besoin cesse de s’en faire sentir pour l’enfant. […] Enfin il ne trouve que là les douceurs de l’étude, le goût pour les sciences, les pensées généreuses, les sentiments élevés, la gloire, noble et immense instinct de l’immortalité ; car l’immortalité elle-même n’est qu’au sein de la société, comme la société seule est conservatrice des traditions religieuses. […] Nous trouvons un instant où la puissance guerrière et la puissance commerçante se sont disputé l’empire du monde. […] Nous avons vu, au commencement de cet ouvrage, que la société était nouvelle, dans la plus rigoureuse acception du mot : alors les hommes qui se sont trouvés à la tête de cette société nouvelle ont voulu fonder une aristocratie prise dans le terrain de la révolution, qui n’est point, comme nous l’avons démontré, la véritable terre sociale.

2254. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

En ce temps-là, Balzac, lui, cette plume difficile, ce génie qui se déchirait avec tant de peine et s’ensanglantait pour produire, Balzac accouchait de cruels chefs-d’œuvre qu’un tas d’esprits trouvaient ennuyeux ! […] Je les y trouve entassés, nombreux, à toute page, sans mélange et tellement, qu’il est impossible que le porte-plume quelconque qui s’exprime en ces termes ; qui n’a à son service, exclusivement, que ces métaphores épuisées, traînées et fourbues, puisse jamais s’appeler du nom de grand écrivain, déjà lourd à porter partout ; à plus forte raison du premier des grands écrivains français au dix-neuvième siècle, comme on l’a dit de Mme George Sand, et qui l’écrase — net ! […] Voyez si vous trouvez pour exprimer les choses du cœur et de la pensée, plus que les vieilles images surannées, « d’autels renversés dans la fange, d’orages, de ruines qui croulent, de par vis, de feuilles sèches que disperse le vent de la mort, de la colombe qui construit son nid solitaire (pour dire le célibat), de volcans à peine fermés du sol (pour dire les passions apaisées), du forum (pour dire comme les avocats, là vie publique), de l’ange de la destinée, de la lampe de la foi, du vent, de la pluie, mais sur-« tout du vent, et pourquoi ? […] Elle n’est, si vous Técoatez, qu’une aimable rêveuse, vierge de tout ce qu’on lui reproche ; qui a commencé par pondre, sans rime ni raison, des romans pour ces vilains hommes, et qui berquinant sur le tard de la vie, pond pour ses enfants des comédies que ces vilains hommes incorrigibles trouvent charmantes ] Elle n’a jamais pensé qu’à l’Art et au plaisir de faire des contes, et ce n’en est pas un qu’elle nous fait là !

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